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ColombieRepública de Colombia |
Située au nord-ouest de l'Amérique du Sud, la Colombie (1,1 million km²) est limitée au nord par l'océan Atlantique, à l'est par le Venezuela et le Brésil, à l'ouest par l'océan Pacifique et le Panama, au sud par l'Équateur et le Pérou (voir la carte détaillée). La Colombie est le seul pays d’Amérique du Sud à bénéficier de deux façades maritimes. La Colombie est divisée en 31 départements et un district (district de Santa Fé de Bogotá): Amazonas, Antioquia, Arauca, Atlántico, Bolivar, Boyacá, Caldas, Casanare, Caqueta, Cauca, Cesar, Cordoba, Chocó, Cundinamarca, Guainia, Guajira, Guaviare, Huila, Magdalena, Meta, Nariño, Norte de Santander, Putumayo, Quindio, Risaralda, San Andrés y Providencia, Santander, Sucre, Tolima, Valle del Cauca, Vaupes, Vichada. La capitale, Bogotá, est installée sur les flancs de la Cordillère orientale. Medellín est la deuxième ville du pays (voir la carte détaillée). |
La Colombie est un pays multiracial de 52 millions d'habitants qui, d'après l'Instituto Colombiano de la Reforma Agraria (Institut colombien de la réforme agraire), comptait en 1993 quelque 58 % de Mestizos (Métis: Blancs + indigènes), 20 % de Blancos (Européens), 12 % de Mulatos (Métis: Blancs + Noirs), 6 % de Negros (Africains noirs) et seulement 3,7 % d'Indígenas (Amérindiens), lesquels occupent généralement les zones éloignées du pays.
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Les Noirs et les Mulâtres sont associés à une groupe appelé maintenant Afro-Colombiens (Afrocolombianos), généralement concentrés sur la côte du Pacifique, particulièrement dans les départements du Choco (où ils forment jusqu'à 90 % de la population), Valle del Cauca, Cauca et Nariño, où ils sont plus ou moins à parité avec les autochtones; on en compte aussi un certain nombre d'entre eux vivant dans des bidonvilles autour de certaines agglomérations urbaines de la côte atlantique (Cali, Carthagena, Baranquilla). Le revenu moyen par habitant des Afro-Colombiens est de 500 $ US par année, tandis que la moyenne nationale est 1500 $ US; de plus, 75 % des Afro-Colombiens reçoivent des salaires inférieurs au minimum légal. li n'est pas facile de déterminer avec précision le nombre des Afro-Colombiens, mais ils sont généralement estimés à 18 % de la population, soit 8,1 millions d'individus. La Fundación Hemera établit la population à 10,5 millions (23,3 %). Quant au ministère de la Culture, se basant sur un recensement de 1993, il estime à 10,5 millions le nombre des Afro-Colombiens. Cependant, le ministère colombien de la Justice semblait reconnaître en 2005 la proportion de 26 % comme une estimation valable, ce qui correspondrait à une population de 11 à 12 millions. |
Pour sa part, le CIMARRON (Movimiento Nacional por los Derechos Humanos de la Comunidad Negra de Colombia: Mouvement national pour les droits humains de la communauté noire de Colombie) estime que le nombre réel des Afro-Colombiens serait de 15 millions, soit 33 % de la population totale.
Selon le CIMARRON, le nombre réel des Afro-Colombiens serait délibérément réduit par les autorités politiques dans une optique de «blanchiment de la population colombienne» et «pour faire des Afro-Colombiens une minorité». Cela étant dit, on peut affirmer que le nombre des Afro-Colombiens oscillerait entre 12 et 15 millions. Il est vrai que, dans certaines régions, les Afro-Colombiens peuvent être majoritaires comme dans le Choco couvert par la forêt tropicale le long de la côte pacifique de la Colombie.
Les Afro-Colombiens parlent généralement l'une des quatre langues suivantes: soit une variété d'espagnol local (la grande majorité), soit le créole anglo-jamaïcain, soit le créole de San Andrés, soit le palenquero (créole à base espagnole) parlé dans une partie du département de Bolivar.
2.1 L'espagnol colombien et ses variantes
Dans ce pays, l'espagnol est la langue officielle. Traditionnellement, les Colombiens sont réputés pour parler une forme de castillan assez proche de celui utilisé en Espagne. Une certaine élite tente de conserver cette langue espagnole dans un «état de pureté» autant que possible. Néanmoins, l'espagnol parlé en Colombie diffère de l'espagnol européen.
D'abord, la prononciation de l'«espagnol colombien» s'avère quelque peu différente. Prenons l'exemple des [ll] doubles dans castellano («castillan»): en Colombie, les consonnes [ll] se prononcent comme en français dans castillan, soit [kasteyano], alors qu'en castillan d'Espagne on aurait [kastelyano] en prononçant un [l].
Ensuite, il existe un grand nombre de particularités lexicales régionales courantes appelées «colombianismes» (colombianismos). En voici quelques exemples :
Régionalisme colombien | Signification en espagnol colombien | Signification en castillan d'Espagne |
Aleta | personne très heureuse | aileron, nageoire |
Apuntarse | faire comme les autres | remporter (une victoire) |
Avión | personne astucieuse, éveillée | avion |
Aviona | femme facile | ??? |
Babilla | fille bien laide | ??? |
Birra | bière (en italien) | cerveza (espagnol) |
Bizcocho | femme jolie | biscuit |
Bolillo | police (policía) | fuseau |
Cuero | prostituée (prostituta) | cuir |
Chino | enfant (niño) | chinois |
Espumosa | bière (en italien) | écumeuse (cerveza en espagnol) |
Guámbito | enfant (niño) | ??? |
Mula | trafiquant de drogue | mule |
Ñoño | Personne qui étudie beaucoup et est socialement maladroite | fadasse, terne insipide |
Tinto | café noir | teint, rouge |
Tirar | avoir des relations sexuelles avec quelqu'un | jeter |
Tombo | police (policía) | ??? |
Tráfico | policier de passage (provisoire) | trafic |
Ce sont les grandes villes, où est concentrée la majorité de la population colombienne (Bogotá, Medellín, Cali, Barranquilla, Carthagena, Bucaramanga, etc.), que l'on parle le plus l'espagnol.
Cependant, la Colombie se caractérise par des variantes régionales de l'espagnol appelées «dialectos del español», un terme qui serait jugé peu orthodoxe pour un linguiste puisqu'il s'agit de variantes d'une même langue. Ces variantes locales de l'espagnol comptent plusieurs «dialectes» (terme officiel) très distinctifs pour lesquels on oppose souvent les dialectes des montagnes («dialectos de montaña») et les dialectes des terres bases («dialectos de zonas bajas» ou «calentanos»).
Parmi les dialectes des montagnes figurent le paisa (ou español antioqueño) parlé dans les départements de Antioquia, Caldas, Risaralda et Quindío; le cundiboyacence et l'andino, appelés aussi pastuso ou serrano, parlés le long des Andes centrales; on parle aussi des «dialectes centro-colombiens». Le pastuso est très similaire à l'espagnol parlé en Équateur, car il est parlé dans les départements de Nariño et de Putumayo.
Quant aux dialectes des basses terres, on distingue le costeño (ou caribe) employé dans le Nord et possédant des caractéristiques communes avec l'espagnol du Venezuela, de Cuba, de la République dominicaine et de Porto Rico; le santandereano et l'opita utilisés dans les départements de Santander et Norte de Santander, ainsi qu'au Venezuela; l'llanero et le valluno parlés dans les départements de Cauca et Valle del Cauca.
La variété espagnole parlée dans la région de Bogotá s'appelle le dialecto de Bogotá ou simplement bogotá ou encore bogotano ou même rolo. Cette variété plus prestigieuse est également parlée dans tout le centre du pays, notamment dans les départements de Boyaca et Cundinamarca. Évidemment, ces différentes variantes, bien que régionales, n'empêchent généralement pas la communication, puisqu'il s'agit toujours de formes locales de l'espagnol.
Plus de 80 % des Colombiens parlent l'espagnol ou l'une de ses variétés comme langue maternelle, les autres utilisant soit des langues autochtones (une centaine) soit des langues immigrantes ou étrangères (arabe, anglais, français, allemand, etc.). Ceux qui utilisent des langues autochtones parlent généralement l'espagnol comme langue seconde dans la mesure où ils ont fréquenté l'école. Dans les villes, l'anglais est présent dans les grands hôtels et les centres touristiques comme Bogotá, Cartagena, Santa Marta, San Andrés, etc.
2.2 Les langues autochtones
Des études datant de 1997 estiment
que les autochtones (les «Indigènes» ou
Indígenas)
seraient au nombre de 701 860, approximativement 2 % de la population totale du
pays. Ils appartiendraient à 84 nations différentes et vivraient sur des
territoires de 279 487 km², c'est-à-dire près de 25 % du territoire national.
Les départements abritant des grandes populations indigènes ceux de
Vaupés (74,6 %), de Guainía (41 %), de Guajira
(32,7 %), de l'Amazonas (31,5 %), de Vichada (26,9 %) et du Cauca (13,9 %).
Les départements comptant plus de 10 peuples indigènes sont les suivants :
Amazonas, Vaupés, Putumayo et Guaviare. Les autochtones sont présent dans 200
des 1098 municipalités du pays. Dans les territoires occupés par les divers
groupes ethniques, on trouve près 60 % des richesses naturelles.
Toutes ces régions sont parmi les plus pauvres de la Colombie et où les
populations sont les plus misérables et les conditions de vie, précaires. On
observe aussi que le manque d'infrastructures de base y est frappant,
contrairement aux autres régions du Nord où a été concentrée la plus grande
partie des investissements.
Le linguiste Jon Landaburu, du Centre colombien des études des langues indigènes (Centro Colombiano des estudios de Lenguas Aborígenes) de l'Université des Andes (Universidad de los Andes), établit la classification qui suit en fonction du nombre des locuteurs.
Parmi les langues amérindiennes parlées
aujourd'hui en Colombie, seulement trois comptent plus de 50 000 locuteurs:
le wayú, le paez et l'embera. Huit comptent entre 10 000 et 50 000 locuteurs:
le guahibo (ou sikuani), le guambiano, l'arhuaco (ou ika), l'inga, le ticuna (en
comptabilisant les locuteurs du Pérou et du Brésil), le tucano (incluant les
locuteurs du Brésil), le berce (en comptant les locuteurs de Panama), le piaroa
(avec les locuteurs du Venezuela. Moins d'une dizaine d'autres langues
dénombrent entre 5000 et 10 000 locuteurs: le cuaiquer (ou awá), le kogui,
le waunana, le puinave, le wuitoto, le curripaco (incluant les locuteurs du
Venezuela), le piapoco (incluant le Venezuela), le yaruro et le yuco (incluant
le Venezuela). Une douzaine de langues comptent entre 1000 et 5000 locuteurs:
le tunebo (ou úwa), le cubeo, le camsá, le wiwa, le bari, le cofán, le cuiba, le
coreguaje, le sáliba, le guayabero et le yagua (incluant les locuteurs du Pérou.
Toutes les autres langues comptent moins de 1000 locuteurs: totoró,
barasano, desano, wanano, piratapuyo, achagua, andoke, bará, bora, cabiyarí,
carapana, carijona, chimila, colit, hitnu, macuna, cacua, nukak, hupda, yuhup,
miraña, muinane, nonuya, ocaina, pisamira, siona, siriano, tanimuka, tariano,
tatuyo, tinigua, tuyuca, yucuna, yurutí, etc. La plupart de ces langues sont
donc en voie d'extinction. Les linguistes colombiens ont établit une liste de 20
langues «en danger potentiel» («en peligro
potencial»), 11 langues «en danger» («en peligro»), quatre langues «en sérieux
danger» («en peligro serio») et plusieurs langues «moribondes» («moribundas»),
toutes parlées par moins de 100 locuteurs, parfois deux ou trois.
Toutes les autres langues sont parlées par moins de 9000
locuteurs, la plupart comptant moins de1000 usagers, parfois beaucoup moins;
évidemment, beaucoup de ces langues sont en voie d'extinction. La plupart de ces langues appartiennent aux familles
arawak, chibcha, quechua, tupi-guarani.
Au total, ces langues sont réparties dans 12 familles linguistiques. La Colombie est composée de plus de 80 groupes amérindiens, chacun gardant ses us et coutumes, ainsi que sa langue: Arawaks (Sierra Nevada), Emberas (250 000, département du Choco), Guajiros (7 000), Yupkas, Koguis (Sierra Nevada de Santa Marta), Paez (100 000, département du Cauca), Guahibos (27 500), Tukanos (ou Wachupes, 13 000), Guambianos (20 000, département du Cauca), Sibundoys, Ingas, Wayuus, Cuebas, etc. Au nord de la Colombie vivent, dans la jungle, les Koguis, descendants des Indiens tayronas, qui ont été victimes du déboisement de la Sierra Nevada afin de permettre la culture de la coca et de la marijuana. Il convient de mentionner aussi les Chamis, les Llanos, les Guajoros, les Guyaberos, les U'was, et plusieurs autres ethnies. La carte de gauche illustre une partie des langues amérindiennes parlées en Colombie. Il s'agit ici d'une carte linguistique simplifiée ne donnant que quelques-unes des langues autochtones. On constate que ces langues sont situées aux extrémités du territoire, surtout à l'est et au sud, généralement à l'écart des centres urbains. Plusieurs de ces langues sont parlées dans des aires linguistiques communes avec l'Équateur, le Pérou, le Venezuela, le Brésil ou le Panama. En fait, les langues indigènes sont parlées dans 22 des 31 départements de la Colombie. On trouve des indigènes «immigrés» dans la plupart des grandes villes colombiennes. |
Il faut considérer que, sur un total de plus de 700 000 autochtones, quelque 130 000 (plus de 18 %) d'entre eux ne parlent aucune langue amérindienne, bien que ces mêmes individus soient identifiés comme «Indigènes» et aient des habitudes sociales et culturelles qui les situent dans un tel contexte.
2.3 Le créole
Quelque 25 000 000 locuteurs afro-colombiens parlent l'une ou l'autre des trois créoles (esp.: criollos) qu'on trouve en Colombie.
1. le créole de Palenque (ou palenquero) dans la région de San Basilio (département de Bolívar);
2. le créole de San Andrés (San Andresano) dans l'archipel de San Andrés y Providencia;
3. le patois jamaïcain de Buenaventura (patois jamaiquino buenaventura (valle del Cauca).
- Le créole palenquero
Le premier groupe comptait en 2018 quelque 6600 Afro-colombiens parlant le palenquero, un créole à base d'espagnol. Il s'agit de petits villages dans la région de San Basilio de Palenque, situés au sud et à l'est de Cartagena et dans les environs de Barranquilla (voir la carte détaillée). Les hispanophones demeurent incapables de comprendre ce créole, même si la base lexicale est en principe la même. Aujourd'hui, la plupart des membres des Palenqueros parlent l'espagnol comme langue maternelle; seules les personnes plus âgées s'exprimeraient en palenquero en tant que première langue, soit moins de 2000 locuteurs.
- Le créole de San Andrés
Le second groupe créolophone est formé d'environ 24 000 locuteurs habitant dans des îles éloignées de 700 km de la Colombie, dans la mer des Caraïbes, et situées au large des côtes du Nicaragua : les îles San Andrés, Providencia et Santa Catalina. Le créole de San Andrés et Providencia est un des créoles à base lexicale anglaise parlé dans cet archipel ; il est appelé créole de San Andrés (San Andresano) ou en espagnol "criollo sanandresano". Ce créole se révèle proche du kriol et du miskito dans la région côtière nicaraguayenne et au Belize. La plupart des locuteurs du créole sont situés le long des rives des grandes rivières et des lagunes qui entourent la région. |
- Le créole anglo-jamaïcain
Il existerait un troisième groupe en Colombie selon Wikipedia : le créole anglo-jamaïcain (ou "criollo jamaiquino" ou "patuá criollo jamaicano"). Ce créole est principalement parlé en Jamaïque, mais il existerait des locuteurs en Colombie. Leurs ancêtres, environ 300 personnes, furent des marrons au XVIIIe siècle fuyant la Jamaïque ou la Barbade; ils se dont installés principalement dans les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina pour y travailler. Wikipedia ne donne pas le nombre de ces locuteurs, mais il ne doit pas y en avoir beaucoup. Selon l'Instituto Caro y Cuervo en Colombie, seuls les deux premiers créoles existent.
2.4 Les Roms/Tsiganes
Il existe une petite communauté de Roms/tsiganes parlant la langue romani (79 000 locuteurs). Cette langue reste l’unique représentante européenne du groupe indo-iranien appartenant à la famille indo-européenne; le romani a préservé en grande partie l'héritage des langues de l'Inde du Nord, plus particulièrement l'hindi et le rajasthani dont il a en commun 60 % du vocabulaire de base. La langue que parlent les Tsiganes est à l’image de l’itinéraire de leurs ancêtres: le romani est donc différent d’un pays à l’autre, très teinté de particularismes linguistiques, tout en conservant une certaine intercompréhension. En Colombie, les Tsiganes sont regroupés dans les villes du centre du pays.
Les Tsiganes (gitans) forment des groupes de taille variable dans des villes comme Cúcuta (Barrio ou quartier Atalaya), Girón (quartier el Poblado), Bogota (dans les quartiers Galán, San Rafael, La Igualdad, Primavera, Nueva Marsella, Bosa, Villa Gloria, etc.), Carthagena (quartier la Troncal), Cali (quartier el Jardín), Itagüí (quartier Santa María), Sogamoso (quartier Santa Inés) et Barranquilla.
2.5 Les langues immigrantes
La Colombie compte aussi une population immigrante assez importante. Les Arabes sont les plus nombreux avec près de 60 000 membres, dont 37 000 Palestiniens (langue: arabe palestinien) et 22 000 Libanais (langue: arabe libanais). Il faut ajouter également 10 000 Chinois parlant le mandarin. Enfin, la Colombie abrite quelque 18 000 Américains, 3500 Britanniques, 8000 Français et 4000 Allemands. Les communautés occidentales envoient généralement leurs enfants des dans écoles privées où ils reçoivent leur instruction dans leur langue maternelle.
Les Amérindiens furent les premiers occupants de la région, et ce, avant l’arrivée des premiers conquistadores. On estime qu'au XVe siècle les indigènes comptaient au moins un million d'individus répartis en différentes tribus. Certains groupes avaient développé de brillantes civilisations, comme l'attestent leur statuaire et leur orfèvrerie. L'arrivée des Espagnols signifia la disparition ou l'assimilation de la grande majorité des cultures indigènes, notamment les Chibchas, les Caribes et les Arawaks.
3.1 La colonisation espagnole
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Dès 1502, Christophe Colomb explora une
partie de la région où vivaient les Chibchas sur le versant nord de ce qui
est aujourd'hui la Colombie. Mais c'est uniquement en 1510 que les conquistadores
espagnols établirent leur colonie à Darién pour s'étendre dans le reste du pays
à la recherche de l'or. Santa Fé de Bogotá — la future
Bogotá — fut conquise en 1538 par Gonzalo Jiménez de Quesada.
Toutefois, les Espagnols rencontrèrent une forte résistance de la part des autochtones dans leur progression de la côte caraïbe vers l'intérieur. La région fut, à partir de 1544, intégrée à la vice-royauté du Pérou, avant de devenir, en 1740, le centre de la vice-royauté de la Nouvelle-Grenade. La région acquit la réputation d'un eldorado en raison de la présence de l'or. En réalité, l'économie fonctionna en grande partie grâce à l'esclavage. Après avoir vainement tenté de faire des esclaves avec les Amérindiens, les Espagnols firent massivement appel aux Noirs d'Afrique. |
Ils se heurtèrent à l'hostilité de plus en plus grandissante des indigènes et des «créoles», c’est-à-dire des Noirs nés au pays et qu'on appellera plus tard les Afro-Colombiens (Afrocolombianos).
Comme c'est souvent le cas,
les esclaves élaborèrent un créole local. Il se développa au sein de
cette population une certaine bourgeoisie créole sensibilisée aux idées des
Lumières et à celles de la Révolution française de 1789, ce qui entraîna des
révoltes contre le pouvoir de Madrid. Ainsi, la révolte des comuneros de Socorro,
en 1781, fut la première manifestation de l'identité créole et le début des mouvements
pour l'indépendance. En 1810, les provinces de la Nouvelle-Grenade
se réunirent en fédération et décidèrent de rompre avec l'Espagne. Face à la
répression menée par les autorités espagnoles, le désir d'indépendance fut pour
quelque temps étouffé. Le pays sombra dans la guerre civile pendant que les succès
militaires de Simón
Bolívar sur les Espagnols, un peu partout sur le continent,
redonnèrent espoir aux indépendantistes.
Les guerres d’indépendance, soutenues d'abord par Antonio Nariño (1765-1823) et surtout par Simón Bolivar (1783-1830), débouchèrent en 1819 sur la proclamation de la «République de Colombie» par le Libertador (Bolivar). L’Équateur s’y joignit en 1822 pour fonder la Grande-Colombie, qui se disloquera en 1830, mettant fin au rêve bolivarien d’unité continentale et inaugurant une fragmentation régionale. Quant aux autochtones, il furent oubliés après la Conquête et les tentatives d'esclavage; les Espagnols ne s'en étaient jamais préoccupés. |
3.2 L’indépendance
C’est le Libertador, Simón José Bolívar qui
donna le nom de Grande-Colombie — en l'honneur de Christophe
Colomb — à l'Union formée par le Venezuela, la Nouvelle-Grenade, rejoints
par l'Équateur et le Panamá. Malgré le désir de Bolívar de voir les pays
du continent rester unis, les appétits de pouvoir suscitèrent des querelles
qui eurent raison de l'Union. Cette expérience ne survécut pas à son inspirateur et, en 1830, après la mort de Bolívar, le Venezuela et l'Équateur firent sécession, ce qui mit fin au grand rêve de Bolívar sur l’unité continentale. Dès les premières années de l'indépendance, le pays appelé dorénavant république de Colombie fut divisé en deux blocs politiques qui allaient s'affronter durant des décennies: d’une part, les «conservateurs» soutenus par l'Église et partisans d'un État centralisé, d’autre part, un bloc libéral et fédéraliste qui voulait soustraire la politique à l'emprise du clergé catholique. |
Durant tout le XIXe siècle, le nouveau pays connut de nombreuses guerres civiles — 52 au total — et de fréquent s changements constitutionnels. Au plan politique, la Colombie vécut les affrontements entre, d'une part, les libéraux fédéralistes et anticléricaux, d'autre part, les conservateurs ultracléricaux. En ce qui a trait aux autochtones, les dirigeants colombiens les ignorèrent autant que l'avaient fait les Espagnols avant eux. D'ailleurs, l'adoption d'une loi sur les «sauvages» («salvajes» en 1890 (loi no 89 du 25 novembre 1890) montre bien en quelle piètre estime on percevait les autochtones; le titre de la loi était le suivant: Ley por la cual se determina la manera como deben ser gobernados los salvajes que vayan reduciéndose a la vida civilizada (en français: «Loi précisant la manière dont doivent être gouvernés les sauvages afin qu'ils accèdent à la vie civilisée»). En 1996, la Cour constitutionnelle de la Colombie, dans son arrêt no C-139/96 du 9 avril 1996, estimera que l'emploi du terme «sauvage» est contraire à la Constitution.
3.3 Le XXe siècle
Le nouveau siècle débuta par un conflit sanglant appelé la guerre des Mille Jours (1899-1903). Cet affrontement, qui fit près de 100 000 victimes, perpétua une certaine tradition de violence dans le pays. À la suite du conflit, le Panama fit sécession de la Colombie qui perdit ainsi un accès important au commerce maritime. C'est alors que l'influence des États-Unis dans la politique intérieure du pays se fit de plus en plus sentir. Jusqu'en 1930, la Colombie connut une période de stabilité politique et put se consacrer à son développement économique grâce au développement de l'industrie et des zones urbaines. Mais ces progrès s'accompagnèrent d'inégalités et de conflits sociaux; l'armée interviendra à maintes reprises pour massacrer les ouvriers des compagnies bananières américaines.
Depuis l'indépendance, et ce, jusqu'en 1960, l'éducation dispensée aux indigènes relevait de la juridiction de l'Église catholique et dans certains cas des écoles publiques de l'État. Non seulement toutes ces écoles ignoraient systématiquement la culture des groupes autochtones, mais dans la majorité des cas il était interdit aux enfants de parler dans une langue indigène.
En avril 1948, l'assassinat à Bogotá du chef de file de l’aile la plus radicale du Parti libéral, Jorge Eliecer Gaitán dit «El indio», entraîna aussitôt une violente insurrection populaire. Jorge Eliecer Gaitan avait été assassiné par la CIA afin d’empêcher son arrivée au pouvoir grâce à des élections démocratiques qu’il aurait fort probablement gagnées. Mais Washington ne désirait pas l'aboutissement des réformes sociales préconisées ni de la nationalisation des grandes entreprises; il fallait préserver les intérêts de la toute-puissante United Fruit Company. La période de guerre civile larvée (appelée la «Violencia») qui s'ensuivit provoqua la mort de près de 300 000 personnes en dix ans. Cette violence provoqua la formation de mouvements de guérilla et suscita un important exode rural.
Affaiblie par la multiplication des milices et de leurs exactions dans tout le pays, la Colombie connut une période de paix sous la dictature du général Gustavo Rojas Pinilla (1953-1957). En 1957, après de nouvelles violences, Rojas Pinilla fut renversé par une junte militaire. Celle-ci dut se résoudre à convoquer des élections générales et une trêve fut conclue entre les libéraux et les conservateurs. Ils décidèrent alors l'alternance aux plus hauts postes de l'État (présidence et cabinets ministériels) pour une durée de seize ans. Cependant, la nouvelle coalition, le Front national (réunissant libéraux et conservateurs), ne parvint pas à enrayer la violence politique.
En réalité, le «pacte» se perpétua et continua de régir le pays en permettant l'alternance au pouvoir des deux grands partis. Durant des décennies, les partis politiques se partagèrent pacifiquement la présidence et les postes gouvernementaux. En même temps, le fameux pacte politique favorisa la corruption, le népotisme, le clientélisme et l’immobilisme chez les dirigeants, bloquant toute initiative d’opposition civile.
Cet «arrangement» entraîna d'aussi d'énormes difficultés telles que l'activité croissante des guérillas, les enlèvements, la corruption, la «guerre totale», l'insécurité, etc. Au cours de la décennie quatre-vingt, les États-Unis vinrent en aide au gouvernement pour engager la lutte contre les mafias colombiennes, le pays étant devenu au premier rang mondial pour la transformation et l'exportation de drogue aux mains du «cartel de Medellin», puis après la mort de son chef (Pablo Escobar) en 1993, du «cartel de Cali».
3.4 Une certaine démocratisation
L'adoption d'une nouvelle Constitution en 1991 permit un renforcement des institutions démocratiques, mais le pays demeura victime d'un violence endémique. Les autochtones furent reconnus dans la Constitution et, au plan juridique, ils furent considérés comme des citoyens avec des droits culturels, politiques et territoriaux. Pour les Américains, la Colombie «se bat pour la démocratie» et pour son droit à avoir une forme de gouvernement légitime. Malheureusement, ce pays a toujours connu d'énormes difficultés à obtenir un gouvernement élu démocratiquement, car les Forces armées ont toujours «réglé» tous les problèmes à leur façon, c'est-à-dire manu militari.
- Le «plan Colombie»
Le «plan Colombie» (officiellement appelé «Plan pour la paix, la prospérité et le renforcement de l’État») est un programme d’aide militaire et économique approuvé en l’an 2000 à l’initiative de Washington. Au moyen de la guerre déclarée, le plan se proposait d’éliminer les ressources des «narco-guérillas». Actuellement, la Colombie s'enorgueillit d'être, après Israël, le «deuxième État au monde le plus aidé économiquement» par Washington. De son côté, la guérilla colombienne accuse Washington d'intervenir dans la guerre civile en Colombie sous le couvert de la lutte contre le trafic de la drogue; elle affirme aussi que les Forces armées colombiennes soutiennent les groupes paramilitaires d'extrême-droite. Le secrétaire d'État américain a laissé entendre, en mars 2002, que Washington pourrait augmenter son aide militaire au gouvernement colombien pour l'aider à faire face à la «rébellion marxiste» des guérilleros. C'est aussi en 2002 (le 23 février) que Ingrid Betancourt, une Franco-Colombienne, se portait la candidate à la présidence pour le parti Vert Oxygène, lorsqu'elle fut séquestrée par la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). L’arrivée au pouvoir de M. Alvaro Uribe, le 7 août 2002, a marqué une escalade dans la confrontation militaire. Les rebelles veulent échanger plusieurs des quelque 3000 otages qu'ils détiennent contre des responsables de leur mouvement aux mains des autorités colombiennes, ce qu'a jusqu'ici refusé le président Alvaro Uribe. Mme Betancourt n'était toujours pas été libérée en juin 2006. Bien qu'elle soit devenue le symbole des otages du conflit qui déchire ce pay, il semble que son sort mobilise davantage les Français que les Colombiens.
À force d’être «couvée» artificiellement par les États-Unis, la Colombie n’a malheureusement jamais exercé pleinement son indépendance. C’est une situation préoccupante, car les gouvernements colombiens en sont venus à ne pouvoir régler les problèmes sociaux et économiques de leur pays que par le recours systématique aux forces armées.
- La question amérindienne
Ce sont les Forces armées qui, avec leurs avions militaires, répandent des herbicides sans discernement sur de très vastes régions agricoles appartenant aux autochtones. C’est encore l’armée et les nombreux groupes paramilitaires qui travaillent, souvent main dans la main, pour assurer le transport du matériel et du personnel des compagnies minières et pétrolières américaines en plein cœur des territoires autochtones, sans égard aux ethnies locales et en ignorant les engagements internationaux concernant la protection des ressources naturelles et des droits de la personne.
Le gouvernement accorde des permis d’exploitation à des compagnies pétrolières américaines afin qu’elles puisent dans le sous-sol des autochtones les ressources dont elles ont besoin. Ce faisant, le gouvernement colombien contrevient ainsi à l'article 330 de sa propre constitution et à de nombreux engagements pris avec les ethnies autochtones, tout en ignorant les mécanismes de concertation qu'il a lui-même mis en place pour rassurer symboliquement la communauté internationale. C’est encore l’armée colombienne, fortement équipée par les États-Unis, qui assure la sécurité des compagnies pétrolières américaines. En même temps, les «forces de sécurité» expulsent manu militari les paysans et les indigènes qui s'opposent pacifiquement à cette violation flagrante de la loi et de leurs droits; certains villages autochtones sont même «déplacés» par l’armée. Au nord de Carthagena, et dans ses environs, parce qu'on voulait construire des complexes touristiques, les habitants des îles Barú, Tierra Bomba et de El Rosario, ainsi que ceux de la zone de Boquilla, ont été expulsés par les autorités locales sous la pression de grandes entreprises hôtelières.
Pour justifier ses interventions, le gouvernement colombien accuse les indigènes de soutenir les narco-guérillas et de «planter de la coca». Puis, quand ce ne sont pas les compagnies pétrolières qui interviennent, ce sont les projets hydroélectriques qui menacent l’environnement et la survie des autochtones. Plusieurs centaines d'autochtones sont ainsi déplacés à chaque fois par les «forces de sécurité» vers les centres urbains où ils seront mis en minorité et rapidement assimilés. Dans le pire des cas, les opposants sont assassinés ou contraints à l'exil. Ce sont toujours des groupes militaires ou paramilitaires qui se chargent de défendre à la fois les décisions du ministère de l’Environnement et les intérêts des grandes compagnies américaines.
Selon diverses organisations autochtones, telles que l'Organización Regional Indígena del Chocó, l'Organización Indígena de Antioquia (au nord) et l'Asociación Campesina Integral del Atrato, le gouvernement aurait comme objectif de «faire disparaître complètement les ethnies et cultures traditionnelles du Pacifique, ainsi que leurs organisations, dont l'existence est perçue comme un obstacle à la réalisation des soit-disant «projets de développement» que des secteurs du capital national et international concoctent pour la région «dans le cadre de l'ouverture économique et de la mondialisation de l'économie». Dans une lettre adressée à l'opinion internationale, les représentants indigènes du département de Sabaleta déplorait la situation en ces mots:
Toutes nos conquêtes, fruits de nos luttes, et nos aspirations sont gravement menacées par l'application de desseins ethnocides cultivés par l'État à l'égard des territoires autochtones, favorisant ainsi les intérêts des grands secteurs économiques de l'ordre national et international. Aujourd'hui, notre communauté et notre avenir sont mis en péril par la présence et par les agissements de groupes armés qui opèrent dans la région et qui ne reconnaissent pas nos droits. |
En matière de violations des droits humains, la Commission des droits de l'homme de l'ONU attribuait, en 1999, les atrocités à l'endroit des autochtones à 73 % de la part des militaires, contre 27 % de la part de la guérilla. Dans ces conditions, il est difficile de croire que le gouvernement colombien se préoccupe sérieusement des droits linguistiques et autres droits de ses autochtones. N'oublions pas que 25 % des Colombiens les plus riches ont des revenus 30 fois plus élevés que les 25 % les plus pauvres, et que 80 % des 13 millions de personnes abandonnées par l'État dans les campagnes, soit les autochtones et les Afro-Colombiens, vivent en dessous du seuil de pauvreté.
La situation sécuritaire et les droits de l'homme reste préoccupante dans ce pays. Alors que l'ancien président Ivan Duque avait appliqué l'accord de paix de manière sélective, le président Petro, élu le 19 juin 2022 (50,5% des suffrages) a fait de la «paix totale» la priorité de son mandat. Cette «paix totale» est un projet qui consiste à négocier avec les guérillas n’ayant pas encore déposé les armes, notamment l’ELN ("Ejército de Liberación Nacional" : Armée de libération nationale) et la dissidence FARC ("Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia" : Forces armées révolutionnaires de Colombie) et à proposer une soumission à la justice aux groupes criminels vivant du narcotrafic. La Colombie est un partenaire important de la France dans les instances internationales : pays défenseur du multilatéralisme, actif et ambitieux dans les négociations internationales sur la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. Enfin, pour que la paix s’installe concrètement et puisse perdurer, l’enjeu consiste à générer un climat favorable à la paix sociale et à la réduction des inégalités, facteurs de tensions, d’insécurité et d’illégalité.
Il apparaît comme normal dans ces conditions que la Colombie s'intéresse beaucoup plus au sort de l'espagnol qu'à celui des langues autochtones (ou amérindiennes des familles arawak, chibcha, quechua et tupi-guarani). Toute la législation nationale ne concerne donc pratiquement que l'espagnol.
3.1 La Constitution et les langues
Le premier
texte juridique qui devrait attirer notre attention, c'est évidemment la
Constitution de 1991, modifiée en 2001. L'article 13 porte sur une disposition
générale de non-discrimination, comme on en voit dans la plupart des pays:
toutes les personnes naissent libres et égales devant la loi,
bénéficient de la même protection de la part des autorités et jouissent des mêmes droits
et
libertés sans aucune discrimination pour des raisons de sexe, de race, d'origine nationale ou familiale,
de langue, de religion, d'opinion politique ou philosophique.
Article 13 1) Tous les individus naissent libres et égaux devant la loi, reçoivent la même protection et le même traitement de la part des autorités et jouissent des mêmes droits, libertés et possibilités, sans aucune discrimination pour des raisons de sexe, de race, d'origine nationale ou familiale, de langue, de religion, d'opinion ou de philosophie. 2) L'État doit promouvoir les conditions pour que l'égalité soit réelle et effective, et doit adopter des mesures en faveur des groupes discriminés ou marginalisés. 3) L'État doit protéger particulièrement ces personnes qui, par leur condition économique, physique ou mentale, se trouvent en situation de faiblesse manifeste et doit sanctionner les abus ou les sévices qui commis contre elles. |
L'article
10 de la Constitution semble le plus important, car il porte à la fois sur la langue
officielle ainsi que sur les langues autochtones:
Article 10 1) Le castillan est la langue officielle de la Colombie. 2) Les langues et les dialectes des groupes ethniques sont aussi officiels dans leurs territoires. 3) L'enseignement dispensé dans les communautés ayant leurs propres traditions linguistiques est bilingue. |
À l'instar de l'Espagne, la Colombie a proclamé le castillan («el castellano») comme la langue officielle du pays, au lieu du mot espagnol («español» ou «lengua española»). L'emploi de ce terme n'est certainement pas dû au hasard, car il s'agit d'un texte juridique de la plus haute importance: la Constitution colombienne. Ainsi, dans tous les textes juridiques de l’Espagne, que ce soit pour l'État espagnol ou les différentes Communautés autonomes, le seul terme utilisé pour désigner la langue officielle de l’État espagnol est castellano (voir le document à ce sujet). La Colombie a probablement voulu imiter l'Espagne.
Dans la vie de tous les jours, en Espagne comme en Colombie, on utilise le terme español. De toute façon, les deux termes (castellano et español) sont considérés comme synonymes en Colombie, comme à peu près partout ailleurs. De plus, la plupart des traités internationaux adoptés en Colombie se terminent par la phrase suivante: «Firmado en Bogotá, el día __ de ___de 200_, en dos ejemplares originales en lengua española, teniendo los dos la misma validez.» On peut traduire par : «Signé à Bogota, le __ jour de (mois) de l'an 200 _, en deux exemplaires originaux en langue espagnole, les deux ayant la même valeur.»
3.2 Les langues indigènes
Quant à l'officialisation des langues ethniques — «Les langues et les dialectes des groupes ethniques sont aussi officiels dans leurs territoires.» — , c'est une disposition introduite en 1991 dans la nouvelle Constitution: cette disposition rend co-officielles avec l'espagnol les langues des communautés autochtones. Il s'agit d'une mesure qui revêt un caractère plutôt symbolique, car elle ne peut que difficilement se traduire dans les faits. Non seulement les langues sont très nombreuses (plus de 90), mais les populations indigènes sont aussi très peu organisées.
Une fois promulguée la Constitution, le président de la République a créé un bureau dirigé par un conseiller afin d'assurer la diffusion et la connaissance de la nouvelle loi fondamentale à la plus grande partie de la population. Le bureau est entré en contact avec le Centro Colombiano de Estudios de Lenguas Aborígenes (Centre colombien des études des langues aborigènes) de l'Université des Andes de Bogotá pour étudier la possibilité de traduire la Constitution dans certaines langues indigènes du pays. Mais d'énormes difficultés surgirent, car il n'était pas aisé de trouver des équivalents juridiques entre l'espagnol et les langues amérindiennes. Le programme a été développé à partir du mois de mars 1992, mais le travail de traduction et de diffusion ne fut terminé qu'en juin 1994. Au départ, le comité de travail avait proposé de faire la traduction en 12 langues. Toutefois, des raisons financières et la faible disponibilité des linguistes indigènes dûment formés ont incité le comité à ne présenter le texte constitutionnel qu'en sept langues. Celles-ci ont été choisies en fonction de leur importance ethnolinguistique, mais également en tenant compte des linguistes indigènes disponibles. Les langues choisies sont les suivantes:
- le wayuu (ou guajiro), parlé par 130 000 locuteurs en Colombie (180 000 au Venezuela);
- le nasa (ou páez), parlé par plus de 100 000 locuteurs dans le département du Cauca;
- le guambiano, parlé dans le Cauca par quelque 15 000 locuteurs;
- l'arhuaco (ou ika), parlé dans la Sierra Nevada de Santa Marta par quelque 15 000 locuteurs;
- l'ingano, parlé dans le Putumayo par 15 000 locuteurs;
- le kamsá de Sibundoy (Putumayo) parlé par 15 000 locuteurs;
- le cubeo de l'Amazonas (Vaupés) parlé par quelque 5000 locuteurs.
Selon le gouvernement, le total des locuteurs de ces langues (295 000) atteindrait presque la moitié des indigènes colombiens parlant une langue amérindienne.
En cours d'élaboration du travail, les linguistes ont dû abandonné la traduction dans des langues dont le nombre des locuteurs était plus important que celles qui ont été sélectionnées. Dans certains cas, il n'y avait pas de linguistes disponibles dans ces langues; dans d'autres, les associations indigènes ont refusé toute collaboration. Il ne faut pas entretenir trop illusions quant au résultat de cette opération qui tente de mettre en relation deux univers souvent très éloignés l'un de l'autre. Néanmoins, ce travail de traduction a permis d'élaborer un glossaire d'une cinquantaine de termes juridiques importants en castillan avec leur traduction en sept langues indigènes. De plus, les juristes se sont rendus compte qu'il fallait adapter des équivalences afin que les destinataires comprennent bien un texte perçu comme très difficile. Il a donc fallu fonctionner avec des métaphores, des comparaisons, des paraphrases, des explications, des illustrations, etc. Ce sera dorénavant plus facile pour effectuer un travail similaire.
La Colombie a adopté plusieurs documents juridiques relatifs à l'emploi de la langue espagnole (ou castillane):
- la loi n° 2 de 1960 ou Loi en faveur de la langue espagnole en Colombie du 6 août 1960;
- le décret n° 189 de 1964;
- la loi n° 14 du 5 mars 1979 ;
- le décret n° 2744 de 1980.
Cependant, ces documents ont un caractère répétitif, car ils se ressemblent tous. Certains articles se répètent d'un document à l'autre, mais ils témoignent éloquemment de la continuité des dispositions législatives. Ce sont en fait la loi 14 du 5 mars 1979 et le décret no 2744 (adopté en 1980 et promulgué en 1989), qui font l'objet de la principale législation en matière de protection de la langue espagnole.
4.1 La langue de l'État
Toute l’Administration du pays n’utilise que l’espagnol pour communiquer avec les citoyens, y compris dans les tribunaux, à moins qu’il ne faille recourir à un traducteur pour les cas d’unilinguisme amérindien. Déjà, avec la loi 2 de 1960, tous les documents proposés, toute la correspondance et tous les documents échangés entre les citoyens et le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice doivent être rédigés par tout moyen mécanique ou autre en castillan. Par conséquent, tous les documents en langue étrangère doivent être accompagnés d'une traduction officielle. La présentation de documents dans une langue différente du castillan est susceptible d'être corrigée dans un délai de trois jours, sous peine de refus de recevoir le document de la part du ministère concerné.
Plusieurs années plus tard, la loi 14 de 1979 et son décret d'application 2744 de 1980 sont venus ajouter des dispositions plus précises. Par exemple, avec ses 20 articles, le décret de 1989 traite de l'emploi de l'espagnol dans les documents officiels (et des exemptions), des étiquettes, des emballages et des modes d'emploi des produits colombiens, des écoles, des bibliothèques, de la radio et de la télévision, des journaux et périodiques, des marques de commerce, des enseignes et des annonces, de l'Académie colombienne de la langue, et même des sanctions et des amendes.
C'est l'article 1er du décret 2744 de 1980 qui décrit l'objectif de la loi 14 de 1979 : la défense de l'usage correct de l'espagnol en tant que langue officielle et nationale.
Article 1er L'usage correct de l'espagnol, qui est la langue officielle et
nationale, et dont la défense est l'objectif de la loi 14 de 1979,
interdit non seulement l'emploi de mots étrangers dans les documents et
dans les cas prévus dans la présente loi, mais aussi l'emploi de
constructions grammaticales étrangères au caractère de l'espagnol. Cette règle n'empêche pas que dans un texte espagnol on puisse ajouter entre parenthèse des mots ou expressions dans une autre langue comme citations ou comme exemples ou lorsque l'absence d'un terme équivalent exact oblige à recourir à un mot étranger indispensable. |
En conséquence, l'emploi de «mots étrangers» et de «constructions grammaticales étrangères au caractère de l'espagnol» est interdit dans les documents et les cas prévus dans la loi. L'article 2 du décret 2744 est très précis en ce qui a trait à la langues employée dans les documents officiels émanant des autorités:
Article 2 Doivent être rédigés en langue espagnole ou castillane :
|
Bien que l'article 13 de la Constitution déclare que «les langues et les dialectes des groupes ethniques sont aussi officiels dans leurs territoires», cette disposition ne s'applique manifestement pas pour l'État dans ses relations avec les citoyens.
C'est en vertu de la loi n° 2 de 1960 que le gouvernement a créé l'Académie colombienne de la langue, un organisme de droit privé, disposant de ses propres revus et de ses biens mobiliers et immobiliers. D'après la loi 2, cette Académie est conçue comme un organisme consultatif pour le gouvernement dans les domaines de la langue, de la littérature et de la promotion des lettres. L'article 12 du décret 2744 précise également le rôle de l'Académie colombienne de la langue:
Article 12 À l'Académie colombienne de la langue, en tant qu'organisme consultatif auprès du gouvernement, il est assigné la tâche de poursuivre, de propager et d'intensifier la campagne pour la défense et la pureté de la langue espagnole avec la plus grande diffusion des corrections du langage. Également, l'Académie doit conseiller le ministère du Gouvernement en matière de propriété intellectuelle et de presse et le ministère du Développement économique en matière de propriété industrielle, quand chacun de ces deux organismes le sollicitera. |
4.2 La langue de l'enseignement
La législation colombienne semble aussi
importante en matière d'éducation. En effet, la
loi n° 115 de 1994, la Ley 115 de 1994 (febrero 8)
por la cual se expide la Ley General de Educación (ou: loi 115 du 8
février 1994
promulguant la Loi générale sur l'éducation) définit les normes particulières à propos de la langue
d'enseignement. L'article 21 précise ce qui suit au sujet des langues:
Article 21 Les cinq premiers degrés de l'éducation de base qui constituent le cycle du primaire auront comme objectifs spécifiques ce qui suit : [... ] ) Le développement des habilités de communication de base pour lire, comprendre, écrire, écouter, parler et s’exprimer correctement en langue castillane, et également dans la langue maternelle dans le cas des groupes ethniques avec une tradition linguistique, ainsi que la promotion du goût pour la lecture; d) Le développement de la capacité à apprécier et utiliser la langue comme moyen d'expression esthétique; [...] l) L'acquisition d'éléments de conversation et de lecture au moins dans une langue étrangère; |
Il est très clair que le «castillan» est la langue de l'enseignement public, bien que les langues autochtones peuvent, en principe du moins, être également enseignées. Les langues étrangères concernées sont d'abord l'anglais, puis le français et, assez loin derrière, le portugais. L'article 22 de la loi sur l'éducation (Ley Normatividad del Sector Educativo) traite du niveau secondaire. On y mentionne que la langue castillane sert de véhicule dans l'enseignement:
Articulo 22 Los cuatro grados subsiguientes de la educación básica que constituyen el ciclo de secundaria, tendrán como objetivos específicos los siguientes: a) El desarrollo de la capacidad para comprender textos y expresar correctamente mensajes complejos, orales y escritos en lengua castellana, así como para entender, mediante un estudio sistemático, los diferentes elementos constitutivos de la lengua; b) La valoración y utilización de la lengua castellana como medio de expresión literaria y el estudio de la creación literaria en el país y en el mundo; [...] l). La comprensión y capacidad de expresarse en una lengua extranjera; |
Article 22 Les quatre degrés ultérieurs dans l'éducation de base qui constituent le cycle du secondaire auront comme objectifs spécifiques ce qui suit : a) Le développement de la capacité à comprendre des textes et exprimer correctement des messages complexes, oraux et écrits en langue castillane, ainsi que pour comprendre, au moyen d'une étude systématique, les différents éléments constitutifs de la langue; b) Le développement et l'utilisation de la langue castillane comme moyen d'expression littéraire et l'étude de la création littéraire dans le pays et dans le monde; [...] l) La compréhension et la capacité de s’exprimer dans une langue étrangère; |
Ces dispositions relatives à l'éducation sont tout à fait normales dans un pays où la langue espagnole bénéficie du statut de langue officielle.
L'article 6 du décret 2744 énonce qu'une attention préférentielle sera accordé à l'apprentissage et à la culture de la langue castillane et les études qui y seront effectuées devront être faites en castillan:
Article 6 Dans tous les établissements d'enseignement qui fonctionnent dans le pays, un souci privilégié doit être accordé à l'apprentissage et à la culture de la langue castillane et les études qui y seront effectuées doivent être faites en castillan, mais, en raison du caractère particulier des établissements, il pourra être accordé aux langues étrangères, selon l'avis du ministère de l'Éducation nationale, une plus grande vigueur que celle prévue dans les programmes d'études officiels. |
Le même article prévoit qu'il pourra être accordé aux langues étrangères, selon le ministère de l'Éducation nationale, une plus grande intensité que celle prévue dans les programmes d'études officiels. L'article 8 du même décret prescrit l'usage du castillan dans les livres réglementaires, les diplômes accordés, les certificats et les rapports sur les études des élèves ainsi que dans la correspondance à caractère officiel:
Artículo 8 En todos los establecimientos educativos que funcionan en el país se usará el idioma castellano en los libros reglamentarios en los títulos que concedan, en los certificados e informes sobre estudios de los alumnos y en la correspondencia de carácter oficial. |
Article 8 Dans tous les établissements d'enseignement qui fonctionnent dans le pays, le castillan doit être utilisé dans les livres réglementaires, les diplômes accordés, les certificats et les rapports sur les études des élèves ainsi que dans la correspondance à caractère officiel. |
Dans ces conditions, on peut se demander quelle est la place des langues amérindiennes au sein des populations autochtones. On peut supposer que ces dispositions ne s'appliquent pas en vertu des droits acquis pour les établissements d'enseignement dans les territoires indigènes.
Bien que les droits scolaires soient en principe les mêmes pour tous, la réalité semble nier quelque peu cette égalité. En effet, selon un rapport des Nations unies (Conseil économique et social) publié en janvier 1997, il existerait une certaine discrimination dans la scolarisation des populations colombiennes. Ainsi, les Blancs en zone urbaine accéderaient à l'école primaire dans une proportion de 70 %, contre 60 % pour les Noirs; ce serait 41 % pour les Blancs en zone rurale et 73 % pour les Noirs. Au secondaire (en zone urbaine), 88 % des Blancs y auraient accès, contre 38 % pour les Afro-Colombiens. Enfin seulement 2 % de ces derniers atteindraient l'université. On a reproché à un professeur d'anthropologie d'avoir déclaré à l'un de ses étudiants : «Travaille comme un nègre pour pouvoir gagner comme un Blanc.» Malgré des progrès indéniables dans la suppression de la discrimination raciale, il s'agit là d'une tendance lourde un peu partout dans le pays. Aujourd'hui, certaines universités publiques ont même adopté des programmes d'accès préférentiels pour les étudiants provenant des communautés autochtones.
4.3 Les médias
Les médias et le monde du travail ne fonctionnent qu'en espagnol. Il existe bien un journal de défense des droits de ces indigènes intitulé Unidad Indigenas, et il est publié en espagnol. Dans tous les domaines de l'État et de la vie économique, les langues amérindiennes restent totalement ignorées. L'article 2 du décret 2744 de 1980 prescrit que l'espagnol doit être la langue des noms des journaux et de leurs textes:
Article 2 Doivent être rédigés en langue espagnole ou castillane :
|
De plus, selon le même décret, les présentateurs, animateurs et réalisateurs des émissions de radio et de télévision sont tenus de respecter les dispositions juridiques et réglementaires sur la défense de la langue, alors que les directeurs des stations doivent veiller à la mise en œuvre des règlements:
Article 11 Le respect des dispositions juridiques et réglementaires sur la défense de la langue est obligatoire pour les présentateurs, animateurs et réalisateurs des programmes de radio et de télévision. Les directeurs des stations et des entreprises respectives doivent veiller à la mise en oeuvre de ces règles. Cette exigence devra être plus stricte pour les entreprises officielles consacrées à ces réseaux de diffusion. |
4.4 La législation relative à l'affichage
La législation colombienne est exceptionnellement abondante en ce qui a trait à un domaine bien particulier : celui de l'affichage public, de l'étiquetage et des emballages. Outre
la loi n° 2 de 1960 et le décret n° 189 de 1964, il faut consulter aussi la loi n° 14 du 5 mars 1979 et le décret n° 2744 de 1980.La loi n° 14 du 5 mars 1979 porte le titre complet de «
Loi n° 14 du 5 mars 1979 par laquelle la défense de la langue espagnole est rétablie et l'autorisation à l'Académie colombienne de la langue est donnée (en espagnol: Ley 14 de 5 de marzo de 1979 por medio de la cual se restablece la defensa del idioma español y se da una autorización a la Academia Colombiana de la Lengua). L'article 1 est complet et donne une description précise des dispositions de la loi colombienne:
Article 1er 1) Les documents de la procédure officielle ainsi que tout nom d'enseigne, d'annonces commerciales, professionnelles, industrielles et artistiques, ou de l'industrie du vêtement, destinés à tous, doivent être exprimés et rédigés en espagnol, sauf ceux qui constituent des noms propres ou des noms d'entreprises commerciales étrangères intraduisibles ou qu'on ne peut modifier de façon convenable. 2) Dans le cas des marques exotiques enregistrées, sa
prononciation correcte ou sa traduction doit être indiquée, entre
parenthèses dans la mesure du possible, et les explications pertinentes
relatives à la marque en question doivent toujours être rédigées en espagnol. |
En effet, cet article précise bien que tous les documents officiels, tout nom d'enseigne, d'annonces commerciales, professionnelles, industrielles, artistiques, etc., ou d'industrie, etc.,
doivent être exprimés et rédigés en espagnol, sauf ceux qui constituent des noms propres ou des noms d'entreprises commerciales étrangères intraduisibles ou qu'on ne peut modifier de façon convenable (par. 1). Dans le cas des marques «exotiques» (étrangères), il faut indiquer la prononciation ou une traduction entre parenthèses (si possible), alors que «les explications pertinentes relatives à la marque en question doivent toujours être rédigées en espagnol» (par. 2). Sinon, l'autorité politique concernée doit ordonner le retrait des noms étrangers. En fait, ce n'est que lorsqu'il n'existe pas d'équivalent exact en espagnol qu'on a recours à un mot étranger. L'article 2 du
décret n°
2744 de 1980 oblige à rédiger en espagnol ce qui suit:
Article 2 Doivent être rédigés en langue espagnole ou castillane :
|
La législation prévoit des exceptions: les dénominations constituées avec des noms propres de personnes illustres (qui n'ont pas de traduction en espagnol) ou formées avec des noms propres de propriétaires des commerces, avec des noms étrangers à la Colombie, avec des marques de commerce en provenance de pays utilisant une autre langue (art. 3)
a) Les dénominations qui consistent en noms propres de personnes illustres et qui n'ont pas de traduction en espagnol.
b) Les noms d'établissements d'enseignement quand ils font référence à des noms propres de personnes éminentes ou illustres, après avis du ministère de l'Éducation nationale.
c) La raison sociale de compagnies ou la dénomination de sociétés constituées à l'origine dans des pays utilisant une autre langue.
d) Les marques de commerce ou les noms industriels d'articles, de produits ou de marchandises en provenance de pays utilisant une autre langue.
e) Les droits acquis ou les droits accordés en vertu de lois antérieures.
f) Les titres des publications périodiques originaires de pays de langue différente à l'espagnol.:
L'article 5 du même décret
rend obligatoire que les inscriptions imprimées à des fins d'information dans les modes d'emploi, les emballages, prospectus, etc., l'emploi de l'espagnol, mais il est possible d'ajouter des traductions en d'autres langues. L'article 10 prescrit que «tout message diffusé dans la presse du pays dans une langue étrangère doit être accompagné de sa traduction».En vertu de l'article 16 du décret 2744, la réticence ou le retard à se conformer aux dispositions du décret et de la loi doivent être sanctionnés d'amendes successives de 500 à 1000 pesos imposées d'office par les autorités policières ou à la demande d'une partie en conformité avec la procédure policière.
Dans les faits, l'usage de la langue dans l'affichage semble plus ou moins conforme aux dispositions prévues dans la législation colombienne. Toutes les affiches gouvernementales sont effectivement rédigées seulement en espagnol. Cependant, dans certaines grandes villes, comme à Bogotá, de nombreux panneaux publicitaires sont parfois rédigés en anglais, mais le plus souvent en «spanglish». On trouve aussi des raisons sociales écrites avec des noms anglais ou français. Dans la quasi-totalité des cas, celles-ci sont associées à la restauration ou à l'hôtellerie, ou encore aux produits de luxe parce que ça fait «chic» ou «international».
La Constitution de 1991 et la loi n° 70 de 1993 (Ley 70 de 1993, agosto 27, por la cual se desarrolla el artículo transitorio 55 de la Constitución Política (loi 70 du 27 août 1993 (août 27) élaborant l'article transitoire 55 de la Constitution politique) reconnaissent et garantissent les droits et les libertés fondamentales des communautés autochtones (et afro-colombiennes), notamment le droit à la propriété collective des terres et le droit de préserver leur identité naturelle.
Ley 70
de 1993 (agosto 27) Art ículo 37El Estado debe adoptar medidas que permitan a las comunidades negras conocer sus derechos y obligaciones, especialmente en lo que atañe al trabajo, a las posibilidades económicas, a la educación y la salud, a los servicios sociales y a los derechos que surjan de la Constitución y las Leyes. A tal fin, se recurrirá, si fuere necesario, a traducciones escritas y a la utilización de los medios de comunicación en las lenguas de las comunidades negras. |
Loi 70 du 27 août
1993 Article 37 L'État doit adopter des mesures permettant aux communautés noires de connaître leurs droits et leurs obligations, particulièrement en ce qui concerne le travail, les possibilités économiques, l'éducation et la santé, les services sociaux et les droits qui apparaissent dans la Constitution et les lois. À cet effet, ci cela est nécessaire, il faut recourir à des traductions écrites et à l'utilisation des moyens de communication dans les langues des communautés noires. |
C'est pourquoi, en date du 18 janvier 1995, le gouvernement colombien a pu écrire ce qui suit dans un rapport présenté à la Mission permanente de Colombie auprès des organisations internationales à Genève et adressée au Centre pour les droits de l'homme:
En raison du grand changement institutionnel qu'a constitué pour le pays l'adoption de la Constitution de 1991, non seulement le gouvernement a actuellement pour politique et pour but de promouvoir la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle, mais, en outre, il existe un ensemble de normes qui appuient le processus de développement des communautés noires du pays et qui condamnent, de ce fait, la discrimination raciale. |
5.1 L'égalité juridique des droits autochtones
Ainsi, en vertu des dispositions de
l'article transitoire 56 de la Constitution de 1991, ont été adoptés les
décrets 1088 et 1809 de 1993, qui réglementent le droit des communautés
autochtones à se gouverner selon leurs propres us et coutumes, consacré par
l'article 330 de la Constitution nationale. Voici ce que prescrit l'article 330:
Article 330 Conformément à la Constitution et aux lois, les territoires autochtones sont gouvernés par des conseils constitués et réglementés selon les us et coutumes des communautés qu'ils représentent, qui exercent les fonctions suivantes : a) Veiller à l'application des dispositions normatives légales relatives à l'utilisation du sol et au peuplement des territoires concernés; b) Définir les politiques, ainsi que les plans et programmes de développement économique et social pour leur territoire, en harmonie avec le Plan national de développement; c) Favoriser les investissements publics sur leurs territoires et veiller à leur bonne utilisation; d) Percevoir les revenus et répartir les ressources; e) Veiller à la préservation des ressources naturelles; f) Coordonner les programmes et les projets mis en œuvre par les différentes communautés sur leur territoire; g) Collaborer au maintien de l'ordre public sur leur territoire, conformément aux instructions et aux décisions du gouvernement national; h) Représenter les territoires auprès du gouvernement national, ainsi que des autres entités dont ils font partie; |
Par ailleurs, l'article 246 de la
Constitution confère la personnalité juridique aux communautés autochtones
et l'article 171 prévoit l'institution d'une circonscription spéciale pour
l'élection de deux sénateurs pour les communautés autochtones, qui devront
être des personnes ayant exercé une autorité traditionnelle dans leur
communauté respective. Il s'agit là d'une tentative originale de la part de la
Colombie pour intégrer les autochtones dans la vie politique du pays.
Article 171
Le Sénat de la République est composé de quatre-vingt-trois (83) sénateurs, choisis de la manière suivante : soixante-dix-huit (78) choisis dans les circonscriptions nationales, deux (2) choisis dans les circonscriptions nationale particulières par les communautés indigènes, et trois (3) dans les circonscriptions nationales spéciales par les minorités politiques. [...] Article 246 |
Malheureusement, cette égalité des droits ne se traduit pas dans le vécu quotidien. En effet, la force d'inertie, les résistances aux changements, les conflits d'intérêts, l'incompétence, voire le népotisme de certains dirigeants colombiens, sans oublier les guerres civiles et les puissances de l'argent (surtout américaines) font que tous les instruments juridiques de protection restent généralement lettre morte dans ce pays.
5.2 Les droits linguistiques et l'éducation
La législation linguistique colombienne relative aux «Indigènes» ne touche qu'un seul domaine: l'éducation. Les langues de l'éducation sont régies par la Constitution, ainsi que par la loi no 115 de 1994 sur l'éducation, le décret no 1860 de 1994 par lequel est réglementée partiellement, la loi 115 de 1994 dans ses aspects pédagogiques et organisationnelles généraux et le décret no 804 au moyen duquel sont réglementés les besoins éducatifs à l’endroit des groupes ethniques (18 mai 1995).
Le paragraphe 3 de l'article
10 de la
Constitution proclame que l'enseignement donné dans les communautés
indigènes est bilingue:
Article 10 1)
Le castillan est la langue officielle de la Colombie. |
Une
autre disposition de la Constitution concerne les établissements
d'enseignement. Il s'agit de l'article 68, dont seul le paragraphe 6 apparaît
pertinent en ce qui concerne la langue:
Article 68
1) L'État garantit la liberté de
l' enseignement, de l'apprentissage, de la recherche et de la science. 7) L'éradication de l'analphabétisme et l'éducation des personnes avec des déficiences physiques ou mentales ou avec des qualités exceptionnelles constituent des obligations spéciales pour l'État. |
Le paragraphe 6 reconnaît que les «groupes ethniques» ont le droit de recevoir «une formation qui respecte et développe leur identité culturelle». Que signifie cette clause? Elle peut donner lieu à diverses interprétations et elle n'implique pas nécessairement la langue. Par exemple, suffit-il de parler durant quinze minutes du folklore wayú (ou paez) aux élèves pour assurer une formation qui respecte l'identité culturelle? Le problème avec cette clause, c'est qu'elle demeure une coquille vide, car elle n'oblige pas vraiment l'État à dispenser un enseignement dans la langue maternelle de l'enfant. Nous y reviendrons plus loin lorsque nous aborderons spécifiquement la question autochtone.
Le décret n° 804 de 1995 «réglementant les besoins en éducation des groupes ethniques» officialise les langues des groupes ethniques dans leurs territoires («oficializa las lenguas de los grupos étnicos en sus territorios») et reconnaît le droit des groupes ethniques ayant des traditions linguistiques particulières à une «éducation bilingue» («una educación bilingüe»); elle institutionnalise aussi la participation des communautés dans la direction et l'administration de l'éducation. L'article 1 énonce des considérations générales et affirme que l'éducation destinée à des groupes ethniques fait une partie du «service éducatif public» et qu'il est soutenu par l'État:
Article 1er L'éducation destinée aux groupes ethniques fait partie du service public éducatif et repose sur un engagement d'élaboration collective, par lequel les différents membres de la communauté en général échangent des savoirs et des expériences en vue de maintenir, de recréer et de développer un projet global de vie en accord avec leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs juridictions autochtones et particulières. |
L'article 2 du décret 804 parle de «relation
harmonieuse et réciproque entre les hommes» («relación armónica y
recíproca entre los hombres») et que la «diversité linguistique» doit
être comprise comme «une façon de voir, concevoir et construire le
monde». Pour tout autre considération d'ordre linguistique, la loi
reste muette :
Article
2
a. Intégrité comprise comme la
conception globale que chaque peuple possède et qui permet une relation
harmonieuse et réciproque entre les hommes, leur réalité sociale et la nature ;
|
Comme nous venons de le voir, la
loi n° 115 de 1994 (Ley
115 de 1994 por la cual se expide la Ley General de Educación) définit les normes
particulières à propos de la langue d'enseignement. Conformément à la
législation, le ministère de l'Éducation a mis au point un «Programme
national d'ethno-éducation» qui définit le cadre dans lequel doivent être
enseignées les langues et cultures des différents groupes ethniques dans les
territoires où ils vivent. L'article 21 précise
que les langues indigènes peuvent être aussi enseignées dans les écoles
primaires, c'est-à-dire en plus du castillan:
Article 21 Les cinq premières années de l'éducation de base, qui constituent le cycle du primaire, auront comme objectifs spécifiques ce qui suit: [... ] c) Le développement des habilités de communication de base pour lire, comprendre, écrire, écouter, parler et s’exprimer correctement en langue castillane, et également dans la langue maternelle dans le cas des groupes ethniques avec une tradition linguistique, ainsi que la promotion du goût pour la lecture; |
L'article 55 de la loi n° 115 définit un terme courant dans plusieurs pays d'Amérique
latine: l'ethno-éducation:
Article 55
Définition de l'ethno-éducation L’éducation à l’intention des groupes ethniques signifie que celle-ci est offerte à des groupes ou à des communautés qui font partie de la nation et possèdent une culture, une langue, des traditions et des juridictions autonomes propres. Cette éducation doit être rattachée au milieu ambiant, au processus productif, social et culturel dans le respect nécessaire des croyances et des traditions. |
Cet article exclut donc les communautés immigrantes qui voudraient que leurs enfants reçoivent, dans les écoles publiques, une instruction dans leur langue maternelle. Rien n'empêche les parents d'envoyer leurs enfants dans les écoles privées où la langue d'enseignement pourrait être, par exemple, l'anglais. L'article 57 précise bien, à l'exemple de la Constitution, que l'enseignement dans la langue maternelle autochtone devra être bilingue:
Artículo 57 Lengua materna En sus respectivos territorios, la enseñanza de los grupos étnicos con tradición lingüística propia será bilingüe, tomando como fundamento escolar la lengua materna del respectivo grupo, sin detrimento de lo dispuesto en el literal c. del artículo 21 de la presente ley. |
Article 57 Langue maternelle Dans ses territoires respectifs, l'enseignement destiné aux groupes ethniques avec une tradition linguistique propre doit être bilingue, en prenant comme fondement scolaire la langue maternelle du groupe respectif, sans préjudice des dispositions du paragraphe c de l'article 21 de la présente loi. |
Cette éducation bilingue n'est obligatoire que pour les seuls indigènes, les autres Colombiens n'ont aucune obligation à cet égard. Lorsque le gouvernement colombien parle de l'ethno-éducation, il fait référence à un apprentissage intégrateur ou acculturant destiné à permettre le bilinguisme sur une base strictement temporaire. En ce sens, l'éducation bilingue vise moins à sauvegarder la langue maternelle des indigènes qu'à assurer leur passage vers la langue officielle... et les y maintenir. En vertu de cette méthode, l'élève est alphabétisé dans sa langue maternelle et apprend progressivement l'espagnol. À la fin de ses études primaires, il devrait, en principe, être fonctionnel en espagnol et poursuivre dans cette seule langue le reste de ses études. C'est exactement la technique pédagogique américaine appliquée aux... hispanophones afin qu'ils apprennent plus facilement l'anglais.
Enfin, l'article 62 de la loi n° 115 portant sur les éducateurs mentionne que les «autorités compétentes», de concert avec les groupes ethniques, choisiront des éducateurs qui oeuvrent préférablement dans leurs territoires.
Article 62 Les autorités compétentes, en collaboration avec les groupes ethniques, choisissent des éducateurs qui œuvrent de préférence dans leurs territoires parmi les membres des communautés dernièrement établies. Ces éducateurs devront avoir reçu une formation en ethno-éducation, posséder des connaissances de base relatives au groupe ethnique respectif, notamment de sa langue maternelle, en plus du castillan. Les affinités, l'administration et la formation des enseignants à l'intention des groupes ethniques doivent être effectuées conformément au statut d'enseignant et aux normes particulières en vigueur et applicables à ces groupes. Le ministère de l'Éducation nationale, conjointement avec les organismes territoriaux et en collaboration avec les autorités et les organismes des groupes ethniques, doit prévoir des programmes spéciaux pour la formation et la professionnalisation des ethno-éducateurs ou adapter les programmes déjà existants, afin de satisfaire aux dispositions de la présente loi et de la loi 60 de 1993. |
Le problème, c'est que cette disposition de la loi demeure plus un vœu pieux qu'une obligation, car il existe en Colombie une grave pénurie d'enseignants bilingues. Dans les régions où est dispensé l'enseignement bilingue, la plupart des enseignants sont généralement hispanophones et unilingues, sans compter que les manuels adaptés en langue indigène font cruellement défaut.
En matière d'éducation supérieure, plusieurs universités publiques ont adopté des programmes d'accès préférentiels (discrimination positive) pour les étudiants provenant des communautés autochtones. Cela a permis d'inscrire 176 étudiants indigènes à l'Université nationale de Bogotá. Par ailleurs, les instituts d'enseignement supérieur comme le Centro Colombiano de Estudios de Lenguas Aborigines de l'Université des Andes, l'Université de l'Amazonie et les universités des départements du Cauca et d'Antioquia qui ont conçu des programmes spécifiques consacrés aux langues et à la culture des populations autochtones. Mais il n'y a à peu près pas d'élèves, car 176 étudiants à l'Université nationale de Bogotá sur un total de 25 000, cela ne représente que 0,70 % de l'effectif. De toute façon, ils étudient en espagnol.
5.3 La loi pour la protection des langues indigènes de 2010
Le 25 janvier 2010, le Parlement colombien a adopté la loi n° 1381 de 2010 pour la protection des langues indigènes (Ley 1381 de 2010, para la Protección de Lenguas Nativas). Cette loi, une initiative du ministère colombien de la Culture, est destinée à garantir la préservation et l'emploi de 68 langues indigènes du pays, représentant plus de 850 000 Colombiens, soit 65 langues indigènes, deux langues d'ascendance africaine (le créole et le palenquera) et le tsigane des Gitans.
En principe, la loi de 2010 devrait garantir la possibilité de maintenir des mesures prolongées dans des programmes mis en œuvre aux niveaux national, régional et local en ce qui a trait à la conservation, la préservation et la diffusion des langues indigènes, car elles font partie du patrimoine culturel de la Colombie. En synthèse, la loi reconnaît le droit qu'ont tous les Colombiens parlant des langues indigènes de les employer, à côté du castillan, dans leurs activités et communications avec l'administration publique nationale, régionale ou locale, y compris dans les domaines de l'éducation et la santé. La loi garantit l'emploi des langues indigènes à titre officiel dans l'identification des prénoms et noms de famille, tout comme l'utilisation des noms traditionnels des lieux géographiques. Dorénavant, les membres des communautés indigènes pourront bénéficier d'un service de traduction afin de pouvoir communiquer avec l'administration publique, la justice et les services de santé. De plus, la loi de 2010 encourage la présence des langues indigènes en éducation. Les enseignants qui parlent ces langues devront recevoir une formation afin de garantir de façon permanente l'emploi des langues indigènes pour les nouvelles générations. L'État colombien encouragera la production et l'émission de programmes en langues indigènes dans les différents moyens technologiques d'information et de communication en tant que stratégie pour la sauvegarde des langues indigènes. De la même façon, l'accès aux nouveaux moyens technologiques et de communication sera facilitée pour les locuteurs des langues indigènes en utilisant des documents dans ces langues et en favorisant la création de portails Internet pour cet usage. L'État colombien doit aussi promouvoir la production et l'émission de programmes dans les langues indigènes dans les différents moyens technologiques d'information et de communication. La législation fixe au 21 février de chaque année la Journée nationale des langues indigènes et prévoit des mesures pour favoriser la publication de documents dans les langues indigènes.
C'est le ministère de la Culture, grâce à son Programme pour la protection de la diversité ethnolinguistique (Programa para la Protección a la Diversidad Etnolinguística ou PPDE), est chargé de coordonner avec les autres organismes de l'État, les mesures destinées à la préservation et la conservation des langues. Sur papier, la loi de 2010 est l'une des plus ambitieuses de toute l'Amérique latine. Cependant, cette législation est significative, car elle reconnaît un rôle prépondérant aux autochtones qui, dans le passé, durant deux cents ans d'histoire, ont été dans l'obligation de recourir à l'espagnol pour obtenir des services de la part de l'État. Il reste à voir comment cette loi va être appliquée, car préserver 68 langues suppose des difficultés réelles.
5.4 Les lacunes du système
Le système scolaire actuel ne répond pas vraiment aux besoins linguistiques des autochtones, parce que ce sont des programmes «nationaux» qui n’intègrent aucun élément de la culture indigène. En pratique, et malgré l'obligation constitutionnelle pour l'État de promouvoir le développement des cultures autochtones et de respecter le développement des groupes ethniques, cette fameuse «éducation bilingue» se limite à celle dispensée dans le département du Cauca dans le sud du pays. Les experts parlent en ce cas de «bilinguisme soustractif», parce que les enfants sont dans l'obligation d'apprendre la langue seconde (l'espagnol), alors que leur langue maternelle est dévalorisée, que ce soit à l'école, au travail, les médias, etc. Au contraire, le bilinguisme additif serait celui qui entraînerait est une perception positive des deux langues apprises, la langue maternelle comme la langue seconde. Ce n'est pas un hasard si certaines communautés refusent même de recevoir cet enseignement bilingue qu'ils estiment inutile, l'espagnol suffisant amplement.
Quoi qu'il en soit, la plupart des écoles situées dans les territoires indigènes dispensent normalement l’enseignement uniquement en espagnol, car l’enseignement en langue amérindienne demeure marginal (seulement au primaire) et peu fréquente pour presque toutes les ethnies. Il faut dire que les autochtones sont dispersés sur un territoire immense et qu'ils sont presque dépourvus d'infrastructures, et ce, bien que la Colombie ait entrepris une certaine décentralisation incluant des transferts de fonds qui sont souvent contrôlés par les populations indigènes.
Il existe quelques rares exceptions. Par exemple, les Paeces (118 800 locuteurs) et les Guambianos (9000 locuteurs) du département du Cauca se sont organisés depuis le début des années soixante-dix et ont constitué le CRIC, le Consejo Regional Indígena del Cauca (Conseil régional des Indigènes du Cauca), ce qui permet de dispenser un enseignement en langue amérindienne avec l'aide de la Survival International France.
Selon la Subdirección de análisis y desarrollo de la información y educació («la sous-direction en analyse et développement de l'information et de l'éducation»), les indicateurs socio-économiques relatifs aux populations autochtones révèlent que 45 % ne savent pas lire, alors que la moyenne nationale est estimée à 11 %. Le pourcentage d'enfants indigènes fréquentant l'école primaire est de 11,3 %, alors qu'il est de 85 % au plan national. Au sujet de l'éducation secondaire, 1,25 % seulement d'autochtones accèdent à ce niveau (contre 50 % à l'échelle nationale). Ce sombre tableau illustre l'échec de l'éducation bilingue destinée aux indigènes.
Par ailleurs, à la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle de Bogotá en avril 2009, le service militaire en Colombie n'est pas obligatoire pour les indigènes, qui peuvent décider de manière volontaire s'ils veulent faire partie ou non des forces armées. Le plus haut tribunal du pays a même ordonné au ministère de la Défense et à l'armée nationale de faire une campagne d'information pour que les indigènes sachent qu'ils ne sont pas obligés de faire leur militaire, et ce, afin de respecter l'autonomie des communautés indigènes.
Le gouvernement de la Colombie a signé la Convention relative aux peuples indigènes (ou Convención sobre pueblos indígenas y tribales) de l’Organisation internationale du travail (OIT); le Parlement l’a ratifiée le 7 août 1991. Ce document d’une grande importante implique 14 États, dont en Amérique centrale le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et l’Équateur.
La Convention reconnaît aux peuples indigènes le droit de jouir pleinement des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination (art. 3). Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples. Les gouvernements des États signataires doivent mettre en place des moyens par lesquels les peuples autochtones pourront, à égalité avec le reste de citoyens de leur pays, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent (art. 6). L’article 7 reconnaît aux populations concernées le droit de contrôler leur développement économique, social et culturel propre. Les États doivent aussi tenir compte des coutumes et du droit coutumier de ces populations (art. 8). L’article 20 de la Convention oblige les gouvernements à «prendre des mesures spéciales pour assurer aux travailleurs appartenant à ces peuples une protection efficace en ce qui concerne le recrutement et les conditions d'emploi». Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter toute discrimination entre les travailleurs appartenant aux peuples intéressés.
La partie VI de la Convention est consacrée à l’éducation, donc indirectement à la langue. L’article 26 est très clair sur la possibilité des autochtones d’acquérir leur instruction à tous les niveaux:
Artículo 26 Deberán adoptarse medidas para garantizar a los miembros de los pueblos interesados la posibilidad de adquirir una educación a todos los niveles, por lo menos en pie de igualdad con el resto de la comunidad nacional. |
Article 26 Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité d'acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d'égalité avec le reste de la communauté nationale. |
Le paragraphe 3 de l’article 27 reconnaît «le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation» et que des ressources appropriées leur soient fournies à cette fin.
Artículo 27 1. Los programas y los servicios de educación destinados a los pueblos interesados deberán desarrollarse y aplicarse en cooperación con éstos a fin de responder a sus necesidades particulares, y deberán abarcar su historia, sus conocimientos y técnicas, sus sistemas de valores y todas sus demás aspiraciones sociales, económicas y culturales. 2. La autoridad competente deberá asegurar la formación de miembros de estos pueblos y su participación en la formulación y ejecución de programas de educación, con miras a transferir progresivamente a dichos pueblos la responsabilidad de la realización de esos programas, cuando haya lugar. 3. Además, los gobiernos deberán reconocer el derecho de esos pueblos a crear sus propias instituciones y medios de educación, siempre que tales instituciones satisfagan las normas mínimas establecidas por la autoridad competente en consulta con esos pueblos. Deberán facilitárseles recursos apropiados con tal fin. |
Article 27 1. Les programmes et les services d'éducation pour les peuples intéressés doivent être développés et mis en œuvre en coopération avec ceux-ci pour répondre à leurs besoins particuliers et doivent couvrir leur histoire, leurs connaissances et leurs techniques, leurs systèmes de valeurs et leurs autres aspirations sociales, économiques et culturelles. 2. L'autorité compétente doit faire en sorte que la formation des membres des peuples intéressés et leur participation à la formulation et à l'exécution des programmes d'éducation soient assurées afin que la responsabilité de la conduite desdits programmes puisse être progressivement transférée à ces peuples s'il y a lieu. 3. De plus, les gouvernements doivent reconnaître le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation, à condition que ces institutions répondent aux normes minimales établies par l'autorité compétente en consultation avec ces peuples. Des ressources appropriées doivent leur être fournies à cette fin. |
C’est l’article 28 de la Convention, qui semble le plus important en cette matière:
Artículo 28 1. Siempre que sea viable, deberá enseñarse a los niños de los pueblos interesados a leer y a escribir en su propia lengua indígena o en la lengua que más comúnmente se hable en el grupo a que pertenezcan. Cuando ello no sea viable, las autoridades competentes deberán celebrar consultas con esos pueblos con miras a la adopción de medidas que permitan alcanzar este objetivo. 2. Deberán tomarse medidas adecuadas para asegurar que esos pueblos tengan la oportunidad de llegar a dominar la lengua nacional o una de las lenguas oficiales del país. 3. Deberán adoptarse disposiciones para preservar las lenguas indígenas de los pueblos interesados y promover el desarrollo y la práctica de las mismas. |
Article 28 1. Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est le plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela n'est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec ces peuples en vue de l'adoption de mesures permettant d'atteindre cet objectif. 2. Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d'atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l'une des langues officielles du pays. 3. Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique. |
Les États appuieront l'élaboration de programmes scolaires correspondant à la réalité des peuples autochtones et mobiliseront les ressources techniques et financières nécessaires à leur bonne application. Quant à l’article 31 de la Convention, il précise que «mesures de caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces peuples».
Artículo 31 Deberán adoptarse medidas de carácter educativo en todos los sectores de la comunidad nacional, y especialmente en los que estén en contacto más directo con los pueblos interesados, con objeto de eliminar los prejuicios que pudieran tener con respecto a esos pueblos. A tal fin, deberán hacerse esfuerzos por asegurar que los libros de historia y demás material didáctico ofrezcan una descripción equitativa, exacta e instructiva de las sociedades y culturas de los pueblos interesados. |
Article 31 Des mesures à caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces peuples. A cette fin, des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés. |
Dans ces perspectives, il est précisé que «des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés».
Comme il se doit, les États signataires de la Convention reconnaîtront et établiront des mécanismes pour assurer l'exercice de tous les droits des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne l'éducation, la langue et la culture. Dans le cas de la Colombie, la Convention n'a jamais été appliquée. Le rapport de l’ONU présenté à la Commission des droits de l'homme, le 13 janvier 1997, révèle que la Colombie vit, depuis la colonisation, la discrimination raciale de manière persistante, structurelle et économique par la domination des Blancs sur les Amérindiens et les Afro-Colombiens, le système étant perpétué par l'éducation, les médias, l'économie, les relations interpersonnelles, etc. En Colombie, la discrimination raciale semble quasi naturelle, inconsciente, omniprésente à la radio, à la télévision et dans les médias écrits.
En ce qui a trait à la langue espagnole, la Colombie a adopté une législation dans le but de freiner apparemment la dominance de l'anglais, seule langue vraiment menaçante pour l'espagnol. Le domaine de l'affichage constitue sans nul doute le secteur visible par excellence. Les différents gouvernements en place ont toujours désiré ainsi lancer un signal non équivoque tant à la population colombienne qu'aux firmes étrangères, surtout américaines. La législation de ce pays poursuit des objectifs symboliques légitimes pour valoriser l'espagnol, même si les pratiques réelles peuvent parfois laisser à désirer. Il n'en demeure pas moins que la politique relative à l'affichage a le mérite d'être très certainement une approche originale dans toute l'Amérique latine. Si l'on fait exception du Mexique où une politique similaire existe (mais à peu près pas appliquée), la Colombie demeure un modèle digne de mention.
Par ailleurs, la politique linguistique à l'égard des langues amérindiennes se révèlent éminemment sectorielle dans la mesure où elle se limite à la langue d'enseignement au primaire, plus particulièrement au sujet de «l'éducation bilingue». Il s'agit d'une politique relativement théorique, car son application laisse grandement à désirer. Quand on connaît l'histoire de la Colombie à l'endroit de ses autochtones, on ne peut pas être surpris de la piètre performance à ce chapitre. On ne se remet pas de quelques siècles de répression et d'une suite ininterrompue de guerres civiles en quelques années. Les accusations d'incompétence, de corruption et de népotisme mettant en cause la plupart des gouvernements colombiens ne sont probablement pas étrangers à cette malheureuse situation. Pour le moment, ni la Constitution ni les lois ni les traités internationaux ne sont appliqués intégralement.
Comme ailleurs dans certains pays de
l'Amérique latine, ce piètre résultat nous
amène à croire que le merveilleux monde de la politique, des luttes d'intérêts,
de la résistance aux changements et des négociations-bidons est bien complexe
et que, pour être réaliste, ce n'est pas pour demain que le problème autochtone sera résolu
dans ce pays. Néanmoins,
il est plausible de croire à une amélioration dans ce domaine au cours des
prochaines décennies. La politique linguistique à l'égard de l'espagnol ne cause
pas de problème, car si l'on fait exception du seul domaine de l'affichage la
langue officielle n'est pas en danger dans ce pays.
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Dernière mise à jour:
23 nov. 2024
Bibliographie
LANDABURU, Jon. «Clasificación de las lenguas indígenas de Colombia », Bogotá,
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