Province autonome spéciale de Jéju

Province autonome de Jéju

Corée du Sud


 
Capitale: Jéju
Population:  650 000 (2017)
Langue officielle: coréen (de facto)
Groupe majoritaire: coréen (95 %)
Groupes minoritaires: japonais (2%), chinois (0,38%), jéju, mongol, anglais, filipino, etc.
Système politique: province autonome de la Corée du Sud
Articles constitutionnels (langue): aucune disposition linguistique dans la Constitution coréenne du
29 octobre 1987
Lois linguistiques: Loi sur la radiodiffusion (2000); Décret d'application de la Loi sur la radiodiffusion (2000); Loi sur la procédure civile (2002); Loi-cadre sur la langue coréenne (2005); Loi sur les brevets (2011);
Loi sur la Cour constitutionnelle (2011); Loi sur l'organisation judiciaire (2014); Loi sur l'immigration (2016); Loi sur la promotion de l'éducation des langues étrangères stratégiques (2016); Ordonnance pour la préservation et l'enseignement du jéju (2007).

1. Situation géographique

Depuis 2006, l'ile de Jéju située à 85 km au sud de la péninsule coréenne, dont elle est séparée par le détroit de Jéju. Elle constitue une «province autonome spéciale» de la république de Corée (ou Corée du Sud). Le gouvernement coréen a approuvé un projet de loi destiné à transmettre tous les droits administratifs à cette île, sauf en ce qui concerne la défense nationale, la justice et les affaires extérieures. Le gouvernement local peut ainsi percevoir son propre système de taxation, peut gérer sa force de police et adopter ses propres lois intérieures («ordonnances»). Il peut embaucher des fonctionnaires et réglementer son système d'éducation.

L'île a une superficie de 1848 km², ce qui équivaut à l'archipel des Comores (2170 km² et à l'île Maurice (1860 km²). La longueur de l'île est de 73 km; sa largeur, 31 km. La capitale de l'île est Jéju (409 000 habitants en 2014). L'île est réputée pour ses stations balnéaires et son paysage volcanique comprenant cratères et tunnels de lave semblables à des grottes; elle est aussi réputée pour ses femmes «pêcheuses traditionnelles» et on y vient de la péninsule coréenne souvent pour se marier : c’est « l’île des amoureux » en Corée du Sud.


2. Données démolinguistiques
 
La population de l'île Jéju dépassait les 650 000 habitants en 2017. On compte seulement deux grandes villes dans l'île: Jéju, la capitale, au nord et Seogwipo au sud. La ville de Jéju accueille près des deux tiers de la population de l'île (409 000), alors que la ville de Seogwipo n'en dénombre que 156 000. La ville nouvelle de Shin Jeju a été créée il y a quelques décennies sur les collines au-dessus de l'aéroport et abrite les bâtiments gouvernementaux et de nombreux hôtels. De plus petits villages parsèment le littoral d'est en ouest: Gimyeong, Seongsan, Gangjeong et Hallim.

Il convient d'ajouter aussi l'île Udo (6,18 km²) située à l'extrémité est. Sa population est d'environ 1800 habitants et la petite île regorge de commodités touristiques : pêche, pistes cyclables, massages au sable, excursions sous-marines et croisières. Les Sud-Coréens sont les touristes les plus nombreux sur l'île de Jéju; ils sont suivis par les Japonais et les Chinois, puis par les Américains.

2.1 La langue jéju

La plupart des habitants de l'île Jéju parlent le coréen standard comme langue maternelle. Le nombre des locuteurs de la langue jéju (ou jéjuéo) varie entre 5000 et 10 000, ce qui n'atteint même pas 2 % de la population. De plus, les locuteurs du jéju sont tous âgés de plus de 60 ans. Cette langue autochtone fait partie de la famille coréenne (ou coréanique) et ne constitue pas un dialecte du coréen, comme on l'a longtemps cru. Or, le jéju ne peut pas être compris par les Coréens de la péninsule. Comme pour le coréen, le jéju s'écrit avec l'alphabet hangul : 제주말.

- Une évolution distincte

La langue jeju aurait conservé des traits archaïsants du coréen tel que celui-ci était parlé au Moyen Âge, et elle a emprunté beaucoup de mots au japonais, au mandchou et au mongol, ce qui contribue à la distancier de ses sources d'origine. De toute façon, en raison de son isolement du continent durant quelques siècles, le jéju ne pouvait qu'évoluer indépendamment du coréen continental. Le tableau ci-dessous présente quelques exemples de vocabulaire écrits en alphabet latin (et non en alphabet coréen) et illustrant quelques différences et ressemblances entre le jéju et le coréen standard:

Langue

Oncle Père Femme Oiseau Laitue Cuisine Ici Patate Porc Légume Parapluie
Jéju ajeubang abang jijib-bbai saeng-i buru jeongji idi jisil dotgoegi songki gasa
Coréen samchon abeoji yeoja sae sangchu bueok ili gamja dwaeji gogi yachae usan

Évidemment, ces exemples sont parcellaires. Néanmoins, si les ressemblances proviennent d'une origine commune, les différences sont généralement dues à une évolution distincte ou à des emprunts importants au japonais, au mongol et au mandchou. Selon certains linguistes, plus de 75 % des mots en jéju n'existent pas en coréen standard. Le tableau qui suit témoigne des grandes différences entre des phrases en coréen standard et en jéju, car ce n'est pas seulement le vocabulaire qui est en cause, mais également le grammaire et la syntaxe:

Coréen standard

Langue jéju Traduction
뭐라고 말하는지 모르겠죠?
"muo-ra-go mal-ha-neun-ji mo-reu-get-jo?"
무신 거옌 고람 신디 몰르쿠게?
"mu-shin geo-yen go-ram shin-di mol-leu-ku-ge?"
«Vous ne comprenez pas ce que je dis, n'est-ce pas?»
안녕하십니까?
"an-nyeong-ha-shim-ni-kka?"
펜안하우과?
pen-an-ha-u-gwa?"
"Bonjour, comment allez-vous?»

- Une langue régionale en situation critique

L'Unesco considère le jéju (jéjuéo) comme une langue à part entière, mais cette langue locale est «en situation critique», c'est-à-dire en danger d'extinction en raison de nombreux facteurs historiques, notamment la discrimination linguistique dont la population a fait l'objet dans le passé. En octobre 2014, l'Institut de langues étrangères de l'Université nationale de Jéju a fait des efforts pour sauvegarder la langue qui régresse dans la mesure où elle n'est plus transmise chez les jeunes générations, surtout dans les deux villes (Jéju et Seogwipo). Sans un mécanisme d'enseignement de la langue jéju pour les jeunes dans toute la province, la langue pourrait disparaître d'ci deux ou trois décennies.

La langue jéju est également utilisée au sein de la diaspora originaire de Jéju à Osaka (Japon) où de nos jours environ 126 500 personnes originaires de l'ile y habitent. La langue jéju semble avoir été transmise jusqu'à la génération des quinquagénaires, mais là aussi le jéju est menacé, cette fois-ci, par la langue japonaise. La langue jéju n'est pas mutuellement compréhensible avec le coréen standard, encore moins par le japonais avec lequel elle n'a aucun lien de parenté linguistique.

2.2 Les autres langues

Outre le coréen omniprésent dans toute l'île, la langue japonaise demeure importante chez tous les insulaires, car au moins 50 % au moins de la population peut s'exprimer ou comprendre cette langue. Contrairement au coréen, le jéjuéo compte beaucoup plus d'emprunts au japonais et au mandchou. De nombreux insulaires peuvent aussi parler le chinois. Avec l'arrivée du tourisme, l'anglais a commencé à prendre de l'importance, surtout chez les jeunes, bien que la plupart des touristes soient très majoritairement des Sud-Coréens, des Japonais et des Chinois.

Dans le domaine de la religion, 46 % de la population n'a pas d'affiliation à une confession quelconque, contre 26 % de chrétiens, 26 % de bouddhistes et 1 % de confucianistes.

3. Données historiques
 

La péninsule de Corée vit dès le premier siècle avant notre ère l'apparition de ce qu'on a appelé les Trois Royaumes, soit le royaume de Koguryo, le royaume de Baekje et le royaume de Silla. Le Koguryo constituait le royaume coréen le plus grand; situé au nord de la péninsule, son territoire comprenait une partie de l'actuelle Corée du Sud, une partie de l'actuelle Corée du Nord, ainsi qu'une partie de la Mandchourie et de l'actuel Extrême-Orient russe.

L'île de Jéju constituait un petit royaume indépendant du nom de Tamna, mais en 476 celui-ci devint vassal du royaume du Baekje. Le Koguryo réussit à contrôler la plus grande partie de la péninsule coréenne et de la Mandchourie. Au milieu du VIe siècle, le Silla conquit le Gaya et s'empara de territoires autour de Séoul, tandis que le Koguryo et le Baekje perdaient graduellement des portions de leurs territoires. En 662, le Tamna devint un protectorat de Silla. En 668, le Silla, allié à la dynastie chinoise Tang et aidé par son armée, vainquit le Koguryo et le Baekje, et établit le premier État de la péninsule coréenne unifiée.

Sous le règne de la dynastie, la Chine alliée au royaume de Silla conquit les royaumes de Baekje et de Koguryo, et tenta d'exercer un contrôle sur l'ensemble de la péninsule coréenne. Le royaume de Silla déclara la guerre à la Chine qu'il chasse de son territoire en accomplissant ainsi l'exploit d'unifier toute la péninsule en 676.

Pendant ce temps, l'île de Jéju conserva une certaine autonomie durant plusieurs siècles. Au cours du IXe siècle, la monarchie et les institutions gouvernementales du Silla déclinèrent. De 890 à 935, les trois anciens royaumes émergèrent à nouveau dans la péninsule. Cette fois, l'État du Nord, appelé Koryo, parvint à refaire l'unité dans la péninsule sous la dynastie des Goryeo. L'île de Tamna fut renommée «Jéju» par le roi Euijong de Goryeo, ce qui signifie «province à travers la mer».  L'isolement de l'île Jéju de la Corée continentale entraîna des différences linguistiques significatives par rapport à la langue coréenne sur le continent. À quelque environ 80 kilomètres au sud du continent, les insulaires se sont développés de façon autonome et leur langue a évolué de façon distincte des variétés coréennes de la péninsule. Avec  les siècles, le jéju, qui avait le même origine que le coréen, est devenu une langue différente, notamment en raison des emprunts au japonais, au mandchou et au mongol, ainsi que des éléments grammaticaux qui diffèrent.

3.1 L'intégration coréenne
 

Pendant la dynastie Joseon (1392-1910), les insulaire de Jéju furent traités comme des étrangers, pendant que l'île devint un lieu d'élevage pour les chevaux et une terre d'exil pour les prisonniers politiques. À partir de 1393, les habitants de l'île sont devenus une partie de la nation coréenne, lorsque des enseignants confucéens ont été envoyés de la péninsule pour instruire les fils des dirigeants de l'île afin qu'ils puissent participer au système d'examen de la fonction publique nationale. En 1404, l'île perdit complètement son autonomie en étant annexée par la dynastie des Joseon.

Au XVIIe siècle, Injo de Joseon (1595-1649), le 16e roi de la dynastie Joseon en Corée, interdit aux insulaires de voyager dans la partie continentale coréenne. Par la suite, plusieurs soulèvements majeures eurent lieu dans l'île: en 1862, en 1898 et en 1901. En raison de l'isolement relatif de l'île, les habitants de Jéju ont développé une culture et une langue distinctes de celles de la Corée continentale. Cette langue, c'est le jéju, une langue de la famille coréenne. À cette époque, la plupart des habitants de l'île parlaient le jéju.

3.2 L'annexion japonaise (1910-1945)
 

En 1910, le Japon annexa la Corée et l'île Jéju porta alors le nom de «Saishū». Comme les Japonais méprisaient les Coréens, considérés comme un peuple vaincu, ils jugèrent tout aussi négativement les insulaires de Jéju. De plus, dans le domaine linguistique, le Japon fit tout pour éliminer la langue coréenne et la langue jéju afin de les remplacer par le japonais qui devint la langue officielle de la Corée, donc de l'île Jéju. La politique linguistique reposa sur l'enseignement forcé du kokugo, la «langue nationale», c'est-à-dire le japonais. En 1926, il y eut des manifestations contre la discrimination ethnique pratiquées par les enseignants japonais.

En 1931, les étudiants firent des grèves et des protestations à répétition lorsque les autorités scolaires refusèrent d'accorder des diplômes aux étudiants de l'île. Beaucoup de militants ont passé du temps en prison, pendant que d'autres insulaires immigraient à Osaka au Japon. Les efforts d'assimilation, incluant des mesures draconiennes telles que l'interdiction de la langue coréenne et de la langue jéju, et même des noms de famille coréens, ne prirent fin qu'avec la défaite du Japon (1945) pendant la Seconde Guerre mondiale.

En février 1945, à la conférence de Yalta, peu de temps avant la fin de la guerre dans le Pacifique, les États-Unis et l'URSS s'entendirent pour diviser la Corée au niveau du 38e parallèle pour veiller à la reddition et au désarmement des troupes japonaises. En 1947, les deux grandes puissances commencèrent à organiser des gouvernements distincts.

Des élections organisées par les États-Unis le 10 mai 1948 (surveillées par les Nations unies) aboutirent à la victoire du parti de Li Sungman — qui fut élu président — et à la création de la république de Corée, proclamée le 15 août 1948. En réaction, le Nord fit de même et, le 25 août 1948, créa la République populaire démocratique de Corée proclamée le 18 septembre 1948. Kim il Sung devint premier ministre du nouveau gouvernement. Dès lors, l'armée soviétique et l'armée américaine se retirèrent temporairement des deux moitiés de pays qu'elles occupaient et laissèrent face à face les deux États. Par le fait même, l'île Jéju devint une partie officielle de la nouvelle république de Corée (ou Corée du Sud), mais l'histoire de cette île est généralement omise des livres d'histoire et des manuels de la Corée du Sud.

3.3 L'intégration dans la Corée du Sud

E
n Corée du Sud, une idéologie linguistique basée sur le mythe d'une Corée ethniquement et racialement homogène est apparue parmi les élites politiques et universitaires. L'un des objectifs était de contrer l'influence du japonais dans la langue coréenne, mais il a eu aussi des effets pervers dans les variétés linguistiques régionales, car il fallait épurer le coréen des apports étrangers. Ce nationalisme ethnique a conduit les autorités coréennes à homogénéiser de force tout le pays et à imposer la variété du «coréen standard» partout dans la république de Corée. Au plan du vocabulaire, la «purification linguistique», plus particulièrement la guerre aux japonismes, devint une affaire d'État, car elle correspondait à une affirmation d'identité collective face au Japon. Au cours des années qui suivirent, de nombreux mots japonais disparurent de l'usage et furent remplacés par des vocables «purs coréens. Il s'ensuivit une politique autoritaire visant à imposer partout la «langue standard», c'est-à-dire la «langue cultivée au Nord». 

Dans l'île de Jéju, il y a eu un soulèvement de la population en 1948. Malheureusement, le soulèvement de Jéju et sa répression ont coûté la vie à 80 000 personnes sur une île qui comptait à l'époque quelque 300 000 habitants. L'intervention de l'armée sud-coréenne a été particulièrement brutale, car elle détruisit 170 villages et suscita des rébellions dans la péninsule ainsi que la mutinerie de plusieurs centaines de soldats. La rébellion dura jusqu'en mai 1949 en ayant massacré jusqu'à 25 % de la population totale de l'île pendant que 40 000 autres ont fui au Japon pour échapper aux combats. Dès le début des années 1950 avec l'afflux de plus de 100 000 soldats du continent, le jéju se retrouva en position de minorité. Pendant cinquante ans, les individus qui commémoraient ce massacre allaient être arrêtés et torturés. Évidemment, une bonne partie de la population insulaire disparut et, avec elle, un grand nombre de locuteurs du jéju.

Dès lors, le gouvernement nationaliste de Séoul, alors profondément anticommuniste, lança une politique de «coréanisation» forcée parmi la population de l'île. Le jéju (jéjuéo) fut rétrogradé au rang de «patois vulgaire» ou de «dialecte local du coréen» et interdit dans l'administration publique et les établissements scolaires; ses locuteurs furent dénigrés et ridiculisés ou considérés comme des «communistes», bien qu'il n'y ait aucun lien entre la langue jéju et l'idéologie communiste. Par voie de conséquence, l'imposition du coréen standard dans les écoles de Jéju a fait régresser le jéju à un rythme très rapide, ne laissant que les locuteurs plus âgés. De plus, l'île de Jéju, historiquement perçue pour être une terre pénitentiaire ou une terre d'exil, a fait paraître sa langue ancestrale comme un «dialecte» encore plus inférieur aux variétés dialectales parlées dans la péninsule. En raison de ces idées répandues sur le jéju, de nombreux locuteurs ont été découragés d'utiliser leur langue dans leur vie quotidienne, ce qui a entraîné une diminution massive de l'usage du jéju. Le jéju conserve de nombreux mots archaïques qui ont été perdus ailleurs dans la péninsule et a emprunté des mots étrangers qui ne se trouvent pas dans le coréen standard; de nombreux mots jéjus proviennent des langues japonaise, chinoise, mandchoue et mongole.

En 1993, la Corée du Sud planifia une base navale américaine sur l'île de Jéju. En raison de l'opposition des insulaires et des écologistes, l'immense base américaine ne fut achevée qu'en 2016. Les insulaires continuent de dénoncer la course à l’armement et le saccage environnemental, mais la répression coréenne s'est poursuivie et des maires ont été emprisonnés et tabassés.

3.4 L'autonomie administrative
 

Néanmoins, dans le but non avoué de calmer la population, le gouvernement sud-coréen a approuvé un projet de loi destiné à transmettre tous les droits administratifs à la province autonome de Jéju, sauf en ce qui concerne la défense nationale, la justice et les affaires extérieures. Le gouvernement local peut ainsi posséder son propre système de taxation, sa force de police et adopter ses propres lois intérieures («ordonnances»). Il peut embaucher des fonctionnaires étrangers et réglementer son système d'éducation. Le 1er juillet 2006, l'île de Jéju est devenue la première et la seule province administrative spéciale de la Corée du Sud.

En devenant une «province autonome spéciale», le système administratif de l'île s'est trouvé transformé pour devenir une zone de développement en libre accès et un territoire international libre similaire à Hong Kong et à Singapour. De fait, Hong Kong et Singapour ont connu une grande prospérité économique sur leur territoire respectif en bénéficiant d'une liberté illimitée dans leurs activités commerciales et d'une libéralisation ambitieuses. Ainsi, la Corée du Sud a voulu faire de l'île Jéju une zone internationale grâce à une décentralisation complète et à une autonomie locale. L'industrie touristique de Jéju est la principale cause de la croissance économique de l'île Jéju, en raison des conditions géographiques favorables et des ressources financières allouées.

Cependant, la désuétude du jéju, en particulier parmi la jeune génération des insulaires, a continué à augmenter considérablement, car le coréen standard a pris toute la place dans le système d'éducation et dans la culture des habitants. Beaucoup de jeunes sur l'île peuvent comprendre la langue ancestrale quand leurs grands-parents leur parlent, mais ils sont dans l'incapacité de leur répondre dans cette langue. Pour cette raison, les linguistes prédisent que le jéju devrait disparaître si les jeunes ne pratiquent pas régulièrement leur langue ancestrale. Une autre difficulté provient du fait que la normalisation de l'orthographe du jéju n'est pas encore terminée et qu'elle est toujours en cours; parmi les quelques variétés régionales du jéju, aucune n'a pu être désignée comme norme.

Au début des années 2000, un linguiste de l'Université d'Hawaï, William O'Grady et d'autres linguistes ont demandé que des écoles de langue jéju et des programmes de cette langue soient mis en place dans l'île. Le professeur O'Grady a exprimé son ambition de sauvegarder la langue en danger et d'instruire les jeunes qui ne l'ont pas apprise. À l'instar des actions d'O'Grady, de nombreux autres linguistes coréens et étrangers se sont intéressés à la préservation de la langue jéju. Le temps presse, car tous les jours des locuteurs du jéju disparaissent, emportant avec eux un aspect de la culture et de la tradition de Jéju. Or, sans la préservation du jéju et son maintien, il n'y aurait plus de peuple jéju. Si aucune action n'est entreprise pour préserver son usage, la langue est appelée à disparaître.

À peine un an après avoir obtenu son autonomie en 2007, l'Assemblée provinciale a adopté des mesures législatives pour protéger la langue jéju. Il s'agit de l'Ordonnance pour la préservation et l'enseignement du jéju. En coréen: 제주어 보전 및 육성 조례. Cette loi (appelée "ordonnance") a été modifiée à quelques reprises depuis 2007, soit en 2011, en 2014, en 2016 et en 2017, ce qui signifie qu'elle paraissait inadéquate. L'importance de cette ordonnance sur la préservation du jéju depuis 2007 constitue en elle-même un grand bouleversement dans la mesure où, pour la première fois, une législation «coréenne» reconnaît une autre langue autochtone que le coréen, ce qui contredisait le mythe de l'homogénéité linguistique en Corée.

4. La politique linguistique

La politique linguistique du gouvernement provincial de Jéju se limite pour l'essentiel à la préservation de la langue jéju au moyen de mesures d'encouragement à son apprentissage.

4.1 L'assemblée provinciale

L'île Jéju est administrée par un gouverneur élu et une assemblée provinciale qui adopte les lois locales. Le coréen est la langue officielle de l'Assemblée provinciale. Le gouverneur est aussi le représentant de Séoul dans l'île. Les citoyens des deux villes importantes dans l'île, la ville de Jéju et la ville de Seogwipo, n'élisent pas leur maire respectif, car ils sont désignés par le gouverneur.

L'Assemblée provinciale peut adopter les lois qu'elle désirent, mais elle est soumise à certaines lois nationales, dont la Loi-cadre sur la langue coréenne de 2005 (modifiée en 2011) et les lois concernant la justice telles que la Loi sur la procédure civile (2002), la Loi sur la Cour constitutionnelle (2011), la Loi sur l'organisation judiciaire (2014) et la Loi sur l'immigration (2016). La langue officielle de l'Assemblée provinciale est le coréen standard.

4.2 Les services administratifs

Le cadre administratif de l'île Jéju accorde aux autorités locales quelque 350 domaines d'intervention possibles, à l'exception de la diplomatie et la défense. Par contre, le gouvernement provincial peut gérer l'éducation, la fiscalité, la finance, l'émission et l'octroi des permis pour les casinos et le recours à des ressortissants étrangers. L'île possède également une force de police distincte de la police nationale.

La réglementation coréenne relative à l'éducation, à la santé et au tourisme est carrément supprimée pour en accorder l'entière juridiction au gouvernement provincial qui peut autoriser des entreprises étrangères à construire non seulement des écoles et des hôpitaux, mais aussi des centres de loisir considérés comme essentiels pour faire de l'île une destination attrayante pour les investisseurs étrangers et les touristes. Le gouvernement local peut enfin étendre des dispenses de visas à tous les pays, à l'exception de ceux qui soutiennent prétendument des activités terroristes internationales telles que l'Iran, l'IraK, le Soudan, Cuba et la Syrie.

Cela dit, toute l'administration locale n'utilise que le coréen dans les services aux citoyens, mais a aussi recours à l'anglais, au japonais et au chinois avec les ressortissants étrangers.

4.3 L'éducation

Sur l'île de Jeju, comme dans d'autres parties de la Corée du Sud, l'enseignement primaire d'une durée de six ans est obligatoire. Le but des écoles primaires est de préparer les enfants à une éducation de base pour les aider à devenir de bons citoyens du pays. Cet enseignement est suivi au secondaire du collège de trois ans et du lycée également de trois ans. À partir de là, les étudiants diplômés ont le choix d'aller dans des écoles professionnelles ou à l'université pour quatre années. Les écoles publiques fonctionnent pendant plus de 220 jours et les matières obligatoires sont le coréen, les mathématiques, la musique, les arts, la science, l'éducation physique. Il existe aussi des jardins d'enfants (trois heures par jour) dont le but est d'aider les enfants à se préparer au prochain niveau de scolarité. Les enfants y assistent trois heures par jour.  La province autonome de Jéju compte 105 écoles primaires, 41 collèges, 29 écoles secondaires (lycées) et 6 universités. L'administration locale peut également s'équiper d'écoles secondaires internationales dans le cadre de son programme à long terme visant à développer les capacités linguistiques des étudiants locaux. Les programmes universitaires étrangers seront également pris en compte dans les universités locales.

- La protection linguistique

En 2007, l'Assemblée provinciale a adopté l'Ordonnance pour la préservation et l'enseignement du jéju. En coréen: 제주어 보전 및 육성 조례. L'article 1er énonce que l'ordonnance doit contribuer au développement de la culture locale par l'héritage, la culture et le développement de la culture et de l'histoire locales par la préservation et la promotion de la langue jéju qui est en train de disparaître:  

제1 조

목적

이 조례는 「 국어기본법」제4조에 따라 사라져가는 제주어의 보전과 육성을 통하여 지역의 문 화와 역사를 계승하고, 이를 전승하고 발전시킴으로써 향토문화의 발전에 이바지함을 목적으로 한다.<개정

Article 1er

But

La présente ordonnance doit contribuer au développement de la culture locale par l'héritage, la culture et le développement de la culture et de l'histoire locales par la préservation et la promotion de la langue jéju qui est en train de disparaître, conformément à l'article 4 de la Loi-cadre sur la langue coréenne.

L'article 2 définit la langue jéju comme «la langue traditionnelle utilisée par les résidents de la province autonome spéciale de Jéju» afin de communiquer:  

제2조

정의

"제주어"란 제주특별자치도(이하 "제주자치도"라 한다)에 거주하는 사람들이 사용하는 언어 중에서 도민의 문화정체성과 관련 있고, 제주 사람들의 생각이나 느낌을 전달하는 데 쓰는 전래적인 언어를 말한다.

Article 2

Définitions

Dans la présente ordonnance, le terme «langue jéju» désigne la langue traditionnelle utilisée par les résidents de la province autonome spéciale de Jéju (ci-après dénommée «région autonome de Jéju») afin de communiquer les pensées et les sentiments du peuple jéju, ce qui est lié à l'identité culturelle des citoyens.

L'article 3 de l'Ordonnance pour la préservation et l'enseignement du jéju énonce les obligations de la province autonome de Jéju:
 

제3조

제주특별자치도지사의 책무)

1) 제주특별자치도지사(이하 "도지사"라 한다 는 사라져가는 제주어의 보전과 전승을 위한 환경을 조성하여 도민들이 제주어를 이해하게 하는 한편, 제주어의 지속적인 보전과 그

2) 지원을 위하여 노력하여야 한다② 도지사는 도민이 불편 없이 제주어를 이용하거나 접할 수 있도록 필요한 정책을 수립하여 시행하여야 한 다.

Article 3

Obligations de la province autonome spéciale de Jéju

1) Le gouverneur de la province autonome spéciale de Jéju (ci-après dénommé  «le gouverneur») doit fournir un environnement propice à la préservation et à la transmission de la langue disparue de Jéju, et il s'efforcera de préserver et de soutenir continuellement la langue.

2) Le gouverneur doit établir et mettre en œuvre les politiques nécessaires pour permettre aux résidents d'utiliser ou d'accéder à la langue jéju sans inconvénient.

En vertu de l'article 4 de l'ordonnance, le gouverneur de l'île doit prévoir et appliquer un programme de base pour la préservation et la transmission du jéju comprenant l'orientation de la politique linguistique, l'amélioration de la maitrise linguistique des citoyens de Jéju, l'enseignement de la langue jéju, la préservation de cette langue et du patrimoine culturel de Jéju, les questions relatives aux ressources touristiques de la langue du jéju, la promotion des activités du secteur privé pour le développement de la langue et toute autre question concernant l'usage et le développement de la langue de Jéju. Le ministère de l'Éducation de Jéju a publié en ligne huit manuels de jéju pour les écoles primaires et secondaires. Divers livres d'histoires pour enfants ont aussi été publiés dans l'île. 

L'article 8 de l'Ordonnance pour la préservation et l'enseignement du jéju prévoit la création d'un Comité pour la préservation et le développement de la langue jéju. Ce comité de 15 membres doit étudier les questions portant sur la préservation et l'usage du jéju, son enseignement et les projets de recherche sur cette langue.

제12조

제주어의 보급 등

도지사는 제주어를 배우려는 사람을 위하여 교육과정을 개설하고 교재를 개발하 며 전문가를 양성하는 등 제주어 보급에 필요한 사업을 시행하여야 한다.
Article 12

Diffusion de la langue jéju


Le gouverneur de la province doit mettre en œuvre les activités nécessaires à la diffusion de la langue jéju, comme l'élaboration de programmes d'études, la production de manuels et la formation de spécialistes pour ceux qui veulent apprendre la langue jéju.

L'article 13 de l'ordonnance traite de l'enseignement du jéju:

제13조

제주어 교육

1) 도지사는 제주어의 보전, 전승과 보급을 위한 제주자치도내에서의 학교 교육에 필 요한 사항을 제주특별자치도 교육감과 협의하여 정할 수 있다.

2) 제주특별자치도 도교육감은 제1항에 따라 학교 교육의 활성화를 위한 시책을 수립하여 시행하며, 교육 을 실시하는 각급 학교의 관련 활동을 적극 지원하여야 한다.

Article 13

Enseignement de la langue jéju

1) Le gouverneur est responsable de la formation scolaire sur l'île de Jéju pour la préservation, la transmission et la diffusion de la langue jéju. Les exigences peuvent être déterminées en consultation avec le surintendant spécial de l'enseignement du jéju.

2) Le surintendant de la province autonome spéciale de Jeju doit établir et mettre en œuvre des mesures pour la revitalisation de la formation scolaire conformément au paragraphe 1 et il doit soutenir activement les activités connexes des écoles qui offrent cet enseignement.

- Les pratiques réelles

Selon le programme général, l'instruction en jéju dans les écoles publiques (sous la forme de cours de langue) est encouragée en tant qu'activité parascolaire, ainsi que partiellement dans des classes régulières si cette pratique est jugée pertinente et réalisable. Cependant, comme les cours de jéju ne sont pas obligatoires, la plupart des enseignants choisissent de ne pas enseigner cette langue, étant trop occupés par le travail administratif pour assumer le fardeau de la maîtrise et de l'enseignement avec du nouveau matériel. En conséquence, seule une poignée d'enseignants dans les écoles publiques enseignent le jéju, généralement de façon non officielle et en fonction de leur intérêt personnel.

Alors que l'instruction en jéju dans le système scolaire public est plutôt limitée, les programmes de jéju pour adultes sont disponibles à divers endroits dans l'île. La Jejueo Preservation Society offre depuis 2010 un programme de formation pour les enseignants parrainé par le gouvernement local de Jéju. Des programmes de jéju pour adultes sont aussi offerts chaque année par le Centre Jejueo de l'Université nationale de Jéju et l'Institut de recherche sur la langue jéju. Tous ces programmes étant gratuits, ils sont populaires parmi les insulaires de Jéju, ainsi que chez les immigrants de la Corée continentale. Des manuels en jéju (cf. l'illustration ci-contre) sont également disponibles, mais toutes ces ressources ne touchent pas 10 % de la population de l'île.

La direction des services pédagogiques du système d'éducation de Jéju seraient en faveur de réintroduire la langue dans le programme standard dans les écoles publiques, mais les budgets pour cette initiative n'existent pas. En 2011, le budget pour la préservation de la langue s'élevait à 43 millions de wons sud-coréens, soit environ 39 000 $ US (ou 31 800 €), ce qui apparaît nettement insuffisant parce que ce montant comprend la diffusion sur l'Internet, le salaire des enseignants et les prix pour le concours annuel du jéju. 

- L'Institut de recherche sur la langue jéju

L'article 17 de l'Ordonnance pour la préservation et l'enseignement du jéju crée l'Institut de recherche sur la langue jéju.  Une brochure d'introduction à la conversation en jéju doit être distribuée aux visiteurs et aux habitants de l'île afin d'encourager un plus large usage de cette langue. De plus, une base de données sur le jéju doit être compilée et utilisée pour produire du matériel audiovisuel.

4,4 Les médias

L'ile Jéju compte cinq journaux locaux en coréen: le Cheju Daily News (ci-contre), le Jeminilbo, le Hallailbo, le Seogwipo-News, le Jejumaeil. Quant au Jeju Weekly, il est le seul journal en langue anglaise imprimé sur l'île. Il est évidemment impensable d'avoir un seul journal en jéju en  raison du faible nombre des locuteurs de cette langue. Les stations de télévision et de radio, qui diffusent toutes en coréen, incluent le système de radiodiffusion de City Free International de Jeju (une filiale de SBS), de KBS Jeju, de Jeju MBC et de KCTV Jeju.

En ce qui concerne le jéju, certains journaux publient des dialogues et des romans dans cette langue. En outre, la Jejueo Preservation Society publie un magazine bimestriel dans l'île et deux stations de radio diffusent des programmes incluant des conversations en jéju. 

La politique linguistique du gouvernement de la province autonome de Jéju à l'égard de la langue ancestrale est encore rudimentaire. Il ne peut en être autrement dans la mesure où cette langue très ancienne n'est parlée que par un petit nombre de locuteurs, ce qui correspond à moins de 2 % de la population locale. Autrement dit, le jéju est une langue étrangère pour la quasi-totalité des insulaires. Même des langues étrangères comme le japonais et le chinois comptent beaucoup plus de locuteurs (en L2 > langue seconde). Il sera difficile de renverser la vapeur et de redonner une vitalité au jéju considéré comme «en situation critique» par l'Unesco.

Les mesures prises par la province ressemblent à celles adoptées par l'État d'Hawaï (États-Unis). Il est peu probable que l’hawaïen redevienne un jour une langue véhiculaire, même avec son statut de langue co-officielle avec l'anglais, mais l’État d’Hawaï veut néanmoins perpétuer son usage dans l'enseignement et, surtout, développer chez tous les Hawaïens un sentiment d'identité collective, et ce, même chez les locuteurs parlant le filipino, le japonais, le chinois, le créole ou le coréen. L'État d'Hawaï ne peut qu'encourager l’usage de l’hawaïen, langue ancestrale, dans la toponymie, l'odonymie (plus précisément la partie spécifique des noms de rue), les raisons sociales, les menus de restaurant, etc. Bref, Hawaï peut réussir à perpétuer l’usage d’une langue seconde qui, jusqu’à récemment, paraissait à son dernier souffle. Le modèle hawaïen montre bien qu'une langue, même en danger de mort, peut survivre comme symbole identitaire. En définitive, il est peu probable qu'une politique linguistique, telle qu'elle est adoptée dans la province autonome de Jéju, ait pour effet de redonner vie au jéju, car il est maintenant trop tard pour appliquer une politique de bilinguisme plus systématique dans laquelle les deux langues, le coréen et le jéju, seraient sur un pied d'égalité. 

Dernière mise à jour: 21 févr. 2024
 

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