Le père Louis-Philippe Potier
Façons de parler proverbiales, triviales,
figurées, etc.,
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Biographie
Louis-Philippe Potier est né le 21 avril 1708 à Blandain (Tournai), en Belgique. En 1729, il entra au noviciat de Tournai où, au cours de ses études, il se montra spécialement doué pour les langues, ce qui allait l'influencer dans son travail de missionnaire. Il s'embarqua à La Rochelle le 18 juin 1743 pour la Nouvelle-France et arriva à Québec le 1er octobre de la même année. Après avoir passé six mois à la mission de Lorette afin de se familiariser avec la langue huronne, il quitta Québec le 26 juin 1744 pour la mission huronne de l'Île-aux-Bois-Blancs située à l'embouchure de la rivière Détroit.
Deux ans plus tard, il devint responsable de la mission du Détroit. Sa mission au Détroit, poste militaire, centre de colonisation et passage vers l'intérieur de l'Amérique, lui permit de côtoyer, outre les Amérindiens, un grand nombre de militaires, de missionnaires, de colons et de commis. Il témoigna d'une curiosité particulière à l'égard du sens des divers mots qu'il lisait ou qu'il entendait dans les conversations, ce qui l'incita à consigner les expressions de ses contemporains depuis Québec jusqu'au Détroit. À la suite de la Conquête britannique de 1760, il demeura dans le Pays-d'en-Haut et devint en 1767 curé de la paroisse de Notre-Damede-l'Assomption-de-la-Pointe-de- Montréal du Détroit, la plus ancienne paroisse de la province de l'Ontario actuelle. Il décéda le 16 juillet 1781 dans cette paroisse (aujourd'hui Winsor).
Bien que le père Potier eut vécu de nombreuses années dans l'isolement du Pays-d'en-Haut, il manifesta une activité intellectuelle impressionnante pour l'époque. Il était un spécialiste de la langue huronne. Les archives de la Compagnie de Jésus déposées au Grand Séminaire de Québec comptaient cinq manuscrits sur la langue huronne, dont certains furent rédigés en latin : «Radices linguae huronicae», «Elementa grammaticae huronicae», «Sermons en langue huronne», «Extraits de l’Évangile» et «De religione». C'est entre 1743 et 1758 qu'il rédigea les Façons de parler proverbiales, triviales, figurées, etc., des Canadiens au XVIIIe siècle. C'est le seul et unique dictionnaire du français parlé en Nouvelle-France, donc un document extrêmement précieux.
Présentation de l'ouvrage
Le manuscrit du père Potier contient les premières attestations en Amérique d'un grand nombre de mots d'origine gallo-romane, dont plusieurs sont encore utilisés couramment par les francophones du Canada. On y trouve les mots régionaux de France, les canadianismes, les particularités propres au Pays-d'en-Haut et les emprunts aux langues amérindiennes.
Ce manuscrit se présente sous forme d'un cahier de notes dans lequel le prêtre consignait des remarques sur la façon de parler de son entourage et sur les variations de sens de certains mots. On y dénombre au total près de 2000 mots ou expressions. Le père Potier avait consigné le tiers des mots de son lexique lors de son séjour à Lorette (1743-1744), mais les deux tiers l'ont été alors qu'il œuvrait dans la région du Détroit (1744-1758).
L'une des particularités de ce manuscrit réside dans le fait que l'auteur, contrairement aux ouvrages de l'époque, notait toutes ses remarques de nature linguistique sans porter de jugement, sans chercher à corriger les emplois, et ce, dans le seul but de décrire la langue de ses contemporains en Nouvelle-France. Ainsi, se côtoient dans ce recueil différents emplois, dont celui des dirigeants, des militaires, des artisans, des colons, des coureurs des bois, des voyageurs, des ménagères, des femmes de mœurs légères, etc. C'est un ouvrage unique pour l'époque, surtout qu'il décrit des mots utilisés vers la fin du Régime français en Nouvelle-France.
Avant d'être publié en version intégrale par Peter W. Halford (Le français des Canadiens à la veille de la Conquête : témoignage du père Pierre Philippe Potier, 1994, Université de Winsor), le manuscrit du père Potier avait été porté à l'attention du public au début du XXe siècle grâce à la Société du parler français au Canada, qui en avait publié des extraits dans son Bulletin de 1904 à 1906. Plus récemment, en 1980, Vincent Almazan avait publié une version plus riche mais incomplète («Pierre Potier, premier lexicographe du français au Canada : son glossaire») dans la Revue de linguistique romane. Comme l'affirme le linguiste André Lapierre dans la «Préface» du livre de Peter W. Halford (1994) : «Ce cahier constitue, à l'heure actuelle, le seul témoignage sur la langue parlée par les colons venus de France aux XVIIe et XVIIIe siècles pour jeter sur les bords du Saint-Laurent les bases de l'empire colonial français d'Amérique.»