Le Livre rouge de Didier Ratsiraka Charte de la Révolution socialiste malagasy ou Boky Mena La malgachisation |
Didier Ratsiraka, futur président de Madagascar, a publié, le 26 août 1975, son «Livre rouge» appelé Charte de la révolution socialiste malagasy ou Boky-Mena, ce qui rappelait évidemment le petit livre rouge de Mao Tsé Toung (Chine). Dans cet ouvrage de quelque 200 pages, Ratsiraka définissait son projet politique, économique et social qu'il proposait aux Malgaches. Soumise au vote populaire, la charte fut, à plus de 94 %, approuvée ainsi que sa propre candidature à la présidence de la République. Didier Ratsiraka devint président de Madagascar à 39 ans; il resta au pouvoir avec quatre mandats, dont septennats complets, un septennat écourté et un quinquennat. L'extrait qui suit porte sur la question linguistique et la malgachisation.
LA MALGACHISATION
Malgachiser l'enseignement signifie harmoniser le contenu et les méthodes de cet enseignement avec les impératifs de la Révolution, c'est-à-dire l'édification d'un État socialiste et véritablement malgache.
C'est une entreprise difficile qui doit être menée de manière progressive, notamment en ce qui concerne la langue d'enseignement et l'organisation des différents ordres d'enseignement.
Les recherches, commencées pour l'élaboration du «malgache commun» et pour rendre son utilisation courante et généralisée, seront poursuivies et développées.
Nous accorderons notre attention particulière à cette tâche à laquelle doivent s'atteler les différentes régions de notre pays. Et nous pensons qu'une part importante revient aux anciens, gardiens de la pureté de la langue de nos ancêtres. Toutefois, il faut noter qu'il s'agit là d'un travail de longue haleine. Et avant d'aboutir à la consécration de ce «malgache commun», l'on utilisera cumulativement le malgache officiel, le malgache dans ses variantes régionales, et le français. L'application d'un tel principe aux différents niveaux d'enseignement seras précisée par le ministre de l'Éducation nationale.
En ce domaine, nous devons éviter les malentendus sur l'utilisation de la langue française, car seule la vérité est révolutionnaire et le révolutionnaire ne doit pas avoir de complexe.
Pour «construire» ou «reconstruire», il est souvent nécessaire de «détruire», et on ne peut pas n'utiliser que les matériaux de l'édifice détruit, car il y a toujours quelques éléments pourris qui ne peuvent plus servir à la nouvelle construction; il faut ajouter de nouveaux éléments po9ur édifier sur des bases plus solides la nouvelle construction.
Mais il ne faut pas, par exemple, sous prétexte de décolonisation, abandonner sans discernement tous les apports valables et utilisables des colonisateurs. Ce n'est pas parce que ceux-ci ont exploité nos terres à l'aide de tracteurs et de machines agricoles qu'il faut, l'indépendance retrouvée, jeter toutes ces machines à la mer.
Les combattants vietnamiens nous donnent dans ce domaine un admirable exemple. C'est avec des armes prises ou récupérées chez leurs adversaires qu'ils ont bouté ceux-ci hors de leur Patrie. Or, qu'on le veuille ou non, la langue française (cf. la langue anglaise) est une arme qu'il nous faut utiliser.
Force est de reconnaître que pendant longtemps encore, nous aurons besoin de cette langue comme d'une fenêtre ouverte sur le monde de la civilisation technique. Cela ne veut pas dire qu'il faut reléguer le malgache au deuxième plan,. Non! Mille fois non! Bien au contraire, nous donnons d'ores et déjà la primauté à notre langue nationale et nous devons accélérer la codification, la modernisation et l'enrichissement du malgache, avec l'apport de tous les dialectes, pour en faire un instrument efficace de développement de l'Homme malgache et de maîtrise de toutes les disciplines techniques et scientifiques.
Il ne faut jamais perdre de vue que «parler une autre langue n'est pas dire sa pensée avec d'autres mots, mais penser autrement et, du même coup, penser autre chose».
C'est pourquoi le bilingue (et même le polylinguisme, car il serait souhaitable que chaque Malgache parle deux ou trois langues étrangères) et un bilinguisme circonstanciel, dicté par le réalisme le plus réaliste, et ce, dans l'intérêt même de notre pays. Mais en revanche, nous sommes totalement opposés à toute division du tiers monde en anglophones et francophones. Nous sommes tout aussi opposés à ce mouvement di «Francophonie», car objectivement il a des relents de paternalisme et de néocolonialisme que nous récusons.... dussions-nous choquer certaines bonnes âmes thuriféraires de cette Francophonie.