Royaume 
des Pays-Bas

Pays-Bas

(2) Données historiques

1 Les origines

Les Pays-Bas ont été peuplés à l’origine par des Celtes et deux principaux peuples germaniques, les Bataves et les Frisons. Les Celtes étaient les «Belges» (les "Belgea", ainsi appelés plus tard par Jules César). Les Bataves étaient un peuple germanique installé dans la région de l'estuaire du Rhin qu'ils occupaient (la «Batavia»); cette région correspondrait aujourd'hui aux provinces de la Hollande septentrionale, de la Hollande méridionale et de l'Utrecht. Quant aux Frisons, ils habitaient l'actuelle province de la Frise, mais aussi la province de la Flevoland, et une partie de l'Overijssel. Plus au sud, on trouvait les Belgea. À l'est, il existait de petits peuples germaniques tels que les Chauques, les Ampsivariens, les Chamaves, les Bructères, les Marses, etc., vite absorbés par les deux autres ethnies. Les trois peuples principaux ont coexisté en se faisant la guerre jusqu'à l'arrivée des Romains.

Jules César (100-44) conquit les Pays-Bas vers 58 avant notre ère, ce qui devint la frontière septentrionale de l'Empire romain; la région fut appelée la Germanie inférieure. Les Romains construisirent ensuite plusieurs cités (dont Traictum > Utrecht et Noviomagus > Nimègue), et ils y introduisirent l'écriture latine. À partir du IIIe siècle, ils se retirèrent sur le Rhin en raison de l’invasion des «Barbares», les peuples germaniques. 

Au Ve siècle, la chute de l'Empire romain permit de rétablir les divisions ethniques: les Francs envahirent le sud du pays, les Frisons s’établirent sur le littoral et les Saxons s'installèrent à l'est. Le territoire fut alors fragmenté en trois royaumes. Cependant, en 734, celui des Frisons fut défait par les Francs lors de la bataille de Boarn. Ces derniers conquirent graduellement le reste du pays, ce qui fut fait lorsque Charlemagne vainquit la dernière résistance saxonne en 782-785.

Dès 775, Charlemagne institua la «loi du fer de Dieu», qui consistait à faire choisir ses ennemis entre le baptême ou la mort. Les païens devaient se convertir sous peine de condamnation à mort. Tout le pays fut christianisé par des missionnaires francs dans les décennies suivantes. Les traités de Verdun (843), de Mersen (870) et de Ribemont (880) rompirent l’unité territoriale des Pays-Bas, alors que, après la mort de Charlemagne, l’Escaut servait de frontière entre les royaumes de Charles le Chauve (la Francie occidentale) et de Lothaire (la Lotharingie), officialisant ainsi l'intégration de la Germanie inférieure à l'Empire carolingien. Cependant, l'absence d'une autorité seigneuriale centrale entraîna la formation de nombreuses seigneuries autonomes.

2 Les Pays-Bas bourguignons et l’Espagne

Puis, les XIIe et XIIIe siècles virent l'apparition de villes puissantes, comme Utrecht et Amsterdam, qui devinrent d’importants centres commerciaux. Au XIVe siècle, le jeu des alliances dynastiques et des guerres entraîna la majeure partie du pays sous la suzeraineté des ducs de Bourgogne.

Ces derniers instaurèrent des institutions qui eurent pour conséquence d’unifier un peu plus le pays. Les mariages princiers, les achats, la diplomatie et les héritages contribuèrent à réunir la plupart des États. Mais c'est au cours du règne de Philippe III le Bon (1419-1467) que toutes les principautés des Pays-Bas passèrent sous le contrôle de la maison de Bourgogne. Ces territoires, qui s'étendaient bien au-delà des régions constituant la Belgique d'aujourd'hui, sauf Liège qui restait un évêché indépendant, comprenaient également l'Artois français, la rive gauche du Rhin à l'est, la Zélande, la Hollande, la Gueldre et d'autres terres au nord formant actuellement les Pays-Bas.

Rappelons que les ducs de Bourgogne cumulaient plusieurs titres. Par exemple, selon les époques (entre 1384 et 1475), le duc de Bourgogne pouvait être à la fois comte de Franche-Comté, comte d’Artois, comte de Picardie, comte de Flandre, comte de Nevers, comte de Hainaut, comte de Zélande, comte de Hollande, duc de Luxembourg, duc de Namur, duc de Limbourg, duc de Brabant, etc. En épousant Maximilien d’Autriche en 1477, Marie de Bourgogne mit les provinces belges et néerlandaises sous la domination des Habsbourg (plus tard avec ses deux branches: les Habsbourg d’Autriche et ceux d’Espagne). Maximilien signa avec Louis XI le traité d’Arras, qui laissait à la France la Bourgogne ducale et la Picardie.

Selon certains, ce morcellement politique eut des conséquences au plan linguistique. Il aurait favorisé la fragmentation dialectale, ce qui contribua à la formation des idiomes picards, flamands, wallons, champenois, lorrains, luxembourgeois, limbourgeois, etc. Cependant, l’administration des États et de l’Église se faisait en latin, tandis que le français n’était parlé encore que par une partie de la noblesse de France.

Cette thèse de la fragmentation dialectale à l’époque féodale est cependant contestée, car d’autres linguistes considèrent que la fragmentation dialectale était acquise depuis bien plus longtemps et pratiquement depuis les invasions franques qui étaient constituées de groupes divers aux idiomes déjà différenciés.

3 La période des Pays-Bas espagnols (1493-1713)

En 1493, Philippe le Beau devint le souverain des Pays-Bas et épousa l’héritière de la maison d’Espagne. Son fils, Charles Quint (1500-1558), né à Gand, fut d’abord prince bourguignon (de langue maternelle française), puis, en 1516, prince des Pays-Bas et roi d’Espagne, enfin en 1519 roi de Sicile et empereur du Saint-Empire romain germanique.

Pays-Bas espagnols En tant que souverain des Pays-Bas, Charles Quint réussit à rattacher les 17 provinces sous son autorité, aussi bien les provinces de langue germanique du Nord (Flandre, Anvers, Limbourg, Luxembourg, Frise ou Friesland, Ommerlanden, Overijssel, Hollande, Utrecht, Gueldre, Zélande, etc.) que les provinces de langues romanes du Sud (Artois, Namur, Brabant, Hainaut, etc.). Juridiquement, les Pays-Bas formaient avec les autres principautés allemandes le Saint-Empire romain germanique.

De plus, Charles Quint, était non seulement roi des Pays-Bas, empereur du Saint-Empire, mais également roi d’Espagne. Il ne s’agissait pas d’une unité politique entre l’Espagne et les Pays-Bas, mais les deux royaumes étaient néanmoins sous la souveraineté du même roi. Charles Quint se trouvait ainsi à la tête d’un formidable empire encerclant pratiquement la France. Il parlait non seulement le français, mais aussi l’espagnol, l’allemand, l’italien, le latin et même un peu le flamand de sa ville natale de Gand. C’est d’ailleurs ce monarque polyglotte qui aurait affirmé: «Je parle espagnol à Dieu, italien aux femmes, français aux hommes et allemand à mon cheval.» L’époque de Charles Quint (première moitié du XVIe siècle) fut une période faste pour l’ensemble des habitants des provinces de l’actuelle Belgique et des Pays-Bas.

C’est avec Philippe II (1527-1598), le fils de Charles Quint, que les problèmes commencèrent aux Pays-Bas espagnols. Étant élevé en Espagne (Castille), ignorant tout du flamand et du hollandais, et ne connaissant qu’un peu de français (et de latin), son éducation exclusivement espagnole le fit peu apprécier aux Pays-Bas espagnols, lesquels lui furent confiés en 1555 après l’abdication de Charles Quint. Il reprit la politique de son père, mais d’une façon beaucoup plus étroite, surtout en matière de religion. En effet, Philippe II commença à intervenir dans le gouvernement local, notamment en matière de religion et de nomination des évêques; pire, il se mit à persécuter les protestants. Il finit par s’aliéner toute la noblesse locale et certaines provinces calvinistes, dont la Zélande et la Hollande qui n’acceptaient pas le catholicisme intransigeant de Philippe II. Elles firent sécession en 1572, avec l’appui de Guillaume d’Orange dans la Gueldre et Louis de Nassau en Wallonie.

Puis les provinces de la Flandre et du Hainaut devinrent calvinistes et l’Autriche catholique intervint pour évacuer les provinces du Sud. Le traité de Gand de 1576 donna à Guillaume d’Orange-Nassau, converti au calvinisme, le titre de stadhouder (le représentant du roi ou de l’empereur) des Dix-Sept Provinces des Pays-Bas. En 1579, l’Union d’Arras réunit les régions francophones et catholiques (Artois, Hainaut, etc.), tandis que les calvinistes s’unissent par l’Union d’Utrecht qui réunit les sept provinces calvinistes en Provinces-Unies (Frise, Groningue, Gueldre, Hollande, Overijssel, Utrecht et Zélande), prélude aux Pays-Bas actuels. 

La langue qui se développa au nord à cette époque fut une variété de néerlandais ayant une forte influence brabançonne (anversoise). Pendant ce temps, au sud, la langue néerlandaise se fragmentait en de nombreux dialectes régionaux, ce qui favorisa le français qui gagnait rapidement du terrain dans les milieux aristocratiques. Lors de la période bourguignonne, le français était la langue véhiculaire de la plus grande partie de la noblesse et servait de langue administrative. Le néerlandais demeurait, du moins en Flandre et aux Pays-Bas, une langue parlée par le peuple, sous diverses formes dialectales. Il était associé à une langue de paysans, qui ne pouvait plus progresser.

4 L'âge d'or des Pays-Bas

Maurice de Nassau (1567-1625), prince d’Orange, succéda à son père, Guillaume d'Orange-Nassau, et devint un grand chef de guerre. Par la suite, la dynastie des stadhouders de Hollande gouverna le pays avec autorité, affronta l’Angleterre et s’engagea dans la guerre de Dévolution (1667-1668) opposant la France de Louis XIV à l'Espagne. 

Au XVIIe siècle, les Provinces-Unies connurent une remarquable période de prospérité grâce à leur flotte commerciale supérieure à celle de l’Angleterre et devinrent le centre commercial, industriel et financier de l'Europe du Nord-Ouest. Comme il s’agissait d’un État confédéral, les Provinces-Unies conservèrent une certaine autonomie, mais les territoires du Sud (l'actuelle Belgique) furent administrés directement par le pouvoir espagnol. La langue qui se développa au nord à cette époque fut une variété de néerlandais ayant une forte influence brabançonne (anversoise).

4.1 L'empire colonial

Grâce à leur prospérité économique et au développement de leur flotte commerciale, les Hollandais s'ouvrirent à la colonisation. Ils tenté de coloniser une partie de l'Amérique du Nord dès 1614.La Compagnie hollandaise des Indes orientales installa des comptoirs dans toute la région, rebaptisée la Nouvelle-Hollande ou Nouvelle-Belgique (Nieuw Nederland ou Novium Belgium). À cette époque, le territoire de la Nouvelle-Hollande comprenait une partie de l'actuel État de New York, le Connecticut, le Delaware, le New Jersey, le Vermont et la Pennsylvanie. La petite colonie hollandaise suscita la convoitise des Britanniques qui s'emparèrent de la Nouvelle-Hollande en 1664.

Après un début de colonisation par les Espagnols, plusieurs îles des Antilles furent conquises au XVIIe siècle par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales: Aruba (1636), Curaçao (1634), Bonaire (1636), Saint-Martin (1620), Saint-Eustache (1636) et Saba (1640). Les Hollandais avaient auparavant acquis les îles Vierges en 1625 et une partie de la côte brésilienne en 1630. Allaient suivre la Guyane hollandaise (Surinam) et de nombreux comptoirs en Asie ainsi que la colonisation de l'Indonésie (1816). 

4.2 L'empire d'Autriche

En 1713, les Pays-Bas espagnols passèrent sous l’autorité de l’empereur d’Autriche. Jusqu'en 1740, l'espagnol fut utilisé comme langue véhiculaire du Conseil des Pays-Bas à Vienne. Avec la centralisation autrichienne, l'usage du français resta prépondérant dans l'administration centrale, au détriment des langues régionales qui restèrent limitées dans les villes néerlandaises et flamandes. Cependant, les documents officiels locaux furent rédigés en néerlandais ou en brabançon en Flandre et aux Pays-Bas actuels et en français dans la Wallonie actuelle.

Plus tard, l'empereur d'Autriche, Joseph II (1741-1790), en despote éclairé, entreprit de faire de ses possessions un État moderne, centralisé et germanique. Les Pays-Bas autrichiens avaient conservé une administration rétrograde, hérités des Espagnols. Les privilèges arrachés depuis des siècles ne servaient plus qu'à favoriser l'esprit de clocher le plus étroit. C'est pourquoi l’administration des Pays-Bas du Sud (l'actuelle Belgique) fut totalement refondue et réorganisée selon le modèle français; Joseph II voulut abolir les privilèges des principautés, instituer son autorité directe et imposer la langue allemande, non pas dans l’administration interne, mais dans les rapports avec Vienne. Cependant, la ville de Bruxelles comptait alors d'une part, une majorité de la population parlant le brabançon, un idiome proche du flamand et employé déjà dans les plus hautes sphères de la société, surtout la noblesse et la haute bourgeoisie, d'autre part, une minorité de langue française, mais il s'agissait de la langue du pouvoir: les gouverneurs généraux qui résidaient dans la ville s'exprimaient uniquement dans cette langue. Les pratiques établies par les Autrichiens firent en sorte que les Flamands de Bruxelles durent apprendre le français s'ils voulaient entreprendre une carrière administrative.

L'usage des langues fit en sorte qu'une minorité riche et francophone cohabitait avec une masse flamande pauvre et peu alphabétisée. Entre ces deux extrêmes, on trouvait une bourgeoisie commerçante et urbaine, bilingue. Néanmoins, les mesures tatillonnes prises par les autorités autrichiennes à l’instigation de Joseph II heurtèrent de front, on le devine, les particularismes locaux, les sentiments religieux, les habitudes linguistiques, etc. La politique de Joseph II suscita un phénomène général de rejet, sauf au Hainaut et au Luxembourg restés plus calmes. Le mécontentement de la population fit éclater la Révolution brabançonne (d'octobre à décembre 1789) et les troupes autrichiennes furent chassées du pays jusqu’en 1793. Cependant, les duchés de Limbourg (actuel «pays de Herve») et de Luxembourg, situés de l’autre côté de la principauté épiscopale de Liège, n’avaient pas participé à la Révolution brabançonne et soutenaient les Autrichiens qui revinrent à partir de ces contrées. La rébellion fut réprimée par la force par les troupes autrichiennes, non seulement dans les Pays-Bas, mais aussi dans la principauté de Liège.

5 L'influence de la Révolution française

Après avoir mâté les derniers foyers de résistance en Flandre, les Français annexèrent officiellement en 1795 les Pays-Bas autrichiens dans leur ensemble, soit tant les provinces thioises que romanes. Par un décret spécial, la Convention du 9 vendémiaire an IV (1er octobre 1795) déclarait que les territoires des Pays-Bas autrichiens ainsi que la principauté de Liège, le duché de Bouillon et la principauté de Stavelot faisaient désormais intégralement partie de la France. Les anciens duchés et comtés, les anciennes principautés et seigneuries furent abolies et remplacées par des départements. Par l'arrêté du 14 fructidor an III (31 août 1795), le Comité de salut public divisa le territoire de la Belgique en neuf départements.

De plus, par le traité de La Haye (16 mai 1795), on y avait ajouté des territoires des Pays-Bas (voir la carte ci-contre): la Frise, l'Ems occidental, les Bouches de l'Yssel, l'Yssel supérieur, la Zaldersée, les Bouches de la Meuse, les Bouches de l'Escaut, les Bouches du Rhin. Ainsi, le département des Bouches de l'Escaut engloba la Flandre zélandaise et celui de Meuse inférieure, le Limbourg; la Meuse iInférieure comprenait aussi des terres qui font aujourd'hui partie des Pays-Bas, mais qui n'appartenaient pas aux Provinces-Unies avant 1795.

Cette année-là,  avec l'appui des troupes françaises, un mouvement de patriotes fonda la République batave, calquée sur le modèle de la nouvelle République française. Le stadhouder Guillaume V s'enfuit en Angleterre. Par la suite, en 1806, la République batave devint le royaume de Hollande que Napoléon offrit à son frère Louis pour l’intégrer en 1810 à l'Empire français.

En mars 1815, tout le pays fut occupé par les armées de la coalition des puissances européennes ayant participé au Congrès de Vienne (Russie, Autriche, Prusse, Grande-Bretagne). Le 22 juin 1815, Napoléon livra la bataille de Waterloo, alors que les Belges (surtout les Wallons) se battirent tant du côté français que du côté des puissances coalisées, mais dans un cas comme dans l'autre ils y avaient été contraints, la circonscription étant obligatoire.

6 Le Royaume des Pays-Bas (1815)
 

Après la défaite de Napoléon, le Congrès de Vienne (1815) créa le nouveau Royaume des Pays-Bas connu sous le nom du «Royaume-Uni des Pays-Bas» (en néerlandais: Verenigd Koninkrijk der Nederlanden), c’est-à-dire la réunion de presque toutes les principautés des Pays-Bas autrichiens, les Provinces-Unies et les Pays de Généralité (ces derniers administrés par les Provinces-Unies depuis le traité de Munster). C'était, pour les États européens, un nouvel État tampon destiné à faire face à un retour éventuel de l'expansionnisme français. Le royaume fut confié à un roi hollandais, Guillaume Frédéric d'Orange-Nassau (1772-1840), reconnu comme le «roi des Pays-Bas et grand-duc de Luxembourg». À ce moment-là, le Luxembourg ne faisait pas partie du royaume, mais constituait un grand-duché membre de la Confédération germanique.

Les nouveaux sujets de Guillaume d’Orange, surtout la bourgeoisie francophone, se montrèrent hostiles à la réunion des Pays-Bas du Nord et des Pays-Bas du Sud (Belgique). Au début, l’Église catholique était favorable à cette union politique, de même que certains adeptes wallons et flamands de la Révolution française. Mais les dispositions constitutionnelles reconnaissant l’égalité des religions choquèrent profondément les évêques catholiques (tous des Français).

C’est surtout au Brabant que le roi Guillaume d'Orange pouvait compter sur un nombre assez important d’adeptes flamands qui étaient fortement influencés par les idées des Lumières. Bien qu’en général les Flamands n’aimaient pas la Révolution française et ses excès, ils étaient néanmoins favorables aux idées des grands philosophes français (Voltaire et les encyclopédistes).

6.1 La politique de néerlandisation

L’un des moyens utilisés par Guillaume Ier pour réunir définitivement les Pays-Bas du Nord et ceux du Sud fut sa politique linguistique. Guillaume d’Orange décréta que la langue officielle du pays devrait être le néerlandais, c’est-à-dire la langue des instances les plus hautes du royaume, ce qui impliquait que tous les fonctionnaires de l’administration centrale devaient connaître le néerlandais. Selon les arrêtés de 1819 et 1822, il était stipulé («[…] qu’il ne pourrait plus être présenté, pour les places et les emplois publics, que des personnes ayant la connaissance nécessaire du néerlandais». L’arrêté royal du 15 septembre 1819 imposait dans les provinces de Flandre orientale et occidentale, d’Anvers et de Limbourg à toutes les autorités administratives, judiciaires et militaires et aux notaires l’obligation d’agir en néerlandais auprès du public et des fonctionnaires qui leur étaient subordonnés s’ils le souhaitaient. Le néerlandais devint donc la langue officielle dans tout le royaume.

Toutefois, le peuple flamand restait patoisant et illettré; il ignorait le néerlandais officiel. Quant aux fonctionnaires, magistrats, évêques, etc., ils restèrent en fonction, avec le soutien des nouvelles autorités. Toute cette élite refusa de rejeter immédiatement les codes de loi français et la langue française. Seules quelques concessions symboliques furent admises à l’usage de la langue vernaculaire, aux actes notariés, à l’enregistrement et à l’état civil. Bref, dans les régions flamandes, le néerlandais n’est pas revenu comme langue d’administration, de justice et d’enseignement secondaire, même après la chute de Napoléon. Les Pays-Bas du Nord n’avaient été annexés par la France que depuis trois ans, ce qui signifiait que la restauration de la «langue nationale», le néerlandais, n’e créait pas vraiment de difficultés insurmontables dans la population.

6.2 Les compromis linguistiques

Dans le Sud, en Belgique, la situation se présentait différemment, car les relations étaient très différentes, et pas seulement en Wallonie où le français était à la fois une langue administrative, culturelle et vernaculaire. La Belgique était pleinement constituée depuis vingt ans et les autorités françaises avaient poursuivi une politique d’extermination contre la langue allemande, la langue néerlandaise et même le limbourgeois. La population francophone réagit mal devant les décisions linguistiques de Guillaume d'Orange, surtout de la part des fonctionnaires et des avocats. Bref, la politique de néerlandisation menée par les fonctionnaires de Guillaume Ier constituait l'envers de la politique de francisation sous Napoléon!

Par deux décrets royaux du 28 août 1829, et surtout par celui du 4 juin 1830, Guillaume Ier fit des concessions. Rappelons que, comme tous les membres de la Maison royale des Pays-Bas, Guillaume d’Orange était francophone et le français restera la langue de cette famille jusqu’en 1890. En précisant que l'arrêté du 15 septembre 1819 ne s’appliquait pas aux provinces du Brabant méridional, de Liège, du Hainaut, de Namur et au grand-duché de Luxembourg, le roi Guillaume d'orange définit explicitement un territoire de langue française correspondant à l’espace wallon. L’arrêté royal du 26 octobre 1822 complétait cette concession en étendant la contrainte linguistique aux arrondissements de Bruxelles et de Louvain. La circulaire du 15 septembre 1819 relative à l’enseignement identifia très clairement les établissements scolaires établis dans les Waalsche provinciën («provinces wallonnes»)

Les municipalités frontalières de langue française ou wallonne obtinrent «la liberté de la langue». En Wallonie, le français fut explicitement reconnu comme langue officielle pour les questions administratives et judiciaires (et non pour les questions militaires). L’usage facultatif du français fut permis pour les actes privés et authentiques dans tout l’Empire. Ce n’est qu’au pays flamand que les cours et tribunaux furent autorisés à des parties qui semblaient ne pas bien comprendre le néerlandais à utiliser le français dans leurs actes et plaidoiries; dans les affaires pénales, une telle autorisation ne devait pas être refusée. L’objectif du souverain était que le néerlandais devait être employé en Flandre et le français en Wallonie dans l’administration, la justice et l’éducation. 

6.3 La fragmentation du Royaume

Toutefois, l'union du nouveau royaume ne dura pas. Dès 1830, les Belges se révoltèrent et proclamèrent leur indépendance. Après un conflit armé en 1831, suivi de huit ans de guerre larvée, les royaumes de Hollande et de Belgique ratifièrent leur séparation en 1839. Guillaume Ier reconnut l’indépendance de la Belgique et abdiqua en 1840 en faveur de son fils Guillaume II.

Sous l'influence des mouvements révolutionnaires de 1848, Guillaume II promulgua une constitution plus libérale, qui garantissait la pleine et entière liberté de culte aux catholiques. Ainsi, les provinces catholiques du Limbourg et du Brabant septentrional obtinrent un statut égal à celui des autres provinces. À la fin du XIXe siècle, les Pays-Bas, qui avaient opéré de grandes réformes politiques et sociales, retrouvèrent une période de prospérité économique jusqu'à l'éclatement de la Première Guerre mondiale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Pays-Bas durent se reconstruire et ne purent échapper à la décolonisation.

7 Les Pays-Bas d'aujourd'hui

L'ère contemporaine entama la décolonisation des anciennes possessions hollandaises ainsi qu'une restructuration de l'État des Pays-Bas.

7.1 La décolonisation

Après quatre années de guerre, les Pays-Bas finirent par accepter l'indépendance de l'Indonésie, à l'exception de la Nouvelle-Guinée qui ne rejoignit l'État indonésien qu'en 1962. En 1954, le Surinam et les Antilles néerlandaises devinrent membres à part entière du Royaume des Pays-Bas en tant que provinces autonomes; mais le Surinam acquit en 1975 le statut de pays indépendant.

Quant au territoire d’Aruba, une île des Antilles, il devint un territoire séparé des Antilles néerlandaises en 1986; à partir de 1996, Aruba devait devenir entièrement indépendante, mais en 1994, il fut décidé que l'île resterait dans le Royaume des Pays-Bas après 1996. Ainsi, les Antilles néerlandaises continuèrent de faire partie intégrante du Royaume des Pays-Bas, sauf l'île d'Aruba.

7.2 La province de la Frise

Après bien d'ajustements, les Pays-Bas finirent par s'ouvrir aux demandes inlassablement répétées des citoyens de la province de la Frise à l'égard du frison, la langue de la minorité nationale numériquement la plus importante. Jusque dans les années 1980, l'État n'était à peu près jamais intervenu en matière de protection linguistique. Cependant, au cours des années 1959, les Pays-Bas ont connu certains problèmes avec les Frisons, notamment en matière judiciaire, alors que des émeutes avaient éclaté dans la province de la Frise au sujet d'une affaire portée devant les tribunaux. Puis une loi de 1956 finit par autoriser l'usage oral du frison dans les cours de justice de la Frise, mais c'est le juge qui devait décider si le frison était permis. Dans les faits, rares furent les citoyens qui se prévalurent de leur droit de recourir au frison. À la suite d'une modification à la Loi sur l'enseignement primaire de 1974, le frison devint une matière obligatoire dans la province de Frise à partir du 1er août 1980, acquérant ainsi un statut régulier au sein du système éducatif provincial. 

La collaboration entre l'État et les représentants de la Frise ont recommencé pour aboutir à un projet d'une loi sur la langue frisonne. Le projet de loi était pratiquement terminé au moment où il fut déposé au Parlement. Certains groupes de pression tendent bien de faire reconnaître le frison, mais ce n'était pas jusqu'en 2013 inscrit dans les lois. 

Finalement, la Loi sur l'emploi de la langue frisonne fut adoptée le 2 octobre 2013. Selon les dispositions de cette loi, quiconque réside dans la province de la Frise aura le droit d'employer sa langue maternelle, le néerlandais ou le frison, dans un tribunal et dans ses relations avec les services administratifs. On peut y lire à l'article 2: «Les langues officielles dans la province de la Frise sont le néerlandais et le frison.» Même si le gouvernement central a fini par céder aux pressions, il a conservé le plein contrôle d'une politique linguistique propre à la Frise. Le pouvoir restreint et les faibles ressources financières du gouvernement provincial limitent les tentatives d'une politique linguistique.

7.3 La question des immigrants

La question des immigrants soulève de plus en plus de controverses aux Pays-Bas, car les autorités doivent composer avec une arrivée massive d'immigrants. Cette population, généralement originaire de Turquie ou du Maroc, mais aussi de l'Inde, compterait environ un million de personnes de religion musulmane. C'est une population fortement concentrée dans les quatre principales agglomérations (Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht), où les immigrants et leurs enfants représentent plus du tiers des habitants.

Si les autorités des Pays-Bas se sont montrées jusqu'à récemment assez tolérantes à cet égard, il n'en est pas ainsi ces dernières années. En janvier 2007 il y a eu une nouvelle loi d'intégration. Cette loi est valable pour quiconque n'a pas la nationalité néerlandaise, qui ne parle pas encore bien le néerlandais et qui n'a pas suffisamment de connaissances sur les Pays-Bas. Ceux qui sont venus d'autres pays pour habiter aux Pays-Bas doivent s'intégrer. Cela signifie qu'ils doivent apprendre la langue et qu'ils doivent savoir comment la culture et la société fonctionnent aux Pays-Bas. Par ailleurs, mal intégrés et peu représentés dans les institutions du pays, les enfants de l'immigration se tournent vers les mosquées où l'on trouve des imans de plus en plus radicaux. Depuis un demi-siècle, le «pays des tulipes» avait la réputation d'être le «royaume de la tolérance». Cependant, une partie de la population ne se reconnaît plus dans la société multiculturelle qu'on leur a fabriquée. Sous la pression de la rue, le gouvernement a instauré des cours «d'intégration» pour les immigrants.

Quelques années plus tard, un parti d'extrême droit, le Parti pour la liberté (en néerlandais: Partij voor de Vrijheid ou PVV) a fait son apparition aux Pays-Bas. Son chef aurait dénoncé un vaste complot visant à transformer l'Europe en «califat», avec la complicité de millions de musulmans européens. Pour lui, les Marocains sont des «ordures», alors que le premier ministre est au service des «étrangers» et le maire d'Amsterdam, un «buveur de thé à la menthe». L'essentiel du programme du PVV tient sur une seule page. Il se lit comme une déclaration de guerre avec la fermeture des mosquées, l'interdiction de la vente du Coran associé au livre Mein Kampf d'Adolf Hitler, sans oublier la fermeture des frontières aux musulmans et la fin des subventions à l'aide internationale, à l'énergie éolienne, aux artistes et à la Radiodiffusion publique des Pays-Bas. Enfin, pour le PVV, l'Union européenne est comparée à un «État nazi».

Le pays des tulipes ne ferait plus dans la dentelle? Évidemment, ce point de vue est exagéré, car les Pays-Bas sont l'un des pays où l'indice de corruption est parmi les plus bas au monde. C'est aussi un pays où la discrimination est interdite par la loi et où les droits linguistiques ont été nettement améliorés ces dernières années. 

7.4 Le Royaume des Pays-Bas

Depuis le 1er juillet 2007, la Fédération des Antilles néerlandaises a commencé sa dissolution qui aurait dû être effective le 15 décembre 2008, mais, après un délai, le transfert des compétences souveraines vers Curaçao et Saint-Martin fut officialisé le 10 octobre 2010.

Depuis lors, les compétences de l’État fédéral autonome des Antilles néerlandaises furent transférées aux nouveaux territoires autonomes d'Aruba, de Curaçao et de Saint-Martin; ceux-ci forment des États autonomes au sein du Royaume des Pays-Bas. Quant aux îles de Bonaire, de Saba et de Saint-Eustache, elles sont devenues trois nouvelles municipalités néerlandaises à statut particulier. La Charte du Royaume des Pays-Bas (en néerlandais: Statuut voor het Koninkrijk der Nederlanden; en papiamento: Statuut di Reino Hulandes) est l'instrument juridique qui définit les relations politiques entre les quatre pays ou États qui constituent le Royaume des Pays-Bas. Voici comment se présente maintenant le Royaume des Pays-Bas.

Le Royaume des Pays-Bas ("Koninkrijk der Nederlanden") est constitué des entités suivantes:

- quatre pays ou États autonomes: Aruba, Curaçao, Saint-Martin (ou Sint Maarten) dans les Caraïbes et les Pays-Bas en Europe;

- 12 provinces;

- trois municipalités à statut spécial : Bonaire, Saint-Eustache (ou Sint Eustatius) et Sava, situées dans la partie outre-mer ;

Ces trois dernières îles-municipalités sont aussi appelées les îles BES pour Bonaire, Saint-Eustache et Sava.

Bref, le Royaume des Pays-Bas comprend les Pays-Bas européens et les Pays-Bas caribéens. Le Parlement néerlandais a dû faire preuve d'ouverture en déclarant que les langues officielles étaient le néerlandais et l'anglais à Saint-Eustache et à Saba, en plus du papiamento à Bonaire. Dans les faits, les États des Pays-Bas caribéens peuvent adopter les politiques qu'ils veulent, sauf pour les questions relatives aux relations internationales et à la défense, qui sont considérées comme relevant de la juridiction du Royaume des Pays-Bas. Dommage que les provinces néerlandaises n'aient pas obtenu ce même statut.

Somme toute, l'État central des Pays-Bas apparaît encore timoré devant tout statut officiel accordé aux langues des minorités nationales comme au néerlandais. Néanmoins, l'État central des Pays-Bas s'est montré plus ouvert dans les Territoires néerlandais d'outre-mer en accordant la co-officialité des langues néerlandaise, anglaise et papiamento aux îles BES (Bonaire, Saint-Eustache et Saba). Cette mesure en matière de décentralisation administrative est nouvelle et pourrait être accordée non seulement à la province de la Frise avec le frison, mais à d'autres provinces comme le Limbourg (limbourgeois), la Gueldre (bas-allemand), la Drenthe (bas-saxon) et la Twente (bas-allemand). On n'en est pas encore là, surtout avec la montée de l'extrême droit qui propage des sentiments ultra-nationalistes et anti-immigration.

Dernière mise à jour: 19 février, 2024

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Royaume des Pays-Bas

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(1)
Situation générale
 


(2) Données historiques

 


(3)
La politique linguistique
dans la partie européenne

 


(4) La politique linguistique
dans les Pays-Bas caribéens

 
(5) Les politiques des États autonomes
(Aruba, Curaçao et St-Martin)
(6) La bibliographie


 

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