Statut spécial du Mémorandum de Londres du 5 octobre 1954

Le 5 octobre 1954, les représentants de la Yougoslavie, de l'Italie, des États-Unis et du Royaume-Uni signèrent un accord international à Londres, appelé «Mémorandum de Londres». Avec cette signature, ces États réglaient temporairement la question désordonnée de la ligne de démarcation entre la Yougoslavie et l'Italie. La question de la frontière restait en suspens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Istrie slovène et dans les environs de Trieste (Italie).

Avec l'accord de 1954, l'administration militaire dans les zones A et B du «Territoire libre de Trieste» est passée d'une l'administration militaro-civile temporaire à des institutions civiles:

- l'administration civile italienne était étendue à tout le territoire de la zone A, l'armée anglo-américaine devant quitter le territoire;
- l''administration civile yougoslave était étendue à toute la zone B, qui était occupée par l'armée yougoslave depuis le retrait de Trieste le 12 juin 1945.

En vertu de cet accord, la Slovénie récupérait la zone une voie de sortie vers la mer, un territoire qui, avant la Seconde Guerre mondiale, était administrée par l'Italie.

Le Mémorandum de Londres fut rédigé en anglais et en français, les deux versions étant également officielles.

MÉMORANDUM D'ACCORD ENTRE LES GOUVERNEMENTS DE L'ITALIE, DU ROYAUME-UNI, DES ÉTATS-UNIS ET DE LA YOUGOSLAVIE
RELATIF AU TERRITOIRE LIBRE DE TRIESTE

STATUT SPÉCIAL

Considérant que le Gouvernement italien et le Gouvernement yougoslave ont la commune intention de garantir, dans les zones placées sous leur administration,  en vertu du présent Mémorandum d'accord, la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion, il est convenu de ce qui suit:

1. Dans l'administration de leurs zones respectives, les autorités italiennes et yougoslaves agiront conformément aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, de telle sorte que tous les habitants des deux zones puissent jouir pleinement, sans discrimination, des droits et de libertés fondamentales énoncés dans ladite Déclaration;

2. Les membres du groupe ethnique yougoslave dans la zone administrée par l'Italie et les membres du groupe ethnique italien dans la zone administrée par la Yougoslavie jouiront des mêmes droits et du même traitement que les autres habitants des deux zones.

Cette égalité implique qu'ils jouiront:

(a) De l'égalité avec les autres citoyens en ce qui concerne les droits politiques et civils, ainsi que les autres droits de l'homme et libertés fondamentales garantis par l'article premier;

(b) De droits égaux pour l'obtention ou l'exercice de tous services, fonctions, professions et honneurs de caractère public;

(c) De l'égalité d'accès aux fonctions publiques et administratives; à cet égard, l'administration italienne et l'administration yougoslave auront pour principe de
faciliter, au groupe ethnique yougoslave.et au groupe ethnique italien placés sous leurs administrations respectives, une représentation équitable dans les postes administratifs et notamment dans des domaines, tels que l'inspection des écoles, où les intérêts de ces habitants sont spécialement en jeu;

(d) De l'égalité de traitement pour' l'exercice de leurs métiers et professions dans l'agriculture, le commerce, l'industrie ou dans toute autre branche, et. pour la
création et la gestion d'associations et d'organisations économiques à cette fin« Ladite égalité .de traitement s'appliquera également en matière fiscale, A cet égard, les personnes qui exercent à l'heure actuelle un métier ou une profession et qui ne possèdent pas les diplômes ou certificats requis pour l'exercice de ces activités, disposeront d'un délai de quatre ans à dater de la signature du présent Mémorandum d'accord pour obtenir les diplômes ou certificats nécessaires. Elles ne devront pas être empêchées d'exercer leur métier ou leur profession parce qu'elles ne possèdent pas les titres requis, à moins qu'elles ne réussissent pas à les obtenir pendant la période de quatre ans susmentionnée

(e) De l'égalité de traitement en ce qui concerne l'utilisation des langues, dans les conditions indiquées à l'article 5 ci-après;

(f) De l'égalité avec les autres citoyens dans le domaine général de l'assistance sociale et des pensions (prestations de maladie, pensions de vieillesse et d'invalidité, y compris les cas d'invalidité dus à la guerre ainsi que les pensions versées aux personnes dont les soutiens ont été tués à la guerre);

3. L'incitation à la haine de caractère national ou racial est interdite dans les deux zones; tout acte de cette nature sera puni;

4. Le caractère ethnique et le libre développement culturel du groupe ethnique yougoslave, dans la zone sous administration italienne, et ceux du groupe ethnique italien, dans la zone sous administration yougoslave, devront être préservés.

(a) Les deux groupes auront le droit d'avoir leur propre presse rédigée dans leur langue maternelle;

(b) Les organisations éducatives, culturelles, sociales et sportives des deux groupes pourront fonctionner librement conformément à la législation en vigueur. Les organisations de cette nature bénéficieront du même traitement que celui qui sera accordé à d'autres organisations correspondantes dans leurs zones respectives, notamment en ce qui concerne l'utilisation des édifices publics de la radio, et les subventions sur les fonds publics; les autorités italiennes et yougoslaves s'efforceront d'assurer à ces organisations la possibilité de continuer à utiliser les facilités dont elles disposent actuellement ou des facilités comparables;

(c) Les deux groupes, devront avoir à leur disposition des jardins d'enfants et des écoles primaires, secondaires et professionnelles qui dispensent l'enseignement dans leur langue maternelle. Des écoles de cette nature fonctionneront dans toutes les localités de la zone sous administration italienne où se trouvent des enfants appartenant au groupe ethnique yougoslave et dans toutes les localités de la zone sous administration yougoslave où se trouvent des enfants appartenant au groupe ethnique italien. Le Gouvernement italien et le Gouvernement yougoslave s'engagent à
maintenir en activité, au profit des groupes ethniques des zones relevant de leur administration, les écoles existantes qui sont énumérées dans la liste annexée au présent Statut; avant de procéder à la fermeture de l'une quelconque de ces écoles, ils devront prendre l'avis de la Commission mixte prévue dans l'article final du présent Statut.

Ces écoles jouiront de l'égalité de traitement avec les autres écoles de même type dans les zones administrées par l'Italie et la Yougoslavie respectivement, en ce qui concerne la fourniture de manuels scolaires, de locaux et d'autres moyens matériels, le nombre et la situation du personnel enseignant et la reconnaissance des diplômes. Les autorités italiennes et yougoslaves s'efforceront de faire en sorte que l'enseignement dispensé dans ces écoles le soit par des maîtres dont la langue maternelle est la même que celle des élèves.

Les autorités italiennes et yougoslaves feront adopter dans le plus "bref délai les mesures légales nécessaires pour que 1,'organisation permanente desdites écoles soit réglée conformément aux dispositions qui précèdent. Les membres du personnel enseignant de langue italienne qui, à la date où le présent Mémorandum d'accord a été paraphé, enseignaient dans les établissements scolaires situés dans la zone administrée par la Yougoslavie, et les membres du personnel enseignant de langue Slovène qui, à la même date, enseignaient dans les établissements scolaires situés
dans -la zone administrée par l'Italie, ne seront pas révoqués de leurs fonctions pour la raison qu'ils ne possèdent pas le diplôme d'enseignement requis. Cette disposition exceptionnelle ne pourra pas servir de précédent ni être invoquée comme s'appliquant à des catégories autres que celles qui sont spécifiées ci-dessus. Les autorités yougoslaves et italiennes prendront toutes dispositions raisonnables, dans le cadre des lois existantes, pour donner aux maîtres susvisés la possibilité, prévue au paragraphe (d) de l'article 2 ci-dessus, d'acquérir le même statut que les autres membres du personnel enseignant.

Les programmes d'enseignement de ces écoles ne devront pas être orientés de façon à influencer le caractère national des élèves.

5. Les membres du groupe ethnique yougoslave, dans la zone administrée par l'Italie, et les membres du groupe ethnique italien, dans la zone administrée par la Yougoslavie, pourront faire, usage de leurs langues respectives dans leurs rapports tant privés qu'officiels avec les autorités administratives et judiciaires des deux zones. Ils auront le droit de recevoir des autorités une réponse dans la même langue, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un interprète, dans le cas de réponses données verbalement; pour ce qui est de la correspondance, les autorités devront au moins fournir une traduction des réponses.

Les pièces de caractère officiel concernant les membres desdits groupes ethniques, y compris les décisions judiciaires, devront être accompagnées d'une traduction dans la langue appropriée. Il en sera de même des avis officiels, ainsi que des publications et des proclamations publiques.

Dans la zone sous administration italienne, les inscriptions figurant sur les bâtiments publics ainsi que les noms des localités et des rues seront rédigés dans la langue du groupe ethnique yougoslave aussi bien que dans celle de l'Autorité administrante, dans les districts électoraux de la commune de Trieste et dans les autres communes où lès membres de ce groupe ethnique constituent un élément appréciable (un quart au moins) de la population; dans les communes de la zone sous administration yougoslave où le groupe ethnique italien constitue un élément appréciable (un quart au moins) de la population, ces inscriptions et ces noms seront rédigés en italien aussi bien que dans la langue de l'Autorité administrante.

6. Le développement économique de l'élément ethnique yougoslave dans la zone administrée par l'Italie et celui de l'élément ethnique italien dans la zone administrée par la Yougoslavie seront assurés sans discrimination, et les ressources financières disponibles seront réparties équitablement.

7. Il ne devra être apporté aux frontières des circonscriptions administratives de base, dans les zones placées sous l'administration civile de l'Italie ou de la Yougoslavie, aucune modification qui aurait pour but de porter atteinte à la composition ethnique desdites circonscriptions.

8. Il sera créé une Commission spéciale mixte italo-yougoslave, qui sera chargée de prêter son concours et de donner des avis en ce qui concerne les problèmes relatifs à la protection du groupe ethnique .yougoslave dans la zone sous administration italienne et du groupe ethnique italien dans la zone sous administration yougoslave. La Commission examinera également les plaintes formulées et les questions soulevées par les particuliers appartenant aux deux groupes ethniques, au sujet de la mise en œuvre du présent Statut.

Le Gouvernement yougoslave et le Gouvernement italien faciliteront les visites de la Commission dans les zones qu'ils administrent et lui accorderont toutes les facilités dont elle aura besoin pour l'exercice de ses fonctions.

Les deux Gouvernements s'engagent à élaborer sans délai, par voie de négociation, un règlement détaillé qui régira les travaux de la Commission.

Londres, le 5 octobre 1954

(Manlio Brosio)
(Dr Vladimir Velebit)

Europe

Italie - Yougoslavie - Slovénie

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