Isla de Pascua

Île de Pâques

Territoire spécial du Chili



 

Capitale: Hanga Roa
Population: 7750 habitants (2015)
Langue officielle: espagnol 
Groupe majoritaire: espagnol (env. 80 %)
Groupes minoritaires: rapanui (env. 20 %)
Système politique: territoire spécial du département de Valparaíso
Articles constitutionnels (langue): aucune disposition linguistique dans la Constitution chilienne de 1980 (modifiée en 2010)
Lois générales à portée linguistique: Loi nº 17.439 prévoyant que les représentations artistiques exécutées en direct reflètent 85 % des artistes qui doivent s'exprimer en espagnol et être au moins chiliens (1980); Loi nº 19.253 sur la protection, la promotion et le développement indigène (1993); Loi nº 19.968 créant les tribunaux de la famille (2004); Loi nº 19.947 définissant la nouvelle loi sur le mariage civil (2004); Décret nº 11 adoptant la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO (2009);  Décret nº 222 approuvant le règlement d'application du système de classification, de qualité et de sécurité des fournisseurs de services touristiques (2011).
Lois concernant l'île de Pâques:
Loi nº 16.411 créant le département de l'Île-de-Pâques (1966); Statut spécial pour le gouvernement et l'administration du territoire de l'île de Pâques (non adopté).
Lois scolaires:
Loi organique constitutionnelle sur l'enseignement (1990); Décret nº 280 modifiant le décret nº 40 de 1996, établissant les objectifs fondamentaux et les contenus minimums obligatoires de l'enseignement fondamental et fixant les règles générales pour son application  (2009);  Index du décret nº 280: Objectifs fondamentaux et contenus obligatoires minimums de l'enseignement fondamental et moyen (2009).   

1 Situation générale

Pâques (ou Rapa Nui ; en espagnol: Isla de Pascua ; en anglais: Easter Island) est une petite île de forme triangulaire d'une superficie de 162,5 km², et fait 23 km de long sur 12 km de large, ce qui correspond à la superficie de la principauté du Liechtenstein (soit 160 km²). À titre de comparaison, l'île de Montréal (Québec, Canada) se déploie sur 500 km², la ville de Paris, sur 105 km². Bien que faisant partie géographiquement de la Polynésie, l'île est administrée par le Chili dont elle est éloignée par 3700 km d'océan. L'île de Pâques est située à 4000 km de Tahiti (Polynésie française) et à 8000 km au sud-est d'Hawaï. L’île habitée la plus proche est Pitcairn à plus de 2000 km à l’ouest.

L'île de Pâques constituait un département (''Departemento'') de la région de Valparaíso, l'une des 13 régions administratives du Chili; au 25 juillet 1974, le département a été transformé en «Provincia de Isla de Pascua».

Un gouverneur d'origine insulaire représente le gouvernement chilien et un conseil municipal formé de six personnes s'occupent des affaires locales de l'île. Le chef-lieu est Hanga Roa au sud-ouest de l'île de Pâques.  L'île de Pâques n'est pas un État, mais un territoire en voie d'obtenir un «statut spécial» de la part du Chili, afin de bénéficier d'une plus grande autonomie administrative.

Le drapeau de l'île de Pâques représente un rei miro, un pendentif en forme de croissant, qui était réservé à l'aristocratie de l'île; ce pendentif est en forme de lune ayant deux trous de fixation avec, aux extrémités, deux visages humains s’observant. Il se veut un symbole d’autorité, de parenté et de tradition.

- Des territoires spéciaux

Le Chili disposent de deux «territoires spéciaux»: l'île de Pâques et l'archipel Juan Fernández. Alors que l’île de Pâques est située à 3750 km du Chili continental, l’archipel Juan Fernández est à 670 km. Ces territoires spéciaux sont régis par l'article 126 bis de la Constitution chilienne. En réalité, le paragraphe 1 a été incorporé par la Loi sur la réforme constitutionnelle n° 20.193 de 2007. Alors que, plus tard, un paragraphe 2 a été ajouté, par la Loi sur la réforme constitutionnelle n° 20.573 de 2007.2012, qui a habilité le législateur (avec un quorum qualifié) à établir des restrictions à l'exercice des droits de résidence, de séjour et de déplacement dans lesdits territoires spéciaux  

Article unique

Les modifications suivantes sont apportées à la Constitution politique de la République:

1) Ajouté au chapitre XIV après l'article 126, le nouveau paragraphe suivant :

Dispositions particulières

Article 126 bis

1) Les territoires spéciaux sont ceux qui correspondent à l’île de Pâques et à l’archipel Juan Fernández. Le gouvernement et l’administration de ces territoires sont régis par les statuts spéciaux établis par les lois organiques constitutionnelles respectives.

2) La disposition transitoire suivante est ajoutée:

Vingt-deuxième.- Jusqu’à l’entrée en vigueur des statuts spéciaux visés à l’article 126 bis, les territoires spéciaux de l’île de Pâques et de l’archipel Juan Fernández continueront d’être régis par les règles communes de division
politico-administrative et de gouvernement et de l’administration intérieure de l’État.

Et dans la mesure où j'ai jugé bon de l’approuver et de la sanctionner; par conséquent, il est promulgué, mis en vigueur en tant que loi de la République et ses dispositions sont considérées comme incorporées dans la Constitution politique de la République, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article 129 de cet organisme constitutionnel.
___
Santiago, le 27 juin 2007.
- MICHELLE BACHELET JERIA, présidente de la République.
- Belisario Velasco Baraona, Ministre de l'Intérieur.

Le gouvernement et l'administration de ces territoires doivent être régis par les statuts spéciaux établis par des lois organiques constitutionnelles respectives. L'emploi du mot "especiale" («spécial»), tant dans le titre de l'épigraphe que dans l'article, désigne des dispositions particulières, des territoires particuliers et des statuts particuliers. Par conséquent, ils sont spéciaux par rapport au régime juridique du gouvernement et de l'administration Interne de l'État qui régit la généralité du territoire national; ils sont particuliers, dans le sens où ils sont exceptionnels, puisque leur création correspond exclusivement et exclusivement à l'Assemblée constituante (et non au Législateur ou au président de la République. Le statut particulier d'un «Territoire spécial» doit être fixé par une loi organique constitutionnelle, mais ces statuts ne doivent pas nécessairement être les mêmes, mais ils peuvent plutôt être différents, en fonction des singularités de chaque territoire spécial.

- Les appellations

Le nom actuel de «île de Pâques» a été donné par l'explorateur hollandais Jakob Roggeveen qui y accosta le dimanche de Pâques 1722 et l’appela «île de Pâques». L'île est aujourd'hui célèbre pour ses statues monumentales, les moaïs (prononcer [mô-ay]). On dénombre actuellement quelque 300 sculptures restaurées ou en voie de l'être, sur un total de plus de 880. Ces statues sont sculptées dans la roche volcanique ou pierre ponce; il existe quelque 70 volcans sur l'île, tous éteints.

L'archipel Juan Fernández est un archipel du Chili situé à environ 675 kilomètres au large des côtes sud-américaines, dans l'est de l'océan Pacifique-Sud. Vide d'habitants, l'archipel fut découvert le 22 novembre 1574 par le navigateur espagnol Juan Fernández lors d'un voyage entre le Pérou et Valparaíso. L'archipel Juan Fernández (633 habitants) est composé des îles Robinson Crusoé, Santa Clara et Alejandro Selkirk. L'île Robinson Crusoé est connue pour avoir hébergé le navigateur Alexandre Selkirk durant quatre ans et quatre mois, ce qui inspira Daniel Defoe à créer le personnage de Robinson Crusoé.

2 Données démolinguistiques

Sur une population de 4413 habitants en 2005, les autochtones rapanui ne représentaient que 60 % des habitants, les autres étant d'origine chilienne ou européenne, notamment des militaires, des fonctionnaires, des scientifiques et des résidents temporaires. Tous les habitants résidant dans l'île de façon permanente sont des Pascuans, mais les Rapanui sont les autochtones ou la population indigène. Or, en 1988, la population insulaire était de 1938 personnes; cette augmentation soudaine de près de 50 % est due à l'immigration extérieure (chilienne) et elle a eu pour effet de modifier considérablement la composition ethnique de la population d'origine. Il faut considérer que la plupart des autochtones sont déjà amplement métissés, résultat des mariages mixtes entre Polynésiens et Chiliens. Il ne reste que quelques dizaines de Pascuans «authentiquement de souche». Par ailleurs, beaucoup de Pascuans ont émigré au Chili; lors du recensement de 2002, on dénombrait 2269 Rapa Nui qui vivaient à l'extérieur de l’île, généralement au Chili, mais aussi en Polynésie française et aux États-Unis.  

En 2011, sur les 4000 résidents permanents que comptait l’île de Pâques, seuls 1500 étaient des Rapanui, soit 37,5 %. Tous les autres sont des militaires, des policiers et des fonctionnaires chiliens. Plus de 90 % des terres sont des terrains militaires ou des propriétés de l’État chilien. Ces terres avaient été en réalité annexées par décret au début de la colonisation et militarisées par le dictateur Pinochet.

Aujourd’hui, les Pascuans sont concentrés dans les villages de Hanga Roa, Mataveri et Moeroa au sud-ouest. Étant donné que ces villages se sont développés les uns près des autres, ils sont considérés comme faisant partie d'une seule et même agglomération. Par contre, jusqu'au milieu du XIXe siècle, on comptait six agglomérations: Anakena, Tongariki, Vaihu, Vinapu, Matavei et Hanga Roa. Il semble que, à son apogée, soit entre le XVIe et le XVIIe siècle, l'île de Pâques aurait abrité plus de 10 000 habitants, voire 15 000. Mais, à la suite de pénuries alimentaires et de guerres fratricides entre les chefs qui se sont succédé, le nombre d’habitants se serait réduit à moins de 3000 habitants avant l’arrivée des Européens. En 1872, on ne comptait plus que 111 Pascuans sur l'île. 

Environ 50 % des insulaires actuels parlent le rapanui, les autres parlant l'espagnol et se sont linguistiquement assimilés. Le rapanui est une langue austronésienne appartenant au groupe polynésien. De lointaine souche maorie, les Pascuans ont des racines communes avec les peuples de certaines îles du Pacifique-Sud, notamment avec les Polynésiens des îles Marquises ainsi que des îles de Mangavera. Tous les insulaires parlent l'espagnol, soit comme langue maternelle soit comme langue seconde. Les autochtones sont bilingues en recourant à l'espagnol pour la vie publique et au rapanui pour la vie familiale. Les ressortissants chiliens ne parlent que l'espagnol.

Le rapanui est considéré par certains comme une langue en voie de disparition, les familles de pure souche maorie devenant de plus en plus rares et les enfants préfèrent apprendre l'espagnol. Cependant, les jeunes semblent avoir recommencé récemment à apprendre leur langue ancestrale, bien qu'ils intègrent davantage des mots des langues tahitienne et 'espagnole. C'est néanmoins un signe de la vitalité de la langue. Étant donné l'importance acquise par les activités touristiques depuis les dernières décennies, de nombreux Pascuans ont appris des langues étrangères, surtout l'anglais, mais aussi le français, le tahitien ou l'allemand.

On croit aujourd'hui que les Pascuans disposaient d'une écriture unique, le rongo-rongo. Il s'agirait une écriture ancienne dont la structure serait similaire à une vieille écriture asiatique de la dynastie des Zhou (1050-600 avant notre ère), mais il ne s'agit là que d'une hypothèse résultant de similitudes. Cette écriture est formée par des caractères géométriques, anthropomorphiques et zoomorphiques, disposés en lignes régulières. L'écriture rongo-rongo était enseignée dans des écoles initiatiques fréquentées par les jeunes gens les plus doués.

On a perdu le secret de cette écriture, mais des linguistes y travaillent depuis plusieurs années. Les autochtones de l'île de Pâques ne croient pas que les tablettes découvertes se lisaient à la manière d'un alphabet, mais plutôt de façon sémantique (timo te ako-ako: «la grande récitation des signes»). Les scientifiques ignorent toujours s’il s’agit d’un alphabet, d’idéogrammes ou de hiéroglyphes. Par ailleurs, les quelque 25 tablettes portant une écriture, qui ont été conservées aujourd'hui, apparaissent comme étant postérieures aux premiers contacts avec les Européens. La plupart des spécialistes croient que l'invention du rongo-rongo a été inspirée par un ou deux événements traumatisants pour les Pascuans: en 1770, lors du séjour des Espagnols et le traité d'annexion, ou en 1862-1863, lors des razzias esclavagistes péruviennes.

Depuis quelques années, les Pascuans (4413 habitants) tentent bien de retrouver leurs origines culturelles, mais la présence des 45 % de Chiliens au sein de la population locale et l'arrivée des quelques vols hebdomadaires en provenance de Santiago (Chili) et de Tahiti (Papeete), qui amènent de nombreux visiteurs (environ 46 000 annuellement) attirés par les fameuses statues, attisent les tensions entre les autochtones et les continentaux. Certains investisseurs voudraient convertir l'île en tourisme et masse et construire de luxueux hôtels, un golf, etc. Pour toute sortes de raisons, les Pascuans ne se sentent que «modérément» chiliens.

Les locuteurs du rapanui utilisent aujourd'hui un alphabet particulier, l'alphabet rapanui ("alfabeto Rapanui") comprenant 14 lettres. Cet alphabet est sous la supervision de l'Académie de la langue rapanui (Academia de la lengua rapa nui)..

3 Données historiques

L'île de Pâques aurait été découverte par des Polynésiens qui, partis sur des catamarans des îles Marquises, voulurent échapper à des guerres ou à une catastrophe naturelle. De façon plus précise, les archéologues croient que les points de départ de la colonisation de l'île de Pâques semblent plutôt avoir été les îles de Mangavera, Pitcairn et Henderson, lesquelles sont situées à mi-chemin entre les îles Marquises et l'île de Pâques.

De fait, il existe de nombreuses similarités avec les îles de Mangavera et l'île de Pâques, que ce soit les similitudes entre le mangaravien ancien et le paranui, les statues de Pitcairn et celles de l'île de Pâques, les ressemblances entre les outils utilisés (Mangavera, Pitcairn et Pâques), la correspondance entre des crânes retrouvés (Henderson, Pitcairn, Pâques, Mangavera).

Toutes ces similitudes laissent à penser que les îles de Mangavera, Pitcairn et Henderdon servirent de relais pour les Polynésiens des îles Marquises vers l'île de Pâques. Il faut penser qu'une pirogue polynésienne de l'époque pouvait prendre une bonne douzaine de jours pour naviguer de Pitcairn jusqu'à l'île de Pâques. La date du peuplement de l’île est estimée à environ l'an 400 ou 500 de notre ère, mais certains spécialistes ont remis en question cette date. La date de la première occupation de l'île de Pâques, qui paraît la plus fiable, semble être un peu avant 900, et ce, à la suite d'une analyse au radiocarbone sur du charbon de bois et sur des os de marsouins consommés par des humains et prélevés dans des couches archéologiques les plus anciennes.  À l'époque des premiers arrivants, l'île était luxuriante et couverte de grands palmiers. Ces arbres pouvaient fournir un excellent bois pour construire des embarcations (pirogues) afin d'aller pêcher dans les eaux poissonneuses qui entouraient l'île. 

3.1 L'époque de l'érection des statues

Il existe une tradition selon laquelle le chef Hotu Matu'a («le Grand Parent») naviguait à bord de deux pirogues avec sa femmes, ses enfants et sa famille élargie, avant d'arriver à l'île de Pâques. Une trentaine de souverains se sont succédé jusqu’en 1862. Il est probable que les Pascuans soient restés isolés au bout du monde sans aucun contact avec l'extérieur pendant le millier d'années qui sépara l'arrivée de Hotu Matu'a et celle de l'explorateur hollandais Jakob Roggeveen en 1722.

- Le peuple pascuan

Au moment de l'arrivée des Européens, les Pascuans vivaient essentiellement de l'agriculture (patate douce, igname, taro ou Colocasia esculenta, banane et canne à sucre), de la pêche et de l'élevage de leur seul animal domestique, le poulet. La tradition orale, préservée par les insulaires et corroborée par les recherches archéologiques, indiquent que l'île était divisées en une douzaine de territoires, chacun appartenant à un clan ou à une lignée, chacun disposant de son propre chef (roi ou ariki) et de ses plates-formes cérémoniales sur lesquelles étaient érigées les statues. De façon générale, les Pascuans partageaient leur temps entre entre les rituels élaborés et la construction de monuments religieux. Les clans rivalisaient entre eux pour ériger les plus belles statues ou... les plus grosses, mais cette concurrence finira plus tard par se transformer en combats acharnés entre les clans. 

- Les statues

La question qu'on peut se poser, c'est pourquoi les Pascuans ont-ils cru nécessaire d'ériger des statues de pierre géantes (les moaïs) et des plates-formes de pierre (les ahus) sur lesquelles reposaient ces statues? Il y eut des raisons religieuses et politiques. Les prêtres et les chefs de l'île justifiaient leurs privilèges en faisant croire à leur peuple qu'ils communiquaient avec les dieux afin d'assurer la prospérité de l'île. Pour ce faire, ils ont eu besoin d'étayer leur démonstration par la construction de statues (de plus en plus grosses) et de cérémonies destinées à impressionner les insulaires. Les statues géantes étaient l'objet d'une grande vénération de la part des Pascuans. Si ces statues correspondent à de simples monuments pour un Américain, un Français, un Chilien ou un Japonais, il n'en est pas ainsi pour un Pascuan: il s'agit de véritables personnes qui communiquent des messages de façon permanente. Mais les prêtres et les chefs finirent par perdre progressivement leur crédibilité, lorsque la prospérité se transforma en catastrophes successives, à la suite de la déforestation et de l'érosion des sols, prélude à la famine.   

Par ailleurs, les archéologues ont bien remarqué que les moaïs n'avaient pas les traits de visage des Polynésiens, c'est-à-dire avec un nez aquilin, des lèvres fines, un front haut et de la barbe. Le navigateur norvégien Thor Heyerdahl a avancé (en 1955) que les premiers habitants de l'île pouvaient avoir des descendants péruviens, mais cette hypothèse ne recueille guère d'appuis aujourd'hui. La tradition orale de l'île fait état de la présence de deux «castes» distinctes : les «grandes oreilles» (ou «oreilles longues»), c'est-à-dire les bâtisseurs et sculpteurs des statues, et les «petites oreilles» (ou «oreilles courtes»), autrement dit ceux qui étaient réduits en esclavage par les «longues oreilles». La présence de ces deux catégories d'insulaires pourrait s'expliquer par deux phases migratoires distinctes. Ainsi, Jo Anne van Tilburg, de l'Université de la Californie, affirme que l'archéologie, la linguistique et la biologie prouvent à l'évidence que les Polynésiens sont originaires du Sud-Est asiatique (Indonésie). Mais en ce qui a trait à l'origine particulière des Pascuans, la seule certitude semble être leur lien de parenté avec les Polynésiens des îles Marquises (Polynésie française).

Les archéologues ont inventorié 887 moaïs sur l'île de Pâques. Bien qu'il existe des statues sculptées dans d'autres îles de la Polynésie (Pitcairn, Marquises, Australes, Mangareva, Tonga, etc.), celles de l'île de Pâques sont tout à fait uniques. Elles auraient été sculptées entre l'an 1000 ou 1100 et l'an 1600 de notre ère. Toutes les statues ont été taillées dans le tuf, une roche du volcan Rana Raraku situé à la pointe sud-ouest de l'île (voir la carte ci-haut). Dans la carrière creusée dans le flanc du volcan, on trouve encore quelque 200 statues inachevées.

Il fallut transporter ces statues, parfois immenses (entre quatre à huit mètres) et très lourdes (entre 10 à 90 tonnes), à partir des carrières jusqu'au lieu qui leur était destiné, soit une distance qui faisait parfois plus de 10 kilomètres. La construction et l'érection des statues exigeaient une grande quantité de nourriture (suffisante pour 50 à 500 hommes par statue) ainsi qu'une grande quantité de cordes et un nombre important de grands arbres dans lesquelles il était possible de tailler des traîneaux, des rondins, des rails ou des leviers. Soulignons qu'il n'y a jamais eu de bêtes de trait sur l'île avant le XXe siècle. Du fait que les statues aient vu leur taille augmenter avec le temps, on peut croire que progressivement il s'est instauré une rivalité entre les chefs commanditaires des statues, ce qui exigeait toujours plus de bois, de cordes et de nourriture. Les moaïs cessèrent un jour d'être le signe du respect des anciens pour devenir le symbole de la puissance du clan.

- La destruction de l'environnement

On sait que, avant l'arrivée des Polynésiens, l'île de Pâques était constituée d'une forêt subtropicale bien pourvue en grands arbres aux espèces variées, notamment le palmier, le Sophora et le Triumfetta. Ainsi, les Pascuans fabriquaient de la corde avec de l'écorce de hauhau (Triumfetta semitriloba). L'île abritait aussi plus de 25 espèces d'oiseaux de mer et quelques espèces d'oiseaux terrestres. À l'aide de pirogues, les Pascuans pouvaient aussi capturer des marsouins, des phoques, des poissons, des crustacés, etc.

Vers 900, la déforestation était déjà commencée et elle était pratiquement achevée en 1722 lorsque le Hollandais Roggeveen débarqua sur l'île, car celui-ci n'aperçut aucun arbre d'une taille supérieure à 3,5 m. L'explorateur ne comprenait pas comment les Pascuans, «dépourvus de madriers solides», avaient pu ériger de telles statues géantes. Lors de l'expédition de James Cook en 1774, le naturaliste allemand Johann Reinhold Forster écrivit qu'«aucun arbre n’est assez haut pour fournir de l’ombre». De fait, les palmiers avaient disparu aux environs de 1400; le charbon de bois résultant du déboisement n'était plus utilisé après 1440; il fut remplacé comme combustible ligneux par des herbes et des graminées après 1640. La totalité de la forêt disparut, et toutes les espèces d'arbres se sont éteintes, avec comme conséquence le disparition des ressources alimentaires. De plus, l'introduction par accident du petit rat polynésien dans l'île a accentué davantage la disparition des espèces végétales, car le rat s'appropria les moindres recoins du territoire dont il dévora graines et fruits, notamment les noix des palmiers. La disparition de la végétation mit un terme à la construction et au transport des statues, mais aussi à la fabrication des pirogues de haute mer. Il ne resta plus que de petites embarcations faite de roseau, alors que la pêche devint de plus en plus difficile en raison de la disparition du bois de mûrier avec lequel étaient fabriqués les filets; sans pirogues et sans filet, les Pascuans durent cesser de s'alimenter en phoques et en poissons de toutes sortes. Par la suite, la déforestation entraîna l'érosion du sol par la pluie et le vent, ce qui eut comme effet de diminuer dramatiquement l'agriculture, tandis que la plupart des ressources alimentaires sauvages disparurent (noix de palmier, pommes rosées et fruits sauvages), à l'exception du rat.

La très grande vénération qui entourait les moaïs disparut. Ceux-ci furent renversés et réutilisés comme matériaux de construction ou simplement abandonnés, la tête gisant contre le sol.

- Les conséquences dramatiques

Ces actions humaines sur l'environnement eurent des conséquences absolument néfastes: suivirent des famines et une soudaine chute démographique, qui firent sombrer la population, vers 1680, dans les guerres claniques et le cannibalisme. Une étude publiée par le magazine New Scientist de Londres, le 31 juillet 2006, a remis en question ces hypothèses sur les guerres et l'anthropophagie. Mais la tradition orale des Pascuans témoigne des récits hantés par le cannibalisme. Ainsi, la pire injure que l'on pouvait lancer à un ennemi était la suivante: «La chair de ta mère est coincée entre mes dents.» Les clans cessèrent d'ériger des mégalithes pour renverser les statues de leurs rivaux en les brisant. La population fut réduite d'environ 70 %. 

Bref, l'île de Pâques constitue un exemple flagrant d'une société qui aurait contribué à sa propre destruction en surexploitant ses ressources naturelles. Les Pascuans ont exploité leurs ressources comme si les possibilités qu’elles leur offraient étaient illimitées. Évidemment, tout s'est fait très lentement, sans que les individus ne s'en rendent compte. Cette version des événements passés à l'île de Pâques apparaît aujourd'hui comme un sombre avertissement d'un destin possible qui attend la planète entière. «Les parallèles entre l'île de Pâques et le monde entier moderne sont froidement évidentes», écrivait en 2005 le géographe et biologiste de l'évolution, Jared Mason Diamond de l'Université de la Californie (Los Angeles), dans Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed (en traduction française chez Gallimard, 2006 : Effondrement - Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Néanmoins, on n'a pas trouvé de preuves concrètes de l'autodestruction entraînée par les guerres intestines et le cannibalisme des Pascuans, ce qui ne signifie pas que ces faits soient invraisemblables. Nous obtiendrons peut-être des réponses plus sûres au cours des prochaines décennies.

3.2 L'arrivée des Européens

Le 5 avril 1722, le navigateur hollandais Jacob Roggeveen jeta l'encre du navire, l'Arena, près de l'île, le dimanche de Pâques 1722; il l’appela donc Paasch-Eyland («île de Pâques»). Mais Roggeveen n'effectua qu'un très bref passage sur l'île (cinq jours) et écrivit: «Ces figures de pierre nous remplirent d'étonnement, car nous ne pouvions comprendre comment des indigènes sans solides épars et sans cordages furent capables de les dresser.» L'île lui apparut comme constituée d'une terre aride, dénudée, desséchée par le vent qui empêche la végétation de pousser sur un sol fertile.

En 1770, l'expédition espagnole de Phelipe Gonzalez de Haedo ne fit aucun compte rendu écrit de sa brève visite (quatre jours) à l'île de Pâques qu'il décida d'annexer à la couronne d 'Espagne et désigna comme l'«Isla de San Carlos» (en l'honneur du roi Charles ou Carlos III).

La première description de l'île provient du capitaine James Cook en 1774, qui demeura sur l'île quelques jours. L'un des éclaireurs de Cook était un Tahitien dont la langue polynésienne ressemblait suffisamment au rapanui des Pascuans pour qu'il y eut communication. Cook n'a pas semblé très impressionné par l’île, du moins si l'on se fie à son livre de bord: «Aucune nation ne combattra jamais pour l’honneur d’avoir exploré l’île de Pâques, [...] il y a une autre île dans la mer qui offre moins de rafraîchissements et de commodités pour la navigation et c’est celle-ci.» James Cook s'est interrogé sur la construction des statues lorsqu'il découvrit les moaïs:

Comment ces insulaires, qui ne connaissaient en aucune manière les puissances de la mécanique, ont pu élever des masses si étonnantes, et ensuite placer, au-dessus, les grosses pierres cylindriques? Ces monuments singuliers, étant au-dessus des forces actuelles de la nation, sont vraisemblablement des restes d'un temps plus fortuné. Sept cents insulaires, privés d'outils, d'habitations et de vêtements, tout occupés du soin de trouver des aliments et de pourvoir à leurs premiers besoins, n'ont pas pu construire des plates-formes qui demanderaient des siècles de travail.

En 1786, Jean-François de Galaup de La Pérouse mena une expédition française dans le Pacifique-Sud; il atteignit l'île le 9 avril. Avec ses officiers et quelques scientifiques, il pénétra à l'intérieur de l'île afin de visiter les statues des Pascuans. Les Français ne restèrent sur l'île qu'une seule journée, mais c'était la première fois que de nombreux dessins et plans précis étaient dessinés pour être diffusés. Ce fut aussi la fin des contacts pacifiques entre les autochtones et les étrangers.

3.3 L'esclavage

En 1805, une goélette nord-américaine, le Nancy, accosta à l'île pour enlever une vingtaine d’hommes et de femmes afin de les réduire en esclavage dans les îles Juan Fernandez (au large du Chili). Des Européens effectuèrent régulièrement des séjours sur l'île, mais ils introduisirent aussi des maladies infectieuses inconnues des Pascuans, ce qui entraîna des épidémies à partir de 1836, suivies de mortalités massives, sans oublier les guerres claniques ou tribales qui réduisirent encore la population.

La capture d'indigènes pascuans enrôlés de force pour servir d'esclaves connut son apogée en 1862-1863, alors qu'une vingtaine de navires conduits par des trafiquants péruviens enlevèrent environ 1500 Pascuans, soit la moitié de la population survivante, afin de les vendre aux enchères et les réduire à l'esclavage dans les mines du Pérou. La majorité des Pascuans mourut en captivité. En raison de la pression internationale, le Pérou consentit à rapatrier une centaine de prisonniers sur l'île de Pâques, mais 85 périrent au cours du voyage. Quant à la quinzaine de survivants, ils contaminèrent la population de l'île par la petite vérole et la tuberculose.

Des missionnaires catholiques s'installèrent en 1864. Lors de son premier séjour, le missionnaire français, le frère Eugène Eyraud, constata que, dans chaque maison, il existait des tablettes de bois couvertes de signes hiéroglyphiques, mais que les Pascuans ne savaient plus les lire et n'en faisaient que fort peu de cas. En 1868, la première véritable mission prenait forme à l'île de Pâques. Le frère Eyraud s'installa avec le père Hyppolite Roussel qui évangélisa la population tout en élaborant un dictionnaire de la langue rapanui; comme il connaissait déjà le mangarevien parlé en Polynésie française, il sut développer de bons contacts avec les Pascuans.

De graves épidémies de tuberculose se développèrent à la même époque. Pour la seule année 1868, on dénombra 37 décès. Le premier recensement du père Roussel révélait qu'il y avait 930 habitants; l'année suivante, la population se chiffrait à 650 habitants. Découragés, les missionnaires français quittèrent l'île pour Tahiti. Des commerçants français, chiliens, russes, britanniques et américains firent une razzia de la plupart des tablettes de bois en rongo-rongo, qui restaient encore sur l'île, et que les missionnaires catholiques n'avaient pas encore détruites (pour éliminer la superstition).

En 1870 et 1871, eurent lieu de violentes luttes claniques entre les insulaires habitant la baie de Hanga-Roa et la tribu rassemblée autour de Français Jean-Baptiste Dutrou-Bornier, qui voulait mettre en place une importante exploitation agricole, et du Pascuan Torometi, un ancien chef qui avait le titre d’«Homme-Oiseau» (Tangata Manu); quelques mois plus tard, Dutrou-Bornier était tué par les Pascuans. En 1872, il ne restait plus que 111 Pascuans sur l'île de Pâques. Les grands prêtres porteurs de la tradition et capables de lire l'écriture du rongo-rongo étaient tous décédés.

3.4 L'annexion chilienne de l'île de Pâques

En 1870, un premier navire chilien, le O'Higgins, effectua une visite de reconnaissance à l'île et revint en 1875.  Durant ce temps, des navires anglais, français, américains, etc., accostèrent à l'île et des marins s'emparèrent de plusieurs statues pour les ramener dans leur pays. En 1886, le capitaine de corvette chilien, Policarpo Toro Hurtado, accosta à l'île de Pâques et recommanda ensuite à ses supérieurs dans un rapport (Importancia de la isla de Pascua y la necesidad de que el gobierno de Chile tome immediatamente posesion de ella : «Importance l'île de Pâques et de la nécessité que le gouvernement du Chili prenne immédiatement possession d'elle») de prendre possession de certaines îles du Pacifique, dont l'île de Pâques. Il fit valoir que la propriété en appartenait à un particulier du nom de Alexandre Salmon (un Tahitien).  Des navires chiliens parcouraient ainsi le Pacifique afin de trouver des îles à annexer. Le capitaine Pilcomayo se rendit en 1887 à San Francisco (Californie) pour proclamer que les Pascuans reconnaissaient le Chili comme leur mère patrie.

- L'«Accord des volontés»

En 1888, le président chilien José Manuel Balmaceda et son ministre Augustin Edward Ross signèrent le Decreto Supremo (Décret suprême) qui donnait au capitaine Policarpo Toro Hurtado les pleins pouvoirs pour annexer l’île et finaliser l’achat des terrains appartenant à la Mission catholique et aux héritiers de Dutrou-Bornier. Le 9 septembre de la même année, Policarpo Toro et l'ariki (roi) pascuan Atamu Te Kena officialisèrent la souveraineté de l’île à l’État chilien. Par cet accord dit «Accord des volontés» (Acuerdo de Voluntades), les insulaires cédaient leur souveraineté sur l'île, mais maintenaient leur doit de propriété sur les terres. Mais rien ne s'est passé comme les Pascuans l'avaient souhaité.

L'annexion chilienne de 1888 mit un terme à la déportation d'esclaves, puis les terres des Pascuans furent louées à une compagnie écossaise basée au Chili afin de favoriser l'élevage intensif des moutons. La population polynésienne fut parquée dans le village de Hanga Roa, entouré de barbelés, et la liberté de circuler fut considérablement réduite. En servant aussi de lieu de déportation pour les Chiliens, l'île devint une vaste prison à ciel ouvert. Par la suite, elle se désertifia à cause des moutons. Les mariages mixtes commencèrent chez les insulaires.

- Exploitation et révolte

En 1914, les Pascuans organisèrent une révolte qui fut aussitôt étouffée par l'arrivée d'un navire de guerre chilien. Deux ans plus tard, le gouvernement chilien annula le contrat de location de la Compagnie Williamson et Balfour, qui occupait toute l’île et exploitait les Pascuans qui étaient dans l'obligation de travailler pour la compagnie et étaient payés en nature, et non pas en espèces. Le 15 avril 1929, un recensement de la population révéla que 384 personnes, plus ou moins métissées, vivaient à l’île de Pâques, dont 83 hommes, 98 femmes, 106 garçons et 97 filles.

Puis des chèvres et des chevaux furent introduits dans l'île, ce qui eut pour effet, vers 1934, d'accentuer considérablement l'érosion du sol et d'éliminer la plus grande partie de ce qui restait de la végétation. Lorsque prit fin le contrat de location des terres en 1952, ce fut au tour des militaires chiliens de s’emparer du territoire. Ils continuèrent de confiner les autochtones à Hanga Roa pour des raisons «stratégiques». Beaucoup de Pascuans d'origine tentèrent de «s'évader» et de rallier Tahiti, soit à 30 jours de mer, sur des embarcations de fortune. Certains réussirent, mais beaucoup moururent noyés.

- La sauvegarde de la langue rapanui

Jusque là, les Pascuans avaient toujours parlé leur langue ancestrale, le rapanui qu'ils se sont transmis oralement de génération en génération, durant une quinzaine de siècles. Mais, au début du XXe siècle, la langue des Pascuans étaient en voie de disparition. En 1935, était arrivé le père Sebastien Englert (né en Allemagne). Pendant plus de trente-cinq ans (de 1935 à 1969), celui-ci sera à la fois prêtre, historien, linguiste, architecte et ethnologue. Il rédigea dès 1939 la première étude complète des ahu (plates-formes qui soutiennent les statues) ainsi qu'un dictionnaire de traduction et une grammaire du rapanui. Son premier ouvrage comporte des mots du rapanui ancien, du tahitien et des mots nouveaux dérivés de l’anglais, de l’espagnol et du français. Les principaux ouvrages du père Sebastien Englert sont les suivants: Diccionario Rapanui-Español (1938), Tradiciones de la Isla de Pascua en idioma rapanui y castellano (1939), La Tierra de Hotu Matu'a __ Historia y Etnologia de la Isla de Pascua, Gramática y Diccionario del Antiguo Idioma de la Isla (1948) et Las Leyendas de Isla de Pascua (publié à titre posthume en 1980).

Aujourd'hui, une dalle mortuaire près de l'église du village est destinée à rappeler la mémoire du père Sebastien Englert, et on y lit, à la suite de la date de sa naissance et de sa mort (1888-1969), ce qui suit : «Hablaba nuestra lengua» (''Il parlait notre langue''). Les Pascuans ont fondé en son nom à Hanga Roa le Museo Antropológico Padre Sebastián Englert.

3.5 Les Pascouans, des citoyens chiliens

En 1966, le président chilien, Frei Montalva, promulgua la Loi sur Pâques (Loi n° 16.411 créant le département de l'Île-de-Pâques) de 1966. Celle-ci reconnaissait la citoyenneté chilienne aux habitants de l'île avec droit de vote, en prévoyant des droits et obligations pour eux, en créant une municipalité insulaire et en consacrant l'installation de divers services publics de l'État chilien dans le territoire. L'île fut alors rattachée à la région de Valparaiso du Chili en tant que ''Departamento de Isla de Pascua'' (art. 1er):

Article 1er

Il est créé le département de l'Île-de-Pâques dans la province de Valparaiso, dont la capitale est Hanga Roa, ce qui comprend les territoires des îles de Pâques et de Sala-et-Gómez.

Le département de l'Île-de-Pâques n'a qu'une seule municipalité sous délégation, du même nom, et est formée de trois districts, dont la délimitation doit être faite en conformité avec les dispositions de l'article 1er de la loi 4.544 du 28 janvier 1929.

Pour les fins de l'élection des députés, le département de l'Île-de-Pâques intègre la circonscription départementale de Valparaiso et de Quillota.

La loi ne traite aucunement de la langue rapanui des Pascuans, ni de l'éducation. Tout au plus, l'article 43 interdit-il le retrait des monuments ou pièces archéologiques à l'extérieur du «territoire national», ce qui suppose que ces objets peuvent être néanmoins transportés au Chili:

Article 43

Seul le président de la République, par décret constitutif, peut autoriser l'extraction à l'extérieur du territoire national des parties de bâtiments, de ruines historiques, artistiques ou enfouies, ou des cimetières aborigènes, d'objets ou de pièces anthropo-archéologiques ou de formation naturelle, qui existent en-dessous ou sur la surface et dont la préservation intéresse la science, l'histoire ou l'art, ainsi que les biens, monuments, objets, pièces, tableaux ou documents privés ou publics qui, par leur nature historique ou artistique, sont conservés dans des musées ou des archives ou qui demeurent dans un site emplacement public à titre commémoratif ou comme exposition publique.

On peut aussi penser que ce sont les fonctionnaires qui peuvent décider ce qui est autorisé ou non; ce ne sont certainement pas les Pascouans.

À la suite de l'adoption de la Loi créant le département de l'Île-de-Pâques de 1966, des fonctionnaires chiliens vinrent résider dans l'île et les mariages mixtes augmentèrent encore, ainsi que les voyages vers le Chili. Par ailleurs, l'armée de l'air des États-Unis construisit une base à Rano Kau en 1966, officiellement pour étudier l'ionosphère. La langue rapanui perdit progressivement son caractère majoritaire. Le bilinguisme fut introduit parmi toute la population autochtone, alors que les ressortissants chiliens demeuraient unilingues espagnols. De plus, de nombreux jeunes Rapanui en vinrent à utiliser l'espagnol comme langue maternelle, souvent avec l'accord de leurs parents. Malgré tout, le rapanui est resté encore un moyen de communication quotidien pour une bonne partie de la population, soit moins de 40 % d'entre elle.

Par ailleurs, la loi n° 16.411 sur le département de l'Île-de-Pâques s'est révélé une législation «paternaliste». L'île est devenue un territoire libre d'impôts, ce qui, on le devine, a apparemment profité à la population, mais a en même temps éliminé toute capacité d'action de la part des autorités locales, lesquelles ont toujours attendu des ressources budgétaires en provenance de l'État chilien, ressources continuellement insuffisantes. En matière de justice, les peines imposées par les tribunaux aux indigènes sont moindres que pour les continentaux ou les étrangers. Autrement dit, les habitants de l'île de Pâques sont traités comme des enfants sous la dépendance de leurs parents.

De plus, le territoire a continué d'être géré, durant treize années, par l'armée chilienne qui construisit l'hôpital et l'école, dota l'île d'eau potable et d'électricité, reboisa l'île avec des espèces qui s'étaient éteintes, construisit un débarcadère pour les bateaux et des chemins d'interconnexion entre les différents points habités de l'île. L'armée a aussi soutenu le développement d'importantes actions scientifiques, culturelles, éducatives, sanitaires, sociales, juridiques, etc. Mais il y a eu un prix élevé à payer pour les insulaires!

Les Pascuans se sont rendus compte que le paternalisme chilien les privaient de prendre des décisions sur leur île. Ils ont compris aussi que c'était à eux de trouver des solutions à leurs problèmes et de gérer leurs propres ressources. Le bon côté de la Loi sur Pâques, c'est qu'elle a reconnu que les terres de l'île appartenaient aux Pascuans; elle aussi interdit de vendre ces terres à des étrangers, y compris aux Chiliens continentaux. Néanmoins, les militaires n'ont pas toujours respecté la loi chilienne (le décret-loi 2885) en matière de propriété des terres. Les Pascuans ont alors commencé à réclamer leur autonomie.

Les premières liaisons commerciales entre le Chili, l'île de Pâques et Tahiti (Polynésie française) ont débuté en 1967. Une seule compagnie aérienne dessert l’île: la Lan Chile Airlines. L'acronyme LAN désigne la Línea Aérea Nacional (Ligne aérienne nationale) mais, depuis 2003, cette société utilise les termes Latin American Network (Réseau latino-américain). L’artisanat reprit alors avec vigueur, tandis que les tablettes de rongo-rongo furent de nouveau sculptées à partir de copies qui réintègreront le Musée de Rapa Nui (Museo Antropologico Padre Sebastien Englert). En 1995, l'île de Pâques fut inscrite par l'Unesco comme «Patrimoine mondial de l'humanité».

Enfin, en 2004, l'Académie de la langue rapanui (''la Academia de la Lengua Rapa Nui'') fut créée. Depuis ce temps, les Pascouans bénéficient d'émissions de radio et de télévision dans leur langue.

3.6 Vers un nouveau statut

Au mois d'octobre 2002, les autorités de l'île ont proposé au vice-président de la République, M. José Miguel Insulza, la création d'un groupe formé par des personnalités publiques — ''Grupo de Personalidades'' — d'expérience reconnues et leur vaste connaissance de la réalité insulaire dans le but d'élaborer «une proposition de politique spéciale» pour l'île de Pâques. Ces autorités, le gouverneur, le maire et le président du Conseil des anciens ont alors proposé la nécessité de créer des bases institutionnelles par une politique viable pour l'île, compte tenu de la particularité et des caractéristiques spéciales de ce territoire. En août 2004, un représentant de la Commission de développement de l'île de Pâques et le sénateur Jorge Arancibia Reyes s'incorporèrent à ce groupe. Finalement en décembre, fut intégré le sous-secrétaire à la Planification, M. Jaime Andrade Guenchocoy. Le futur «statut spécial» (Estatuto Especial de Administración para Isla de Pascua) attendu constitue un point de repère pour la communauté rapanui et pour le processus de décentralisation du pays.

Le 8 mai 2006, la présidente chilienne, Michelle Bachelet, a souligné, lors de son premier voyage officiel sur l'île de Pâques, son engagement en vue de faire adopter par le Congrès de son pays le nouveau «statut spécial» (''Estatuto Especial de Administración para Isla de Pascua''), présenté par son prédécesseur. Le texte proposant le nouveau statut a été déposé au bureau de la Présidence. Voici le cadre institutionnel recommandé et destiné à accorder de plus larges pouvoirs de décision aux autorités insulaires :

1.2. Marco Institucional

Un futuro Estatuto Especial para Isla de Pascua deberá tener como propósito otorgar mayores grados de decisión a las autoridades de la isla con el objeto de privilegiar la resolución local de materias referidas a la administración de la isla.

El futuro Estatuto que se propone pretende otorgar mecanismos que impriman mayor eficiencia a la administración de la Isla, lo cual pasa por dotar a sus autoridades de mayores grados de autonomía administrativa, mayor certeza en los recursos financieros manejados y mejores instrumentos de gestión. Así, el Estatuto Especial podrá crear mejores condiciones institucionales, económicas y administrativas para el más adecuado desarrollo de la Isla, dentro del contexto del Estado de Chile.

Para este propósito se deben generar cambios en el ordenamiento administrativo y la institucionalidad, a través de la consolidación de dos órganos de poder, entregándoles a éstos herramientas para la toma de decisiones descentralizadas, con administración de recursos que podrían calificarse como propios. Sin perjuicio de ello, la propuesta es precisa en reafirmar el concepto de Estado Unitario que regula la institucionalidad nacional.

Para ello se debe privilegiar la búsqueda de alternativas que permitan avanzar en una propuesta de nuevo Estatuto Especial, prefiriendo desde luego aquellas que requieran de la menor cantidad de modificaciones legales para su implementación.

1.2. Le cadre institutionnel

Un futur statut spécial pour l'île de Pâques devra avoir pour but d'accorder de plus larges pouvoirs de décision aux autorités de l'île afin de privilégier la résolution locale des affaires relatives à l'administration de l'île.

Le futur statut qui est proposé prétend accorder des mécanismes qui impriment une plus grande efficacité à l'administration de l'île, ce qui implique de doter ses autorités d'une plus grande autonomie administrative, d'une plus grande certitude dans les ressources financières manières et de meilleurs instruments de gestion. Ainsi, le statut spécial pourra créer de meilleures conditions institutionnelles, économiques et administratives pour un développement plus adéquat de l'île, dans le contexte de l'État du Chili.

À cette fin, des changements d'ordre administratif et à caractère institutionnel doivent être apportés au moyen de la consolidation de deux organismes de pouvoir, en leur délégant des outils pour une prise de décisions décentralisée, avec une administration des ressources qui pourraient être qualifiées comme étant propres. Sans préjudice de cela, la proposition est nécessaire pour réaffirmer le concept d'un État unitaire qui régit le caractère national institutionnel.

À cet effet, il faut privilégier la recherche d'alternatives qui permettent d'avancer vers une proposition d'un nouveau statut spécial, en préférant évidemment les choix qui requièrent la plus petite quantité de modifications légales pour leur mise en oeuvre.

L'île de Pâques ne relèverait donc plus du département de Valparaiso. L'île serait dotée d'un gouvernement insulaire (''Gobernación Insular'') qui aurait la compétence exclusive en matière de sécurité intérieure, d'accueil des étrangers, des urgences et catastrophes, des biens nationaux, des douanes, des transports, des télécommunications, des ouvrages public d'infrastructure, y compris les ports et aéroports. De plus, l'importance historique du Conseil des anciens serait reconnue, car cet organisme fait partie de la tradition et de la culture propres des Pascuans:

Se estima pertinente fortalecer su presencia en materias relacionadas con el patrimonio cultural rapa nui, manteniendo en todo caso intacta las labores que desempeña de cara a la comunidad hasta hoy. En el Estatuto se propone que además de las apreciadas funciones que ha cumplido, podría reunir las características de un órgano asesor del Municipio para las materias de tradición, lengua y cultura, siendo así un colaborador de la gestión municipal. Il est estimé pertinent de fortifier sa présence dans des matières en rapport avec le patrimoine culturel rapanui, en maintenant dans tous les cas intactes les tâches qu'il effectue jusqu'à aujourd'hui par rapport à la communauté. Dans le Statut, il est proposé que, outre les fonctions appréciées qu'il a accomplies, le Conseil des anciens pourrait réunir les caractéristiques d'un organisme consultatif de la municipalité pour les matières relatives à la tradition, la langue et la culture, tout en étant ainsi un collaborateur de la gestion municipale.

Le Conseil des anciens demeurerait un organisme consultatif pour les matières relatives à la tradition, la langue et la culture. Depuis plusieurs années, les parlementaires chiliens n'ont pu s'entendre sur ce fameux statut particulier (voir le texte du statut présenté à la Chambre des députés). En attendant, l'île continue d'être régie par les règles présentement en vigueur.

Il est aussi recommandé que l'organisme local d'administration soit la «Municipalité insulaire» (''Municipio Insular''), laquelle aura pour objectif de représenter les fonctions propres au plan local et d'assurer ainsi sa participation dans les services publics qui lui seraient dévolus: le tourisme, le développement urbain et le pavage, l'environnement, l'éducation, la santé, le développement, l'hygiène, l'assistance sociale, les sports et loisirs, le transport et les petites infrastructures. Le futur statut spécial devrait prévoir la création d'un organisme de haut niveau — une sorte de fondation ou corporation de la culture — qui s'occuperait particulièrement de la culture rapanui. L'une de ses principales fonctions pourrait être le renforcement de préservation des expressions culturelles locales, comme la danse, la chanson, l'artisanat, la tradition orale, les coutumes en général et la garantie des ruines archéologiques existantes et de leur emplacement dans l'île. Une autre des fonctions qui est recommandée est la collaboration dans la conservation et la restauration du patrimoine archéologique et de la culture rapanui, en collaboration avec les universités nationales et étrangères ainsi que le Conseil des monuments nationaux.

En matière de transport, il est recommandé de trouver des alternatives pour remplacer le transport maritime assuré par l'armée du Chili et de casser le monopole du trafic aérien assuré par la Lan Chile Airlines; il est proposé de mettre à la disposition des résidants de l'île un nombre limité de passages à tarifs réduits.

Par ailleurs, les Pascuans sont aujourd'hui très inquiets en raison de la montée considérable des touristes sur leur petite île de moins de 5000 habitants, qui reçoit maintenant plus de 70 000 visiteurs annuellement attirés par ses plages, ses paysages volcaniques et, bien sûr, ses emblématiques statues géantes de pierre, les moaïs. Les conséquences de la montée du tourisme de masse pour les Pascuans et l'environnement dans l'île sont considérables. Des centaines de Chiliens sont venus récemment s'installer sur l'île et accaparer les emplois les plus rémunérateurs; l'île compte maintenant quelque 3000 voitures. Les sites d'enfouissement ne suffisent plus à la tâche, ce qui transforme l'île en une poubelle à ciel ouvert.

Enfin, le gouvernement chilien n'aurait rien fait pour protéger les célèbres statues et les sites, qui se dégradent progressivement, alors que le très fragile écosystème de l'île est menacé et que la délinquance juvénile est en augmentation constante. En réalité, les Pascuans semblent en vouloir davantage aux «continentaux» chiliens, perçus comme peu respectueux de l'environnement et des coutumes indigènes, qu'aux touristes. L'historien et expert des communautés indigènes, le professeur Luis Carlos Parentini, affirme: «Il y a vingt ans, les îliens étaient au bord de l'effondrement, sans identité et sur le déclin. Une revalorisation des peuples autochtones leur a rendu la fierté de leur culture. Ils ont bien vécu du tourisme, mais à présent ils se sentent dépassés.» Selon un rapport remis au gouvernement chilien, l'île de Pâques ne pourrait accueillir que 10 000 touristes par an. Le petit village d’Hanga Roa est devenu un défilé de restaurants, de boutiques de souvenirs, de loueurs de voitures et  d’hébergements. C'est pourquoi les Pascuans réclament un «conseil migratoire» avec des quotas de touristes et de travailleurs résidants, sur le modèle des mesures mises en place par l'Équateur aux îles Galapagos.

Malheureusement, le gouvernement chilien ne semble pas avoir développé une quelconque compréhension pour les requêtes des Pascuans qui désirent contrôler ce qui leur appartient. Tout se décide à Santiago, alors que la plupart des fonctionnaires n'ont jamais visité l'île de leur vie. L'île de Pâques continue d'être le lieu de tensions politiques. En 2011, d'importants conflits secouèrent l'île, alors que les Rapanui exigeaient la restitution de leurs terres ancestrales, un meilleur contrôle du tourisme et une redistribution plus juste des revenus qui leur sont associés. Le déclencheur de ces revendications ont été les rumeurs de privatisation de terrains publics pour y construire des hôtels. L'État chilien a dépêché plus de 200 soldats pour rétablir l'ordre. Finalement, les Rapanui menacent de prendre leur indépendance et de déposer un recours devant la Cour internationale de justice de La Haye contre l’État chilien qui, de son côté, ne semble pas prendre ces revendications au sérieux. Néanmoins, nombreux sont les Rapanui qui souhaiteraient se séparer du Chili pour être intégrés à la République française avec un statut comparable à celui de la Polynésie française.

4 La politique linguistique

Il est difficile de parler de la politique linguistique de l'île de Pâques, car celle qui est appliquée correspond à la politique de l'État chilien à l'égard des peuples indigènes. Il n’existe pas de loi linguistique au Chili. Même la Constitution de 1980 (modifiée par la loi 20.050 de 2005) ne contient aucune disposition linguistique. L’espagnol est de facto la langue officielle du Chili, puisqu'il n’y a pas de document juridique qui le proclame. Le pays ne connaît pas de problème de préséance linguistique avec ses langues minoritaires, toutes autochtones, car celles-ci ne sont parlées que par fort peu de locuteurs et ne jouissent d’aucun prestige.

4.1 La politique indigéniste

Pour ce qui est des autochtones, dont font partie les Pascuans, le Chili a adopté une politique dûment décrite dans la loi n° 19.253 du 27 septembre 1993, qui reconnaît le droit historique des communautés indigènes à leurs terres ancestrales. Il ne s'agit pas d'une loi à caractère linguistique et les dispositions proprement linguistiques sont peu nombreuses. L’article 1er  de la loi 19.253 de 1993 proclame que l'État reconnaît que les indigènes du Chili sont les descendants des groupes autochtones vivant sur le territoire national depuis la période précolombienne, qui conservent des caractéristiques ethniques et culturelles propres en fixant la terre comme le fondement principal de leur existence et de leur culture :

Article 1er

L'État reconnaît comme les principales ethnies indigènes du Chili: les Mapuches, les Aymaras, les Rapanuis ou Pascuans, les communautés atacameñas, quechuas et collas du nord du pays, les communautés kawashkar ou alacalufe et les Yámanas ou Yagán des régions australes.

L'État reconnaît comme principales ethnies indigènes du Chili, en les nommant expressément, les Mapuches, les Aymara, les Rapanui (ou Pascuans de l'île de Pâques), les Atacameña, les Quechua et les Colla du nord du pays, les Kawashkar ou Alacalufe et les Yámana ou Yagán des régions australes.

La Loi n° 19.253 sur la protection, la promotion et le développement indigène de 1993 ne compte quelques articles traitant plus spécifiquement de la langue et de la culture. Ainsi, l’article 7 porte sur le droit à la culture indigène:

Article 7

L'État reconnaît le droit des indigènes de maintenir et de développer leurs activités propres et leurs manifestations culturelles, dans la mesure où elles ne s'opposent ni à la morale, ni aux bonnes mœurs, ni à l'ordre public.

L'État a devoir de promouvoir les cultures indigènes, qui font partie du patrimoine de la nation chilienne.

L'article 66 de la loi 19.253 porte spécifiquement sur les Pascouans de l'île de Pâques et leur langue:

Article 66

Sont des Rapanuis ou des Pascouans les membres de la communauté originaire de l'île de Pâques et, en ce cas, qui sont conformes aux prescriptions de l'article 2.

Il est reconnu que cette collectivité possède des modes de vie et une organisation historique, une langue, un mode de travail et de manifestations culturelles indigènes.

Cette disposition est d'ordre très général et admet un fait, sans autre considération qui se transformerait en droits.

4.2 L'éducation

L’article 28 de la loi 19.253 est consacré à la reconnaissance, au respect et à la protection des cultures indigènes. Au point de vue de la protection linguistique, cet article est sans contredit le plus important de la loi n° 19.253 de 1993, car il précise les droits linguistiques des indigènes. Il est consacré à la reconnaissance, au respect et à la protection des cultures indigènes.

L'alinéa a) énonce que l’État s’engage à promouvoir l’usage et la conservation des langues indigènes, à côté de l'espagnol, dans les zones de haute densité indigène.

L'alinéa b) prévoit l’établissement, dans le système d'éducation nationale, d'une unité de programme permettant aux élèves d'accéder à une connaissance suffisante des cultures et des langues indigènes.

L'alinéa c) impose à l'État, dans les régions de haute présence indigène, d'assurer la promotion et la diffusion, dans les stations de radio et les canaux de télévision, des programmes en langue indigène et un soutien à la création de stations de radio et de télévision.

L'alinéa d) prévoit la promotion et l'établissement de chaires d’histoire, de culture et de langues indigènes dans l'enseignement supérieur.

L'alinéa e) exige que le Registre d'état civil écrive les noms et prénoms des personnes indigènes en conformité avec la façon exprimée par les parents, avec les règles de transcription phonétique qu'ils indiquent.

L'alinéa f) de l’article 28 est consacré à la promotion des expressions artistiques et culturelles et à la protection du patrimoine indigène d’ordre architectural, historique et archéologique.

Article 28

La reconnaissance, le respect et la protection des cultures et des langues indigènes comprennent:

a) L'usage et la conservation des langues indigènes, à côté de l'espagnol dans les zones de forte densité indigène ;

(b) La mise en place dans le système d'éducation nationale d'une unité de programme permettant aux élèves d'accéder à une connaissance suffisante des cultures et des langues indigènes, et qui les prépare à les évaluer positivement ;

(c) La promotion de la diffusion, de la part de stations de radio et des chaînes de télévision dans les régions de forte présence indigène, de programmes en langue indigène et un soutien à la création de stations de radio et de médias indigènes ;

(d) La promotion et la création de chaires d'histoire, de culture et de langues indigènes dans l'enseignement supérieur ;

e) L'obligation du Registre d'état civil d'écrire les noms et prénoms des personnes indigènes en conformité avec la façon exprimée par les parents, avec les règles de transcription phonétique qu'ils indiquent; et

(f) La promotion des expressions artistiques et culturelles, ainsi que la protection du patrimoine architectural, archéologique, culturel et historique indigène.

Pour respecter les dispositions de l'alinéa précédent, la société, en coordination avec le ministère de l'Éducation, doit encourager des plans et des programmes de promotion relatifs aux cultures autochtones.

Il faut prévoir des conventions avec des organismes publics ou privés à caractère national, régional ou municipal, avec des objectifs coïncidant avec ceux répertoriés dans le présent article. Ces objectifs doivent être poursuivis également pour leur réalisation auprès des gouvernements régionaux et des municipalités.

L’article 32 de la loi loi 19.253 semble particulièrement pertinent, car il traite de l’éducation interculturelle bilingue:

Article 32

Dans les zones à forte densité indigène et en coordination avec les services ou organismes de l'État correspondants, la Corporation doit élaborer un système d'éducation interculturelle bilingue afin de préparer les élèves indigènes à un développement de manière adéquate, tant dans leur société d'origine que dans la société globale.

À cet effet, il pourra être financé ou convenu, avec les gouvernements régionaux, les municipalités ou les organismes privés, des programmes permanents ou expérimentaux.

Le législateur n’a pas mentionné le niveau scolaire concerné par la loi (maternelle, primaire ou secondaire), mais on peut présumer qu’il s’agit du primaire, comme partout ailleurs en Amérique latine. Selon l’article 33, la loi sur les budgets du secteur public allouera des ressources spéciales pour le ministère de l'Éducation destinées à prévoir un programme de bourses pour les indigènes. Dans la sélection des candidats, la participation de la Corporation nationale du développement indigène devra être prise en compte. Évidemment, l'introduction de cet article dans la loi ne signifie pas nécessairement que celle-ci est appliquée, mais que, du moins virtuellement, elle pourra l'être un jour. 

La législation relative au bilinguisme vaut pour les habitants de l'île de Pâques. Bien avant la loi de 1993, le ministère chilien de l'Éducation avait décrété en 1975 que le rapanui soit enseigné obligatoirement à l'école, et révoqua l'interdiction arbitraire des autorités gouvernementales précédentes, qui interdisait aux enfants de parler le rapanui à l'école. L'espagnol est également enseigné comme langue seconde, mais dans le cadre d'une «éducation bilingue». Ce programme bilingue rapanui-espagnol est assumé par l'Unesco. À l’école de Hanga Roa, l'enseignement est assuré jusqu’à l’obtention du diplôme d'études secondaires supérieures (la Prueba de Aptitud : l'examen d'aptitudes), équivalant au baccalauréat français. Depuis 1998, l'enseignement du rapanui est dispensé à une centaine d'élèves en mode «immersion» au lycée Lorenzo-Baez-Vega; la totalité des matières est enseignée en rapanui à l'exception de la langue espagnole. Pour accéder aux études supérieures, les jeunes doivent fréquenter des établissements hispanophones du Chili. Selon l'Université catholique de Valparaiso, 58 % de la population scolaire parlait le rapanui en 1998, contre 39 % en 1979.

4.3 Les tribunaux

Dans les tribunaux, l’article 54 de la Loi n° 19.253 sur la protection, la promotion et le développement indigène (1993) admet que la coutume invoquée en jugement entre des indigènes appartenant à une même ethnie pourra constituer un droit, pourvu que cette coutume ne soit pas inconciliable avec la Constitution de la République.

Article 54

La coutume invoquée lors d'un jugement entre des indigènes appartenant à une même ethnie, constitue un droit, pourvu qu'il ne soit pas inconciliable avec la Constitution politique de la République. En matière pénale, elle sera considérée lorsque cela aurait pu servir comme précédent dans l'application d'une circonstance atténuante de responsabilité.

Quand la coutume doit être accréditée dans un procès, il peut être essayé par tous les moyens autorisés par la loi et, en particulier, par un rapport d'experts qui devrait conseiller la Corporation à la demande de la Cour.

Le juge, celui qui est chargé de la présidence d'une cause indigène, à la demande de la partie intéressée et dans le cadre des activités ou des procédures dans lesquelles la présence personnelle de l'indigène est requise, doit accepter l'usage de la langue maternelle en se faisant conseiller par traducteur agréé, celui qui sera désigné par la Corporation.

Tout juge chargé de la procédure d'une cause indigène, à demande de la partie intéressée et dans le cadre des activités dans lesquelles la présence personnelle d’indigène est requise, devra accepter l'emploi de la langue maternelle en se faisant conseiller par un traducteur agréé, celui qui sera désigné par la Corporación Nacional de Desarrollo Indígena (Corporation nationale du développement indigène).

4.4 Les services publics

En principe, les services publics doivent être rendus en espagnol puisque c'est la langue officielle. Cependant, il existe des accommodements destinés à faciliter la vie aux Pascuans et aux touristes. Les employés de l'hôpital de Hanga Roa utilisent normalement l'espagnol, mais le rapanui et l'anglais peuvent être occasionnellement employés. Il en est ainsi de la poste, des services bancaires, des commerces, des restaurants et des hôtels. Étant donné la «proximité» relative de la Polynésie, le français et le tahitien sont parfois utilisés par les Pascuans qui possèdent des commerces. La messe catholique du dimanche se déroule en espagnol avec des passages traduits en anglais et en rapanui.

Les médias sont massivement en espagnol. Il existe un périodique, The Rapa Nui News, publié en espagnol. Les principaux quotidiens et hebdomadaires du Chili, El Mercuro, Apsi, Hoy, La Epoca, Nacion et La Tercera, peuvent parvenir à l'île avec quelques jours de retard. Les médias électroniques proviennent du Chili et sont transmis en différé en espagnol.  Les radios locales, Radio Manukena, RadioActiva, W Radio et Radio Cooperativa, transmettent en espagnol. Outre les télévisions par satellite qui transmettent en espagnol, en français ou en anglais, la Television Nacional de Chile produit des émissions pour l'île de Pâques. Par conséquent, il n'y a pas d'émissions en rapanui destinées aux enfants pour apprendre leur culture, leur langue ou leur histoire pascuanes. 

En somme, la politique linguistique appliquée à l'île de Pâques est celle de l'État chilien représentant un pays de langue espagnole. Les autochtones n'exercent pratiquement aucun contrôle sur la politique linguistique dans l'île. Au mieux, la politique chilienne correspond à une politique «indigéniste» dont l'essentiel réside dans l’éducation bilingue destinée à assurer aux élèves un «système d'éducation interculturelle bilingue». Le système actuel ne répond pas aux besoins des Pascuans polynésiens, parce que ce sont des programmes chiliens nationaux qui n’intègrent aucun élément de la culture pascuane. Les enfants rapanui sont tenus d'apprendre l'espagnol, alors que les enfants d'origine chilienne n'apprennent pas le rapanui. Les autochtones sont dans l'obligation de recevoir une éducation bilingue et de développer des habiletés de bilinguisme, alors que les «vrais Chiliens» s’en tiennent à la seule langue espagnole. Ensuite, on se demande pourquoi les Pascuans ne se sentent que «modérément» chiliens.

Heureusement, parce que l'île de Pâques est située à 3700 km des côtes chiliennes, il est plus aisé pour les autochtones polynésiens de tenir compte de leur langue que, par exemple, pour les Amérindiens mapuches sur le continent. Comme les insulaires vivent isolés du reste du continent, leur langue conserve davantage de chances de survie. C'est pourquoi il faut miser sur l'éventuel «statut spécial» prévu pour les habitants de l'île de Pâques, car les insulaires pourront ainsi influencer davantage leur destinée si particulière.

Dernière révision en date du 06 janv. 2024

Bibliographie

BARNACH-CALBÓ MARTINEZ. «La nueva educación indígena en Iberoamérica» dans Revista Iberoamericana de Educación, n° 13 («Educación Bilingüe Intercultural»), Bogota, avril 1997.

BLANCPAIN, Jean-Pierre. «Francisation et francomanie en Amérique latine: le cas du Chili au XIXe siècle» dans Revue historique, Paris, Presses Universitaires de France, n° 544, octobre-décembre 1982, p. 365-407.

BRÈS, Luc. «Le "laboratoire" de l'île de Pâques» dans La Presse, Montréal, 16 avril 2012, cahier Affaires p. 2.

CENTRO DE DOCUMENTACION DE PUEBLOS INDIGENAS. Censo de Población año 2000, Buenos Aires, Institut national de la statistique et du recensement, 2001.

COMISIÓN INTERAMERICANA DE DERECHOS HUMANOS. La Situación de los Derechos Humanos de los Indígenas en las Américas, Organización de los Estados Americanos, Washington, 1997,
[http://www.cidh.oas.org/Default.htm].

DIAMOND Jared. Effondrement - Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (traduit de l'anglais par A. Botz et J.-L. Fidel), Paris, Gallimard, 2006, 648 p.

HAMEL, Enrique. «Situation linguistique dans les Amériques», Colloque international "La diversité culturelle et les politiques linguistiques dans le monde, Québec, Commission des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, 24 et 25 mars 2001.

MUÑIZ-ARGÜELLES, Luis. «Les politiques linguistiques des pays latino-américains», Colloque international "La diversité culturelle et les politiques linguistiques dans le monde", Québec, Commission des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, 24 et 25 mars 2001.

PARDON, Daniel. Guide de l'île de Pâques, Papeete, Éd. Au Vent des îles, 2004.

ORLIAC, Catherine et Michel ORLIAC. L'île de Pâques, Paris, Gallimard-Jeunesse, coll. «Découverte», 2004, 144p.
 

Chili


Le Pacifique

Accueil: aménagement linguistique dans le monde