République de Géorgie

Géorgie

(3) Politique des minorités nationales

1 Les minorités nationales

Rappelons que la Géorgie compte plus d'une quarantaine de groupes ethniques. Depuis que les républiques autonomes d'Abkhazie (120 000) et d'Ossétie du Sud (10 000 habitants) se sont techniquement détachées du territoire géorgien, le caractère multiculturel de la société géorgienne a été amoindri, bien que le pays comprenne encore de nombreuses minorités mingrélienne, azérie, arménienne, grecque, russe, ossète, yazidi, svane, tchétchène, biélorusse, assyrienne, kurde, etc. Lors du recensement démographique de 1989, les minorités nationales de la Géorgie soviétique représentaient quelque 30 % de la population totale. Au recensement de 2002, plus de dix ans après l'indépendance (1991), ce pourcentage avait dégringolé à 16 %, à l’exclusion des données relatives à la République autonome d’Abkhazie et à la Région autonome d’Ossétie du Sud. En 2015, le pourcentage des minorités s'élèverait à 18 % en comptabilisant les Abkhazes (2,9 %) et les Ossètes (0,8 %), mais à 14,3 % s'on exclut ces deux communautés qui ne font plus techniquement partie de la Géorgie. Il convient de distinguer trois types de minorités en Géorgie: les minorités caucasiennes kartvéliennes, les minorités caucasiennes non kartvéliennes et les minorités non caucasiennes.

1.1 Les minorités caucasiennes kartvéliennes

Les minorités kartvéliennes appartiennent à la famille caucasienne, mais les membres de ces minorités ont comme langue maternelle une autre langue que le géorgien qui est aussi une langue kartvélienne. Il s'agit du laze (1000 locuteurs en Géorgie, mais 20 000 en Turquie), du mingrélien (344 000 locuteurs), du haut-svane et du bas-svane (14 000 locuteurs).

1.2 Les minorités caucasiennes non kartvéliennes

La plupart des langues caucasiennes non kartvéliennes sont parlée en Russie, au Kazakhstan et dans les pays voisins de la Géorgie. Elles sont d'une assez grande diversité et sont fragmentées en deux groupes: le groupe abkhazo-adygien et le groupe nakho-daguestanien. En Géorgie, on ne trouve que cinq ou six langues dans cette catégorie:

Groupe abkhazo-adygien groupe nakho-daguestanien

abkhaze = 129 000
bat = 3200 locuteurs
tchétchène = 10 000

avar = 2000 locuteurs
lezghien = 3000 locuteurs
oudi = moins de 80 locuteurs.

Les langues les plus importantes sont manifestement l'abkhaze en Abkhazie (129 000 locuteurs), le tchétchène (10 000 locuteurs), le bat (3200 locuteurs), le lezghien (3000 locuteurs et l'avar (2000 locuteurs). L'oudi est en voie de disparition si ce n'est déjà fait. 

1.3 Les minorités non caucasiennes

Les minorités nationales ne faisant pas partie des langues caucasiennes sont les plus nombreuses:

Langues slaves Langues indo-iraniennes Autres langues indo-européennes Langues altaïques Langues ouraliennes Langues sémitiques
russe = 65 000
biélorusse = 7000
ukrainien = 6800
polonais = 1600
bulgare = 600
ossète = 39 000
kurde = 2600
arménien = 239 000
grec = 15 000
valaque = 1400
allemand = 1200
azéri = 269 000
ouroum = 90 000
tatar = 3400
turc = 3200
kazakh = 2200
ouzbek = 1000
tadjik = 1000
estonien = 1800 assyrien = 3400
néo-araméen = 900

Les minorités numériquement les plus importantes sont les Azéris (269 000) et les Arméniens (239 000). Ces deux groupes sont suivis des Ouroums (90 000), des Russes (65 000), des Ossètes de l'Ossétie du Sud (39 000), et des Grecs (15 000). Toutes les autres communautés forment de petites minorités.

1.4 Les régions où sont concentrées les minorités linguistiques

Les régions où sont principalement concentrées les minorités linguistiques sont situées au nord-ouest l'Abkhazie (l'abkhaze et l'arménien), au centre-nord l'Ossétie du Sud (l'ossète), dans le Sud la Samtskhé-Djavakhétie (l'arménien), la Karthlie inférieure (l'azéri) et la Kakhétie (l'azéri, l'ossète, le russe et le tchétchène). Ces cinq territoires sont des régions frontalières de la Géorgie bordant les États ou territoires peuplées par des communautés compactes identiques aux minorités en Géorgie. Ainsi, il existe des minorités abkhazes et ossètes en Russie, mais aussi une majorité arménienne en Arménie, une majorité azérie en Azerbaïdjan et une majorité russe en Russie. 

Certaines des communautés minoritaires dispersées sur le territoire géorgien. Ces communautés sont surtout les Russes, les Grecs, les Kurdes (et Yézidis), les Assyriens, les Juifs, les Ukrainiens, les Biélorusses, les Ouroums, etc.

1.5 La connaissance du géorgien parmi les populations minoritaires

Sous le Régime soviétique, la plupart des membres des minorités nationales pouvaient s'exprimer en russe. À cette époque, il n'y avait guère d'incitation pour les minorités nationales d'apprendre le géorgien qui n'était même pas une langue d'enseignement dans les universités du pays. Après l'indépendance de 1991, les membres des minorités se sont mal ajustés à la nouvelle situation pour différentes raisons qui ne découlent pas toujours de leur propre volonté. De façon générale, l'apprentissage de la langue géorgienne demeure problématique chez les minorités.

Ainsi, le recensement national de 2002 a établi que quelque 31 % de l'ensemble de la population minoritaire parlait assez couramment le géorgien. En 2008, l'ECMI (European Centre for Minority Issues), c'est-à-dire le Centre européen pour les questions des minorités, a mené une enquête dans 59 agglomérations minoritaires de la Géorgie, soit les régions de la Samtskhé-Djavakhétie et de la Karthlie inférieure (Kvemo Kartli). Or, cette enquête révélait que 32,2 % des Arméniens et 27,7 % des Azéris, les deux plus grandes communautés minoritaires, ne comprenaient pas du tout la langue géorgienne, alors que seulement 8,4 % des Arméniens et 9,8 % Azéris la parlaient couramment.

Ce problème de l'ignorance de la langue officielle se pose avec une acuité particulière dans les régions de la Samtske-Javakhétie et de la Karthlie, où les non-géorgianophones vivent en peuplement compact et ont peu de contacts avec les populations géorgianophones. Non seulement la population locale ne connaît à peu près pas le géorgien écrit, mais elle est, de plus, souvent incapable de communiquer oralement dans cette langue, ni même de comprendre un énoncé élémentaire, ce qui n'est pas le cas des autres minorités ailleurs sur le territoire de la Géorgie. En fait, le recul du russe en tant que langue véhiculaire, mieux maîtrisé par les Arméniens et les Azéris que par les Géorgiens, par exemple, limite les possibilités d'échanges, sans oublier l'accès aux emplois. Bien que les représentants des minorités semblent de plus en plus conscience du problème, ils éprouvent des difficultés à s'opuvrir à l'apprentissage de la langue officielle.

Par ailleurs, le ministère de l'Éducation et de la Science ait fait un certain nombre d'efforts pour améliorer l'apprentissage de la langue officielle dans les régions minoritaires, la population arménienne de la Samtskhé-Djavakhétie et les Azéris en Karthlie inférieure (Kvemo Kartli) souffrent encore d'un grave manque d'accès à la fois à l'enseignement du géorgien (langue seconde) et à une information adéquate dans les médias. Évidemment, l'ignorance la langue officielle rend plus difficile pour les Arméniens et les Azéris, ainsi que les autres minorités nationales, le fait d'être actif dans de nombreux domaines sociaux. Ces faits démontrent que les minorités restent très attachées à leurs droits linguistiques et à la protection de leur langue maternelle.  

2 Les protections juridiques

Les textes juridiques qui protègent les langues des minorités nationales sont la Constitution du 17 octobre 1995, ainsi la Loi sur la culture (1997), le Code administratif général (1999), la  Loi sur la radiodiffusion (2004), la Loi sur l'éducation générale (2005), la Loi organique sur l'autonomie locale (2005), la Loi sur la liberté d'expression et de pensée (2004), le Code électoral (2012) et la Loi sur la langue officielle (2015).

Dans la Constitution nationale, les articles 14 et 38 font allusion à la langue des minorités nationales en terme d'égalité (art. 14) et de non-discrimination (art. 38): 

Article 14

Tous les individus naissent libres et sont égales devant la loi, sans aucune distinction fondée sur la race, la couleur de la peau,
la langue, le sexe, la religion, les convictions politiques et toute autre conviction, l'origine nationale, ethnique et sociale, la fortune, la position sociale ou le lieu de résidence.

Article 38

1)
Les citoyens géorgiens sont égaux dans la vie sociale, économique, culturelle et politique, sans aucune distinction fondée sur
l'origine nationale, ethnique, religieuse ou linguistique. Conformément aux principes et aux normes universellement reconnus du droit international, tous ont le droit de développer librement leur culture, sans aucune discrimination ni restriction. Ils peuvent employer leur langue maternelle dans la vie publique et privée.

2) Conformément aux principes universellement reconnus par le droit international, l'exercice des
droits des minorités
ne doit pas porter atteinte à la souveraineté, à l'intégrité et à l'indépendance politique de la Géorgie.

L'article 38.2 précise aussi que «l'exercice des droits de minorités ne doit pas porter atteinte à la souveraineté, à l'intégrité et à l'indépendance politique de la Géorgie». Il ne s'agit pas là d'une protection très élaborée, mais elle peut être utile pour rappeler que tous les citoyens sont égaux en Géorgie. Il existe d'autres textes juridiques du genre, qui font également allusion à la non-discrimination entre les citoyens. Mais le texte le plus important est certainement l'article 38.2: les citoyens géorgiens «peuvent employer leur langue maternelle dans la vie publique et privée». Il reste à préciser comment cette disposition constitutionnelle, c'est-à-dire employer sa langue maternelle dans la vie publique, se transpose dans la réalité.

L'article 3 de la Loi sur la liberté d'expression et de pensée (2004) déclare que «chacun a la liberté d'expression» implique «le droit de parler et d'utiliser un alphabet» :

Article 3

Liberté d'expression et de pensée

1) L'État reconnaît la liberté d'expression et de pensée en tant que valeurs humaines suprêmes et éternelles. Le peuple et l'État sont tenus par ces droits et libertés, ainsi que par la législation applicable au cours de l'exécution par l'autorité.

2) À l'exception d'un organisme administratif, quiconque a la liberté d'expression, ce qui implique:

g) le droit de parler une langue et d'utiliser un alphabet;

Dans les faits, ce droit de parler n'importe quelle langue peut se limiter aux relations familiales ou personnelles, car dès qu'il faut s'adresser à un organisme public ou une instance publique, le géorgien doit primer, bine que l'article 38.1 de la Constitution permette l'usage de la langue maternelle. L'emploi d'un autre alphabet que celui du géorgien, comme l'alphabet arménien ou l'alphabet latin, pour ne pas parler de l'alphabet cyrillique, peut causer des problèmes, notamment dans les noms propres.

La Loi sur la langue officielle (2015) distingue ainsi les notions de «langue non officielle» et de «langue de la minorité nationale»:

Article 3

Définition des termes utilisés dans la présente loi

Les termes utilisés dans la présente loi ont les significations suivantes:

b) langue non officielle : toute langue, sauf  la langue officielle, qui est utilisé dans la vie privée ou publique par les citoyens de la Géorgie et d'autres personnes résidant en Géorgie;

c) langue de la minorité nationale : une langue non officielle qui est utilisée traditionnellement par des communautés de citoyens de la Géorgie, qui se sont installées dans certaines parties du territoire de la Géorgie;

À la différence d'une «langue non officielle» parlée par des individus, la «langue de la minorité nationale» est celle qui est traditionnellement utilisée par des communautés installées dans certaines parties du territoire de la Géorgie. Cela signifie qu'il faut en principe que plusieurs individus soient concentrés dans une partie du territoire pour former une communauté utilisant traditionnellement sa langue. On ignore de façon précise de quelles minorités il s'agit, car la loi n'en mentionne aucune. On peut penser aux Abkhazes (Abkhazie) et aux Ossètes (Ossétie du Sud), puis aux Arméniens (n° 4 à la carte des langues principales ci-haut) et aux Azéris (n° 6), suivis principalement des Grecs (n° 7), des Russes (n° 8), des Tchétchènes (n° 10), des Kurdes (n° 11) et des Svanes (n° 12). Il existe d'autres plus petites communautés telles les Bats, les Bejtas, les Néo-Araméens, les Didos, les Ouroums, etc. 

3 Les droits en matière de réglementation et de justice

Étant donné que le géorgien est la langue officielle, il n'est pas étonnant d'apprendre que cette langue est obligatoire dans la rédaction des lois et des règlements. Selon l'article 12, de la Loi sur la langue officielle, il est clair que les textes législatifs adoptés par l'État géorgien ne sont rédigés qu'en géorgien, sauf en Abkhazie où ils sont aussi en abkhaze :

Article 12

Langue de la rédaction des lois et de l'activité législative

1) Les actes normatifs doivent être rédigées et promulguées dans la langue géorgienne et, dans le territoire de la République autonome d'Abkhazie, ils doivent être rédigées et promulguées dans la géorgienne ainsi que la langue abkhaze. Les actes normatifs peuvent être promulguées dans des langues non officielles, mais ces textes ne sont pas officiellement valides.

2) Dans une municipalité où les membres des minorités nationales sont installés dans les communautés, les organismes d'autonomie locale doivent fournir, s'il est nécessaire, une traduction des actes normatifs adoptés par eux dans la langue des minorités nationales concernées. Par la présente, seuls les originaux des textes appropriés sont considérés comme valides.

3) Les projets de loi et les propositions de loi sont soumis au Parlement de la Géorgie
en géorgien, selon la procédure de présentation des initiatives législatives.

De plus, il semble difficile pour les minorités de s'intégrer à la vie politique et administrative du pays. Le nombre des membres de Parlement représentant des minorités nationales ne reflète guère leur représentation réelle dans la population du pays. On compte en général moins de 10 députés (sur 150) appartenant aux minorités nationales, ce constitue au plus 6 %, alors que les populations minoritaires représentent au moins 16 % de la population: il s'agit de députés arméniens et azerbaïdjanais, parfois russes ou ossètes. Dans les faits, on trouve trois Arméniens, trois Azéris et parfois un Russe ou un Ossète. La réglementation géorgienne ne prévoit pas encore de quota minimum pour les députés membres des minorités linguistiques. Il est donc difficile pour l'un d'eux de se faire élire en tant que représentant d'une communauté minoritaire. Les instances internationales en matière des droits de l'homme ont quand même raison de déplorer la sous-représentation des minorités ethniques au Parlement. De même, il n'y a pas de représentant des minorités nationales au sein du Conseil des ministres. Cette situation est généralisée en Géorgie. Par exemple, aucun gouverneur des régions du pays n'est issu des minorités. Les populations locales, indépendamment de leur origine ethnique, se plaignent souvent de leur faible représentation à tous les échelons de l'Administration, et regrettent que le gouverneur soit généralement parachuté de Tbilissi, sans connaissance des problèmes locaux.

Toutefois, dans les municipalités où sont concentrées des minorités (cf. le paragraphe 2), les textes adoptés ou rédigés en géorgien par les municipalités doivent être accompagnés d'une traduction, s'il est nécessaire, dans la langue de la minorité concernée. Autrement dit, les minorités ont le droit d'obtenir une traduction des documents adoptés par leur municipalité.

Dans la Loi sur le statut juridique des étrangers (1998), l'article 17 prescrit qu'en cas de détention d'un étranger (probablement aussi un membre d'une minorité nationale), ce dernier doit être informé immédiatement des motifs de sa détention et de l'accusation portée contre lui «dans la langue qu'il comprend»:

Article 17

La garantie de l'immunité personnelle des étrangers et la non-ingérence dans leur vie privée

[...]

En cas de détention d'un étranger, celui-ci doit être informé immédiatement des motifs de sa détention et de l'accusation portée contre lui dans la langue qu'il comprend. Simultanément, il doit lui être expliqué ses droits et obligations liés à la procédure. [...]

On peut croire qu'une telle mesure, c'est-à-dire être informé dans une langue qu'on comprend, est aussi accordée aux membres des minorités. Ce que l'on doit aussi déduire, c'est que le justiciable, qui appartient à une communauté minoritaire, n'a pas droit à une procédure dans sa langue maternelle, mais qu'il peut recourir gratuitement aux services d'un interprète. Dans la Loi sur la langue officielle, l'article 13 prescrit le géorgien dans toute procédure judiciaire, mais autorise le recours à un interprète lorsqu'un justiciable ignore la langue officielle:

Article 13

Langue de la procédure judiciaire

La procédure judiciaire doit se se dérouler dans la langue officielle, conformément à la Constitution géorgienne et à la législation en matière de procédure. Un interprète doit être attribué à tout justiciable qui ne parle pas la langue officielle.

De fait, même dans les régions où les membres des minorités sont en nombre suffisant, la procédure judiciaire ne se déroule qu'en géorgien. De façon générale, on ne trouve que fort peu de membre des minorités parmi les juges dans les tribunaux de première instance et encore moins à la Cour suprême. Les seuls juges non géorgianophones sont arméniens et leur maitrise de la langue officielle semble limitée. Ils n'utiliseraient le géorgien que pour communiquer leurs décision à un tribunal supérieur. Lorsqu'un tribunal local utilise l'arménien, il est possible que cette sorte de «dérogation» linguistique puisse entraîner de longs retards. Il arrive aussi que les fonctionnaires en poste à Tbilissi refusent carrément d'examiner les documents remis en arménien ou en azéri. 

Des observateurs internationaux affirment que les retards dans les procès sont fréquents en raison de la pénurie de traducteurs qualifiés d' une langue à l' autre, ce qui réduit considérablement l'efficacité du  système judiciaire qui doit, en vertu de la loi, recourir à des interprètes. Le  droit légitime des organismes judiciaires et administratifs de rejeter des documents uniquement parce qu'ils ne sont pas rédigés dans la langue officielle entraîne nécessairement une application limitée de la législation géorgienne. Pourtant, la Géorgie a signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les dispositions de l'article 14 qui garantit les droits suivants pour chaque individu dans son territoire :

Article 14

3) Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:

a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle;

f) A se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience;

De plus, les instances internationales accusent la Géorgie d'avoir un système judiciaire corrompu en raison des rémunérations très faibles tant chez les juges que chez les avocats ou les procureurs. En effet, le système judiciaire géorgien se trouve politisé parce que les nominations des juges sont faites par le gouvernement. La justice n'est certainement pas indépendantes du pouvoir politique. Dans ces conditions, le système judiciaire perd toute crédibilité aux yeux des membres des minorités. Il faudrait au moins autoriser les procédures judiciaires en azéri ou en arménien dans les municipalités où les minorités représentent plus de 20 % de la population avec des juges maîtrisant parfaitement l'une ou l'autre langue.

IL n'en demeure pas moins que plusieurs initiatives ont été prises dans le domaine de la justice pénale dans le but de sensibiliser les professionnels de la justice aux mesures
de lutte contre la discrimination et de promouvoir le droit aux libertés fondamentales. En outre, la liste des droits sur la procédure fondamentale a été publiée en géorgien, en russe, en arménien, en azéri et en anglais.

4 Les droits linguistiques dans le domaine administratif

L'article 73 du Code administratif général (1999) énonce bien que toute partie à une procédure, que ce soit une personne physique ou morale, doit employer le géorgien ou, si tel n'est pas le cas, présenter également une traduction notariée d'un document (par. 4), et ce, malgré l'article 38.2 de la Constitution, qui affirme que les citoyens géorgiens «peuvent employer leur langue maternelle dans la vie publique et privée»

Article 73

Les parties à une procédure administrative

3) Toute procédure administrative doit se dérouler en géorgien. La procédure administrative dans le territoire de l'Abkhazie peut aussi bien se dérouler en abkhaze.

4) Si la demande, la déclaration ou tout autre document présenté par une partie concernée n'est pas dans la langue officielle, la partie doit présenter une traduction notariée du document dans le délai prescrit par l'instance administrative.

Conformément à l'article 73 du Code administratif général, afin de communiquer avec une instance administrative, tout membre appartenant à une minorité nationale, qui dépose une demande ou un appel dans une autre langue que la langue officielle, bénéficie d’un délai supplémentaire pour obtenir la traduction assermentée des documents requis. Dans de tels cas, les délais établis sont considérés comme respectés, mais l'expiration du délai peut être invoquée pour refuser l'examen de la demande ou de la déclaration d'une partie concernée.  

4.1 Le droit à la traduction

Cependant, l'article 11.4 de la Loi sur la langue officielle prévoit que, dans les municipalités où sont installées les minorités, les instances d'autonomie locale ont le droit de traduire des documents administratifs à l'intention de ces minorités:

Article 11

La langue de gestion officielle de cas des autorités publiques et des organismes d'autonomie locale

1) Les autorités publiques et les organismes d'autonomie locale effectuent la gestion officielle de cas dans la langue officielle, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 du présent article.

4) Dans les municipalités où les membres des minorités nationales sont installés dans les communautés, les autorités publiques et les instances d'autonomie locale ont le droit d'établir une procédure différente de celle prévue par le Code administratif général de Géorgie, en vertu de laquelle, s'il est nécessaire, la traduction des demandes et des plaintes déposées auprès des organismes d'autonomie locale par des personnes appartenant aux minorités nationales, et la traduction des réponses à celle-ci peuvent être nécessaires dans la langue de ces minorités nationales. Par la présente, seuls les originaux de textes concernés sont valides.

L'article 9 de la Loi sur la langue officielle énonce clairement l'obligation pour tous les citoyens d'utiliser la langue officielle auprès de toute instance administrative, mais des services d'interprétariat sont disponibles dans les municipalités à l'intention des minorités: 

Article 9

Droits et obligations des citoyens de la Géorgie dans le domaine de l'usage de la langue

2) Tous les citoyens de la Géorgie, conformément à la présente loi et au Code administratif général de Géorgie, sont tenus de communiquer avec les pouvoirs publics et les autorités autonomes locales dans la langue officielle, sauf pour les exceptions prévues par la législation de la Géorgie.

3) L'État doit assurer la communication des personnes appartenant à des minorités nationales auprès des autorités publiques et des organismes de l'autonomie locale dans la langue de cette minorité nationale avec l'aide d'un interprète, dans les municipalités qui comptent des membres des minorités nationales.

Il faut donc comprendre que, quoi qu'il en soit, l'administration, même locale dans une municipalité, n'est jamais tenue de comprendre les membres d'une minorité dans leur langue, puisqu'il faut recourir aux services d'un interprète.

Quoi qu'il en soit, la Loi organique sur l'autonomie locale (2005) impose le géorgien comme langue de travail dans les instances d'autonomie locale, donc les municipalités:
 

Article 9

Langue de travail, Bureau du travail et documents de travail pour les instances d'autonomie locale

La langue de travail et les documents de travail de toute instance d'autonomie locale doivent être dans la langue officielle de la Géorgie.

La Loi organique du Code d'autonomie locale (2013) décrit les dispositions concernant l'autonomie locale dont bénéficient la plupart des municipalités en Géorgie. Cependant, la loi n'énonce aucune disposition particulière d'ordre linguistique, sauf celle de l'article 15 servant à désigner des appellations pour les lieux, installations et bâtiments appartenant à une municipalité. Pour qu'une appellation soit dans une autre langue que le géorgien, il faut qu'un minorité soit majoritaire localement.

Le Code électoral (2012) de la Géorgie prévoit à l'article 14 qu'une liste générale des électeurs des circonscriptions administratives désignées pour les minorités ethniques doit paraître sur la page web de la Commission électorale centrale (CEC) lors des élections dans une langue qu'ils comprennent. De plus, le jour du scrutin, le journal de bord doit être en géorgien et dans la langue minoritaire:   

Article 62

Le journal de bord le jour du scrutin

1) La procédure de vote au bureau de scrutin ainsi que les plaintes et les commentaires sur la procédure de vote doivent être consignés dans le journal de bord le jour du scrutin (ci-après appelé «journal de bord»).

2) Le journal de bord doit être consigné en géorgien, mais pour les bureaux de vote et les circonscriptions électorales pour lesquels les bulletins de vote également sont imprimés dans une autre langue intelligible pour la population locale, le journal de bord peut également être consigné dans cette langue.

En somme, c'est le bilinguisme obligatoire et la traduction, lorsqu'une langue minoritaire est utilisée. Cependant, le manque de traducteurs qualifiés a pour effet de limiter le recours aux langues minoritaires. De plus, beaucoup de fonctionnaires refusent de prendre en compte les documents rédigés dans une de ces langues. À défaut d'une procédure précise à ce sujet, certains fonctionnaires n'hésitent même pas à refuser de tels documents, bien que ce soit autorisé par la législation. Heureusement, le gouvernement a autorisé la publication d'un Guide des citoyens aux élections municipales en russe, en arménien et en azéri.

Il n'en demeure pas moins que, dans beaucoup de municipalités dans les régions à forte concentration arménienne ou azérie, les langues minoritaires, l'arménien ou l'azéri, sont souvent employées comme langues de travail à l'oral par les autorités et les l'administration locales, mais c'est le géorgien à l'écrit.  

4.2 La prépondérance du géorgien dans l'affichage

 

L'emploi des langues est soumis à certaines restrictions en matière d'affichage. L'article 24 de la Loi sur la langue officielle autorise que des affiches, des enseignes ou d'autres informations visuelles soient indiquées à la fois en géorgien et en une langue non officielle dans les municipalités où sont concentrés des membres des minorités nationales :  

Article 24

Langue de l'information auprès du public

Les textes des déclarations, notifications, titres, affiches, enseignes, annonces, publicités et autres informations visuelles destinées à informer le public doivent être rédigés dans la langue officielle. S'il est nécessaire, des informations appropriées peut être indiquées dans une langue non officielle et, dans les municipalités où les membres des minorités nationales sont installés dans les communautés, l'information appropriée peut également être indiquée dans la langue de ces minorités nationales.

L'article 25 de la Loi sur la langue officielle prévoit les contraintes visuelles de l'affichage destiné au public (voir l'affiche ci-dessus en alphabet géorgien et en alphabet latin). Lorsqu'une inscription est rédigée à la fois dans la langue officielle et dans une langue non officielle, celui en géorgien doit prédominer sur celui en langue non officielle, c'est-à-dire être placé en premier, soit à gauche ou au-dessus, et la police du texte écrit dans la langue non officielle ne devant pas être supérieure à la police du texte rédigé dans la langue officielle  : 
 

Article 25

Présentation et le emplacement des inscriptions destinées à l'information du public

1) Les inscriptions destinées à l'information auprès du public doivent être présentées dans la langue officielle.

2) Les modalités de présentation des inscriptions dans les langues non officielles (y compris les langues des minorités nationales) destinées à l'information auprès du public doivent être élaborées et approuvées par le ministère de la Langue officielle.

3) Dans les cas prévus par la présente loi, lors de l'écriture des noms officiels à la fois dans les langues officielle et non officielles, le texte écrit dans la langue officielle doit être placé en premier (à gauche ou au-dessus) et le texte écrit dans la langue non officielle doit être placé en dernier (à droite ou en-dessous).

4) Lors de l'écriture des noms officiels dans les langues géorgienne, abkhaze et non officielles, le texte géorgien doit être placé en premier (à gauche ou au-dessus), le texte en abkhaze doit être placé au milieu, alors que les textes écrits dans les langues non officielles doivent être placés en dernier (à droite ou en-dessous).

5) Dans les cas différents de ceux prévus aux paragraphes 3 et 4 du présent article, le texte écrit dans la langue officielle doit être placé en avant du texte rédigé dans la langue non officielle (à gauche ou au-dessus).

6) Lorsque les textes sont rédigés à la fois dans les langues non officielles et la langue officielle, la police du texte écrit dans la langue non officielle ne doit pas être supérieure à la police du texte écrit dans la langue officielle.

4.3 Le droit d'utiliser exclusivement une langue minoritaire

Il n'existe que quelques rares exceptions dans l'emploi public d'une langue non officielle et minoritaire. L'une d'elles demeure les événements officiels qui ont lieu dans une municipalité, car ceux-ci, d'après l'article 20.2 de la Loi sur la langue officielle, peuvent se dérouler dans la langue des minorités nationales:
 
Article 20

Langue des événements officiels

1) Les événements officiels des autorités publiques, des instances d'autonomie locale, les institutions, les organisations et les entreprises doivent se dérouler dans la langue officielle, sauf par disposition contraire prévue par la législation de la Géorgie.  Si un représentant d'un événement officiel emploie une langue non officielle, son allocution doit être traduite dans la langue officielle.

2) Dans les municipalités où les membres des minorités nationales sont installés dans les communautés, les événements officiels locaux (sauf pour les sessions des organismes d'autonomie locale) peuvent se dérouler dans la langue de ces minorités nationales.

En 2009, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l'Europe a considéré que le changement des noms des villages peuplés d'Azéris constituait une violation des principes de l'article 11 de la Convention-cadre, auxquels la Géorgie est signataire et a exhorté le gouvernement de la Géorgie à coopérer avec la minorité ethnique locale de réintroduire les noms traditionnels.

Article 11

1) Les Parties s'engagent à reconnaître à toute personne appartenant à une minorité nationale le droit d'utiliser son nom (son patronyme) et ses prénoms dans la langue minoritaire ainsi que le droit à leur reconnaissance officielle, selon les modalités prévues par leur système juridique.

2) Les Parties s'engagent à reconnaître à toute personne appartenant à une minorité nationale le droit de présenter dans sa langue minoritaire des enseignes, inscriptions et autres informations de caractère privé exposées à la vue du public.

3) Dans les régions traditionnellement habitées par un nombre substantiel de personnes appartenant à une minorité nationale, les Parties, dans le cadre de leur système législatif, y compris, le cas échéant, d'accords avec d'autres États, s'efforceront, en tenant compte de leurs conditions spécifiques, de présenter les dénominations traditionnelles locales, les noms de rues et autres indications topographiques destinées au public, dans la langue minoritaire également, lorsqu'il y a une demande suffisante pour de telles indications.

Selon le groupe de surveillance des droits de l'Homme et des droits des minorités ethniques, sur la liste actuelle des noms de lieux du ministère de la Justice, les noms à consonance azéri ont été modifiés en 2010-2011 dans 30 autres villages (18 à Marneuli) et 12 à Tsalka.

4.4 Les mesures appliquées pour contrer l'ignorance du géorgien

Depuis l'indépendance, il n'est pas facile de vivre en situation minoritaire en Géorgie. Malgré tout, la Géorgie a fait des efforts pour améliorer les conditions de vie des minorités. Ainsi, le gouvernement a mis en place, entre autres, une école d'administration publique, un ministère de l'Intégration civile et a institué le poste de défenseur public (ou «protecteur du citoyen») ainsi qu'un Bureau du défenseur public (BDP). De plus, la Géorgie a investi dans la réfection des routes et des infrastructures dans les régions où vivent des minorités. Néanmoins, pour les autorités géorgiennes, la priorité demeure encore l'affirmation de l'unité nationale plutôt que la protection des minorités.

Le plus grave problème concernant l'intégration des minorités nationales concerne la barrière linguistique du fait que traditionnellement les membres de ces minorités semblent incapables de parler la langue officielle. Les assemblées tenues avec les représentants des minorités nationales démontrent que l'ignorance de la langue géorgienne constitue l'un des facteurs qui empêche les citoyens d'obtenir des informations pertinentes, y compris les informations concernant les activités de l'État, les programmes et les services d'aide sociale et de santé. En raison des barrières linguistiques, les populations locales ont du mal à communiquer avec les représentants des divers secteurs publics. Très souvent, des représentants des minorités occupant des postes de responsabilité dans les instances d'autonomie locale n'ont pas les compétences linguistiques qu'il faudrait.

Depuis la révolution des Roses, le gouvernement a mis en œuvre des lois pour inciter les membres des minorités à communiquer en géorgien avec les représentants locaux, y compris pour obtenir des documents officiels ou déposer des plaintes ou utiliser les services publics. Par exemple, pour accéder à des postes dans l’administration publique et pour obtenir des permis d'ordre professionnel, la connaissance du géorgien et la réussite des examens de qualification sont indispensables. Or, l’enseignement du géorgien dans les établissements scolaires semble insuffisant, alors que de moins en moins d'individus issus des minorités sont capables d'intégrer les universités géorgiennes.

- L'École d'administration publique

En 2005, le gouvernement géorgien a créé l'École d’administration publique de Zourab Jvania, du nom d'un homme politique géorgien, ancien premier ministre de Géorgie (du 9 février 2005 au 3 février 2005). Cet établissement a notamment comme fonction d'assurer par un programme national professionnel pour améliorer les compétences linguistiques des fonctionnaires. Dans cet établissement spécialisé, les études visent deux objectifs principaux :

a) l'enseignement de la langue nationale pour les fonctionnaires maîtrisant mal ou pas du tout le géorgien ;
b) l'initiation à la méthodologie moderne d’administration publique.

Cet établissement propose tout particulièrement aux membres appartenant aux minorités ethniques des programmes spéciaux de formation à la langue géorgienne et à la fonction publique. Il met particulièrement l'accent sur l'enseignement du géorgien aux enseignants et aux responsables publics locaux qui ne parlent pas la langue nationale.

- Le ministère de l'Intégration civile

La question de l'intégration des minorités ethniques et linguistiques est devenue une préoccupation après la dissolution de l'Union soviétique et de l'accession à l'indépendance de la Géorgie. Dès lors, les membres des minorités nationales se sont trouvés dans un environnement radicalement différent. La langue géorgienne a pris la place de langue dominante à la place du russe qui, jusqu'alors, servait de langue véhiculaire entre tous les groupes ethniques, y compris les géorgianophones. Puis la rhétorique nationaliste, qui s'est développée au début de la décennie 1990, a favorisé la méfiance de la population géorgienne à l'égard des minorités, et réciproquement. Tous ces facteurs ont contribué à l'isolement des minorités ethniques, traditionnellement peu enclines, pour ne pas dire réfractaires, à parler le géorgien. Par la suite, les tensions ont augmenté entre le groupe majoritaire formé des Géorgiens et les minorités nationales, devenant ainsi un obstacle important au développement démocratique et stable du pays. Le ministère de l'Intégration civile a été créé avec les objectifs suivants: la primauté du droit, l'instruction et la langue officielle, les médias et l'accès à l'information, l'intégration politique et la participation civile, l'intégration sociale et régionale, la culture et la préservation de l'identité nationale. Le plan d'action implique des activités et des programmes spécifiques, selon les orientations stratégiques du ministère de l'Intégration, lequel est devenu en 2008 le ministère de la Réintégration (ou «Réinsertion»).  

Le 1er janvier 2014, le ministère de la Réintégration a été renommé «ministère pour la Réconciliation et l'Égalité civique» (en anglais: Ministry for Reconciliation and Civic Equality). Le gouvernement espérait ainsi reprendre contact avec les régions sécessionnistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Mais le président Mikheil Saakachvili (de 2004 à 2007, et de 2008 à 2013) a refusé ensuite de signer le décret renommant ce ministère. Finalement, le Ministère a pu voir la jour.

- Le protecteur du citoyen

La Constitution de 1995 prévoyait le poste de «défenseur public» ainsi qu'une loi organique à ce sujet; ce fut la Loi organique sur le défenseur public, adoptée en 1996. En Géorgie, le défenseur public est l'équivalent dans d'autres pays du médiateur, du protecteur du citoyen (dans les pays francophones), du défenseur du peuple ("defensor del Pueblo" dans les pays hispanophones) ou de l'ombudsman (dans les pays anglophones). Le défenseur public exerce les fonctions d'un mécanisme de prévention; il veille aux questions concernant la protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans les établissements pénitentiaires, mais il est aussi chargé, par voie de conséquence, de la protection des droits des minorités ethniques et religieuses, et de promouvoir leur intégration dans la société géorgienne. C'est le défenseur public qui reçoit les plaintes de la part du public contre les instances de l'État; il doit être prêt à intervenir pour combattre toute manifestation d'intolérance et de discrimination.

Il existe aussi sous la juridiction du défenseur public un organisme particulier : le Conseil des minorités nationales (en anglais: le Council on National Minorities; en géorgien: ეროვნულ უმცირესობათა საბჭოს). Le Conseil des minorités nationales est un organisme autonome regroupant plus de 80 organisations parmi les minorités nationales, ce qui en principe couvre tous les groupes ethniques de la Géorgie. Le Conseil joue un rôle consultatif auprès du gouvernement et des instances publiques. Au sein du Conseil national pour l’intégration civile et la tolérance, un équipe spéciale a comme mandat d'élaborer des politiques et des projets de stratégies, qui seront ensuite au Conseil national des minorités et au grand public à des fins d'examen. Finalement, le Conseil des minorités nationales devra élaborer des recommandations sur chacune des politiques retenues et participer à des assemblées publiques organisées dans tout le pays.

Quant au Bureau du défenseur public, sa mission principale est de veiller de près à l'exercice des droits et des libertés fondamentales consacrés par la législation et par les traités internationaux auxquels la Géorgie est partie, puis de fournir une assistance sur demande et d'intervenir en cas de violation de ces droits.  

En 1998, un poste d’assistant spécial du président pour les affaires ethniques a été créé. L'une de ses tâches consiste à développer le sens civique chez les minorités et à mieux utiliser leur potentiel comme citoyens géorgiens, mais plus précisément à surveiller la situation en ce qui a trait aux droits des membres appartenant aux groupes ethniques, linguisiques et religieux, et à élaborer de nouveaux textes de loi ou d'autres actes normatifs destinés à protéger et promouvoir ces droits.

Lors de son adhésion au Conseil de l'Europe en avril 1999, la Géorgie s'était engagée à signer et à ratifier non seulement la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, mais également la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Évidemment, dans les circonstances actuelles, le gouvernement géorgien ne peut imposer ni garantir l'application de sa législation en Abkhazie et en Ossétie du Sud, deux régions dans lesquelles son contrôle est inexistant.

- La sous-représentation des minorités

Le gouvernement géorgien se targue de faire savoir que des représentants des minorités occupent des postes dans l'administration locale et dans certaines mairies. C'est surtout le cas des Arméniens et des Azéris dans leur région respective. Selon la Commission électorale centrale (CEC), une proportion de 22 % des élus locaux dans les régions minoritaires de la Kharthlie (Azéris), de Samtskhe-Javakheti (Arméniens) et de la Kakheti (Azéris, Russes, Arméniens et Tchétchènes). Les représentants de l'Exécutif au sein des district, les "gamguébélis", sont désignés par le président de la Géorgie et sont souvent choisis en raison de leur loyauté politique et leur poids dans la région. En ce sens, les minorités semblent représentées dans les assemblées locales élues (en géorgien "sakréboulo"), bien que celles-ci sont pourvues de peu de pouvoirs. Toutefois, les Arméniens et les Azéris estiment qu'ils sont sous-représentés dans toutes les sphères de la vie publique et surtout au gouvernement. Même dans une région comme la Kharthlie où sont concentrés les Azéris, ce sont les Géorgiens qui détiendraient tous les postes importants. Le faible niveau de participation et de représentation politique des minorités ethniques paraît plutôt est inquiétant. Dans la région de la capitale, Tbilissi, là où on trouve une population très multi-ethnique, les représentants des minorités sont presque inexistants au sein du gouvernement et de l'administration.

Manifestement, les points de vue à ce sujet diffèrent selon l'interprétation faite par les Arméniens ou les Azéris et les Géorgiens. Généralement, les interlocuteurs arméniens et azéris mettent en avant l'existence de discriminations dans la représentation, alors que les Géorgiens considèrent que la situation est acceptable. La question de la représentation des minorités fait aussi l'objet de controverses dans les autres instances telles la police, la justice, le service des impôts, les douanes, etc. Si les Géorgiens affirment que cette représentation leur paraît équitable, les principaux intéressés dénoncent les pratiques discriminatoires. Il s'agit là de l'un des défis graves en termes de participation chez les membres appartenant à des minorités nationales.

Quoi qu'il en soit, aucun renseignement détaillé n'est disponible sur la place exacte des minorités arménienne et azérie dans la vie politique, administrative et judiciaire du pays. Du fait de leur mauvaise connaissance traditionnelle de la langue géorgienne, les minorités nationales éprouvent des difficultés à exercer leurs droits fondamentaux, notamment leurs droits politiques et leur droit d’accès à l’emploi et à l’éducation. Dans le but de contrer l'ignorance de la langue officielle chez les minorités, des «Maisons des langues» ont été créées dans les régions de la Samtskhé-Dvavakhétie et de la Karthlie inférieure (Kvemo-Kartli) dans le but d'améliorer les connaissances linguistiques des membres des minorités travaillant dans l’administration publique; huit nouveaux centres ont été créés en 2011-2012.

5 Les droits scolaires

La politique linguistique appliquée à la langue officielle et aux langues des minorités nationales est soumise à la Loi sur l'éducation générale de 2005. Cela signifie que la langue de l’instruction dans les établissements d’enseignement public doit être le géorgien, avec l’abkhaze dans la République autonome d’Abkhazie. Cependant, les citoyens géorgiens, dont la langue maternelle n’est pas le géorgien, ont le droit de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle, mais l'apprentissage du géorgien demeure obligatoire comme langue seconde dans les établissements d’enseignement public. L’école doit protéger les droits individuels et collectifs des minorités d’utiliser librement leur langue maternelle, et de préserver et d’exprimer leur origine culturelle sur la base de l’égalité pour tous.

En effet, la Loi sur l'éducation générale de 2005 impose le géorgien comme langue d'enseignement dans tous les établissements scolaires de la Géorgie. En même temps, la loi autorise les citoyens géorgiens dont la langue maternelle n'est pas le géorgien, à recevoir leur instruction générale (publique) dans leur langue maternelle (art. 4 et 7):

Article 4

Langue d'enseignement

3) Les citoyens de la Géorgie, dont la langue maternelle n'est pas le géorgien, ont le droit d'acquérir une instruction publique complète dans leur langue maternelle en conformité avec le Programme national, tel qu'il est prévu par la législation. L'enseignement de la langue officielle est obligatoire dans un établissement d'enseignement public ainsi que les deux langues officielles dans la République autonome d'Abkhazie.

Article 7

Accès général à l'éducation

1) L'État assure le droit de tout élève (y compris les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers) de recevoir une instruction publique dans la langue officielle ou dans sa langue maternelle le plus près possible de son lieu de résidence.

L'article 13 de la Loi sur l'éducation générale précise bien que les membres des minorités peuvent «utiliser librement leur langue maternelle, préserver et manifester leur appartenance culturelle sur la base de l'égalité»:

Article 13

Neutralité et non-discrimination

6) L'école doit respecter et promouvoir la tolérance et le respect mutuel parmi les élèves, les parents et les enseignants, indépendamment de leur origine sociale, ethnique, religieuse, linguistique et de leur vision du monde.

7) L'école doit protéger les droits individuels et collectifs des minorités pour utiliser librement leur langue maternelle, préserver et manifester leur appartenance culturelle sur la base de l'égalité.

Quant à l'article 7 de la Loi sur la langue officielle (2015), il précise que dans l'enseignement d'une langue minoritaire le géorgien est obligatoire comme matière scolaire ou langue seconde:

Article 7

Langue d'enseignement

2) Dans les établissements d'enseignement général, où la langue d'instruction n'est pas le géorgien, et qui sont établis dans le territoire de la Géorgie, selon les modalités fixées par la législation de la Géorgie, l'enseignement de la langue géorgienne comme une matière scolaire (le géorgien ainsi que l'abkhaze doivent être enseignés dans les établissements d'enseignement général non abkhazes sur le territoire de la République autonome d'Abkhazie) est obligatoire.

Répétons-le, les membres des minorités nationales ont le droit de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle, mais ils doivent apprendre le géorgien comme langue seconde, en général cinq heures par semaine. Par contre, l'imposition du géorgien comme langue seconde peut être considérée par les minorités nationales comme une politique d’assimilation, ce qui peut provoquer un blocage ou des réticences et qui gênerait la mise en œuvre des politiques d’intégration civile.

Il existe aussi une autre possibilité d'instruction pour les membres des minorités nationales: l'enseignement à distance. Par arrêté du ministère de l’Éducation et de la Sciences en date du 22 mai 2005 (n° 452) relativement au statut des diplômes de l’enseignement à distance, tout étudiant a le droit de recevoir une instruction à distance en géorgien, mais aussi en russe, en arménien ou en azéri. Si un étudiant réussit des examens en russe, en arménien ou en azéri, mais également l’épreuve de langue et littérature géorgiennes, la traduction du géorgien en russe, en arménien ou en azéri doit être assurée par le Centre national des examens. Si les épreuves sont subies en russe, cette langue ne sera pas considérée comme une langue étrangère.

Selon la Loi sur l'enseignement supérieur (2004), la langue d'enseignement dans un établissement d'enseignement supérieur doit être le géorgien: 

Article 4

Langue de l'enseignement supérieur

La langue d'enseignement dans un établissement d'enseignement supérieur est le géorgien et également l'akhaze en Abkhazie. (À l'exception des cours pour des études personnelles, l'instruction en d'autres langues est autorisée à la condition que ce soit prévu ou convenu par un accord international avec le ministère de l'Éducation et de la Science de la Géorgie.)

L’instruction supérieure peut être donnée dans une autre langue que le géorgien à la condition qu'elle soit soumise à réglementation au moyen d'un traité ou d'un accord international conclu avec le ministère de l’Éducation et des Sciences, mais dans les faits certains cours spécialisés se donnent néanmoins en russe ou en anglais. De plus, par arrêté (n° 127) du ministère de l’Éducation et des Sciences en date du 28 mars 2005, il existe des examens nationaux d’entrée unifiés. Tous les étudiants, quelle que soit leur langue d’instruction, inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur agréés sont tenus de subir des examens de langue et de littérature géorgiennes, de langue étrangère (anglais, russe, allemand ou français, au choix de l’étudiant) et d’aptitudes générales. Ces examens sont complétés par d'autres tests en mathématiques, en histoire, en sciences, etc. 

Article 89

Centre national des examens, Service d'accréditation nationale et compatibilité des programmes pédagogiques

4)
 Pour l'année scolaire 2005-2006, le ministère de l'Éducation et de la Science doit s'assurer de tenir des examens nationaux unifiés dans la langue et la littérature géorgiennes, sur les habiletés générales, sur les langues étrangères (anglais, allemand, français ou russe) et en mathématiques; pour l'année scolaire 2006-2007, dans d'autres matières interviendront également. Les procédures pour la tenue des examens et leur statut facultatif ou obligatoire doivent être définis par le ministère de l'Éducation et de la Science de la Géorgie, conformément à la présente loi.

Évidemment, ces examens touchent tous les membres des minorités nationales. Même ceux qui croient que l'introduction de la langue géorgienne ne concerne que certaines disciplines, les représentants des minorités soupçonnent à tort ou à raison que cela peut être le début de la transition vers un enseignement entièrement en géorgien. En 2010, un système de quotas a été mis en place dans les universités géorgiennes, afin que 10 % des places disponibles soient attribuées à des étudiants issus des minorités arméniennes et azerbaïdjanaises. Cette mesure ne supprime pas l'obligation de savoir parler le géorgien. En 2013, le gouvernement géorgien a assoupli le programme régissant les examens nationaux pour les non-géorgianophones. Les règles concernant les examens d'aptitude générale en langue et littérature géorgiennes, considérés comme obligatoires, ont été modifiées afin de tenir compte des membres des minorités. Ainsi, l'examen portant sur la littérature géorgienne est devenu optionnel, mais celui sur la langue géorgienne est demeuré.   

5.1 La transposition des droits dans la réalité

En 2002, quelque 38 000 élèves étaient inscrits dans les écoles ou sections russophones, 38 000 dans les écoles ou sections azerinophones, 26 000 dans les écoles ou sections arménophones et 200 dans les sections ossètes. Tout cela a bien changé. En 2008, la Géorgie comptait 2540 établissements d’enseignement primaire, qui accueillaient 643 000 élèves. En 2010, l'enseignement dans une langue minoritaire était offert dans quelque 500 écoles, dont 150 en russe, et le même nombre tant en arménien qu'en azéri. Dans ces 500 écoles, l’enseignement de la langue géorgienne en tant que seconde langue est obligatoire dès l’école primaire. Sur les 2093 écoles secondaires que comptait la Géorgie, 297 étaient des écoles dans lesquelles la langue d'enseignement n'était pas la langue géorgienne; sur ces 297 écoles secondaires, 116 étaient des écoles arméniennes, 89 des écoles azéris, 12 des écoles russes et 80 des écoles mixtes enseignant deux langues ou plus.

Il subsiste de nombreux problèmes pour les locuteurs des plus petites langues: grec, svane, tchétchène, assyrien, tatar, bats, turc, lezghien, judéo-géorgien, kurde, moldave, kazakh, avar, estonien, laze, tadjik, néo-araméen, bejta, oudi, etc. Pour ces petites minorités, le manque de ressources, tant en personnel qu'en équipement, a pour effet de supprimer le droit à un enseignement dans la langue maternelle à l'école primaire. Indépendamment des nombreuses demandes de la part des représentants des minorités et des nombreuses promesses faites par les organismes de l'État au Bureau du défenseur public, cet enseignement demeure presque impossible. Or, cet enseignement de la langue maternelle est important non seulement pour des fins d'éducation, mais pour que ces petites communautés puissent préserver leur identité nationale. Le ministère de l'Éducation et de la Science a tenté de modifier le programme intitulé «L'éducation linguistique - une éducation de qualité» dans le but d'élaborer des normes plus précises pour les «petites minorités nationales». On peut s'attendre à des améliorations prochainement pour quelques-unes de ces langues.

Le problème est le même pour les écoles de la petite enfance, c'est-à-dire les écoles maternelles ou jardins d'enfants, y compris dans les régions habitées par les Arméniens et les Azéris. La plupart des parents arméniens et azéris préféreraient à envoyer leurs enfants dans des établissements où la langue d'enseignement serait leur langue. Malgré une forte demande, le nombre d'établissements préscolaires dans les régions de la Samtskhé-Dvavakhétie et de la Karthlie inférieure (Kvemo-Kartli) reste insuffisant.

Les citoyens géorgiens ont le droit de choisir une école dont la langue d'enseignement n'est pas le géorgien. Dans la situation présente, les enfants des minorités nationales ne peuvent pas tous fréquenter leurs écoles. Ou bien les parent les inscrivent dans une école géorgienne ou bine ils les envoient dans une école russe. Si les Géorgiens fréquentent les écoles russes dans une proportion relativement faible de 6,9 %, ce pourcentage, par exemple, 40 % pour les Arméniens, 61 % pour les Ossètes, 81 % pour les Kurdes et 96 % pour les Grecs. Ainsi, c'est dans les régions à forte concentration ethnique que la fréquentation des écoles russes semble la plus élevée. Il n'en demeure pas moins que la part du russe dans l’enseignement public diminue d'année en année au profit du géorgien. Tandis que le russe occupait la seconde place après la «langue maternelle», il est maintenant relégué au douzième rang.

La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) souligne que beaucoup de professeurs dans les écoles minoritaires parlent mieux le russe que le géorgien. Pour cette raison, il faudrait de toute urgence veiller à ce que la langue géorgienne soit mieux enseignée afin de permettre à tous ceux qui vivent en Géorgie de s'intégrer pleinement dans la société. Il faut aussi constater que l'enseignement du géorgien comme langue seconde ne suffit généralement pas à donner aux enfants une maîtrise suffisante de la langue officielle. Selon les observateurs de la question, cet enseignement se semble pas toujours adéquat et paraît peu conforme aux exigences du ministère de l'Éducation et de la Science. Évidemment, cette méconnaissance du géorgien, sinon cette connaissance insuffisante, a nécessairement des répercussions néfastes sur les possibilités d'un emploi dans certains domaines, ce qui est assurément le cas dans le secteur public. Malheureusement, pour des raisons économiques, le nombre d'enfants des minorités qui ne sont pas scolarisés dans leur langue semble en train d'augmenter, sans oublier que les non-géorgianophones préfèrent émigrer vers d'autres pays.    

De plus, l'ECRI fait remarquer aussi que, à l'exception des ouvrages traitant de la langue, de l'histoire et de la géographie géorgiennes, les manuels scolaires utilisés par les écoles des minorités nationales proviennent souvent de l'étranger, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, de la Russie, de la Turquie, etc. ).

Il semble aussi que l'accès aux études supérieurs soit extrêmement limité aux membres des minorités nationales. En 2010, dans l’enseignement supérieur, on comptait 94 000 étudiants inscrits dans 62 établissements répartis dans tout le pays. Depuis l'adoption de la Loi sur l'enseignement supérieur (2004), il n'est plus possible de recevoir un enseignement, par exemple, en arménien ou en azéri dans un établissement supérieur. Avec l'introduction des examens nationaux en langue géorgienne, les étudiants non géorgianophones se disent discriminés, car seule une infime minorité (environ 2 %) réussit à s'inscrire dans un établissement supérieur en Géorgie. Le résultat est que 95 % des étudiants parlant l'arménien préfèrent s'inscrire dans une université d'Arménie plutôt que dans une université géorgienne. Pourtant, le gouvernement arménien a déjà proposé en août 2007 au gouvernement géorgien de créer un campus universitaire arméno-géorgien dans la région de Djavakhétie, mais la proposition a été refusée par la Géorgie. La situation est identique pour les étudiants azéris qui doivent fréquenter un établissement en Azerbaïdjan. Cette situation semble aller en contradiction avec l'article 7 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, convention signée par la Géorgie:

Article 7

Les États parties s'engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et de l'information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre nations et groupes raciaux ou ethniques, ainsi que pour promouvoir les buts et les principes de la Charte des Nations unies, de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, de la Déclaration des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la présente convention.

Depuis 2010, le gouvernement a instauré un système de quota pour les minorités nationales inscrites dans les établissements d'enseignement supérieur. Ainsi, les étudiants dont la langue maternelle est l'arménien ou l'azéri se sont vu octroyer 10 % de toutes les places disponibles dans les universités d'État. Les bourses d'État pour les élèves des minorités nationales ont également considérablement augmenté, passant de 11 en 2008 à 213 en 2010.

En conclusion, on peut affirmer que l’école géorgienne est à l’image du pays. Elle est en proie avec des difficultés économique et des solutions viables pour l’avenir. Le poids des guerres civiles en Abkhazie et en Ossétie du Sud, le ressentiments de chacune des nationalités à l'égard des Géorgiens, la situation déplorable du système scolaire actuel en Géorgie, la baisse des effectifs scolaires, la désaffection des écoles publiques, ainsi que les politiques linguistiques mises en œuvre pour combattre la marginalisation des minorités, laissent présager un avenir plutôt sombre pour les minorités en Géorgie.

6 Les médias dans les langues minoritaires

La législation géorgienne sur les médias est reconnue comme conforme aux normes internationales. La liberté d'expression et la liberté de l'information sont garanties dans la Constitution, qui interdit également la censure (articles 19 et 24). La Loi sur la liberté d'expression et de pensée (2004) adoptée après la révolution des Roses (novembre 2003) est le principal document juridique qui garantit la libre pratique du journalisme. Quant à la Loi sur la radiodiffusion (2004), elle réglemente le secteur des médias de diffusion et fixer des règles pour le radiodiffuseur public géorgien.

Dans l'accès aux médias, deux problèmes majeurs semblent ressortir. Il s'agit, d'une part, de la faible maîtrise du géorgien chez les minorités nationales, d'autre part, des difficultés économiques dans les régions où sont concentrés généralement les membres des minorités nationales. Pour les médias, cela signifie que les chances d'établir points de vente indépendants financés par la publicité paraissent aléatoires, car personne ne veut lancer des médias «dans le désert». De plus, les médias indépendants manquent souvent de ressources pour offrir des solutions intéressantes.

6.1 Les médias écrits

Le gouvernement géorgien finance et contrôle un journal qui apparaît en géorgien, en russe et en azéri. Quant aux minorités nationales, elles disposent de quelques journaux. Il en existe en arménien (Vrastan, Faros et Arshaluis), en assyrien (Aviuta), en azéri (Gurjistan, Samgori, Akhali Marneuli, Heirat, Chanlibel, etc.), en allemand (Kaukasishe Post, Kaukasishe Zeitung) et en grec (Elinika Diaspora et Batumi); les Juifs publient deux journaux: Menorah (en géorgien) et Shalom (en russe). Le ministère de la Culture, de la Protection des monuments et du Sport finance certains journaux, dont Gurjistan en azéri, Vrastan en arménien et Svobodnaya Gruzia en russe. De plus, des organisations travaillant sur les problèmes des minorités nationales publient des journaux périodiques sur ces minorités.

Notons que ces journaux ne connaissent qu'un faible tirage et qu'ils manquent cruellement de ressources et d'infrastructures pour la mise en œuvre de la transmission efficace des informations, avec le résultat que de grandes parties des membres des minorités sont dans les faits exclus de la société géorgienne. De plus, de nombreux Arméniens et Azéris préfèrent lire les journaux publiés, selon le cas, en Arménie ou en Azerbaïdjanais, voire en Russie.

De plus, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) constate qu'en Géorgie la presse écrite verse souvent dans le sensationnalisme lorsqu'elle traite des questions touchant les membres des minorités religieuses; la commission a de nombreuses fois apporté sa désapprobation aux auteurs d'agressions visant les membres de ces groupes.

6.2 Les médias électroniques

Il existe un certain cadre juridique pour régir les médias électroniques, notamment à l'endroit des minorités nationales. La radiodiffusion publique géorgienne (GPB) demeure l'une des seules sources tenues également de diffuser des émissions dans des langues minoritaires. Des informations quotidiennes sont diffusées par la radio publique en plusieurs langues: en abkhaze, en ossète, en russe, en arménien, en azéri et en kurde. Le samedi, il est proposé en russe un résumé de 25 minutes de l’actualité de la semaine. Il existe aussi des stations de radio locale dans toutes ces langues. Les russophones disposent d'émissions radiophoniques quotidiennes dans leur langue, ainsi que d'une station de télévision et de deux canaux en provenance de la  fédération de Russie.

En 2004, le Parlement géorgien a modifié la Loi sur la radiodiffusion afin de favoriser la diffusion de programmes concernant les minorités ethniques. La loi prescrit que tout diffuseur d'une service public doit accorder «une proportion pertinente de programmes élaborés par les groupes minoritaires dans leur langue»:

Article 16

Obligations du contenu


Le diffuseur d'un service public doit:

l) diffuser une proportion pertinente de programmes élaborés par les groupes minoritaires dans leur langue;

En vertu de cet article 16, le Service public de radiodiffusion a pour une mission de renforcer l’intégrité, les valeurs spirituelles et la diversité culturelle, d’encourager l’information dans les langues des minorités nationales, d’élaborer des programmes sur les problèmes des minorités nationales ou de permettre aux minorités nationales d’élaborer leurs propres projets. En plus des chaînes de télévision centrales, des chaînes locales émettent dans les régions à forte concentration minoritaire, notamment pour les Arméniens et les Azéris. Par exemple, la chaîne de télévision ATV12 propose cinq fois par jour (trois heures en tout) un programme d’actualités présenté en arménien par un journaliste local. Une autre chaîne de télévision diffuse dans la région de la Samtskhé-Dvavakhétie, «Parvana TV». La chaîne TV Imperia LLC, transmise dans la région de  la Samtskhé-Dvavakhétie, traduit en arménien le programme d’actualités «Courier» diffusé par la chaîne Rustavi 2, et le présente tous les jours à 23 heures. Par ailleurs, Marneuli TV émet en azéri dans la région géorgienne de Marneuli. Cette chaîne ne diffuse pas d’émissions de façon régulière. Dans la province de Karthlie, une chaîne de télévision, la «Kvemo Kartli», diffuse des émissions en géorgien et en azéri.

Depuis 2007, le service public de radiodiffusion a lancé une nouvelle émission de débats (cinquante minutes) dans le but de promouvoir l'intégration des minorités nationales vivant en Géorgie. Ce programme est réalisé en coopération avec l’Association des Nations unies dans le cadre du programme de l'USAID «Intégration civile et tolérance en Géorgie». 

Selon les représentants de Internews, une ONG de développement des médias, qui a beaucoup œuvré dans les régions arméniennes et azéries, de nombreux médias de télévision locales souffriraient d'une mauvaise gestion. Dans certains cas, des salaires attribués dans les budgets ne sont pas payées ou du moins pas de façon régulière. De manière générale, la qualité des médias régionaux peut laisser grandement à désirer.

Dans la vie quotidienne actuelle, de dix à quinze minutes de programmes paraissent bien insuffisantes pour maintenir la population des régions minoritaires informée d'une manière à part entière. Comme l'ont souvent démontrés les divers rapports annuels du défenseur public, le Service public de radiodiffusion ne peut pas résoudre à lui seul les problèmes. Le gouvernement doit aussi prendre des mesures plus incitatives et mettre en œuvre des programmes ciblés dans le but d'assurer que les régions largement peuplées de minorités nationales reçoivent toutes les infos sur les événements qui se déroulent dans leur pays.

La Géorgie est aux prises avec de sérieux problèmes. Le pays demeure divisé en de nombreuses ethnies, en clans et en factions politiques, le tout sur un fond de haine née de la guerre civile, mais aussi de meurtres et de traditionnelles prises d'otages, d'incurie, de corruption, de marché noir et de contrebande. C'est ce qu'on appelle un «pays ingouvernable», alors que la Géorgie fut l'une des républiques les plus prospères de l'Union soviétique

Sur le plan linguistique, la langue officielle a été reléguée au second plan durant un grand nombre de décennies au cours du régime soviétique et la politique de géorgianisation ne fait pas l'unanimité chez les membres des minorités linguistiques. D'une part, toutes les mesures prises pour valoriser la langue officielle, le géorgien, sont interprétées par les représentants des minorités comme des politiques d'assimilation et de répression contre les autres langues. D'autre part, les revendications linguistiques émanant des minorités sont perçues à Tbilissi comme une menace supplémentaire qui pèserait sur le géorgien.

L'État géorgien doit donc composer avec de nombreuses minorités non intégrées au sein de la société géorgienne en Abkhazie et en Ossétie du Sud, sans oublier les «poches de résistance» dans les communautés azéries et arméniennes. Par exemple, la population arménienne ne désire rien de moins que l'autonomie et le rattachement de la région de la Samtskhé-Dvavakhétie à l'Arménie. Beaucoup de membres des communautés minoritaires préfèrent quitter la Géorgie plutôt que de s'intégrer... quand ils en ont les moyens. La situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud est sans issue à l'heure actuelle. Dans les faits, ces deux régions autonomes font partie intégrante de la fédération de Russie, non de la république de Géorgie.

Pourtant, la Géorgie a faits d'énormes efforts pour essayer d'intégrer ses minorités. Elle a modifié un grand nombre de lois et a signé et ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (22 décembre 2005) et a signé le 27 avril 2000, sans la ratifier, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Plus de quinze après l'adhésion, la Géorgie n'a toujours pas respecté cet engagement. Bien que la législation géorgienne en vigueur soit relativement positive et protectrice à l'égard des droits des minorités, les politiques mises en œuvre demeurent impuissantes à combattre la marginalisation des minorités. Loin d'unifier les communautés ethniques autour de la langue officielle, la politique de géorgianisation a creusé un écart considérable entre les Géorgiens de souche et les autres ethnies, et l'adoption de la Loi sur la langue officielle n'a sûrement pas amélioré la situation. En ce qui a trait aux minorités, la politique linguistique géorgienne peut être considérée comme un échec, même si elle prévoit des mesures protectrices évidentes à l'égard des langues minoritaires. Il y a lieu de féliciter la Géorgie pour les progrès réalisés, force est de constater qu'ils sont encore insuffisants. Ce qui est par contre réussi, c'est la politique de valorisation de la langue officielle chez les géorgianophones. Depuis, la place du russe a reculé constamment pour rendre au géorgien la place qu'il n'aurait jamais dû perdre.

Dernière révision: 22 déc. 2023
 

La Géorgie
 

(1) Situation générale
 

(2) Politique linguistique du géorgien
 

(3) Politique des minorités nationales
 

(4) Bibliographie