La législation russe en vigueur ne donne aucune définition de la notion de «minorité nationale». En terme strictement juridique, il n’existe aucune liste de groupes reconnus comme en tant que minorités nationales. Compte tenu de la complexité du problème en Russie, les juristes et les politiciens ne semblent pas être parvenus à un consensus sur les critères permettant de définir la notion de «minorité nationale».
Au cours des dernières années, plusieurs lois fédérales ont été adoptées afin de permettre la mise en œuvre des articles pertinents de la Constitution portant spécifiquement sur les droits des minorités nationales. Il s’agit des lois sur l’autonomie culturelle nationale, sur les garanties des droits des peuples autochtones peu nombreux (numériquement peu importants), sur la nationalité, l’éducation, les médias, le commissaire pour les droits de l’homme dans la fédération de Russie, la liberté de conscience et les associations religieuses, etc.
Le nouveau Code pénal adopté en 1996 porte sur la responsabilité en cas de violation de l’égalité des droits des citoyens commise sur des critères de sexe, de race, de nationalité, de langue, d’origine, de profession ou de richesse, de domicile, de religion, d’opinion, d’appartenance à des organisations publiques, ainsi que sur la responsabilité des actes d’incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse, de dégradation de la dignité nationale, et de propagande prônant l’exclusivité, la suprématie ou l’infériorité de citoyens sur des critères d’appartenance religieuse, nationale ou raciale.
La loi fédérale sur les garanties des droits des peuples autochtones peu nombreux de la fédération de Russie prévoit également que les personnes appartenant à ces peuples (ou aux associations de peuples numériquement peu importants créées aux fins de la préservation et du développement de leur culture particulière) ont le droit de préserver et de développer leurs langues nationales, de recevoir et de diffuser des informations dans ces langues et de créer des médias.
De plus, la fédération de Russie a signé et ratifié les conventions internationales suivantes portant sur la protection des minorités nationales :
- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966;
- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966;
- le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966;
- la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989;
- la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948;
- la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965;
- la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid du 30 novembre 1973;
- la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979;
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, et ses Protocoles.
Retenons surtout que la Russie a signé (28 février 1996) et ratifié (21 août 1998) la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l'Europe, de même que la Charte sociale européenne (septembre 2000) et, sans ratification, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (10 mai 2001).
Au plan de la Communauté des États indépendants, les États membres (à l’exception de l’Ouzbékistan et du Turkménistan) ont signé à Moscou, le 21 octobre 1994, la Convention concernant les droits des personnes appartenant aux minorités nationale; l’Azerbaïdjan l’a signée en formulant une réserve et l’Ukraine l’a signée sous réserve de conformité à ses lois). Dans cette convention, les Parties garantissent aux personnes appartenant aux minorités nationales des droits et libertés civils, politiques, sociaux, économiques et culturels, conformément à leur législation et aux normes internationales universellement reconnues dans le domaine des droits de l’homme (article 3). Les Parties ont également convenu de faciliter la codification des droits des minorités nationales aux plans bilatéral, régional et international, et de mettre à profit l’expérience réglementaire des organisations internationales dans le domaine de la protection des droits des minorités nationales (article 11). En vertu de l'article 4 de la Convention, les personnes appartenant aux minorités nationales ont le droit, à titre individuel ou collectif, d’exprimer, de préserver et de développer librement leur identité ethnique, linguistique, culturelle ou religieuse; selon l'article 3, elles ont le droit de fonder différentes organisations éducatives, culturelles et religieuses (associations, communautés, etc.); de maintenir des contacts entre elles au sein de l’État de résidence, ainsi qu’avec des ressortissants et des organisations gouvernementales auxquels elles sont liées d’un point de vue ethnique, culturel, linguistique et/ou religieux (article 6), d’utiliser leur langue maternelle et de l’étudier (articles 7 et 10).
Il semble aussi que des lois sur les minorités nationales, sur les principes d’organisation des communautés autochtones du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient, ainsi que le décret du président de la fédération de Russie sur les mesures de prévention de l’incitation aux dissensions entre nationalités et la responsabilité des fonctionnaires soient en cours d’élaboration ou d’adoption.
Soulignons enfin que la fédération de Russie a conclu des traités d’amitié, de coopération et de sécurité mutuelle avec presque tous les États membres de la CEI : l’Azerbaïdjan (Accord de coopération culturelle et scientifique du 6 juin 1995), l’Arménie (Traité d’amitié, de coopération et de sécurité mutuelle du 29 décembre 1991), la Biélorussie (Traité d’amitié, de voisinage et de coopération du 21 février 1995), la Géorgie (Traité d’amitié, de bon voisinage et d’entraide du 28 février 1994), le Kazakhstan (Traité d’amitié, de coopération et d’entraide du 25 mai 1992), la Kirghizie (Traité d’amitié, de coopération et d’entraide du 10 juin 1992), le Tadjikistan (Traité d’amitié, de coopération et d’entraide du 25 mai 1993), le Turkménistan (Traité d’amitié, de coopération et d’entraide du 31 juillet 1992), l’Ouzbékistan (Traité d’amitié, de coopération et d’entraide du 30 mai 1992) et l’Ukraine (Traité d’amitié, de coopération et de partenariat du 31 mai 1997).
Pour le gouvernement russe, c’est le Cadre de la politique d’État en matière de nationalités, approuvé le 15 juin 1996 par décret présidentiel, qui refléterait le mieux cet objectif. Ce cadre établit les principes fondamentaux suivants :
- l’égalité des droits et des libertés de la personne et du citoyen, sans distinction de race, de nationalité, de langue, de religion, d’appartenance à des groupes sociaux et à des associations publiques;
- l’interdiction de toute forme de restriction aux droits des citoyens sur des critères d’appartenance sociale, raciale, nationale, linguistique ou religieuse;
- la préservation de l’intégrité historique de la fédération de Russie;
- l’égalité des droits pour tous les sujets de la fédération de Russie dans leurs relations avec les autorités fédérales;
- la garantie des droits des peuples autochtones numériquement peu importants, conformément à la Constitution de la fédération de Russie, aux principes universellement reconnus, aux règles du droit international et aux traités internationaux signés par la fédération de Russie;
- le droit de tout citoyen de déterminer librement son appartenance nationale;
- la promotion du développement des cultures et des langues nationales des peuples de la fédération de Russie;
- le règlement rapide et pacifique des litiges et conflits;
- l’interdiction des activités visant à mettre en péril la sécurité de l’État et à inciter à l’affrontement, à la haine ou à l’hostilité sociaux, raciaux, nationaux ou religieux.
Dans sa déclaration du 6 novembre 1998 sur le caractère inadmissible des actions et des déclarations préjudiciables aux relations interethniques dans la fédération de Russie, la Douma de la fédération de Russie a réaffirmé que «la question nationale ne devrait pas faire l’objet de spéculations politiques». De plus, la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la fédération de Russie condamne fermement toutes les manifestations d’intolérance nationale et religieuse contre les peuples de Russie et souligne que la bienveillance, l’entraide, le respect de la dignité nationale de tous les peuples ont été et demeurent les facteurs principaux de la force de l’État russe :
L’évolution historique de la Russie a prouvé que l’unité de notre État ne pouvait être maintenue que par le renforcement de l’amitié et de l’entente entre les peuples […]. Dans notre patrie, les actions et les déclarations qui portent atteinte aux relations interethniques sont inadmissibles [...]. La Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la fédération de Russie condamne fermement toutes les manifestations d’intolérance nationale et religieuse contre les peuples de Russie et souligne que la bienveillance, l’entraide, le respect de la dignité nationale de tous les peuples ont été et demeurent les facteurs principaux de la force de l’État russe. |
Pour le gouvernement russe, la garantie du développement égal des minorités nationales en Russie est essentielle à la lutte contre l’extrémisme et le séparatisme nationaux et politiques. C'est pourquoi la protection des droits des minorités nationales paraît indispensable au maintien de l’État russe et de son intégrité territoriale. En somme, on peut affirmer que les mesures législatives, ainsi que la politique et la pratique de l’État russe, permettent d’atteindre, du moins théoriquement, un niveau suffisamment élevé de préservation de l’identité culturelle et linguistique des minorités nationales et d’empêcher leur assimilation, sauf lorsque celle-ci est librement consentie par ces communautés. Le problème, c'est qu'il existe toujours un écart entre la loi et la réalité.
1.2 La Constitution
Par ailleurs, l’article 26 de la Constitution de la fédération de Russie précise:
Quant à l'article 69, il mentionne expressément la garantie des droits des peuples autochtones peu nombreux (petits peuples):
Article
69
La fédération de Russie garantit les droits des peuples autochtones peu nombreux, conformément aux principes et normes universellement reconnus du droit international et aux traités internationaux de la Fédération de Russie. |
L'article 71 (c) place la réglementation et la protection des droits des minorités nationales sous la compétence de la Fédération, tandis que l'article 72 précise que la protection des droits des minorités nationales et la défense des habitats et des modes de vie traditionnels des petites communautés ethniques relèvent de la compétence conjointe de la Fédération et des sujets:
Article
71
Relèvent de la compétence de la fédération de Russie: [...] c) la réglementation et la protection des droits et libertés de l'homme et du citoyen, la citoyenneté dans la fédération de Russie; la réglementation et la protection des droits des minorités nationales; Article 72 1) Relèvent de la compétence conjointe de la fédération de Russie et des sujets de la fédération de Russie: [...] b) la protection des droits et libertés de l'homme et du citoyen, la protection des droits des minorités nationales; la garantie de la légalité, de l'ordre juridique et de la sécurité publique; le régime des zones frontalières; |
1.2 La Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie
C'est la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie du 25 octobre 1991, modifiée par la loi fédérale du 24 juillet 1998, qui régit la politique linguistique. Le préambule de la loi énonce que «les langues des peuples de la fédération de Russie constituent l'héritage historique et culturel de l'État de la Russie et seront sous la protection de l'État». Partout dans le territoire de la Russie, l'État devra promouvoir le développement des langues nationales, du bilinguisme et du multilinguisme, ce qui implique à la fois les langues nationales mais aussi le russe dans toute la Russie. L'article 3 de la loi définit ainsi le statut juridique des langues:
Article 3 Le statut juridique des langues 2) La langue russe, en tant que véhicule principal des relations interethniques des peuples de la fédération de Russie, conformément aux traditions historiques et culturelles, jouit du statut de langue officielle de la fédération de Russie sur tout le territoire de la fédération de Russie. 3) Les républiques constituant la fédération de Russie, conformément à la présente loi, prendront prennent leurs propres décisions sur le statut juridique des langues des peuples résidant sur leur territoire. Les républiques constituant la fédération de Russie peuvent déterminer leur langue officielle dans la république dans laquelle elles forment la fédération de Russie. 4) Dans une localité où réside une population compacte n'ayant pas une composition nationale et territoriale en dehors de leur territoire, à côté du russe et des langues officielles des républiques de la fédération de Russie dans les domaines officiels des relations, il est possible d'utiliser la langue de la population de la localité donnée. Les modalités dans lesquelles ces langues sont employées dans ces localités sont définie par la législation de la fédération de Russie et celles des républiques constituant la fédération de Russie. |
1.3 Les législations nationales
Afin de développer la politique de l'État en matière de nationalités, quelque 61 «sujets» de la Fédération — républiques, kraïs, oblasts et okrougs (districts) — ont commencé à mettre en œuvre des «cadres régionaux de politique nationale» qui tiennent compte des caractéristiques sociales, économiques, ethniques et démographiques de chacune des entités de la Fédération. Ces programmes sont présentement développés et mis en œuvre dans les républiques de Bachkirie, de Bouriatie, de Carélie, des Komi, des Mari-El, de Mordovie, de Sakha (Iakoutie), du Tatarstan, d’Oudmourtie, en République tchouvache, dans le kraï de Stavropol, dans les oblasts de Kaliningrad, Kourgan, Orenbourg, Perm, Samara, Saratov, Tioumen et Tcheliabinsk, ainsi que dans un certain nombre d’autres sujets de la Fédération.
À l'heure actuelle, toutes les 21 républiques ont adopté des lois linguistiques afin de protéger leur langue titulaire contre le rouleau compresseur du russe. Toutes les républiques ont deux langues officielles — dont le russe —, sauf au Daghestan où on en compte une douzaine. La tendance est de développer des zones de bilinguisme ou de multilinguisme collectif. Par exemple, dans les républiques de Sakha (Iakoutie) et du Tatarstan, les langues nationales sont employées dans les classes de maternelle et les écoles primaires. On constate par ailleurs que les politiques linguistiques nationales ne sont pas exemptes de méthodes discriminatoires. Ainsi, les lois linguistiques en viennent à évincer de certains emplois les unilingues, surtout ceux qui ne connaissent qu'une langue officielle, c'est-à-dire le russe. Par exemple, dans la république de Touva, les personnes connaissant les deux langues officielles (touva et russe) se voient accorder une priorité dans les emplois.
Compte tenu des mesures législatives de la fédération de Russie, la politique linguistique s'avère relativement élaborée à l'endroit des minorités habitant la Fédération, surtout en ce qui a trait à la justice, l'Adminstration, l'éducation et les médias.
4.1 L'accès à la justice
Dans la fédération de Russie, tous les citoyens bénéficient d’un accès égal à la justice, y compris ceux appartenant à des minorités nationales. L'article 19 de la Constitution de la fédération de Russie (paragraphes 1 et 2) proclame l’égalité de tous devant la loi et le tribunal:
Article
19
1) Tous sont égaux devant la loi et le tribunal. 2) L'État garantit l'égalité des droits et des libertés de l'homme et du citoyen indépendamment du sexe, de la race, de la nationalité, de la langue, de l'origine, de la situation patrimoniale et professionnelle, du lieu de résidence, de l'attitude à l'égard de la religion, des convictions, de l'appartenance à des associations, ainsi que d'autres considérations. Toute forme de limitation des droits du citoyen selon des critères d'appartenance sociale, raciale, nationale, de langue ou de religion est interdite. |
La protection judiciaire est également garantie par l’article 46 de la Constitution de la fédération de Russie:
Article
46
1) A chacun est garantie la protection judiciaire de ses droits et libertés. 2) Les décisions et les actes (ou omissions) des organes du pouvoir d'État, organes de l'auto-administration locale, associations et fonctionnaires peuvent faire l'objet d'un recours au tribunal. 3) Chacun a le droit conformément aux traités internationaux de la fédération de Russie de s'adresser aux organes inter-étatiques pour la protection des droits et libertés de l'homme, dès lors que tous les moyens de protection juridique internes ont été épuisés. |
Le principe de l’égalité de tous devant la loi et le tribunal est également consacré par l’article 7 de la Loi constitutionnelle fédérale sur le système judiciaire de la fédération de Russie, qui précise que les tribunaux ne doivent favoriser aucune organisation, personne ou partie à la procédure pour des motifs de race, de nationalité ou de langue. Conformément à l’article 10 de cette loi, la procédure judiciaire peut se dérouler non seulement en russe, mais également dans la langue officielle de la République dans laquelle est situé le tribunal. Les personnes qui participent à la procédure sont autorisées à faire des déclarations et à donner des explications dans leur langue maternelle ou dans la langue de leur choix, et à recourir à un interprète. Le principe de l’égalité de tous devant la loi sans distinction de race, de nationalité ni de langue est consacré par tous les codes de procédure en vigueur dans la fédération de Russie.
Dans la la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie, les paragraphes 2 et 3 prévoient l'usage des langues officielles des républiques constituants de la fédération de Russie:
Article 18
L'usage des langues dans la procédure judiciaire et les écritures dans les organismes judiciaires [...] 2) La procédure judiciaire et les écritures dans les organismes judiciaires des républiques constituant la fédération de Russie sont formulées dans les langues officielles de ces républiques et/ou dans la langue de la majorité de la population de langue étrangère résidant de façon compacte sur un territoire, ainsi que dans la langue officielle de la fédération de Russie, en conformité avec la législation de la fédération de Russie. 3) Aux personnes qui, parties à une cause, ne connaissent pas la langue ou les langues dans lesquelles se font la procédure judiciaire et les écritures, il est garanti la possibilité d'utiliser les services d'un interprète au cours du procès, entre autres pour donner des explications, pour faire leur déposition et pour prendre pleinement connaissance des éléments de la cause; il leur est garanti également le droit de s'exprimer devant le tribunal dans leur langue maternelle. |
La Loi sur les garanties des droits des peuples indigènes peu nombreux de la fédération de Russie prévoit la protection judiciaire des droits de ces peuples (article 14). L’environnement local, le style de vie traditionnel et l’économie locale, ainsi que les activités commerciales et professionnelles des peuples numériquement peu importants bénéficient également de cette protection. Lors des procès auxquels participent des personnes appartenant à ces peuples, leurs coutumes et traditions peuvent être prises en compte, et la participation, aux côtés de la défense, de représentants habilités des peuples numériquement peu importants est possible.
L'article 18 du Code de procédure criminelle de 2001 précise bien que la procédure judiciaire criminelle se déroule en russe, ainsi qu'à la Cour suprême et les cours martiales. Mais le paragraphe suivant autorise l'emploi de la langue maternelle pour toute partie à la procédure judiciaire, qui n'a aucune connaissance ou seulement une piètre connaissance de la langue dans laquelle se déroule la procédure; on a alors recours à un interprète:
Article 18 Langue de la procédure criminelle 1) La procédure judiciaire criminelle se déroule en russe, ainsi que dans la langue officielle des républiques, les membres de la fédération de Russie. La procédure des causes criminelles à la Cour suprême de la fédération de Russie et des cours martiales se déroulent en russe.
2) Pour toute partie à la procédure judiciaire criminelle qui n'a aucune
connaissance ou seulement une piètre connaissance de la langue dans
laquelle se déroule la procédure, il doit être expliqué et garanti le droit de faire des déclarations,
de donner des explications et de témoigner, de présenter des requêtes et des
plaintes, de prendre connaissance des documents de la cause criminelle et
de prendre la parole devant la cour en employant sa langue maternelle ou
toute
autre langue dont la partie a une bonne connaissance, et de faire usage
gratuitement des services d'interprète, conformément à la procédure
établie dans le présent code. |
Malgré ces mesures importantes, il ne faut pas se faire trop d'illusion sur l'emploi des langues nationales en matière de justice. De façon générale, seules les langues des peuples titulaires sont parfois employés dans les cours de justice, c'est-à-dire dans certaines des républiques ethniques. Bref, les langues des petits peuples ne sont jamais utilisées, alors que celles des peuples titulaires le sont rarement. Comme les membres des différentes communautés linguistiques parlent tous le russe, aussi bien utiliser cette langue, ne serait-ce que pour mettre toutes les chances de son côté!
Conformément à l'article 26 de la Constitution fédérale de Russie, chacun a le droit d’utiliser sa langue maternelle et de choisir librement sa langue de communication (et d'enseignement) auprès de l'Administration:
Article
26
1) Chacun a droit de déterminer et d'indiquer son appartenance nationale. Nul ne peut être contraint de déterminer et d'indiquer son appartenance nationale. 2) Chacun a droit d'utiliser sa langue maternelle, de choisir librement sa langue de communication, d'éducation, d'enseignement et de création. |
La mise en œuvre du principe d’égalité et d’autodétermination des peuples, qui constitue le fondement de la structure fédérative de la fédération de Russie, s’exprime, dans le domaine linguistique, par l’affirmation par les républiques du droit d’établir leurs propres langues officielles. Celles-ci sont utilisées dans les organismes de l’administration locale et les établissements d’État des républiques parallèlement à la langue officielle de la Fédération (art. 68 de la Constitution).
Par ailleurs, la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie offre à chacun des citoyens de la fédération de Russie la possibilité d’utiliser la langue qu’il connaît. Ceux qui ne connaissent pas la langue officielle de la Fédération ni celle d’une république ont le droit de s’exprimer lors de réunions, de conférences, d’assemblées, d’organismes de l’État, d’organisations, d’entreprises et d’institutions dans la langue qu’ils connaissent. Une interprétation simultanée doit être prévue. Conformément à l'article 15 de la loi du 24 juillet 1998, les citoyens qui ne connaissent pas la langue employée peuvent, si cela semble nécessaire, bénéficier d’une traduction dans une langue qui leur est compréhensible ou dans la langue officielle de la fédération de Russie. Les citoyens ont le droit d’adresser à l'Administration de l’État ou aux institutions de la fédération dans la langue officielle de la Fédération, dans leur langue maternelle ou dans toute autre langue des peuples de la fédération de Russie qu’ils connaissent (article 15).
Article 15
L'usage des langues de travail des
administrations, organismes, entreprises et institutions 2) Les citoyens de la fédération de Russie qui possèdent pas la langue officielle de la fédération de Russie ou la langue officielle d'une république constituant la fédération de Russie ont le droit de parler dans les réunions, les conférences et les assemblées dans les organismes de l'État, les organisations, les entreprises et les institutions dans la langue qu'ils possèdent. En cas de besoin, la traduction correspondante est assurée. 3) Les citoyens de la fédération de Russie ne possédant pas la langue avec laquelle sont menées les réunions, conférence et assemblées dans les administrations, organisations, entreprises et les institutions sont assurés, en cas de besoin, de la traduction dans une langue acceptée pour ces citoyens ou dans la langue officielle de la fédération de Russie. 4) Les citoyens de la fédération de Russie ont le droit de s'adresser aux administrations, organismes, entreprises et institutions de la fédération de Russie dans leurs offres, demandes et plaintes dans la langue officielle de la fédération de Russie, dans leur langue maternelle ou dans toute autre langue des peuples de la fédération de Russie qu'ils possèdent. 5) Les réponses aux offres, demandes et
plaintes des citoyens de la fédération de Russie adressées aux administrations,
organismes, entreprises et institutions de la fédération de Russie sont faites dans la
langue dans laquelle elle sont adressées. S'il est impossible de donner la
réponse dans cette langue, la langue officielle de la fédération de Russie est utilisée.
|
La loi prévoit que la langue officielle de la fédération de Russie — le russe — constitue la langue de travail des organismes législatifs suprêmes de la Fédération. Quant aux parlementaires (députés), ils ont le droit d’employer dans le cadre de leur travail n'importe quelle des langues officielles des républiques et, si cela s'avère nécessaire, toute autre langue parlée en Russie, avec interprétation simultanée dans la langue officielle de la fédération de Russie (article 11). En vertu de l'article 14, la législation précise aussi quelles sont les langues utilisées lors des élections législatives, lors de l’élection du président de la fédération de Russie et des référendums, notamment la langue officielle de la Fédération, les langues officielles des républiques et les autres langues fixées par la législation de la fédération de Russie et des républiques. Un certain nombre de lois relatives à la langue adoptées dans les républiques reconnaissent le droit d’employer les langues dans les régions où sont concentrées les minorités nationales.
L'article 16 (par. 4) de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie souligne que les documents identifiant un citoyen de la fédération de Russie, les enregistrements civils et les autres documents sont traités dans la langue officielle de la Fédération (en russe), mais dans le respect des dénominations nationales traditionnelles. Sur le territoire d’une république ayant fixé ses propres langues officielles, le traitement de ces documents permet l’utilisation de la langue co-officielle de la république concernée, parallèlement à la langue officielle de la fédération de Russie.
Article 16 4) Les documents officiels certifiant l'identité des citoyens ou une information (passeport, acte de naissance, de mariage et de décès, livrets de travail, certificats et diplômes de fins d'étude, cartes militaires et autres documents) sont rédigés en tenant compte des traditions nationales des noms en russe et dans les les langues officielles des républiques constituant la fédération de Russie sur les territoires où sont publiés ces documents. |
En vertu de l’article 8, par. 3, de la Loi sur la dénomination des toponymes et de l’article 23 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie, les républiques fédérées de Russie ont aussi le droit d’écrire les noms géographiques, les inscriptions et les enseignes dans les langues maternelles de leurs peuples, et ce, sur les territoires où sont concentrés ces différents peuples.
Article 23
La procédure pour déterminer la langue des noms géographiques, inscriptions, désignations topographiques et panneaux routiers La fédération de Russie et les républiques constituant la fédération de Russie, les territoires et régions, la région autonome, les régions autonomes de la fédération de Russie, en fonction de leur juridiction, déterminent la liste des territoires et les objets où les noms géographiques, les inscriptions, les désignations topographiques et les panneaux routiers doivent être rédigés dans la langue officielle de la fédération de Russie, dans les langues officielles des républiques de la fédération de Russie et aussi en d'autres langues, dans le respect des intérêts de la population locale. |
Conformément aux dispositions de la Convention internationale relative à la circulation automobile, qui porte sur l’unification de la signalisation routière sur le territoire des États, la fédération de Russie ne procède qu’à des inscriptions en langue russe sur tous les panneaux de signalisation. Sur les routes dites internationales, ces inscriptions apparaissent également en anglais. La réglementation en vigueur ne prévoit pas l’écriture d’inscriptions dans les langues des minorités nationales.
Cependant, malgré les lois fédérales et l'introduction des garanties constitutionnelles, les langues des peuples titulaires ne sont pas devenues des langues administratives. En effet, la plupart des élus et des fonctionnaires s'expriment en russe et, au besoin, utilisent ensuite des services de traduction. Par exemple, en mars 2001, la Cour suprême du Tatarstan as dû modifier la loi électorale faisant obligation aux candidats d'être bilingues, pour non-conformité avec la loi fédérale, qui ne reconnaît que le russe comme langue officielle. Et il y a bien d'autres cas du genre! Dans les 49 oblasts, seul le russe a droit de cité.
Le ministère de l’Éducation de Russie soutient concrètement l’utilisation de toutes les langues des peuples du pays en tant que langues d’enseignement et d’apprentissage. La place accordée aux langues nationales dans le système éducatif est déterminée par l’entité concernée (république ou municipalité) et relève de sa compétence. Selon le statut de la langue et la matière du programme ou de la langue de l’enseignement, la république est généralement responsable des programmes et des manuels éducatifs, ainsi que de la formation des enseignants et la formation supérieure. Les peuples numériquement peu importants du Nord font exception: le soutien pédagogique et méthodologique à l’enseignement de leur langue maternelle relève de la compétence des autorités fédérales.
L'article 43 de la Constitution garantit à tous les citoyens de la fédération de Russie l’accès général et gratuit à l’enseignement préscolaire, primaire, ainsi qu’à l’enseignement secondaire général et professionnel, dans les établissements d’enseignement d’État et municipaux:
Article
43
1) Chacun a droit à l'instruction. 2) L'accès général à l'enseignement préscolaire, primaire général et secondaire professionnel et sa gratuité sont garantis dans les établissements d'enseignement d'État et municipaux et les entreprises. 3) Chacun a droit, sur la base d'un concours, de recevoir gratuitement l'enseignement supérieur dans les établissements d'enseignement d'État ou municipaux et les entreprises. 4) L'enseignement général élémentaire est obligatoire. Les parents ou les personnes qui les remplacent s'assurent que les enfants reçoivent l'enseignement général élémentaire. 5) La fédération de Russie établit les normes fédérales d'enseignement d'État, et aide les diverses formes d'enseignement et d'auto-enseignement. |
L'article 10 de la Loi sur l'autonomie culturelle (1996) reconnaît aussi aux minorités le droit de recevoir leur instruction générale de base dans la langue nationale (maternelle) et au choix de la langue d'enseignement:
Article 10 Le droit au bénéfice de l'éducation générale de base dans la langue nationale (maternelle) et au choix de la langue d'enseignement et de la formation Les citoyens de la fédération de Russie, qui se considèrent comme appartenant à certaines communautés ethniques, ont le droit de recevoir leur instruction générale de base dans la langue nationale (maternelle) et au choix de la langue d'enseignement et de la formation dans le cadre des possibilités accordées par le système d'éducation en conformité avec la législation de la fédération de Russie et la législation des sujets de la fédération de Russie. |
Il faut consulter également la Loi sur l'éducation de 1992. L'article 6 semble de loin le plus important, car il traite des langues d'enseignement. Il précise bine que tout citoyen de la fédération de Russie a le droit de recevoir son instruction dans sa langue maternelle, que ce soit le russe ou une autre langue:
Article 6 Les langues d'enseignement 7) Les questions relatives à l'étude des
langues officielles des républiques dans la structure de la fédération de
Russie sont réglementées par la législation de ces républiques. |
Cependant, en tant que langue officielle de la Fédération, le russe est une matière obligatoire et demeure le véhicule d'enseignement dans la plupart des écoles primaires et secondaires. Il faudrait citer également l'article 10 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie:
Article 10
L'étude et
l'enseignement des langues des peuples de la fédération de Russie 2) La langue russe,
comme langue officielle de la fédération de Russie, est étudiée dans les
établissements secondaires et spécialisés et dans les établissements
d'études supérieures. 4) Chaque peuple de la fédération de Russie ne disposant pas d'écriture possède le droit de créer sa propre langue écrite maternelle. L'État assure pour cela les conditions nécessaires. 5) L'État crée les conditions pour la recherche dans toutes les langues des peuples de la fédération de Russie. |
Tout en précisant les dispositions constitutionnelles pertinentes, la législation de la fédération de Russie sur l’éducation, garantit à tous les peuples, y compris aux représentants des minorités nationales, l’égalité du droit à l’enseignement. Elle prévoit de façon spécifique la possibilité de recevoir un enseignement général primaire dans la langue maternelle, ainsi que l’introduction de normes éducatives d’État incluant des composantes fédérales et nationales.
- Les langues nationales
Dans le cadre d’un programme de huit années d’enseignement primaire et durant toute la période de la scolarité secondaire, l’enseignement dans les écoles de Russie est maintenant disponible dans 38 langues. Pas moins de 75 langues nationales (y compris celles des minorités nationales) figurent dans les programmes des écoles secondaires. La Russie compte au total 9000 écoles de ce type. En guise d’exemple, l’ukrainien est enseigné en tant que discipline scolaire dans trois écoles de Bachkirie, une école de Saint-Pétersbourg et une de Vorkuta. L’ukrainien est enseigné à Krasnodar, Mourmansk, Novy Ourengoy, Penza et Tomsk.
Un système d’enseignement ethnique et culturel est en cours d’élaboration dans de nombreuses régions, mais il est essentiellement établi dans le cadre du système d’enseignement d’État. Ainsi, 47 établissements d’enseignement ethnique fonctionnent aujourd’hui à Moscou; il s’agit d’établissements préscolaires, de complexes scolaires, d’écoles secondaires générales, d’écoles du dimanche pour enfants et adultes (non obligatoires), de lycées, de collèges, etc. Dans toute la Fédération, les langues autres que le russe — estimées par le gouvernement fédéral à 79 — sont enseignées dans environ 3300 écoles. Quelque 9000 autres écoles fréquentées par 1,6 million d'élèves enseignent les langues maternelles comme «seconde langue».
Selon le Rapport de la fédération de Russie sur la mise en oeuvre des dispositions de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (8 mars 2000), le Comité moscovite pour l’éducation a ouvert 15 écoles secondaires à composante éducative ethno-culturelle (nationale) – à l’intention des Azerbaïdjanais, des Arméniens, des Juifs, des Coréens, des Lettons et des Tatars – ainsi que plusieurs écoles «culturologistes» russes; sept complexes d’enseignement et d’éducation (CEE) dans lesquels sont étudiées les cultures arménienne, géorgienne et juive; des CEE «culturologistes» russes et des CEE multinationaux auxquels collaborent 17 associations nationales; des écoles maternelles où sont étudiées les cultures russe, juive, allemande et tatare; 10 centres culturels et éducatifs (notamment azerbaïdjanais, arménien, daghestanais, polonais, russe, tatar, ukrainien et tsigane), ainsi que quatre lycées professionnels. Toutes les institutions éducatives sont publiques et financées par le budget de l’État russe. La fédération de Russie ne dispose d’aucune législation spécifique régissant les activités des établissements privés d’enseignement créés et gérés par des personnes appartenant à des minorités nationales.
- Les problèmes
Cela dit, il n'en demeure pas moins que la situation reste insatisfaisante. Selon une étude du Conseil de l'Europe, c'est habituellement le russe qui sert de langue d'enseignement dans les écoles des républiques de Carélie, des Komi, des Mari-El, de Mordovie et d'Oudmourtie, ainsi que districts autonomes komi-permiak, khanti-mansi, iamalo-nenets, des Nenets et du Taïmir (dolgano-nenets). Les langues nationales sont enseignées seulement pendant un petit nombre d'heures par semaine, principalement aux plus jeunes élèves des écoles rurales.
Un certain nombre de langues des peuples autochtones de Russie centrale et septentrionale et de Sibérie ne sont pas devenues des langues de cultures modernes, car la mise en place d'écoles pour ces minorités ethniques et l'enseignement dans les langues autochtones exige au préalable la production de matériel pédagogique et didactique dans ces langues, ce qui n'a pas été fait. De plus, des efforts semblent nécessaires pour assister la formation des enseignants.
Le problème, c'est que le soutien financier ne suit à peu près jamais, et que les politiques linguistiques sont souvent réduites à néant, sans compter le manque chronique de manuels dans ces langues; dans un grand nombre de cas, les manuels existants ont été produits au cours des années trente.
Les nouvelles lois linguistiques de la fédération de Russie n'ont pas fait leurs preuves, car un nombre considérable de locuteurs des langues nationales (républiques, oblasts et autres districts autonomes), notamment chez les jeunes, ne maîtrise pas la langue de leur nationalité. Par exemple, le recensement de 1989 dénombrait 22 500 personne de l'ethnie des Khants; or, seulement 67 % considéraient le khanti comme leur langue maternelle; le même recensement faisait état de 8500 Mansi, dont 37 % utilisant le mansi comme langue maternelle. Cette situation est quasi généralisée pour tous les peuples autochtones de Russie.
Il faut préciser que la plupart des écoles «ethniques» ne sont pas obligatoires. Or, elle devraient être des lieux d'enseignement — obligatoire — où les cours seraient dispensés dans la langue maternelle des élèves, avec du matériel d'enseignement dans cette même langue. À l'heure actuelle, beaucoup de parents préfèrent envoyer leurs enfants dans les écoles russes.
L'enseignement dans les langues nationales et son développement semblent réalisables si les conditions fondamentales étaient remplies:
(1) rédiger du matériel didactique en ces langues, grâce à l'aide de l'État;
(2) former des enseignants parmi les locuteurs de ces langues;
(3) améliorer le statut des langues minoritaires et des cours donnés dans ces dernières par des lois scolaires efficaces.
- L'enseignement supérieur
Dans les établissements d’enseignement supérieur des sujets de la fédération de Russie, il existe, dans le domaine des Lettres, des départements ou sections de formation des professeurs de langues et d’histoire nationales. Par exemple, l’Université d’État de Bouriatie dispose d’une section de langue évenki, l’Université d’Orenbourg d’une section de kazakh, etc. Les autonomies culturelles nationales, qu’elles soient fédérales ou régionales, travaillent à des programmes visant à préserver et à poursuivre le développement des langues et des cultures; ils préparent aussi l’élaboration de manuels qui étudieraient notamment le pays d’origine, par exemple, des manuels de langue et d’histoire ukrainiennes pour les Ukrainiens domiciliés en Russie. Malheureusement, les problèmes de financement entraveraient sérieusement la pleine réalisation de ces objectifs.
De façon générale, le russe reste massivement la langue d'enseignement dans toutes les universités du pays. Dans les républiques, des cours se donnent également dans la langue titulaire, mais le russe demeure la langue de prestige. Il n'est pas possible d'obtenir un diplôme universitaire sans une connaissance minimale du russe.
- Les enseignants
Quant à la formation des enseignants, elle semble exclure toute discrimination fondée sur la nationalité. Il est même possible que la langue, l’histoire et la culture d’un groupe ethnique donné soient enseignées par un professeur issu d’un autre groupe ethnique. Ce principe s’appliquerait à l’enseignement du russe comme à celui des langues des peuples de Russie.
Selon le gouvernement russe, une attention particulière est accordée aux problèmes de formation des peuples numériquement peu importants du Nord, dans le respect de leur mode de vie spécifique. Ainsi, le ministère de l’Éducation russe a élaboré en 1998 une réforme du système d’enseignement préscolaire et du système d’enseignement secondaire général et de la formation de personnel parmi les peuples autochtones du Nord. Un Académie polaire d’État a été créée à Saint-Pétersbourg afin de former les peuples autochtones numériquement peu importants du Nord.
La question des médias n'est pas en reste dans la fédération de Russie, d'autant plus que ces derniers ont probablement fait évoluer dans un sens positif les problèmes posés par la politique russe en matière de nationalités. En effet, de nouveaux programmes ont été élaborés et consacrés à la culture des peuples vivant en Russie, de même qu'un espace d’information générale pour la communication interethnique.
L’article 29 de la Constitution de la fédération de Russie garantit à chacun la «liberté de pensée et de parole », «le droit de rechercher, d’obtenir, de transmettre, de produire et de diffuser librement des informations par tout moyen légal», et la liberté des médias:
Article
29
1) À chacun est garanti la liberté de pensée et de parole. 2) Est interdite la propagande ou l'agitation incitant à la haine et à l'hostilité sociale, raciale, nationale ou religieuse. Est interdite la propagande relative à la supériorité sociale, raciale, nationale, religieuse ou linguistique. 3) Nul ne peut être contraint d'exprimer ses opinions et convictions ou de les renier. 4) Chacun a le droit de rechercher, d'obtenir, de transmettre, de produire et de diffuser librement des informations par tout moyen légal. La liste des informations constituant un secret d'État est fixée par la loi fédérale. 5) La liberté de l'information de masse est garantie. La censure est interdite. |
Ces principes sont précisés dans la Loi sur les médias, la Loi sur l’autonomie culturelle nationale, ainsi que dans d’autres actes normatifs. Quant à la Loi sur les médias, elle ne contient aucune restriction sur la langue à utiliser par les médias, mais interdit l’utilisation des médias à des fins d’incitation à l’intolérance et à la haine nationales et religieuses. L'article 20 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie prévoit la reconnaissance des langues des minorités nationales :
Article 20 La langue des médias 2) Dans les médias des républiques
constituant la fédération de Russie, la langue russe, les langues officielles des
républiques constituant la fédération de Russie, ainsi que d'autres langues des peuples
résidant sur leur territoire sont utilisées. |
Présentement, on estime que plus de 400 journaux et magazines sont publiés dans les différentes régions de la fédération de Russie, le tout en une soixantaine de langues des peuples de Russie (dont le russe, bien sûr). Par exemple, les documents d’information imprimés à Moscou sont diffusés, en plus du russe, en neuf langues (arménien, géorgien, yiddish, kurde, allemand, tatar, ukrainien, tsigane, tchétchène). Dans le kraï de Krasnodar, ils le sont en six langues (adyguéen, arménien, grec, géorgien, kurde, allemand). Dans l’oblast d’Orenbourg, en quatre langues (bachkir, kazakh, allemand, tatar); dans l’oblast d’Astrakhan, en trois langues (kazakh, allemand, tatar); dans l’oblast de Samara, en trois langues (polonais, tatar, tchouvache); dans l’oblast d’Oulianovsk, en trois langues (allemand, tatar, tchouvache); dans l’oblast de Tcheliabinsk, en trois langues (bachkir, tatar, ukrainien); dans l’oblast de Sakhaline, en deux langues (coréen et nivkhe).
En Russie, les émissions de radio sont diffusées en 43 langues, alors que les programmes télévisés le sont en 33 langues nationales. Toutes les sociétés de radiotélévision des républiques, ainsi que de nombreuses sociétés régionales de radiotélévision, diffusent leurs émissions non seulement en russe, mais aussi dans les langues nationales locales. Par exemple, la société de radiotélévision d’État SRTE Daghestan diffuse ses programmes en avar, azerbaïdjanais, darguine, lack, lesguien, nogaï, tabassaran, tats et tchétchène; la SRTE Bachkortostan émet en bachkir, mari, tatar, oudmourte et tchouvache; la SRTE Orenbourg en bachkir, biélorusse, kazakh, mordve, allemand, tatar et ukrainien; la SRTE Évenk Heglen en kets, évenki et iakoute.
Ces faits présentés par le gouvernement russe ne doivent pas masquer les pratiques réelles en matière de langues. Les périodiques publiés en russe comptaient pour 94 % de la production totale en 1994: quelque 2166 titres russes sur un total de 2307. Quant aux journaux, 93 % d'entre eux étaient publiés en russe: 4197 sur un total de 4526.
Les lecteurs et auditeurs des journaux, radios et télévisions en langues des nationalités appartiennent essentiellement aux milieux ruraux et sont d'âge moyen et avancé, une situation qui tend à se perpétuer. En général, les consommateurs de médias en langue russe sont de trois à dix fois plus nombreux que ceux des nationalités. L'analyse de l'utilisation des langues par toutes les radios publiques et privées, montre un déséquilibre évident. Dans certaines entités comme les républiques, on peut compter en général une heure d'émission en langues nationales pour plus de quarante en russe! Cette situation s'expliquerait par le fait que les gens ont l'habitude d'employer une langue en fonction du contenu. Par exemple, certains sujets ne sont traité qu'en russe (social, politique, économie, etc.), l'industrie du doublage des films est peu développé en Russie, les budgets en langues nationales sont plus limités, etc. Ces facteurs ont pour effet de réduire l'importance des médias dans les langues des nationalités.
La politique décrite dans cet article
correspond à celle présentée dans le rapport gouvernemental intitulé
Rapport de la fédération de Russie sur la mise en œuvre des dispositions de
la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (8 mars
2000). Sur papier, cette politique semble irréprochable. Le problème, c'est
que, selon L'UNESCO, 80% des quelque 110 langues pour 176 nationalités sont
«potentiellement en danger» en Russie. La plupart des langues des peuples
autochtones de la Russie centrale et septentrionale et de la Sibérie ne sont
pas devenues des langues de cultures modernes, car la mise en place d'écoles
pour ces minorités ethniques et l'enseignement dans les langues autochtones
exigerait au préalable la production de matériel pédagogique et didactique
dans ces langues, ce qui n'a pas été fait.
Dans les faits, la politique linguistique de la fédération de Russie ne peut
empêcher de nombreuses petites langues d'être sérieusement menacées. Par
exemple, en Sibérie, presque toutes les langues locales, soit une
quarantaine, sont en voie de disparition, car il n'est pas facile pour les
autorités de la Fédération de faire appliquer les lois fédérales dans les
républiques. Malgré les prescriptions constitutionnelles et les lois
fédérales, la république du Daghestan, pour ne prendre que cet exemple, ne
fournit une instruction qu'en russe et en six langues différentes (alors
qu'il existe une douzaine de langues officielles et une trentaine de langues
nationales). Le cas du Daghestan n'est pas unique. Il est vrai que, grâce à
leur isolement géographique, la plupart des «peuples titulaires» — Adigués,
Altaï, Bachkirs, Bouriates, Caréliens, Darguines, Khakasses, etc. — ont
réussi à protéger pendant longtemps leur langue nationale, mais les
statistiques révèlent que les locuteurs de ces langues, ou du moins les
peuples qui les emploient comme leur langue maternelle, représentent un
pourcentage de plus en plus faible de la population. L'abandon des langues
locales semble être plus rapide chez les citadins et chez les jeunes.
Les peuples
ouraliens sont particulièrement
touchés, même lorsqu'ils bénéficient d'une république autonome, tels que les
Caréliens, les Mordves, les Mari, les Komi et les Oudmourtes; ou lorsqu'ils
jouissent de leurs propres districts autonomes (Khant, Mansi, Komi-Permiak
et Nenets ). Quoi qu'il en soit, ces communautés, sauf pour les
Komi-Permiak, restent minoritaires dans ces régions. Quant aux autres petits
peuples, ceux appelés «peuples autochtones numériquement peu importants»,
ils sont considérés comme «potentiellement en danger» par l'UNESCO ou «en
danger», sinon sur la voie de l'extinction pure et simple.
Dans la vie quotidienne, la plupart des 21 républiques — ainsi que les districts, les kraïs, les oblasts — éprouvent des difficultés à transposer dans la réalité leur propre langue nationale officielle (titulaire), tant la force du russe est considérable. Il faut préciser que les langues des peuples non russes doivent faire face à des décennies d'assimilation linguistique commencée au moment de l'ère stalinienne. Certains peuples de la fédération de Russie sont même menacés physiquement : c’est le cas des Tchétchènes alors que l’usage de la torture par les forces armées russes est systématique et se poursuit encore. Comme le démontre le rapport préparé par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) en 2002: «Les forces fédérales considèrent le recours à la torture comme un moyen inévitable et même souhaitable d'intervention dans le conflit tchétchène.» Le rapport énumérait de nombreuses violations flagrantes et massives des droits de l'homme à l'égard de populations civiles: tortures et traitements cruels, arrestations arbitraires et illégales, interrogatoires forcés, enfermement dans des lieux de détention illégaux, disparitions et meurtres. Tous ces sévices ont des conséquences sur les langues plus faibles parce qu'ils font disparaître les locuteurs ou les contraignent certainement à ne plus employer leur langue.
Dans ce grand pays qu'est la fédération de Russie, il existe aussi des langues et des cultures relevant des peuples autochtones qui vivent de la pêche de la chasse ou de l'élevage de rennes, et qui sont étroitement liés à leur milieu traditionnel. Or, la pollution massive de l'environnement menace presque tous ces peuples (une soixantaine), ainsi que leurs moyens de subsistance traditionnels, sans oublier l'exploitation intensive et brutale des ressources naturelles des régions septentrionales, l'installation de champs de pétrole et de gaz, l'installation de grands complexes industriels et d'autres initiatives néfastes pour l'environnement. Ces événements entraînent aussi une lente liquidation des langues parlées parfois depuis plusieurs siècles.
Or, la législation russe ne peut résoudre tous ces problèmes concernant les minorités. Les nouvelles lois linguistiques fédérales n'ont pas fait leurs preuves, car des dizaines de milliers de locuteurs de ces langues dans les républiques, les oblasts, les districts ou les kraïs, notamment chez les jeunes, ne maîtrisent plus la langue de leur nationalité. Plus précisément, les lois de protection de la Fédération n'ont pas réussi à renverser la vapeur et il est probable que ce ne soit pas possible pour la majorité des langues nationales. La loi ne peut surtout pas empêcher l’assimilation des petites communautés dont les membres abandonnent volontairement leur langue, bien que les lois linguistiques promulguées dans plusieurs républiques soutiennent le maintien de ces langues et reconnaissent leur égalité avec le russe. Toutefois, ces lois ne prévoient pas les moyens socio-économiques nécessaires à l'application de dispositions efficaces. C'est pourquoi la survie des nombreuses petites langues est loin d'être gagnée, au contraire!
Il faut mentionner qu'aucune loi ne peut supprimer les inconvénients liés à la dispersion des petits peuples répartis sur d'immenses territoires, dont ils ne contrôlent ni les centres de décision politique et administrative, ni les pouvoirs économiques, ni l'éducation et encore moins les médias, alors que tout se déroule dans une langue dominante, en l'occurrence le russe autrement plus puissant. De toute façon, aucun État, pas plus la Russie, n'a intérêt ni la possibilité de faire fonctionner un pays avec une centaine de langues. Par voie de conséquence, ce sont les petites langues qui vont en payer le prix parce que leurs locuteurs choisissent, bien souvent, leur propre liquidation dans la mesure où leurs langues ne leur assurent pas la prospérité dont auraient besoin.
Par ailleurs, c'est un secret de polichinelle qu'en Russie le président Poutine estime que la langue russe agit comme une force unificatrice et qu'elle maintient «un espace de civilisation unique» sur le territoire de l'ex-Union soviétique. Encore aujourd'hui, les autorités de la Fédération emploient le russe comme «langue de communication interethnique». Moscou envisage des mesures utiles visant à soutenir et à préserver le statut de la langue russe non seulement en Russie, mais à l'extérieur de ce grand pays. Dans ces conditions, la préservation des petites langues ne pèse pas lourd dans ce grand projet expansionniste.
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Loi sur l'autonomie
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