État libre associé de Porto Rico
Porto Rico

(Estado Libre Asociado de Puerto Rico)

État libre associé aux États-Unis

Capitale: San Juan 
Population: 3,9 millions (2008) 
Langues officielles: espagnol et anglais 
Groupe majoritaire: espagnol (96,6 %) 
Groupes minoritaires: anglais (2,2 %), chinois cantonais, hindi, français, créole haïtien, italien, allemand, etc. 
Système politique: État libre associé aux États-Unis 
Articles constitutionnels (langue): art. III (section 5) de la Constitution de 1952
Lois linguistiques:
Loi sur les langues officielles (1902, abrogée); Loi sur la langue officielle n° 4 (1991, abrogée); Loi établissant l'espagnol et l'anglais comme langues officielles (1993, abrogée);  Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle (en vigueur, 2015); Loi portant création l’Institut de la planification linguistique (2021).
Lois à portée linguistique: Règlement sur l'emballage (1988); Règlement sur la qualité et la sécurité des produits pour l'usage et la consommation (1990); Loi 107 ordonnant au Département des transports et des travaux publics de modifier les règlements pour les permis de conduire et autres (1997); Loi organique du Département de l'instruction publique (1999,
abrogée); Loi n° 80 sur le langage des signes (2002); Loi n° 83 modifiant l'alinéa n) de l'article 6 de la loi n° 5 de 1973 (2004); Règles de procédure civile (2009); Loi n° 90 du 7 septembre 2009 modifiant la Loi électorale (2009); Charte des droits des étudiants de Porto Rico (2012); Loi n° 85 sur la réforme de l’éducation de Porto Rico (2018).

1 Situation générale

L'île de Porto Rico (en esp. Puerto Rico) est située dans les Antilles, soit entre la République Dominicaine à l’ouest et à l'est les îles Vierges, Antigua, la Martinique et la Guadeloupe (voir la carte de l'île). L'île est baignée au nord par l'océan Atlantique et au sud par la mer des Caraïbes. La capitale est San Juan, située au nord-est de l'île; elle aussi l'un des plus grands et des meilleurs ports naturels des Caraïbes.

L'île de Porto Rico est située à 1610 km au sud-est de la Floride. La superficie du pays est de 9104 km², qui comprend deux autres petites îles, Vieques et Culebra, ce qui correspond au total à un territoire trois fois plus petit que la Belgique (32 545 km²) ou approximativement à la Corse (8680 km²). Les États voisins (voir la carte) sont la République Dominicaine à l'ouest, les îles Vierges britanniques et les îles Vierges américaines à l'est, ainsi qu’Anguilla, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. L'île de Porto Rico est la plus grande «possession» américaine à l'extérieur de l'Union des 50 États.

Administrativement, Porto Rico compte 78 municipalités ("municipios"): Adjuntas, Aguada, Aguadilla, Aguas Buenas, Aibonito, Anasco, Arecibo, Arroyo, Barceloneta, Barranquitas, Bayamon, Cabo Rojo, Caguas, Camuy, Canovanas, Carolina, Catano, Cayey, Ceiba, Ciales, Cidra, Coamo, Comerio, Corozal, Culebra, Dorado, Fajardo, Florida, Guanica, Guayama, Guayanilla, Guaynabo, Gurabo, Hatillo, Hormigueros, Humacao, Isabela, Jayuya, Juana Diaz, Juncos, Lajas, Lares, Las Marias, Las Piedras, Loiza, Luquillo, Manati, Maricao, Maunabo, Mayaguez, Moca, Morovis, Naguabo, Naranjito, Orocovis, Patillas, Penuelas, Ponce, Quebradillas, Rincon, Rio Grande, Sabana Grande, Salinas, San German, San Juan, San Lorenzo, San Sebastian, Santa Isabel, Toa Alta, Toa Baja, Trujillo Alto, Utuado, Vega Alta, Vega Baja, Vieques, Villalba, Yabucoa et Yauco.

1.1 Les dénominations politiques

Au point de vue juridique, Porto Rico dispose de deux dénominations: l'une en espagnol (Estado Libre Asociado de Puerto Rico: «État libre associé de Porto Rico»), et une autre en anglais (The Commonwealth of Puerto Rico), avec toutes les implications politiques que ces deux désignations peuvent entraîner. En fait, Porto Rico demeure un «État libre associé aux États-Unis» (avec les Mariannes du Nord). Porto Rico est donc un État, mais un État à statut particulier dont on trouve peu d'exemples dans le monde actuel. Nous pouvons mentionner, comme autres exemples, l'île de Niue (Nioué) et les îles Cook par rapport à la Nouvelle-Zélande, auxquelles on pourrait ajouter les îles Féroé (Danemark), l'archipel d'Åland (Finlande), l'île Madère (Portugal) et les Açores (Portugal).     

Le pouvoir exécutif sur l'île de Porto Rico est représenté par le gouverneur, lequel est élu au suffrage universel pour un mandat de quatre ans et gouverne le territoire avec l’aide d’un Conseil des ministres composé de 15 membres. Il peut nommer plus de 500 fonctionnaires dans les domaines exécutifs et judiciaires. Le Parlement est formé d'une assemblée bicamérale, une version réduite du Congrès américain, au nombre de 54 députés (Cámara de Representantes ou «Chambre des représentants») et de 28 sénateurs (Senado ou «Sénat»), laquelle représente le pouvoir législatif. 

Les lois fédérales américaines s'appliquent à Porto Rico, mais le représentant de l'État (le gouverneur) et les représentants portoricains à Washington ne détiennent qu'un rôle d'observateurs. Le gouvernement fédéral américain est responsable des affaires extérieures de Porto Rico, ainsi que la défense, la poste, les douanes, la recherche agricole et la garde côtière. Les Portoricains ne peuvent pas participer à l'élection du président des États-Unis.

1.2 Les tendances politiques

Pour simplifier le paysage politique, on trouve trois principales tendances à Porto Rico: les annexionnistes ou rattachistes, les autonomistes et les indépendantistes. Les grands partis politiques sont le Partido Nuovo Progresista (Nouveau Parti progressiste ou PNP, favorable à l'annexion aux États-Unis en tant que 51e État), le Partido Popular Democrático (Parti populaire démocratique ou PPD, pour un État libre associé avec plus d'autonomie, d'où les autonomistes) et le Partido Independentista Puertorriqueño (Parti indépendantiste portoricain ou PIP, partisan de l'indépendance pure et simple).  Ces trois partis représentent les trois options offertes aux Portoricains et cristallisent les revendications au sujet de la question linguistique. De façon générale, les conflits sont plus virulents entre annexionnistes et autonomistes, les indépendantistes étant nettement minoritaires. En général, les projets de loi linguistiques reflètent assez bien les tendances annexionnistes, rattachistes ou indépendantistes des politiciens.

2 Données démolinguistiques

La population de Porto Rico était de 3.6 millions en 2016, contre 3,9 millions en 2008 et 3,4 millions en 2017. Près de 400 000 Portoricains ont quitté l’île depuis le recensement de 2000. Ils étaient 70 000 pour la seule année 2015, plus de 80 000 en 2016, soit plus que durant toutes les années 1980 et 1990 réunies. On parle de 1500 départs par semaine. Déjà éprouvée par une situation économique difficile, l'île a perdu 14 % de sa population à cause des ravages de l'ouragan Maria, selon des chercheurs du centre d'études portoricaines du Hunter College à New York. En 2020, la population était estimée à 2,8 millions d'habitants. Territoire américain sans réel pouvoir, Porto Rico se trouve aujourd’hui dans une impasse.

Les insulaires sont appelés soit Portoricains ("Puertorriqueños"), soit Borinquens ou Borinkens ("Boricuas"), du nom que les Indiens tainos avaient donné à leur île avant l'arrivée des Européens: Boriquén signifiant «Terre du grand dieu». La population de l'île n'est pas anglo-saxonne, tout en n'étant pas massivement afro-caribéenne comme la Jamaïque, la Barbade ou Trinité-et-Tobago. Les Portoricains sont un peu tout cela à la fois. Pour plus de détails, mentionnons que la population «blanche» compte pour 70,5 %; la population noire, pour 8,0 %; et la population métisse, pour 20,9 %.  

2.1 La répartition de la population

La très grande majorité des citoyens de cet État (90 %) est hispanophone, bien que certains aient émigré de la République Dominicaine. L'État de Porto Rico est l'un des rares pays dans le monde aussi linguistiquement homogène. Depuis la conquête et la colonisation de l'île, les Espagnols ont imposé leur langue qui est devenue la langue vernaculaire du pays et la langue dominante de la grande majorité des Portoricains. Les minorités linguistiques parlent surtout l'anglais (2,1 %), puis, parmi les immigrants, le chinois cantonais, l'hindi, le français, l'allemand ou le créole haïtien. Évidemment, ceux qui parlent l’anglais sont des fonctionnaires ou des commerçants américains, voire des étrangers retraités.

Groupe ethnique Population Pourcentage Langue principale Filiation linguistique Religion
Portoricain 1 919 000 67,0 % espagnol langue romane chrétienne
Afro-Portoricain 330 000 11,5 % espagnol langue romane chrétienne
Mulâtre portoricain 300 000 10,4 % espagnol langue romane chrétienne
Américain 61 000 2,1 % anglais langue germanique chrétienne
Malentendant 20 000 0,6 % langue des signes portoricains langue romane chrétienne
Amérindien 13 000 0,4 % espagnol langue romane chrétienne
Cubain 5 500 0,1 % espagnol langue romane chrétienne
Indien 3 700 0,1 % hindi langue indo-iranienne hindouisme
Espagnol 2 800 0,0 % espagnol langue romane chrétienne
Chinois 2 200 0,0 % espagnol langue romane aucune
Français 2 000 0,0 % français langue romane chrétienne
Chinois cantonais 1 600 0,0 % chinois cantonais langue sino-tibétaine aucune
Suisse allemand 1 300 0,0 % allemand langue germanique chrétienne
Juif hispanophone 1 100 0,0 % espagnol langue romane judaïsme
Autres 198 000 6,9 % - - -
Total 2020 2 861 200 100 % Hispanophones = 90 % - -

Selon diverses études qui ont été réalisées dans l'île, que ce soit en 1992 ("Hispania Research Corporation"), en 2000 (Fayer) ou en 2001 (Morales), le degré de bilinguisme des Portoricains est plutôt bas. Il s'avère que 23,6 % des hispanophones parleraient l'anglais avec une certaine difficulté, 31 % le comprendraient et 32,9 % pourraient lire cette langue. Bref, ces résultats démontrent que les Portoricains ne forment pas une société bilingue.

2.2 L'espagnol portoricain

Les Portoricains parlent un espagnol parfois régionalisé, appelé español puertorriqueño («espagnol portoricain»), mais en général celui-ci correspond à une variété similaire avec d'autres régions des Antilles, tout en présentant certaines caractéristiques propres. Dans son lexique, l'espagnol portoricain témoigne des diverses influences qu'il a subies: amérindiennes, africaines, andalouses et anglo-américaines.

Avant la colonisation espagnole au XVIe siècle, les Tainos, des Amérindiens arawaks, habitaient l'île. Il existe encore à Porto Rico quelques mots de la langue taino parlée par les Arawaks: hamaca («hamac») < "hamacá", hurakán («ouragan») < "huracán" et tabaco («tabac») < "tabaco". Il subsiste aussi un certain nombre de mots d'origine africaine, mots apportés au XVIe siècle par les esclaves noirs. Des mots tels que mondongo («soupe de tripes»), gandúl («paresseux»), fufú («magie») et málanga (un tubercule) sont couramment utilisés.

La plupart des colons qui sont arrivés à Porto Rico entre les XVe et XVIIIe siècles venaient de l'Andalousie, surtout de la ville de Séville (Sevilla). La base de la plupart de Porto Rico est l'espagnol d'Andalousie (en particulier de Sevilla). L'espagnol portoricain a conservé de cette région du sud de l'Espagne des prononciations de cette époque. Les îles Canaries ont également apporté une importante contribution au lexique portoricain. Comme la plupart des Canariens arrivés à Porto Rico venaient de l'Andalousie, certaines caractéristiques phonétiques des insulaires canariens se sont ajoutées à l'espagnol portoricain, contribuant ainsi à particulariser encore davantage cette variété espagnole. Beaucoup de prononciations sont similaires aux Canaries et à Porto Rico. Les Portoricains utilisent des mots qui, par comparaison à l'espagnol européen, peuvent paraître archaïsants:

Afretao : «personne égoïste et cupide» Guineo : «banane»
Arrebatao : «personne droguée» Guagua : «grosse voiture»
Bicho : «organe sexuel masculin» (vulg.) Jevos : «petit ami»
Bruto : «idiot» Jienda: «en état d'ébriété»
Cafre : «personne vulgaire et de mauvais goût» Pato : «homosexuel»
China : «orangé» Pana : «ami proche»
Chocha : «organe sexuel féminin» (vulg.) Raitrú : «ce qui est vrai»
Enchisman : «personne ennuyeuse» Zafacón : «poubelle»

Au XIXe siècle, d'autres immigrants espagnols, originaires de la Catalogne, des îles Baléares, de la Galice et des Asturies, sans oublier d'autres Européens, principalement de la France (notamment la Corse), mais aussi de l'Italie, de l'Irlande, de l'Écosse, de l'Allemagne, même de la Chine et de l'Inde, sont venus s'établir à Porto Rico. Les langues de ces immigrants se sont fondues dans le parler des Portoricains. 

Lorsque l'île de Porto Rico fut cédée par l'Espagne aux États-Unis en 1898 à la suite de la guerre hispano-américaine, l'anglais s'introduisit dans l'espagnol portoricain, notamment comme principale langue d'enseignement dans les écoles publiques. Par conséquent, beaucoup de mots anglo-américains font maintenant partie du vocabulaire espagnol de Porto Rico. L'espagnol portoricain compte un assez grand nombre d'anglicismes ("anglicismos"), surtout dans les domaines des communications, du vêtement ou du textile, des transports, des banques, de l'architecture, de la médecine, de la comptabilité et, évidemment, de l'Administration publique. En voici quelques-uns: accesar ("acceder": «accéder au pouvoir»), compulsorio ("obligatorio" : «obligatoire»), cuestionar ("preguntar" : interroger»), data ("datos" : «données»), disectar ("disecar" : «disséquer»), eventualmente ("finalmente" : «éventuellement»), indentar ("sangrar" : «saigner»), interactuar ("interaccionar": «interagir»), magnificación ("aumento" : «augmentation»), recreacional ("recreativo" : «récréatif»), ripostar ("contestar" : «répliquer»), similaridad ("similitud" : «similitude»), sucrosa ("sacarosa" : «saccharose»).

Néanmoins, la plupart des besoins lexicaux sont couverts de façon adéquate par la langue espagnole. Selon une étude de López Morales publiée en 1987 dans le Léxico del habla culta del español de Puerto Rico («Lexique de la langue cultivée de l'espagnol de Porto Rico»), il s'avère que, sur 7304 unités, 480 sont des anglicismes, soit 6,5% du total, ce qui, somme toute, semble peu élevé.

3 Données historiques

Avant l'arrivée des Européens, la population totale des Antilles est estimée à quelque 230 000 habitants, dont la majorité était des Tainos, des Amérindiens arawaks installés sur l'île vers le VIIe siècle avant notre ère. Cinquante ans après le début de la colonisation espagnole (vers 1550), ils avaient presque tous disparu, victimes des maladies et du travail forcé introduits par la colonisation. Porto Rico est demeurée une exception, car ils ont subsisté plus longtemps qu'à Cuba ou à l'île Hispaniola (Haïti).

Les Tainos parlaient une langue arawak, le taino, et avaient nommé île Borikén, ce qui signifiait «Terre du grand dieu». Au moment où Christophe Colomb débarquait sur l'île, les Tainos devaient compter une population estimée entre 30 000 et 60 000 individus. Les Tainos habitaient alors dans de petits villages dirigés par un cacique (cacigazco) et vivaient de chasse, de pêche et de cueillette de fruits ainsi que de racines de manioc.

Évidemment, l'arrivée des Espagnols allait marquer le début de leur quasi-extinction, mais certains éléments de leur culture sont demeurés ancrés dans celle des habitants qui leur ont succédé par la suite, notamment quelques mots d'origine amérindienne.

3.1 La colonisation espagnole

L'île fut découverte par Christophe Colomb, lors de son deuxième voyage en novembre 1493. Il la baptisa du nom de San Juan Bautista de Puerto Rico (Saint-Jean-Baptiste-de-Porto-Rico) et en fit une possession espagnole. En 1504, le premier gouverneur espagnol, Juan Ponce de León, se serait écrié en débarquant : «Que puerto rico!» («Quel port riche!»), d'où le nom actuel, officiel depuis le 17 mai 1932. Mais l'île ne fut colonisée qu'à partir de 1508. Le gouverneur de l'époque, Juan Ponce de León, fonda la ville de San Juan en 1511.

- La disparition des langues autochtones

Les Espagnols décidèrent de développer l'exploitation de la canne à sucre, du tabac, du café. Pour ce faire, ils eurent besoin d'une main-d'œuvre abondante. Ils tentèrent de récupérer les Tainos pour travailler dans les plantations. La langue des Tainos fut ignorée par les Espagnols, et seul l’espagnol devint la langue véhiculaire. Comme un peu partout dans les Caraïbes, la communauté indigène fut décimée dès le premier siècle de la colonisation espagnole. À partir de 1515, les Espagnols commencèrent à remplacer les autochtones tainos par des esclaves noirs amenés d'Afrique.

Quant aux Noirs, ils apportèrent leurs langues, alors que pendant une certaine période l’espagnol, le taino et les langues africaines furent en contact étroit, puis disparurent pour faire place à la seule langue espagnole. Vers 1530, la plupart des Tainos avaient succombé aux rigueurs du travail forcé et avaient déjà perdu leur langue ancestrale. À l'exception de quelques toponymes et de termes relatifs à la flore et à certains produits alimentaires, la langue arawak (le taino) disparut complètement.

- Les colons espagnols

Les colons espagnols venaient du sud de l'Espagne (l'Andalousie) et des îles Canaries. Ils apportèrent avec eux la langue particulière de leur région, l'andalou, une langue espagnole légèrement différente du castillan parlé dans le centre de l'Espagne. La culture portoricaine reflète donc un mélange des patrimoines africain et espagnol. Bien que l'espagnol de la Vieille-Castille, le castillan, ait été la langue officielle incontestée de l'île, il subsista des locuteurs parlant le français, le corse, le russe et même le chinois. L'anglais n'était alors parlé que par une minuscule élite qui s'était spécialisée dans la diplomatie internationale.

L'économie de l'île stagna au cours des XVIe et XVIIe siècles, qui virent se produire des incursions répétées de la part des Anglais et des Hollandais, mais en 1595 l'explorateur Francis Drake échoua dans sa tentative de conquérir l'île de Porto Rico au nom de l'Angleterre. La ville de San Juan fut incendiée au cours d'une attaque hollandaise en 1625, tandis que les Anglais pillèrent la ville d’Arecibo en 1702. Ces différents conflits entravèrent le développement économique de l’île. Vers 1765, sa population était estimée à moins de 50 000 habitants.

- L'immigration française

L'immigration française débuta lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763). De nombreux colons français, de la Martinique, de la Guadeloupe, du Canada et de l'Acadie exilés en Nouvelle-Angleterre quittèrent les colonies françaises et s'enfuirent vers des territoires espagnols, notamment en Louisiane (devenue espagnole), mais aussi à Cuba, à Saint-Domingue (Haïti) et à Porto Rico. Comme ces îles faisaient partie de l'empire colonial espagnol, elles accueillirent les Français et les protégèrent contre leurs ennemis anglais.

Après l'indépendance de Saint-Domingue en 1804, plusieurs milliers de Français arrivèrent à Porto Rico, en ayant parfois fait escale à La Nouvelle-Orléans. Pour la Couronne espagnole, l'arrivée de quelques centaines de Français constituait un moyen de neutraliser les velléités indépendantistes des hispanophones en ayant comme objectif de les submerger démographiquement. Le 10 août 1815, Ferdinand VII d'Espagne émit un décret royal de grâces (Real Cédula de Gracias) avec l'intention d'encourager le commerce entre Porto Rico et les «pays amis de l'Espagne». Le décret offrait gratuitement des terres à tout Espagnol désirant déménager vers l'île; il en vint surtout des Asturies, de la Catalogne, de la Galice et des Baléares. Pour les autres Européens qui désiraient émigrer à Porto Rico il leur était donné une «lettre de domicile» à la condition qu'ils jurent loyauté à la couronne d'Espagne et qu'ils fassent allégeance à l'Église catholique, apostolique et romaine. Après une résidence de cinq ans sur l'île, la Couronne accordait aux colons une «lettre de naturalisation» qui les faisait «sujets espagnols». Ces colons provenaient surtout de la France, de l'Allemagne, de l'Irlande et du Portugal.

Lorsque les Britanniques (6000 hommes) voulurent envahir Porto Rico en 1797, sous les ordres du général Ralph Abercromby (1734-1801), de nombreux Français offrirent leurs services à la couronne d'Espagne et vinrent défendre l'île. Les Britanniques tentèrent de rebaptiser l'île en Richport, mais l'invasion finit par échouer et ils durent quitter l'île avec le résultat que celle-ci retrouva son nom initial, quoique légèrement modifié: l'île principale fut appelée San Juan, mais l'archipel conserva Porto Rico. Pour leur part, les descendants des esclaves l'ont appelée Terre de Oyá («déesse du vent et des ouragans»).

Beaucoup de Français, qui avaient combattu durant l'invasion anglaise, préférèrent rester dans l'île plutôt que de retourner en France. Tous ces Français, qui vinrent du continent européen ou d'ailleurs, se marièrent avec des insulaires et jouèrent un rôle déterminant dans la naissance de l'industrie portoricaine, notamment celle du sucre, du coton et du tabac.

Entre 1750 et 1859, plus de 1100 Corses se sont exilés de leur île et se sont installés à Porto Rico; il en est venu d'autres tout au long du XIXe siècle. Les Corses, souvent appelés "los Corsos americanos" ou "los Corsos de Puerto Rico") furent les immigrants français les plus nombreux; ils colonisèrent les régions montagneuses dans les villes de Lares, d'Adjuntas, d'Utuado, de Guayanilla, de Ponce et de Yauco, où ils réussirent parfaitement à s'acclimater comme planteurs de café.

Évidemment, ces immigrants français adoptèrent la langue et la culture de leur nouveau pays. Aujourd'hui, beaucoup de Portoricains portent des noms d'origine française ou corse: Agostini, Anciani, Antonini, Arnaud, Bacon, Bartoli, Beaupied, Betancourt, Biaggi, Boulet, Delarue, Dubois, Franzuni, Fraticelli, Gauthier, Laporte, Lavergne, etc. On estime que 16 % des patronymes de l'île sont français, dont beaucoup de Corses.

- Les révoltes et l'autonomie

Ouverte au commerce international en 1804, l'île de Porto Rico connut un renouveau économique au XIXe siècle. En 1815, les habitants obtinrent de l’Espagne (Ferdinand VII) une plus grande autonomie au plan économique du fait que, contrairement aux autres colonies espagnoles, l’île était restée fidèle aux Bourbons d’Espagne. Tout au long de ce siècle, les relations commerciales entre Porto Rico et les États-Unis se développèrent à un point tel qu'à la fin du siècle les États-Unis étaient devenus le premier partenaire commercial de Porto Rico. De plus, de nombreux riches marchands américains achetèrent des haciendas et formèrent de petites enclaves anglophones dans certaines régions rurales.

L’année 1867 marqua l’échec d’une révolte des partisans de l’indépendance de Porto Rico, mais les révoltes contre l'autorité de Madrid se poursuivirent. L'esclavage fut aboli à Porto Rico en 1873. Par ailleurs, beaucoup de Portoricains furent bannis de l'île par la Couronne espagnole en raison de leurs activités subversives; ils émigrèrent dans d'autres colonies espagnoles des Antilles ou aux États-Unis, surtout à New York, en Floride et dans d'autres États du Sud. Ainsi, l'anglais et l'espagnol sont entrés en contact à Porto Rico durant tout le XIXe siècle.

En 1897, l’Espagne accorda à Porto Rico l'autonomie politique réclamée, avec un parlement composé de deux chambres, ayant pouvoir de légiférer, sous le contrôle d’un gouverneur général. Mais les Portoricains ne purent expérimenter leur autonomie politique que pour une courte durée, car le traité de Paris du 10 décembre 1898, qui mettait fin à la guerre hispano-américaine, céda Porto Rico aux États-Unis. En cette fin du XIXe siècle, la population de l'île de Porto Rico comptait environ un million d'habitants.

Rappelons que, à la suite de l'explosion du cuirassé américain ancré dans le port de La Havane à Cuba, alors colonie espagnole, entraînant dans la mort 266 marins, le président William McKinley avait déclaré la guerre à l'Espagne, puissance coloniale en déclin, alors que Madrid avait pourtant accepté toutes les conditions émises par Washington. Les États-Unis gagnèrent la guerre, tandis que l'Espagne devait renoncer non seulement à Cuba, mais aussi à Guam, aux Philippines (achetée pour 20 millions de dollars) et à Porto Rico cédée à «titre d'indemnité de guerre», sans oublier Hawaï au passage.

Après la capitulation de Santiago de Cuba par les Espagnols, le général Nelson Miles (1839-1925) dirigea personnellement l'invasion de Porto Rico. C'est dans la ville de Ponce que le général yankee avait eu ces paroles enthousiastes, prononcées trois jours après le débarquement sur la place de la mairie:

In the prosecution of the war against the kingdom of Spain by the people of the United States, in the cause of liberty, justice, and humanity, its military forces have come to occupy the island of Puerto Rico.

We have not come to make war upon the people of a country that for centuries has been oppressed, but, on the contrary, to bring you protection, not only to yourselves, but to your property; to promote your prosperity, and bestow upon you the immunities and blessings of the liberal institutions of our government.

It is not our purpose to interfere with any existing laws and customs that are wholesome and beneficial to your people so long as they conform to the rules of military administration of order and justice. This is not a war of devastation, but one to give all within the control of its military and naval forces the advantages and blessings of enlightened civilization.

[Dans la poursuite de la guerre contre le Royaume d'Espagne par le peuple des États-Unis, dans la cause de la liberté, de la justice et de l'humanité, ses forces militaires sont venues occuper l'île de Porto Rico.

Nous ne sommes pas venus pour faire la guerre au peuple d'un pays opprimé pendant des siècles, mais au contraire
pour vous apporter la protection, non seulement pour vous-mêmes, mais pour vos biens; pour promouvoir votre prospérité et vous accorder les immunités et les bénédictions des institutions libérales de notre gouvernement.

Notre objectif n'est pas d'interférer avec les lois et coutumes existantes qui sont saines et bénéfiques pour votre peuple tant qu'elles sont conformes aux règles de l'administration militaire de l'ordre et de la justice. Ce n'est pas une guerre de dévastation, mais
une guerre pour donner à tous, sous le contrôle de ses forces militaires et navales, les avantages et les bénédictions d'une civilisation éclairée.]

Ces paroles allaient être apprises dans toutes les écoles portoricaines durant des décennies.

Cuba et Porto Rico furent les deux dernières colonies américaines du grand empire espagnol. Après la ratification du traité de Paris par le Sénat américain (le 6 février 1899), les Philippines, l'île de Guam, Cuba et Porto Rico devinrent des «territoires américains». Si l'article 10 du traité garantissait la liberté de religion aux habitants des territoires cédés, aucun article ne portait sur les locuteurs et leur langue.  Après la signature du Traité de Paris, le 10 décembre 1898, Porto Rico entama une nouvelle relation politique sous souveraineté nord-américaine. Ce choc de deux cultures s'est immédiatement reflété dans l'éducation et la langue.

3.2 La colonisation américaine

Au terme de la guerre hispano-américaine, les États-Unis prirent possession de Porto Rico. L'île demeura jusqu'en 1900 sous l'autorité directe des militaires américains. Le général Nelson Miles devint le premier chef du gouvernement de l'île, agissant en tant que chef de l'armée d'occupation et administrateur des affaires civiles; il avait le pouvoir de donner des ordres ayant force de loi. Miles fut vite remplacé par le major général John R. Brooke (qui changea le nom officiel de Puerto Rico en Porto Rico), puis par le major général Guy Vernon Henry et le major général George Whitefield Davis. En 1898, par l'ordonnance générale n° 192 du quartier général de l'armée américaine, il fut établi que la langue à employer au sein du gouvernement de Porto Rico serait l'anglais. Le contrôle militaire de l'île prit fin le premier jour de mai 1900. Puis un premier gouverneur civil fut désigné par le président William McKinley en la personne de Charles Herbert Allen, mais celui-ci n'exerça ses fonctions que durant une année.

Dans un rapport présenté en 1900, le secrétaire d'État à la Guerre, Elihu Root, déclara au Congrès américain que Porto Rico devait faire l'objet d'un traitement différent, par exemple de celui des Philippines, parce que sa population était de «culture occidentale», et non asiatique ou austronésienne. Le gouvernement colonial fut chargé par la Commission Carroll instituée par le Congrès d'instaurer, entre autres, une éducation universelle, obligatoire et gratuite dans l'île. Le rapport mentionnait deux recommandations d'ordre linguistique:

Version originale anglaise

(19) That the codes, the laws of the Territorial legislature, and official acts of the governor-general shall be published both in Spanish and in English; that the courts shall be provided with interpreters of the English language, and that all papers in cases of appeal to the Supreme Court of the United States shall be in English.

(21) That the governor-general and legislature of Porto Rico be required to make provision for universal and obligatory education in a system of free public schools, in which the English language shall be taught.

Traduction

(19) Que les codes, les lois de l'Assemblée législative territoriale et les actes officiels du gouverneur général soient publiés à la fois en espagnol et en anglais; que les tribunaux sont pourvus de traducteurs de langue anglaise et que tous les documents dans les cas d'appel à la Cour suprême des États-Unis soient rédigés en anglais

(21) Que le gouverneur général et l'Assemblée législative de Porto Rico soient tenus de prendre des dispositions pour une éducation universelle et obligatoire dans un système d'écoles publiques dans lesquelles l'anglais doit être enseigné.

Autrement dit, l'instauration d'un protectorat américain signifiait non seulement l'introduction de l'américanisation, mais aussi une tentative pour changer l'identité de la Porto Rico afin d'en faciliter le processus de domination. Le 2 mai 1902, James S. Harlan (1821-1927), procureur général pour les États-Unis à Porto Rico de 1901 à 1903, en arrivait à la conclusion suivante:

1. El inglés es el idioma oficial de la Asamblea Legislativa con relación a la legislación, las que apruebe dicha Legislatura en idioma inglés serán reconocidas como las leyes de la isla.

2. Después del 1 de julio de 1902 el idioma inglés y el idioma español son ambos oficiales en todos los tribunales, excepto en los Tribunales municipales, y de policia, donde se usará el idioma español.

3. Ambos idiomas, español e inglés, son ahora los idiomas oficiales de las notarias y de los registres de la propiedad.

4. En las departamentos de gobierno los dos idiomas se han usado oficialmente.

1. L’anglais est la langue officielle de l’Assemblée législative en ce qui concerne la législation, les lois approuvées par cette Législature en langue anglaise seront reconnues comme des lois de l’île.

2. Après le 1er juillet 1902, l'anglais et l'espagnol sont les deux langues officielles dans tous les tribunaux, sauf dans les tribunaux municipaux et ceux de la police, où l'espagnol est utilisé.

3. Les deux langues, l'espagnol et l'anglais, sont maintenant les langues officielles des notaires et des registres de propriété.

4. Dans les départements du gouvernement, les deux langues doivent être utilisées officiellement.

C'est ainsi que l'anglais et l’espagnol entrèrent en contact de façon conflictuelle à Porto Rico. Le contact entre Porto Rico et les États-Unis entraîna un choc des identités, tandis que la langue vernaculaire de chaque pays fut utilisée comme instrument politique. D'une part, l'anglais devait servir de véhicule pour américaniser l'île, d'autre part, l'espagnol allait devenir pour les Portoricains un bouclier ou un outil de résistance et d'affirmation de leur identité nationale.

- La question scolaire 

La question scolaire à Porto Rico se présente comme un long périple en dents de scie, avec ses avancées et ses reculs constants, opposant les partisans du bilinguisme (assimilationnistes et annexionnistes) et les partisans du nationalisme linguistique (autonomistes et indépendantistes). En 1899, le général John Eaton, qui avait été commissaire à l'éducation aux États-Unis arriva à Porto Rico pour prendre en main les affaires scolaires. Sa mission consistait à promouvoir l'américanisation par la langue anglaise. L'étude obligatoire de l'anglais était imposée à tous les enseignants, alors que la priorité d'embauche était accordée aux enseignants américains anglophones ayant réussi les examens de l'École normale en anglais. Eaton fut remplacé l'année suivante par Victor S. Clark qui écarta l'espagnol portoricain considéré comme un «patois» et imposa l'américanisation totale dans les écoles afin d'inspirer un «esprit américain» parmi les enseignants et leurs élèves. En réalité, Victor Clark craignait que, si la politique d'américanisation n'était pas appliquée, les modèles français et espagnols déjà en usage dans l'île avant l'occupation américaine prévaudraient et les sympathies pro-américaines risquaient de diminuer.

En 1900, le gouvernement américain fit adopter la Foraker Act ("Ley Foraker" ou loi Foraker), du nom de l'auteur de la loi, le sénateur américain de l'Ohio Joseph Benson Foraker, qui avait soutenu la guerre hispano-américaine et l'annexion des Philippines et de Porto Rico. Cette loi établissait un gouvernement civil dans l'île et créait le Département de l'instruction publique. Pour résumer, la loi Foraker, qui fut ratifiée le 12 avril 1902 par le Congrès américain, instaurait l'organisation structurelle suivante :

- un gouverneur nommé par le président des États-Unis, assisté de six chefs de département américains;
- deux chambres: un conseil exécutif formé de 11 membres, dont six Américains et cinq Portoricains, désignés par le président; une chambre des délégués de 35 membres élus par le peuple de Porto Rico;
- une Cour suprême de huit juges nommés par le président des États-Unis;
- les États-Unis se réservent le droit d'annuler tout acte adopté par la législature de Porto Rico.

Le 14 septembre 1901, Theodore Roosevelt succéda au président William McKinley. Le gouverneur américain de Porto Rico, le juge William Henry Hunt (1901-1904), commença à appliquer une politique d'américanisation progressive de l'île, notamment en recourant au système d'éducation. Il introduisit l'usage de l'anglais comme langue de l'enseignement dans les écoles.

Toutefois, le premier commissaire à l'éducation, Martin Grove Brumbaugh (1862-1930), dut reconnaître qu'il n'était pas simple d'imposer l'anglais, alors que la langue nationale vernaculaire était l'espagnol. Sa politique fut de poursuivre l'enseignement de l'espagnol tout en introduisant la langue anglaise. Dans son Rapport annuel de 1901, le commissaire Brumbaugh avait prévu que le processus d'implantation de l'anglais devait prendre beaucoup moins de temps que dans les autres territoires de langue espagnole acquis par les États-Unis. À cette fin, Brumbaugh supprima le ministère de l'Éducation qui était en place depuis des siècles. Ensuite, il fit licencier et expulser l'ensemble du corps professoral des écoles publiques, dont la plupart étaient des professeurs formés d'origine antillaise ou espagnole péninsulaire.

En moins de 18 mois, après la prise de fonction de Brumbaugh, l'absentéisme scolaire grimpa à 98% avec l'effondrement des performances d'une population qui parlait une langue et les enseignants une autre. Les enfants qui allaient à l’école étaient punis pour avoir parlé espagnol et rabaissés pour avoir exhibé leur culture.

Par la suite, avec le soutien du gouvernement militaire américain, Brumbaugh  changea tout le programme pédagogique afin de l'américaniser. Il embaucha beaucoup d'enseignants américains, encouragea la mise en place des vacances «à l'américaine», désigna des écoles d'après des patriotes américains, institua la levée et le salut du drapeau américain, ainsi que l'hymne national américain dans les écoles. Le commissaire Martin Brumbaugh croyait malgré tout qu'il était nécessaire de préserver d'abord l'espagnol et d'acquérir l'anglais plus tard, tout en admettant certaines lacunes dans l'enseignement de cette langue :

Los supervisores y maestros de inglés eran ex-soldados, ex-carreteros, ex-empacadores y otras personas de ocupaciones similares. Ninguno de ellos sabía español y algunos sabían poco inglés. Les superviseurs et les professeurs d'anglais étaient d'anciens soldats, des ex-charretiers, des ex-emballeurs et d'autres individus occupant des fonctions similaires. Aucun d'entre eux connaissait un peu d'espagnol et certains maîtrisaient peu l'anglais.

En réalité, le commissaire Brumbaugh reconnaissait qu'il faisait face à un antagonisme considérable de la part de nombreux Portoricains qui tenaient fermement à leur
identité linguistique et culturelle. Il décida donc de temporiser et d'instaurer une période de transition qui permettait l’enseignement en espagnol jusqu’à la 8
e année. Néanmoins, il s'agissait d'une forme de colonialisme à grande échelle. Aujourd'hui, le système d'éducation de l'île souffre encore des «réformes» de Martin Grove Brumbaugh.

- Le bilinguisme officiel

Le 21 février 1902, sous la pression des États-Unis, l'Assemblée législative de Porto Rico adopta la
Ley del Idioma («Loi sur la langue»), dont le titre deviendra plus tard Ley de los Idiomas OficialesLoi sur les langues officielles»). Or, cette loi ne reconnaissait pas l'espagnol et l'anglais comme les deux langues officielles. En réalité, la loi ne mentionnait formellement aucune langue officielle en particulier, le mot oficial («officiel») étant totalement absent du texte, sauf dans le titre venu plus tard. Les seuls termes qui étaient employés étaient "los idiomas inglés y español" (une seule fois) ou simplement "los idiomas" (une fois). Le titre employait les termes "Idiomas Oficiales", mais ces mots ont été ajoutés en 1965, soit 63 ans plus tard. Voici l'article 51 qui a soulevé une controverse en raison du mot "indistintamente" («indistinctement»):

Article 51

Tous les départements du gouvernement de l'État, dans tous les départements de cette île et dans toutes les administrations publiques, les langues anglaise et espagnole doivent être employées indistinctement; et quand c'est nécessaire, des traductions et des interprétations doivent être faites de façon à comprendre toute procédure ou communication dans ces langues.

Il était prévu des traductions de toutes les procédures judiciaires et administratives, lorsque ce serait nécessaire, sauf dans les tribunaux de police de moindre instance. Cette loi sera abrogée en 1991 par la Loi sur la langue officielle n° 4 du 5 avril 1991, elle-même abrogée en 1993 par la loi n° 1 du 28 janvier 1993, établissant l'anglais et l'espagnol comme langues officielles.

La Loi sur les langues officielles de 1902, dont aucune des langues n'était vraiment officielles, découlait de la Foraker Act ("Ley Foraker"), une loi organique qui, adoptée en 1902 avec 36 articles par le Congrès américain, fixait, rappelons-le, les structures gouvernementales et administratives de Porto Rico. L'anglais demeurait la seule langue officielle des tribunaux fédéraux et de toutes les agences américaines ainsi que la langue des transactions bancaires, commerciales, industrielles, etc. Les efforts des élus portoricains pour renverser la situation n’ont pas donné de grands résultats. À cette époque, le Sénat portoricain, qui était nommé par le gouverneur, lui-même choisi par Washington et obligatoirement anglophone, fit tout en son pouvoir pour éviter que l'Assemblée législative puisse adopter des lois faisant de l’espagnol la seule langue officielle. Quoi qu'il en soit, la loi de 1902 fut davantage une façade, c'est-à-dire un symbole, qu'une réalité sociologique. Les tentatives de faire révoquer ladite loi ne manquèrent pas par la suite, sans succès.

- Les nombreux conflits scolaires

En 1904, Roland Post Faulkner succéda à Samuel McCune Lindsay (qui avait remplacé Martin Grove Brumbaugh) comme commissaire à l'éducation. Sa politique fut d'annuler la période de transition établie par Brumbaugh, donc de supprimer l'espagnol dans les écoles. Dès 1905, Faulkner mit en pratique le «plan philippin» hérité de la politique employée par les États-Unis aux Philippines. Ce programme consistait à préparer des programmes de formation en anglais, des cours d'été et des classes hebdomadaires obligatoires en anglais pour des enseignants portoricains. Ce programme accordait une augmentation mensuelle de 10 $US aux enseignants qualifiés en anglais; les candidats qui échouaient aux examens en anglais étaient simplement éliminés. Tout enseignant échouant durant plus de deux ans perdait même son permis d'enseignement. Un mouvement de résistance s'organisa à grande échelle, notamment de la part des enseignants portoricains qui s'opposèrent à la répression professionnelle et à la «liste noire». L'effet de cette politique fut catastrophique pour les écoles portoricaines. Les professeurs furent forcés de simplifier les programmes d'études en raison de leurs propres lacunes en anglais; ils sont restés dépendants des manuels américains et perdirent toute créativité dans leur enseignement. En 1907, le nouveau commissaire à l'éducation, Edwin Grant Dexter, poursuivit l'américanisation dans les écoles rurales, mais en revanche il créa des «écoles du soir» qui connurent un certain succès.

Cependant, les Portoricains protestèrent contre cette politique d'américanisation. En 1911, les parents et les enseignants réagirent violemment à ce qu'ils considéraient comme une "colonización cultural de la isla" («colonisation culturelle de l'île»). L'Association des enseignants portoricains ("Asociación de Maestros de Puerto Rico"), alors nouvellement fondée, adressa une pétition à Edouard M. Bainter, commissaire à l'éducation de 1912 à 1915, lui demandant de modifier la politique en vigueur en intégrant l'espagnol comme langue d'enseignement pour la première année du primaire avec des cours en anglais et en espagnol pour les années suivantes. L'Association acceptait que les écoles secondaires puissent continuer d'enseigner l'anglais, mais les écoles rurales devaient en être exemptées par un enseignement t exclusivement en espagnol.

La situation devint si tendue que l'Assemblée législative dut intervenir et créer le poste spécial d'Inspector General («inspecteur général) pour superviser l'enseignement dans les écoles publiques. Les examens en anglais pour les enseignants furent supprimés. En 1913, l'Assemblée législative présenta un projet de loi imposant l'enseignement de l'espagnol jusqu'à la huitième année avec l'anglais comme matière d'enseignement. Mais le Sénat portoricain opposa son veto, ce qui eut pour résultat de favoriser une forte vague nationaliste dans toute l'île. Les partisans pro-américains furent perçus comme des «assimilationnistes», tandis que les partisans de l'espagnol furent considérés comme des «séparatistes». Néanmoins, l'enseignement de l'anglais devint une manifestation de l'impérialisme américain et une menace à l'identité portoricaine. En 1915, un nouveau projet de loi sur la langue fut présenté en proposant l'utilisation de l'espagnol dans toutes les écoles et tous les tribunaux.  Le Sénat opposa encore son veto accentuant encore davantage le mécontentement dans l'opinion publique.

Un autre commissaire à l'éducation fut nommé en 1916, Paul Gerard Miller (1875-1952), poste qu'il occupa jusqu'en 1921. Cet ancien militaire du 2e Regiment Wisconsin Infantry imposa un nouveau régime linguistique dans les écoles: l’espagnol fut enseigné les quatre premières années du primaire, mais les deux langues (espagnol et anglais) devenaient obligatoires pour les deux années ultérieures. Au secondaire, seul l’anglais était autorisé. La devise de Miller était «la préservation de l'espagnol et l'acquisition de l'anglais» ("the preservation of Spanish and the acquisition of English") dans le but de faire des enfants bilingues. Cette nouvelle politique ne correspondait pas à celle de l'Association des enseignants portoricains, qui présenta une pétition pour l'espagnol comme langue unique de l'enseignement au primaire.

Par la suite, les Américains finirent par nommer un Portoricain au poste de commissaire à l'éducation. Ce fut Juan Bernardo Huyke (1880-1961), un fonctionnaire portoricain très pro-américain. Sa politique scolaire peut être résumée dans un article paru en 1921 dans la Revista Escolar de Puerto Rico («Revue scolaire de Porto Rico») : 

Las escuelas son agencias de americanismo en todo el pais, y deben presentar el ideal americano a nuestra juventud. [Les écoles sont des agences de l'américanisme dans tout le pays et elles doivent présenter l'idéal américain à notre jeunesse.]

Parmi les mesures pro-anglaises figuraient des règlements exigeant l'usage de l'anglais dans tous les documents scolaires officiels, dans les activités parascolaires et au moment des visites effectuées par les inspecteurs, un test obligatoire oral en anglais sur tous les candidats au diplôme du secondaire, le classement des écoles selon la connaissance de l'anglais chez les élèves, la suppression de documents rédigés seulement en espagnol et la mise à l'épreuve obligatoire des enseignants en anglais avec la démission obligatoire de ceux qui ont échoué. Devant la réaction violente des parents et des enseignants, le commissaire Huyke dut présenter sa démission.

En dépit de la situation quelque peu chaotique,  l'anglais est resté la principale langue d'enseignement jusqu'en 1931, date à laquelle l'espagnol est devenu une langue d'enseignement pour les quatre premières années, puis l'anglais suivait pour les trois années suivantes. En 1934, le commissaire José Padín imposa l'espagnol comme langue d'enseignement tout au long des études primaires. En 1937, le président américain Franklin Delano Roosevelt nomma José Miguel Gallardo au poste de commissaire à l'éducation; il lui recommanda de tout mettre en œuvre pour rendre les Portoricains bilingues:

It is an indispensable part of American policy that the coming generation of American citizens in Puerto Rico grow up with complete facility in the English tongue [...]. Only through the acquisition of this language will Puerto Rican Americans secure a better understanding of American ideals and principles... But bilingualism will be achieved by the forthcoming generation of Puerto Ricans only if the teaching of English throughout the insular educational system is entered into at once with vigor, purposefulness and devotion, and with the understanding that English is the official language of our country. [C'est le rôle indispensable de la politique américaine que la nouvelle génération de citoyens américains de Porto Rico grandisse avec l'acquisition complète de la langue anglaise [...]. C'est uniquement par l'acquisition de cette langue que les Portoricains américains bénéficieront d'une meilleure compréhension des idéaux et des principes américains [...]. Mais le bilinguisme ne se réalisera dans la prochaine génération de Portoricains seulement si l'enseignement de l'anglais dans tout le système d'éducation insulaire s'insère immédiatement avec la force, la conviction et la dévotion ainsi que la compréhension que l'anglais est la langue officielle de notre pays.]

Formellement averti par les autorités américaines, le commissaire Jose Miguel Gallardo rejeta la politique de son prédécesseur (José Padin) et réintroduisit l'anglais et l'espagnol dans l'enseignement primaire. Il proposait en fait un bilinguisme anglo-espagnol où certaines matières étaient enseignées en anglais, d’autres en espagnol. Mais le commissaire ne s'attendait certainement pas au refus des parents et des enseignants portoricains. Résigné, il fut forcé de remettre lui aussi sa démission.

En 1946, le président des États-Unis Harry Truman nomma Mariano Villaronga comme commissaire à l'éducation. Immédiatement, Villaronga manifesta son intention de restaurer l'espagnol comme langue d'enseignement à tous les niveaux de l'éducation avec l'anglais comme langue seconde obligatoire. Sa conception concernant l'anglais et l'espagnol était celle-ci:

Sin embargo, ya se cuenta con un vasto conjunto de datos comprobados a disposición de los pedagogos de experiencia. Resulta obvio, a la luz de dichos datos, que para obtener los mejores resultados el inglés debe enseñarse en todas las divisiones del sistema escolar; pero esta enseñanza, si ha de ser eficaz, deberá considerar el inglés como una asignatura en sí y no como el vehículo a través del cual se expliquen todas las demás. Las opiniones más autorizadas, así como los experimentos y estudios más recientes, coinciden en cuanto a la efectividad de este método. [Cependant, déjà un vaste ensemble de données prouvées est disponible pour les éducateurs expérimentés. Il ressort clairement de ces données que l'anglais doit être enseigné dans tous les secteurs du système d'éducation afin d'obtenir de meilleurs résultats; mais cet enseignement, pour être efficace, doit considérer l'anglais comme une matière en soi et non comme le véhicule à travers lequel toutes les autres disciplines sont expliquées. Les opinions les plus fiables, ainsi que les expériences et études les plus récentes, s'accordent sur l'efficacité de cette méthode.]

Le gouvernement américain invita le commissaire Villaronga à démissionner l'année suivante.

Devenue une importante base militaire américaine assurant la défense du canal de Panama pendant la Seconde Guerre mondiale, l'île de Porto Rico obtint le droit d'élire son gouverneur en 1948. Le nouveau gouverneur Luis Muñoz Marín rétablit Mariano Villaronga dans ses fonctions de commissaire en 1949. Par sa circulaire n° 10 du 6 août 1948, ce dernier fit aussitôt de l’espagnol la langue d’enseignement à tous les niveaux dans toutes les écoles publiques, avec des cours d’anglais langue seconde dès la première année du primaire. C’est ce régime qui s’est poursuivi jusqu’à aujourd'hui.

Il n'en demeure pas moins que les changements incessants des politiques linguistiques et les directives autoritaires américaines en éducation perturbèrent considérablement le système d'éducation portoricain en déstabilisant le système et en suscitant le mécontentement parmi les enseignants et les parents. On peut lire un résumé portant sur l'historique en éducation à Porto Rico de la façon suivante:

1. Victor S. Clark : 1898 - 1900

- Objectif: remplacer l'espagnol, langue de la scolarisation, par l'anglais.

2. Martin Grove Braumbaugh : 1900 - 1903

École primaire : l'espagnol était la langue d'enseignement (de la première à la huitième année); l'anglais était étudié comme matière spéciale.

École secondaire : l'anglais était la langue d'instruction; l'espagnol était étudié comme matière spéciale.

3. Roland Faulkner - E. G. Dexter : 1903 - 1915

- l'anglais était la langue d'enseignement à tous les niveaux;
- l'espagnol était étudié comme matière spéciale.

4. P. G. Miller - Huyke : 1915 - 1934

- l'espagnol était la langue de scolarisation jusqu'à la quatrième année.
- l'anglais et l'espagnol étaient les langues d'enseignement pour la cinquième année.
- à partir de la sixième année et jusqu'à la douzième l'anglais était la langue de scolarisation.

5. José Padin : 1934 - 1937

- l'espagnol était la langue d'enseignement à l'école primaire.
- l'enseignement de l'anglais commençait à la septième année.
- à partir de la huitième année la seule langue de la scolarisation était l'anglais.

6. José Miguel Gallardo : 1937 - 1945

- l'espagnol et l'anglais étaient les langues d'enseignement à tous les niveaux.

7. Mariano Villaronga : 1948 - 1991

- l'espagnol - langue d'enseignement;
- l'anglais - langue seconde pour tous les niveaux jusqu'à la deuxième année d'université.

En raison de l'imposition de l'anglais et du statut non encore résolu de Porto Rico, la question du bilinguisme continue d'être débattue avec passion sur une base quasi quotidienne dans l'île.

- La citoyenneté américaine

Auparavant, dans l'espoir de calmer les Portoricains plus nationalistes, le gouvernement américain leur avait octroyé la citoyenneté américaine en adoptant la Jones–Shafroth Act du 2 mars (Pub. L. 64–368, 39 Stat. 951, promulguée le 2 mars 1917), car Porto Rico devenait un territoire «organisé, mais non incorporé» ("unincorporated territories") de l'Union. En réalité, la nationalité américaine fut carrément imposée aux Portoricains. L'explication était simple: cette année-là, les États-Unis entraient en guerre. Ils avaient besoin de beaucoup de soldats! Ainsi, pour quelque 200 000 Portoricains, devenir «américain» signifiait avant tout «avoir le droit d’être soldat». De fait, 20 000 d’entre eux durent aller au front.

- Le gouvernement civil et l'anglais

Cette loi de 1917 du Congrès des États-Unis est également connue sous le nom de Jones Act of Puerto Rico, Jones Law of Puerto Rico ou Act To provide a civil government for Porto Rico, c'est-à-dire la Loi établissant un gouvernement civil pour Porto Rico, laquelle était signée par le président Woodrow Wilson le 2 mars 1917. La loi remplaçait la Foraker Act et accordait la citoyenneté américaine à toute personne née à Porto Rico le ou après le 11 avril 1899. Elle créait également le Sénat de Porto Rico, établissait une charte des droits et autorisait l'élection d'un commissaire résident (précédemment nommé par le président) pour un mandat de quatre ans. La loi exemptait les obligations portoricaines des impôts fédéraux, étatiques et locaux, quel que soit l'endroit où réside le détenteur de l'obligation. La législature portoricaine devait être élue au suffrage masculin (limité à l'époque aux hommes blancs) pour un mandat de quatre ans. Le gouverneur pouvait opposer son veto aux actes de la législature, mais celui-ci pouvait être annulé par un vote des deux tiers, auquel cas le président des États-Unis prendrait la décision finale.

La Loi établissant un gouvernement civil pour Porto Rico de 1917 prévoyait des dispositions concernant la langue. L'article 26 énonçait notamment que «nul ne peut être membre du Sénat de Porto Rico s'il n'a pas plus de trente ans et s'il n'est pas en mesure de lire et d'écrire l'espagnol ou l'anglais:

Article 26

Le Sénat de Porto Rico doit être composé de dix-neuf membres élus pour un mandat de quatre ans par les électeurs qualifiés de Porto Rico. Chacun des sept districts sénatoriaux définis ci-après aura le droit d'élire deux sénateurs, et de plus il y aura cinq sénateurs élus de façon générale. Nul ne peut être membre du Sénat de Porto Rico s'il n'a pas plus de trente ans et s'il n'est pas en mesure de lire et d'écrire l'espagnol ou l'anglais, et s'il n'a pas résidé à Porto Rico depuis au moins deux années consécutives et, sauf dans le cas des sénateurs élus de façon générale, s'il n'a pas été un résident effectif dans le district sénatorial à partir duquel il est choisi pour une période d'au moins un an avant son élection.

L'article 27 imposait les mêmes exigences pour la Chambre des représentants:

Nul ne peut être membre de la Chambre des représentants s'il n’a pas plus de vingt-cinq ans et s'il n’est pas en mesure de lire et d’écrire l’espagnol ou l’anglais, sauf dans le cas du représentant en général, qui n’a pas été un résident de bonne foi du district d’où il a été choisi pendant au moins un an avant son élection. Lors de l’élection des quatre représentants en général, chaque électeur est autorisé à voter pour un seul candidat et les quatre candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix sont élus.

L'article 36 déclarait que «nul ne peut être admissible à l'élection au poste de commissaire résident s'il n'est pas citoyen effectif des États-Unis et s'il n'a pas plus de vingt-cinq ans, et qui ne sait pas lire et écrire l'anglais».

En ce qui concerne les tribunaux de district des États-Unis, l'anglais devenait obligatoire (art. 42 et 44):

Article 42

[...] Les mandats réguliers du dit tribunal de district des États-Unis se tiendront à San Juan, à partir du premier lundi de mai et novembre de chaque année, ainsi qu’à Ponce le deuxième lundi de février de chaque année, et des conditions spéciales peuvent être tenues à Mayaguez à des moments tel que ledit juge peut juger opportun. Toutes les plaidoiries et procédures engagées devant ce tribunal doivent se dérouler en anglais. [...]

Article 44

Les qualifications des jurés fixées par les lois locales de Porto Rico ne s’appliquent pas aux jurés sélectionnés pour siéger à la Cour de district des États-Unis pour Porto Rico; mais les qualifications requises des jurés dans ladite cour sont que chacun doit être âgé d’au moins vingt et un ans et non plus de soixante-cinq ans, être résident de Porto Rico pour au moins un an, et avoir une connaissance suffisante de la langue anglaise pour lui permettre de servir en tant que juré; ils doivent également être citoyens des États-Unis. Les jurys dudit tribunal seront choisis, tirés au sort et soumis à une exemption conformément aux lois du Congrès les régissant dans les tribunaux des États-Unis dans la mesure où celles-ci sont applicables localement

- La loi sur le bâillon (1948)

Malgré certaines concessions accordées par les États-Unis, les Portoricains sont demeurés très nationalistes à un point tel que le Sénat local s'est senti obligé d'adopter la loi n° 53 qui restreignait les droits des mouvements nationalistes dans l'île. Ce fut la Ley de la Morddaza n° 53, dite «loi sur le bâillon», promulguée le 10 juin 1948 par le gouverneur Jesús Toribio Piñero de Porto Rico, à ce moment-là ce dernier étant encore désigné par le gouvernement américain. Évidemment, l’objectif de cette loi bâillon était d’enquêter et d’arrêter le nationalisme militant, le Parti nationaliste et son chef, Albizu Campos; c'était un geste politique pour neutraliser un opposant:
 

Article 1er

Le fait de commettre par toute personne l'un des actes suivants constitue un crime grave, passible d'une peine maximale d'emprisonnement de dix ans ou d'une amende maximale de 10000 $ ou des deux:

1. encourager, préconiser, conseiller ou prêcher, volontairement ou sciemment, la nécessité, l’opportunité ou la commodité de renverser, de paralyser ou
de détruire le gouvernement de l’île, ou toute subdivision politique à ce moment-là, par la force ou la violence;

2. imprimer, publier, éditer, faire circuler, vendre, distribuer ou exposer publiquement dans l’intention de renverser, de paralyser ou de
détruire le gouvernement de l’île ou l’une de ses divisions politiques, un écrit ou une publication où cela est encouragé, préconisé, conseillé ou présenté comme une nécessité, une possibilité ou une possibilité de renverser, de paralyser ou de détruire le gouvernement de l’île ou toute subdivision politique à ce sujet, par la force ou la violence;

3. organiser ou aider à organiser une société, un groupe ou une assemblée de personnes qui encouragent, préconisent, conseillent ou prédisent l’abrogation ou
la destruction du gouvernement insulaire, ou toute subdivision politique dans ce pays, par la force ou la violence.

Article 2

Un procès pour toute violation de la présente loi doit être saisi par un tribunal.

En vertu de cette loi, il était devenu criminel de posséder ou d'afficher un drapeau portoricain, même sur sa propre maison! Il était aussi interdit de parler contre le gouvernement des États-Unis ou de se montrer en faveur de l'indépendance de Porto Rico, d'imprimer, de diffuser ou de présenter du matériel de propagande destiné à paralyser ou à détruire le gouvernement régional. Il était également interdit d'organiser une société, un groupe ou une association de personnes ayant des intentions similaires. Quiconque était accusé et reconnu coupable d'avoir contrevenu à cette loi pouvait être condamné à dix ans de prison et/ou à une amende de 10 000 $. C'était en quelque sorte une véritable «chape de plomb à la soviétique» qui s'abattait sur Porto Rico.

Dès l'adoption de la loi n° 53, une décennie de répression politique éclata. Luis Munoz Marin, dirigeant du Sénat à cette époque, allait devenir le gouverneur de Porto Rico l'année suivante.

3.3 L'État libre associé aux États-Unis

Sous l'initiative de Luis Muñoz Marín (1898-1980), premier gouverneur portoricain élu au suffrage universel (de 1949 à 1965), une nouvelle constitution fut adoptée par référendum, le 25 juillet 1952. Celle-ci accordait à Porto Rico un nouveau statut, celui d'«État libre associé aux États-Unis» (un ''Commonwealth'' pour les Américains) jouissant de l'autonomie politique et culturelle. Les Portoricains devenaient juridiquement des citoyens américains, bien qu’ils n'avaient pas à payer d'impôt fédéral sur le revenu et que leur délégué au Congrès des États-Unis n'avait pas le droit de vote. 

Même aujourd'hui, bine que les Portoricains ne paient apparemment pas d’impôt sur le revenu au gouvernement fédéral américain, ils sont assujettis à l'impôt au plan local, sans compter d’autres impôts fédéraux cachés, par exemple ceux reliés aux importations, qui demeurent en vigueur. La Défense nationale et la politique étrangère de l'île sont assumées par le gouvernement américain. Pour le reste, Porto Rico fonctionne sur le même modèle politique que les États américains (gouverneur élu et Assemblée législative bicamérale).

La Constitution de 1952, encore en vigueur, proclame dans son article III (paragraphe 5) que les députés doivent connaître soit l'espagnol soit l'anglais pour être élus, mais ne proclame aucune des deux langues comme «officielle»:

Article 3

Qualifications des membres de l'Assemblée législative

Paragraphe 5

Nul ne peut être membre de l'Assemblée législative à moins qu'il ne sache lire et écrire dans l'une des deux langues, l'espagnol ou l'anglais; ou qu'il ne soit citoyen des États-Unis et de Porto Rico et n'ait résidé à Porto Rico au moins durant les deux années précédentes à partir de la date de l'élection ou de la nomination. Ne pourront pas non plus être membres du Sénat ceux qui ne n'ont pas atteint l'âge de trente ans, ni ne pourront être membres de la Chambre des représentants ceux qui n'ont pas atteint l'âge de vingt-cinq ans.

Dans son préambule, la Constitution précise aussi que «la coexistence à Porto Rico des deux grandes cultures du continent américain» (l’anglaise et l’espagnole) est fondamentale à la vie du peuple portoricain ("la convivencia en Puerto Rico de las dos grandes culturas del hemisferio americano"). Ainsi, l'île de Porto Rico peut être considérée comme le précurseur des États dans le monde qui adopteront le concept politique de la «souveraineté-association» ("Estado Libre Asociado"). Les efforts de ceux qui voudraient que les Portoricains puissent avoir plus de droits politiques au sein du gouvernement fédéral américain se heurtent au fait que cela nécessiterait une modification à la Constitution des États-Unis. De plus, beaucoup de Portoricains s’opposent à l’intégration aux États-Unis, car ils voudraient plutôt favoriser leur propre autonomie.

Si le nouveau statut de 1952 a été conçu pour calmer les indépendantistes portoricains, le résultat fut décevant, car en 1954 quatre nationalistes s'attaquèrent à la Chambre des représentants à Washington à coups de révolver. Il n'en demeure pas moins que, sous la direction de Luis Muñoz Marín — de 1949 à 1965 —, Porto Rico a créé sa propre constitution, a acquis une grande autonomie, tout en formant une  relation nouvelle avec les États-Unis, basée sur la libre association. Au cours de son mandat comme gouverneur, Muñoz a souvent alerté les enseignants des écoles primaires et secondaires afin qu'ils soient conscients de leur rôle essentiel dans la protection de la langue et la culture espagnoles; il a fait de même avec l'arrivée des médias tels que la cinéma et la télévision.

Le 13 novembre 1961, le président John F. Kennedy recevait le gouverneur de Porto Rico à la Maison-Blanche pour ses réalisations dans l'île. Le principal aéroport de l'île, l'Aéroport international Luis Muñoz Marín (en espagnol: Aeropuerto Internacional Luis Muñoz Marín), a été appelé en son honneur, cinq ans après son décès (en 1985). En 1990, l'US Service Postal des États-Unis a émis un timbre à sa mémoire.

En 1965, la Cour suprême portoricaine a statué que les tribunaux de l'État devaient employer l'espagnol dans leur procédure judiciaire. Cependant, dans les tribunaux fédéraux, la langue de la procédure et des jurys devait être l'anglais, avec le recours à la traduction si les justiciables sont incapables de s'exprimer en anglais, la langue officielle de facto des États-Unis. En raison de la démographie galopante des Portoricains et du statut de «citoyens américains», beaucoup d'insulaires tentèrent leur chance en s'exilant aux États-Unis, dont ils augmentaient le sous-prolétariat. 

En 1977, Carlos Romero Barcelo est devenu gouverneur en prônant l'intégration de Porto Rico aux États-Unis. Depuis lors, les politiciens portoricains sont demeurés divisés entre les principales tendances concernant l'avenir de l'île, à savoir le statu quo, l'intégration aux États-Unis et l'indépendance. 

Au début des années 1990, les principaux partis politiques de Porto Rico étaient le Parti populaire démocratique (''Partido Populaire Democratico''), qui prônait le maintien du statut du Commonwealth au sein des États-Unis, et le Nouveau Parti progressiste (''Partido Nuovo Progresista''), qui souhaitait que Porto Rico devienne un État des États-Unis.

- L'unilinguisme officiel

En 1991, le Parti populaire démocratique, qui s’opposait à l’intégration de Porto Rico aux États-Unis, fit adopter une loi abolissant le bilinguisme officiel de 1902: ce fut la Ley IV del Idioma Oficial (''loi n° 4 sur la langue officielle''). Cette loi du 5 avril 1991 mettait fin au bilinguisme officiel à Porto Rico en décrétant l'espagnol comme unique langue officielle:

Article 1er

Il est déclaré et reconnu que l'espagnol est la langue officielle de Porto Rico devant être utilisée dans tous les départements, subdivisions politiques, agences, bureaux et dépendances gouvernementales des services exécutif, législatif et judiciaire de l'État libre associé de Porto Rico.

La loi du 5 avril 1991, qui proclamait l'unilinguisme officiel de l'espagnol, témoignait, pour certains nationalistes portoricains, de l'échec de toutes les tentatives d'américanisation à Porto Rico.

En réalité, la loi portoricaine ne changeait rien à la réalité. L'anglais continuait, bien entendu, à avoir beaucoup d'importance à Porto Rico, notamment dans les communications avec les États-Unis, pays auquel l'île reste lié comme «État associé et libre», et l'anglais continuait à être enseigné comme toujours. La seule différence: l’absence symbolique du caractère co-officiel des langues, qui avait été attribué par les vainqueurs de la guerre hispano-américaine de 1898.

L'adoption de la loi 4 sur la langue abolissant le caractère officiel de l'anglais et proclamant l'unilinguisme espagnol a valu «au peuple de Porto Rico» le prix du Prince des Asturies accordé par l'Espagne en reconnaissance de sa lutte pour l'espagnol.

- Le retour au bilinguisme

En 1992, Pedro Rosselló, du Nouveau Parti progressiste, fut élu gouverneur après avoir fait campagne en faveur de l'obtention du statut d'«État américain». La question linguistique est revenue sur la sellette, comme elle l'est régulièrement. Le gouverneur Pedro Rossello avait promis que, s'il était élu, il révoquerait la Ley IV del Idioma Oficial (''loi 4 sur la langue''). Il avait même affirmé que Porto Rico n'était pas une «nation», ce qui provoqua une véritable commotion dans la presse. Pour ces Portoricains pro-américains, la loi no 4 du 5 avril 1991 n'avait pas répondu aux attentes du peuple de Porto Rico, lequel «aspire à participer activement aux projets de développement dans les Caraïbes, en Amérique latine, en Amérique du Nord ainsi qu'au niveau international». Pour des raisons historiques, beaucoup de Portoricains parmi les élites ont, pendant plus de 90 ans, eu recours indistinctement à l'espagnol et à l'anglais, sans que cela ait entraîné la négligence ou l'abandon de leur langue, l'espagnol, ni n'ait signifié une reddition de leur langue et de leur culture.

La loi sur l'unilinguisme officiel fut abrogée par la loi n° 1 du 28 janvier 1993, appelé Loi établissant l'espagnol et l'anglais comme langues officielles (en espagnol: Ley que establece el español y el inglés como idiomas oficiales). Pendant le mandat du gouverneur Pedro Rosselló du Nouveau Parti progressiste (PNP), les deux langues furent à nouveau considérées comme officielles au même rang. Le but du législateur était de corriger les effets prétendument négatifs et les contraintes de naturalisation créées par la loi n° 4 du 5 avril 1991, mais la réalité ne changeait pas.

Un référendum eut lieu le 13 décembre 1998 et proposait trois options pour le futur statut de Porto Rico:

(1) le maintien de l’actuel statut d’État libre associé aux États-Unis;
(2) l’indépendance;
(3) l’adoption du statut d’État américain (le 51
e de l’Union).

Les Portoricains refusèrent nettement l’indépendance et le statut de 51e État de l’Union; ils préférèrent un statu quo pourtant contesté. Le parti au pouvoir, le Nouveau Parti progressiste, prôna un renforcement de l'enseignement de l'anglais sans remettre en cause la primauté de l'espagnol. De nombreux électeurs crurent que l'incorporation dans l'Union fédérale américaine signifierait, à terme, la «mort» de l'espagnol dans l'île et, par voie de conséquence, de leur collectivité comme peuple distinct. Par ailleurs, pour beaucoup de Portoricains, l’intégration aux États-Unis permettrait à Porto Rico de devenir le premier État fédéré où l'anglais ne serait pas la langue dominante et le premier État à constituer la base territoriale d'une minorité linguistique et culturelle. L'été suivant après le référendum, le commandement américain des forces spéciales pour le Sud (Socsouth) fut transféré de Panamá à Porto-Rico.

- Le crêpage de chignon législatif

Mais le débat linguistique n'était pas terminé pour autant entre les assimilationnistes, les annexionnistes, les autonomistes et les indépendantistes. En effet, le 9 août 2001, la sénatrice Margarita Ostolaza, du Parti populaire démocratique, présenta à la considération du Sénat son Rapport final sur la langue de Porto Rico et proposa la restauration de l'espagnol comme langue officielle unique. À cette occasion, le rapport fut approuvé. Entre 2001 et 2005, divers projets de loi furent présentés, mais aucun ne fut adopté par les deux chambres.

1) Projet de loi C-1211 du 9 mai 2001 - Chambre des représentants
2) Projet de loi C-33 du 2 janvier 2005 - Chambre des représentants
3) Projet de loi S-2519 du 12 novembre 2003 - Sénat
4) Projet de loi S-124 du 2 janvier 2005 - Sénat

Le 9 mai 2001, la Chambre des représentants présenta le projet de loi (C-1211) rétablissant l'espagnol comme langue officielle de Porto Rico et abrogeant la loi no 1 du 28 janvier 1993, tout en maintenant les prérogatives de l'anglais. Le Sénat n'approuva jamais ce projet de loi.

En novembre 2003, le Sénat présenta son propre projet de loi (S-2519) proclamant l'espagnol comme langue officielle de Porto Rico et l'anglais comme «langue seconde parlée dans le pays et reconnue comme la langue des communications internationales». Approuvée par 17 votes en faveur et 8 contre (une abstention), la proposition aboutit à la Chambre des représentants de Porto Rico, mais elle ne fut jamais adoptée.

En janvier 2005, la Chambre des représentants adopta le projet de loi C-33 du 2 janvier (l'espagnol comme langue officielle), alors que le Sénat présentait, de son côté, le projet S-124 du 2 janvier (l'espagnol comme langue officielle). Les deux projets de loi furent refusés par l'autre chambre, alors qu'ils proposaient tous deux l'espagnol comme langue officielle. À chaque fois, c'est le Parti indépendantiste portoricain (Partido Independentista Puertorriqueño) qui avait présenté les projets, mais ils furent tous refusés par la majorité tenue par le Nouveau Parti progressiste (Partido Nuovo Progresista), qui détient le pouvoir exécutif.

En somme, aucun projet de loi ne fut adopté, car chacun craignait la réaction de Washington et celle des électeurs. Le projet S-124 semble de loin le plus évocateur de ce que pourrait être une loi linguistique portoricaine «libérée» de ses craintes. En effet, ce projet de loi couvre tous les domaines inhérents à la vie sociale, éducative, culturelle et économique. On peut lire ces différents projets de loi linguistiques (en traduction française et en version espagnole d'origine) présentés au Sénat ou à la Chambre des représentants en cliquant ICI, s.v.p. En fait, ces projets de loi reprennent presque intégralement la Ley IV del Idioma Oficial (''Loi n° 4 sur la langue officielle'') de 1991.

La langue employée par les Portoricains continuait d'être l'espagnol, indépendamment d'un projet de loi ou d'une loi portant sur l'emploi des langues. Les représentants du Nouveau Parti progressiste présentèrent une forte opposition au gouvernement pro-américain, alléguant que seulement 20 % de la population de Porto Rico parlait l'anglais; son représentant, David Noriega, commentait ainsi la situation: «Nous sommes le seul pays du monde qui ait une langue officielle que 80 % de la population ne comprend pas.» Manifestement, M. Noriega oubliait ou ignorait que plusieurs pays d’Afrique où le français, l’anglais, le portugais ou l'arabe classique, est une langue officielle qui n'est pas comprise que par un grande majorité de la population. Cela étant dit, beaucoup de Portoricains croient que leur île n'est guère qu'une extension des États-Unis. Il n'en demeure pas moins que les Portoricains ont toujours été obstinément opposés à toute tentative de se voir imposer l'anglais et qu'ils ont su résister à toutes les tentatives de génocide culturel de chacun des projets d'absorption de leur île de la part des États-Unis.

À partir de 2006, l’administration américaine commence à réduire les exemptions fiscales. À l'époque, le président Bill Clinton, s'organise pour récupérer l’impôt dans les caisses fédérales. Avec la fin des exemptions fiscales pour les entreprises américaines installées à Porto Rico, l'impact s'est révélé immédiat. Les usines fermèrent les unes après les autres, pendant que des Portoricains quittaient leur île. L’administration Clinton se donnait dix ans pour mettre en place un plan de développement économique de l’île: le "Contract for America". Toutefois, il n'en sera rien, puisqu'aucune mesure ne sera entreprise. Porto Rico entame depuis sa chute vertigineuse.

- La politique d'éducation bilingue de 2012

La controverse linguistique resta latente, mais elle réapparut notoirement en 2012 lorsque le gouverneur de Porto Rico de 2009 à 2013, Luis Fortuño, présenta un programme d'enseignement public dans le but d'aider les habitants de l'île à maîtriser l'anglais et l'espagnol. Luis Fortuño introduisit un programme obligatoire d'éducation bilingue pour tous les élèves portoricains. L'initiative, appelée “Generation Bilingual” («Génération bilingue») mettait l'accent sur l'importance de la maîtrise de l'anglais chez les insulaires. En fin de compte, son programme ambitieux visait à faire sortir une classe bilingue anglais-espagnol à 100% des écoles secondaires d'ici 2022.

Compte tenu du bouleversement économique et de l'augmentation des crimes violents sur l'île, la proposition de Fortuño parut opportune et pouvait refléter ses efforts pour regagner en popularité, car de nombreux insulaires avaient perdu confiance dans son administration conservatrice. Le taux de chômage d'environ 14,2% poussa la population locale à rechercher une solution désespérée à ses problèmes linguistiques. L'objectif du gouverneur était que les Portoricains soient bilingues d'ici 2022, afin qu'ils soient également plus compétitifs dans un marché et une économie mondialisés.

Les représentants de l'opposition dénoncèrent cette mesure comme le prélude à l'union complète avec les États-Unis. Ils affirmèrent que les motivations de Fortuño étaient davantage liées à l'idéologie qu'à l'éducation et que son programme faisait simplement partie d'une politique visant à faciliter l'annexion de l'archipel aux États-Unis. Bien que l'anglais soit l'une des langues officielles de Porto Rico et qu'environ 30% de la population ait une maîtrise relative de cette langue, la culture et la langue américaines restent étrangères pour une grande partie de la majorité hispanophone de Porto Rico. C'est la raison pour laquelle le programme d'éducation bilingue de Fortuño fut souvent décrit comme une étape vers l'américanisation plus poussée des îles, bien qu'elle en reste à ses débuts.

En fait, les opposants au programme du gouverneur n'étaient pas nécessairement contre l'enseignement de l'anglais sur les îles; ils soutenaient plutôt que les écoles publiques devraient offrir l'anglais uniquement comme option de langue étrangère. Leur conception est qu'il serait peu judicieux d'imposer ou de rendre obligatoire l'enseignement de l'anglais, étant donné que la majorité des insulaires restent en dehors de la sphère anglo-saxonne. De plus, la mise en œuvre d'un tel programme bilingue obligatoire affaiblirait encore davantage un système d'éducation déjà affaibli. Ainsi, exposer les enfants à un enseignement bilingue avant de développer une maîtrise de la langue maternelle originale comporterait des risques définitifs à long terme. Beaucoup soutenaient que le gouvernement devait remédier à ces lacunes dans la qualité de l'enseignement en espagnol avant de procéder à des changements radicaux.

Quant aux justifications du gouverneur Fortuño, elles tournaient autour de l'accent croissant mis sur l'anglais en tant que langue internationale. Ces motifs parurent peu convaincants, étant donné la croissance de nombreux États en dehors de la sphère anglo-saxonne. Certaines langues de plus en plus utiles comprennent le mandarin, l'hindi, le portugais, l'arabe, le russe et le français. L'espagnol a également connu une augmentation définitive de sa pertinence en tant que langue internationale. Une plus grande variété dans la deuxième ou la troisième langue encouragerait les citoyens portoricains à chercher des opportunités au-delà des États-Unis et accélérerait le développement de liens cruciaux avec le reste du monde. Quoi qu'il en soit, les insulaires verront bien si un programme à prédominance anglaise devait résoudre les problèmes non résolus de l'archipel que sont les taux de chômage disproportionnés et les crimes violents liés à la drogue. Comme l'affirme un vieil adage insulaire: "Lo que no conviene, no viene", si ça n'aide pas, il faut que ça disparaisse. Dans le pays, l’anglais n’est pas perçu comme une langue prioritaire et les Portoricains se méfient de l’introduction de l’enseignement bilingue, car ils la considèrent comme redevables à des intérêts purement politiques.

Aujourd’hui, l’anglais demeure une exigence obligatoire pour l’obtention de divers permis professionnels ainsi que pour l’admission à d’innombrables programmes universitaires, même si, aux fins de l’obtention du diplôme, l'anglais n’est pas considéré comme une langue seconde.

- La loi de 2015

Depuis la Loi établissant l'espagnol et l'anglais comme langues officielles de 1993, l'espagnol partageait le statut de langue officielle à Porto Rico avec l'anglais. Cependant, en septembre 2015, le Sénat portoricain approuvait un projet de loi qui déclare à nouveau l'espagnol comme première langue officielle et relègue l'anglais comme seconde langue officielle. Le projet de loi 1177 du Sénat avait été initialement présenté en août 2014, mais il avait été rejeté par un vote de 12 à 10, puis  tombé dans l'oubli. La  Chambre haute a repris l'initiative en 2015 et, cette fois-là, le projet de loi a été approuvé par 15 voix pour et 11 contre, sans débat préalable grâce au soutien de la grande majorité des sénateurs du parti au pouvoir. Dès lors, la Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme deuxième langue officielle de 2015 se trouve à abroger la loi de 1993.

Évidemment, les arguments pour et contre le statut de l'anglais ont refait surface lors de la présentation au Sénat. Dans l'exposé des motifs de la proposition, le président du Sénat Antonio Faz Alzamora souligna qu'il ne s'agissait pas d'un concept visant «l'espagnol seul» ("solamente espagnol"), mais plutôt d'une mesure législative pragmatique et réaliste de l'espagnol prioritaire ("el español Primero"). En faisant de l'espagnol la première langue officielle, il s'agissait de renforcer l'identité culturelle des Portoricains et de confirmer le fait que plus de 80% de ces derniers ne comprennent pas ou ne parlent pas anglais. Mais les opposants avancèrent qu'au XXIe siècle les efforts du gouvernement devraient être dirigés vers le multiculturalisme, y compris la diversité des langues.

Cependant, la loi de 2015 ne s'oppose pas à l'anglais, elle l'autorise même à bien des égards, mais à certaines conditions lorsque c'est nécessaire. En réalité, la nouvelle mouture de la loi ne change pas grand-chose à l'ancienne loi, sauf le fait qu'elle priorise l'espagnol avant de permettre l'anglais. On peut lire l'Exposé des motifs de la loi, car ceux-ci justifient l'adoption de cette loi.

 3.4 L'ambivalence du statut actuel de Porto Rico

Les Portoricains ne semblent pas à l'aise avec le statut d'État libre associé aux États-Unis, un euphémisme pour ne pas dire qu'il s'agit d'une colonie américaine. Endetté à plus de 70% de son produit intérieur brut, Porto Rico a longtemps pu bénéficier d’un afflux d’investisseurs venus du reste des États-Unis, attirés par les avantages fiscaux octroyés aux Américains sur place. En 2006, toutefois, le désenchantement a commencé à apparaître, car la politique de subventions aux entreprises américaines déplacées vers l’archipel arrivait à échéance.

- Le rattachement à l'Espagne

Avant leur quasi-intégration aux États-Unis, Porto Rico était une «province espagnole d'outre-mer» qui a été séparée contre son gré en 1898 par les États-Unis. Or, les Portoricains sont des hispanophones comme les autres dans cette partie du monde. Certains voudraient devenir des «citoyens espagnols» et avoir les droits politiques que les États-Unis leur refusent. Autrement dit, Porto Rico deviendrait la 18e communauté autonome d'Espagne. Au moment où Washington cherche à leur imposer vainement leur langue anglaise venue du continent, les Portoricains revendiquent plus que jamais leur ascendance hispanophone.

Dans les faits, l'option «rattachiste» est loin d'être majoritaire dans l'île, mais elle aurait été impensable il y a dix ans.  En 2007,  une nouvelle loi (Ley 52/2007 de 26 de diciembre, por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la guerra civil y la dictadura) a été adoptée par le gouvernement espagnol, visant à rendre la nationalité espagnole à ceux qui l'ont perdue au cours du dernier siècle. En français, ce serait la Loi 52/2007 du 26 décembre, par laquelle les droits sont reconnus et étendus, et des mesures sont établies en faveur de ceux qui ont subi des persécutions ou des violences pendant la guerre civile et la dictature. En voici un extrait pertinent:

Ley española núm. 52/2007

Disposición Adicional Séptima (2007)

“Adquisición de la nacionalidad española.

Las personas cuyo padre o madre hubiese sido originariamente español podrán optar a la nacionalidad española de origen si formalizan su declaración en el plazo de dos años desde la entrada en vigor de la presente Disposición adicional. Dicho plazo podrá ser prorrogado por acuerdo de Consejo de Ministros hasta el límite de un año.

Este derecho también se reconocerá a los nietos de quienes perdieron o tuvieron que renunciar a la nacionalidad española como consecuencia del exilio”.

Loi espagnole n° 52/2007

Septième disposition additionnelle (2007)

Acquisition de la nationalité espagnole

Les personnes, dont le père ou la mère aurait été d'origine espagnole, sont admissibles à la nationalité espagnole d'origine si elles officialisent leur déclaration dans les deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la présente disposition additionnelle. Cette période peut être prolongée par un accord du Conseil des ministres dans un délai d'un an.

Ce droit sera reconnu aux petits-enfants de ceux qui ont perdu ou ont dû renoncer à leur nationalité espagnole à la suite de l'exil.

Du coup, cette loi ouvrirait une voie juridique aux demandes des descendants espagnols des anciens Territoires d'outre-mer. Cependant, la loi n° 52/2007 du 26 décembre semble concerner les individus «qui ont souffert de persécution ou de violence au cours de la guerre civile et la dictature», ce qui exclurait Porto Rico. Il s'agit bel est bien de la guerre civile espagnole (1936-1939) et de la dictature franquiste (1939-1975), ce qui suppose qu'il faut avoir possédé la nationalité espagnole et être né en Espagne.

Il n'en demeure pas moins qu'un rattachement à l'Espagne constituerait un terrible camouflet pour les États-Unis qui perdraient également la zone économique exclusive dont ils bénéficient. Il apparaît évident que, si le danger se concrétisait pour Washington, l'administration américaine ne regarderait pas, les bars croisés, le train passer. En attendant, la dépouille du premier gouverneur espagnol de Porto Rico, Juan Ponce de León, repose paisiblement dans la crypte de la cathédrale de San Juan en attendant, un jour, de retourner au bercail.

- Les référendums à répétition

En 1977, Carlos Romero Barcelo, surnommé "El Caballo" («le cheval»), s'était fait élire comme gouverneur en prônant l'intégration de Porto Rico aux États-Unis. Son adversaire, Rafaël Colon, avait préconisé, pour sa part, une simple amélioration du statut d'association. Par cinq fois, notamment en 1952, en 1967, en 1993, en 1998 et en 2012, les Portoricains ont rejeté l'indépendance préférant ainsi le douillet statu quo plutôt que l'incertitude de l'indépendance ou de l'intégration, sauf en 2012 où ils ont préféré l'intégration aux États-Unis. Plus de six décennies depuis 1952, rien n'a vraiment changé dans le débat sur l'avenir politique de l'île. En effet, les Portoricains se partagent encore entre le statu quo, l'indépendance et l'accession à la 51e place dans l'Union américaine. Pourtant, le statu quo ne satisfait personne! Et nul ne veut voir Porto Rico devenir une colonie américaine.

Le 6 novembre 2012, un autre référendum (le quatrième) fut présenté aux électeurs portoricains sous la forme de deux questions distinctes:

1) «Êtes-vous d'accord sur le fait que Port Rico devrait conserver son statut territorial actuel ?»
"
¿Está usted de acuerdo con mantener la condición política territorial actual?"

Non : 53,99 % des voix (959 136 voix);
Oui : 46,01 % des voix (817 241 voix);

2) «Quelle que soit la réponse à la première question, laquelle des options non territoriales suivantes préférez-vous? Le bulletin de vote avec plus d'un choix coché dans cette section ne sera pas compté.»
"Irrespectivamente de su contestación a la primera pregunta, conteste cuál de las siguientes opciones no territoriales usted prefiere. La papeleta con más de una (1) opción marcada en esta sección no será contabilizada."

a) État américain : 61,10 % des voix (824 238 voix);
b) État libre souverain et associé : 33,35 % des voix (449 831 voix);
c) Indépendance : 5,55 % des voix (74 840 voix).

Ainsi, l'option annexion ou celle du 51e État américain est nettement celle qui a prévalu en raison de la pluralité des voix, ce qui relançait le débat sur la question du statut actuel de Porto Rico. Cependant, la décision finale appartenait au Congrès américain, c'est-à-dire aux deux Chambres à Washington. Or, pour l'instant, c'est loin d'être gagné! Il s’agit d’un vieux débat que les États-Unis ne sont pas prêts de rouvrir. De fait, la consultation portoricaine n'a provoqué aucune réaction à Washington. Au contraire, même l’administration dirigée par Barack Obama devait se raidir. Quant au président Donald Trump, il s'est toujours opposé à sauvetage public de Porto Rico. Pour ce président, il n'y avait rien à faire avec Porto Rico: «Porto Rico est l’un des lieux les plus corrompus au monde», a-t-il déclaré!  Donald Trump aurait même envisagé l'idée de vendre Porto Rico après que l'île eut été dévastée par l'ouragan Maria en septembre 2017. Selon le dernier bilan officiel, près de 3000 personnes auraient trouvé la mort à l'automne 2017 après le passage de l'ouragan de catégorie 5.

En 2016, le territoire croulait sous un endettement de quelque 70 milliards de dollars et avait plusieurs fois manqué d'honorer des paiements. En juillet de la même année, l'île, qui ne pouvait se mettre sous la protection de la loi sur les faillites comme les villes américaines, n'avait pas pu rembourser une échéance de deux milliards de dollars. Le 3 mai 2017, le gouverneur de Porto Rico demandait à ce que le territoire américain soit déclaré en situation de faillite, afin de pouvoir restructurer sa lourde dette de plus de 70 milliards de dollars. C'est la plus grande faillite jamais annoncée par une collectivité locale aux États-Unis.

De plus, près de la moitié des habitants (45 %) de l'île se situent sous le seuil de pauvreté, tandis que les gens les plus instruits fuient le pays pour rejoindre les États-Unis. De fait, près de 500 000 personnes ont quitté leur pays pour les États-Unis en dix ans. Dans l'espoir d'économiser des dizaines de millions de dollars, Porto Rico a annoncé la fermeture de 184 écoles publiques. Longtemps considéré comme un modèle de réussite pour le reste des Caraïbes, Porto Rico a sombré dans le cauchemar après les années 2000, lorsque Washington lui a supprimé d'immenses avantages fiscaux. Depuis, le territoire n'est jamais sorti de la récession. Dans ces conditions, les questions linguistiques n'ont plus beaucoup d'intérêt, et ce, d'autant plus que l'île a été dévastée par l'ouragan Maria en octobre 2017. Après une grave crise économique, le territoire de Porto Rico vécut ensuite le pire désastre naturel de son histoire.

Le 26 janvier 2017, le Sénat de Porto Rico, contrôlé par le Nouveau Parti progressiste votait une loi approuvant le référendum pour que Porto Rico devienne un État des États-Unis. Le statut d'État américain remporta une écrasante majorité des suffrages avec 97 % des votants ayant choisi cette option. Toutefois, la participation fut très faible, avec moins de 23% des inscrits ayant voté, à la suite d'un appel au boycottage du scrutin par une partie de la classe politique portoricaine.

Le 3 novembre 2020, un autre référendum non contraignant sur le statut de Porto Rico eut lieu afin de déterminer si l'archipel voulait devenir un État américain ou continuer d'être un État libre associé des États-Unis. L'accession au statut d'État fut approuvée par un peu plus de 52 % des votants, pour une participation de près de 55 %. Le référendum n'.tait cependant que consultatif, le Congrès des États-Unis détenant seul le pouvoir de faire du territoire un État à part entière, par un vote à la majorité simple de chacune des deux Chambres. De plus, croulant sous 70 milliards de dettes, l’île de Porto Rico risque d’avoir du mal à convaincre Washington d’ajouter une étoile au drapeau des États-Unis.

En somme, si le statut de membre en règle de l’Union américaine semble inaccessible, bien que l’actuel statut d’«État libre associé» mécontente de plus en plus de monde, les options envisageables sont devenues extrêmement réduites. En réaction, pour la première fois depuis plus d'un siècle sur l'île, un mouvement prônant la réunification de Porto Rico avec l'Espagne a même vu le jour.

4 La politique linguistique portoricaine

Contrairement aux collectivités territoriales françaises comme la Guadeloupe ou la Nouvelle-Calédonie, Porto Rico possède les attributs externes d'un État souverain avec un parlement, un sénat, un pouvoir exécutif, une fonction publique, etc. Néanmoins, le pouvoir final reste entre le mains du Congrès fédéral américain, qui a le droit d’adopter des lois applicables à Porto Rico, même si les habitants du pays n´ont pas le droit d'élire des députés à Washington et ne votent pas pour le président des États-Unis.

Rappelons aussi que la Constitution portoricaine de 1952 ne fait qu'une allusion à la question linguistique lors de l'élection comme député ou comme sénateur à l'Assemblée législative:

Article III

Qualifications des membres de l'Assemblée législative

Paragraphe 5

Nul ne peut être membre de l'Assemblée législative à moins qu'il ne sache lire et écrire dans l'une des deux langues, l'espagnol ou l'anglais; ou qu'il ne soit citoyen des États-Unis et de Porto Rico et n'ait résidé à Porto Rico au moins durant les deux années précédentes à partir de la date de l'élection ou de la nomination. Ne pourront pas non plus être membres du Sénat ceux qui ne n'ont pas atteint l'âge de trente ans, ni ne pourront être membres de la Chambre des représentants ceux qui n'ont pas atteint l'âge de vingt-cinq ans.

4.1  Un survol des lois linguistiques

La législation portoricaine paraît développée au plan linguistique et semble aller en dents de scie, avec des hauts et des bas, des retours en arrière, etc. Son historique semble quelque peu mouvementé, avec quatre lois entre 1902 et 2015, ce qui démontre que la question linguistique a toujours été d'actualité au Porto Rico.

- La loi de 1902 : usage indistinct de l'anglais et de l'espagnol

La Loi sur les langues officielles de 1902 présente une grande valeur historique, car ce fut non seulement la première loi linguistique de Porto Rico, mais également l'une des premières lois du genre dans toute l'Amérique latine. Cette loi autorisait le gouvernement et les administrations locales à employer indistinctement l'anglais et l'espagnol :

Article 51

Tous les départements du gouvernement de l'État, dans tous les départements de cette île et dans toutes les administrations publiques, les langues anglaise et espagnole doivent être employées indistinctement; et, quand c'est nécessaire, des traductions et des interprétations doivent être faites de façon à comprendre toute procédure ou communication dans ces langues.

Juridiquement parlant, cette loi de 1902 ne déclarait pas les deux langues comme officielles. Même le titre de la loi "Ley de los Idiomas Oficiales", fut ajouté quelques décennies plus tard et approuvé par la Cour suprême en 1965 dans l'affaire Pueblo v. Tribunal Superior, 92 DPR 596. La loi de 1902 ressemblait davantage une façon de présenter une façade politique à l'intention du gouvernement des États-Unis qu'une réalité sociologique. La loi fut promulguée au milieu de la période coloniale américaine; elle se conformait à cette réalité en établissait la co-officialité de l'anglais et de l'espagnol comme langues portoricaines. Aujourd'hui, une telle «petite» loi de plus de 200 mots, paraitraît sans conséquence, car elle demeurait extrêmement vague, tant elle ne codifiait à peu près rien. Malgré un grand nombre de tentatives pour révoquer la loi de 1902, elle ne  fut abrogée qu'en 1991 par la loi n° 4.

- La loi de 1991 : l'unilinguisme espagnol

En 1991, le Parti populaire démocratique (Partido Popular Democratico), qui s'opposait à l’intégration de Porto Rico aux États-Unis, fit adopter la Loi sur la langue officielle n° 4, ce qui abolissait la loi de 1902, laquelle proclamait l'anglais et l'espagnol comme emploi indistinct, pour ne conserver que l'espagnol comme langue officielle. Rafael Hernández Colón, président du Parti démocratique populaire, défendait le maintien du statut de Porto Rico en tant qu'État libre associé e Porto Rico contre les partisans de la conversion de l'île en 51e État de l'Union et de la minorité indépendante.

Article 1er

Il est déclaré et reconnu que l'espagnol est la langue officielle de Porto Rico devant être utilisée dans tous les départements, subdivisions politiques, agences, bureaux et dépendances gouvernementales des services exécutif, législatif et judiciaire de l'État libre associé de Porto Rico.

L'adoption de la Loi sur la langue officielle n° 4 abolissant le caractère officiel de l'anglais et proclamant l'unilinguisme espagnol a valu «au peuple de Porto Rico» le prix du Prince des Asturies accordé par l'Espagne en reconnaissance de sa lutte pour l'espagnol. Néanmoins, la loi n'interdisait pas l'usage de l'anglais, mais elle obligeait les instances gouvernementales à employer l'espagnol. Finalement, la loi n° 4 du 5 avril 1991 fut elle-même abrogée dès janvier 1993, soit après l'élection du parti en faveur de l’intégration complète aux États-Unis.

- La loi de 1993 : deux langues officielles

Après avoir pris le pouvoir, le Nouveau Parti progressiste (Partido Nuovo Progresista), qui était en faveur de l'obtention du statut d'«État américain», avait promis de révoquer la loi de 1991 sur la langue officielle. Pour ces Portoricains pro-américains, la loi de 1991 n'avait pas répondu aux attentes du peuple portoricain. C'est pourquoi le nouveau gouvernement fit adopter la Loi établissant l'espagnol et l'anglais comme langues officielles, n° 1 du 28 janvier 1993, qui rétablissait le bilinguisme officiel à Porto Rico. Cette loi reprenait les dispositions de la loi de 1902. Quoi qu'il en soit, les lois de 1902, de 1991 et de 1993, toutes très courtes, n'ont jamais rien changé au point de vue sociologique. Il s'agissait toujours d'une façon de se rapprocher ou de s'éloigner symboliquement des États-Unis.

Article 1er

L'espagnol et l'anglais sont reconnus comme les langues officielles du gouvernement de Porto Rico. Toutes les deux pourront être utilisés, indistinctement, dans tous les départements, toutes les municipalités ou toute autre sous-division politique, agence, corporation publique, tout bureau et toute dépendance gouvernementale des services exécutif, législatif et judiciaire de l'État libre associé de Porto Rico, conformément aux dispositions prévues dans la présente loi ou dans une loi particulière.

Cependant, cette loi fut elle-même abrogée en 2015.

- La loi de 2015 : la hiérarchie entre les langues officielles

En septembre 2015, le Sénat de Porto Rico approuvait un projet de loi qui déclare l'espagnol comme première langue officielle de l'île et reléguait l'anglais à une seconde langue. Le projet de loi n° 1177 avait déjà été présenté en août 2014 par Antonio Fas Alzamora, ancien président du Parti démocratique populaire. Voici comment se présente l'article 1er de la Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle :

Article 1er

L’espagnol est déclaré la première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle du gouvernement de l’État libre associé de Porto Rico et il sera utilisé dans cette hiérarchie dans les branches exécutive, législative et judiciaire de l’État libre associé de Porto Rico.

Pour une certaine période de temps, c'est donc cette loi qui demeure en vigueur.  Il faut s'attendre à une nouvelle loi lorsque le parti au pouvoir sera remplacé!

4.2 Les langues de la législation

L'Assemblée législative de Porto Rico (en espagnol: Asamblea Legislativa de Puerto Rico) est la branche législative de l'Estado Libre Asociado de Puerto Rico. C'est un système bicaméral, composé de la Chambre des représentants et du Sénat. La structure et les responsabilités de l'Assemblée sont définies à l'article III de la Constitution de Porto Rico. La section 7 impose une représentation pour les partis politiques minoritaires.

Même avant la loi de 1991 sur la langue officielle, l'unilinguisme était devenu un fait accompli. Ainsi, depuis plusieurs décennies, au parlement de San Juan, la capitale, les débats ne se déroulent qu'en espagnol et les lois ne sont rédigées et promulguées que dans cette langue; les seuls textes anglais sont ceux qui ont été adoptés lors de l'occupation américaine ou qui ont été copiés des textes américains, bien qu’ils aient été également traduits en espagnol. Cela dit, la plupart des lois portoricaines sont généralement traduites en anglais.

Le domaine législatif n'a subi que fort peu l'influence de la langue anglaise. Ainsi, on constate l'emploi de l'anglicisme "Speaker" à la Chambre des représentants («el Speaker de la Cámara de Representantes»). Mais à l'exception des textes journalistiques ce mot ne parvient presque jamais dans la langue écrite, qui préfère "presidente" («président») ou encore ''portavoz'' («porte-parole»). Au Parlement fédéral du Canada, l'appellation "Mr Speaker" dans le même contexte s'est longtemps traduit malencontreusement par «Monsieur l'Orateur» avant d'en arriver à «Monsieur le Président»; quand il y a eu une femme à la présidence, ce fut «Madame la Présidente».

4.3 Les langues de la justice

Les tribunaux ne se déroulent en principe qu'en espagnol dans les instances portoricaines et uniquement en anglais dans les cours de juridiction fédérale américaine avec, dans les deux cas, des traducteurs lorsque les parties ou les témoins ne connaissent pas la langue employée. La Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle (2015) ne mentionne pas la langue à employer dans les tribunaux, mais l'article 5 prévoit effectivement la possibilité des traducteurs en cas de nécessité:

Article 5

Les départements, les municipalités, les agences, les sociétés ouvertes, les bureaux et les unités gouvernementales des branches exécutive, législative et judiciaire de l’État libre associé de Porto Rico sont habilités à avoir recours à des interprètes et à des traducteurs compétents pour appliquer les dispositions de la présente loi.

Dans les faits, l’espagnol a toujours été reconnu comme la seule langue officielle des tribunaux portoricains. Les plaidoyers devaient normalement être formulés en espagnol, alors que les documents en anglais devaient être traduits dans cette même langue. Mais cette obligation imposée par les tribunaux a été souvent ignorée.

Puis, le 29 décembre 2009, le Nouveau Parti progressiste, favorable à l'annexion aux USA en tant que 51e État, a modifié le texte du Code de procédure civile afin d'autoriser que les plaidoyers, les motions et les documents soient rédigés aussi bien en anglais qu’en espagnol. Voici cet article 8.7:

Règle 8.7

Langue

Les plaidoyers, les requêtes et les motions doivent
être formulés en anglais ou en espagnol. Ces documents doivent soutenir une partie ou toute autre personne ne connaissant pas l'espagnol ou l'anglais, peuvent être rédigés dans la langue vernaculaire de cette partie ou de cette personne, à la condition qu'ils soient accompagnés par des copies nécessaires en anglais ou en espagnol. Il n'est ni nécessaire ni obligatoire de présenter une traduction des documents rédigés en anglais
. Toutefois, dans le cas où la justice le requiert ou lorsque la traduction des documents est indispensable pour un traitement équitable ou lorsque l'une des parties en fait la demande, le tribunal doit ordonner que les plaidoyers, les motions ou les documents demandés soient traduits.

En vigueur depuis le 1er juillet 2010, la nouvelle réglementation précise donc que, lorsque la justice le requiert ou lorsque la traduction des documents est absolument nécessaire pour le traitement équitable de la cause ou lorsque l’une des parties le réclame, le tribunal doit ordonner la traduction des plaidoyers, des motions et des documents. La loi semble dorénavant signifier que les tribunaux portoricains sont effectivement bilingues, ce qui n'est pas le cas. En effet, la plupart des greffiers et des avocats, pour ne nommer que ceux-là, ne maîtrisent pas l’anglais, ce qui peut entraîner de sérieuses difficultés administratives.

En 1965, la Cour suprême de Porto Rico dans Pueblo c. Tribunal Superior, 92 D.P.R. 596, avait statué que la langue employée dans une procédure judiciaire devait être l'espagnol:

El factor determinante en cuanto al idioma a emplearse en los procedimientos judiciales seguidos en los tribunales del Estado Libre Asociado de Puerto Rico no surge de la Ley de 1902 […]: surge del hecho de que el medio de expresión de nuestro pueblo es el español, y esa es una realidad que no puede ser cambiada por ninguna ley. La Ley de 1902 sólo puede tener alcance directivo. […]. Siendo el español el idioma de los puertorriqueños, los procedimientos judiciales en nuestros tribunales deben seguirse en español. Le facteur déterminant au sujet du choix de la langue à employer dans la procédure judiciaire des tribunaux du territoire de l'État libre associé de Porto Rico ne se rattache pas à la loi linguistique du 21 février 1902 [...] : il provient du fait que le mode d'expression de notre peuple est l'espagnol, et qu'aucune loi ne pourra jamais modifier cette réalité. La loi de 1902 ne peut servir de cadre de gestion. […] L'espagnol sera toujours la langue des Portoricains, la procédure judiciaire dans nos tribunaux doit se poursuivre en espagnol.

L'emploi de l'appellation «Cour suprême» (''la Corte Suprema'') provient de l'anglais "Supreme Court". En Espagne, on utilise l'expression "Tribunal Constitucional" («Tribunal constitutionnel») ou dans d'autres pays latino-américains "Tribunal Superior". Malgré la nouvelle réglementation du Code de procédure civile de 2009, l'arrêt de la Cour suprême de 1965 exige toujours que les plaidoyers soient en espagnol et que les examens du barreau se déroulent en espagnol. Les notaires ont encore la possibilité de rédiger des documents en anglais ou dans les deux langues, surtout si les documents sont destinés au marché américain.

Cependant, le Tribunal fédéral de district de Porto Rico ("Tribunal de Distrito Federal of Puerto Rico") continue d'employer l’anglais comme langue d'usage. Cette situation, pourtant critiquée ouvertement, peut entraîner des procédures saugrenues du fait que les avocats, les jurés, les juges, les témoins, etc., ont généralement l'espagnol comme langue maternelle. Il faut quand même traduire tous les plaidoyers et tous les documents en anglais pour se conformer à la loi, alors que c'est normalement tout à fait inutile, ce qui suppose des coûts de traduction importants. Bien souvent, un accusé portoricain ne comprend strictement rien à la procédure, ce qui revient à lui nier le droit à un procès équitable. C'est pourquoi de nombreux juristes n'hésitent pas à affirmer que l'usage de l'anglais au Tribunal fédéral de district contrevient à la législation portoricaine.

4.4 Les services publics

Les services publics sont assurés par le gouvernement de Porto Rico; en espagnol: Gobierno de Puerto Rico.

La structure administrative de Porto Rico est calquée sur celle des États-Unis avec ce que cela signifie comme emprunts à l'anglais. Le pouvoir exécutif est constitué d'un gouverneur (gobernador < ''governor'') et de son cabinet (gabinete < ''cabinet''). À son tour, le cabinet comprend des secrétaires (secretarios < ''secretaries''). Chaque secrétaire est responsable d'un Département (Departamento < ''Department'').

L'Exécutif comprend également une série d'agences publiques (agencias públicas < ''public agencies''), d'autorités (autoridades < ''authorities'') —  Autorité des aqueducs et égouts (''Autoridad de Acueductos y Alcantarillados'') —, de corporations (corporaciones < ''corporations'') — Corporation pour le développement rural (''Corporación para el Desarrollo Rural'') —, de services (servicios < ''services'') — Service de pompiers (''Servicio de Bombero'') — et de programmes (programas < ''programs'') — Programme de liberté de parole (''Programa de libertad bajo palabra''). Tous ces bureaux sont composés de divisions (divisiones < ''divisions'') — Division de la conservation de l'équipement (''División de Conservación de Equipo'') — et de secteurs (áreas < ''areas'') —  Secteur des services au consommateur (''Área de Servicios al Consumidor'').

- Les services publics

Les services publics portoricains sont en principe unilingues espagnols. L'article 2 de la Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle (2015) impose l'usage de l'espagnol, sauf dans les cas prévus par la loi:

Article 2

Tous les documents officiels de l’État libre associé de Porto Rico, de ses départements, ses municipalités, ses agences, ses sociétés publiques, ses bureaux et ses unités gouvernementales des branches exécutive, législative et judiciaire de l’État libre associé de Porto Rico,
seront publiés en espagnol.

Par défaut, la langue anglaise pourra être employée lorsque cela est nécessaire, indispensable ou plus pratique, dans tous documents ou communications avec des personnes, des entités privées ou gouvernementales, nationales, fédérales ou internationales, dont le contenu est technique, professionnel, commercial, industriel ou éducatif, y compris entre autres: les rapports de vérification, les propositions, les requêtes et les documents complémentaires pour l'obtention et la gestion de fonds et/ou de programmes de bourses et à d'autres fins fédérales et étrangères; les campagnes publicitaires destinées à un public international, les documents contenant des informations économiques publiées sur le marché financier; les négociations, les transactions et les documents à caractère commercial et juridique; les revalidations, les modèles, les formulaires, les instructions et/ou les règlements spécialisés et techniques lorsque, en raison de la nature du sujet qui régit ladite communication ou ledit document, ou du fait du public auquel il est adressé, il est d'usage personnalisé, nécessaire, pratique et indispensable que ce soit rédigé en anglais.

- Les pénalités

L'article 9 de la Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle prévoit une amende de 1500$ pour tout fonctionnaire qui contrevient aux dispositions de la loi.

Article 9

1)
Tout fonctionnaire qui ne se conforme pas aux dispositions de la présente loi est tenu de payer
une amende de 1500 $ à ses frais.

2) Si l'infraction persiste pendant une période égale ou supérieure à 60 jours, une deuxième amende de 3000 dollars sera prononcée. Si l'infraction persiste pendant une période égale ou supérieure à 90 jours, une amende de 10 000 dollars sera prononcée. Ce dernier montant sera renouvelé tous les six mois, tant que perdurera l'Infraction de la présente loi. Les fonds prélevés sur ces amendes entreront dans le Fonds général du gouvernement de l’État libre associé de Porto Rico.

- L'emploi de l'anglais

En fait, l'anglais n'est employé que pour communiquer avec l'administration fédérale américaine, étant donné que seulement le tiers de la population peut s'exprimer couramment en anglais. L'article 4 de la loi précédente oblige les cadres de l'État à se conformer à la loi:

Article 4

Tous les cadres des divers départements, des municipalités ou d'autres subdivisions politiques, des agences, des entreprises publiques, des bureaux et des dépendances gouvernementales des branches exécutive, législative et judiciaire de l'État libre associé de Porto Rico sont habilités et tenus de promulguer toutes les réglementations jugées nécessaires et pratiques, ainsi que de fournir les installations, les ressources et le personnel nécessaires pour se conformer fidèlement aux dispositions de la présente loi.

Il existe même une loi (loi 107 du 28 août 1997) ordonnant aux secrétaires du Département du transport et des travaux publics, du Département de la santé et du Département de l'éducation de modifier leurs règlements pour que les permis de conduire et les autorisations de mariage soient envoyés dans les deux langues officielles:

Article 1er

Il est ordonné aux secrétaires du Département du transport et des travaux publics, du Département de la santé et du Département de l'éducation que les règlements soient modifiés afin que les permis de conduire, les permis de mariage, les divers certificats de qualification professionnelle que fait parvenir le Département de l'éducation, entre autres, aux directeurs et aux enseignants, soient envoyés dans les deux langues officielles du gouvernement de l'État libre associé de Porto Rico.

Une étude de López Morales, réalisée en 2001, révélait que les bureaux du gouvernement rédigeaient leur documentation interne (permis, correspondances, etc.) majoritairement en espagnol; ces documents étaient produits en anglais dans une proportion inférieure à 10 %. Toutefois, dans certains documents, notamment ceux provenant directement des États-Unis, étaient exclusivement en anglais. C'est le cas, par exemple, des organismes publics qui sont en relation plus étroite avec l'Amérique du Nord: ''Banco Gubernamental de Fomento'' (la Banque de développement gouvernemental), ''Compañía de Fomento Económico'' (la Compagnie de développement économique), ''Oficina de Exención Contributiva'' (l'Office d'exemption contributive), ''Acueductos'' (les Aqueducs), ''Energía Eléctrica y Turismo'' (Énergie électrique et Tourisme).

Par ailleurs, certains postes dans la fonction publique exigent une grande maîtrise de l'anglais, notamment ceux qui concernent les postes techniques, étant donné les communications continuelles avec les États-Unis. Présentement, selon l'étude de López Morales, 45,7 % des offres d'emploi nécessitent comme condition indispensable une bonne maîtrise de l'anglais.

Dans l'entreprise privée, la situation semble différente, puisque beaucoup d'entre elles sont américaines ou font partie de grandes firmes  internationales qui, partout dans le monde, emploient l'anglais. Dans la courte période où l'espagnol a été proclamé la seule langue officielle, toutes ces compagnies ont énormément sollicité des exemptions linguistiques qui leur permettaient d'employer l'anglais dans leurs transactions avec des organismes publics. Quant au gouvernement fédéral américain, il emploie généralement l'anglais et l'espagnol dans ses relations avec le public.

- L'emploi des deux langues

En 2008, le Tribunal fédéral de district a rendu une décision imposant l’emploi de l’anglais sur les bulletins de vote; le Tribunal s'est basé sur la Loi sur le droit de vote (Voting Rights Act) des États-Unis, laquelle exige l’emploi de bulletins bilingues lorsque 5 % de la population parle une autre langue que l'anglais. Évidemment, ce pourcentage de 5 % n'existe pas à Porto Rico, comme l'a démontré le recensement officiel. À cette époque, le parti au pouvoir, le Nouveau Parti progressif, a aussitôt modifié la Loi électorale de 1977 en faisant adopter la Loi n° 90 du 7 septembre 2009, afin de s’assurer que tous les bulletins de vote soient publiés en espagnol et en anglais. La nouvelle loi vise à reconnaître, protéger et garantir le droit au suffrage universel de tous les citoyens qui ne maîtrisent que l'anglais, et non pas l'espagnol. En ce sens, la loi de 2009 considère les anglophones (2,2 %) comme une minorité nationale de langue officielle.

La Loi déclarant l’espagnol comme première langue officielle et l’anglais comme seconde langue officielle de 2015 est venue préciser le statut des deux langues officielles, l'espagnol étant la première, l'anglais la seconde, ce qui suppose une hiérarchie. L'article 3 de cette loi autorise l'usage de l'anglais dans l'affichage à la condition que l'espagnol soit d'abord  présent:

Article 3

Dans le cas de l'affichage des véhicules à moteur, des voies publiques, des panneaux de signalisation, des bâtiments publics et d'autres installations de l'État et du gouvernement municipal, l'espagnol doit être employé. La langue anglaise peut être employée à ces fins
à la condition qu'elle soit d'abord accompagnée de la langue espagnole.

Article 8

Les documents accordés ou émis avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi ne seront pas soumis aux dispositions de celle-ci. L'affichage des véhicules à moteur, des voies publiques, des feux de signalisation, des bâtiments publics et d'autres installations de l'État et du gouvernement municipal devra se conformer aux dispositions de la présente loi
dans un délai ne dépassant pas 15 mois à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

- L'affichage public et commercial

Quant aux inscriptions sur les édifices publics, gouvernementaux (portoricains) ou municipaux, construits après la seconde moitié du XXe siècle, elles n'apparaissent qu'en espagnol. Les édifices du gouvernement fédéral américain, pour leur part, utilisent parfois des inscriptions bilingues, mais le plus souvent elles sont unilingues anglaises.

Les inscriptions toponymiques et odonymiques (rues) sont unilingues espagnoles, mais le patronyme est parfois un mot anglais (p. ex., Avenida Roosevelt).

La signalisation routière est également unilingue espagnole, rarement bilingue: Exit/Salida, No Entre, Pare, Velocidad maxima, Transito, Zona de peligro/Danger zone.

Les entreprises privées font comme bon leur semble. On y trouve de l'unilinguisme anglais, de l'unilinguisme espagnol, et très peu de bilinguisme. La publicité commerciale est massivement unilingue espagnole, de même que les enseignes des magasins. Toutefois, entre 20 % et 30 % des raisons sociales font usage de noms anglais ou mixtes, et ce, même si toutes les autres inscriptions demeurent unilingues espagnoles. L'affichage commercial est généralement en espagnol, mais la plupart des entreprises américaines installées sur l'île ont des enseignes unilingues anglaises.

La législation portoricaine ne dispose d'aucune loi ni d'aucun règlement imposant l’emploi de l’espagnol dans les réclames publicitaires ou dans l'affichage commercial.

- Les emballages et l'étiquetage

La seule réglementation portoricaine qui prescrit une obligation linguistique concerne l'emballage et l'étiquetage des produits alimentaires. Ainsi, l'article 14 du Règlement sur l'emballage (1988) précise que les emballages doivent correspondre à des normes de qualité pour certains produits alimentaires, et que la version espagnole du règlement prévaut sur la version anglaise.

Article 2

Objectifs

Le présent règlement accorde au consommateur des mécanismes adéquats pour inspecter l'état réel, l'adéquation et la qualité de certains produits alimentaires, afin qu'il puisse exercer efficacement son droit de sélectionner ces produits librement et intelligemment.

Article 14

Différences entre les textes

En cas de divergence entre le texte espagnol et le texte anglais du présent règlement, le texte espagnol prévaudra.

Le Règlement sur la qualité et la sécurité des produits pour l'usage et la consommation (1990) apparaît beaucoup plus intéressant à ce chapitre. En effet, l'article 6 du règlement oblige tout vendeur d'un produit défectueux ou endommagé d'avertir en espagnol le consommateur des défauts dudit produit:

Article 6

Interdictions particulières

1)
DATE D'EXPIRATION: La vente au consommateur d'un produit dont la date d'expiration est expirée est interdite. Le vendeur ne présentera ni ne tolérera qu'un tel produit soit mis en vente dans son établissement. La date qui apparaît sur le produit sera considérée comme une limite pour son usage ou sa consommation, sauf une indication contraire claire et lisible en espagnol au même endroit où la date apparaît. Cependant, le vendeur ne peut vendre au consommateur des produits dont la date d'expiration est expirée que s'ils respectent toutes les exigences suivantes:

i) il les place dans une affiche précise, étiquetée en espagnol d’une manière visible et clairement lisible, pour les produits dont la date d’expiration est expirée;
ii) il explique au consommateur les risques liés à l'acquisition d'un tel produit,
iii) il obtient le consentement intelligent et exprimé du consommateur.

2) DÉFAUTS DE FABRICATION: La vente au consommateur d'un produit présentant un défaut de fabrication est interdite sans avoir indiqué cette condition en espagnol dans chaque annonce, affiche et étiquette d'un tel produit, afin qu'il communique clairement au consommateur en quoi consiste un tel défaut.

3) PRODUITS DÉFECTUEUX OU ENDOMMAGÉS: La vente au consommateur d'un produit défectueux ou endommagé est interdite sans avoir indiqué en espagnol cette condition dans une annonce, une affiche ou une étiquette d'un tel produit afin que le consommateur soit clairement averti de cet état. Lorsque le produit défectueux ou endommagé représente un risque ou un danger pour la santé ou la sécurité du consommateur, le vendeur est obligé d'expliquer un tel risque ou danger, et le fait que le consommateur ait acheté à un prix inférieur ne dégage pas le vendeur de sa responsabilité s'il omet l'explication précitée.

4) PRODUITS UTILISÉS OU DÉTÉRIORÉS: La vente au consommateur d'un produit usagé ou détérioré est interdite sans avoir indiqué cette condition en espagnol dans toutes les annonces, les affiches et les étiquettes d'un tel produit afin que le consommateur soit clairement averti de cet état. Lorsque le produit utilisé ou endommagé représente un risque ou un danger pour la santé ou la sécurité du consommateur, le vendeur est obligé d'expliquer un tel risque ou danger, et le fait que le consommateur ait acheté à un prix inférieur ne dégage pas le vendeur de sa responsabilité
s'il omet l'explication précitée.

4.5 Les organismes linguistiques

Depuis 1955, il existe une Académie portoricaine de la langue espagnole (Academia Puertorriqueña de la Lengua Española) à Porto Rico, dont la mission est d'encourager l'emploi judicieux, la préservation et l'étude de l'espagnol dans le contexte de l'histoire culturelle du pays, depuis ses origines jusqu'à ses manifestations les plus récentes. En outre, il mène d’importantes recherches sur des sujets liés à la langue et dispose d’un vaste catalogue de publications. L’Académie est active dans l’édition de livres et de magazines. Il mène également des recherches. Le catalogue de publications de l’Académie est composé de livres sur divers sujets tels que des biographies, des grammaires et d’autres livres connexes sur la langue. En outre, ils publient les conférences que l’Académie réalise et les textes de la critique littéraire.

L’Académie portoricaine de la langue espagnole est une institution très importante pour Porto Rico, car dans cette île des Caraïbes il ya un processus de «transculturation», entre la langue espagnole et la langue anglaise. D’une part, il ya un grand secteur de la population qui renonce à son héritage hispanique dans la langue espagnole, en changeant son nom de la langue anglaise à la rue, les bâtiments publics et les organisations publiques.

Porto Rico a une réalité sociale, historique, politique et juridique très particulière dans sa relation avec l’anglais. En ce sens, l’Académie a une importance vitale dans la création d’un équilibre pour maintenir l’utilisation correcte de la langue espagnole.

Cette académie représente Porto Rico au niveau international parmi les académies hispaniques similaires, mais surtout à l'Association des académies de la langue espagnole (Asociación de Academias de la Lengua Española) qui compte plus d'une vingtaine d'académies (Chili, Colombie, Équateur, Mexique, etc.).

- L'Institut de la planification linguistique

Le 4 janvier 2021, l'Assemblée législative adoptait la Loi portant création l’Institut de la planification linguistique. La création de cet organisme, l'Instituto de Planificación Lingüística, découle d'une enquête menée par le Sénat de Porto Rico en 2001. Cette enquête démontrait qu'il y avait un besoin urgent d'assurer la pérennité et l'avenir de la langue espagnole, de faciliter et d'accélérer l'apprentissage de l'anglais et de renforcer la diversité linguistique. C'est pourquoi la création de l'Institut de la planification linguistique fut recommandée. Une loi fut donc adoptée, Loi portant création l’Institut de la planification linguistique, mais celle-ci n'a jamais été en vigueur, y compris l'affectation de sommes importantes, soit un million de dollars, alloués à cette fin. Les opposants craignaient que la langue espagnole, le renforcement de la culture et de l'éducation espagnoles constituent des obstacles à la recherche des intérêts économiques des Portoricains. C'est pourquoi la loi n° 138 de 2002 fut finalement abrogée en raison de l'avis de l'Académie portoricaine de la langue espagnole qui reconnaissait que la politique de l'Exécutif et la crise budgétaire affectant Porto Rico ne favorisaient certainement pas la création de nouvelles entités publiques. En février 2015, le sénateur Antonio J. Fas Alzamora proposa de rétablir l'Institut de la planification linguistique. Il a fallu attendre le mois de janvier 2021. La mesure déposée attribue un million de dollars à l'IPL. La version de 2002 est similaire à celle de 2021.

Le libellé de l'article 1er de la Loi portant création l’Institut de la planification linguistique (2021) est le suivant::

Article 1er

1)
L’Institut de planification linguistique de l’État libre associé de Porto Rico, ci-après «l’Institut», est créé en tant qu’entité corporative autonome, qui sera l’organisme responsable de l’élaboration d’une politique linguistique afin de répondre aux besoins sociaux, politiques, économiques et culturels de l’île. L’Institut sera
responsable de la création de projets linguistiques appliqués qui contribueront à l’établissement de lignes directrices pédagogiques et de nouvelles méthodologies. En outre, l'Institut recueillera constamment des données sur l’enseignement des langues, en particulier l’espagnol et l’anglais.

2) Il sera de la mission et de la responsabilité de l’Institut de protéger et de soutenir l’usage de la langue espagnole, de faciliter et d'accélérer l’apprentissage de l’anglais et d'améliorer la maîtrise d’autres langues, principalement le français et le portugais en tant que langues qui sont également parlées dans les localités proches de l’environnement géographique de Porto Rico. En ce qui concerne l’enseignement de l’espagnol, car c’est la langue parlée par le secteur majoritaire de la population et celle qui, pour son usage répandu, a contribué à renforcer l’unité du pays, l’Institut aura l’obligation de structurer les mesures nécessaires pour que l’espagnol soit la langue qui sert de véhicule à toute gestion du gouvernement interne et à la communication officielle entre le gouvernement et le peuple.

L'Institut aurait la mission et la responsabilité de protéger et de maintenir l'usage de la langue espagnole, de faciliter et d'accélérer l'apprentissage de l'anglais et de promouvoir l'apprentissage d'autres langues, principalement le français et le portugais, qui sont également parlées dans les nations caribéennes voisines de Puerto. Rico. En ce qui concerne l'enseignement de l'espagnol, comme c'est la langue parlée par la majorité de la population, l'Institut aura l'obligation de structurer les mesures nécessaires afin que l'espagnol soit la langue qui serve de véhicule pour effectuer toute la gestion interne du gouvernement et pour la communication officielle entre le gouvernement et la population.

4.6 L’éducation

C'est le Departamento de Instrucción Pública (Département de l'instruction publique) qui gère l'éducation à Porto Rico. Dans les écoles, l'espagnol reste la seule langue d'enseignement, mais l'anglais est obligatoire comme langue seconde dès le primaire, et ce, jusqu'à la fin du secondaire. La législation n'est pas très volumineuse sur la question linguistique. L'article 5.06 de la Loi organique du Département de l'instruction publique (1999) énonçait que «l'enseignement est offert en espagnol et/ou en anglais dans les écoles» :

Article 1.02 (abrogé)

Déclaration des objectifs

c)
La gestion pédagogique de l’école doit répondre aux objectifs que la Constitution et la présente loi prévoient pour le système d’éducation publique de Porto Rico. À cette fin, l’école doit aider ses élèves :

(3) à acquérir la maîtrise de la communication orale et écrite en espagnol et en anglais.

Article 3.03 (abrogé)

Pertinence des programmes d'études

Le programme d’études de l’école s’adaptera aux besoins et aux expériences de ses élèves. Les directeurs d’école, les enseignants et les conseils scolaires veilleront à ce que les cours que l’école enseigne :

f) permettre aux élèves d’élargir leur vocabulaire et de développer les compétences de la communication orale et écrite en espagnol et en anglais.

Article 5.06 (abrogé)

Langue d'enseignement

L'enseignement est offert en espagnol et/ou en anglais dans les écoles du système d'éducation.

Cependant, cette loi a été abrogée en 2018 et remplacée par la loi n° 85-2018: Loi n° 85 sur la réforme de l’éducation de Porto Rico.

L'article 3 de la Charte des droits des étudiants de Porto Rico (2012) reconnaît que tout étudiant a le droit de recevoir une éducation bilingue:

Article 3

Les droits généraux des étudiants

Tous ont le droit de recevoir une instruction. L’éducation offerte par l’État sera gratuite pour les élèves du système d’enseignement public. L’enseignement primaire et secondaire sera obligatoire. Tous les étudiants seront assurés d’une protection égale des lois et des droits qui leur sont accordés par la Constitution des États-Unis, les lois fédérales, la Constitution de Porto Rico, et toutes les autres lois, règlements et ordonnances applicables. Les étudiants ont, sans s’y limiter, les droits suivants :

5. L’étudiant a le droit de recevoir une éducation bilingue, dans laquelle on lui apprend à communiquer couramment dans au moins les deux langues officielles de Porto Rico, l’anglais et l’espagnol.

Mais c'est la Loi n° 85 sur la réforme de l’éducation de Porto Rico (2018) qui remplace la Loi organique de 1999. Bien que les cours doivent être donnés en espagnol, les écoles doivent faire en sorte que les élèves parviennent à maîtriser l'espagnol et l'anglais:

Article 1.02

Énoncé de la politique publique

e) La gestion pédagogique de l’école doit répondre aux objectifs que la Constitution et la présente loi guident pour le système d’éducation publique de Porto Rico. À cet effet, l’école doit poursuivre le développement de l’élève  :

3. La maîtrise de la communication orale et écrite en espagnol et en anglais pour obtenir des étudiants véritablement bilingues. En outre, le développement d’autres langues dont la maîtrise devrait être essentielle dans un proche avenir.

Article 9.01

Les droits des étudiants

Les étudiants doivent être guidés vers le développement de leur personnalité et formés pour être des individus compétents, sensibles et autodidactes
; ils doivent être attachés au bien commun, au maintien et à la défense des principes et valeurs humains que toute société juste et démocratique doit promouvoir. Le but est de développer des pensées critiques avec une grande profondeur, des femmes et des hommes détachés et résilients, droits, authentiques et engagés dans le progrès et la durabilité d'une île qui en a besoin. Par conséquent, chaque élève des écoles du système éducatif public aux niveaux primaire et secondaire a les droits suivants :

a) Ne pas faire l'objet de discrimination en raison de la race, de la couleur, du sexe, de la naissance, de l'origine ou de la condition sociale, ou des idées politiques ou religieuses, conformément à l'article II, section 1 de la Constitution de Porto Rico.

e)
Recevoir une éducation bilingue, dans laquelle ils apprennent à communiquer couramment dans au moins les deux langues officielles de Porto Rico, l'anglais et l'espagnol. Les étudiants ou les immigrants qui apprennent l'espagnol comme langue seconde bénéficieront des aménagements inhérents à ce type d'apprentissage en fonction de leur niveau de communication des langues officielles. Ce qui précède ne doit en aucun cas être interprété comme une limitation pour les écoles de langues spécialisées.

Article 9,05

Pertinence des programmes d'études

Les programmes d’études de l’école doivent s’adapter aux besoins et aux expériences de ses élèves. Les directeurs d’école, les enseignants et les conseils professionnels veilleront à ce que les cours que l’école enseigne :

f) permettent aux élèves d’élargir leur vocabulaire et de développer les compétences de la communication orale et écrite, tant en espagnol qu’en anglais.

L'article 13.07 de la même loi précise, entre autres, que l’éducation offerte doit promouvoir l’enseignement bilingue en espagnol et en anglais:

Article 13.07

Charte constitutive

a) Chaque Charte accordée par les autorités doit refléter les modalités de l’application de l’entité pédagogique certifiée, telle qu’approuvée et conforme aux exigences suivantes :

1. Elle doit être signée par le secrétaire et le directeur général de l’entité pédagogique certifiée.

2. Elle doit prévoir que l’éducation offerte par l’entité pédagogique certifiée est publique, gratuite, non sectaire ou à domicile (ou non à domicile).

3. Elle doit établir que l’éducation offerte par l’entité pédagogique certifiée doit promouvoir l’enseignement bilingue en espagnol et en anglais, et donner la priorité à l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) ou des sciences, de la technologie, de l’ingénierie, des arts et des mathématiques (STEAM); elle doit également présenter un programme d’études dédié à la préparation de l’étudiant pour le travail et subir une évaluation dans ces termes, en plus de se conformer aux autres énoncés ci-après. Cette exigence n’est pas obligatoire, mais elle est recommandée pour les écoles ministérielles existantes, bien qu’elles devront démontrer leur capacité d’exécuter leurs programmes.

Dans les faits, la langue d'enseignement demeure uniquement l'espagnol, parfois même dans les cours d'anglais. Rappelons que, de 1902 à 1948, l'anglais avait été introduit de plus en plus comme langue d'enseignement dans les écoles publiques. Aujourd’hui, toutes les écoles publiques ont l’espagnol comme langue d’enseignement, mais l’anglais est enseigné comme langue seconde. Les Américains anglophones, qui ne veulent pas que leurs enfants fréquentent ces établissements, les envoient dans les écoles privées où la langue d’enseignement est uniquement l’anglais. Il existe de nombreuses écoles privées présentant différentes combinaisons possibles. Il y a des écoles où l'on enseigne uniquement en anglais avec une classe en espagnol, d'autres qui enseignent certaines matières en anglais ou en espagnol.

- L'enseignement de l'anglais

Dans toute l’île, l’accent est mis sur le renforcement de l’enseignement de l'anglais langue seconde. Le gouvernement souhaiterait que tous les Portoricains deviennent bilingues. Le ministère de l’Éducation a fait de nombreux efforts pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage de l’anglais, notamment en assurant une meilleure qualité dans la formation des enseignants. Les résultats semblent mitigés dans la mesure où on estime que seulement 20 % des Portoricains sont en mesure de suivre une conversation normale en anglais.

L'enseignement de l'anglais fait face à de nombreux problèmes. D'abord, il y a une pénurie de professeurs d'anglais à Porto Rico, d'autant plus que beaucoup d'enseignants d'anglais ne maîtrisent que fort mal la langue qu'ils enseignement; dans un grand nombre d'écoles, les cours d'anglais sont même dispensés en espagnol. Dans la méthodologie, les textes utilisés pour enseigner l'anglais correspondent généralement à des documents destinés à l'enseignement de l'anglais langue maternelle, ce qui par conséquent présente des difficultés majeures en lecture et en compréhension, non seulement pour les élèves, mais aussi pour les enseignants qui ne maîtrisent pas très bien cette langue. De plus, l'enseignement de l'anglais semble être concentré sur l'étude de la grammaire plutôt que le développement des compétences en communication orale. Enfin, les élèves portoricains n'ont pas beaucoup la possibilité de pratiquer l'anglais en dehors de la salle de classe, car il n'ont pas d'anglophones à qui parler et pratiquer leur anglais.

En même temps, les exigences de l'ère de l'information rendent nécessaire d'apprendre d'autres langues, de préférence le français et portugais, étant donné la situation géographique de Porto Rico en Amérique latine. C'est pourquoi de nombreux enseignants demandent au gouvernement d'adopter une politique cohérente sur l'enseignement des langues à Porto Rico.

- Les universités

Les Portoricains ont accès à l’université. Plusieurs universités et facultés proposent des cycles d'enseignement supérieur, dont l'université de Porto Rico (bilingue), qui possède neuf campus et accueille plus de 45 000 étudiants. D'autres institutions, comme l'Université interaméricaine, l'Université catholique, l'Université centrale, l'Université mondiale et le Puerto Rico Junior Collège préparent aussi à des diplômes d'enseignement supérieur. Généralement, la connaissance de l’anglais est nécessaire pour accéder aux études supérieures et obtenir un diplôme universitaire à Porto Rico. D’ailleurs, l’espagnol et l’anglais constituent des matières obligatoires dans les universités.

Dans la plupart des universités (par exemple, à l’université de Porto Rico), les professeurs ont le choix de la langue d’enseignement. Il est admis que, de façon générale, les cours doivent être donnés en espagnol OU en anglais. Étant donné que la plus grande partie du corps professoral est hispanophone, l’espagnol dispose d’un avantage certain. Cependant, des professeurs invités, particulièrement ceux qui ont obtenu leur diplôme dans les universités américaines, préfèrent souvent employer l'anglais. On les trouve surtout en enseignant dans des disciplines comme les mathématiques, la physique, la chimie, les sciences de la mer, etc. Pour les étudiants de ces disciplines, la connaissance de l'anglais est donc indispensable. Pour les autres disciplines, il faut considérer néanmoins que beaucoup de manuels proviennent des États-Unis et sont rédigés en anglais.

Depuis que Porto Rico a été annexé par les États-Unis en 1898, l'anglais a laissé un grand impact linguistique et culturel, à la fois dans les aspects sociaux, commerciaux, professionnels et scolaires. Par exemple, à l'Université de Porto Rico, les diplômes sont rédigés en latin, comme c'est l'usage, mais comprennent des traductions officielles en espagnol et en anglais. Si un étudiant portoricain décide de postuler dans une université d'un pays espagnol ou anglophone, il n'a pas à engager des frais de traduction supplémentaires; il en va de même pour les notes. En principe, toute la documentation est rédigée en espagnol, mais il est possible de se faire donner gratuitement une version anglaise sur demande.

- Le bilan

Malheureusement, l'éducation se porte mal à Porto Rico. Les inscriptions scolaires ont fondu de 42 % depuis une trentaine d'années; un autre déclin de 22 % est attendu au cours des prochaines années. Selon une étude réalisée par le ministère de l'Éducation, environ 40 % des écoliers qui fréquentent l'école publique délaissent l'école en 10e année. Le gouvernement pense pouvoir imposer des amendes pouvant atteindre 5000 $US et des peines de prison allant jusqu'à 12 mois dans le but de faire chuter le taux de décrochage scolaire et d'absentéisme sur l'île. De plus, les parents d'enfants pris en défaut pourraient également voir leurs prestations d'aide sociale amputées. En raison de l'appauvrissement de la population, ce genre de mesures risque de ne jamais être appliqué.

4.7 Les médias

En ce qui a trait aux médias écrits, on peut dresser le portrait qui suit. Porto Rico dispose de cinq quotidiens avec une circulation d'environ 650 000 exemplaires par jour (d'après le Business Register 2000), près de 500 000 en 1996, d'après le Europa World Yearbook 2000). Le plus grand de ces quotidiens est l’El Nuevo Dia, avec une diffusion de 198 251 exemplaires par jour et de 238 479 le dimanche. Viennent ensuite l’El Vocero et le Primera Hora, qui appartient au El Nuevo Dia (mais les quelques annonces fédérales sont en anglais) avec une diffusion de 86 221 du lundi au vendredi (et de 65 587 le samedi. L’El Vocero et le Primera Hora sont lus en général par des classes moins aisées, tandis que l’El Nuevo Dia est lu par les classes économiques supérieures.

Le quatrième quotidien est le San Juan Star, le seul à être publié en anglais et dont la diffusion est d'environ de 15 000 à 18 000 exemplaires, selon les informations publiées récemment. The San Juan Star a bien tenté d’augmenter son lectorat en publiant des éditions en espagnol dans la capitale, San Juan, ainsi que dans plusieurs régions, mais son succès est demeuré mitigé. Ce journal est lu surtout par un petit secteur de la population économiquement puissante et par ceux dont la langue maternelle est l'anglais, c’est-à-dire des Américains ou des Portoricains nés ou ayant vécu pour la plupart aux États-Unis.

Les journaux américains tels que The New York Times, The Wall Street Journal, The Washington Post, The Christian Science Monitor, etc., sont vendus également à Porto Rico, mais leur circulation reste très faible. On les trouve, particulièrement les deux premiers, dans les grandes bibliothèques et dans les centres administratifs, ainsi que dans les bureaux de quelques chefs d'entreprises. La présence la plus importante de la presse écrite américaine se trouve dans les périodiques (Time, Newsweek, etc.), bien que quelques-uns d’entre eux commencent à publier en espagnol. Le Caribbean Business est le seul hebdomadaire local publié pour les entreprises commerciales; il n'est pas gratuit et il est distribué en général par la poste.

Étant donné la présence d'un grand nombre d’immigrants en provenance de la République Dominicaine, on trouve également dans les quartiers des villes où ils résident des journaux dominicains. De plus, les Portoricains ont accès a des publications en espagnol par Internet et à des journaux d’Espagne tels que l’El Pais de Madrid.

Les hebdomadaires locaux (généralement gratuits), qui contiennent des informations d'intérêt régional et un bon nombre d'annonces commerciales, ont beaucoup augmenté leur diffusion ces dernières années. Leurs circulations est d'environ 100 000 exemplaires et parviennent dans les foyers des Portoricains dans une proportion d’environ 40 %.

Pour ce qui est des médias électroniques, on compte près de 120 stations de radio, ce qui est énorme sur un territoire de 9104 km². Cinq groupes dominent dont le plus important est le WKAQ (fondé en 1922), avec 7,6 % du marché. La musique rock (tant en anglais qu’en espagnol), les balades (surtout en espagnol) et les nouvelles (news radios) sont les types d’émission préférés. Il existe également une chaîne (radio et télévision) appartenant au gouvernement portoricain; cette chaîne, qui est spécialisée dans l’éducation et la programmation culturelle, ne semble pas avoir un impact très fort. L'Église catholique, ainsi que les Églises fondamentalistes protestantes et au moins trois universités, y compris le réseau de l'Université de Porto Rico, possèdent des chaînes de radio; l’une d’elles, la Fondation Ana G. Mendez, qui contrôle le quatrième groupe universitaire du pays, gère une station de télévision avec une programmation culturelle.

Les chaînes de télévision privées (en VHF) ont des émetteurs plus puissants que les chaînes universitaires, religieuses (UHF) ou gouvernementales (VHF). On en compte quatre: WKAQ (du groupe Telemundo, qui contrôle la chaîne de radio la plus puissante), WAPA, la Chaîne 7 et la Chaîne 11. Leur programmation est variée et inclut en matinée des émissions pour enfants, des «talk shows» (très tôt le matin et en fin de journée), des événements sportifs, des feuilletons en espagnol (souvent produits en Colombie, au Venezuela, au Mexique ou au Brésil), des comédies ou des émissions de spectacles («variety shows»). La plupart des émissions sont des productions locales ou latino-américaines, mais certaines stations retransmettent des programmes américains doublés en espagnol. Environs 97 % des foyers portoricains possèdent un appareil de télévision.

La télévision par câble est relativement importante, notamment dans les milieux socio-économiques aisés. Environ 25 % de la population (280 000 foyers, d'après le Business Register 2000, a accès au câble distribué par quatre ou cinq groupes de télédistribution. Étant donné que l’île est très accidentée, sans câble la réception demeure souvent médiocre. La télévision câblée compte de 60 à 100 chaînes; la plupart sont américaines et en anglais, mais quelques-unes diffusent en espagnol: deux de la Radio Télévision Espagnole, CNN en espagnol, HBO en anglais et en espagnol, etc.

5 La politique linguistique américaine à Porto Rico

En 1997, la Chambre des représentants du 105e Congrès américain adoptait, par une marge d’une seule voix (209 à 208), le projet de loi H.R. 856 intitulé The United States-Puerto Rico Political Status Act. L’article 3 du projet de loi fédérale stipulait que l’anglais est la langue de communication entre les États-Unis et les États admis dans l’Union américaine. La Chambre des représentants a ainsi reconnu que l’espagnol et l’anglais étaient les langues officielles de Porto Rico depuis près de 100 ans, que l’anglais était la langue officielle des tribunaux fédéraux et de ses services judiciaires, et que, néanmoins, l’espagnol, plus que l’anglais, était la langue usuelle et prédominante de la majorité de la population de Porto Rico, et que le Congrès avait l’autorité de diffuser la langue anglaise dans «le Commonwealth de Porto Rico». Toutefois, le Sénat américain n’a pas entériné le projet de loi H.R. 856 qui, par conséquent, n’est jamais devenu une loi.

N'oublions que cette protection juridique (prudemment bilingue) dont s'est doté Porto Rico n'avait jamais été reconnue par les États-Unis jusqu’à présent. L’essai d’adoption du récent projet de loi de la Chambre des représentants américaine démontre que les Américains sont prêts à reconnaître le statut de l’espagnol, mais pourvu que cela ne nuise pas à l’anglais. En réalité, la politique linguistique américaine à l’égard de Porto Rico reconnaît l’usage de l’espagnol pour les affaires intérieures, mais dès que le gouvernement américain ou les instances judiciaires américaines sont en cause, seul l’anglais devient permis. Estimant que le statut d’État libre associé (ELA) constitue une formule bâtarde et coûteuse, certains élus du Congrès américain ont souhaité voir l’île adopter un nouveau statut.

Cependant, pour certains élus américains, un Porto Rico ainsi incorporé serait un «nouveau Québec», autrement dit l'incarnation d'un «multiculturalisme» inacceptable. Pourtant, la question de la langue ne semble pas poser de problème majeur au gouvernement américain. En effet, le président Clinton avait même déclaré en février 1998 (Le Nuevo Día, San Juan, 25 février 1998) qu'il serait «incorrect» de refuser l'intégration de Porto Rico pour des raisons liées à la langue ou à la culture. Néanmoins, beaucoup de Portoricains croient que, une fois Porto Rico reconnu comme État américain, le gouvernement des États-Unis imposerait plutôt l’anglais comme langue officielle, plutôt que de reconnaître officiellement l’île comme un État bilingue.

Bref, le paysage linguistique portoricain est espagnol. L'État libre associé de Porto Rico jouit d'une grande autonomie politique, culturelle et linguistique. Cette situation est accentuée par le caractère insulaire de Porto Rico et son relatif éloignement géographique des États-Unis. Le modèle portoricain démontre que l'autonomie politique et l'insularité assurent une protection naturelle à une langue en éliminant la cohabitation linguistique.

En comparaison avec les collectivités territoriales françaises, les régions autonomes d'Italie, et même de la plupart des communautés autonomes d'Espagne, la situation de Porto Rico apparaît plus enviable. Contrairement aux cas précités, Porto Rico n'est pas soumis à de fortes doses de bilinguisme institutionnel pour les affaires intérieures, ce qui lui assure des frontières linguistiques assez sécurisantes et quasi imperméables. C'est pourquoi les valses-hésitations des Portoricains concernant le statut de leur État comme «bilingue» ou «unilingue» semblent répondre davantage à un besoin d'un symbole identitaire qu'à une réalité sociologique. Il faudrait aussi que les partis politiques portoricains finissent par accorder leurs violons, car leurs valses-hésitations risquent de démotiver complètement leurs concitoyens avec cette perpétuelle question linguistique. 

Dernière mise à jour: 03 janv. 2024


 

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Les États non souverains

 

L'Amérique du Sud et les Antilles

 

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