République démocratique
du Congo

Congo-Kinshasa

(République démocratique du Congo)

Ex-Zaïre

Capitale: Kinshasa 
Population: 70,3 millions (est. 2012)
Langue officielle: français
Groupe majoritaire: aucun 
Groupes minoritaires: quatre langues nationales (kikongo, lingala, swahili et tshiluba) et plus de 200 langues locales (ngala, luba-shaba, songe, phende, kinyarwanda, shi, tetela, zande, etc.)
Langue coloniale: français (Belgique)
Système politique: république unitaire à régime autoritaire
Articles constitutionnels (langue): art. 1er, 13, 18 et 142 de la Constitution du 18 février 2006
Lois linguistiques: Loi n° 74-003 du 2 janvier 1974 relative au dépôt obligatoire des publications (1974); Loi n° 78/022 du 30 août 1978 portant nouveau Code de la route (1978); Décret-loi n° 194 du 29 janvier 1999 relatif aux partis et aux regroupements politiques (1999); Loi-cadre n° 013/2002 du 16 octobre 2002 sur les télécommunications en République démocratique du Congo (2002); Code pénal congolais (2004); Loi n° 04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise (2004); Arrêté ministériel n° 008/2007 du 09 juillet 2007 modifiant et complétant l'arrêté ministériel n° 04/2002 du 15 octobre 2002 fixant les critères d'appréciation de la publicité sur le tabac et boissons alcoolisées (2007); Ordonnance-loi n° 10/002 du 20 août 2010 portant Code des douanes (2010); Loi n° 11/003 du 25 juin 2011 modifiant la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locale (2011);  Instruction académique n° 014/ MINESURS/ CABMIN/2012 du 08/2012 à l’attention des chefs d’établissements publics et privés de l’enseignement supérieur, universitaire et recherche scientifique (2012); Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 modifiant et complétant la loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante (2013); Loi-cadre n° 14/004 du 11 février 2014 de l'enseignement national (2014).

1 Situation géographique

Ce pays est appelé officiellement la République démocratique du Congo (l’ex-Zaïre) ou RDC. Comme la RDC n'est «démocratique» que de nom, elle est aussi désignée officieusement Congo-Kinshasa pour la différencier du Congo-Brazzaville (ou république du Congo). C'est un pays d'une très grande superficie de 2,3 millions de km², soit environ 33 fois plus grands que le Bénélux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg), quatre fois plus que la France ou deux fois plus que le Québec (Canada), soit l'équivalent de l'Europe entière, moins l'Espagne et le Royaume-Uni. Les habitants du Congo-Kinshasa appellent souvent leur pays simplement «Congo».

En Afrique, seuls le Soudan et l'Algérie sont plus étendus que la RDC, qui est limitée à l'ouest par le Congo-Brazzaville, au nord par la République centrafricaine et le Soudan, à l'est par l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie, au sud par la Zambie et l'Angola (voir la carte du pays). Partageant neuf frontières avec ses voisins, le Congo-Kinshasa est un pays totalement enclavé, sauf quelques kilomètres de côtes en bordure de l’océan Atlantique. En raison de sa grande superficie, de ses énormes richesses et de son importante population, le Congo-Kinshasa demeure l’un des «géants» de l’Afrique, avec l’Égypte, le Nigeria et l’Afrique du Sud. 

Province Estimation 2012 Superficie (km²)
Bandundu 8 395 580 295 658
Bas-Congo 4 726 510   53 920
Équateur 7 815 700 403 292
Haut-Congo 8 485 458 503 239
Kasai occidental 5 612 615 154 742
Kasai oriental 6 908 220 170 302
Katanga 5 902 416 496 877
Kinshasa 9 463 749   9 965
Maniema 2 149 413 132 250
Nord-Kivu 6 037 394   59 483
Sud-Kivu 4 833 372   65 070

RDC

70 330 427
2 344 798
Signalons aussi que la République démocratique du Congo se compose de la ville de Kinshasa (de 9 à 10 millions d'habitants) et des provinces suivantes: le Bandundu (8,3 millions), le Bas-Congo (4,7 millions), l'Équateur (7,8 millions), le Haut-Congo (6,9 millions), le Kasaï occidental (5,6 millions), le Kasaï oriental (6,9 millions), le Katanga (5,9 millions), le Maniema (2,1 million), le Kivu du Nord (6,0 millions) et le Kivu du Sud (4,8 millions). Voir la carte du pays.

Le territoire du Congo-Kinshasa jouxte à l'est la région des Grands Lacs africains et sa situation géographique le place à la «frontière» des pays «francophones» au nord (voir la carte de l'Afrique francophone) et des pays «anglophones» au sud-ouest avec le Rwanda et le Burundi (chacun de ces derniers étant 20 fois plus petits en superficie que son grand voisin). Alors qu'au nord-ouest le Congo-Brazzaville et la République centrafricaine ont le français comme langue officielle (sans oublier le Rwanda et le Burundi), l'Ouganda et la Tanzanie ont l'anglais comme langue officielle ou semi-officielle comme au Soudan. Quant à l'Angola au sud-ouest, il a le portugais comme langue officielle.

2 Données démolinguistiques

Le Congo-Kinshasa est l'un des pays les plus multiethniques d'Afrique, avec une population estimée à plus de 73,5 millions en 2012. Bref, le Congo-Kinshasa serait considéré comme le «premier pays francophone du monde», avant la France (61,8 millions en Métropole). Néanmoins, on y trouve un enchevêtrement de peuples de diverses origines et parlant de nombreuses langues.

2.1  Les ethnies

Le Congo-Kinshasa compte quelque 250 ethnies qui peuvent être réparties en plusieurs groupes. Le premier groupe est formé par les peuples bantous (env. 80 % de la population) dont les principales ethnies sont les Luba (18 %), les Mongo (17 %), les Kongo (12 %) et les Rwandais hutus et tutsis (10 %); les autres ethnies bantoues sont les Lunda, les Tchokwé, les Tetela, les Bangala, les Shi, les Nande, les Hunde, les Nyanga, les Tembo et les Bembe. Les ethnies non bantoues se répartissent entre les Soudanais (Ngbandi, Ngbaka, Mbanja, Moru-Mangbetu et Zande), les Nilotiques (Alur, Lugbara et Logo), les Chamites (Hima) et les Pygmées (Mbuti, Twa, Baka, Babinga). Les Nilotiques et les Chamites, qui ont jadis quitté la vallée du Nil, ont été confrontés aux migrations bantoues, mais ont dû peu à peu laisser la place.

La majorité des Congolais sont de religion chrétienne. Les catholiques forment 40 % de la population, les protestants, 35 %, les kimbanguistes (une importante Église d'origine africaine), 10 %. Il existe également des petites communautés musulmanes (9 %), juives et grecques orthodoxes.

2.2 Les langues

Sur le plan linguistique, cette ancienne colonie belge est l'un des pays les plus multilingues de toute l'Afrique. En effet, l'Atlas linguistique du Zaïre dénombre 221 langues pour une population totale (estimée en 1996) à 42,2 millions d’habitants, c'est-à-dire une langue par tranche de 190 000 locuteurs. Cependant, 186 langues appartiennent à la seule famille bantoue et elles sont parlées par plus de 80 % de la population congolaise. Les autres langues sont représentées par la famille nilo-saharienne.

Ce pluralisme linguistique exceptionnel comprend trois grandes composantes: les langues locales dites «ethniques (ou langues congolaises), les langues dites nationales et la langue officielle (le français).

- Les langues locales

Tous les Congolais parlent l'une des quelque 250 langues «ethniques»; elles sont utilisées localement et servent à la communication entre les diverses communautés. Ceux qui ne parlent qu'une langue ethnique sont ordinairement les citoyens les moins scolarisés et les moins urbanisés. Sauf une vingtaine d’entre elles, les langues ethniques sont parlées par peu de locuteurs et ne jouissent pas de la même considération dans l’opinion publique congolaise. Ces langues sont généralement utilisées par des communautés comptant moins de 100 000 locuteurs, souvent entre 5000 et 70 000 locuteurs. Cependant, une vingtaine de celles-ci comptent plus de 100 000 locuteurs, et trois sont parlées par plus d’un million de personnes:

bembe (252 000)
bera (120 000)
budu (180 000)
budza (226 000)
chokwe (504 000)
fulero (275 000)
kanyok (200 000)
lega-shabunda (400 000)
luba-shaba (1,5 million)
mbole (100 000)
mongo (400 000)
mpuono (165 000)
ngala (3,5 millions)
ntoma (100 000)
phende (420 000)
kinyarwanda (250 000)
shi (654 000)
songe (1 million)
tetela (750 000)
zande (730 00)

Parmi ces langues, le kinyarwanda n'est pas une langue congolaise, mais une langue immigrante issue de transferts de populations venant à l'origine du Rwanda voisin à l'époque du Congo belge (vagues de 1905-1906, 1928-1929, 1940-1943, 1950-1952). Ceux qui parlent le kinyarwanda rwandais sont des Banyarwanda, c'est-à-dire des réfugiés hutus et tutsis habitant dans la province du Nord-Kivu. Les Banyarwanda sont généralement perçus comme des «étrangers» par les Congolais, surtout depuis que des conflits armés ont éclaté en 1993, dans le Nord-Kivu entre, d’une part, des Hutus et des Tutsis, d’autre part, des membres de plusieurs groupes ethniques congolais. On parle aussi depuis 1976 des Banyamulenge, c'est-à-dire «les gens de la colline ou de la forêt de Mulenge», une région du Sud-Kivu. Ce sont en général des Tutsis kinyarwandophones émigrés depuis quelques décennies du Rwanda (après 1959) et ils ne peuvent présentement se prévaloir de la citoyenneté congolaise. En fait, les Banyamulenge sont des Banyarwanda installés dans les régions de Fizi, de Mwenga et d'Uvira, toutes situées dans la province du Sud-Kivu, à l’exception de la région de Shabunda (voir la carte du pays). Quoi qu'il en soit, Banyarwanda ou Banyamulenge ne sont plus des Rwandais, mais ils ne sont pas davantage considérés comme des «authentiques» et continuent de faire l'objet de controverses de la part de nombreux Congolais qui les traitent de «minorité agressive». On ne connaît pas, de façon officielle, le nombre exact de locuteurs du kinyarwanda au Congo-Kinshasa, mais certains observateurs les estimeraient à quelque 400 000. Rappelons que, lors du génocide rwandais en 1994, plus de 800 000 personnes ont fui le Rwanda pour se réfugier au Congo-Kinshasa.

- Les langues nationales

Par rapport aux langues congolaises, les langues nationales — kikongo, lingala, kiswahili et tshiluba — bénéficient d’une plus large audience, d’un plus grand développement et d’une plus grande expansion au plan national grâce à l’Administration, la justice, les écoles primaires, les médias et l’évangélisation. Les quatre langues nationales découpent le pays en quatre grandes aires linguistiques.  

- Le swahili ou kiswahili est parlé comme langue seconde par 9,1 millions de locuteurs dans les provinces de l’Est, notamment le Kivu du Nord et le Kivu du Sud, le Maniema, le Katanga et le sud de la Province-Orientale. Si l'On ajoute ceux qui parlent le swahili comme langue seconde, c'est environ 40 % de la population congolaise qui peut s'exprimer dans cette langue, ce qui en fait aussi la langue la plus parlée du pays.

- Le lingala est la langue maternelle de deux millions de locuteurs et de sept millions d'autres qui l'utilisent comme langue seconde. C'est la deuxième langue d'importance, surtout dans les provinces de l'Équateur, ainsi que du nord de l'Orientale et du sud du Bandundu.  Le lingala est surtout la langue véhiculaire grâce à laquelle il est possible de communiquer et se faire comprendre dans presque tout le pays.

- Le kikongo ou kikonco, avec ses deux millions de locuteurs, est utilisé principalement dans les provinces du Bas-Congo, du Bandundu et à l'ouest du Kasaï occidental. Il existe aussi un kikongo dit «commercial» appelé «kituba» et normalement utilisé par l'administration dans le Bandundu.

- Le tshiluba ou tchilouba (ou luba-kasaï) est pratiqué par quelque  6,3 millions de locuteurs dans les deux Kasaï (occidental et oriental) et dans le nord du Katanga.

Ces langues de grande diffusion se sont imposées avant la colonisation; elles sont aujourd'hui utilisées comme langues maternelles et comme langues secondes par au moins 30 millions de Congolais (de 75 % à 80 % de la population). Elles sont employées par les couches sociales les plus scolarisées et les plus urbanisées à titre de langues supra-régionales ou pour la communication inter-ethnique dans les villes. Trois des langues nationales congolaises, le lingala, le swahili et le kikongo, sont de formation récente. Leur histoire est liée à celle de la colonisation du Congo et, en principe, elles n’appartiennent en propre à aucune communauté ethnolinguistique du pays. Cet avantage leur permet, surtout au lingala et au swahili, de jouer leur véritable rôle de langues véhiculaires. Quant au tshiluba, c’est une langue qui remonterait au XVe siècle et est davantage liée aux principales communautés qui la parlent: les Baluba dans l'est du Kasaï et les Bena Lulua dans l'Ouest

- La langue officielle

Dans le projet de Constitution de novembre 1998, quatre articles concernaient l’emploi des langues. L’article 6 traitait du statut des quatre langues nationales et de deux langues officielles: «Sans préjudice des langues nationales, les langues officielles sont le français et l'anglais.» Cependant, au plan juridique, le projet de loi constitutionnelle n'a aucune valeur pour la simple raison qu'il n'a jamais été entériné.

D'ailleurs, à la suite des résolutions du Dialogue inter-congolais de Sun City (en Afrique du Sud), du 25 février au 12 avril 2002, et à l'Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo signé à Pretoria, le 17 décembre 2002, et adopté le 1er avril 2003, le président de la RDC du Congo, Joseph Kabila, a promulgué le 4 avril la nouvelle Constitution, ouvrant probablement la voie à la transition vers les premières élections libres dans son pays.

Les paragraphes 7 et 8 de l'article 4 de la Constitution de 2003 portaient sur les langues.  Le paragraphe 7 précisait que le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba sont les «langues nationales», alors que le français était redevenu la (seule) langue officielle, l'anglais ayant été éliminé.

Article 4 (2003)

7) Les langues nationales sont: le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba.

8) La langue officielle est le français.

Aux langues congolaises se superposent le français et l'anglais, deux langues européennes, dont l'une est officielle depuis longtemps: à peine 10 % (env. quatre millions de locuteurs) des Congolais savent le français, contre 1 % pour l'anglais. Cet article 4 est devenu l'article 1er dans la Constitution du 18 février 2006.

Article 1er

1) La République démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un État de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc.

7) Sa langue officielle est le français.

8) Ses langues nationales sont le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba. L’État en assure la promotion sans discrimination. Les autres langues du pays font partie du patrimoine culturel congolais dont l’État assure la protection.

Le français, la langue officielle, reste une langue seconde pour tous ceux qui le parlent. La compétence de ces locuteurs du français reste très inégale, il va sans dire, et varie principalement en fonction des milieux urbains et ruraux. 

La plupart des Congolais pratiquent une diglossie déséquilibrée, sinon une triglossie lorsqu’ils connaissent le français. Ainsi, ils emploient leur langue maternelle (ou ethnique) dans les relations familiales ou inter-ethniques, mais la langue véhiculaire régionale — kikongo, lingala, swahili et tshiluba — dans la vie urbaine en général: commerce, administration locale, éducation (premier cycle du primaire), presse, radio et télévision. Pour ceux qui savent le français (triglossie), employer cette langue donne automatiquement accès à toutes les sphères du pouvoir et de la connaissance. C'est encore, dans les faits, la langue de l'État et du droit.

Le français parlé dans ce pays contient des particularités congolaises significatives au plan phonétique, lexical et grammatical. Une équipe du  Département de langue et littérature françaises de l’Université de Kinshasa a réalisé une étude en ce sens. On peut constater un grand nombre d'africanismes, c'est-à-dire des influences des langues nationales dans le français congolais. Certain s mots ne sont employés qu'en RDC, d'autres aussi dans les pays limitrophes. Le linguiste Ntumba Ilunga de l'Université de Kinshasa nous en fournit quelques exemples pertinents :

Terme Origine Sens
afdlien AFDL relatif à l’AFDL, Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
arégionalisation a privatif + régional fait de ne pas évaluer quelqu’un en fonction de son appartenance régionale
bembiste adj. de Jean-Pierre Bemba partisan de Bemba et de son action politique
bilulu mot swahili signifiant «vermine» personne nuisible et indésirable
congolité de Congo ensemble des valeurs déterminent l’identité congolaise
creuseur de creuser mineur dans l'exploitation artisanale du diamant
déballable v. déballer personne dont on peut faire le déballage, qui peut être mise à nu
démocrature de démocratie sorte de démocratie forgée à la mesure d’un dictateur en vue de sauvegarder son pouvoir
démobutisation de Mobutu le fait de bannir les maux qui caractérisaient le régime de Mobutu
démobutiser de Mobutu bannir le mobutisme
kabiliste de Kabila partisans de Kabila
katangalisation de Katanga le fait de rendre katangais
lumumbiste de Patrice Lumumba partisan de Lumumba
primaturable de primature candidat à la primature (poste de premier ministre)

Il y en a beaucoup d'autres, mais ces quelques exemples permettent de démontrer la capacité des Congolais à s'approprier le français. Cependant, le souvenir du soutien réel ou supposé de la France à la dictature mobutiste (Mobutu: 1965-1997) est présent dans l’esprit de beaucoup de Congolais. C’est pourquoi le français est mal perçu pour représenter la «libération» ou la «liberté» devant l’anglais. Certains universitaires congolais prédisent la mort par étouffement du français et son éviction par l’anglais. Pourtant, les Américains ont toujours soutenu autant que la France l’ancien dictateur Mobutu qui a toujours favorisé le français.

L’anglais n’est pas encore une langue très répandue au Congo-Kinshasa, mais il fait l’objet d’un grand engouement, principalement pour des raisons politiques, idéologiques, économiques et culturelles, liées à la proximité des pays anglophones voisins. Du fait qu’il est parlé par bien peu de personnes (moins de 1 % de la population), le prestige de l’anglais n’ébranle pas encore les bases du français. D’ailleurs, les Congolais s’identifient davantage au français qu’à l’anglais, parce qu’ils considèrent la langue coloniale transmise par la Belgique comme un élément de leur patrimoine culturel. Pour l’immense majorité des Congolais, il n’est pas question de supprimer le français ou de le remplacer par l’anglais. L'officialisation de l'anglais n'a pas fait long feu: le projet est d'ailleurs mort-né.

Habitués à la coexistence linguistique, les Congolais opteraient plutôt pour une double utilisation du français et de l’anglais en tant que «langues de culture». L’objectif avoué serait de maximiser la mobilité des Congolais dont le pays se situe à la frontière des pays francophones et anglophones. Il n’en demeure pas que, même «minoritaire», l’anglais fait présentement son entrée dans un paysage linguistique diglossique ou même triglossique, car il doit concurrencer les langues vernaculaires locales, les langues nationales et le français, toujours vivace dans sa fonction de langue de culture.

3 Données historiques

Le Congo-Kinshasa a connu quatre grandes périodes au cours de son histoire moderne. Mentionnons une première tentative de colonisation de la part des Portugais, puis la période de l’État libre du Congo alors qu’il était sous la souveraineté personnelle de Léopold II de Belgique, la période du Congo belge et le Congo indépendant à partir de 1960.

3.1 La période précoloniale

Au premier millénaire de notre ère, des agriculteurs bantous pénétrèrent dans le pays et s'établirent dans la zone côtière ainsi que sur les plateaux orientaux et méridionaux. En 1482, les Portugais établirent un premier contact avec le royaume bantou du Congo. Il semble qu’à son apogée le royaume s’étendait de l'actuel Angola jusqu'au Gabon. En 1489, une ambassade du royaume du Congo rendit visite au roi du Portugal et, en 1490, des missionnaires franciscains et des artisans portugais s'installèrent dans la région. Alfonso, fils du premier roi converti, devint roi du Congo en 1507 et entreprit de christianiser le royaume. Cependant, le royaume déclina, puis s'effaça, alors que les Portugais se tournaient vers le Sud, en Angola, où la traite des Noirs rencontrait moins de difficultés. Dès cette époque, d’autres Européens et des Arabes de l'île de Zanzibar (à l'est de la Tanzanie) pratiquèrent néanmoins l’esclavagisme dans la région du Congo, mais ils ne s’installèrent pas.

En fait, l’occupation européenne fut tardive, elle ne commença qu’à la fin du XIXe siècle lorsque l’explorateur britannique Henry Morton Stanley explora le fleuve Congo entre 1874 et 1877. Il créa des pôles d’échanges commerciaux avec les populations bantoues. Au même moment, le roi Léopold II de Belgique réunit au Palais de Bruxelles une conférence internationale composée de savants, de géographes et d'explorateurs, et axée sur la découverte de l'Afrique centrale. Il en sortira (1877) l’Association internationale pour la civilisation et l'exploration de l'Afrique centrale. En 1978, il créa, avec le concours de Stanley, le Comité d'études du Haut-Congo, transformé en 1879 en Association internationale du Congo dont l’objectif était «d’ouvrir l’Afrique à la civilisation et d’abolir la traite des esclaves». Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), du nom du roi des Belges, fut fondée en 1881 par l'explorateur anglo-américain Henry Stanley, qui baptisa cet entrepôt de marchandises sur le Congo. 

Alors que la France et le Portugal revendiquaient une partie des territoires du Congo, la Conférence de Berlin de 1885 reconnut la souveraineté de Léopold II sur le Congo, qui devint l’État libre du Congo, une possession personnelle du souverain belge ayant comme capitale la ville de Boma. Lorsque quand Léopold II reçu le Congo, il l'a d'abord proposé à la Belgique comme colonie, mais le
gouvernement l'a refusé. Le monarque belge pouvait alors «sauver les Africains de l'oppression de despotes locaux et du trafic des négriers arabes» pour les «conduire à la civilisation».

3.2 La période léopoldienne (1885-1908)

Sans jamais avoir posé les pieds au Congo, Léopold II y établit les fondations d’un ordre colonial qui dura 75 ans. Il créa en 1888 une Force publique destinée à protéger les travaux du chemin de fer allant du port de Matadi à Léopoldville (Kinshasa); cette ligne de 400 km de long fut inaugurée en 1898, ce qui donna le coup d'envoi du développement de Léopoldville. Le roi déclara que «les terres vacantes doivent être considérées comme appartenant à l'État».

Afin de faire fonctionner «sa» colonie (en réalité, une simple entreprise commerciale personnelle) et en exploiter les richesses naturelles, Léopold II s’appuya sur son armée de mercenaires (belges, togolais, maliens, sénégalais, etc.), les missions catholiques, un certain nombre d’émissaires (des administrateurs) et de colons à sa solde, ainsi que des banquiers belges. En vue de récupérer les coûts de ses investissements personnels dans son aventure coloniale, Léopold II concéda des territoires coloniaux à des compagnies privées qui lui versaient des redevances en échange de la liberté d'extraction des richesses.

À partir de 1885, l'État indépendant fut soumis à l'exploitation de compagnies qui organisaient la collecte du caoutchouc. Certaines des richesses accumulées servirent à construire des bâtiments prestigieux à Bruxelles à Anvers et à Ostende. 

Cependant, Léopold II se forgea une triste réputation en raison non seulement des travaux forcés imposés aux Congolais, mais aussi à cause des mutilations faites aux femmes et aux enfants (mains ou pieds coupés) qui ne respectaient pas les quotas de production, des impôts en nature, des massacres des habitants, sans parler du pillage de l’ivoire et du caoutchouc.

En raison des excès commis par les Blancs en Afrique, la réputation de Léopold II et son œuvre d'outre-mer furent sérieusement remises en cause. Le roi institua une commission internationale d'enquête (1904) qui publia en novembre de l’année suivante un rapport accablant dans lequel on reconnut «les mérites de l'action royale au Congo», tout en relevant «des abus et des lacunes» de la part des colons et des milices. À l’époque, les atrocités commises au Congo et dévoilées surtout par le consul britannique au Congo, Roger Casement, soulevèrent l’indignation dans toute l’Europe. En 1908, le Parlement belge décida que l'on ne pouvait confier une colonie à la seule autorité du roi; Léopold II dut céder «l’État libre du Congo» à la Belgique qui ne pouvait refuser l'offre.

De cette «période léopoldienne», il n’est pas resté grand-chose, sinon l’introduction de la langue française dans le pays en même temps que les colons belges et un modèle d’administration brutale (mais pas plus qu'ailleurs!) dont s’inspireront plus tard les dirigeants noirs du Congo (p. ex., Mobutu et Kabila). Les Belges de l’État libre du Congo n'ont jamais favorisé l'apprentissage du français par les «indigènes», qui restèrent à l’écart de l’Administration. Tous les manuels d’histoire coloniale présentèrent par la suite Léopold II comme un «grand bienfaiteur des peuples noirs».

3.3 Le Congo belge (1908-1960)

En 1908, la Belgique fit officiellement du Congo une colonie — appelée Congo belge — dont les éléments essentiels reposèrent sur l’Administration, les missions chrétiennes et les compagnies capitalistes, sans oublier l’armée belge. La croissance économique du Congo belge se développa considérablement (grâce à la production du cuivre et du diamant), mais en fonction des intérêts coloniaux et du capital étranger, non pour répondre avant tout aux besoins de la population indigène. On peut même affirmer que l’entrée en scène de la Belgique ne changea pas grand-chose, car le régime d’exploitation et de travaux forcés s'est poursuivi. De plus, quantité de chefs coutumiers congolais, accusés de remettre en cause l’ordre colonial, furent pendus pour servir d’exemple.

Après la défaite de l’Allemagne en 1918, le traité de Versailles rendit les colonies allemandes aux pays vainqueurs. Sous mandat de la Société des Nations (SDN), la Grande-Bretagne se vit confier l’administration du Tanganyika (Tanzanie), alors que la Belgique administra le Ruanda-Urundi (Rwanda-Burundi) à partir de Bujumbura (Burundi), devenue capitale du mandat belge du Ruanda-Urundi (aujourd'hui, le Rwanda et le Burundi). Le Congo belge comprenait six provinces: Léopoldville, Équateur, Orientale, Kivu, Kasaï et Katanga. En 1920, Léopoldville remplaça Boma au rang de capitale du Congo belge. En 1925, le Ruanda-Urundi fut rattaché au Congo belge dont il constituait la septième province.

À la fin de la décennie 1950, le domaine de l’éducation, resté le monopole des missions catholiques, n’avait produit que 15 universitaires congolais, aucun médecin ni ingénieur, mais avait formé plus de 500 prêtres autochtones! Les Noirs congolais les plus instruits étaient devenus des imprimeurs, charpentiers, mécaniciens, infirmiers, menuisiers, etc. Le français et le néerlandais étaient enseignés dans les écoles d'État qui formaient les fonctionnaires d’origine belge; il existait aussi des écoles d’État pour le primaire et le secondaire (en français ou en néerlandais) à l’intention des enfants des Blancs, notamment à Stanleyville, Élisabethville, et Panda-Likasi. Dans les séminaires, les futurs prêtres congolais apprenaient le français et le latin.

Le Congo belge s’est donc trouvé dépourvu du personnel politique et technique prêt à prendre la relève, lorsque les autres pays firent leurs premiers pas vers l’indépendance. L’institut colonial d’Anvers avait déjà en 1955 prévenu le gouvernement belge qu’une durée de trente ans serait nécessaire pour former une classe dirigeante capable d'assumer le pouvoir. Mais tout se passa trop vite! Les premières revendications indépendantistes se manifestèrent dès 1955. En janvier 1959, des émeutes éclatèrent à Léopoldville. Les autorités belges y répondirent par une table ronde réunissant les principaux dirigeants congolais à Bruxelles. Le gouvernement belge annonça un programme visant à former les élites congolaises à l’Administration, planifia l’organisation d’élections locales en vue de la formation d’un gouvernement congolais et s’engagea à conduire le pays vers l’indépendance. Celle-ci fut fixée par le Parlement belge au 30 juin 1960.

La plupart des Européens résidant au Congo belge étaient déjà partis en 1959 lors des premières émeutes. Contrairement aux grandes puissances coloniales (France et Royaume-Uni), l'impérialisme belge n'a pu préparer la décolonisation en sélectionnant, par exemple dans la population autochtone, des successeurs (ou «serviteurs») politiques et militaires aptes à assurer la continuité étatique après le départ des autorités coloniales. Ce fut l'improvisation, à l'exemple de la décolonisation portugaise qui se produisit quinze ans plus tard. On croit aussi que les Nations unies avaient exercé des pressions auprès de la Belgique pour que celle-ci accorde l'indépendance plus tôt que prévu.

La campagne électorale qui suivit fit apparaître un clivage entre les tenants d’une solution confédérale avec la Belgique et les partisans d’un État congolais fort et centralisé représentés par Patrice Lumumba, le chef du Mouvement national congolais (MNC).

3.4 La politique linguistique belge

Contrairement à la France qui s'est toujours dotée d’une politique linguistique coloniale élaborée, portant sur l'imposition du français et l'éviction des langues indigènes, la Belgique eut une attitude différente. La Belgique était un petit pays aux moyens plus limités et sans tradition coloniale. Pratiquant une administration indirecte («contrôle indirect»), elle accorda aux langues africaines une place importante dans la gestion des colonies et laissa l’entière initiative en matière d'éducation aux missionnaires. De plus, la Belgique était pays bilingue aux prises avec des populations francophones et néerlandophones, qui s'opposaient à différents points de vue, notamment en éducation et en administration.

Ainsi, au Congo belge, comme d'ailleurs au Rwanda et au Burundi, si les fonctionnaires belges importants étaient généralement francophones, les postes subalternes étaient tenus par des néerlandophones parlant peu le français. La plupart des missionnaires affectés dans les colonies étaient néerlandophones, alors que leurs supérieurs étaient tous francophones. Or, les missionnaires avaient pour principal objectif d’évangéliser les Africains, non de diffuser la langue du colonisateur, qui dans le cas de la Belgique était ambiguë. Dans les colonies belges, comme d'ailleurs en Belgique à cette époque, le statut du français et celui du néerlandais n'étaient guère équitables, ce qui s'est reflété au Burundi, au Rwanda et au Congo belge.

Seules des pratiques administratives régirent le statut des langues au Congo belge. Le français et le flamand (appelé aujourd'hui néerlandais) furent les deux langues officielles de la colonie. À l'exemple de la Belgique, il y a même eu des projets de partage du Congo belge en une «zone francophone» et une «zone flamande». Le 18 octobre 1908, le Parlement belge promulguait la Charte coloniale, ou loi sur le gouvernement du Congo, qui reconnaissait l’égalité entre les deux langues officielles belges (art. 3):

Charte coloniale du 18 octobre 1908

Loi sur le gouvernement du Congo belge

Article 3

L'emploi des langues est facultatif. Il sera réglé par des décrets de manière à garantir les droits des Belges et des Congolais, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires.

Les Belges jouiront au Congo, en ces matières, des garanties semblables à celles qui leur sont assurées en Belgique. Des décrets seront promulgués à cet effet au plus tard dans les cinq ans qui suivront la promulgation de la présente loi.

Tous les décrets et règlements ayant un caractère général sont rédigés et publiés en langue française et en langue flamande. Les deux textes sont officiels.

Article 4

Les Belges, les Congolais immatriculés dans la colonie et les étrangers jouissent de tous les droits civils reconnus par la législation du Congo belge.

Leur statut personnel est régi par leurs lois nationales en tant qu'elles ne sont pas contraires à l'ordre public.

Les indigènes non immatriculés du Congo belge jouissent des droits civils qui leur sont reconnus par la législation de la colonie et par leurs coutumes en tant que celles-ci ne sont contraires ni à la législation ni à l'ordre public. Les indigènes non immatriculés des contrées voisines leur sont assimilés.

Article 5

Le gouverneur général veille à la conservation des populations indigènes et à l'amélioration de leurs conditions morales et matérielles d'existence. Il favorise l'expansion de la liberté individuelle, l'abandon progressif de la polygamie et le développement de la propriété.

Il protège et favorise, sans distinction de nationalités ni de cultes, toutes les institutions et entreprises, religieuses, scientifiques ou charitables, créées et organisées à ces fins ou tendent à instruire les indigènes et à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la civilisation.

Dans les faits, le français restera la seule langue officielle de la colonie, mais l'égalité juridique était sauve. Sans être explicite en ce qui concerne les langues congolaises, la Charte coloniale en réglementait l’emploi, c'est-à-dire dans la sphère privée. L'article 5 impose au gouverneur général de veiller «à la conservation des populations indigènes et à l'amélioration de leurs conditions morales et matérielles d'existence». La circulaire du 24 mai 1912 exigea des fonctionnaires belges dans la colonie de connaître «les dialectes indigènes» afin de s’adapter aux réalités du pays.

Le domaine de l’enseignement relevant des missions catholiques et protestantes, les religieux et les administrateurs ne voulurent guère favoriser l'apprentissage du français ou du néerlandais par les «indigènes». En 1929, une brochure du gouvernement colonial précisait même que la «langue indigène enseignée» dans les écoles primaires était l'une des quatre langues nationales (swahili, kikongo, lingala et tshiluba écrit généralement ciluba), dans le but avoué de «ne pas déraciner les indigènes». Le rôle de ces langues semble même avoir été prépondérant par rapport au français et au flamand (néerlandais), notamment dans les domaines de l'éducation et des communications destinées à la population. Les deux langues officielles de la colonie demeuraient hors de portée pour la plupart des Congolais. Les enseignants belges laissaient croire aux petits Congolais que leur langue était «une créature de Dieu» et qu’à ce titre elle devait être respectée.

Dans les faits, seul le français restait la langue de l'Administration coloniale ainsi que des écoles secondaires. Or, étant donné que le français n’était pratiquement pas accessible aux Congolais, la colonisation belge ne suscita pas l’émergence d’élites administratives et politiques locales; la coexistence entre les Blancs et les Noirs ressemblaient à une sorte d’apartheid, celle-ci étant tempérée quelque peu par la présence des missions chrétiennes. Au Congo belge, le rôle des missionnaires fut beaucoup plus important que dans les colonies françaises parce que l’État belge ne s'est impliqué que très tardivement dans le domaine de l’éducation auprès des population africaine. En effet, ce fut uniquement au cours de la décennie de 1950, juste avant l'indépendance des colonies, que l'État belge a entrepris de former des élites locales et de leur inculquer l'apprentissage du français. Le 20 février, Bruxelles accordait le droit d'utiliser dans les interventions au Parlement congolais le swahili, le lingala, le kikongo et le tshiluba, mais en recourant à la traduction:

Résolution n° 6 relative à l'organisation du Parlement congolais, du 20 février 1960 à Bruxelles

Le pouvoir législatif de l'État du Congo est exercé conjointement par deux Chambres nationales, provisoirement dénommées «Chambre des représentants et Sénat».

1. La Chambre des représentants élus au suffrage universel comprend un représentant par 100.000 habitants sans distinction d'âge, sexe ou nationalité, chaque fraction de population supérieure à 50.000 donnant droit à un représentant supplémentaire, leur nombre étant de 137, sur base de la population actuelle et selon le tableau annexé. [...]

12. La langue de travail, de rédaction des documents officiels et des textes législatifs est le français, étant entendu que la présidence assurera la traduction en français, des interventions en swahili, lingala, kikongo et tshiluba.

La résolution ne parle pas du néerlandais qui, en principe, doit être l'une des langues officielles. À la différence de la France et de la Grande-Bretagne, il était trop tard pour former des élites prêtes à prendre la relève au moment de la déclaration d’indépendance. C'est ce qui explique en partie que la langue du colonisateur allait moins bien s'implanter dans les anciennes colonies belges.

En résumé, la politique linguistique du Congo belge peut être résumée comme suit:

1. laisser se développer les langues indigènes du pays et les utiliser dans le cadre de l’évangélisation ;
2. privilégier certaines langues véhiculaires pour servir dans les communications inter-ethniques et de langue d’enseignement pendant les premières années de la scolarisation ;
3. enseigner la langue française à une petite élite appelée à travailler aux côtés des autorités coloniales en tant qu'employés subalternes.

Toutefois, les Congolais instruits jugèrent cette politique «rétrograde» et revendiquèrent un enseignement généralisé du français.

3.5 Les douloureux lendemains de l’indépendance (1960-1966)

En mai 1960, les élections donnèrent la victoire au Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba, qui céda la présidence à Joseph Kasavubu après la proclamation de l’indépendance, à Léopoldville, le 30 juin 1960. Lumumba fut nommé premier ministre. Puis, les violences se multiplièrent, tandis que les partis politiques exclus du gouvernement contribuaient à attiser le feu, que plusieurs provinces demandaient leur indépendance (dont la province du Katanga) et que se révoltaient les forces armées congolaises. Effectivement, dès juillet 1960, la province du Katanga, avec à sa tête Moïse Tshombé, fit sécession; dans le Kasaï du Sud, des tentatives sécessionnistes et de morcellement du territoire se firent sentir; le 14 septembre 1960, le colonel Joseph-Désiré Mobutu tenta un premier coup d’État avec le soutien de la CIA américaine.

L’horrible guerre civile qui s’ensuivit sur l’ensemble du territoire fut marquée par l’intervention des mercenaires étrangers (belges, français et sud-africains), de casques bleus de l’ONU et par l’assassinat de Patrice Lumumba (en janvier 1961). La sécession katangaise prit fin en 1963, mais la rébellion des lumumbistes se poursuivit jusqu’en 1964. À la fin de 1964, le commandant en chef, le colonel Mobutu, s’empara du pouvoir et, après avoir déposé le président Kasavubu, se proclama lui-même président du Congo belge.

En 1960, la première Constitution du Congo belge (encore appelé ainsi à l'époque), déclara le français comme seule langue officielle, le néerlandais étant aussitôt évacué. Le début de l’indépendance débuta par une politique linguistique scolaire qui se traduisit par l’ordonnance présidentielle n° 174 du 17 octobre 1962 (titre officiel: ordonnance n° 174 du 17 octobre 1962 portant unification des structures et des programmes de l'enseignement primaire) supprimant l’enseignement des langues nationales à l’école primaire et généralisant le français, tel que les avaient souhaités les Congolais instruits avant l'indépendance. À l'article 3, il était écrit:

Article 3

Le français est la langue de l'enseignement du cycle primaire. Le recours à une des langues congolaises en cas de nécessité pédagogique est réglementé par le Programme national.

Le français devint l’unique langue de l'enseignement du secteur primaire. Certains facteurs ont joué en faveur de la consécration du français. Les nouveaux dirigeants politiques ont voulu conjurer le tribalisme et le pluralisme linguistique en favorisant l'emploi d'une «langue unificatrice». De plus, la forte centralisation administrative rendait nécessaire le recours à une langue considérée comme «neutre» parce que «non congolaise». Enfin, la valorisation sociale du français, jadis refusée aux «indigènes», exerça une profonde attraction chez les Congolais francophiles qui désiraient s'approprier cette langue prestigieuse et génératrice de développement économique.

3.6 Mobutu et la politique de zaïrisation (1965-1997)

Lorsque le colonel Mobutu Sese Seko — Joseph-Désiré Mobutu dit Sese Seko Kuku Ngbendu Waza Banga, ce qui signifie «guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter» — prit le pouvoir en 1965, appuyé par des États extérieurs (dont la Belgique, la France et les États-Unis), il instaura un régime autoritaire de type présidentiel fondé sur un parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), et entériné par une nouvelle constitution en 1967. Avec l'arrivée au pouvoir du président Mobutu, apparut le concept officiel du «recours à l'authenticité». Cette authenticité fut définie comme le désir d'affirmer l'«africanité congolaise» et le refus d'adopter les valeurs venues d'ailleurs (l'Occident). En 1970, Mobutu devenu général, élu pour un mandat présidentiel de sept ans, lança un vaste programme d'africanisation.

- La zaïrisation linguistique

Dès l’année suivante, le pays changea même de dénomination: le Congo belge devint officiellement le Zaïre. Au nom de l'authenticité, plusieurs interventions à caractère linguistique furent amorcées. Ainsi, le gouvernement rebaptisa les noms des grandes villes (p. ex. Léopoldville > Kinshasa, Élisabethville > Lumumbashi, Stanleyville > Kisangani, Port-Francqui > Ilebo, etc.), des rues, des fleuves, des lacs, etc.; le général-président Mobutu a eu droit à un lac qui porte son nom. On supprima les noms et prénoms étrangers; les patronymes traditionnels africains devinrent obligatoires, ce qui suscita un conflit ouvert avec l'Église catholique, opposée à la déchristianisation des prénoms. Les raisons sociales furent également zaïrianisées, que ce soit dans les établissements d'enseignement, les commerces, les noms des journaux (tout en étant rédigés en français). Les termes de salutation tels que Monsieur, Madame et Mademoiselle furent remplacés par Citoyen, Citoyenne et Maman. Les députés se transformèrent en commissaires du peuple, les ministres, des commissaires d'État, les maires, des commissaires de zone, etc. La monnaie nationale porta aussi le nouveau nom du pays: le zaïre qui deviendra plus tard le nouveau zaïre. Bref, la prise du pouvoir politique par Mobutu s’est traduit également par une prise du pouvoir linguistique.

Cette idéologie du recours à l'authenticité entraîna apparemment la valorisation des langues nationales; elle remit en question le monopole du français. Le domaine de l'enseignement fut particulièrement touché. Après avoir été exclues depuis 1962, les quatre langues nationales — swahili, lingala, kikongo et tshiluba — furent réintégrées officiellement partout au pays dans l'enseignement primaire. Rompant avec le programme de 1962-1963 qui avait entraîné l’usage exclusif du français, Mobutu réintroduisit les langues nationales (le tshiluba, le swahili, le kikongo et le lingala) dans les écoles primaires. Toutefois, cet enseignement resta confiné aux deux premières années du primaire. Cette décision n’a été consacrée par un quelconque arrêté ministériel. Il fallut attendre la circulaire du 31 août 1976, qui consacrait le bilinguisme en introduisant l’usage exclusivement oral du français durant les deux premières années du primaire.

La politique du recours à l'authenticité suscita des espoirs légitimes en matière de valorisation des langues nationales. Beaucoup crurent que cette idéologie allait évoluer vers une prise de position sans équivoque en faveur des langues nationales non seulement dans l'éducation, mais dans l'administration, la presse écrite, la télévision, etc. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé. Des pressions politiques et économiques ont freiné l'expansion des langues nationales au Zaïre. Le discours officiel alla dans le sens de la promotion des langues nationales, mais les comportements des dirigeants furent caractérisés par l'hésitation, la prudence et l'attentisme. La population zaïroise ne comprit pas toujours pourquoi le discours apologétique officiel sur «l'authenticité africaine» ne s’est pas transposé davantage dans la réalité et, surtout, comment il aurait pu être compatible avec le modèle occidental perpétué par ceux-là même qui le décriaient. Beaucoup soupçonnèrent les dirigeants politiques de vouloir récupérer les valeurs ancestrales à des fins strictement personnelles et partisanes.

Autrement dit, pour que le recours à l'authenticité devienne un nouvel ordre linguistique, il aurait fallu qu'il dépasse les formes superficielles et limitées des termes africanisés, et qu'il consacrât les langues nationales comme des facteurs de développement sociale et économique. Mais ce n’est pas ce voulait le maréchal-président Mobutu.

Même sur les billets de banque, le français fut seul utilisé, alors que le nom du numéraire avait changé, passant du franc au zaïre. Après le régime de Mobutu, le zaïre changera en franc congolais.

- La francisation post-coloniale

Malgré la zaïrisation linguistique, le français revint en force et fut enseigné à l'oral en raison d'une demi-heure par jour dès les deux premières années du primaire. Il fut introduit progressivement à l'écrit en 3e année pour devenir l'unique langue d'enseignement en 5e année. Au secondaire, les langues nationales n’ont jamais été enseignées. En réalité, aucune initiative sérieuse ne fut envisagée pour élaborer une réelle politique linguistique en éducation. En 1986, ce fut la promulgation de la Loi-cadre sur l’enseignement national. L'article 20 de cette loi traitait des langues nationales et du français:

Article 120

Les langues nationales ou la langue du milieu de l’enfant et le français sont des langues de l’enseignement normal. Les modalités d’utilisation et d’enseignement des ces langues sont déterminées par voie réglementaire.

Une nouvelle constitution fut adoptée en 1990, alors que le président Mobutu annonçait la mise en place du multipartisme et, suite à de nombreuses manifestations anti-Mobutu, la convocation d’une conférence nationale. Près de 200 partis, dont plusieurs créés sur des bases ethniques, y participèrent, mais la conférence fut suspendue en janvier 1992. On ne trouve aucune disposition à caractère linguistique dans la Constitution de 1990. Autrement dit, le français était devenu la langue officielle de facto.

La nouvelle Constitution de 1994 proclama ainsi la langue officielle du pays: «Sans préjudice des langues nationales, sa langue officielle est le français.» Aucune disposition ne traitait des quatre langues nationales — swahili, lingala, kikongo et tshiluba. En fait, durant tout le régime Mobutu, aucune loi n'a même été adoptée pour reconnaître officiellement ces langues. Le statut «national» de ces langues en fut un de facto plutôt que de droit, étant donné qu'aucun texte juridique ne le consacrait.

Le français est devenu non seulement l’unique langue du Parlement (quand il fonctionnait) et du gouvernement, mais aussi celle de l'Administration, de la justice, de l'école, de la grande presse, du travail, etc., au détriment des langues nationales. C'est ce qui fait dire à Mwatha Musanji Ngalasso, un linguiste français d’origine congolaise: «De ce point de vue-là, la francophonie, dans ce qu'elle a aujourd'hui de plus conquérant, est bien une invention post-coloniale.» Cette politique de francisation s'est poursuivie, essentiellement par décrets, jusque vers le milieu des années soixante-dix. De fait, les Belges n’ont jamais voulu ni imposer le français aux «indigènes» sous prétexte de ne pas les «déraciner».

- La fin du régime mobutiste

Les trente-deux ans de régime autoritaire avaient rendu Mobutu (promu maréchal en 1982) très impopulaire. Sa garde présidentielle mono-ethnique, composée uniquement d’éléments originaires de son village ou de son ethnie, les Ngbandi, et l’Armée nationale (composée en grande partie de mercenaires) avaient répandu la terreur et assuré la dictature du maréchal-président. Puis le dictateur s'est enrichi, démesurément, au point où l'on peut parler de «kleptocratie», c'est-à-dire utiliser le fruit du travail de ses «sujets» en prélevant de lourds impôts sans les redistribuer, le tout en élaborant une idéologie justifiant cette même «kleptocratie». Mobutu aimait déclarer que «les Zaïrois me doivent tout», mais en 1997 le Zaïre en était au même point qu’au moment de la décolonisation. En effet, le PIB équivalait fondamentalement à celui de 1958, alors que la population avait triplé, le revenu fiscal représentait moins de 4 % du PIB contre 17 % avant l'indépendance, la plupart des entreprises étaient acculées à la faillite, le poids de la dette extérieure continuait à compromettre les initiatives et politiques de développement et à miner les possibilités de croissance. Le Zaïre était saigné à blanc! On estime par ailleurs que, de 1908 à 1997, plus de 10 millions de Zaïrois/Congolais auraient été massacrés par les autorités en place (Léopold II, Congo belge et Mobutu).

Rappelons qu'en avril 1995 le Parlement zaïrois adoptait une série de résolutions statuant que tous les «Zaïrois d'origine rwandaise», particulièrement les Banyamulengés, avaient dorénavant le statut de «réfugiés». Ces résolutions laissaient entendre que les Banyamulengés, ces Zaïrois tutsis d'origine rwandaise, avaient acquis la nationalité zaïroise «de manière frauduleuse». La nationalité zaïroise n'était plus accordée qu'à ceux qui pouvaient prouver que leurs ancêtres vivaient au Zaïre avant 1885. Sinon ils perdaient ainsi leurs droits de citoyens comme celui de posséder des propriétés, de se présenter aux élections ou se porter candidat à des postes administratifs, etc. Évidemment, les Banyamulengés se sont sentis menacés par la mise en œuvre de ces mesures; beaucoup ont pris les armes et déclencher en octobre 1996 une rébellion contre le gouvernement zaïrois.

Ancien compagnon de Patrice Lumumba ayant survécu grâce à la guérilla et à divers trafics, Laurent-Désiré Kabila fut choisi en 1996 par l’Ouganda (Yoweri Museveni), le Rwanda (Paul Kagamé) et le Burundi (Pierre Buyoya), tous alliés des États-Unis, pour occuper la succession de Mobutu. L’année suivante (1997), la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, aidée militairement par l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et l’Angola, entra dans Kinshasa et chassa le président Mobutu (17 mai 1997), lequel se réfugia au Maroc pour y décéder deux mois plus tard. Les Tutsis du Kivu (Banyamulengés) avaient participé à la chute du président zaïrois Mobutu Sese Seko.

3.7 Kabila Ier (1997-2001): un changement de dictature

Après sa prise du pouvoir, Laurent-Désiré Kabila, le chef de l'Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (ADFL), mais aussi trafiqueur d’or, de diamant et d’ivoire, suspendit toutes les institutions congolaises, notamment le Parlement, les partis d’opposition et la Constitution, puis forma un gouvernement constitué de nouvelles personnalités, puis nomma des étrangers originaires du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda (les pays «parrains») à des postes stratégiques, tout en assumant seul les pouvoirs législatif et exécutif.


Léopold II


RDC

Voulant sans doute montrer que la zaïrisation de Mobutu était bel et bien terminée, Laurent-Désiré Kabila, un anti-mobutiste notoire, changea, sans aucune consultation, le nom du pays: le Zaïre devint la République démocratique du Congo, alors qu’il n’existait dans ce pays aucune institution de type démocratique. 

Il changea aussi le drapeau du pays: il rétablit l'ancien drapeau de Léopold II, avec une étoile jaune centrale sur fond bleu royal auquel ont été ajoutées verticalement (à gauche) six autres petites étoiles jaunes représentant chacune les grandes provinces, telles que la colonisation belge les avait administrativement conçues et que Kabila voulait rétablir. 

Accueilli en libérateur par les Zaïrois en 1997, Kabila s’est mis à diriger le pays d’une main de fer. Le président autoproclamé s’est glissé sans mal dans les habits de l’ancien dictateur Mobutu, en recourant, lui aussi, à la répression, aux arrestations arbitraires et aux tortures. Les Congolais qui attendaient de grands changements ont été amèrement déçus, car le nouveau dictateur n’a rien fait d’autre que de «copier Mobutu». 

Pourtant, le président Laurent-Désiré Kabila avait pris le pouvoir en promettant de mettre fin à trente-deux ans de dictature et de violations des droits humains commises sous le régime de son prédécesseur. En réalité, les avancées limitées dans le domaine des libertés fondamentales, dont la population du Zaïre avait bénéficié depuis 1990, se sont systématiquement dégradées à partir de 1997; du moins, telle a été la conclusion des délégués d'Amnistie internationale, qui se sont rendus en visite dans la RDC au mois d'août 1999. Cela étant dit, à plusieurs reprises depuis 1997, les autorités congolaises ont maintes fois proclamé dans des «déclarations politiques» qu'elles reconnaissaient les principes édictés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et les «pactes internationaux». Par la suite, plus personne ne se fit d'illusion sur les intentions absolutistes du nouveau dictateur. L’«enfer mobutiste» continua de plus bel, alors que le pays était toujours aux prises avec la guerre civile.

En 1998, le président Laurent-Désiré Kabila se tourna contre ses «parrains» (l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi) qui occupaient encore l’est et le nord du pays. Il renvoya dans leur pays tous les soldats rwandais, ce qui mettait fin à toute relation avec l’un des alliés qui, avec l'Ouganda, lui avait permis de prendre le pouvoir en 1997. Or, le Rwanda et l'Ouganda ont réagi en envahissant le Congo-Kinshasa et en s'alliant avec une branche rebelle des Forces armées congolaises (FAC) basée à Goma et Bukavu.

Pour financer ce qu’on a appelé l’«effort de guerre», c’est-à-dire le paiement des mercenaires qui appuyaient le régime, les ventes de diamant, de cobalt et de pétrole furent largement mises à contribution. Pendant ce temps, l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie et le Tchad, alliés du pouvoir en place, occupaient l’est du pays, tandis que les nouveaux opposants au régime, le Rwanda hutu et l’Ouganda, contrôlaient presque tout l’Ouest, ces deux derniers pays considérant le Congo comme une importante base d’opérations pour les rebelles hutus qui combattaient le régime du FPR (Front patriotique rwandais). La plupart des acteurs de cette guerre, surtout le Rwanda, l’Ouganda et le Zimbabwe, en profitèrent pour piller les richesses minières des zones dont ils avaient le contrôle, évidemment le tout avec les apparences de la légalité.

En fait, des provinces entières (p. ex., l’Équateur, le Katanga, le Kivu du Nord, le Kivu du Sud, le Maniema et le Kasaï oriental) sont passées sous contrôle étranger, c'est-à-dire presque la moitié du territoire national. Beaucoup de Congolais constatèrent que ces territoires étaient désormais gérés par l’Ouganda et le Rwanda comme des «protectorats» mis à leur disposition. Des colonies de peuplement tutsis s'y sont constituées et, estimèrent des associations locales, un plan secret prévoyait une réduction des populations autochtones bantoues. 

En plus du Rwanda, de l’Ouganda, de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie, plusieurs autres pays sont intervenus directement ou indirectement dans le conflit au Congo-Kinshasa: le Burundi, le Tchad, le Soudan et l’Érythrée. La France, pour sa part, a été accusée d’apporter une assistance alimentaire aux rebelles sous formes d’«aides humanitaires» et les États-Unis, de leur côté, de former les militaires rwandais, ougandais et rebelles, auxquels ils apportent une aide logistique et financière. Enfin, l’Afrique du Sud est accusée d’assurer un appui militaire important au Rwanda et aux rebelles du Congo, et d’assumer la réparation des appareils militaires d'origine sud-africain. 

Pour bien des observateurs, la présence des 40 000 soldats angolais, zimbabwéens, namibiens et tchadiens (sans oublier l’appui logistique de la Libye) aux côtés des Congolais rappellerait celle des soldats français, belges et marocains aux côtés des Zaïrois à l’époque de Mobutu; on pourrait rappeler aussi la participation des milices togolaises, maliennes et sénégalaises à l’époque de Léopold II. Certains considèrent que la Belgique porte encore aujourd’hui une importante responsabilité dans la crise congolaise du fait de sa politique coloniale qui semble persister au-delà de la décolonisation dans ce pays en décomposition. 

Quoi qu’il en soit, Laurent-Désiré Kabila, le successeur de Joseph-Désiré Mobutu, fut abattu, le 16 janvier 2001, par l'un de ses colonels qu’il venait de limoger. Le règne de Laurent-Désiré Kabila ne s'est pas caractérisé par une politique linguistique autre que la non-intervention, contrairement à celui de son prédécesseur qui a voulu «zaïriser» tout le pays. 

3.8 Kabila II (fils)

Après quelques jours de désarroi et de tension autour de la mort de Kabila (père) surnommé depuis le Mzee (le «Sage»), le Parlement provisoire du Congo-Kinshasa choisit alors la «solution dynastique» et proclama, le 24 janvier 2001, en tant que «président de la République» le général-major Joseph Kabila, fils aîné du président assassiné. Ce jeune inconnu, alors âgé de 29 ans, est resté encadré par un «conseil de régence» dans lequel on trouvait trois cousins de son père sous la protection de deux beaux-pères paternels. Le nouveau Kabila II, né de mère tutsie rwandaise et parlant plus facilement le swahili et l’anglais que le lingala et le français, a hérité d’un géant divisé en trois zones occupées où l’État n’existait plus, sauf à Kinshasa.

Dans son premier discours à la Nation, le 26 janvier 2001, le «plus jeune président du monde» a promis l'«ouverture» du régime hérité de son père et a adressé spécialement sa «gratitude» à la France, rappelé les «liens historiques» avec la Belgique et affirmé vouloir «normaliser ses rapports avec la nouvelle administration américaine». Bref, tout portait à croire, dès ce moment, que le régime de Kabila II allait continuer et perpétuer celui de Kabila père, reprenant celui de Mobutu, lequel rappelait sans aucun doute celui de Léopold II. La seule probable nouveauté résultant de la disparition du Mzee demeura un éventuel retrait progressif des forces étrangères d’occupation sous les auspices du Conseil de sécurité de l’ONU. De son côté, le président de l’Ouganda, un autre Mzee, a déclaré au quotidien New Vision de Kampala: «On ne peut éternellement se faire accuser de rester au Congo pour y voler de l'or!» Bien que Kabila II soit plus habile en anglais qu'en français, il a dû favoriser le français comme langue officielle, car il s'est heurté à un mur d'inertie. Pourtant, il a bien tenté d'imposer l'anglais comme langue co-officielle avec le français. 

Par ailleurs, depuis son arrivée au pouvoir, le président Kabila II a vu son pays s'enfoncer davantage dans les guerres ethniques. Le pays est encore aux prises avec des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants en train de se faire massacrer parce qu'ils ne sont pas de la «bonne ethnie».

Cet immense pays semble trop grand au point que cela devint son drame. En effet, la capitale, Kinshasa, est à l'extrémité ouest, au bout du monde, et il n'y a pas de route sûre qui la relie à Bunia (366 000 habitants) ou à Bukavu (plus de 800 000 habitants), à l'extrémité est.

En février 2006, la République démocratique du Congo s'est officiellement dotée d'une nouvelle constitution censée mettre fin à des décennies de dictature. La Constitution, qui opte pour un régime semi-présidentiel dans un État unitaire fortement décentralisé, a été approuvée à plus de 84 % par référendum le 18 décembre 2005. 

La nouvelle Constitution, qui marque l'entrée du Congo-Kinshasa dans la Troisième République, devait permettre à ce pays de sortir de la transition d'une guerre civile dévastatrice vers un État décentralisé. Le «gouvernement provisoire» du président Kabila II (fils), qui comprend d'anciens rebelles et adversaires politiques, doit rester en place jusqu'aux prochaines élections. Un nouveau drapeau a été choisi, alors que le français a été reconnu comme la langue officielle du pays. Le nouveau drapeau reprend celui qui avait été utilisé entre 1963 et 1971, mais avec un fond bleu ciel clair (plutôt que foncé) et frappé d'une étoile dans le coin gauche, traversé en diagonale par une bande rouge bordée de jaune.
En juillet 2006, des élections présidentielles ont eu lieu au Congo-Kinshasa et étaient censées mettre ce vaste pays sur la voie de la paix et de la prospérité. Le 27 novembre, Joseph Kabila fut déclaré par la Cour suprême de justice «gagnant» du deuxième tour de l'élection présidentielle, organisé le 29 octobre 2006, devenant ainsi président de la République. En principe, la RDC devenait ainsi un État de droit, indépendant, souverain et indivisible, social, démocratique et laïc.

Kabila fut réélu le 28 novembre 2011, à la suite d'un scrutin entaché par des fraudes et des actes de violence. Son principal adversaire, Étienne Tshisekedi, ancien premier ministre du Zaïre (nom de la RDC sous le régime de Mobutu) et président de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), a contesté les résultats et s'est autoproclamé également président de la République, prévoyant d'être investi le vendredi 23 décembre 2011. Depuis, Étienne Tshisekedi vit «encerclé» par les forces de sécurité du président Kabila.

En octobre 2012, Kinshasa recevait le XIVe Sommet de la Francophonie. Les chefs d’État et de gouvernement de l'OIF se réunissaient autour du thème : «Francophonie, enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale». Les forces de sécurité ont dû être omniprésentes dans la capitale de ce pays classé au cinquième rang mondial pour sa dangerosité (selon l'Institute of Economic and Peace). De son côté, le président Kabila, qui parle fort mal le français, envoie son propre fils dans une école américaine. C'est dire toute l'importance qu'il accorde au français. Pour Joseph Kabila, le sommet est simplement une «vitrine». Avec ses 73 millions d’habitants, la RDC est en effet le pays le plus populeux du monde à avoir le français comme langue officielle. Mais ces chiffres ne doivent pas faire illusion, car la majorité de la population ne parle pas vraiment le français. Et quand elle le parle comme langue seconde, cette connaissance est souvent sommaire. Dans les centres urbains, le lingala et le swahili remplacent de plus en plus le français comme langue véhiculaire. De plus, les trois quarts des 73 millions de Congolais vivent avec plus ou moins un euro ou un dollar par jour. Malgré ses richesses naturelles considérables, la RDC demeure l'un des pays les plus pauvres de l'Afrique. Pour le président français, François Hollande: «La situation est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie, et de la reconnaissance de l’opposition en République démocratique du Congo.» Ces propos ont été tenus le 9 octobre 2012, au cours d’une conférence de presse conjointe à l’Élysée avec le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.

La RDC est en guerre depuis son indépendance. Le23 février 2013, un accord de paix sur la RDC a été signé au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, en Éthiopie, par onze pays africains, en présence du secrétaire général des Nations unies et de la présidente de la Commission de l’Union africaine. Cet accord devrait permettre le rétablissement de la paix dans la partie est de la RDC (Kivu), en proie à des conflits armés à répétition. L'accord devrait non seulement statuer sur la nature et le commandement de la force internationale neutre à déployer à la frontière entre la RDC et le Rwanda, mais aussi obliger les pays de la région des Grands Lacs à respecter la souveraineté de leurs voisins. En effet, le document interdit aux pays extérieurs de soutenir les mouvements rebelles et encourage une série de réformes en vue de l’instauration d’un État de droit dans l’est de la RDC où les institutions gouvernementales sont particulièrement faibles. Pendant ce temps, à Kinshasa, les élus se battent pour leurs intérêts personnels.

4 La politique linguistique actuelle

L’état permanent de guerre civile au Congo-Kinshasa a entraîné une désorganisation administrative généralisée, celle-ci étant accentuée par l’amateurisme chronique du nouveau régime. Seuls les nouveaux tribunaux militaires, tant locaux qu’itinérants, fonctionnent efficacement. Conformément au décret-loi 172, toutes les affaires normalement traitées par la justice civile relèvent maintenant de la compétence des tribunaux militaires, en tout cas dans les provinces où l'état de siège a été déclaré. Aucune procédure d'appel n'existe, même pour les individus condamnés à mort, ce qui, on le sait, est en complète violation des normes internationales de justice, mais une telle pratique rend la justice terriblement efficace!

Dans ces conditions, les problèmes linguistiques ont été quelque peu relégués au placard. Cela étant dit, la politique linguistique de l’authenticité a été rapidement supprimée et, le 30 juin 1997, le chef de l'État a annoncé la création d'une commission constitutionnelle chargée de l'élaboration d'un avant-projet de Constitution. En mars 1998, les membres de cette commission ont soumis un projet de Constitution à l'approbation du président. Au mois de mai suivant, le gouvernement de Kabila a créé une assemblée constituante chargée de réviser le projet de Constitution, mais elle ne fut jamais formée. La tâche de revoir le projet de constitution a été assurée en lieu et place par une «commission technique» dirigée par le ministre de la Justice. La nouvelle Constitution a été promulguée par le président de la République, le 18 février 2006 à Kinshasa.

4.1 Le statut des langues

La dernière Constitution de 1994, qui proclamait que le français était la langue officielle du pays «sans préjudice des langues nationales», a été suspendue. On sait qu’à ce moment-là aucune disposition ne traitait des quatre langues nationales — swahili, lingala, kikongo et tshiluba. Rappelons aussi que, durant tout le régime Mobutu, aucune loi n'a été adoptée pour reconnaître officiellement ces langues. Le statut «national» de ces langues en fut un de facto plutôt que de droit, étant donné qu'aucun texte juridique ne le consacrait.

Quoi qu'il en soit, la nouvelle Constitution de 2006 a abrogé toutes les dispositions constitutionnelles antérieures. Outre la reconnaissance des quatre langues nationales, on retiendra surtout que le français est resté la seule langue ayant le statut de langue officielle. Pourtant, des pressions avaient été exercées pour que le français partage ce statut avec l’anglais. Du fait que la plupart des milices armées, les «alliées de guerre» qui occupent le pays, sont de langue anglaise; il s’agissait là du prix à payer pour «services rendus» aux armées d’occupation alliées. Mais cette mesure ne semblait pas réaliste, étant donné le nombre réduit des locuteurs dans l'élite congolaise (moins de 1 %), sans parler de l'ensemble de la population qui ignore tout de cette langue. En faire une langue de l'administration, même après le départ des Rwandais, des Ougandais, des Zimbabwéens et des Namibiens, relèverait de l'«absurdité», sinon d'un simple «gadget» destiné à calmer les revendications des alliés étrangers «anglophones» qui contrôlent une grande partie de cet immense pays.

L'article 1er de la Constitution de 2006 se lit comme suit: 

Article 1er (2006)

7) Sa langue officielle est le français.
8) Ses langues nationales sont le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba. L’État en assure la promotion sans discrimination. Les autres langues du pays font partie du patrimoine culturel congolais dont l’État assure la protection.

Le texte reconnaît donc une langue officielle et quatre langues nationales. Plus précisément, la Constitution de 2006 classe les langues utilisées en trois catégories et spécifie le statut de chaque type de langues:

1) Le français est en tête de liste. Il est langue officielle et est utilisé dans diverses fonctions politiques, juridiques, administratives, scolaires, scientifiques et techniques, etc. Ce statut lui donne toutes les chances de promotion.

2) La seconde place revient aux langues nationales: le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba. Ces langues ont le grand avantage de délimiter le pays en quatre zones linguistiques (voir la carte). Elles jouissent d'une reconnaissance officielle, mais la Constitution actuelle promet seulement de les promouvoir. Les quatre langues nationales sont utilisées à la radio et à la télévision.

3) La dernière catégorie est celle des «autres langues du pays» que la Constitution promet de protéger, sans que l'on sache contre qui ou contre quoi. Leur fonction sociale en est essentiellement une d’intégration et d’identification à une communauté locale. Toutefois, ces mêmes langues ne bénéficient d'aucun prestige dans l'ensemble du pays. L'apprentissage de ces langues se fait de façon empirique, ce qui les place dans une situation où elles sont menacées de disparition.

Dans la situation actuelle, le gouvernement congolais n’est pas arrivé à conjuguer avec toutes ses langues, et ce, d'autant plus qu'il a bien d'autres problèmes à régler. Aujourd'hui, tout Congolais parle naturellement une langue maternelle, mais il doit commencer à étudier dans une langue nationale et poursuivre le reste des études en français. Il est donc contraint de pratiquer rigoureusement au moins trois langues, sinon davantage, car bien souvent il parle une autre langue locale. Si quelqu'un fréquente une université, il est possible qu'on exige aussi la connaissance de l'anglais.

4.2 Les langues du Parlement

Selon l’article 142 de la Constitution (2006), les langues officielles du Parlement (quand il n’était pas suspendu) doivent être au nombre de cinq, incluant quatre langues nationales et le français:

Article 142

1) La loi entre en vigueur trente jours après sa publication au Journal officiel à moins qu’elle n’en dispose autrement.

2) Dans tous les cas, le gouvernement assure
la diffusion en français et dans chacune des quatre langues nationales dans le délai de soixante jours à dater de la promulgation.

Cela signifie que le gouvernement est dans l’obligation de traduire la Constitution et les lois dans les quatre langues nationales et en français.  Comme il s’agit d’une pratique nouvelle et que le pays manque de ressources humaines compétentes et ne dispose pas de moyens financiers (sauf pour l’effort de guerre), on ne voit pas comment, dans l’immédiat, cette disposition aurait pu être appliquée.

L’article 13 de la Constitution de 2006 interdit la discrimination fondée sur la langue ou une ethnie:

Article 13

Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique.

L'article 3 du décret-loi n° 194 du 29 janvier 1999 relatif aux partis et aux regroupements politiques (1999) utilise la même formulation:

Article 3

Dans toutes des activités, le parti ou le regroupement politique est tenu de veiller aux principes et objectifs ci-après:

1. le caractère national impliquant la non-identification à une famille, à un clan, à une ethnie, à une tribu, à une province ou à un sous-ensemble de celle-ci, à une religion, à un sexe,
à une langue, à une quelconque origine, à une classe social ou à une corporation professionnelle.

Ces dispositions visent à lutter contre le tribalisme séculaire des Congolais, mais, le plus curieux, c’est que la garde personnelle du président Kabila est formée exclusivement des membres de son village et de son ethnie.

4.3 Les langues de la justice

En matière de justice, toutes les langues congolaises ainsi que le français peuvent être théoriquement employées, du moins en ce qui concerne les arrestations (art. 18 de la Constitution de 2006):

Article 18

1) Toute personne arrêtée doit être immédiatement informée des motifs de son arrestation et de toute accusation portée contre elle et ce, dans la langue qu’elle comprend.

L'article 88 du Code pénal congolais (2004) autorise l'emploi de toute langue prescrite par la loi, ce qui suppose les quatre langues nationales et la langue officielle:

Article 88

Pourra être puni des peines prévues à l'article 87 le commerçant déclaré en faillite :

1°. qui n'aura pas tenu les livres ou fait les inventaires prescrits par les articles 1er et 2 du décret du 31 juillet 1912 relatif à la tenue des livres de commerce.

2°. dont les livres ou les inventaires seront incomplets, irréguliers ou rédigés dans une langue autre que celle dont l'emploi, en cette matière, est prescrit par la loi;

Évidemment, les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires rendent plutôt aléatoires ces dispositions. Mais, dans les cours de justice civiles de première instance, seules les quatre langues nationales continuent d’être employées conjointement avec le français. Quant à l’anglais, il est utilisé surtout dans les tribunaux militaires (hiérarchiquement supérieurs aux tribunaux civils) lorsque les inculpés sont originaires des pays voisins anglophones (les Ougandais, les Namibiens, les Zimbabwéens, etc.). Dans les cours d’instance supérieure, seul le français est utilisé. En cas de nécessité, on utilise les services d’un interprète.

4.4 Les langues de l'administration publique

L'administration publique du Congo-Kinshasa est déficiente, voire en déliquescence. Le gouvernement a dû menacer de prison les fonctionnaires soupçonnés ou accusés de corruption. Les employés de l'État congolais auraient une forte propension à des pratiques de corruption dues à une impunité généralisée. Sur 177 pays classés, la RDC se situait en 2013 au 154e rang, ce qui est presque déshonorant. Il fallut créer une Agence de lutte contre la corruption, puis adopter une «stratégie nationale de lutte contre la corruption», le tout accompagné de lois sur la prévention et la répression de la corruption. Les causes de cette corruption généralisée seraient notamment la pauvreté, la modicité des salaires, l’enrichissement facile, l’allégeance familiale et le détournement des deniers publics.

De façon générale, les employés de l'État emploient les langues nationales dans les régions où elles sont d’usage courant. Sinon, c’est le français ou... l’anglais dans les territoires occupés par les forces d’occupation alliées. L'un des indices des langues admises dans l'administration réside parfois dans les critères d'obtention de la nationalité. Les articles 15 et 22 de la loi n° 04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise (2004) mentionnent comme critère le fait de parler l'«une des langues congolaises», sans plus de précision:

Article 15

L'option n'est recevable que si l'impétrant :

1. réside en République Démocratique du Congo depuis au moins 5 ans;

2. parle une des langues congolaises;

3. dépose une déclaration d'engagement à la renonciation à toute autre nationalité.

Article 22 

La nationalité congolaise par acquisition est soumise aux conditions suivantes:

1. être majeur;

2. introduire expressément une déclaration individuelle;

3. déposer une déclaration d'engagement par écrit de renonciation à toute autre nationalité;

4. savoir parler une des langues congolaises;

La loi n° 78/022 du 30 août 1978 portant nouveau Code de la route est d'une grand intérêt à plus d'un titre.  L'article 69 énonce qu'un permis de conduire national est reconnu s'il est rédigé dans la langue officielle, le français. Quant à l'article 77, il précise que les inscriptions sur les panneaux d'affichage routiers doivent être rédigés en français:

Article 69

Validité des permis de conduire

1)
Il sera reconnu:

1. Tout permis national rédigé
dans la langue officielle: le français;

2. Tout permis national conforme aux dispositions de l'annexe 2 au Livre 1
er de la présente loi;

3. Tout permis international conforme aux dispositions de l'annexe 3 au Livre 1
er de la présente loi, comme valable pour la conduite, sur le territoire zaïrois, d'un véhicule qui rentre dans les catégories couvertes par le permis, à condition que ledit permis soit en cours de validité et qu'il ait été délivré par la Commission nationale ou régionale de délivrance des permis de conduire.

Article 77

Inscriptions dans un panneau

1)
Pendant cinq ans à dater de l’entrée en vigueur de la présente loi, en vue de faciliter l’interprétation des signaux, il pourra être ajoutée une inscription dans un panneau rectangulaire placé au-dessous des signaux ou à l’intérieur d’un panneau rectangulaire englobant le signal.

Une telle inscription peut également être placée sur le signal lui-même dans le cas où la compréhension de celui-ci n’en est pas gênée pour les conducteurs incapables de comprendre l’inscription.

2) Les inscriptions visées au paragraphe 77.1 du présent article seront apposées
dans la langue française.

L'article 7 de la loi n° 74-003 du 2 janvier 1974 relative au dépôt obligatoire des publications traite des publications officielles émanant de tous les services administratifs, judiciaires et militaires; ces publications doivent être «éditées séparément en plusieurs langues»:

Article 7

Les publications officielles émanant de tous les services administratifs, judiciaires et militaires sont aussi soumises au dépôt obligatoire dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article 3.

Les publications éditées séparément
en plusieurs langues seront déposées en huit exemplaires de chacune de ces éditions: deux au Conseil législatif national et six à la Bibliothèque nationale.

La loi ne précise pas en quelles langues, mais on peut supposer qu'il s'agit de la langue officielle et des quatre langues nationales. . Cependant, les publications officielles dans ces langues nationales sont peu fréquentes. D'ailleurs, la loi ne précise pas que les publications doivent être imprimées en plusieurs langues, mais que les publications éditées séparément en plusieurs langues doivent être déposées en huit exemplaires de chacune de ces éditions.

Dans l'arrêté ministériel n° 008/2007 du 09 juillet 2007 modifiant et complétant l'arrêté ministériel n° 04/2002 du 15 octobre 2002 fixant les critères d'appréciation de la publicité sur le tabac et boissons alcoolisées, l'article 6 impose l'usage du français dans toutes les informations à faire figurer sur les paquets, cartons et articles promotionnels de tabac et des boissons alcoolisées :

Article 6

L'avertissement sanitaire devra apparaître sur chaque paquet, sur chaque carton de distribution ainsi que sur chaque article promotionnel sur lequel l'espace communiquant la marque est supérieur à 25 cm².

Sur tous les éléments visés à l'alinéa 2 ci-dessous, l'avertissement sanitaire apparaîtra dans une couleur et une dimension lisibles. L'indication comportant la teneur en alcool pour les boissons alcoolisées doit être homothétique au format du support utilisé. Ses dimensions seront le dixième de celles du support.
La langue d'usage pour toutes les informations à faire figurer sur les paquets, cartons et articles promotionnels de tabac et des boissons alcoolisées sera le français.

Selon la loi n° 11/003 du 25 juin 2011 modifiant la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locale, les employés affectés aux élections doivent prêter serment en français, mais la Commission électorale indépendante est tenue de présenter la version officielle du serment dans chacune de ces langues nationales : 

Article 51

Avant d’entrer en fonction, le président, les assesseurs, le secrétaire du bureau de vote et l’assesseur suppléant prêtent par écrit ou
solennellement devant le président du Bureau de la Commission électorale indépendante ou son délégué, le serment suivant :

«Je jure sur mon honneur de respecter la loi, de veiller au déroulement régulier des opérations électorales et de garder le secret du vote».

Le serment est prêté en français ou dans une des quatre langues nationales de la République.

La Commission électorale indépendante est tenue de présenter la version officielle du serment dans chacune de ces langues nationales.

Il en est ainsi dans la Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 modifiant et complétant la loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante au sujet du Bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI):

Article 25 ter

Le rapporteur, assisté du rapporteur adjoint, est chargé de :

1. l’organisation technique des travaux du Bureau de la CENI;

2. la rédaction des procès-verbaux et compte-rendu analytiques des séances de l’Assemblée plénière et du Bureau ainsi que des cadres de concertation.

Il supervise la commission chargée du suivi de l’inscription des électeurs et des candidats.

À ce titre, il supervise :

[...]

5. la traduction en langues nationales et la vulgarisation des textes légaux et règlementaires relatifs aux processus référendaire et électoral ;

6. la campagne d’éducation électoral de la population en tenant compte des
langues nationales ;

L'article 104 de l'ordonnance-loi n° 10/002 du 20 août 2010 portant Code des douanes (2010) impose la langue officielle dans toute déclaration de chargement ou, s'il s'agit d'une langue étrangère, d'une traduction :

Article 104

5) Lorsque la déclaration de chargement et les autres documents visés à l’article 101 point 2 ci-dessus sont rédigés dans une langue étrangère, la douane peut en exiger la traduction, notamment si les renseignements y contenus ne sont pas compris.

En somme, le français demeure la langue officielle et la plus utilisée dans les documents administratifs écrits de la RDC. Toutefois, c'est le lingala qui reste la langue véhiculaire orale de l'Armée nationale et non le français, sauf naturellement pour les forces d’occupation étrangère (en anglais).

4.5 Les langues en éducation

La guerre du Rwanda en 1994 a eu des conséquences funestes sur l’organisation des écoles au Congo-Kinshasa. Avec l’arrivée des réfugiées rwandais, plusieurs écoles ont dû fermer jusqu’à ce que des camps structurés soient mis en place. Plusieurs écoles ont été livrées au pillage et même détruites durant cette sombre période. Les soldats ont détruit un nombre considérables d’immeuble et d’équipements,
dont de nombreuses écoles ne se sont jamais remises. En raison du mauvais entretien des infrastructures routières, de nombreuses écoles furent laissées à l’abandon dans les zones rurales. En somme, plus de deux décennies de déclin économique, de chaos politique et de guerres ont créé des conditions extrêmement difficiles pour le monde de l’éducation au Congo-Kinshasa.

Au cours de la dernière décennie, les communautés locales ont reconstruit des écoles, mais la plupart demeurent de piètre qualité en raison des faibles moyens matériels mis en œuvre. Dans les régions sous contrôle gouvernemental, la plupart des nouvelles écoles n'ont pas été construites avec des matériaux durables, car ce sont souvent les communautés locales qui les ont reconstruites avec des matériaux locaux. En outre, la plupart des écoles d’ont ni toilettes ni eau potable. Beaucoup de bâtiments scolaires ne sont guère exempts de danger pour le enfants, d'autant plus que des écoles n'ont même pas de toiture ou ont des toitures ou des murs endommagés. S'il pleut ou s'il fait trop chaud, trop d'écoles ne peuvent les enfants, ce qui réduit le temps consacré à l'enseignement. Dans les provinces de l’Est (voir la carte), la guerre et le manque d'entretien causent encore d'énormes dégâts dans les infrastructures scolaires.

- L'organisation des écoles

Depuis la prise du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila en 2001, les écoles du Congo-Kinshasa ont continué à se détériorer et celles qui n’ont pas été détruites sont demeurées dans un état déplorable: pas de matériel pédagogique, ni de pupitres, ni de bancs, ni de toilettes, etc. Dans certaines provinces, la plupart des cours du secteur primaire sont dispensés à l’ombre des manguiers et autres palmiers. Dans bien des cas, les parents sont obligés de se cotiser afin de payer un salaire aux professeurs, alors que les écoles sont sensées être publiques et gratuites.

En 2010, le Fond monétaire international classait la RDC au 178e rang sur 179 pays pour le PIB avec 186 $ par habitant, ce qui en faisait le pays le plus pauvre du monde après le Burundi (180 $). Malgré les bouleversements des dernières décennies, le système d'éducation de la RDC s'est développé quelque peu. En 2001-2002, il y avait environ 19 100 écoles primaires avec 159 000 enseignants et un effectif d’élèves estimé à 5,47 millions d'individus. Le nombre d’écoles secondaires était légèrement supérieur à 8000, avec 108 000 enseignants et 1,6 million d’élèves. Dans l’enseignement supérieur, on comptait 326 établissements avec près de 200 000 étudiants.

Au Congo-Kinshasa, le système d'éducation compte actuellement quatre niveaux : maternel, primaire, secondaire et supérieur. Le niveau maternel comprend trois ans. L’enseignement primaire, pour les 6 à 12 ans, compte six années de formation de base, lesquelles sont sanctionnées par un certificat d’études primaires. Le niveau secondaire est divisé en deux cycles de trois ans. Les deux premières années sont appelées «inférieures», alors que les quatre autres sont dites «supérieures» et appelées «humanités». Le niveau supérieur et universitaire comprend plusieurs catégories d'établissements d'enseignement supérieurs, mais il compte moins de 400 établissements de ce genre, dont plus de 226 universités.

- La législation scolaire sur les langues enseignées

Il existe aujourd'hui une loi importante sur l'enseignement : la Loi-cadre n° 14/004 du 11 février 2014 de l'enseignement national. Au point de vue linguistique, c'est l'article 195 qui se révèle le plus pertinent :

Article 195

1)
Le français est la langue d’enseignement.

2) Les langues nationales ou les langues du milieu sont utilisées comme médium d’enseignement et d’apprentissage ainsi que comme discipline. Leur utilisation dans les différents niveaux et cycles de l’enseignement national est fixée par voie réglementaire.

3) Les langues étrangères les plus importantes au regard de nos relations économiques, politiques et diplomatiques sont instituées comme langues d’apprentissage et de discipline.

Cet article laisse entendre que les français est la langue d'enseignement, mais que les langues nationales et les langues étrangères les plus importantes sont utilisées comme moyen d'apprentissage. Dans les faits, cela signifie que les élèves reçoivent leur instruction dans l'une des quatre principales langues nationales (kikongo, lingala, tshiluba et swahili) lors des deux premières années du primaire, tandis que le français devient la langue d’enseignement à partir de la troisième année. Le texte aurait pu mentionner qu'il s'agit des quatre langues nationales, au lieu de laisser croire que la plupart les langues nationales peuvent constituer des langues d'enseignement et d'apprentissage. Plus précisément, le swahili est offert dans les provinces de l’Est ; le lingala dans les provinces de l'Orientale, de l’Équateur et à Kinshasa ; le kikongo dans les provinces du Bas-Congo et du Bandundu ; et le tshiluba dans les deux Kasaï et le Katanga (voir la carte du pays).

L'article 9 de la Loi-cadre n° 14/004 énonce comme «options fondamentales» de l'enseignement national «l’utilisation des langues nationales et/ou des langues du milieu:

Article 9

Les options fondamentales de l’enseignement national sont :

13. l’utilisation des langues nationales et/ou des langues du milieu comme médium et discipline d’enseignement et d’apprentissage ;

La loi sur l'enseignement demande de promouvoir l’éducation physique et sportive, l’éducation non-formelle, etc., ainsi que l’utilisation des langues nationales et/ou des langues du milieu:

Article 12

Pour atteindre l’éducation de base pour tous, tout au long de la vie, l’État:

3. promeut l’éducation physique et sportive, l’éducation non-formelle, la lutte contre les violences sexuelles et les maladies endémiques et épidémiques notamment le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose ainsi que l’utilisation des langues nationales et/ou des langues du milieu.

Article 38

L’enseignement national utilise
les langues nationales et du milieu comme outil dans l’enseignement primaire et comme discipline dans l’enseignement secondaire, supérieur et universitaire ainsi que dans l’éducation non formelle.

Comme on le constate, la loi précise que les langues nationales et du milieu doivent être utilisées comme outil dans l’enseignement primaire, mais comme discipline dans l’enseignement secondaire, supérieur et universitaire ainsi que dans l’éducation non formelle. L'article 192 de la Loi-cadre n° 14/004 du 11 février 2014 de l'enseignement national établit que les programmes de formation doivent inclure l’apprentissage des langues étrangères répondant aux besoins du pays:


Article 192

Les programmes de formation incluent l’enseignement des technologies nouvelles appropriées et l’
apprentissage des langues étrangères répondant aux besoins du pays.

Dans toutes les écoles secondaires, l'enseignement est donné exclusivement en français. Étant donné qu’environ 15 % des enfants accèdent au secondaire, le nombre des locuteurs fonctionnels du français demeure limité. Par ailleurs, le taux d’analphabétisme est de 19,1 % pour les hommes et de 45,9 % pour les femmes; on peut augmenter cette proportion de 10 % dans les zones rurales. Tous ces gens analphabètes ignorent généralement le français (et encore plus l’anglais). En général, le nombre total d'années de scolarisation par personne en moyenne de huit ans, soit neuf pour les hommes et sept pour les femmes. 

- L'enseignement supérieur

Le Congo-Kinshasa compte plusieurs instituts supérieurs d'une certaine importance, situés généralement dans toutes les villes et chefs-lieux régionaux, ainsi que de nombreuses universités, publiques ou privées, dont les universités de Kinshasa, Lumumbashi, Kisangani, Kananga, l'université du Bas-Congo à Kisantu, l'Université de l'Ouest-Kongo et l'Université de Mbuji Maji. Tout l’enseignement est dispensé en français dans ces établissements d’enseignement.

Au-delà de trois langues exigées par les contraintes de la politique linguistique congolaise, l’Instruction académique n° 014/ MINESURS/ CABMIN/2012 du 08/2012 à l’attention des chefs d’établissements publics et privés de l’enseignement supérieur, universitaire et recherche scientifique ajoute l’obligation de connaître l’anglais à tous les niveaux de l’enseignement supérieur pour des raisons d’ouverture au monde et d’adaptation au progrès et à la recherche:

II.7

De la systématisation de l’enseignement de l’anglais, de l’informatique et d’autres cours transversaux dans le cursus de formation, dont la lutte contre le VIH/SIDA et sur la biodiversité

En vue de faire face aux défis de la mondialisation, les nouvelles technologies de l’information et de la communication «NTIC», le cours d’informatique et le cours d’anglais sont à généraliser dans le cursus de la formation supérieure et universitaire.

Pour ce faire, le Ministère s’attèle à élaborer un plan d’intégration des cours d’anglais et d’informatique dans les programmes de toutes les filières d’études, à partir du premier graduat et progressivement à toutes les années.

Outre
l’anglais et l’informatique, l’environnement et l’hygiène, le VIH/SIDA et les infections sexuellement transmissibles (IST), l’éducation à la citoyenneté ainsi que l’éthique entrent désormais dans le cursus de formation au titre des cours transversaux à enseigner dans toutes les promotions, quelle que soit la filière. Il est de même important de signaler qu’un effort doit être fait pour que dans toutes les filières les étudiants congolais puissent avoir l’occasion de maîtriser notre histoire, notre géographie ainsi que notre diversité culturelle sans oublier les droits de l’Homme. À ce titre, il est bon de rappeler que la maîtrise de langues nationales et locales est un atout majeur à ne pas négliger en plus de la maîtrise de langues étrangères
.

Ainsi, la politique linguistique impose aux  Congolais instruits de connaître un minimum de quatre langues: la langue maternelle, une langue nationale, le français et l'anglais.

Enfin, le système d'enseignement supérieur du Congo-Kinshasa se caractérise par un grand nombre de cours et d'options, avec des programmes périmés qui n'ont jamais été changés depuis au moins vingt-cinq ans, hormis l'introduction de l'anglais et de l'informatique. L'offre dans l'enseignement supérieur est aussi fragmentée dans un grand nombre de petits établissements qui peuvent difficilement bénéficier d'équipements pédagogiques le moindrement coûteux. Évidemment, la qualité de cet enseignement est également affectée par une orientation aléatoire des nouveaux étudiants.

- Les manuels scolaire

Les écoles du Congo manquent cruellement de manuels scolaires et d'autres documents pédagogiques à tous les niveaux des études. Depuis plusieurs années, la plupart des élèves du primaire et du secondaire n'ont aucun manuels scolaire. Quand ils sont exceptionnellement disponibles, ils sont très chers. Dans les cas les mieux pourvus dans les établissements d'enseignement secondaire et supérieur, les photocopies des notes de cours servent de manuels de classe. Les laboratoires, les équipements et les bibliothèques font évidemment défaut. Seules les écoles privées, plus riches, peuvent louer les manuels aux élèves.

Quant aux manuels scolaires rédigés dans les langues nationales, non seulement ils sont rares, mais ils ne sont pas toujours reconnus par le ministère de l'Éducation.

- Les enseignants

Le sort des enseignants dans les établissements publics de la RDC n'est pas très reluisant. D'une part, les salaires des enseignants sont faméliques, soit entre 15 $ et 50 $ par mois; d'autre part, beaucoup d'enseignants ont recours à des travaux agricoles ou à de petits travaux manuels occasionnels pour augmenter leurs revenus. De plus, la moyenne d'âge du corps professoral est relativement élevée, se situant entre 45 et 50 ans. Près du quart des enseignants ont dépassé l'âge de la retraite.

Enfin, la plupart des enseignants possèdent une formation inadéquate, notamment au plan des compétences linguistiques, que ce soit en français ou dans les langues nationales. La faible niveau de compétences des enseignants congolais constitue l'un des principaux problèmes affectant la qualité des enseignants. Dans l'enseignement supérieur, le nombre d'enseignants qualifiés diminue graduellement, tandis que les enseignants des établissements publics sont constamment sollicités par les établissements privés.

- La maîtrise des langues

Les exigences de la vie congolaise amène les citoyens instruits du pays à connaître un minimum de quatre langues. Or, apprendre autant de langues n'est pas donné à tous, surtout lorsque les moyens pédagogiques et financiers mis en œuvre sont minimes. Il en résulte une certaine impasse, car de façon générale le niveau des performances linguistiques des jeunes Congolais semble très modeste.

La plupart des enseignants congolais considèrent qu'aucune des langues enseignées dans leur pays, autant les langues nationales que les langues étrangères, n’est maîtrisée convenablement. En plus de mal maîtriser le français et les langues congolaises, l’anglais ne ferait que renforcer l’impasse, si l'on fait exception de ceux qui ont fréquenté des établissements spécialisés.

L'enseignement des langues maternelles se fait de façon empirique et est généralement limité à l'école maternelle. Peu de Congolais savent écrire leur langue maternelle. L'enseignement des quatre langues nationale n'est offert qu'au primaire, et seulement durant les trois premières années, ce qui semble nettement insuffisant pour apprendre à un maîtriser une tant à l'oral qu'à l'écrit. 

La maîtrise du français au niveau primaire demeure très faible, sans compter que cette carence compromet les performances scolaires dans les autres disciplines, comme les mathématiques et la géométrie. Une fois en 4e année, la plupart des élèves acquièrent en général des capacités langagières très élémentaires, qui se limitent trop souvent par exemple à l'association d'un mot à une image. Pour ce qui est de la maîtrise de la grammaire et de l'écriture, elle se révèle particulièrement faible, la majorité des élèves échouant complètement lors des examens qu'ils doivent subir. Bref, peu d'élèves peuvent suivre une conversation normale en français. C'est à se demander si les élèves ne devraient pas suivre des cours uniquement dans leur langue nationale plutôt qu'en français. Du fait que seulement 15 % des jeunes accèdent au secondaire, le nombre des locuteurs fonctionnels du français demeure très limité. En somme, les Congolais qui maîtrisent les quatre langues (la langue maternelle, une langue nationale, le français et l'anglais) sont extrêmement rares, peut-être 1 % ou 2 %. 

Pourtant, les Congolais doivent communiquer dans un pays comptant 250 langues. Alors, ils ont trouvé un moyen pour faciliter la communication: le mélange des langues. On peut parler de «langue mixte», de «pidgin» ou d'«interlangue», c'est-à-dire d'un idiome artificiel construit à partir de plusieurs traits communs à plusieurs langues naturelles et destiné à la communication interethnique. Si au Cameroun on parle du «camfranglais» pour ce genre de langue, au Congo-Kinshasa on parle du «congolo-franglais» ou du franglais congolais. On y trouve un mélange de français, de swahili, d’anglais, de lingala, etc. Dans une récente analyse, le professeur congolais, Jean-Claude Makomo Makita, apporte un exemple provenant d'un candidat lors de la campagne électorale de 2011. Ce dernier, s'adressant à son auditoire, a affirmé: «Je voulais vous dire que, nili décider personnellement, kukua Candidate kwani namutumainia Mungu na na esperer nitafaulu kwa kombo ya Jesus.» Ce genre d'énoncés linguistiquement mixtes est de plus en plus employé au Congo-Kinshasa. En somme, on a encore l'habitude d'affirmer que la RDC est le «deuxième pays francophone du monde», mais ce qualificatif basé sur la population totale du pays (plus de 70 millions) n'a rien à voir avec la réalité linguistique congolaise. Au Congo-Kinshasa, la majorité des Congolais ne parle pas le français et ne participent donc pas aux activités de leur gouvernement du fait que toute l'administration n'utilise que le français. Dans ce pays, la démocratie s'exprime en français par une minorité estimée à moins de 2 % de la population nationale. C'est à cette minorité que reviennent les privilèges et les avantages des richesses du pays.

4.6 Les langues et les médias

Du côté des médias écrits, la quasi-totalité de la trentaine de journaux et hebdomadaires les plus importants de la capitale sont publiés en français: Le Palmarès, Le Potentiel, Le Phare, Tempête des tropiques, Visa 2000, Référence Plus, Avenir, Elima, Observateur, Forum des As, Demain le Congo, Le Grognon, Umoja, Salongo, Alarme, Jeune Afrique Eco, Journal chrétien, ACP, Afro-Magazine, Alerte, Black Store, Le Soleil, Le Soft, Satellite, Vision. Même les titres tels Elima, Umoja et Salongo sont publiés en français; seul le Black Store paraît en anglais. Selon une enquête réalisée en 1999, il s’avère que plus de 80 % de la population de Kinshasa ne lit pas les journaux, surtout les femmes et les jeunes. Cependant, plusieurs journaux régionaux sont rédigés et publiés dans l’une ou l’autre des quatre langues nationales (kikongo, lingala, swahili et tshiluba).

Il existe une radio d'État, la RTNC, la Radio-Télévision nationale congolaise, qui couvre 70 % du territoire congolais et opère deux chaînes de télévision : la RTNC1 (chaîne généraliste à couverture nationale) et la RTNC2 (chaîne publique commerciale provinciale et de divertissement à Kinshasa). Selon l'ordonnance n° 81-050 du 2 avril 1981 portant création et statuts d’un établissement public dénommé Office de radiodiffusion et de télévision, cette institution est reconnue comme un établissement public à caractère éducatif et commercial. En 2009, l'ordonnance de 1981 a été remplacée par le décret n° 09/62 du 03 décembre 2009 fixant les statuts d’un établissement public dénommé Radio-Télévision nationale congolaise, en sigle «RTNC».

On considère que 60 % des émissions de radio sont diffusées dans les quatre langues nationales, le reste étant en français, rarement en anglais. La plupart des stations de radio nationales diffusent leurs émissions en français ainsi que dans les quatre langues nationales: Radio Congolaise, Radio Catholique de Kinshasa, Radio Amani (suspendue), RTTF (Radio Tam-Tam Fraternité), etc. Quant à Radio Candip (Centre d'animation et de diffusion pédagogique), située à Bunia dans la Province-Orientale, elle émet en français, en swahili, en lingala et dans 16 autres langues locales.

À la télévision nationale, les langues congolaises véhiculaires sont utilisées essentiellement pour les avis, les communiqués et les émissions culturelles et de variétés; pour le reste, c’est le français qui est utilisé. C’est le cas de Télévision Congolaise et de TKM (Télé Kin-Malebo).

Il n'existe pas de loi contenant des dispositions linguistiques dans les médias, sauf cet article 58 de la Loi-cadre n° 013/2002 du 16 octobre 2002 sur les télécommunications en République démocratique du Congo (2002), qui mentionne que les correspondances rédigées dans les langues nationales doivent être transcrites en français:

Article 58

Un magistrat désigné par le procureur général dresse le procès-verbal de chacune des opérations d'interception et d'enregistrement, Ce procès-verbal mentionne la date et l'heure auxquelles elle s'est terminée.

Les enregistrements sont alors placés sous scellés fermés.

Le magistrat transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé le procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier.

Les correspondances en dialectes ou en langues nationales, lingala, swahili, tshiluba, kikongo ou autres, ainsi que celles en langue étrangère, sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin.

Ce seul article témoigne de l'Importance du français par rapport aux langues nationales.

 5 Une politique linguistique contestée

De plus en plus de Congolais remettent aujourd'hui en question la croyance que seule une langue d'importation comme le français peut être la solution idéale, notamment en matière de langues d'enseignement. Une réforme des politiques linguistiques actuelles s'avère nécessaire, mais elle ne devrait pas se limiter à ajouter l'anglais au secondaire ou à l'université. Elle devrait avant tout passer par la promotion des langues nationales et l'instauration d'un statut juridique en accord avec leur rôle réel dans la société congolaise. Il faudrait également favoriser les études terminologiques afin de rendre les langues nationales aptes à exprimer le monde moderne. Il faudrait enfin former les enseignants et élaborer du matériel didactique dans les langues nationales.

Quant au français, sa place est perçue comme un «mal nécessaire» pour le développement économique et l'ouverture au monde extérieur, particulièrement en Afrique francophone. Pour ce qui est de l’anglais, il ne devrait pas en rester grand-chose après le départ des milices anglophones — si départ il y a — ou de celui du président Kabila (tué le 16 janvier 2001), mais il est probable que cette langue fera éventuellement son entrée comme langue étrangère obligatoire dans les écoles secondaires. Selon le principal parti d’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), l’anglais ne devrait pas y avoir un quelconque statut officiel au Congo-Kinshasa.

La situation pourrait bien changer si les armées d’occupation restaient au Congo; il est probable que cette nouvelle donne occasionnerait de fait une partition du pays, l’une fonctionnant en français, l’autre en anglais. Dans l’éventualité où le Rwanda et l’Ouganda réussiraient, par exemple, à s’implanter définitivement au Congo, l’anglais serait là pour rester. De toute façon, la mort du dictateur Laurent-Désiré Kabila ne pouvait mettre pas fin au régime autoritaire en pratique depuis l'indépendance du Congo. La dictature semble constituer une donnée permanente dans ce pays. 

On doit admettre que le gouvernement actuel, comme les précédents, ne pratique pas une politique linguistique très élaborée, ni très cohérente. De façon générale, il s’agit d’une politique non interventionniste qui consiste à maintenir les structures en place et consolider les usages établis et favoriser l'élite politique qui connaît le français. Le seule véritable politique linguistique est en éducation, et ce, sans aucun budget spécifique.

Dans le futur, il est probable que les nombreuses langues congolaises dites «ethniques» du Congo-Kinshasa vont continuer à survivre longtemps, mais il est certain que parallèlement les quatre langues nationales reconnues sont appelées à connaître une expansion plus considérable. Parmi celles-ci, le lingala semble déjà s'imposer comme langue supranationale dans la mesure où il est utilisé massivement dans la capitale, dans l’armée et favorise la mobilité à travers le pays. Cependant, le statut des quatre langues nationales acquerra véritablement un caractère d’officialité lorsqu’elles seront utilisées au Parlement et enseignées dans toutes les écoles jusqu’à la fin du secondaire. C’est, pour le moment, loin d’être le cas.

Le français, rappelons-le, se maintient encore en tant que langue officielle au Congo-Kinshasa comme un «mal nécessaire», car, si cette langue constitue une partie du patrimoine congolais, elle est encore perçue comme une langue coloniale et impérialiste (ce que l’anglais ne serait pas?). Pour la majorité des Congolais, l’anglais est associé à l’ouverture au monde, à l’universalisme et à la mobilité. Quoi qu’il en soit, le statut du français au Congo-Kinshasa est là pour rester, même s'il demeure vulnérable.

D’ailleurs, cette vulnérabilité du français existe dans tous les pays «francophones» de la région des Grands Lacs, dont font partie le Congo-Kinshasa, le Rwanda et le Burundi qui, comme par hasard, sont tous des anciennes colonies belges. Il en résulte que le dominance du français dans ces anciennes colonies belges apparaît moins bien implantée que dans les anciennes colonies françaises. De plus, le Congo-Kinshasa, le Rwanda et le Burundi semblent aux prises avec des conflits de préséance que se livrent Britanniques, Américains, Français et Belges, sans parler des Sud-Africains et des Angolais. Toutes ces puissances étrangères se tiennent sur la défensive pour sauvegarder leurs intérêts économiques au Congo, sans tenir compte des intérêts vitaux des populations de la région, lesquelles dépendent des pays partenaires pour assurer la démocratisation du pays. Les gouvernements limitrophes réussiront peut-être ce qu'ils désirent: une partition du Congo (au profit du petit Rwanda et de l'Ouganda), sinon une officialisation de leurs aires d'influence. Dans les deux hypothèses, l'issue demeure entre les mains des étrangers.

Selon une hypothèse provenant de politiciens français, on assisterait actuellement dans la région des Grands Lacs à une offensive américano-britannique afin d’y introduire l’anglais. Or, on sait que, une fois que l’anglais est admis comme langue officielle au sein d’une organisation internationale ou nationale, les Américains, souvent aidés des Britanniques, font tous les efforts nécessaires pour éliminer les autres langues qui ne deviennent que des véhicules de traduction. Pensons à ce qui se passe présentement au Rwanda, alors qu’on a réussi à faire entrer le «loup (l’anglais) dans la bergerie». Si la France ne réussit pas à maintenir sa présence au Congo-Kinshasa, il est possible que le pays bascule dans l’aire d’influence des pays anglophones dont les États-Unis se font maintenant les champions. Dans cette éventualité, la concurrence entre l’Europe, notamment de la part de la France et de la Belgique, et les États-Unis, qui se battent pour le contrôle de l’Afrique, pourrait entraîner à long terme des conséquences d’ordre linguistique dans toute la région des Grands Lacs africains.

Dernière mise à jour: 05 janv. 2024

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