Province du Sind

(Pakistan)

Province du Sind

 
Capitale: Karachi
Population: 34 millions
Langues officielles: sindhi et ourdou
Groupe majoritaire: sindhi (70 % de la province)
Groupes minoritaires:
ourdou, gujarati, jadgali, koli, od, saraiki, etc.
Système politique: l’une des quatre provinces de la République islamique du Pakistan
Articles constitutionnels (langue): art. 28, 251 et 255 de la Constitution fédérale de 1973
Lois linguistiques:
Loi sur la Commission de service public (1989);
Règlement sur le service du personnel judiciaire (1992); Ordonnance sur l'administration locale du Sind (2001); Loi sur l'administration locale (2013).

1 Situation géopolitique

  Le Sind (ou officiellement Sindh selon la Constitution pakistanaise) fait partie de l’une des quatre provinces de la République islamique du Pakistan. Cette province de 140 900 km² (Pakistan: 803 940 km²) est située au sud-est du pays. Le Sind est borné au sud par la mer d’Oman, à l’ouest et au nord-ouest par la province du Baloutchistan, au nord par la province du Panjab et à l’est par l’Inde (voir la carte). Sa capitale est Karachi.

Rappelons que le Pakistan forme une république fédérale islamique divisée en quatre provinces avec chacune son Chief Minister et son assemblée législative: le Baloutchistan (frontière sud-ouest avec l’Iran et l’Afghanistan), la province de la Frontière du Nord-Ouest («North-West Frontier»: à la frontière nord-ouest avec l’Afghanistan), le Panjab (frontière nord-est avec l’Inde) et le Sind (frontière sud-est avec la mer d’Oman et l’Inde). Dans les faits, le Sind a été transformé en un cantonnement militaire par le gouvernement fédéral. Les militaires se comportent comme s’ils occupaient un territoire ennemi, avec cette différence que, tous les jours, ils humilient, torturent et tuent des civils innocents.

2 Données démolinguistiques

Dans ce pays de 153 millions d’habitants (2003), c’est la province du Panjab représentant 53,8 % de l’ensemble de la population qui constitue de ce fait la province la plus puissante dans la fédération. Elle est suivie de la province du Sind (22,2 %), de la province de la Frontière-du-Nord-Ouest (12,8 %) et de la province du Baloutchistan (4,8 %). Au plan religieux, la plupart des Pakistanais sont de religion musulmane (96 %) dont 77 % de rite sunnite et 20 % de rite chiite. Les autres groupes forment ce qu’on appelle les «minorités» et représentent 3,3 % de la population: ils se composent de chrétiens, d'hindous, d'ahmadis, de parsis, de bouddhistes et de sikhs.

Dans la province du Sind, 16,8 millions de personnes (sur un total de 24 millions), soit 70 %, parlent le sindhi. Cette langue indo-iranienne est parlée également dans le pays voisin, l’Inde, ainsi qu’à Singapour, pour un total de 19 millions de locuteurs. Dans la province du Sind, les autres langues, qui appartiennent toutes au groupe indo-iranien sont principalement l’ourdou (13 %), le gujarati, le pachtou, le panjabi, le baloutchi, le saraiki, le thari, le jadgali, le persan, le koli, l’od, le kutchi, le bengali, etc.  Si les Sindhi forment l'ethnie majoritaire, les Panjabis et les Pachtounes constituent les deuxième et troisième groupes en importance.

Des quatre provinces du Pakistan (Baloutchistan, Panjab, Sind et Frontière-du-Nord-Ouest), seul le Sind possède deux langues officielles, soit l’ourdou et le sindhi. Il est légitime de se demander comment il se fait que, de toutes les langues régionales, seul le sindhi a acquis un prestige et un statut différent des autres langues telles que le baloutchi, le panjabi, le pachtou, etc. Le sindhi est, en effet, la seule langue régionale a avoir acquis un statut officiel reconnu à la fois par le gouvernement fédéral et la Constitution.

Ce statut particulier est dû au fait que le chef du gouvernement fédéral (Zulficar Ali Bhutto), au moment de la promulgation de la Constitution de 1973, était un Sindhi et jouissait d’une popularité exceptionnelle dans tout le pays. Il lui a été facile de favoriser et sa langue et sa province d’origine. Ce fait illustre qu’au Pakistan il y a une «ethnicisation» de la politique en général. Ainsi, plus particulièrement dans la province du Sind, les Sindhis ont peur de perdre leur majorité démographique et linguistique depuis l’arrivée massive des immigrants musulmans venus de l’Inde et des autres provinces pakistanaises. Les «étrangers» sont très mal acceptés et des problèmes ethniques surviennent, notamment à Karachi, la capitale du Sind. Dans cette province, la langue sert d’instrument d’identification ethnique plus que partout ailleurs au Pakistan. Dans les trois autres provinces, l’ourdou est reconnu comme unique langue officielle.
 

Province

Capitale

Langue(s)
nationale(s)

langue(s)
officielle(s)


BALOUTCHISTAN
 
Quetta baloutchi, pachtou et brahoui ourdou

PANJAB
 
Lahore panjabi et saraiki ourdou

SIND
 
Karachi sindhi sindhi et ourdou

FRONTIÈRE-DU-NORD-OUEST
 
Peshawar baloutchi et pachtou ourdou

3 L’ourdou comme langue officielle de la fédération

Étant donné que le Pakistan est aux prises avec de multiples tensions sécessionnistes découlant des nombreuses ethnies composant le pays, la tâche principale des gouvernements pakistanais, par ailleurs souvent contrôlés par les Ourdous, les Sindhis et les Penjabis, a toujours été de promouvoir l’unité nationale constamment menacée. C’est pour cette raison que l’ourdou a été choisi comme instrument de l’unité nationale, d’autant plus que cette langue jouissait d’un grand prestige (avec l’hindi), qui lui venait de son statut en Inde, et possédait une tradition écrite très développée. En fait, l’ourdou était déjà, au moment de la partition (avec l’Inde), une langue supra-ethnique et un véhicule linguistique perfectionné et développé.

En 1947, il était impensable de songer à un multilinguisme officiel au Pakistan étant donné le grand nombre de langues alors qu’aucune n’était majoritaire à l’échelle du pays. De plus, il était impossible de «venir à bout» des langues nationales parlées par des millions de locuteurs. La solution la plus sage a semblé de conserver l’anglais comme langue officielle, statut dont cette langue s’était fort bien acquitté jusque là. C’est pourquoi la Constitution fédérale de 1973, suspendue puis restaurée en 1985 (puis suspendue à nouveau en 2001), semble permettre le multilinguisme. En effet, l’article 28 de la Constitution fédérale déclare ce qui suit:

Article 28

Préservation de la langue, de l'écriture et de la culture

Sous réserve de l'article 251, tout groupe de citoyens ayant une langue, une écriture ou une culture distinctes a le droit de les préserver et d'en faire la promotion et, sous réserve de la loi, de fonder des établissements à ces fins.

Cependant, deux langues seulement sont prévues pour être utilisées à des fins officielles: l’ourdou, parlé par seulement 7,5 % de la population, et l’anglais, la langue de l’ancien colonisateur. Autrement dit, de toutes les langues nationales du pays, c’est l’ourdou qui a été choisi à des fins officielles. Ainsi, on peut lire à l’article 251 de la Constitution fédérale:

Article 251

Langue nationale

1) La langue nationale du Pakistan est l'ourdou, et des dispositions seront prises pour qu'elle soit utilisée aux fins officielles et à d'autres fins dans les quinze années qui suivent la date de la promulgation.

2) Sous réserve du paragraphe 1, la langue anglaise pourra être utilisée à des fins officielles jusqu'à ce que les dispositions nécessaires aient été prises pour qu'elle soit remplacée par l'ourdou.

3) Sans qu'il ne soit porté atteinte au statut de la langue nationale, une assemblée provinciale peut, par une loi, prendre des dispositions pour enseigner, promouvoir et utiliser une langue provinciale en plus de la langue nationale.

On constate que le paragraphe 3 laisse entendre qu’il est possible de rendre co-officielle une autre langue en plus de l’ourdou dans une province. Pour le moment, seule la province du Sind dans le Sud-Est a pu se prévaloir de cette disposition, puisque l’ourdou et le sindhi sont les langues co-officielles de cet État. Dans les autres provinces, l’ourdou est demeuré la seule langue officielle, bien que l’anglais ait conservé un statut non officiel plutôt enviable.

4 La politique linguistique de la province

Les deux langues utilisées lors des débats au parlement (quand il n'est pas suspendu par l'État central) de Karachi sont l’ourdou et le sindhi, mais c’est cette dernière langue qui demeure pratiquement la seule utilisée. C’est aussi en sindhi que les lois sont rédigées et promulguées.

Dans les tribunaux, l’ourdou et l’anglais sont les langues les plus couramment employées partout au pays, sauf dans la province du Sind où le sindhi demeure la langue d’usage. En cas de force majeure (une personne ne parlant pas l’ourdou ou le sindhi), on a recours aux autres langues du pays grâce à la présence d’un interprète. Les documents judiciaires écrits préparés par la cour sont toujours en sindhi. Le seul document juridique faisant mention du sindhi demeure le Règlement sur le service du personnel judiciaire (1992):

Article 10

Examen linguistique

1)
Chaque greffier dont la langue maternelle n'est pas le sindhi doit répondre au juge d'instance du district concerné ou au juge de la cour des petites causes, selon le cas, sur sa capacité de lire et écrire le sindhi dans les deux ans de sa nomination et devra réussir l'examen départemental du sindhi tenu dans un délai de trois ans à partir de la date de son embauche; tout greffier qui a une autre langue que le sindhi doit répondre à la direction de son bureau sur sa capacité à lire et écrire l'ourdou dans les deux ans de sa nomination.

Dans l’administration publique provinciale auprès des citoyens, les communications orales se déroulent généralement en sindhi, rarement en ourdou. Les missives officielles destinées à l’ensemble de la population sont en sindhi (très rarement en ourdou). Cette situation prévaut dans dans les services municipaux et les hôpitaux. L'article 7 de la Loi sur la Commission de service public (1989) mandate la Commission de service public du Sind «de maintenir ce service ou des examens linguistiques, tel qu'il peut être prescrit»:

Article 7

Fonctions de la Commission

Les fonctions de la Commission sont les suivantes:

(iii) de maintenir ce service ou des examens linguistiques, tel qu'il peut être prescrit.

L'un des autres textes juridiques faisant allusion à la langue est l'Ordonnance sur le gouvernement local du Sind (2001). L'article 41 énonce que l'administration locale peut «encourager les langues nationales et régionales», sans n'en mentionner aucune en particulier. Les articles 52 et 55 mentionnent l'ourdou, ou toute autre langue locale, qui peut être employé dans les marchés ou abattoirs publics:  

Article 41

Culture

L'administration locale concernée peut :

a) établir et maintenir des centres d'information pour la promotion de l'éducation civique et la diffusion de l'information sur des sujets comme le développement communautaire et d'autres questions d'intérêt public;

b) fournir et maintenir des salles publiques et des centres communautaires;

c) célébrer les événements nationaux;

d)
encourager les langues nationales et régionales;

[...]

Article 52

Frais, loyers, redevances, etc., devant être diffusés


Un exemplaire de la table des frais, des loyers et des redevances, le cas échéant, pouvant être perçus par règlement dans tout abattoir ou marché public, en vertu de la présente ordonnance aux fins de réglementation dans l'usage d'un tel abattoir ou marché, le tout imprimé en ourdou
et dans toute autre langue que le conseil local peut choisir, doit être placé dans un endroit visible au marché ou à l'abattoir.

Article 55

Interdiction de maintenir un marché public ou un abattoir sans permis

1)
Nul ne peut garder ouvert pour usage public un marché ou un abattoir lorsqu'un permis est suspendu ou après qu'il ait été annulé.

2) Lorsqu'un permis pour ouvrir un marché public ou un abattoir privé est sous le coup d'une suspension ou d'une annulation, l'administration locale concernée doit placer un avis de l'émission, du refus, de la suspension ou de l'annulation en ourdou
ou dans une autre langue, selon ce qui est jugé nécessaire, dans un endroit visible tout près l'entrée du lieu visé par l'avis.

La version de 2013 de la Loi sur l'administration locale ne va pas très loin dans la promotion de la langue locale, le sindhi :

Article 60

Culture

Une société, un comité municipal ou un conseil de ville peut, et s'il est exigé par le gouvernement :

(a) établir et maintenir des centres d'information pour l'avancement de l'éducation civique et la diffusion d'informations sur des questions telles que le développement communautaire ou des questions d'intérêt public;
(e) célébrer l'anniversaire du saint prophète, le Jour du Pakistan, l'anniversaire de Quaid-e-Azam et d'autres fêtes nationales;
(g) encourager les langues nationales et régionales;
(k) adopter toute autre mesure propre à promouvoir les valeurs culturelles, la tolérance mutuelle et l'harmonie interreligieuse.

L’Administration fédérale, pour sa part, communique oralement dans la langue maternelle des habitants, soit généralement en sindhi. Le gouvernement fédéral d’Islamabad se conforme ainsi aux dispositions constitutionnelles précises à ce sujet (art. 251.3).

Dans le domaine de l’éducation, les parents ont le choix d’envoyer leurs enfants dans les écoles où l’enseignement est offert en sindhi ou en ourdou. La plupart des Sindhis choisissent le sindhi jusqu’à la fin du primaire pour passer à l’anglais et à l’ourdou au secondaire. Mais les Panjabis, les Pachtous ou les Baloutches qui habitent le Sind choisissent l’ourdou. Dans les écoles primaires dont l’enseignement se fait en sindhi, l’ourdou demeure obligatoire comme langue seconde. Dans les universités de la province (plus d'une vingtaine), le seules langues d'enseignement sont l'ourdou, l'anglais, le sindhi et l'arabe (pour les études religieuses). 

En ce qui a trait à la vie économique, la situation paraît relativement complexe. Comme il n’existe aucune réglementation à ce sujet, les Sindhis vaquent à leurs affaires dans leur langue maternelle. Cependant, dès qu’on se situe à l’échelle nationale, l’ourdou et l’anglais occupent toute la place. Dans la province du Sind, les raisons sociales des sociétés locales peuvent être bilingues: anglais-ourdou ou anglais-sindhi. En fait, l’anglais et l’ourdou demeurent les deux grandes langues de la vie économique du pays.

Du côté des médias, les radios locales diffusent en sindhi. La situation est plus problématique dans les médias écrits, car seuls les journaux écrits en ourdou ou en anglais sont suffisamment répandus dans le pays: Akhbar-E-Jahan (ourdou), Business Recorder (anglais), Daily Awami Awaz (ourdou), Daily Jang (ourdou), Daily Ummat (ourdou), The Herald (anglais), The News International (anglais), The Regional Times (anglais). Les rares journaux écrits en sindhi sont le plus souvent des traductions ou des copies conformes des journaux nationaux.

Depuis 1947, l’ethnie ourdoue a exercé un rôle politique prépondérant au Pakistan. Il en a découlé une expansion considérable de l’ourdou comme langue nationale au point où c’est l’anglais qui a même reculé. De toutes les langues du Pakistan, seul l’ourdou a progressé et plusieurs langues nationales – baloutchi, pachtou, panjabi, saraiki – ont été délaissées, particulièrement dans l’écriture. Le sindhi demeure la seule exception au Pakistan, puisque cette langue n’a pas régressé, alors que toutes les autres langues locales ont périclité au profit de l’ourdou. C’est là l’effet d’une politique linguistique destinée à supplanter définitivement les langues régionales, l’exception étant le sindhi. En effet, c’est la seule langue régionale du pays qui ait réussi à tenir tête à l’ourdou. La politique linguistique adoptée par la province a réussi à imposer un statut particulier en raison de circonstances politiques. Les dirigeants du Sind essaient de maintenir le cap, mais ils doivent se heurter au phénomène de la progression de l’ourdou. Néanmoins, le Sind démontre qu’il est possible de contrecarrer les politiques d’uniformisation du gouvernement central.

Il n’en demeure pas moins que l’assimilation semble avoir réussi partout, sauf dans le Sind. Cette situation permet au gouvernement fédéral de déclarer que «les intérêts et les droits des minorités sont pleinement protégés au Pakistan». Or, depuis que le Pakistan existe, l'État fédéral a violé à maintes reprises les droits des citoyens, à plus forte raison lorsqu’ils sont minoritaires. Il n'a pas réussi ni désiré les protéger. Les groupes de défense des droits des communautés officiellement désignées comme «minorités» sont privés, sauf au Sind, de leurs droits les plus élémentaires.

Dernière mise à jour: 22 févr. 2024
 

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LECLERC, Jacques. Les droits linguistiques dans 129 États du monde, tome I: «Description schématique par pays», Montréal, rapport déposé à l'Office de la langue française, 1992, 392 p. 

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M. RAFIQUE, Afzad. Political Parties in Pakistan, 1947-1958, Islamabad, National Commission on Historical and Cultural Research, 1976.

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OMAR, Noman. Pakistan: Political and Economic History since 1947, London, Éditions Kegan Paul, 1988.

TALBOT, Ian. Provincial Politics and the Pakistan Movement, Karachi, Oxford University Press, 1988.

 

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