Les alliances franco-indiennes
Pour maintenir son empire en Amérique du Nord, la France devait s'appuyer sur des alliances avec les autochtones. De fait, le nombre des nations amérindiennes alliées des Français était assez surprenant. Les Français pouvaient compter sur presque tous les Algonquiens du Canada, de l'Acadie et du sud des Grands Lacs, c'est-à-dire les Abénaquis, les Micmacs, les Montagnais, les Malécites, les Algonquins, les Hurons, les Outaouais, les Saulteux (Ojibwés), les Cris, les Ériés, les Pieds-Noirs, les Illinois, les Miamis, les Poutéouatamis, etc.
En Louisiane, les Français avaient obtenu des alliances avec un grand nombre de nations, dont les Chactas, les Crics, les Natchez, les Oumas, les Nakotas, les Lakotas, etc.
Ayant consolidé leurs alliances avec les autochtones, les Français contrôlaient non seulement l'Acadie, la vallée du Saint-Laurent, mais aussi la vallée de l'Ohio, qui s'étendait du fort Détroit jusqu'en Louisiane et à l'embouchure du Mississipi. Voici un tableau permettant de se faire une idée plus précise de ces alliances:
Groupe ethnique |
Nom français |
Nom anglais |
Localisation au XVIIe siècle |
Alliance |
Algonquien |
||||
Abénaqui |
Abenaki |
Acadie |
française |
|
Béothuk | Beothuk | Terre-Neuve | - | |
Micmac |
Micmac |
Québec |
française |
|
Innu (Montagnais) |
Idem |
Québec |
française |
|
Algonquin |
Algonquia |
Québec |
française |
|
Outaouais, Outaouac |
Ottawa |
Québec, Ontario, Ohio |
française |
|
Cri |
Cree |
Ontario |
française |
|
Chien |
Cheyenne |
Nebraska |
française |
|
Illinois, Illiniouk |
Illiniwek |
Illinois |
française |
|
Pied-Noir |
Black Foot |
Alberta, Montana |
française |
|
Poutéouatami |
Potawatomi |
Ohio, Indiana |
française |
|
Saulteur, Odjibouek |
Ojibwa |
Minnesota, Michigan |
française |
|
Renard |
Fox |
Wisconsin |
- |
|
Sac |
Sauk |
Wisconsin |
- |
|
Puan |
Winnebago |
Wisconsin |
- |
|
Ménomini |
Menominee |
Wisconsin |
- |
|
Miami |
Miami |
Illinois |
française |
|
Chouanon | Shawnee | Ohio, Pennsylvanie | française | |
Iroquoïen |
||||
Huron, Pétun Gens du Pétun |
Huron, Wyandot Tionnontati |
Ontario, Québec Ohio |
française
|
|
Tuscarorin (Six Nation) | Tuscarora | Carolines |
- |
|
Chat ou Érié |
Eries |
Ohio |
- |
|
Susquéhannock |
Susquehannock |
Pennsylvanie |
- |
|
Agnier (Cinq Nations) | Mohawk | Québec | anglaise | |
Onontagué (Cinq Nations) |
Onondaga |
New York |
anglaise |
|
Sénéca (Cinq Nations) | Seneca | Pennsylvanie | française | |
Muskoguien |
||||
Chacta |
Choctaw |
Mississipi |
française |
|
Chicacha,Têtes-Plates |
Chickasaw |
Mississipi, Alabama |
anglaise |
|
Cric |
Creek |
Carolines |
anglaise |
|
Natchez |
Natchez |
Mississipi, Louisiane |
- |
|
Bayogoula |
Bayogoula |
Louisiane |
française |
|
Ouma |
Ouma |
Louisiane |
française |
|
Alibamou | Alabama | Alabama | anglaise | |
Chéraqui | Cherokee | Carolines | anglaise | |
Quinipissa | Quinipissa | Louisiane | française | |
Yamassi | Yamasee | Floride | anglaise | |
Sioux |
||||
Quipa | Quapaw | Arkansas | française | |
Ponca | Ponca | Missouri | française | |
Osage | Osage | Missouri |
- |
|
Kansas | Kansas | Missouri, Kansas |
- |
|
Dakota | Dakota | Minnesota, Dakotas | - | |
Lakota | Lakota | Sask, Montana | - | |
Nakota | Nakota | Iowa | - | |
Pied-Noir | Black Feet | Sasketchewan | - | |
Iowa |
Ayohouais |
Iowa |
Iowa |
française |
En tenant compte du tableau ci-dessus, les Français auraient conclu des alliances avec quelque 23 nations, les Britanniques avec 7, mais 15 autres sont restées neutres. Comme les Britanniques avaient le nombre pour eux, l'apport des alliés amérindiens semblait moins important. On peut dire que dans l'ensemble les Français établirent des relations plutôt cordiales (bien que paternalistes) avec les populations autochtones, sauf avec les Iroquois avec lesquels ils furent souvent en guerre, du moins jusqu'à la paix de Montréal de 1701.
L'historiographie est d'ailleurs marquée par la thèse du «génie colonial» qui aurait caractérisé les Français en Amérique du Nord. Leur approche auprès des indigènes aurait été plus conciliante et ouverte que chez leurs concurrents européens. Un historien de Boston, Francis Parkman (1823-1893) dans France and England in North America, a bien exprimé cette thèse : «La civilisation hispanique a écrasé l'Indien; la civilisation britannique l'a méprisé et négligé; la civilisation française l'a adopté et a veillé sur lui.» En réalité, les Français n'ont pas eu davantage que les autres colonisateurs européens le monopole de la vertu, mais toute la politique impériale française a reposé sur ses alliances avec les autochtones. Pour les gouverneurs de la Nouvelle-France, la «politique indienne» avait préséance sur tout le reste, car sans leurs alliés indiens les colonies de la Nouvelle-France auraient été des coquilles vides appelées très tôt à disparaître. Sous la pression d'Indiens mécontents, les gouverneurs n'hésitaient même pas à démettre de leurs fonctions les officiers à la source de ces mécontentements. Un officier français, le chevalier Raymond de Nérac parle ainsi du prix à payer pour s'allier les autochtones:
Il est incroyable la politique et les ménagements qu'il faut avoir pour les Sauvages, pour se les conserver fidèles. [...] C'est pourquoi toute l'attention que doit avoir un commandant pour servir utilement, c'est de s'attirer la confiance des Sauvages où il commande. Pour y parvenir, il faut qu'il soit affable, qu'il paraisse entrer dans leurs sentiments, qu'il soit généreux sans prodigalité, qu'il leur donne toujours quelque chose.
- Le vocabulaire politique des alliances
Il existait tout un vocabulaire politique des alliances. Les autochtones alliés des Français étaient les «enfants» du gouverneur et du roi de France. C'est sur la métaphore du «père» et de l'«enfant» que s'établissait la relation franco-indienne en Amérique du Nord. Au Canada, le gouverneur était appelé Onontio (la «Grande Montagne») par les Amérindiens. C'est un terme qui correspondrait au nom huron du premier gouverneur, Charles Jacques du Huault de Montmagny (1636-1648), c'est-à-dire «Mons Magnus». Ce nom devint l'appellation officielle de tous les gouverneurs du Canada et il s'est transmis de génération en génération. Lorsque le gouverneur décédait ou était remplacé, les ambassadeurs des différentes nations observaient le même rituel: ils se rendaient solennellement à Montréal pour rencontrer le nouvel Onontio. Quant au roi de France, celui qui habitait par-delà le «grand lac» (l'océan Atlantique), c'était le Grand Onontio ou Onontio Goa («la plus haute montagne de la terre»). Les visites des chefs indiens à la Cour de France étaient fréquentes, car elles servaient à renforcer l'alliance franco-indienne. De leur côté, les enfants d'Onontio étaient appelés Sauvages alliés, nations alliées ou nations des Sauvages. Ils étaient sous la «protection» du roi de France reconnu comme le seigneur du pays, mais sans se soumettre à ses lois. Comme ils n'étaient pas des «sujets» du roi de France, ils échappaient à la justice française, aux redevances seigneuriales et à l'enrôlement dans la milice. Néanmoins, si les Français en avaient eu le temps, ils auraient bien aimé faire des Indiens des sujets français, c'est-à-dire les soumettre tout en leur offrant une place dans l'Empire.
L'influence de tout Onontio en Nouvelle-France dépendait de sa facilité d'adaptation aux règles de la chefferie indienne, c'est-à-dire aux «manières sauvages». Il lui fallait constamment faire part à ses alliés autochtones de ses projets et les consulter régulièrement. Ses «ordres» étaient des «propositions»: le gouverneur (Onontio) proposait, mais ne disposait pas. Pour maintenir l'harmonie au sein de l'alliance, il fallait «dissiper les nuages», c'est-à-dire employer des discours de circonstance et donner des présents. Français et autochtones avaient développé tout un rituel du don et du contre-don à travers une politique du «bon marché», qui consistait à offrir plus de marchandises aux autochtones, même s'ils apportaient moins de fourrures.
- Les revers des alliances
Mais les alliances avec les Français entraînèrent également le déclin des autochtones. Samuel de Champlain passa les années 1615-1616 dans «le pays d'en haut» (région des Grands lacs) afin de promouvoir le commerce des fourrures et de favoriser l'établissement de missions auprès des Amérindiens. Ce fut d'abord les récollets (1615), puis les jésuites (1626) et les sulpiciens (1669). Mais les missionnaires, même s'ils apprenaient les langues autochtones, tentaient de franciser les autochtones tout en les convertissant à la foi chrétienne et leur transmettaient des maladies européennes contre lesquelles les autochtones n'étaient guère immunisés. D'ailleurs, les Hurons, par exemple, mirent du temps à comprendre que, contrairement aux avertissements des missionnaires, la colère de Dieu ne s'abattait pas sur eux pour les punir de leur impiété, mais parce que les missionnaires constituaient eux-mêmes la principale cause de la malédiction qui pesait sur leur pays. Au cours des années 1630, la petite vérole et la rougeole décimèrent la population huronne: des milliers d'indigènes moururent. Dans les années 1640, la population avait diminué de la moitié. Malgré les efforts des missionnaires décidés à les soigner, plusieurs des tribus alliées subirent le même sort.
Par ailleurs, les Iroquois christianisés qui habitaient Akwesasne, Kahnawake, Kanesatake et Oswegatchie combattirent avec les Français les forces britanniques installées le long de la côte atlantique. En 1667, les Iroquois convertis par les jésuites français quittèrent la Confédération iroquoise et s'établirent le long du fleuve Saint-Laurent dans les environs de Montréal. En 1690, les Mohawks, les Onondagas et les Senecas s'engagèrent à appuyer les Britanniques contre les Français, mais les Oneidas et les Cayugas refusèrent de faire de même. En 1710, quatre chefs iroquois (surnommés les «quatre rois indiens» par les Britanniques) rendirent visite à la reine Anne d'Angleterre et lui jurèrent allégeance.
- Amérique du Nord - Histoire du français québécois