Les États à majorité fragile ou vulnérable
 

Des États fragiles

Dans ce chapitre sur les majorités fragiles, il s'agit de majorités linguistiques disposant d'un État qu'elles contrôlent en principe, cet État pouvant être souverain (p. ex., la Biélorussie et le Botswana) ou non souverain (p. ex., le Panjab ou le Québec). Cependant, il existe des majorités qui, bien qu'elles contrôlent un État (souverain ou non) et soient manifestement prédominantes aux plans démographique et linguistique, voient leurs prérogatives limitées ou affaiblies, voire supprimées, parce qu'elles composent avec une langue concurrente étrangère venant d'un autre État ou employée par une minorité à l'intérieur de l'État, de sorte qu'elle s'impose partout et peut même finir par être désirée dans un processus de transfert linguistique.

Définition de «majorité»

On entend généralement par le terme «majorité» un groupe prédominant aux plans démographique, linguistique, socioculturel, etc., qui exerce normalement le contrôle sur ses institutions et sa destinée.
 
Dans tous les cas, on peut parler de «dominance linguistique ambiguë», car ces communautés sont, dans les faits, à la fois majoritaires et minoritaires; elles sont vulnérables sans être nécessairement menacées d'extinction dans un avenir proche, mais elles doivent composer avec une autre langue plus forte qui freine leur propre expansion. Étant donné que les langues en concurrence sont des vases communicants, la langue la plus faible risque de régresser au profit de l'autre.   

Si des majorités disposant d'un État peuvent être fragilisées, on peut extrapoler que les minorités ne contrôlant aucun État sont encore beaucoup plus vulnérables. 

Les majorités locales

Outre la question démographique, deux forces convergentes peuvent entraîner la régression d'une langue majoritaire locale par rapport à une majorité nationale (opposée à locale ou régionale): d’une part, l’attraction d'une langue nationale plus forte (tel l'anglais au Canada), qui se manifeste par les avantages économiques, politiques et culturels qu'en retire cette majorité; d’autre part, le désir d'une majorité locale (tel le français au Québec) d'avoir préséance sur la langue nationale et de ne pas se faire envahir par celle-ci. Cependant, les lois nationales et la pression sociale peuvent faire en sorte que, dans un État non souverain, les fonctions de communication dans l'enseignement, le travail, les loisirs, l'information, etc., peuvent s'étioler et régresser devant la langue nationale. Plus ces fonctions s’orienteront vers la langue nationale majoritaire, plus la régression de la langue locale sera rapide. Les États non souverains sont d'autant plus vulnérables que leur majorité locale est toujours confrontée à la majorité nationale qui considère cette pseudo-majorité comme une simple minorité qui ne saurait restreindre leur langue nationale. En ce sens, le bilinguisme officiel est, sauf exception et à des degrés divers, une obligation, ce qui fragilise forcément la langue locale.

La protection de l'insularité

Dans les articles qui suivent, les majorités linguistiques résidant dans des territoires insulaires (Islande, Féroé, Dominique, Aruba, Samoa, Polynésie française, Porto Rico, etc.) ont été exclus, car l'insularité des petites nations assure généralement une protection relativement efficace à la condition que la concurrence vienne de l'extérieur (langue étrangère) et non de l'intérieur même du territoire, ce qui n'interdit pas la possibilité d'un système diglossique, donc de répartition fonctionnelle des langues.

La liste des États choisis :

1. La langue majoritaire des États souverains fragilisée Biélorussie
Kazakhstan
Kirghizistan
Moldavie
Danemark
 
2. La langue majoritaire supplantée par une langue coloniale Guinée-Bissau
Singapour
Mauritanie
Botswana
Paraguay
Guyana
Taïwan
Rwanda
 
3. Le bilinguisme obligatoire des États non souverains Frise (Pays-Bas)
Tibet (Chine)
Régions anglophones
(Cameroun)
Hong Kong (Chine)
Cap-Occidental
(Afrique du Sud)
Bolzano (Italie)
Galice
(Espagne)
Québec (Canada)
 

4. Bibliographie
 
   

Pouvoir, richesse et mimétisme

Ces États à majorité fragile démontrent hors de tout doute que la langue n'est pas seulement un instrument de communication, mais aussi un signe extérieur de richesse et de pouvoir. Cependant, certains États souverains croient adhérer aux richesses d'un État fort en s'appropriant sa langue: cela a pour nom le «mimétisme de la puissance». Les élites d'un État faible croient acquérir plus de pouvoir et plus de richesse en employant sur leur territoire une langue forte qui concurrencera leur propre langue. Toutefois, ce bienfait apparent d'une langue puissante concurrençant sa propre langue aura un effet destructeur à long terme, parce que les usagers risquent de verser dans la diglossie, la répartition fonctionnelle des langues, et à la rigueur vouloir à plus long terme changer de langue. C’est l’éternel dilemme de Jean de La Fontaine dans la fable Le Pot de terre et le Pot de fer! C'est la langue la plus forte qui remportera la mise.

De la même façon, le choix du tout-anglais se révèle un mythe dans la mesure où cette langue reflète la mainmise d'une élite qui décide du sort d'une langue en fonction de ses propres intérêts, car c'est elle seule qui en tirera des profits. Or, la lutte contre l’inégalité des langues suppose la diversité culturelle et le multilinguisme dans les échanges commerciaux et culturels: c'est d'ailleurs la position des Nations unies et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OLF), qui entendent valoriser les « langues partenaires ». La cohabitation linguistique est possible, mais dans le respect de la langue des peuples, non en l'affaiblissant par la concurrence. 

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