Province de Québec

Le Nunavik

1. Le territoire

Situé au nord du 55e parallèle, le Nunavik («l’endroit où vivre») est un immense territoire de 507 000 km², soit le tiers de la superficie de la province ou l'équivalent de l'Espagne (504 782 km²). Le territoire du Nunavik correspond à tout le nord du Québec, après la limite des arbres. Le territoire actuel du Nunavut comprend également les îles de la baie d'Hudson, dont la plupart sont pratiquement collées au Québec. Ce territoire était habité par des populations inuites avant l'arrivée des Blancs. Le Nunavik fait partie du monde arctique en raison de sa géographie, de son climat, de sa culture, de sa langue, de ses paysages, de ses moyens de transport et de son coût élevé de la vie.

Au début du XXe siècle, c'était un territoire administré par la Compagnie de la Baie d'Hudson, par des missions anglicanes et la Gendarmerie royale du Canada. La région du Nunavik fait partie de la province de Québec depuis 1912 par une loi fédérale: la Loi de l’extension des frontières de Québec. Lors de la Seconde Guerre mondiale, comme à Frobisher Bay, l'armée américaine s'est installée à Kuujjuaq (ex-Fort-Chimo). Cette situation a entraîné l'anglicisation des Inuits vivant au Nouveau-Québec.

2. La population


Source: Québec, Ministère de la Culture et des Communications), 2001.

Le Nunavik compte actuellement une population d'environ 11 000 habitants, dont 10 000 Inuits et un millier de non-autochtones, les autres étant des Blancs et des Amérindiens cris. Cette population est jeune, car 60 % a moins de 25 ans, soit le double de la proportion correspondante dans le sud du Québec. Les Inuits du Nunavik se désignent par le terme Nunavimmiut, ce qui signifie «habitant du Nunavik».

Il existe 15 villages nordiques, dont un village cri, Whapmagoostui, avec 719 habitants. Les 14 villages inuits qui comptent une population variant entre 150 (le moins populeux) à 2000 habitants (le plus important); ceux-ci sont situés le long de la baie d'Hudson ainsi que de la baie d'Ungava.

Les villages sont distants l'une de l'autre de 100 à 850 km et ne sont pas reliés par route, ni entre eux ni avec le sud du Québec; l'avion est le seul moyen de transport possible.

Contrairement aux autres communautés autochtones, les Inuits du Québec n'habitent pas dans des «réserves» et leurs villages ont le statut de «municipalité». Le centre administratif du Nunavik est le village de Kuujjuaq (2074 hab.), appelé anciennement Fort-Chimo, situé près du fleuve Koksoak au sud de la baie d'Ungava. L'Administration régionale Kativik (ARK) représente tous les habitants du Nunavik.

 
Communautés inuites Résidents Non-résidents Total
Akulivik 579 16 595
Aupaluk 170 5 175
Chisasibi (partie inuite seulement) 90 11 101
Inukjuak 1 560 63 1 623
Ivujivik 305 17 322
Kangiqsualujjuaq 839 23 862
Kangiqsujuaq 631 36 667
Kangirsuk 487 49 536
Kuujjuaq 1 700 196 1 896
Kuujjuarapik 546 42 588
Puvirnituq 956 104 1 060
Quaqtaq 343 23 366
Salluit 1 294 70 1 364
Tasiujaq 277 3 280
Umiujaq 435 13 448
 Total de la population inuite (2011) 10 212 671 10 883

La compagnie aérienne First Air, une filiale de la Société Makivik, assure le transport du fret et des passagers entre le Nord et le Sud, tandis que la compagnie aérienne Air Inuit, une autre filiale de la Société Makivik, assure la liaison entre les 14 villages du Nunavik. D’autres compagnies offrent des services de transport aérien à Kuujjuaq: Atai Air Charters, Johnny May's Air Charters et Nunavik Rotors. Contrairement aux autres communautés autochtones, les Inuits du Québec n'habitent pas dans des réserves et leurs villages ont le statut de municipalité. De plus, les Inuits sont assujettis aux mêmes lois sur la taxation et la fiscalité que l'ensemble des citoyens québécois.

Ce n'est qu'avec la Révolution tranquille, c'est-à-dire au début des années 1960, que les Québécois francophones ont commencé à s'intéresser aux régions arctiques de leur territoire et à y développer des services publics. C'est seulement à ce moment que le gouvernement québécois a tenté d'y implanter un peu le français.

3. Un gouvernement régional autonome

Depuis les années 1970, les Inuits du nord du Québec formulaient un projet d'autonomie régionale. Le gouvernement du Québec a bien tenté de mettre sur pied un «gouvernement régional» au Nunavik. Le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et la Société Makivik se sont entendus sur une entente à ce sujet en décembre 2007. Ce gouvernement régional (GRN), qui devait voir le jour en 2013, devait être dirigé par une assemblée de 20 membres, incluant les maires des villages et cinq personnes élues au suffrage universel, qui formeront l'exécutif. La nation naskapie désignait elle aussi un représentant. Un conseil exécutif serait formé de cinq membres élus par la population de toute la région. Le gouvernement régional régirait un budget annuel de 400 millions de dollars, dont quelque 75 % proviendra de Québec et d'Ottawa. Ce gouvernement détiendrait des pouvoirs en matière d'éducation, de sa santé, de sécurité publique  et de transport.

Mais les compétences de ce gouvernement devaient demeurer limitées: il ne pourrait, par exemple, lever des impôts ni adopter ses propres lois. Les lois fédérales et provinciales continueraient de s'appliquer. Le pouvoir législatif de l'Assemblée du Nunavik (composée de 20 membres) s'exercerait de façon exclusive dans les domaines de la langue et de la culture, et serait partagé avec le Québec et le Canada dans tous les autres domaines sur l'ensemble du territoire québécois au nord du 55e parallèle, y compris les domaines économique, financier, administratif et intergouvernemental.

Autrement dit, le gouvernement autonome régional serait public (ce qui signifie «non ethnique»), offrirait ses services à l'ensemble des citoyens du Nunavik et agirait sous l'autorité de l'Assemblée nationale du Québec et respecterait ses lois ainsi que celles du Parlement canadien. De plus, le Nunavik devait respecter les acquis de la Convention de la Baie James des Cris et des Inuits de 1975 et ceux des Naskapis de la Convention du Nord-Est québécois de 1978.

Le 5 décembre 2007, devant le premier ministre du Québec Jean Charest, le ministre fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien Chuck Strahl, le président de la Société Makivik Pita Aatami et le ministre québécois responsable des Affaires autochtones, Benoît Pelletier, ont signé l’entente de principe sur la création du gouvernement régional du Nunavik, qui devait faire l’objet du référendum.

Le projet d’Entente finale (rédigé en français, en anglais et en inuktitut) sur la création du gouvernement régional du Nunavik précisait la question référendaire suivante : «Approuvez-vous l’Entente finale sur la création du gouvernement régional du Nunavik?» Le bulletin de vote sur lequel les électeurs devaient se prononcer présentait cette question en inuktitut, en français et en anglais (voir l'illustration de gauche).

Une fois l’entente négociée, plusieurs pensaient que sa ratification par la population concernée ne serait qu’une simple formalité. Le 27 avril 2011, les Inuits du Québec ont rejeté l'entente proposée par Québec et Ottawa pour la création d'un gouvernement régional indépendant qui aurait administré la santé et l'éducation au Nunavik. Seulement 33 % des électeurs se sont prononcés en faveur de cette proposition. Une majorité d'entre eux, soit 66 %, ont rejeté le projet de fusionner la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, de la commission scolaire Kativik et de l'Administration régionale Kativik. Ces trois entités, avec un budget annuel de 320 millions de dollars et 1100 employés, auraient rendu autonomes les Inuits en matière de santé et d'éducation. Le taux de participation à ce référendum est de 54,4 % pour les 7881 Inuits habilités à voter dans les 14 villages nordiques du Québec.  Mais les résultats du référendum furent sans équivoque : aucune des 14 communautés inuites de la région ne s’est prononcée en faveur de l’entente.

Comment expliquer que les Nunavimmiuts («habitants du Nunavik») aient rejeté l’entente que plusieurs voyaient pourtant comme une avancée importante vers une plus grande autonomie politique? Évidemment, beaucoup de Québécois du Sud ont accusé les Inuits d’avoir manqué de courage, mais l'analyse de la situation révèle plutôt un profond malaise au sein de la population inuite devant une entente qui n’allait peut-être pas assez loin.

Il faut se souvenir que les Inuits habitent un vaste espace potentiellement riche en ressources naturelles, mais difficile d’accès. Or, ce territoire demeure un objet de convoitise pour les grandes sociétés minières et divers entrepreneurs économiques. C'est dans un tel contexte que les Inuits revendiquent un plus grand contrôle sur la gouvernance de leur région. Les Inuits ne semblent pas apprécier que les organismes régionaux du Nord restent entièrement soumis aux lois et règlements du gouvernement du Québec, bien qu'ils soient contrôlés par la population inuite majoritaire.

Pour beaucoup d'Inuits, il faudrait plutôt un véritable transfert des compétences législatives au niveau régional. Or, le projet d’entente restait fort vague quant aux intentions des gouvernements québécois et canadien dans cette éventualité. De plus, les Inuits ont souligné le peu d'importance portée dans l’entente au rôle du «nouveau gouvernement» en matière de protection et de promotion de la culture, de la langue et de l’identité du peuple inuit, lequel désire favoriser la pérennité et la vitalité de l’inuktitut, ainsi que du mode de vie inuit dans un contexte où l’économie de la région est en pleine transformation. Pour eux, un plus grand contrôle en matière d’éducation ou d’environnement ne règlait rien.

Notamment, le projet de création d’un gouvernent régional, tel qu'il a été soumis à la population, n’a pas réussi à mobiliser les jeunes du Nunavik — plus de 50 % des Inuits ont moins de 20 ans —, qui veulent en fait aller plus loin. Comme c'est généralement le cas au Canada, le projet de création du gouvernement du Nunavik fut le fruit de multiples compromis qui ne sont guère propices à l'innovation. L’ouverture envers les peuples autochtones dont se vante le Québec s’arrête là où commence la souveraineté de l’Assemblée nationale. La majorité des Inuits craignaient que le «gouvernement régional» ne soit qu’un organisme inféodé aux pratiques de gestion et aux priorités de Québec.

Si le projet de gouvernement régional n’est pas forcément mort, il devra être revu à la hausse. Le processus de négociation actuel, marqué par l'incontournable souveraineté parlementaire, semble incompatible avec la volonté des peuples autochtones de redéfinir leurs relations avec l’État et avec la population canadienne.

4. Le gouvernement régional de la Jamésie

En juillet 2012, le premier ministre du Québec, Jean Charest, et le grand chef du Grand Conseil des Cris, Matthew Coon Come, ont signé une entente sur la gouvernance du territoire d'Eeyou Istchee, dans la région de la Baie-James. L'entente, ratifiée dans le Salon rouge du Parlement, à Québec, fut qualifiée d'historique par les deux parties. Elle prévoit la création d'un nouveau gouvernement régional avec la participation des Cris et des Jamésiens, qui auront un nombre égal de votes. Ce gouvernement remplacera la Municipalité de Baie-James (MBJ), une institution 100 % jamésienne, dont étaient exclus les Cris. Les Jamésiens sont les habitants non autochtones de la Baie-James. À la MBJ, tout se passe en français. L'entente prévoit une représentation paritaire entre Cris et Jamésiens au sein du gouvernement régional au cours des dix premières années. Il est aussi prévu que les employés actuels de la MBJ seront transférés au gouvernement régional, qui aura les mêmes compétences, fonctions et pouvoirs que ceux qui sont actuellement conférés à une municipalité locale, à une municipalité régionale de comté (MRC), à une conférence régionale des élus et à une commission régionale des ressources naturelles et du territoire.

Les Cris parlent majoritairement anglais. Dans les villages cris plus au sud, comme Oujé-Bougoumou et Mistissini, une minorité de Cris parlent le français, surtout les plus jeunes. Comme le français et le cri sont les langues utilisées dans la région, il est entendu que, pour la fonctionnalité des choses, l'anglais pourrait également être utilisé. Voici les articles à portée linguistique de l'Entente sur la gouvernance dans le territoire d'Eeyou Istchee Baie-James (le 24 juillet 2012):

Article 108

Le cri et le français sont les langues principales du Gouvernement régional.

Article 109

Le Gouvernement régional peut utiliser soit le français soit l’anglais dans ses communications internes et comme langue de travail.

Article 110

Un citoyen peut communiquer verbalement ou par écrit avec le Gouvernement régional, incluant lors des séances du conseil, en cri, en anglais ou en français.

Article 111

Les textes et les documents préparés pour des individus cris ou pour la population crie en général sont traduits en cri ou en anglais, incluant tout document permettant à l’usager d’exercer un droit ou de remplir une obligation.

À la Municipalité de Baie-James (MBJ), tout se passait en français. Dorénavant, le cri et l'anglais auront droit de cité. L'Administration régionale crie est maintenue et demeure la même personne morale. Elle est désignée sous le nom, en cri, de «Eeyou Tapayatachesoo», sous le nom, en français, de «Gouvernement de la nation crie» et sous le nom, en anglais, de «Cree Nation Government».

5. La question territoriale

La question territoriale chez les Inuits constitue un autre sujet litigieux et controversé. En effet, les leaders inuits locaux n'ont jamais caché leur ambition de rattacher tout le nord du Québec (et le Labrador), à majorité inuite, au nouveau territoire du Nunavut. C'est ce qu'on pourrait appelé le «Grand Nunavut». Les Inuits du Nunavik veulent aujourd'hui plus qu'une administration locale. Certes, ce n’est pas demain la veille que le Nunavik sera rattaché au Nunavut, car les Territoires du Nord-Ouest (d'où est issu le Nunavut) relevaient de la juridiction exclusive du gouvernement fédéral qui possédait tout le pouvoir nécessaire pour y tracer de nouvelles frontières. 

Évidemment, ce serait autrement compliqué de modifier les frontières du Québec, comme de toute autre province, sans son consentement. Cela dit, il faut quand même s'attendre à ce que les leaders inuits du Québec multiplient les pressions pour inclure le Nunavik (Québec) dans le Nunavut, sans compter le Labrador (Terre-Neuve). Dans ces conditions, si jamais cela devait se produire, le Québec perdrait alors le tiers de son territoire.

Il ne faut pas oublier que la majorité des Inuits du Nunavik sont anglicisés —  ils sont généralement perçus comme des Anglo-Inuits — et qu'ils ne se considèrent pas québécois, pas plus que les Inuits du Labrador seraient des Terreneuviens! Un autre beau contentieux en perspective!


 
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N.B.: On peut lire aussi l'article de Louis McComber sur la situation des langues au Nunavik et intitulé «Le Nunavik québécois, une percée francophone dans l'Arctique», en cliquant ICI s.v.p.

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