Le papiamento

Le mot papiamento (île d'Aruba) ou papiamentu (îles de Curaçao et de Bonaire) désigne un créole parlé dans les anciennes Antilles néerlandaises, aujourd'hui les Pays-Bas caribéens et/ les îles ABC (Aruba, Bonaire et Curaçao). Comme tous les créoles, il s’est formé aux XVIe et XVIIe siècles, à la faveur de la traite des esclaves noirs par les puissances coloniales de l'époque, particulièrement le Portugal, mais aussi l’Espagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la France, et les États-Unis.

Le nombre des locuteurs du papiamento serait de 319 000 dans le monde, dont 179 000 dans les territoires néerlandais et 85 000 à Aruba. Les autres locuteurs du papiamento sont dispersés dans les îles des Antilles, notamment à Saint-Martin, Porto Rico (200 locuteurs) et les îles Vierges américaines (200), ainsi que sur les côtes du Surinam, du Venezuela (île Bonaire) et du Nicaragua.

1 Les origines particulières

Bien qu'il y ait de nombreuses théories sur les origines du papiamento, celle qui semble la plus probable porte sur le fait que le papiamento soit un créole à base première de portugais. Ce créole doit son origine aux premiers contacts entre les Portugais et les Africains au milieu du XVe siècle. C’est le 8 août 1444 que, pour la première fois, un navire portugais accostait au port de Lagos (Portugal) avec à son bord une cargaison de 235 esclaves noirs pour les vendre dans le pays. En 1480, toute la côte ouest africaine connue appartenait au Portugal.

Au début, Portugais et Espagnols se partagèrent le trafic négrier, mais, à la fin du XVIe siècle, les Hollandais entrèrent en scène et concurrencèrent sérieusement ce monopole jusqu’à ce que, vers 1650, les Anglais et les Français firent leur entrée dans la conquête du Nouveau Monde et participèrent à la curée. Grosso modo, les Européens auraient acheminé 42 % des esclaves vers les Antilles, 38 % vers le Brésil et moins de 5 % vers l’Amérique du Nord, surtout les États-Unis (en raison du trajet jugé plus long et trop coûteux). Ce commerce de cargaisons humaines dura près de 350 ans.

2 La création du créole

La colonisation portugaise en Afrique occidentale et la traite des esclaves ont favorisé la création d'une nouvelle langue, le créole. Linguistiquement parlant, celui-ci est composé en grande partie de mots portugais avec des éléments grammaticaux et syntaxiques issus des langues de l’Afrique de l’Ouest: Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Cap-Vert, Liberia, Ghana, Congo-Brazzaville et aussi l'Angola (le plus important fournisseur sur toute la durée de la traite). Ne partageant pas la même langue, les Noirs ont développé systématiquement le créole afin d’assurer la communication entre eux, surtout lorsqu’ils attendaient durant de longues semaines dans les ports de l’Afrique occidentale avant de partir pour l’Amérique.

Cette langue véhiculaire, qui est devenue la langue maternelle d'une nouvelle génération, s'est développée et adaptée aux environnements linguistiques particuliers dans lesquels les esclaves se sont trouvés. Dans certains cas, le créole a servi comme une langue secrète partagée par les esclaves, car il restait incompréhensible pour les propriétaires blancs qui parlaient le portugais.

3 Le papiamento

Le terme qui désigne le créole parlé dans les territoires néerlandais d'outre-mer est papiamentu (mais papiamento à l'île d'Aruba). Ce mot serait tiré du verbe papia signifiant «converser» ou «parler» et viendrait probablement du vieux mot portugais papear. On y a jouté le suffixe -mentu servant à former un nom et signifiant approximativement «manière de parler».

Le papiamento aurait fait son apparition à l’île de Curaçao au XVIe siècle. L’origine portugaise du papiamento s’explique par le fait que des centaines de milliers des Noirs attendirent parfois durant de longues semaines dans les ports africains détenus par les négriers portugais avant d’être envoyés dans les colonies du Nouveau Monde. À partir de 1650 environ, les Portugais furent relayés par les Hollandais. Le papiamento présente de nombreuses similitudes avec le krioulo, le créole portugais que l'on parle toujours en Afrique occidentale, notamment dans les îles du Cap-Vert et en Guinée-Bissau, mais aussi au Sénégal et en Gambie. D'autres créoles à base de portugais sont également parlé à Cafundo dans l'État de Rio de Janeiro (Brésil), à Korlai près de Bombay (Inde), à Macanese (Hong-Kong), à Kristang (à Melaka (Malaysia) et à Ternateno (île Maluku en Indonésie) et au Sri Lanka (avec l’indo-portugais).

Dans les États formant les Territoires néerlandais d'outre-mer, la langue officielle demeure le néerlandais, mais les langues maternelles sont généralement le papiamento dans les Îles-sous-le-Vent (Aruba, Bonaire et Curaçao) et l’anglais dans les Îles-du-Vent (Saba, Saint-Eustache et Sint Maarten). Le papiamento parlé est légèrement différent à Aruba, Bonaire et Curaçao. Une orthographe officielle des mots du papiamento a été créé il y a plusieurs années, ainsi que des dictionnaires et des matériaux de formation linguistique.

Cependant, le papiamento connaît un sérieux problème: il est partagé entre deux orthographes officielles: Aruba impose une orthographe étymologique, alors que Curaçao et Bonaire ont choisi une orthographe phonologique. Ainsi, l'orthographe est très différente entre Aruba et les deux autres îles, puisque la première est fondée sur l'origine historique du mot, alors que la seconde repose sur la prononciation. Par comparaison, le français (comme l'anglais) possède une orthographe étymologique (ex.: photographie), mais l'espagnol est phonologique (ex.: fotografia).  C'est ce qui explique l'opposition entre l'écriture en papiamento (orthographe étymologique) et en papiamentu (orthographe phonologique). Aruba parle le papiamento, mais Curaçao et Bonaire parlent le papiamentu.

Le tableau qui suit présente une comparaison du vocabulaire papiamento avec le portugais, l'espagnol et le néerlandais:

Papiamento Portugais Espagnol Néerlandais Français
Bon biní Bem-vindo Bienvenido Welkom Bienvenue
Bon dia Bom dia Buenos días Goedendag Bonne journée
Danki Obrigado Gracias Dank u Merci
Kon ta bai? Kumbai? Como vai? Cómo te va? Cómo estás tú? Hoe gaat het met u? Comment allez-vous?
Hopi bon Muito bem Muy bien Zeer goed Très bien
Mi ta bon Eu estou bem, Eu tou bem Yo estoy bien Het gaat goed met me Je vais bien
Pasa un bon dia Passa/Tem um bom dia Pase/Tenga un buen dia Een prettige dag verder Bonne journée
Te aweró Vejo você depois, Até logo, Até mais Adios, Hasta luego Tot ziens À plus tard
Kuminda Comida Comida Voedsel Nourriture
Pan Pão Pan Brood Pain
Djus Sumo, Suco, Refresco Jugo, Zumo Sap Jus

Bref, le papiamento demeure la principale langue parlée dans trois îles différentes, avec deux écritures différentes. Ce problème n'est pas banal, car il reflète l'identité culturelle des locuteurs et une certaine idéologie politique par rapport à la mère patrie. Des chercheurs de Curaçao ont prétendu que le papiamento provenait d'un créole portugais d'Afrique (papiamento), mais ceux d'Aruba ont plutôt cru qu'il venait d'un créole à base d'espagnol (papiamentu). Afin de maintenir la mère patrie «à distance», Curaçao a préféré une orthographe phonologique basée sur la prononciation. Ainsi, l'orthographe phonologique aurait contribué à assurer une identité culturelle plus forte à Curaçao et à Bonaire. Pourtant, c'est Aruba qui a obtenu son statut d’autonomie des Pays-Bas en 1986, soit avant toutes les autres anciennes colonies néerlandaises.

Bien que le papiamento soit devenu la langue vernaculaire principale pour les îles ABC (Aruba, Bonaire et Curaçao), des incidences culturelles négatives persistent envers cette langue et exercent un effet profond indéniable. Historiquement, le papiamento fut rejeté en faveur de la langue néerlandaise dans le système d'éducation. Pour cette raison, les problèmes persistent encore aujourd'hui. Actuellement, le papiamento bénéficie d'un renouveau culturel dans les Îles-sous-le-Vent ou îles ABC, mais en raison des anciennes perceptions négatives à l'égard de la langue, il est à craindre que l'histoire se répète à l'égard du papiamento afin qu'il perde son statut en éducation.

Dernière révision en date du 03 janvier, 2024


  

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