Charte d'Alger

Texte adopté par le Ier Congrès du Parti du Front de libération nationale du 16 au 21 avril 1964. Voici quelques extraits concernant l'idéologie arabo-musulmane et la langue arabe.

Fondement idéologique
de la Révolution algérienne

Les caractéristiques de la société algérienne

1- La compréhension de l’état présent de notre pays, des luttes qui s’y déroulent, des contradictions à surmonter, implique une juste appréciation de ses caractéristiques.

L’Algérie est un pays arabo-musulman. Cependant cette définition exclut toute référence à des critères ethniques et s’oppose à toute sous-estimation de l’apport antérieur à la pénétration arabe. La division du monde arabe en unités géographiques ou économiques individualisées n’a pu reléguer à l’arrière-plan les facteurs d’unité forgés par l’histoire, la culture islamique et u ne langue commune.

Profondément croyantes, les masses algériennes ont lutté vigoureusement pour débarrasser l’islam de toutes les excroissances et superstitions qui l’ont étouffé ou altéré. Elles ont toujours réagi contre les charlatans qui voulaient en faire une doctrine de la résignation et l’ont associé à leur volonté de mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme.

La révolution algérienne se doit de redonner à l’islam son vrai visage, visage de progrès.

L’essence arabo-musulmane de la nation algérienne a constitué un rempart solide contre sa destruction par le colonialisme. La suppression brutale des institutions, l’appropriation directe des terres, des moyens d’échanges et de l’appareil étatique par une minorité étrangère implantée à la faveur de la conquête n’ont pas empêché le peuple algérien de reconstruire une vie sociale nouvelle. Elle a seulement donné un cachet spécifique aux problèmes agraire et culturel et aux questions de l’encadrement administratif et technique.

2– La lutte pour le triomphe des principes démocratiques a pénétré les masses, impulsé leur action et déterminé leur comportement et leurs perspectives. À travers la résistance armée à l’impérialisme français, elles ont pris conscience de leur force et de leur capacité de résoudre elles-mêmes.

3– L’Algérie sort à peine de l’emprise coloniale. La paix de compromis conclue à Évian aboutirait à un blocage de la révolution si les dispositions de ces accords ne sont pas réaménagées dans le sens de l’intérêt national.

Les accords d’Évian constituent le mole à partir duquel s’est exprimée la renaissance de la nation et de l’État algérien.

Cependant, la présence de l’armée française et plus encore la nature de nos relations financières et économiques avec la France limitent notre souveraineté et donnent un poids particulier aux phénomènes négatifs et aux agissements des couches exploiteuses nationales.

Les tâches de caractère national fixées par le Programme de Tripoli demeurent. L’impérialisme constitue encore l’ennemi principal de notre pays. Le parti doit réagir énergiquement contre la tendance de ceux qui veulent assoupir insensiblement notre volonté quotidienne, endormir la vigilance populaire et aggraver les liens de dépendance du pays. La lutte pour la consolidation de l’indépendance et la lutte pour le triomphe de l’option socialiste sont indissolublement liées. Les séparer c’est favoriser la croissance et la pression des forces hostiles au socialisme et diluer le rôle dirigeant des masses laborieuses ouvrières et paysanne dans des blocs sans principes.

4– L’Algérie est caractérisée par l’inégalité de développement entre les différentes régions. Cette situation héritée du passé confère une portée réelle aux phénomènes régionalistes, aux survivances féodales et à d’autres forces d’inertie. L’égalité des droits entre tous les Algériens serait un principe sans contenu si elle faisait fi développement de la base matérielle. Seule l’augmentation des richesses générales du pays et le développement des forces productives à l’intérieur des régions retardataires permettront de supprimer les obstacles à leur intégration nationale et établiront l’harmonie nécessaire à une évolution normale du pays.

5– La résistance nationale au colonialisme et à l’impérialisme a trouvé son appui essentiellement, dans les montagnes. Or, les avantages de l’indépendance se sont d’abord manifestés dans les villes et les plaines. Il y a là une contradiction. S’attacher à la solution de cette contradiction c’est travailler à unir la paysannerie pauvre aux ouvriers des viles et des campagnes et réaliser une des conditions les plus impérieuses de la victoire du socialisme. L’accomplissement de cette tâche est d’autant plus vitale que les milieux les plus ouverts à l’idée d’une révolution sociale (ouvriers, intellectuels, etc.) furent parfois moins lucides sur les questions de la lutte nationale que d’autres couches plus traditionalistes. Le risque que connaît le pays est que des idéologues au service des couches exploiteuses se réclament de leur lucidité relative sur des questions nationalistes pour empêcher toute approche scientifique de problèmes qui sont aujourd’hui de nature révolutionnaire.

6– Le colonialisme a développé parmi les Algériens des habitudes de consommations sans commune mesure avec les possibilités réelles du pays. Ces habitudes aggravées par la guerre, constituent un facteur de corruption extraordinaire. Le Parti ne peut accepter, sans se couper des masses, la disparité des revenus actuellement existante. Il doit combattre avec vigueur les conceptions parasitaires nées dans les conditions d’une exploitation forcée des masses laborieuses. Le succès de cette lutte est lié à l’élimination des couches privilégiées du devant de la scène et à l’exercice des responsabilités politiques et de gestion par les masses laborieuses elles-mêmes. C’est là le moyen le plus juste et le plus efficace pour éviter de tomber dans le piège d’un pseudo-égalitarisme.

[...]

26– La culture algérienne sera nationale, révolutionnaire et scientifique.

1) Son rôle de culture nationale consistera, en premier lieu à rendre à la langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation. Pour cela, elle s’appliquera à reconstituer, à revaloriser et à faire connaître le patrimoine national et son double humanisme classique et moderne afin de les réintroduire dans la vie intellectuelle et d’éducation de la sensibilité populaire. Elle combat ainsi le cosmopolitisme culturel et l’imprégnation occidentale qui ont contribué à inculquer à beaucoup d’Algériens le mépris de leur langue, de leurs valeurs nationales.

2) En tant que culture révolutionnaire, elle contribuera à l’œuvre d’émancipation du peuple qui consiste à liquider les séquelles du féodalisme, les mythes antisociaux et les habitudes d’esprit rétrogrades et conformistes. Elle ne sera ni une culture de caste fermée au progrès ni un luxe de l’esprit. Populaire et militante elle éclairera la lutte des masses dans le combat politique et social sous toutes ses formes. Par sa conception de culture active au service de la société, elle aidera au développement de la conscience révolutionnaire en reflétant sans cesse les peuple, ses réalités et ses conquêtes nouvelles, ainsi que toutes les formes de ses traditions artistiques.

3) Culture scientifique dans ses moyens et sa portée, la culture algérienne devra se définir en fonction de son caractère rationnel, de son équipement technique, de l’esprit de recherche qui l’anime et de sa diffusion méthodique et généralisée à tous les échelons de la société.

27– De là découle la nécessité de renoncer aux conceptions routinières qui pourraient entraver l’effort créateur et paralyser l’enseignement en aggravant l’obscurantisme hérité de la domination coloniale. Cette nécessité s’impose, d’autant plus que la langue a subi un tel retard comme instrument de culture scientifique moderne qu’il faudra la promouvoir, dans son rôle futur, par des moyens rigoureusement concrets et perfectionnés.
 


 

 

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