L'île de Chypre

1) Situation générale

1 Situation géographique

Au carrefour de trois continents (Europe, Asie, Afrique), l'île de Chypre  (en grec: Kypros, en turc: Kibris, en anglais: Cyprus) est la troisième grande île de la Méditerranée après la Sicile et la Sardaigne. Chypre constitue un pays d’Europe, bien que, en réalité, l'île soit beaucoup plus près de l’Asie (ou du Proche-Orient) et de l’Afrique.

Chypre est un pays insulaire du sud-est de la Méditerranée; elle est située à une distance de 380 km au nord de l’Égypte, de 105 km à l’ouest de la Syrie et de 75 km au sud de la Turquie. La Grèce continentale est à 800 km à l'ouest de Chypre et les îles grecques les plus proches, comme Rhodes, Karpathos et Kassos, sont à une distance de 380 km à l'ouest de l’île. Les plus grandes villes de l'île sont, dans la zone grecque, Nicosie (330 000), la capitale, Limassol (237 400), Larnaka (144 200), Paphos (90 200); dans la zone turque, Famagouste (69 740), Kyrenia (69 160), Morphou  (30 000) et Trikomo (22 490).

2 Une île, deux États

Depuis 1974, l'île de Chypre comprend deux États: la république de Chypre au sud et la République turque de Chypre du Nord. La république de Chypre abrite des Chypriotes de langue grecque, alors que la seconde ne compte finalement que des locuteurs turcophones. Avant d'être un État indépendant en 1960, l'île était une colonie britannique avec l'anglais comme langue officielle. La Constitution de 1960 partagea le pouvoir entre les Chypriotes grecs majoritaires et les Chypriotes turcs minoritaires. Cependant, dès 1963, les Chypriotes turcs se retirèrent du gouvernement et les institutions continuèrent à fonctionner moyennant quelques changements, mais avec une administration le plus souvent limitée à la communauté chypriote grecque. En 1974, après le renversement du président chypriote, Mgr Makarios III, la Turquie envahit l'île et prit le contrôle de la partie septentrionale de Chypre. Le secteur turc est devenu la République turque de Chypre du Nord que seule la Turquie a reconnue et que les Nations unies ont refusé de reconnaître.

Depuis le milieu des années 1970, les Chypriotes turcs ont leur propre président et leurs propres institutions législatives, leur monnaie, leurs systèmes de transport, etc. Évidemment, la république de Chypre (RC) et la République turque de Chypre du Nord (RTCN) possèdent des forces militaires séparées, soutenues respectivement par la Grèce et par la Turquie, cette dernière maintenant sur l'île une troupe de quelque 30 000 hommes.

L'île est grandement militarisée, notamment du côté turc où les 30 000 soldats anatoliens assurent la sécurité (avec des chars et de l’artillerie lourde) et un contingent de 5000 miliciens chypriotes-turcs. Du côté grec, la Garde nationale chypriote compterait quelque 15 000 hommes auxquels il faudrait ajouter entre 2000 et 3000 soldats et officiers grecs. Par ailleurs, il semble que, d’après des sources chypriotes-turques, tous les Chypriotes grecs seraient «armés jusqu'aux dents». Quant aux bases britanniques situées dans le sud de l'île (Akrotiri et Dhekelia), il s’y trouvait quelque 4000 soldats et officiers accompagnés de 6000 civils britanniques. Enfin, la Force de paix des Nations unies (UNFICYP) est composée de 1400 casques bleus chargés de surveiller la Ligne verte entre les deux secteurs. Depuis la partition de l'île, la réunification risque d'attendre encore longtemps, car toutes les tentatives pour réunifier l’île ont échoué par le passé.

Le président de la république de Chypre est le chef de l'État et le chef du gouvernement, ce qui en fait une république présidentielle unique au sein de l'Union européenne. Quant à la RTCN, c'est en principe une république démocratique laïque à régime semi-présidentiel militaire; le président est dans le même temps le chef de l'État, tandis que le premier ministre est le chef du gouvernement. Pour l'ONU et le Conseil de l'Europe, la République turque est considérée comme la partie septentrionale de la république de Chypre. Dans les faits, l'île compte deux États, l'un grec, l'autre turc.

L'île est non seulement divisée en une zone grec que au sud et une zone turque au nord, mais elle comprend des districts distincts. La zone grecque en compte quatre, alors que la zone turque en dénombre six. Les districts turcs ne sont pas reconnus par l'Onu.
 
Zone grecque Dénomination grecque Zone turque Dénomination turque
Nicosie
Larnaka
Lamassol
Paphos

 
Λευκωσία (Lefkosía)
Λάρνακα (Lárnaka)
Λαμασόλη (Λαμασόλη)
Πάφος (Páfos)

 
Lefke
Nicosie
Famagouste
Kyrenia
Güzelyurt
Iskele
Lefke
Lefkoşa
Gazimagusa
Guirne
Güzelyurt
İskele

3 Les deux grandes communautés chypriotes

L’île de Chypre comptait en 2020 plus de 1,7 million d'habitants dont 63 % de Chypriotes grecs, 18 % de Chypriotes turcs, et 2,7 % de Britanniques, 2,1 % de Roumains, 2,1 % de Bulgares, 0,9  de Russes, 0,8 % de Philippins, etc. Les Chypriotes grecs parlent le grec, une langue d’origine indo-européenne, mais quelque peu différente du grec de Grèce. Quant au turc de l’île, il faut aussi le distinguer du turc de Turquie en raison de ses emprunts au grec, au latin et à l’italien. Quoi qu’il en soit, le turc est une langue appartenant à la famille altaïque. À l’exemple du grec de Chypre, le turc de l’île présente certains traits archaïsants et des emprunts au latin et à l’italien.

Pour résumer, on peut dire que les langues officielles de la République de Chypre sont le grec et turque. Depuis 1974, le grec standard est la seule langue officielle dans le sud de l'île, alors que le turc standard est la seule langue officielle dans le Nord. Cependant, dans la vie quotidienne, la langue vernaculaire de la population grecque est le grec chypriote grecque, tandis que celle des turcophones est le turc chypriote, le grec standard et le turc standard étant réservés à des fins officielles et formelles. Bref, les Chypriotes des deux grandes communautés pratiquent la diglossie linguistique: une langue pour la famille et les proches, une autre pour les circonstances formelles (écoles, médias, etc.). 

Chypre a toujours abrité une société multiethnique et elle est la patrie partagée des Chypriotes grecs, des Chypriotes turcs, des Chypriotes arméniens, des Chypriotes maronites, des Chypriotes catholiques romains et de quelques Chypriotes juifs, sans compter les immigrants récents. Les membres de la communauté grecque adhèrent majoritairement à l'Église orthodoxe de Chypre, qui est indépendante et n'a d'allégeance envers aucun autre patriarcat. Pour sa part, la minorité turque est essentiellement musulmane. Aujourd'hui, toutes les communautés non grécophones ou non turcophones sont en grand danger de disparition.

Lors de l’invasion turque de 1974, plus de 180 000 Chypriotes grecs ont fui la zone nord, et 43 000 Chypriotes turcs ont quitté la zone sud. La carte ci-contre, illustrant la répartition de la population en 1960, montre qu'à cette époque les Chypriotes grecs et turcs étaient relativement mélangées sur pratiquement l'ensemble de l'île.

Aujourd'hui, l'île présente deux communautés nettement séparées au nord (Turcs) et au sud (Grecs).

Dans la zone grecque, peuplée de 864 200 habitants, 94,9 % des habitants sont d’origine grecque, 0,3 % d’origine turque et 4,8 % de diverses origine. Dans la zone turque, habitée par 354 850 personnes, 97,7 % des insulaires sont d’origine turque (de souche et anatolienne), 2,1 % d’origine grecque et 0,2 % d'autres origines.

La capitale de Chypre, Nicosie (en grec: Lefkosía, en turc: Lefkoşa), est la ville la plus peuplée de l’île avec environ 166 500 habitants du côté grec et 39 500 du côté turc; vingt ans après Berlin, Nicosie reste la dernière capitale au monde coupée en deux par un mur.

La carte ci-contre montre bien le tracé, une «Ligne verte» (parce qu'un général turc l'aurait tracée sur une carte avec de l'encre verte) appelée aussi ligne Attila (du nom de ce général des forces d’occupation turque en 1974: Attila Sav), laquelle divise Chypre d’est (à partir de la ville de Pyrgos) en ouest (jusqu’à la ville de Famagouste) en passant par Nicosie, la capitale, coupée en deux. Cette «ligne Attila», longue de 180 kilomètres, a été érigée par les Turcs pour matérialiser la partition du pays. L'occupation turque a ainsi amputé la république chypriote de 38 % de son territoire au nord.

Le Royaume-Uni a conservé la souveraineté sur deux bases militaires situées sur la côte sud de l'île : la base d'Akrotiri, la plus à l'ouest des deux, est située sur le cap Gata et ses environs, à la pointe sud de l'île, près de la ville de Limassol. La base militaire de Dhekelia se trouve au sud-est, près de Larnaka (ou Larnaca).

Évidemment, l’occupation militaire turque du nord de l’île est l’un des facteurs majeurs pour bloquer l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Selon l'Eurobaromètre, 76% des habitants de Chypre peuvent parler l'anglais, 12% parlent le français et 5% peuvent parler l'allemand.

4 Les minorités

On en parle très peu, mais l'île abrite des deux côtés des minorités historiques et des immigrants récents. L'arabe arménien et l'arabe maronite ont été reconnus par la république de Chypre en 2002 et 2008, respectivement comme des langues régionales minoritaires en vertu de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ratifiée par la République en 2002. Celle-ci s'engageait à promouvoir des activités linguistiques et culturelles visant la protection, l'enregistrement et la préservation de ces deux langues.

4.1 Les Chypriotes arméniens

La communauté arménienne a commencé à se former dès le Ve siècle. Les Chypriotes arméniens compteraient actuellement 1800 habitants, qui vivent principalement dans les districts de Nicosie, de Limassol et de Larnaka dans la zone grecque. Sur ce nombre, 1400 utiliseraient l'arabe arménien occidental comme langue maternelle. Malgré l'activité remarquable des Arméniens de Chypre pour la préservation de leur identité linguistique et culturelle (écoles arméniennes, associations, presse, etc.), la langue arménienne est dans un processus d'extinction linguistique: elle n'est plus suffisamment transmise aux jeunes générations, ses domaines d'utilisation et la capacité des locuteurs naturels sont limités et la langue dominante, le grec chypriote, la remplace.

4.2 Les Chypriotes maronites

Les Maronites, avec une présence constante sur l'île à partir du VIIIe siècle, ont apporté avec eux une variété de la langue arabe qui, sous l'influence du grec chypriote, fut isolée tôt du corps principal de l'arabe standard et a évolué vers une variété différente, c'est-à-dire l'arabe maronite chypriote (ou sanna). Avec seulement quelque 900 locuteurs sur un total de 3650 à 3800 Maronites vivant principalement à Kormakitis dans le district de Kyrenia (Guirne), le sanna est l'une des langues les plus menacées d'Europe.

4.2 Les Roms chypriotes

Une langue minoritaire moins connue sur l'île est parlée par les Roms chypriotes (ou Kourbètes), dont la plupart sont musulmans et turcophones: le kurbetcha, une langue créole avec ce qui semble être principalement un vocabulaire romani (d'origine indo-iranienne) et une grammaire chypriote turque (d'origine altaïque). Bien que le nombre exact des locuteurs ne soit pas connu, il est estimé à 1500 ou 2000 dans la zone grecque et à 650 ou 700 dans la zone turque. La kurbetcha reste pour les Roms eux-mêmes une langue strictement «secrète», qu'ils évitent d'utiliser en dehors des frontières de leur communauté, ce qui rend difficile l'enregistrement des linguistes chypriotes. Bien que protégée par la Charte des langues régionales et minoritaires, le kurbetcha est finalement peu étudié. Les Roms de Chypre se eux-mêmes dénomment "Gurbet" ou "Kurbet" (en français : Kourbètes), terme qui signifie «étrangers» ou «travail étranger».

4.3 Les immigrants

Jusque vers les années 1970, l'île de Chypre avait toujours été un pays «émetteur de migrants», c'est-à-dire que beaucoup de Chypriotes quittaient leur île, surtout pour le Royaume-Uni et les États-Unis. Quelques années plus tard, l'île est devenue un pays «récepteur de migrants». Dans la zone grecque, les immigrants viennent principalement d’Asie, d’Afrique, du Proche-Orient et de certaines républiques de l’ex-Union soviétique. Dans la zone turque, la plupart des immigrants viennent de la Turquie.

Par exemple, en 2005, Chypre connaissait le plus fort taux de croissance démographique de l’Union européenne, soit 2,6 %. Cette croissance provenait de l'immigration croissante: entre 110 000 et 116 000 personnes, ce qui équivalait à 13 % ou 14 % de la population, dont 854 300 individus la même année. De son côté, la Turquie pratique une minorisation de la population chypriote turque par l'envoi de «colons» turcs.

Le principal problème de cette immigration réside dans le fait que ces nouveaux arrivants sont peu instruits, ne parlent pas les langues officielles de l'île et encore moins ses langues vernaculaires, le grec chypriote et le turc chypriote. Dans la zone grecque, la plupart, après cinq ans, sont à peine capables de communiquer en grec standard et utilisent finalement un anglais élémentaire suffisant pour survivre; puisque l'anglais est accepté partout, même dans l'administration, peu voient la nécessité d’apprendre le grec. Dans la zone turque, cette barrière des langues n'existent pas, mais les contacts entre autochtones et immigrants ne vont pas au-delà de la vie professionnelle. Tous ces nouveaux arrivants, dans les deux côtés de l'île, vivent en autarcie et en vase clos, et s'organisent une vie sociale distincte de la société d'accueil tout en n'aspirant guère à davantage d'intégration.

L'île de Chypre vit un important problème de cohésion nationale. Les Chypriotes d'origine voient leurs langues véhiculaires régresser au profit des langues officielles, le grec standard ou le turc standard. Mais ces deux langues sont aussi en concurrence, non pas l'une contre l'autre, mais avec l'anglais. Dans les deux zones linguistiques, l'anglais est une quasi deuxième langue officielle au point où l'on peut presque parler d'anglolâtrie. Dans la zone grecque, l'anglais, le grec standard et le grec chypriote se font concurrence; dans la zone turque, ce sont l'anglais, le turc standard et le turc chypriote, sauf que le turc standard est en meilleure posture que le grec standard dans l'île dans la mesure où les immigrants turcs parlent déjà la langue standard à leur arrivée. Le régime militaire de la zone turque fait en sorte de ne pas mettre en danger les locuteurs turcophones par la minorisation linguistique, la Turquie se contentant de minoriser les Chypriotes au plan culturel pour en faire de «vrais Turcs». Dans tous les cas, c'est l'identité des Chypriotes qui est en cause!      

Dernière mise à jour: 16 févr. 2024

Chypre


1) Situation générale
 

2) Données historiques
 
3) République de Chypre (Sud)
4) République turque de Chypre du Nord
 
Bibliographie

Chypre

L'Europe

Accueil: aménagement linguistique dans le monde