République argentine |
Argentine
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Données historiques |
Plan de l'article
1 Les premiers habitants
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La traversée du détroit de Béring en provenance d'Asie, il y a environ 30 000 ans, a marqué le début de la colonisation de l'Amérique par le pléistocène, c'est-a-dire l'ère glaciaire. Des groupes de chasseurs-cueilleurs asiatiques, appartenant à la variété humaine moderne Homo sapiens sapiens, provenaient d'une population similaire au Mongoloïde, bien que ce ne fut pas la seule, à traverser le nouveau continent.
Les premiers êtres humains qui se sont installés en Argentine semblent y être parvenus par l'extrémité sud de la Patagonie chilienne. Les témoignages les plus anciens firent cette préhistoire vers le XIe millénaire avant notre ère. Il existe des preuves que les premiers groupes de chasseurs ont été étendus à 12 000 ans dans différentes parties de l'Amérique du Sud, atteignant même la Terre de Feu actuelle. Ces premiers colons ont formé des bandes apparentées entre 25 et 50 individus qui ont subsisté avec la cueillette de fruits et de plantes, et la chasse aux animaux. Il est très probable que les mouvements de population étaient liés aux changements écologiques qui ont à leur tour entraîné la disparition de grands animaux, ainsi que l’accroissement démographique, la pression de la chasse et la concurrence avec d’autres groupes. Dans un monde en mutation, la nourriture devait être garantie pour un plus grand nombre de personnes. Celles-ci se sont déplacées suivant des itinéraires basés sur la connaissance des ressources fournies par le territoire et ont été logées dans des grottes, des abris ou des cabanes de branchages et de peaux. |
Au néolithique moyen, l'expression la plus importante signalant l'existence d'une culture se trouvait à La Aguada, où se trouvaient des céramiques complexes aux formes anthropomorphes. Les premiers habitants se sont consacrés à la culture du maïs, de la céramique et du travail du bronze sur des haches et autres instruments. À la fin du néolithique, de 850 à 1480 avant notre ère, les premières concentrations démographiques importantes se sont formées. Habitant dans les régions montagneuses, les communautés s'abritaient généralement dans des grottes.
1.1 Les peuples autochtones argentins
Les peuples autochtones argentins se sont divisés en deux grands groupes: d'une part les chasseurs-cueilleurs nomades qui habitaient la Patagonie, la Pampa et le Chaco, d'autre part, les agriculteurs sédentaires, installés dans le nord-ouest, le Cuyo, les Sierras de Córdoba et plus tardivement, en Mésopotamie.
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Évidemment, nous savons peu de choses au sujet de ces premiers «colons»: leurs maisons avaient une forme semi-circulaire et étaient à moitié enfouies. C'étaient des chasseurs et des pêcheurs; ils utilisaient des bateaux de pêche et des harpons, et cueillaient également des mollusques. La Patagonie, l'extrémité de l'entonnoir de l'Amérique du Sud, constitue ce qu'on appelle en espagnol "un área de arrinconamiento", c'est-à-dire une «zone de confinement». Cette situation à l'extrémité du continent a rendu les habitants plus imperméables aux influences de ceux qui habitaient plus au nord. Apparemment, la plupart des colons d'origine précolombienne seraient arrivés par voie maritime à travers le Pacifique.
Avant l'arrivée des Espagnols, la population de l'actuelle Argentine s'élevait probablement à quelque 300 000 individus dispersés en une vingtaine de groupes ethniques. Les communautés les plus connues étaient les Daguita, les Guarani, les Tupi, les Toba, les Guaycurú, les Pampa, les Tehuelche, les Mapuches et les Ona.
Certains de ces peuples faisaient partie de l'Empire inca (voir la carte ci-contre) puisque le territoire de celui-ci comprenait une partie du nord-ouest de l'actuelle Argentine, ainsi que la quasi-totalité des territoires actuels du Pérou et de l'Équateur, plus une partie importante de la Bolivie, du Chili, ce qui correspondrait à une superficie de plus de trois fois celle de la France d'aujourd'hui. Son territoire s'est en effet étendu, à son extension maximale, sur près de 4500 km de long. |
1.2 Le navigateur Amerigo Vespucci
Le navigateur au service du royaume de Portugal et de la couronne de Castille, Amerigo Vespucci (1454-1512), fut le premier Européen à s'approcher des côtes argentines en 1502. Vespucci s'était embarqué pour l'Amérique vers 1499 afin de reconnaître ce nouveau continent et atteignit l'Amazonie, puis l'Argentine. En 1507, un cartographe allemand, Martin Waldseemüller, éditeur d'une nouvelle carte intégrant les «découvertes» désigna ce continent du nom de "Amerigo" («Amérique»), en l'honneur d'Amerigo Vespucci dont il admirait l'intuition. Comme on peut le constater, l'usage est resté. Juan Diaz de Solís, un navigateur espagnol visita la région en 1516, débarqua au Rio de la Plata et commença la mise en valeur économique du territoire. Ce fut le début de la colonisation espagnole.
2 La colonisation espagnole
La véritable colonisation de l'Espagne débuta en 1536 avec l'arrivée d'un gouverneur militaire du nom de Pedro de Mendoza (1499-1537), pour l'ensemble de la région. La ville de Buenos Aires fut fondée cette année-là par Mendoza, mais le territoire demeura longtemps soumis à la vice-royauté du Pérou, de 1542 à 1717.
2.1 La vice-royauté du Pérou
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La vice-royauté péruvienne (voir la carte ci-contre) s'étendait bien plus que les limites de l'Empire inca, car elle partait de l'isthme de Panama au nord jusqu'à la Patagonie au sud, et de l'océan Pacifique jusqu'à la forêt amazonienne et l'océan Atlantique. Les seuls territoires de l'Amérique du Sud qui n'en faisaient pas partie étaient l'est de l'actuel Brésil, dominé par les Portugais, et l'actuel Venezuela qui dépendait de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne. Une partie du Brésil actuel n'était pas à ce moment-là encore concédé ni à l'Espagne ni au Portugal. Bref, la vice-royauté du Pérou comprenait ce qu'on appelle aujourd'hui, le Panama, la Colombie, l'Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Pendant les deux premiers siècles de son existence, la vice-royauté du Pérou, créée le 20 novembre 1542 par Charles Quint, comprenait la plus grande partie de l'Amérique du Sud.
Déjà établis au Paraguay et au Pérou, les Espagnols peuplèrent la région de la côte atlantique de l'Argentine. Ils pratiquèrent l’élevage du bétail et créèrent des conditions favorables à l’établissement d’une économie agricole stable.
Les populations autochtones furent rapidement christianisées et métissées avec les occupants européens, alors que la langue espagnole occupait déjà tout le terrain. Durant toute la vice-royauté du Pérou, il n'y eut jamais de politique linguistique adoptée à ce sujet, sauf l'assimilation forcée des autochtones. |
2.2 La vice-royauté du Rio de la Plata
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Au milieu du XVIIIe siècle, la population de l’Argentine comptait près de 20 000 habitants et était considérée déjà comme un «pays hispanophone». En 1776, le territoire occupé par ce qui est aujourd’hui l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay fut séparé de la vice-royauté du Pérou, sur ordre du roi Charles III d'Espagne, afin de constituer la vice-royauté du Río de la Plata, dont Buenos Aires devint la capitale. Ce territoire correspondait approximativement ce qui est aujourd'hui, la Bolivie, le Paraguay, l'Uruguay et l'Argentine. L'administration de la nouvelle vice-royauté avait un caractère nettement militaire et le premier vice-roi, Pedro de Cevallos, attaqua des établissements portugais de la "Colonia del Sacramento" en violation du traité de Tordesillas.
Comme le territoire n'avait pratiquement pas accès au Pacifique, tout le commerce s’orienta vers l’océan Atlantique, mais une grande partie du territoire de la vice-royauté demeura insoumise, particulièrement le sud de l'Argentine, aux provinces actuelles de Chubut, de Santa Cruz et de Tierra del Fuego, et ce, jusqu'à la seconde moitié du XIXe siècle. À la longue, le monopole commercial de l’Espagne suscita le mécontentement des populations locales, notamment chez les Métis. En 1810, une junte insurrectionnelle encouragée par la Grande-Bretagne (qui avait déjà attaqué Buenos Aires en 1806) chassa le vice-roi. |
En 1816, les représentants des patriotes (ou indépendantistes) réunis en congrès à Tucumán (à 1500 kilomètres au nord de Buenos Aires) proclamèrent l’indépendance des «Provinces-Unies du Rio de la Plata». Au terme d'une violente controverse, les partisans d'une république unitaire l'avaient emporté provisoirement. Après quelques années de conflits militaires, les troupes espagnoles furent définitivement battues en 1816.
3 L'indépendance des Provinces-Unies
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L'indépendance fut proclamée le 9 juillet 1816 sous le nom de «Provinces-Unies d’Amérique du Sud» (Provincias Unidas de América del Sur). Dans la carte de gauche, le territoire des Provinces-Unies comprenait la superficie en vert vert foncé (sous domination effective) et en vert clair qui correspondait à ce qui est aujourd'hui le département bolivien de Tarija, le Paraguay, l'Uruguay, une partie de la pampa argentine et la totalité de la Patagonie argentine, habitée par les autochtones, un territoire occupé par les "realistas", c'est-à-dire les forces armées formées principalement par des Espagnols européens et américains, et utilisées pour la défense de la monarchie espagnole contre les révolutionnaires de l'indépendance hispano-américaine. Le nouvel État, libéré du joug espagnol, allait pourtant plonger dans une nouvelle lutte, fratricide cette fois, entre les «provincialistes» et les «unitaires» partisans de l'unité nationale.
3.1 Combats entre «unitaires» et «particularistes» (1819-1880)
L'histoire du pays fut marquée par la lutte entre les «unitaires» (les porteños) et les défenseurs des particularismes provinciaux (les caudillos). Les habitants de Buenos Aires, les porteños, souhaitaient l’instauration d’un gouvernement centralisé; au contraire, les caudillos préféraient un régime de type fédéral. Les conflits s’amplifièrent à un point tel que les deux factions en arrivèrent à une guerre civile en 1819. La paix fut rétablie en 1820, mais le problème demeurait entier. |
En 1826, Bernardino Rivadavia, le premier président de la nation, prêta serment comme président de la Republica de las Provincias Unidas del Rio de la Plata (République des Provinces-Unies du Rio de la Plata), ce qui signifie que le nom de l'Argentine ne s'appliquait pas encore au pays.
En 1829, le général Juan Manuel de Rosas, un riche caudillo, s’imposa comme gouverneur de la province de Buenos-Aires. Il étendit son autorité aux Provinces-Unies qui furent baptisées la «Confédération argentine». Durant tout le gouvernement de Rosas (1829-1852), plusieurs appellations furent utilisées pour désigner le pays: Federación Argentina, Confederación Argentina, Nación Argentina ou encore Republica Argentina. C'est donc à cette époque qu'on commença à appeler le pays avec le mot Argentina. Cependant, tout en prônant le fédéralisme, Juan Manuel de Rosas imposa une dictature qui jeta les bases de l’État argentin actuel.
3.2 La formation de l'identité argentine
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Cette période de l'histoire de l'Argentine fut marquée par la nécessité d’acquérir une identité culturelle émancipée de celle de l'Espagne. La question linguistique fut vécue comme une querelle politique où les politiciens, les publicistes et les écrivains entrèrent en conflit ouvert. La formation de l'identité argentine est en grande partie issue d'une longue querelle autour de la langue parlée par les Argentins. Cette querelle a commencé en 1828 avec l'essai sur la "Literatura Nacional" de Juan Cruz Varela (1794-1839), un écrivain, journaliste et homme politique argentin.
Puis d'autres écrivains et philosophes argentins poursuivirent cette idéologie d'émancipation linguistique, notamment Juan Bautista Alberdi (1810-1884), diplomate et théoricien argentin, qui prônait l'émancipation de l'Argentine du joug de l'Espagne. Bien qu'il ait passé la majeure partie de sa vie en exil au Chili, en Uruguay et en France, il fut l'un des libéraux argentins les plus influents de son époque. Alberdi est non seulement l'un des géants intellectuels de l'Argentine, mais de toute l'Amérique latine. |
Dans son essai de 1880 intitulé La Omnipotencia del Estado es la Negación de la Libertad Individual («La toute-puissance de l'État est le déni de la liberté individuelle», Alberdi soutenait que cette émancipation de l'Espagne était nécessaire parce que la couronne d'Espagne ne recherchait que ses intérêts, par ceux de ses colons:
La corona de España no fundó sus colonias de América para hacer la riqueza y poder de sus colonos, sino para hacer su negocio y poder propio de la corona misma. Pero para que esta mira no degenerase en un sistema capaz de dar la riqueza y el poder a los colonos, en lugar de darlos al monarca, la colonia recibió la Constitución social y política que debía de hacer a su pueblo un mero instrumento del Real patrimonio, un simple productor fiscal de cuenta de su Gobierno y para su real beneficio. |
[La couronne d'Espagne n'a pas fondé ses colonies américaines pour créer la richesse et le pouvoir de ses colons, mais pour créer ses propres affaires et pour assurer le pouvoir de la couronne elle-même. Mais pour que ce système ne dégénère pas en un moyen apte à donner de la richesse et du pouvoir aux colons plutôt que de les donner au monarque, la colonie a reçu la Constitution sociale et politique qui allait faire de son peuple un simple instrument du patrimoine royal, un simple producteur fiscal pour le compte de son gouvernement et pour son bénéfice réel.] |
Toutefois, cette même émancipation ne devait pas être seulement politique, mais aussi linguistique. Dans El Iniciador, un journal uruguayen de Montevideo, paru en 1838, Alberdi préconisait ainsi l'affranchissement de la langue espagnole argentine:
La lengua, como la ley, es la razón, la naturaleza expresadas por el pueblo. El que ordena las condiciones normales de los pueblos es realmente el que determina la lengua. De suerte que hay cierto fatalismo inteligente en los destinos de la lengua, como en la historia de los pueblos. Pero si es necesario abandonar la estructura española de la lengua que hablamos, y darle una forma americana y propia, ¿cuál pues deberá ser esta forma? Ella no está dada como no está dada tampoco la forma de nuestra sociedad: lo que sabemos es que a quien toca darla es al pueblo americano y no al pueblo español. |
[La langue, comme la loi, est la raison, la nature exprimée par le peuple. Celui qui ordonne les conditions normales du peuple est vraiment celui qui détermine la langue. Il y a donc un certain fatalisme intelligent dans les destinées de la langue, comme dans l'histoire des peuples. Mais s’il est nécessaire d’abandonner la structure espagnole de la langue que nous parlons et de lui donner une forme américaine et sa propre forme, quelle devrait alors être cette forme? Ce n'est pas acquis, car la forme de notre société ne l'est pas non plus: ce que nous savons, c'est que c'est le peuple américain et non le peuple espagnol qui devrait le concevoir.] |
Bref, Juan Bautista Alberdi, comme plusieurs autres écrivains et politiciens, prônait formellement une nouvelle identité linguistique, celle véhiculée par l'espagnol argentin, voire simplement l'argentin. Pendant la guerre civile en Argentine, Alberdi s'est tenu aux côtés des fédéralistes libéraux et du dictateur Manuel Rosas.
4 La Constitution fédérale de 1853
En 1852, le général Juan Manuel de Rosas fut renversé par un groupe révolutionnaire conduit par un autre général, Justo Urquiza, ancien gouverneur de la province d’Entre Ríos. Le congrès de Santa Fé établit la Constitution fédérale de la République argentine en 1853, toujours en vigueur aujourd'hui. Celle-ci est basée sur l'œuvre principale de Juan Bautista Alberdi: Bases y puntos de partida para la organización política de la República Argentina («Bases et points de départ de l'organisation politique de la République argentine»). En fait, Juan Bautista Alberdi fut le plus important auteur de la Constitution argentine de 1853 qui demeure le fondement juridique de l'actuelle Argentine. Elle s'inspirait de la jurisprudence et de la doctrine politique sur lesquelles est fondé le fédéralisme américain. De la même façon, cette constitution établissait un système républicain de séparation des pouvoirs, accordait une autonomie importante aux provinces et instituait un pouvoir fédéral dominé par l'Exécutif, tout en étant limité par un Congrès bicaméral avec pour objectif de concilier la représentation populaire et l'équité entre les provinces.
4.1 La dénomination officielle du pays
Finalement, avec l’organisation définitive du pays en 1860 — il faut se souvenir que jusqu’alors Buenos Aires était séparé du reste du pays —, le président Santiago Derqui (1860-1861) imposa par décret, dans la ville de Parana, la dénomination de Republica Argentina (8 octobre 1860), celle qu'on connait actuellement.
Artículo 35
Habiendo resuelto la Convención Nacional ad hoc que para designar la Nación puedan indistintamente usarse la denominación Provincias Unidas del Río de la Plata, República Argentina o Confederación Argentina; y siendo conveniente a este respecto establecer uniformidad en los actos administrativos. El Gobierno ha venido en acordar que para todos estos actos se use la nominación ‘República Argentina’. |
Article 35
Ayant adopté la Convention nationale ad hoc qui, pour désigner la Nation, peut utiliser indistinctement comme appellation Provinces-Unies du Rio de la Plata, République argentine ou Confédération argentine; il convient à cet égard d'établir l'uniformité des actes administratifs. Le gouvernement en est venu à convenir que, pour tous ces actes, l'appellation «République argentine» doit être utilisée.
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Rappelons que l'appellation
Provincias Unidas del Rio de la Plata
avait été utilisée en 1810, puis Republica Argentina en 1826 et
Confederación Argentina en 1835 (jusqu'en 1852). La Constitution de 1853 a changé le mot
Confédération par Nation. Forcément,
c'est l'appellation
República Argentina qui s'imposa dans l'usage.
La Confédération argentine de 1853 regroupait les provinces suivantes: Jujuy, Salta, Tucuman, Catamarca, La Rioja, San Juan, Mendoza, San Luis, Cordoba, Santa Fé, Corrientes et Entre Rios.
Quant à la province de Buenos Aires, elle avait fait sécession d’avec le reste du pays et le nouvel État exista ensuite de manière semi-indépendante de 1852 à 1861, à la suite du refus de la Confédération argentine de le reconnaître. La région autour de Buenos Aires avait été soustraite aux autochtones qui furent dépossédés de leurs terres afin qu'elles puissent être utilisées pour l'élevage de bétail, ce qui allait entraîner des affrontements inévitables entre les Espagnols et les autochtones, surtout les Pampa. Dès 1854, l'État de Buenos Aires réclama l'annexion des territoires autochtones plus au sud, alors contrôlés par la nation mapuche. Pendant plusieurs années (sept ans), les conflits armés se succédèrent les uns aux autres entre les deux États distincts dans les faits — la Confédération argentine et l'État de Buenos Aires — jusqu'à ce que la bataille de Pavón, livrée le 17 septembre 1861 dans la province de Santa Fé, se solda par la victoire de l’État de Buenos Aires, ce qui permit à celui-ci de réintégrer la Confédération tout en y gardant une position prédominante, politiquement aussi bien qu’intellectuellement et économiquement. Une convention nationale élut un nouveau président argentin et désigna la ville de Buenos Aires comme capitale du pays. C'est alors que la province de Buenos Aires, la région plus riche et la plus peuplée du pays, finit par contrôler toute l’Argentine. En 1880, la ville de Buenos Aires fut séparée de la province du même nom et acquit les titres de «district fédéral» et de «capitale nationale».
C’est au cours de cette période que l’Argentine fit venir six millions d’immigrants, en majorité des Italiens, afin de développer les exploitations de La Pampa. Avec l’arrivée de capitaux étrangers et de nouveaux immigrants, le pays connut un développement économique considérable grâce au réseau de chemins de fer qui drainait vers les ports les productions des grandes
estancias (tanneries, textiles et produits agroalimentaires). Cet essor fut cependant troublé par des problèmes frontaliers et la guerre du Paraguay (1865-1870).
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Au cours du XIXe siècle, l’immigration française constituait le troisième groupe numérique en importance, derrière les Italiens et les Espagnols. Il fallait donc s'attendre à ce que cette situation entraîne un grand nombre d'écoles en espagnol, en italien et en français. Durant cette époque, il y eut des décennies où les parents des élèves avaient le choix entre l'anglais et l'allemand ou l'anglais et l'espagnol, mais le français demeurait toujours obligatoire. Dans les écoles nationales, le français alternait parfois avec l'anglais et l'italien, avec deux ans pour l’une des langues et trois pour l’autre. Dans les écoles normales et commerciales, seuls l'anglais et le français étaient enseignés pendant quatre ou cinq ans.
4.2 La période de prospérité de 1880-1930
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L’unification du pays s’accompagna d’un renouveau économique, alors que le gouvernement se lançait à la conquête des «terres indiennes», appelée "La Conquista del Desierto": de la Pampa jusqu’au río Negro, lors de la guerre du Désert (1879-1880), conduite par le général et futur président Julio Argentino Roca.
- Le génocide des autochtones
Roca, à la tête d'une puissante armée, moderne et bien entraînée, parvint à soumettre la Patagonie en venant à bout de la résistance des peuples de l'ethnie mapuche, causant un très grand nombre de victimes. Les soldats recevaient une prime par paire de testicules qu’ils rapportaient de leur «chasse aux Indiens». On estime que la guerre fut la cause directe de la mort de plus de 20 000 autochtones non combattants (femmes, enfants et vieillards). De plus, quelque 10 000 autres furent emprisonnées, dont 3000 déportés à Buenos Aires, où on les sépara par sexe afin d'empêcher qu'ils puissent procréer des enfants. |
Les historiens modernes ont qualifié cette «campagne» d'acte de génocide et de purification ethnique. La «Conquête du désert» fut mise en route pour exterminer les peuples autochtones (Mapuches) et non pour mater les groupes violents d'autochtones qui refusaient de se laisser assimiler par la «civilisation occidentale». Le général Roca croyait que la seule solution contre la menace causée par les peuples indigènes était de les anéantir, les soumettre ou les expulser. L'objectif important pour Roca ne concernait aucunement le sort des autochtones, car c'étaient les millions d'hectares «récupérés» des habitants d'origine et le prestige politique militaire qui en résultait. D'ailleurs, le général Roca fut même appelé le "Conquistador del Desierto".
À la même époque, de semblables horreurs se déroulèrent dans d'autres pays, notamment aux États-Unis. À la suite de ses victoires, le général Roca s'attribua 30 000 hectares de terres. C’est ainsi que l'Argentine acquit de nouvelles grandes étendues de terres pour le pâturage et l’agriculture. Le 13 juin 1880, le Collège électoral accorda victoire au général Roca qui assuma la présidence en octobre sous la devise de «Paix et administration».
- L'avènement des écoles laïques
Julio Argentino Roca succéda à Nicolás Avellaneda comme président de l'Argentine en 1880. En 1884, sous la présidence de Roca, la loi n° 1420 sur l'éducation commune, gratuite et obligatoire fut promulguée. Voici quelques extraits concernant la langue:
Ley No. 1420 reglamentando la Educación Común (1884)
Artículo 1°
La escuela primaria tiene por único objeto favorecer y dirigir simultánea mente el desarrollo moral, intelectual y físico de todo niño de seis á catorce años de edad.
Artículo 2°
La instrucción primaria debe ser obligatoria, gratuita, gradual y dada conforme á los preceptos de la higiene.
Artículo 12
El minimun de enseñanza pera las escuelas ambulantes y de adultos comprenderá estos ramos: lectura, escritura, aritmética (las cuatro primeras reglas y el sistema métrico decimal), moral y urbanidad; nociones de idioma nacional, de geografía nacional y de historia nacional; explicación de la Constitución Nacional y enseñanza de los objetos más comunes que se relacionan con la industria habitual de los alumnos de la escuela.
Artículo 25.
Los diplomas de maestros de la enseñanza primaria, en cualquiera de sus grados, serán expedidos por las Escuelas Normales de la Nación ó de las Provincias. Los maestros extranjeros no podrán ser empleados en las escuelas públicas de enseñanza primaria, sin haber revalidado sus títulos ante una autoridad escolar de la Nación y conocer su idioma. |
Loi n° 1420 réglementant l'éducation commune (1884)
Article 1er
L’école primaire a pour seul objectif de promouvoir et de guider simultanément le développement moral, intellectuel et physique de chaque enfant âgé de six à quatorze ans.
Article 2
L'instruction primaire doit être obligatoire, gratuite, progressive et donnée selon les préceptes de l'hygiène.
Article 12
Le minimum d’enseignement pour les écoles itinérantes et celles des adultes comprendra ces disciplines: la lecture, l'écriture, le calcul (les quatre premières règles et le système métrique), la moralité et l'urbanité; les notions de la langue nationale, de géographie nationale et d'histoire nationale; l'explication de la Constitution nationale et l'enseignement des objets les plus courants liés au travail habituel des élèves de l'école.
Article 25
Les diplômes des enseignants du primaire, quelle que soit leur classe, seront émis par les écoles normales de la nation ou celles des provinces. Les enseignants étrangers ne peuvent pas être employés dans les écoles primaires publiques sans avoir revalidé leurs diplômes devant une autorité scolaire de la Nation et connaître sa langue. |
Cette loi du 8 juillet 1884 instituait pour la première fois un enseignement primaire obligatoire, gratuit et progressif. L'obligation impliquait l'existence d'une école publique accessible à tous les enfants de six à quatorze ans.
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Il s'agit là d'une loi fondatrice de l’État argentin qui créait ainsi un système d'enseignement public. Historiquement, l'Église catholique était responsable de l'éducation en général. Pour l'oligarchie au pouvoir, composée essentiellement de catholiques et de libéraux, cette loi scolaire consistait à consolider leur pouvoir. Étant donné que la religion à l'école était au cœur du débat, les députés ont dû décider du sort de l'enseignement de la religion dans les écoles. Finalement, l’État argentin, alors en plein développement dans son processus de sécularisation et de modernisation, trancha en faveur de l'enseignement laïc: la religion pouvait être enseignée avant ou après les cours normaux tout en autorisant que les locaux scolaires publics puissent être utilisés. En somme, l'instruction religieuse demeurait facultative et avec l'autorisation des parents elle pouvait être offerte en dehors des heures de classe. |
Cependant, l'influence de l'Église catholique demeura encore présente en imposant des contraintes aux enseignantes comme l'interdiction de se marier, de boire de l'alcool, de fumer des cigarettes, de se maquiller, de marcher avec des hommes, de porter des vêtements de couleurs vives ou au-dessus des chevilles, etc. Toute enseignante accusée de l'un de ces délits était congédiée.
En dépit de ces contraintes, l'enseignement primaire obligatoire et gratuit permit une démocratisation lente de la société argentine, ainsi que la montée sociale de secteurs importants, bien que l'un des rêves de l'oligarchie au pouvoir était de réduire et de contenir le pouvoir politique des masses. De plus, l'éducation mixte fut grandement encouragée, de même que la vaccination contre la variole, et les punitions humiliantes pour les élèves furent supprimées. De plus, la formation des enseignants, le financement des écoles publiques et le contrôle de l'éducation, privée ou publique, restaient aux mains de l'État. Enfin, la loi privilégiait la centralisation de l'éducation accompagnée d'un système d'inspectorat.
- L'autonomie des universités
Ce n'est pas tout. En 1885, le gouvernement fit adopter la loi n° 1579 sur les universités, plus connue sous le nom de Ley Avellaneda, du nom du ministre Nicolás Remigio Aurelio Avellaneda (un ancien président de l'Argentine) qui avait présenté le projet de loi. Cette première loi sur les universités établissait les bases sur lesquelles les statuts des universités nationales devaient s'adapter; elle référait fondamentalement à l'organisation de leur régime administratif et réglait ainsi l'autonomie des universités.
En 1893, l'Argentine accueillait l’Alliance française à Buenos Aires. Par la suite, le français fut enseigné à parité avec l'anglais dans l’enseignement secondaire. Au cours de cette période, le français bénéficia d'une vague de francophilie qui allait durer jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale.
- La prospérité et la corruption
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Afin de poursuivre la laïcisation de l'État, le gouvernement de Roca créa le registre civil, ce qui lui permettait de contrôler pour la première fois les naissances, les mariages et les décès, de gérer ses propres listes électorales et de ne plus dépendre de l'Église pour la réalisation des élections. Sous le gouvernement de Julio Argentino Roca, les investissements britanniques dans les chemins de fer, les réfrigérateurs, les banques et les terrains augmentèrent considérablement. En conséquence, quatre ans après l'accession du général à la présidence, l'Argentine consacrait près de la moitié de ses revenus au paiement de ses dettes envers des banques étrangères. Le pays se transforma avec l'arrivée de centaines de milliers d'immigrants attirés par «la grange du monde». La plupart s'installèrent sur la côte atlantique et seulement le quart, à la campagne, ce qui eut pour effet de submerger la population des villes qui acquirent une nouvelle physionomie. Le mandat du général Roca se termina le 12 octobre 1890. Mais la corruption, les privatisations frauduleuses et les négociations menées par le président Juarez Celman et son groupe poussèrent le pays à mettre fin au paiement de ses obligations extérieures et à une crise sans précédent. On assista au cours des années 1890 à la montée révolutionnaire du radicalisme et au réveil des luttes ouvrières, un produit direct de l'immigration massive. |
En 1898, Roca se représenta comme président de l'Argentine et fut à nouveau élu président pour un deuxième mandat de six ans (1898-1904) en pleine situation de tension avec le Chili. Face au mouvement ouvrier, le président Roca adopta une politique répressive consistant à attaquer les concentrations de travailleurs et à promulguer des lois permettant l'expulsion des militants syndicaux du pays.
Au début du XXe siècle, l’Argentine s’imposa comme l’une des principales nations de l’Amérique du Sud. La croissance économique continua, et le président Roca fit entreprendre des travaux publics importants. Il se retira de la vie politique en 1904 et alla vivre à Paris. L'Argentine joua un rôle de plus en plus grand au point de contribuer, en 1914, à trancher un sérieux différend entre les États-Unis et le Mexique. Mais cette puissance régionale était due aussi au fait que le pouvoir argentin était toujours demeuré aux mains des militaires. Par exemple, en 1930, l’armée intervint pour chasser le président Hipolito Irigoyen, un radical qui voulait s’opposer à la toute-puissance des propriétaires fonciers. C'est une période qui semblait mettre fin pour longtemps à la prospérité économique de l'Argentine.
Par ailleurs, la spéculation financière et la corruption finirent par paralyser le gouvernement argentin qui régnait en maître pendant son gouvernement était accusé de fraude électorale. Il résout le problème laissé en suspens en transformant en 1881 la ville de Buenos Aires en territoire fédéral.
4.3 Les coups d’État militaires (1930-1983)
La grave crise économique mondiale qui débuta en 1929 eut
des conséquences dramatiques en Argentine. Le chômage, la hausse du coût de la
vie et l’exode rural drainant vers les villes les populations démunies
suscitèrent un profond malaise social et politique. Les organisations fascistes
devinrent de plus en plus actives et prônèrent ouvertement l’établissement d’une
dictature. La Seconde Guerre mondiale amena indirectement le retour au pouvoir
des militaires. Le général Pedro Pablo Ramírez
participa au coup d’État du 4 juin 1943. Après un interrègne de deux
jours occupé par les déclarations immodestes d'Arturo Rawson qui s'était
autoproclamé président, Ramírez prit le pouvoir et assuma de facto la présidence
de la Nation. Personne ne doutait de sa profonde sympathie pour les nazis et les
forces de l'Axe. L'éducation religieuse à l'école publique fut rétablie en 1943
durant la brève dictature de Pedro Pablo Ramirez (1943-1944). Non seulement,
celui-ci se mit à dos les mouvements ouvriers et les syndicats, mais il procéda
à la dissolution du Congrès et des gouvernements provinciaux, et ordonna un
régime d'austérité budgétaire qui eut pour effet de satisfaire uniquement
l'oligarchie des entrepreneurs et des financiers.
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Par crainte d’une guerre imminente contre l’Allemagne, le
colonel Juan Domingo Perón prit, en février 1944, la tête d’une junte militaire pour renverser le président Pedro Pablo Ramírez. Étant devenu une figure symbolique en Argentine, Perón fit campagne auprès de la classe ouvrière la plus défavorisée, les descamisados («sans-chemise»), et lui promit le partage des terres, des salaires plus élevés ainsi que l’introduction d’une sécurité sociale. Il fut élu président de l’Argentine, le 24 février 1946, avec 56 % des voix.
Le régime de Perón développa une doctrine nommée le «justicialisme». Celle-ci alliait avec une certaine habileté la répression, le populisme, l’attachement au catholicisme, le réformisme, le neutralisme et le nationalisme.
Cependant, après la mort de son épouse Eva María Duarte en 1952, le président
Perón prit de nombreuses décisions erronées et des erreurs stratégiques. Ses politiques finirent par susciter de plus en plus d’opposition, car le gouvernement s’orienta vers un pouvoir totalitaire et répressif à mesure que la situation économique se dégradait.
À la suite d'un conflit avec l'Église catholique qui était contre le divorce,
Perón sanctionna la loi sur le divorce et rétablit l'enseignement laïc.
Renversé par un putsch militaire en septembre 1955, Perón se réfugia au
Paraguay, puis en Espagne. |
L'Argentine connut alors une époque troublée par les coups d’État militaires successifs de 1966 et de 1971. En 1973, les élections redonnèrent le pouvoir au Parti justicialiste de Perón (toujours réfugié en Espagne). Le président élu céda le pouvoir à l'ex-président Juan Perón qui
décéda l’année suivante à l'âge de 79 ans. Isabel Perón, sa troisième épouse, lui succéda. Durant son mandat, la situation politique et économique se détériora rapidement. Isabel Perón fut renversée en mars 1976 par une junte militaire conduite par le général de corps d’armée Jorge Rafael Videla.
Incapable d’enrayer l’inflation, la junte instaura un régime répressif caractérisé par l'élimination systématique des opposants qui font l'objet d'enlèvements; le gouvernement militaire imposa la loi martiale et gouverna par décrets. L’Argentine dut alors faire face à l’opposition de la communauté internationale, alors que la Commission interaméricaine des droits de l’homme accusait le gouvernement argentin d’«utilisation systématique de la torture et [...] autres traitements cruels, inhumains et dégradants, dont la pratique a pris un caractère inquiétant». De son côté, à Genève, la Commission argentine des droits de l’homme accusait le régime de quelque 2300 assassinats politiques, 10 000 arrestations et la disparition de 20 000 à 30 000 personnes, dont un grand nombre avaient été assassinées par la junte militaire et enterrées sans sépulture. La dictature militaire a eu comme effet d'accentuer l'enseignement de l'anglais dans les écoles. En fait, la politique linguistique en matière d'enseignement des langues étrangères était ambiguë: d’une part, elle conservait les «trois langues» importantes, l'anglais, le français et l'italien, mais laissait la décision finale aux directeurs des écoles pour qu’ils optent pour l’anglais.
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En mars 1981, le général Videla fut remplacé à la présidence par le maréchal Roberto Viola, lui-même destitué, en décembre 1981, par le commandant en chef de l’armée, le général Leopoldo Galtieri. En 1982, celui-ci ordonna aux troupes argentines d’envahir les Islas Malvinas (îles Malouines), une possession britannique revendiquée depuis toujours par l’Argentine. En envahissant les Malouines, la junte militaire comptait redorer son blason en unissant le pays confronté à la crise économique et les mobilisations syndicales. Mais la Grande-Bretagne envoya une force militaire d’intervention et sortit gagnante du conflit. Trois jours après la capitulation argentine, le général Leopoldo Galtieri démissionnait de la présidence de la République argentine; il avait cru que les Britanniques ne protesteraient que pour la forme, car Londres s'était bel et bien désintéressé du sort de ces îles déjà qualifiées par Samuel Johnson au XVIIe siècle «de rude inhospitalier et coûteux appendice aux possessions de la Couronne». Toutefois, la junte militaire argentine avait mal évalué la puissance militaire nettement supérieure de la Grande-Bretagne. Le bilan de l'affrontement pour les Malouines s'éleva à 904 morts, 649 Argentins, 255 Britanniques et trois Islanders. |
Quelques mois plus tard, la dictature argentine s'écroula, victime de la violence qu'elle avait déclenchée contre sa population. Le général Galtieri, discrédité, fut remplacé par le général de division Reynaldo Bignone.
En 1985, l’Argentine adopta une Legislación indígena (loi 23.302) qui créait la Commission nationale des Affaires indigènes pour la protection et l’appui aux communautés aborigènes. Cette loi reconnaissait les droits des autochtones en matière d’accès à la propriété de la terre et à la production agricole, forestière, minière, industrielle ou artisanale, ainsi qu’à la préservation de leurs valeurs culturelles dans les domaines de la langue, de l'enseignement et de la santé.
5 Le retour de la démocratie
L’Argentine renoua avec la démocratie en 1983 avec l’élection de Raul Alfonsín. La présidence d’Alfonsín fut dominée par la question du jugement des militaires responsables de tortures ou d’exécutions sous la dictature. Face aux menaces de mutineries de l’armée, le gouvernement mena une politique de conciliation avec la hiérarchie militaire. Incapable de résoudre la crise économique, le régime devint impopulaire et favorisa le retour du péronisme avec l’élection de Carlos Saul Menem (1989). Mais la politique d’austérité de Menem se révéla, elle aussi, insuffisante. Avec 30 % de la population en dessous du seuil de pauvreté, elle contribua à accentuer les inégalités sociales.
5.1 Les projets de loi sur la langue espagnole
En 1991, le député Jorge R. Vanossi présenta un projet de loi sur la langue espagnole au Parlement fédéral de l'Argentine: Ley del Idioma (Loi sur la langue). Toutefois, ce projet de loi n'a jamais été adopté, les députés ayant jugé qu'une telle loi était tout à fait inutile et mal venue. En 1993, dans la mouvance des autonomies autochtones internationales, le gouvernement argentin adopta une loi fédérale sur l’éducation (Ley Federal de Educación) qui permit l’introduction des langues amérindiennes dans l’enseignement dans le cadre d’une éducation bilingue.
En 1994, le secrétaire à la Culture, Jorge Asís, présenté à son tour un projet de loi sur l'espagnol intitulé Ley de Preservación de la Lengua Castellana (Loi sur la préservation de la langue castillane'). Le projet de loi Asís ayant suscité de violentes polémiques, il dut être retiré dans la controverse.
5.2 Les problèmes économiques
Le 10 décembre 1999, le radical Fernando de la Rúa succéda à Carlos Menem à la présidence de la République argentine. Deux ans plus tard, il fut dans l'obligation de donner sa démission en raison de la très grave crise économique et sociale dans laquelle sa gestion catastrophique du pays avait plongé les Argentins. L’Argentine resta sérieusement touchée par la crise financière internationale, notamment celle du Brésil, son premier partenaire commercial au sein du Mercosur. Confronté à une aggravation de la crise financière, le gouvernement présenta en janvier 2001 un programme d’austérité qui, rejeté par les députés, entraîna la démission de plusieurs ministres et l’éclatement de la coalition au pouvoir.
L’année 2002 vit l’Argentine s’effondrer dans une crise monétaire sans précédent. Au plan politique, la population argentine en vint à rendre tous les partis politiques responsables en bloc de la grave crise que traversait le pays en raison de leur incapacité à gouverner et d'éliminer la corruption. Pendant ce temps, la classe politique se montra surtout attachée à conserver ses parcelles de pouvoir. L’élection présidentielle de mai 2003 donna lieu à une bataille politique dont le principal protagoniste fut le Parti justicialiste (péroniste).
Néstor Kirchner, ancien gouverneur de la province de Santa Cruz en Patagonie, devint, le 23 mai, président de l'Argentine au moment où le pays sortait de la pire crise économique de son histoire, avec une monnaie dévaluée d'environ 75 % par rapport au dollar et la cessation de paiements de la dette publique de 82 milliards de dollars. La relative popularité de Kirchner semblait largement due au sauvetage de l'économie et à la politique du président en matière des droits de l'Homme. De plus, la volonté de la part de Kirchner de briser l’hégémonie de la Cour suprême, symbole de privilèges, lui attira la sympathie des couches moyennes et des mouvements de gauche. En juin 2005, la Cour suprême d'Argentine déclara inconstitutionnelles les deux lois d'amnistie, qui avaient empêché de poursuivre en justice plus de 1000 militaires et policiers impliqués dans la répression politique, avec atteintes aux droits de l'Homme, sous la dernière dictature de 1976-1983. En mars 2006, le président Kirchner, après avoir nationalisé les postes et les télécommunications, remit aux mains de l'État l'un des services les plus essentiels, l'accès à l'eau potable. Cette nationalisation est la dernière d'une vague de réappropriation des services publics par l'État.
En 2007, la candidate du Parti justicialiste, Cristina Fernández de Kirchner, femme du président sortant, remporta l'élection présidentielle d'octobre. Elle fut investie en décembre de la même année; elle fut réélue le 24 octobre 2011, au premier tour, avec 53,9 % des voix. Dès le mois de novembre 2012, plusieurs centaines de milliers d'Argentins sont descendus dans les rues pour protester contre la politique de la présidente de Kirchner, prête à modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat, mais aussi pour dire «basta» à la violence, à la corruption, à l’inflation et demander le respect de la Constitution et de la liberté.
La présidente argentine, Cristina Fernandez de Kirchner, dénonça la «militarisation de l’Atlantique-Sud» et le «piratage de ses ressources pétrolières» de la part du Royaume-Uni. Dans une lettre adressée au premier ministre britannique et datée du 3 janvier 2013, Mme Kirchner demanda au Royaume-Uni de négocier la restitution des îles Malouines à l'Argentine. Néanmoins, le gouvernement argentin ne remit pas en question les Accords de Madrid, signés en 1990 par l'ancien président Carlos Menem (1989-1999) et qui cédaient un million de kilomètres carrés de mer territoriale au Royaume-Uni; le gouvernement ne reconsidéra pas davantage la Loi de protection des investissements britanniques. Il continue de payer scrupuleusement la dette envers les banques anglaises et de subventionner les sociétés britanniques.
5.3 L'avènement du populisme
Le gouvernement des Kirchner – d’abord celui de Néstor, puis celui de sa femme Cristina – s'est radicalisé de plus en plus depuis la prise du pouvoir en 2003: il est devenu anti-américain et populiste, rappelant ainsi le Venezuela d’Hugo Chavez. À la suite du décès de Néstor Kirchner, de nombreux journalistes argentins ont laissé entendre que c'est «le président» qui avait disparu, puisque celui-ci continuait à gouverner en tandem avec sa femme Cristina. En mars 2013, la présidente Cristina Kirchner salua froidement l'élection du pape argentin François(cardinal Jorge Mario Bergoglio). Alors que celui-ci était archevêque de Buenos Aires, il avait coutume de centrer ses homélies sur des thèmes brûlants, des inégalités sociales jusqu'à la traite de personnes, en passant par la corruption, ce qui lui a valu des rapports tendus avec les Kirchner.
À l’issue d’un second tour qui a eu lieu le 22 novembre 2015, les Argentins se sont prononcés en faveur de Mauricio Macri, l’opposant de centre droit au péronisme, avec son alliance Cambiemos, une coalition politique nationale fondée en 2015, à la suite de l'accord conclu entre la Coalition civique ARI, la Proposition républicaine, l'Union civique radicale. Le gouvernement de Mauricio Macri a adopté de nombreuses mesures économiques afin de redresser le pays et de retrouver la confiance des investisseurs étrangers. L’Argentine reste toutefois confrontée à une inflation élevée (25 % en 2017), et le peso s’est fortement déprécié au premier semestre 2018, en dépit des interventions de la banque centrale. L’arrivée au pouvoir du président Macri a marqué un tournant dans la politique étrangère argentine, désormais sous le signe de la «réouverture».
5.4 Le VIIIe Congrès international de la langue espagnole
En mars 2019 s'est tenu le VIIIe Congrès international de la langue espagnole (CILE: Congreso Internacional de Lengua Española). Celui-ci avait lieu à Córdoba, la capitale de la province du même nom. Organisé tous les trois ans dans un pays hispanophone, ce congrès fait partie de la série de conférences internationales organisées par l’Institut Cervantes, l’Académie royale d’Espagne (RAE) et l'Association des académies de la langue espagnole (ASALE), en collaboration avec le pays d'accueil, en l'occurrence l'Argentine. Les précédentes éditions de ce congrès ont été organisées à Valladolid (Espagne, 2001), à Rozario (Argentine, 2004), à Carthagène des Indes ou Cartagena de Indias (Colombie, 2007), à Valparaiso (Chile, 2010), à Panama City (2013) et à San Juan (Porto Rico, 2016).
Ces «sommets» hispanophones rassemblent des écrivains, des membres des académies de la langue espagnole, des recteurs, des universitaires, des éditeurs, des journalistes, des traducteurs, mais aussi des entrepreneurs et autres professionnels liés à la langue espagnole. Forum de réflexion sur la situation, les problèmes et les défis de l’espagnol, ce VIIIe Congrès international de la langue espagnole était l’occasion de débattre de questions telles que l'avenir ibéro-américain de l'espagnol, l'incidence des technologies numériques, la valeur économique de l'espagnol, les défis des industries culturelles, le tourisme linguistique, la traduction, le métissage linguistique, les exilés, l'enseignement de l'espagnol et de sa littérature, ou encore le judéo-espagnol. Le congrès de Cordoba, qui réunissait plus de 200 écrivains, universitaires et linguistes de 32 pays, avait pour objectif de débattre de questions touchant l’avenir de la langue espagnole.
Dans un discours prononcé lors de la séance solennelle d'ouverture au Teatro del Libertador San Martín de Córdoba, le roi d'Espagne, Felipe VI, dont c'était le premier déplacement comme souverain espagnol dans un autre pays depuis son couronnement, a mis l'accent sur les éléments qui unissaient tous les hispanophones dans une «une célébration de la fraternité hispano-américaine». Voici quelques points saillants :
• 480 millones de personas tenemos el español como lengua materna. Conocemos su larga historia, uno de cuyos momentos más delicados fue, sin duda, el de la independencia de los territorios ultramarinos. No faltaron entonces voces que demandaron también independencia en el ámbito de la lengua. Bastó la voz de don Andrés Bello, a quien José Martí calificaba como 'el mejor de los nuestros', para recordar que esa lengua era tan propia de América como de España.
• Paradójicamente, el español iba a conocer su mayor expansión con el nacimiento y la consolidación de las jóvenes repúblicas americanas, que hallaron en él el instrumento indispensable de cohesión interna de cada comunidad y de fortalecimiento de los vínculos de relación entre ellas.
• En varias sesiones del congreso se prestará atención a la excepcional producción cultural argentina y en los más de doscientos actos populares programados por la Provincia y el municipio se vivirá la riqueza del folclore y el arte argentinos, y particularmente cordobeses, en un brillante Festival de la Palabra. |
[• 480 millions de personnes ont l'espagnol comme langue maternelle. Nous connaissons sa longue histoire, dont l'un des moments les plus délicats fut sans aucun doute celui de l'indépendance des territoires d'outre-mer. Il y avait alors des voix qui réclamaient aussi l'indépendance dans le domaine de la langue. La voix de Don Andrés Bello, que José Martí a décrit comme "le meilleur de notre peuple", était suffisante pour nous rappeler que cette langue était aussi caractéristique de l'Amérique que de l'Espagne.
•
Paradoxalement, l'espagnol allait connaître sa plus grande expansion avec la naissance et la consolidation des jeunes républiques américaines, qui trouvaient dans cette langue l'instrument indispensable de la cohésion interne de chaque communauté et du renforcement des liens qui les unissaient.
•
Au cours de plusieurs sessions de ce congrès, une attention particulière sera portée à l'exceptionnelle production culturelle argentine. Dans plus de deux cents manifestations populaires prévues par la province et la municipalité, les richesses du folklore et de l’art argentins, et en particulier celles de Cordoba, seront réunies dans le cadre d'un excellent Festival de la parole.] |
De son côté, le président Mauricio Marci, qui prenait la parole après le roi, a fait quelques déclarations qui portaient à la fois sur l'unité de la langue et la diversité linguistique:
• Hablamos un mismo idioma y eso es algo que tenemos en común y que tenemos que usar para construir; la lengua es nuestro mayor activo, la riqueza mejor distribuida de nuestra comunidad [...]. Debemos ser protagonistas en hacerla valer.
• Apostar a la lengua es apostar al futuro. Tenemos que darles las herramientas a nuestros hijos para que pueda desarrollarse en este mundo y en el que viene.
• El Congreso de la Lengua Española que se celebra en la ciudad de Córdoba constituye un interesante ámbito de debate acerca de los usos del castellano en el mundo hispanohablante, pero ello no debiera suponer el desconocimiento de la diversidad lingüística presente en el continente y en nuestro país. [...] La lengua española, la segunda más hablada, nos unió a partir de algo tan profundo y tan propio del ser humano como es el idioma en que hablamos. Nos permite expresar nuestra maravillosa diversidad.
• A través de la lengua, se marcó para siempre un destino, el de unirnos de una forma inquebrantable [...]. Imaginemos si acá hablásemos argentino, y los peruanos peruano, y los bolivianos boliviano y necesitáramos traductores para hablar con los uruguayos o los ecuatorianos con los venezolanos. |
• [Nous parlons une même langue et c'est quelque chose que nous avons en commun et que nous devons utiliser pour construire; la langue est notre plus grand atout, la richesse la mieux distribuée de notre communauté [...]. Nous devons en être les protagonistes pour la rendre digne d'intérêt.
•
Miser sur la langue, c'est miser sur l'avenir, nous devons donner à nos enfants les outils nécessaires pour se développer dans le monde actuel et dans le monde futur.
•
Le Congrès de la langue espagnole qui se tient à Córdoba est un sujet de débat intéressant sur les usages de l'espagnol dans le monde hispanophone, mais cela ne doit pas impliquer une méconnaissance de la diversité linguistique présente sur le continent et dans notre pays. [...]
La langue espagnole, la deuxième langue la plus parlée, nous a unis à quelque chose d'aussi profond et typique de l'être humain que la langue dans laquelle nous parlons. Cela nous permet d’exprimer notre merveilleuse diversité.
• A travers la langue, notre a été marqué à jamais, celui de nous unir de manière indestructible [...] Imaginons que nous parlions ici argentin, les Péruvien,s
péruvien, les Boliviens, bolivien et que nous ayons besoin de traducteurs
pour parler avec des
Uruguayens ou des Équatoriens avec des Vénézuéliens.] |
Avec cette dernière phrase, le président Mauricio Macri a tenté de souligner l’importance de la langue pour inaugurer le VIIIe Congrès international de la langue espagnole. Dans sa brève intervention, le président a défini la langue comme «notre plus grand atout, la richesse la mieux distribuée de notre communauté», bien qu'il ait décidé de ne citer aucun écrivain hispanophone. Ce type de rencontre internationale a comme principal objectif de raviver la coresponsabilité des gouvernements, des institutions et des individus afin de promouvoir l’unité de la langue espagnole. Ce n'était peut-être pas le meilleur moment pour soutenir la diversité linguistique, si chère aux Argentins. Du point de vue argentin, l’Espagne est un membre fondamental en Europe pour la réalisation d’un objectif tant attendu: la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le MERCOSUR. L'Espagne et l'Argentine savent et comprennent qu'il est stratégique de miser sur l'intégration mondiale, non seulement régionale, compte tenu des changements géopolitiques que les États-Unis et la Chine tentent de consolider.
Dernière mise à jour: 02 mai 2024