[Flag of India]
Union indienne

(2) Bref aperçu historique

Plan de l'article

1. Les premières invasions au nord

2. Les conquêtes musulmanes
2.1 L'empire des Moghols
2.2 L'introduction du persan et de l'ourdou

3. La colonisation européenne
3.1 L'Inde portugaise
3.2 L'Inde danoise
3.3 L'Inde française
3.4 Les Indes britanniques

3.5 La route vers l'indépendance

4. L'Inde indépendante
4.1 L'Inde hindoue contre le Pakistan musulman
4.2 La disparition des États princiers
4.3 Les difficultés d'imposer l'hindi comme langue officielle
4.4 Le prolongement des privilèges de l'anglais
4.5 L'Inde violente et l'après-Nehru
4.6 La montée du nationalisme hindou

L'Inde a toujours réussi à résister aux invasions, aux famines, aux persécutions religieuses ou aux soulèvements politiques et aux autres cataclysmes. Aujourd'hui, malgré les difficultés de composer avec de nombreuses ethnies, des langues différentes et à la diversité géographique du pays, l'Inde tente avec un certain succès de demeurer une démocratie relativement unie. 

Le pays a subi au cours des siècles de nombreuses invasions de la part de marchands, mais aussi de la part de peuples puissants venus du monde entier, qui y ont laissé leurs traces. Ce sont les Aryens indo-européens dès 2000 avant notre ère, les Grecs avec Alexandre le Grand en 326 avant notre ère, les Moghols au XVIe siècle, les Britanniques aux XVIIIe et XIXe siècles, sans oublier, selon les époques, les Bactriens, les Scythes, les Parthes, les Koushites, les Huns, les Avars, les Turcs, les Afghans, les Portugais, les Hollandais et les Français. En raison de l'histoire fort complexe de ce pays, il a semblé préférable de ne présenter qu'un bref sommaire.

1 Les premières invasions au nord

La première civilisation importante se constitua aux environs de 2500 avant notre ère le long de la vallée de l'Indus (actuellement le Pakistan); cette civilisation subit les invasions des Indo-Aryens, lesquels implantèrent l'hindouisme, ainsi que leur culture et les structures sociales (dont les castes) encore en vigueur aujourd'hui. Les Indo-Aryens sont également à l'origine des langues parlées dans tout le nord de l'Inde (hindi, panjabi, marathi, etc.), langues que l'on classe aujourd'hui comme les langues du groupe indo-iranien (sous-groupe indien ou aryen) appartenant à la famille indo-européenne

Au cours des siècles suivants, soit de 1500 à 200 avant notre ère, les Indo-Aryens prirent le contrôle de tout le nord de l'Inde en expulsant les Dravidiens plus au sud du sous-continent. On en constate aujourd'hui les conséquences linguistiques de cette répartition territoriale: les langues indo-aryennes (ou indo-iraniennes) occupent le Nord, alors que les langues dravidiennes sont confinées au sud de l'Inde (voir la carte linguistique).

C'est durant cette période que les Vedas (écritures sacrées hindoues) furent écrites et que le système de castes fut définitivement établi pour assurer le statut de Brahman (prêtres issus de la 1re civilisation).  Vers 500, le bouddhisme et le jaïnisme firent leur apparition dans le pays.

En 326, Alexandre le Grand établit des colonies grecques à l'ouest du pays, mais il n'y resta pas longtemps. La dynastie Maurya prit le pouvoir en 321 et devint le premier grand empire de l'histoire indienne (-324-185 av. notre ère); l'apogée sera atteinte par le règne d'Asoka sur tout le pays (273-236). Cet empire s'écroula en 185.  L'empereur Ashoka joua un rôle crucial dans l'expansion du bouddhisme et du sanskrit. Ashoka est devenu une figure importante de l'histoire indienne au point où le chapiteau du pilier de Sarnath portant l'inscription d'un de ses édits a été choisi pour devenir l'emblème national de l'Inde lors de son indépendance. La devise en sanskrit (Satyameva jayate) fait partie intégrante de l'emblème. Elle signifie: «Seule la vérité triomphe».

Par la suite, il s'ensuivit une période de créations multiples d'empires jusqu'en 319 de notre ère, date de la fondation de l'empire Gupta, qui dura jusqu'en 606, alors que le nord de l'Inde se fragmenta en plusieurs royaumes hindous séparés; il ne se réunifia plus jusqu'à l'arrivée des musulmans (au XIe siècle). L'âge d'or de la civilisation hindoue coïncida avec le règne d'Harsa (606-647).

Un peu après l'an 700 de notre ère, les Rajputs (du sanskrit rajaputra signifiant «fils de roi») firent leur apparition dans le nord de l'Inde, une région alors appelée le Rajputana, aujourd'hui le Rajasthan et une partie du Gujarat. Ils s'installèrent en de nombreux petits royaumes indépendants. Au moyen d'un subtil équilibre d'alliance et d'opposition, les souverains rajputs réussirent à conserver leurs royaumes relativement intacts durant plusieurs siècles contre les envahisseurs musulmans, les Moghols. Ce sont les Marathes qui purent les vaincre partiellement et ils durent se réfugier dans la Rajasthan.  Plus tard, les princes Rajput, les anciens maharajahs, s'allièrent aux Britanniques et leurs États passèrent sous le protectorat de la Couronne britannique en 1858.

2 Les conquêtes musulmanes

Les musulmans se révélèrent des envahisseurs différents des autres, car ils tenaient à leur identité et tentaient d'imposer leur religion aux populations des territoires conquis. À partir de 1206, c'est-à-dire à la création du sultanat de Delhi, les musulmans accrurent leur influence qui allait durer plusieurs siècles, et ce, sans jamais être absorbés par l'hindouisme. De grands empires musulmans se succédèrent jusqu'en 1300. Ceux-ci n'affectèrent pas la région de façon permanente, mais en 1336 un royaume musulman s'établit simultanément à l'établissement d'un royaume hindou. De nombreux petits royaumes firent leur apparition et certains disparurent jusqu'à l'arrivée des Moghols. À partir du XVIe siècle et jusqu'au XIXe siècle, l'Inde allait être constituée essentiellement de trois empires: les Moghols, les Rajputs et les Marathes, mais l'Empire moghol fut le plus déterminant.

2.1 L'empire des Moghols

En 1517, la mort du sultan de Delhi modifia les rapports de force au sein de la noblesse et fragilisa la dynastie des Lodi, une dynastie musulmane sunnite d'origine afghane qui régnait sur le sultanat de Delhi depuis 1451. Le prince moghol Bâbur (1483-1530), descendant de Tamerlan et déjà maître de l'Afghanistan, profita de ce contexte favorable pour vaincre les Lodi, en avril 1526, à la bataille de Panipat, ce qui inaugurait la domination moghole sur le nord de l'Inde. Lorsque Bâbur fonda son empire, il mit davantage l'accent sur son héritage turco-mongol que sur sa religion musulmane. Il passa le reste de sa vie à organiser son nouvel empire et à embellir Agra, sa capitale. Il créa aussi une nouvelle monnaie : la roupie, qui est encore utilisée en Inde, ainsi qu'au Pakistan, au Népal, au Sri Lanka, etc. À la mort de Bâbur, son fils aîné, Humâyûn (1508-1556), lui succéda.

En 1556, Jalâluddin Muhammad Akbar succéda à son père Humâyûn à la tête d'un royaume musulman au nord de l'Inde que ce dernier avait regagné à la fin de sa vie, une fois revenu de son exil de Perse. Akbar agrandit son royaume dès 1561 autour de Delhi. À partir de ce moment, il commença à régner en maître incontesté sur tout le nord de l'Inde. Il conquit le Gujarat en 1573, puis le Bihar et le Bengale en 1576, le Sind en 1590, l'Orissa en 1592, le Baloutchistan (Pakistan) en 1594. Par la suite, il hérita du Cachemire et du royaume de Kaboul (Afghanistan). À son décès en 1685, l'empire d'Akbar s'étendait dans tout le nord de cette grande région, de Kaboul à Dacca, ce qui comprendrait aujourd'hui une partie de l'Afghanistan, le Pakistan, le nord de l'Inde (y inclus le Népal) et le Bangladesh. 

2.2 L'introduction du persan et de l'ourdou

Du fait que les Moghols contrôlaient un empire musulman, c'est le persan qui servit de langue administrative en employant l'alphabet arabo-persan. C'est Akbar qui fit traduire les classiques hindous en langue persane, qui organisa des discussions théologiques entre chrétiens, hindous, sunnites, chiites, zoroastriens et sikhs, et qui supprima la jizyia, une taxe prélevée sur les non-musulmans, rendant ainsi égaux devant l'impôt tous les sujets de son empire.

C'est sous le règne de son fils, Jahângîr (1569-1627), que l'Empire moghol devint la plus grande puissance du monde de son temps, sans pour autant être tenté de partir à la conquête de l'Occident. Son successeur, Aurangzeb (1618-1707) fut un musulman orthodoxe, adepte des interprétations les plus conservatrices du Coran. Il interdit même l'hindouisme, ce qui allait entraîner la création d'un empire rival, l'Empire marathe, de confession hindouiste, entre la vallée du Gange et l'Inde centrale. 

L'Empire marathe est né de la volonté des hindous de s'opposer au pouvoir des Moghols musulmans. Comme son nom l'indique, il provient de l'État qui forme aujourd'hui le Maharashtra, la terre natale des Marathes. Cet empire devint la première puissance du subcontinent indien au cours du XVIIIe siècle. Puis il en vint à se fractionner en plusieurs entités régionales confédérées, régies par des dynasties de gouverneurs. L'Empire marathe s'allia à la France et devint le principal adversaire de la Compagnie des Indes britanniques. Celle-ci allait en venir à bout au terme de trois «guerres marathes» (1775-1782, 1803 et 1817-1818).

Ces faits témoignent que, en dépit de la domination musulmane, l'hindouisme réussit à se maintenir, prouvant aux musulmans que l'Inde était un sol relativement peu fertile à la conversion vers l'islam, ce qui se confirma par la suite, car après 800 ans de domination musulmane, seulement 25 % de la population s'est trouvée convertie.

De cette forte invasion musulmane naquit une langue commune aux hindous et aux musulmans: l'ourdou (hindoustani) qui est resté la langue d'une grande partie du nord de l'Inde et du Pakistan. Mais aujourd'hui l'ourdou qui s'écrit avec l'alphabet arabo-persan est perçu comme la langue des musulmans, alors que l'hindi qui s'écrit avec l'alphabet devanagari reste la langue des hindous.

3 La colonisation européenne

Il ne faut pas croire que, parmi les Européens, seuls les Britanniques se sont intéressés à l'Inde. Il y eut aussi les Portugais, les Hollandais, les Danois et les Français.

3.1 L'Inde portugaise 

Les Portugais, avec Vasco de Gama en 1498, furent les premiers colonisateurs européens; ils arrivèrent au Kerala et s'emparèrent de Goa (en 1510) qu'ils contrôlèrent jusqu'en 1961. Les Portugais ont pu acquérir de nombreux territoires des sultans indiens, surtout du Gujarat: Daman (en 1531), Salsette, Bombay, et Bassein (en 1534), Diu (en 1535), Dadra et Nagar Haveli (en 1779), puis au nord-est Hughli (en 1579). Ces possessions devinrent les provinces de l'Inde portugaise (en portugais: Índia Portuguesa ou Estado da Índia), qui regroupe l'ensemble des colonies portugaises en Inde. L'Inde portugaise était administrée à partir de la cité-forteresse située à Bassein (en portugais: Baçaim). Les Portugais réussirent à acquérir également des comptoirs commerciaux dans l'île de Ceylan (aujourd'hui le Sri Lanka), notamment à Colombo et à Galle.

À partir de 1860, l'Inde portugaise perdit progressivement plusieurs comptoirs au profit des Britanniques. Au moment de l'Indépendance de l'Inde en 1947, il ne restera au Portugal que Diu-et-Daman, Dadra-et-Nagar-Haveli, ainsi que Goa, tous des territoires enclavés par l'empire des Indes britanniques.

D'autres comptoirs commerciaux furent implantées par les Hollandais (Compagnie hollandaise des Indes orientales) qui en possédaient sur toute la côte du golfe du Bengale: Chinsura au nord de Calcutta, Masulipatam et Pulicat au nord de Madras, puis Jaffna, Trincomale et Matara dans l'île de Ceylan (Sri Lanka). Dès 1600, les Britanniques (British East India Company) exercèrent leur pouvoir sur les mêmes territoires grâce à la Compagnie orientale des Indes, qui établit plusieurs comptoirs commerciaux et exerça, pendant 250 ans, le contrôle en Inde pour le compte du gouvernement anglais.

3.2 L'Inde danoise

Au XVIIe siècle, le port de Balasore (en Orissa) fut l'un des plus réputés de l'Inde pour son commerce international; les navires anglais, français, portugais et hollandais y faisaient escale, ce qui perdura jusqu'au début du XVIIIe siècle.

Les villes de Balasore et de Serampore (ou Srirampur) firent partie de la colonie danoise des Indes en 1763 à 1845, les Dansk Ostindien (ou Indes orientales danoises); il s'agissait alors de Frederiksnagore. La colonie danoise était gouvernée depuis Fort-Dansborg à Trankebar dans le Sud où se trouvait aussi Colachel (ou Kulachal). En 1829, une université danoise fut fondée à Serampore. Dans la colonie danoise, les langues principales étaient le bengali et le télougou, en plus du danois. Mais le 7 novembre 1845, l'ensemble de l'Inde danoise (comprenant aussi les îles Nicobar dans le golfe du Bengale) fut vendu aux Britanniques, qui l'intégrèrent à l'Inde britannique.

3.3 L'Inde française

En 1672, les Français (Compagnie française des Indes orientales) s'établirent à Pondichéry et eurent sous leur juridiction cinq comptoirs commerciaux en Inde:

- Chandarnagor, fondé en 1673 (aujourd'hui Chandannagar dans le Bengale-Occidental);
- Pondichéry, fondé en 1674 (aujourd'hui Puducherry dans le Tamil Nadu);
- Mahé, fondé en 1723 (aujourd'hui Mahe dans le Kerala);
- Yanaon, fondé en 1723 (aujourd'hui Yanam dans l'Andhra Pradesh);
- Karikal, fondé en 1738 (aujourd'hui Karaikal dans le Tamil Nadu);

En 1693, la ville de Pondichéry fut capturée par les Hollandais lors de la guerre de la ligue d'Augsbourg (1688-1697), puis restituée à la France en 1697 par le traité de Ryswick. Les Britanniques s'en emparèrent à trois reprises au cours du XVIIIe siècle et, après des périodes variant entre deux à onze mois d'occupation, le territoire de Pondichéry fut rendu à la France. En 1742, Joseph-François Dupleix devint gouverneur de l'Inde française. C'est sous sa direction que Pondichéry connut son apogée. Par ses victoires militaires contre les Britanniques, Dupleix réussit à étendre le petit territoire autour de la ville de Pondichéry et à Karikal; il exerça par le fait même une grande influence dans les affaires des souverains de la région. Dupleix obtint le poste de gouverneur général de tous les Établissements français de l'Inde. Il désirait acquérir pour son pays de vastes territoires en Inde. Mais la colonie de Pondichéry passa de nouveau sous le contrôle de la Grande-Bretagne de 1803 à 1814, avant de redevenir un territoire français jusqu'en 1954, au moment où le territoire fut rétrocédé à l'Inde.

3.4 Les Indes britanniques

Durant plus de deux siècles, les Britanniques grugèrent petit à petit les petites colonies portugaises, hollandaises, danoises et françaises, au point où seules quelques enclaves portugaises et françaises ont pu résister jusqu'à l'indépendance de l'Inde en 1947. Dès le début du XIXe siècle, les Britanniques avaient acquis le contrôle de tout le nord de l'Inde.

En 1835, la "English Education Act" changea la donne en matière d'enseignement dans le sous-continent indien. Alors qu'auparavant les Britanniques avaient favorisé l'instruction traditionnelle, musulmane et hindoue, et les publications de la littérature dans les langues savantes comme le sanskrit, l'arabe et le persan, ils imposèrent dorénavant des établissements d'enseignement de type occidental avec l'anglais comme langue d'enseignement. Par la suite, d'autres mesures suivirent en faveur de l'anglais comme la langue de l'administration et des tribunaux supérieurs (en lieu et place du persan).

Les Britanniques avaient jugé que, parmi toutes les langues étrangères, l'anglais était celle qui leur paraissait la plus utile à leurs «sujets indigènes» ("native subjects"). Finalement, du statut de langue maternelle des souverains étrangers, l'anglais devint l'une des principales langues véhiculaires de l'Inde. L'imposition de l'anglais permettait aussi aux colons britanniques de maintenir une certaine supériorité par rapport aux peuples colonisés. En même temps, les Britanniques favorisèrent l'alphabet devanagari dans toute l'Inde sur les autres écritures (bengali, gujarati, gurmukhi, oriya, tamoul, télougou, etc.

Après la guerre anglo-indienne avec les guerres afghanes (1839-1842 et 1878-1880), les guerres sikh (1845-49) et la révolte des Cipayes (1857-1858), l'Inde resta sous la tutelle des Britanniques; le gouverneur général de l'Inde devint vice-roi. L'Inde britannique commença en 1858 par le transfert des possessions de la Compagnie des Indes orientales à la Couronne britannique en la personne de la reine Victoria, proclamée en 1876 «impératrice des Indes» (en anglais: Queen Victoria, "Empress of India").

Les Britanniques administrèrent un territoire immense, qui s'étend aujourd'hui du Pakistan jusqu'à la Birmanie en incluant l'Inde et le Bangladesh. Le territoire regroupait des «provinces» sous administration directe et des États princiers sous suzeraineté britannique. Trois «présidences» (anglais: "Presidencies") furent créées: la présidence du Bengale (1773), la présidence de Madras (1864) et la présidence de Bombay (1847). Les villes de Calcutta, Madras et Bombay devinrent des capitales administratives, mais le vice-roi résidait à Calcutta. En raison de ces trois «présidences», il y donc eu plusieurs «Indes», d'où l'expression «empire des Indes». Mais les Britanniques n'utilisèrent que très rarement le mot «India» au pluriel ("Indias"); on utlisait l'expression Indian Empire, ce qui équivalait en français à «Empire indien». Par exemple, on emploie en français l'appellation «Compagnie britannique des Indes orientales», mais en anglais c'était la British East India Company. En Évidemment, l'expression «empire des Indes» allait tomber en désuétude à la suite de l'indépendance de l'Inde.

En 1911, le gouvernement britannique déplaça la capitale de Calcutta, jugée trop éloignée, à New Delhi, nouvelle ville construite au sud de la vieille ville de Delhi. New Delhi devint alors la capitale de l'Empire britannique des Indes. Les Britanniques considérèrent le pays avant tout comme une zone de prospérité économique; ils ne s'intéressèrent pas à la culture, aux croyances et aux religions des peuples du sous-continent indien. Sous la Couronne britannique, l'Inde demeura un ensemble d'États hétéroclites avec des États princiers gouvernés par des maharadjas et des nawabs, dont plusieurs restèrent relativement indépendants. Par leur intérêt pour le commerce et le profit, les Britanniques exploitèrent les mines de charbon et de fer, développèrent la production de thé, de café et de coton, élaborèrent des plans d'irrigation révolutionnant l'agriculture de l'époque et construisirent même un vaste réseau de chemins de fer. Au plan administratif et législatif, les Britanniques développèrent des structures solides et organisées, lesquelles se révèleront très utiles par la suite aux Indiens lors de l'indépendance.

Vers la fin du XIXe siècle, les Britanniques commencèrent à préparer l'indépendance future de l'Inde en déléguant des pouvoirs aux Indiens tout en gardant le contrôle. À partir de 1882, les Britanniques établirent la Local Self-Government Act (Loi sur l'autonomie locale) un système politique fondé sur l'élection qui s'étendra au plan des provinces avec les réformes de 1909, 1919 et 1935. En 1885, fut fondé le Congrès national indien par une intelligentsia hindoue soucieuse de prendre pied dans l'Administration. Les Britanniques vassalisèrent le Cachemire pour le compte des héritiers du rajah Gulab Singh; pour les populations assujetties au rajah, la dynastie dogra laissait un amère souvenir d'occupation étrangère difficile à supporter.

3.5 La route vers l'indépendance

Au début du XXe siècle, l'opposition du Parti du Congrès (parti établi par les Britanniques afin de favoriser l'autonomie de l'Inde) au pouvoir grandit et, après la Première Guerre mondiale, elle se concrétisa avec l'arrivée d'un leader pour le Parti du Congrès: le mahatma Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948), qui revenait d'Afrique du Sud où il exerçait la profession d'avocat et se battait contre la discrimination raciale envers les nombreux Indiens établis dans ce pays. En 1906, eut lieu la fondation de la Ligue musulmane qui défendit les intérêts de la communauté musulmane. Gandhi, adopta la politique de résistance passive (satyagraha) après le massacre d'Amritsar en 1919, alors que l'armée britannique avait ouvert le feu sur des protestataires non armés.

L'objectif de Gandhi était de joindre non seulement les classes moyennes, mais aussi les paysans et les villageois à sa lutte par des boycotts de produits anglais, ce qui lui vaudra à maintes reprises d'être emprisonné. L'année suivante, Gandhi lança le mouvement de non-coopération et, dix ans plus tard, de désobéissance civile. En 1927, le Congrès indien réclama l'indépendance.

- Gandhi et l'anglais

Auparavant, Gandhi avait lancé sa campagne nationale contre l'usage de l’anglais, car il préconisait le recours aux langues indiennes. Pour Gandhi et plusieurs de ses contemporains, l’anglais était perçu non seulement comme la langue de l’oppresseur colonial, mais aussi comme une langue qui, en raison de emploi dans l’éducation et l’administration coloniale, avait eu pour effet d'exclure la majorité de la population indienne qui l'ignorait totalement. Gandhi lui-même, quoiqu’il la maîtrisait bien, racontait pourquoi l’anglais constituait pour lui une forme d’aliénation (dans The Collected Works of Mahatma Gandhi (1917-1918), vol. XIV, 1965):

The pillory began with the fourth year. Everything had to be learnt through English-Geometry, Algebra, Chemistry, Astronomy, History, and Geography. The tyranny of English was so great that even Sanskrit or Persian had to be learnt through English, not through the mother tongue. If any boy spoke in the class in Gujarati which he understood, he was punished. [...] The result was chaos. [...] I know now that what I took four years to learn of Arithmetic, Geometry, Algebra, Chemistry and Astronomy, I should have learnt easily in one year, if I had not to learn them through English but Gujarati. My grasp of the subjects would have been easier and clearer. My Gujarati vocabulary would have been richer. I would have made use of such knowledge in my own home. This English medium created an impassable barrier between me and the members of my family, who had not gone through English schools. [...] I was fast becoming a strange in my own home. [Le pilori a commencé dès la quatrième année. [...]. Tout devait être appris à travers l'anglais: la géométrie, l'algèbre, la chimie, l'astronomie, l'histoire et la géographie. La tyrannie de l'anglais était si grande que même le sanskrit ou le persan a dû être appris à travers l'anglais, non pas par la langue maternelle. Si un garçon parlait le gujarati qu'il comprenait en classe, il était puni.

Je sais maintenant que j’aurais appris aisément en un an ce que j’ai mis quatre ans à apprendre en arithmétique, en algèbre, en chimie et en astronomie, si je n’avais pas dû le faire en anglais, mais en gujarati. J’aurais mieux possédé ces matières, plus vite et plus clairement. J’aurais eu un vocabulaire plus riche en gujarati. J’aurais utilisé mes connaissances à la maison, chez moi. L’anglais, au contraire, a créé une barrière infranchissable entre moi-même et ma famille qui n’avait pas fréquenté l’école anglaise. [...] Je suis rapidement devenu un étranger dans mon propre foyer.]

- Gandhi et la langue nationale

En 1917, Gandhi avait précisé les critères de la future langue nationale. En fait, la plupart des leaders indiens de l’époque, ce qui incluait Gandhi, ne semblaient pas trop se soucier de la question linguistique : pour eux, l’Inde devait devenir une fédération laïque l'Inde ne pouvant faire autrement, car les Britanniques en avaient déjà décidé dès 1935 avec une seule langue officielle, l'hindi. Cette langue devait être facile à apprendre pour les fonctionnaires et les dirigeants politiques, ainsi que pour les citoyens. Elle devait aussi être adéquate pour servir de langue véhiculaire entre tous les Indiens dans les domaines de la religion, de l'économie et de la politique. Enfin, cette langue devait être celle qui regroupait le plus grand nombre de locuteurs. Selon Gandhi, c'était l'hindi qu'il convenait de restaurer son rôle naturel de «langue nationale». En réalité, lorsque Gandhi parlait de l'hindi, il désignait l'hindoustani, cette langue commune qui, à la suite de tensions de plus en plus fortes entre les communautés musulmane et hindouiste, allait donner naissance à l'ourdou actuel et à l'hindi actuel.

- Gandhi et l'hindoustani

Toutefois, pour que l'hindi devienne la langue nationale de l'Inde libre, il fallait un consensus, surtout dans les régions de langues dravidiennes ou dravidophones, traditionnellement réfractaires à l'hindi et à l'ourdou. Néanmoins, Gandhi préconisa, non sans difficultés, l'usage de l'hindoustani dans les régions du Sud. En 1918, la Dakshina Bharat Hindi Prachar Sabha (Institut pour la diffusion de l'hindi dans l'Inde du Sud) fut fondé. Gandhi s’adressa ainsi aux locuteurs dravidophones :

I want a pledge from your here and now that you will all learn Hindustani. I say it is your Dharma to learn Hindustani which will link South with the North. Je veux que vous vous engagiez d’ores et déjà tous à apprendre l’hindoustani. Je dis que c’est votre dharma [devoir spirituel] d’apprendre l’hindoustani, qui sera un lien entre le Sud et le Nord.

Il faut dire que Gandhi avait une raison supplémentaire pour proposer l’hindoustani, y compris parfois sous le nom de «hindi». Cette langue composite, appelée aussi «hirdu» (hirdou), correspondait à une sorte de «patrimoine commun» entre les hindous et les musulmans de l’Inde du Nord. Or, pour Gandhi, le risque le plus dangereux était la division des deux grandes communautés et la partition du futur pays. C'est pourquoi Gandhi préconisait une langue connue et commune aux deux communautés et destinée à réduire les conflits. Il s'agissait de l'hindoustani décrit comme «la résultante de l’hindi et de l’ourdou, ni lourdement sanskritisée, persanisée ou arabisée» (Young India,  27 août 1925). C'est ce qui explique aussi la tolérance de Gandhi pour le choix de l'écriture: l’hindi s’écrivant comme le sanskrit en alphabet devanagari, et l’ourdou en caractères arabo-persans modifiés. Gandhi croyait aussi, en 1909, que l'hindoustani était «un instrument de progrès dans la mesure où il désaliène le pays de l’expression et de la pensée anglaise». Évidemment, une fois annoncée la partition, et entérinée l’existence d’un Pakistan à la demande de la Ligue musulmane, avec pour langue nationale l’ourdou, le Parti du Congrès allait cesser de parler de l'hindoustani. Le débat allait porter exclusivement sur le type d’hindi retenu.

La fin de la Seconde Guerre mondiale amena les Britanniques à réaliser que l'indépendance était inévitable: ils n'avaient plus le pouvoir ni la volonté de maintenir un si vaste empire, le «joyau de la Couronne britannique». Durant la colonisation britannique, les hindous avaient été le groupe privilégié parce qu'ils étaient détenteurs du trône de Delhi. Par conséquent, les musulmans de l'Inde se sont vite trouvés marginalisés dans le cadre colonial, tandis que les hindous y prospéraient, notamment grâce à leur nouveau système d'éducation anglophone. Une nouvelle réalité surgit pour l'importante minorité musulmane: l'indépendance de l'Inde allait forcément entraîner une domination hindoue sur tout le pays.

4 L'Inde indépendante

L'Inde restait divisée par des idéologies purement religieuses: d'une part, la Ligue musulmane de Muhammad Ali Jinnah, d'autre part, Jawaharlal Nehru, lequel représentait la population hindoue et contrôlait le Parti du Congrès. Le pays assista à plusieurs affrontements entre les deux camps jusqu'à ce que le Royaume-Uni nomme lord Louis Mountbatten pour essayer de calmer les esprits et de préparer l'indépendance prévue pour le 15 août 1947.

Après avoir vainement tenté de convaincre Muhammad Ali Jinnah qu'une Inde unifiée paraissait un choix plus raisonnable, Nehru prit à contrecœur la décision de diviser le pays en deux parties, l'Inde et le Pakistan. Gandhi s'y opposa, préférant une guerre civile au chaos qu'il prévoyait suite à une telle séparation. En effet, la division politique s'avéra une tâche difficile en raison du mélange des populations à travers tout le pays et du fait que les deux grandes régions musulmanes restaient séparés par 1600 kilomètres dans deux côtés opposés de l'Inde, le Pakistan occidental (Pakistan actuel) et le Pakistan oriental (Bangladesh actuel).

4.1 L'Inde hindoue contre le Pakistan musulman

Le 15 août 1947, l'Inde obtint son indépendance du Royaume-Uni et Nehru devint premier ministre. Mais le pays fut aussitôt séparé en deux entités: l'Inde hindoue et le Pakistan musulman. La partie occidentale de l'ancienne province du Bengale fut attribuée à l'Inde sous le nom de Pakistan occidental (aujourd'hui le Pakistan) et la partie orientale devint le Pakistan oriental (aujourd'hui le Bangladesh). Les deux Pakistans ou Dominion du Pakistan restèrent séparés par la langue (ourdou et bengali), la culture et plus de 1600 km de territoire indien; l'islam apparut comme le seul lien unificateur des deux Pakistans. Les musulmans de l'Inde affluèrent dans les deux Pakistans, alors que les hindouistes se réfugièrent en Inde. Quelque 11 millions d'hindous émigrèrent vers l'Inde au moment de la partition. La création de l'Union indienne devait permettre à la majorité hindoue, dominée par la force depuis le XVIe siècle par les musulmans, puis par les Britanniques, d'exercer le pouvoir politique, comme à l'époque des dynasties hindoues.
À la suite à cette division entre l'Inde et le Pakistan, de nombreux problèmes surgirent, dont des massacres et des affrontements qui ne sont guère résolus à l'heure actuelle, notamment celui du Cachemire. Ce territoire était, au moment de l'indépendance, un État princier vassal de l'Empire britannique, à majorité musulmane, et gouverné par un maharadja hindou, un Dogra nommé Hari Singh qui dut, lors de la division, choisir d'appartenir à l'Inde ou au Pakistan. Il décida, après maintes réflexions (ou par la pression exercée par quelque 3000 combattants originaires de la frontière afghane et ayant envahi la région), d'opter pour l'Inde, ce qui permit à l'Inde d'intervenir militairement et conduisit le Pakistan à déclarer une offensive en 1948 pour accaparer un tiers de la province. Cet événement provoqua une série de guerres territoriales qui se livrèrent non seulement entre le Pakistan et l'Inde, mais aussi avec la Chine. Encore aujourd'hui, l’Inde revendique le Cachemire occupé par le Pakistan (l'Azad-Cachemire) et la partie occupée par la Chine (l'Aksaï Chin). De son côté, le Pakistan revendique le Cachemire occupé par l'Inde (l'État de Jammu-et-Cachmire). Quant à la Chine, elle revendique la partie du Ladakh qui prolonge le plateau tibétain (voir la carte).

Après la sécession du Pakistan et du Bangladesh, l'Inde se retrouva avec 562 États princiers qui ont dû être fusionnés pour s'intégrer dans une union fédérale. 

Selon lord Mountbatten, les «contraintes géographiques» faisaient en sorte que la plupart d'entre eux choisiraient l'Inde; Mountbatten soutenait que seuls les États partageant une frontière commune avec le Pakistan devraient choisir d'y adhérer, mais il n'avait pas le pouvoir d'imposer ce point de vue aux États. Le petit État princier de Junadargh (Junagadh) fut intégré à l'Inde en 1948 après un référendum; quant à la principauté d'Hyderabad, le plus grand État princier à l'époque (224 722 km²) avec 18 millions d'habitants, il fut intégré de force lors d'une intervention de l'armée indienne en septembre 1948.  

4.2 La disparition des États princiers

Il était donc logique que cette union des États se fasse sur la base de la langue selon le principe un État, une langue , car tout le pays comptait des centaines de langues diverses et un nombre alors incalculable de langues tribales et mineures. Cependant, comme les frontières géographiques divisant les États ne pouvaient pas correspondre exactement aux frontières linguistiques, il subsista des poches de minorités linguistiques dans presque chaque État.
 

De plus, avec les nouvelles migrations qui allaient s'amplifier avec les années entre les États, chaque langue officielle d'un État pouvait devenir une langue minoritaire à l'extérieur de son propre État. En raison des mouvements de population dans le pays, tout État pouvait devenir relativement multilingue malgré une langue officielle. Pour toutes ces raisons, la Constitution de l'Union devait protéger la plupart des langues, non seulement les langues constitutionnelles et les langues numériquement importantes, mais aussi les langues tribales.

Le 30 janvier 1948, le mahatma Gandhi (1869-1948) était assassiné par un extrémiste hindou (Nathuram Godse). La disparition de l’inspirateur de l’indépendance ouvrit une nouvelle période de l’histoire indienne, caractérisée par une relative stabilité. Puis Nehru engagea le pays dans la voie de l'industrialisation et, au plan international, de la neutralité. L’Inde fut ainsi à l’origine du mouvement dit des «non-alignés», qui refusaient de choisir entre le camp américain et le camp soviétique.

Le 26 janvier 1950, l'Inde adopta une nouvelle constitution qui en fit un État fédéral, l'Union indienne, une république démocratique laïque, membre du Commonwealth britannique. Entre 1952 et 1956, l'État indien annexa Pondichéry et quatre autres comptoirs français de l'Inde (Pondichéry, Yanaon, Karikal et Mahé), en réalité déjà autonomes depuis 1939. Avant 1956, l'Union indienne comprenait les États suivants: Cachemire, Himachal Pradesh, Panjab, Uttar Pradesh, Bihar, Bengale occidental, Assam, Manipur, Tripura, Rajasthan, Madhya Pradesh, Orissa, Bombay (auj.: Maharashtra et Gujarat), Andhra Pradesh, Mysore (auj.: Tamil Nadu), Kerala et Madras (auj.: Karnataka). 

Quant aux territoires portugais, ils demeurèrent des colonies portugaises («Inde portugaise»), car le Portugal du régime de Salazar (de 1932 à 1968) refusa d'accéder à la demande de l'Inde de céder ses possessions indiennes, ce qui obligea les Nations unies à intervenir en faveur de l'Inde dans les années 1950. Finalement, en 1961, l'armée indienne envahit les enclaves portugaises et les annexa à l'Union indienne. Non seulement Salazar refusa de reconnaître la souveraineté indienne sur les territoires portugais, mais il continua à faire représenter les députés à l'Assemblée nationale du Portugal jusqu'en 1974. C'est seulement après révolution des Œillets, la même année, que le nouveau gouvernement de Lisbonne reconnut la souveraineté indienne sur l'ex-Inde portugaise.

4.3 Les difficultés d'imposer l'hindi comme langue officielle

Au plan linguistique, l'hindi devint la langue officielle de l'Union indienne le 14 septembre 1949. Lors des débats à l'assemblée constituante, alors que la partition n'était plus un risque mais un fait, la tendance qui l’emporta fut celle des «hindiwalahs» (le "Hindi lobby"), c'est-à-dire les partisans d’un hindi sanskrisé, nettement démarqué de l’ourdou. Cette position se résume à l’intervention, le 8 avril 1949, de Purushottam Das Tandon, un partisan de l'hindi: 

Those who oppose acceptance of Hindi as the national language and nagari as the single national script are still following a policy of anti-national appeasement. [Ceux qui s'opposent à l'acceptation de l'hindi comme langue nationale et au nagari comme écriture nationale unique obéissent encore à une politique antinationale ce conciliation.]

L'hindi, avec l'alphabet devanagari, l’emporta comme langue officielle et non nationale (avec une seule voix de majorité), de façon à éviter les caractères symboliques et affectifs sur une langue qui n’était pas également partagée par tous les Indiens, notamment les dravidophones, et à afficher le respect du pluralisme linguistique. Dans la Constitution du 26 janvier 1950, l'article 243 proclamait ainsi l'hindi comme langue officielle: 

Article 343

Langue officielle de l'Union

1) La langue officielle de l'Union est l'hindi écrit en devanagari. Les chiffres indiens utilisés aux fins officielles de l'Union doivent être selon la forme internationale.

2) Nonobstant une disposition du paragraphe 1, pendant une période de quinze ans, à compter de la date de promulgation de la présente Constitution, l'anglais doit continuer d'être utilisé aux fins officielles de l'Union pour lesquelles il était déjà utilisé immédiatement avant la promulgation :

Pendant ladite période, le président peut autoriser par décret, aux fins officielles de l'Union, l'usage de la langue hindi, en plus de la langue anglaise, et des chiffres selon la forme devanagari, en plus des chiffres indiens selon la forme internationale.

3) Nonobstant les dispositions du présent article, après ladite période de quinze ans, le Parlement peut, par une loi, autoriser l'usage:

a) de la langue anglaise, ou

b) des chiffres selon la forme devanagari aux fins précisées dans la loi.

Nous savons que la langue peut être un puissant fédérateur, mais aussi une force de division en fonction de la façon dont elle est gérée par les collectivités ou les dirigeants politiques. Après des débats intenses à l'Assemblée constituante de l'Inde, une formule de compromis dut être trouvée en matière linguistique. Il fallait à la fois satisfaire pleinement ceux qui demandaient que l'hindi soit la seule langue officielle et ceux qui y étaient fermement opposés. La Partie XVII de la Constitution (art. 343 à 349) représente un équilibre délicat qui devait être respecté scrupuleusement si l'on voulait préserver l'intégrité et l'unité nationale de l'Inde.

C'est pourquoi, afin de ménager les États dravidophones, la Constitution autorisa l'usage de l'anglais au même titre que l'hindi, et ce, pour une période de quinze ans. En ce qui concerne plus particulièrement le rôle de l'hindi, l'article 351 de la Constitution énonçait que cette langue allait servir «de moyen d'expression à tous les éléments de la mosaïque culturelle de l'Inde»:
 

Article 351

Directive concernant la promotion de l'hindi

L'Union a pour devoir de promouvoir l'usage de l'hindi, de développer cette langue de manière à ce qu'elle serve de moyen d'expression à tous les éléments de la mosaïque culturelle de l'Inde et d'assurer son enrichissement par l'assimilation, sans nuire à son génie, des formes, du style et de l'expression propres à l'hindoustani et aux autres langues de l'Inde énumérées à l'Annexe VIII. Chaque fois que ce sera nécessaire ou désirable, l'hindi puisera, pour enrichir son vocabulaire, dans celui du sanskrit, puis dans celui d'autres langues.

Par ailleurs, beaucoup d'hindiphones se méfiaient de cet «hindi officiel» que certains qualifiaient d’«artificielle et quasi étrangère». Dès 1960, le leader des partisans de l’anglais déclarait: «Le nouvel hindi est la négation de la démocratie laïque.» Il ajoutait: «C’est le symbole du sectarisme religieux et la ruine des langages minoritaires, régionales et locales» (Report of the Committee of Parliament on Official Language, cité par Dvidevi, 1980). Dans les faits, ces dispositions constitutionnelles allaient mettre beaucoup de temps à être appliquées. De plus, l'anglais allait conserver ses prérogatives, même après les quinze ans prévues. Encore aujourd’hui, l'hindi officiel est souvent perçu comme le symbole du pouvoir de l'État central. Cette langue officielle (âdhikârî bhâShâ), considérée comme une langue nationale (râjbhâShâ), fut assignée à la double tâche de modernisation et de normalisation. Pour ce faire, elle fut dotée par l'État central d'organismes, dont le Central Hindi Committee et le Central Hindi Directorate. Mais le Board of Scientific and Technical Terminology (plus tard transformé en "commission") n’avait élaboré en 1955 que 5500 termes d’usage (et uniquement 34000 termes juridiques en 1979).

Quoi qu'il en soit, la lecture d'un simple article de journal demeurait tout à fait incompréhensible pour les hindiphones qui n'avaient fait que l'école primaire et à demi compréhensible pour ceux qui avaient terminé le secondaire, ce qui démontrait le caractère artificiel de l'hindi officiel. La situation était encore pire pour les jeunes écoliers dont la langue maternelle était une variété régionale de l'hindi, ce qui était le cas de la majorité des villages des neuf États hindiphones d'alors. Selon les témoignages de l'époque, les jeunes étaient tout aussi déroutés devant l'hindi standard de leur professeur que si celui-ci parlait une langue complètement étrangère. C'est pourquoi l'emploi de l'hindi officiel a été longtemps réduit à des fonctions strictement cérémonielles durant plusieurs décennies, tandis que l'État central prenait tous les moyens pour en répandre la pénible diffusion. Pendant longtemps, cet hindi officiel ne fut l'affaire que des «gardiens de la langue» qui décidaient de ce qui était «bon» pour des millions de locuteurs, et ce, à partir de leur propre influence en politique ou en littérature. En réalité, ce qui rendait l'hindi officiel si difficile, c'est le grand désir de la «pureté linguistique» avec le retour quasi exclusif aux sources sanskrites considérées comme les seules «autochtones». Au contraire, l'indonésien officiel a connu plus de succès parce que ses sources lexicales furent souvent puisées dans les langues locales, sinon les dialectes. En Inde, l'hindi fut avant tout une langue de l'élite. Dans ces conditions, il s'est développé dans la vie quotidienne un hindi «informel», qui n'hésite pas à puiser les mots qui lui manquent dans les autres langues, que ce soit l'anglais, l'arabe ou le chinois.

4.4 Le prolongement des privilèges de l'anglais

Après les quinze ans de délai prévus à l'article 343 de la Constitution à l'égard de l'anglais, la question linguistique ressurgit comme on s'y attendait. Quelques manifestations violentes ont eu lieu dans certains États parce que des tentatives avaient été faites pour accélérer le processus d'introduction de l'hindi à l'exclusion de l'anglais. Or, des assurances avaient été données à l'époque par Pandit Jawaharlal Nehru pour que l'usage de l'anglais se perpétue comme langue alternative aussi longtemps que les citoyens l'exigeaient.

En 1963, sous l'initiative de Nehru, le Parlement fédéral indien adoptait la loi n° 19, appelée Loi sur les langues officielles (Languages Official Act). Cette loi, qui sera modifiée en 1967, fixait les conditions d'utilisation tant de l'hindi que de l'anglais dans la conduite des affaires relevant de la juridiction du gouvernement fédéral, ainsi que dans les cours de justice.

4.5 L'Inde violente et l'après-Nehru

Lors de la révolte tibétaine de mars 1959, quelque 9000 réfugiés tibétains demandèrent l’asile politique à l’Inde. Ils s’installèrent à Dharamsala dans l’État de Himachal Pradesh, où le dalaï lama a aujourd’hui encore sa résidence. Plusieurs conflits éclatèrent alors entre les troupes chinoises et indiennes à propos de certaines zones frontalières et, en août, l’armée chinoise pénétra en Inde.  Le traité officiel de sa cession fut signé le 8 mai 1956 entre l'Union indienne et la République française. Pondichéry fit alors partie intégrante de l'État de Madras, aujourd'hui l'État du Tamil Nadu. En 1961, après un bref conflit avec les Indo-Portugais, l'Inde envahit et annexa les territoires de Goa et de Daman-et-Diu, qui appartenaient au Portugal.

Le 27 mai 1964, Jawaharlal Nehru, premier ministre depuis l’indépendance de l’Inde, décédait. Le Pakistan passa encore à l'attaque en 1965, toujours au Cachemire, croyant l'Inde diminuée après sa défaite contre la Chine en 1962. Mais la supériorité militaire de New Delhi fut sans appel, un rapport de forces que confirmera la guerre de 1971.  En 1966, la dirigeante du Parti du Congrès, Indira Gandhi (1917-1084), la fille de Nehru, prit la succession de Lal Bahadur Shastri (1904-1966) au poste de premier ministre.  Madame Gandhi, avait été portée au pouvoir par les conservateurs du Congrès, qui espéraient ainsi la manipuler. Mais celle-ci opta pour des réformes socialistes qui mécontentèrent les notables, ce qui fragilisa son pouvoir au Congrès.

En 1971, une guerre civile éclata dans la partie orientale du Pakistan, aujourd’hui le Bangladesh. Les Bengalis affluèrent alors massivement en Inde, et les relations entre l’Inde et le Pakistan occidental (le Pakistan actuel) se détériorèrent. En décembre, l’Inde entra en guerre aux côtés du Pakistan oriental (Bangladesh), ce qui obligea l’armée pakistanaise à rendre les armes; l'Inde fut également le premier pays à reconnaître le Bangladesh en tant qu’État indépendant. De nombreux réfugiés bengalis regagnèrent alors leur pays. Les accords de Simla en 1972 consacrèrent la défaite complète du Pakistan. En 1975, le petit Sikkim (situé entre le Népal et le Bhoutan) fut annexé par l'Inde. En 1976, la Loi sur les langues officielles de 1963 fut complétée par les Règlements sur les langues officielles (The Official Languages Rules), lesquels seront modifiés en 1987.

En 1977, Indira Gandhi organisa des élections générales, espérant le soutien du peuple, mais elle perdit son siège au Parlement, tandis que le Parti du Congrès, pour la première fois depuis 1952, n’obtint pas la majorité. En 1979, le gouvernement mené par le Parti Janata (ou Parti du peuple) perdit la majorité au Parlement et Desai démissionna. Les élections organisées en janvier 1980 consacrèrent la victoire du Parti du Congrès et d’Indira Gandhi, de nouveau premier ministre de l'Union. Le 31 octobre 1884, Indira Gandhi fut assassinée par deux sikhs de sa garde personnelle; auparavant, elle avait pris des mesures énergiques pour sévir contre les insurgés sikhs et avait ordonné l'attaque du Temple d'Or d'Amritsar, sanctuaire sikhs. Au cours des émeutes qui suivirent cet assassinat, un millier de sikhs furent tués par la foule.

Le fils d'Indira Gandhi, Rajiv Gandhi (1944-1991), fut désigné premier ministre quelques heures après le décès de sa mère. Confirmé à ce poste lors des élections législatives de décembre 1984, Rajiv Gandhi répondit aux exigences des sikhs en acceptant d’agrandir les frontières du Pandjab. Le 3 décembre 1984, une fuite de gaz toxique provenant d’une usine de pesticides de la compagnie Union Carbide, implantée à Bhopal dans le centre de l’Inde, provoqua la mort d'environ 3300 personnes, entraînant de nombreuses maladies dont souffrirent plus de 20 000 Indiens. Aux élections de novembre 1989, le Parti du Congrès perdit sa majorité au Parlement et Vishwanath Pratap Singh, chef du Janata Dal Party (Parti socialiste du peuple), devient premier ministre. En 1990, une scission au sein du parti de Singh provoqua l’effondrement de son gouvernement minoritaire, alors que Chandra Shekhar lui succédait, mais le gouvernement périclita en mars 1991. Rajiv Gandhi fut assassiné en pleine campagne électorale par une kamikaze tamoule qui lui avait placé une guirlande de fleurs piégée autour du cou; il fut pulvérisé sur-le-champ. Les électeurs indiens, choqués, donnèrent au Parti du Congrès la majorité au Parlement, et Narasimha Rao, ancien ministre des Affaires étrangères et partisan de Gandhi, devient premier ministre. Victime lui-même de la violence communautaire, Rajiv Gandhi en avait pourtant mesuré le danger, comme l'attestent ces paroles prononcées après l'assassinat de sa mère : «Cette violence, si elle n'est pas stoppée, nous détruira. [...] Elle détruira tout ce en quoi l'Inde croit et espère.»

Narasimha Rao (1921-2004), un polyglotte maîtrisant 13 langues, fut le premier dirigeant indien à changer de politique économique, en renonçant notamment au dogme du protectionnisme. Son gouvernement mit en œuvre plusieurs réformes libérales, engagea un vaste programme de privatisations, mais les rivalités religieuses ruinèrent à nouveau ce processus d’ouverture. En janvier 1993, des émeutes éclatèrent (faisant environ 3000 victimes) après la destruction, par des extrémistes hindous, de la mosquée Babri Masjid d'Ayodhya, dans l’État de l'Uttar Pradesh. Au début des années 1990, les tensions s’intensifièrent entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire. Depuis 1989, le Cachemire reste le théâtre de conflits sporadiques entre l’armée indienne et les séparatistes ainsi que les militants musulmans qui souhaitent un État indépendant ou un rattachement au Pakistan musulman. En janvier 1994, l’Inde et le Pakistan entamèrent des pourparlers sur l’avenir de cette région, sans véritable issue. Du fait que le Pakistan développait un programme d’armement nucléaire (comme l'Inde), certains pays redoutèrent que le différend sur le Cachemire ne dégénère.

4.6 La montée du nationalisme hindou

Les élections législatives de février et mars 1998, marquées par de nombreuses violences, confirmèrent la montée des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP, ou Parti du peuple indien) qui, avec l’appui de leurs alliés du Tamil Nadu, disposaient de la majorité absolue au Parlement. En mai 1998 et avril 1999, l’Inde procéda à des essais nucléaires, ce qui entraîna la réprobation internationale des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, des sanctions économiques de la part des États-Unis et du Japon, une dégradation des relations avec la Chine, une aggravation de la situation au Cachemire et la réplique du Pakistan qui effectuait à son tour des essais nucléaires et des tirs de missiles. En mai 1999, de nouveaux accrochages eurent lieu au Cachemire entre Indiens et Pakistanais. L'Inde atteignit officiellement un milliard d'habitants en 2000. L'année suivante, trois nouveaux États firent créés: l'Uttarakhand (hindi), le Chhattisgarh (chhatisgarhi et hindi) et le Jharkhand (hindi et santali) (voir la carte). Jusqu'à maintenant, le conflit indo-pakistanais à propos du Cachemire continue de pourrir les relations entre les deux pays.

Aux élections législatives de mai 2004, le Parti du Congrès, avec à sa tête la veuve de Rajiv Gandhi, Sonia Gandhi, remporta une victoire importante qui marquait le retour au pouvoir du Parti du Congrès. Toutefois, après quelques jours, vivement critiquée par les nationalistes du Bharatiya Janata Party qui lui reprochait son origine italienne, Sonia Gandhi céda le poste de premier ministre à Manmohan Singh, un économiste d'origine sikhe. Par Manmohan Singh, le Parti du Congrès put continuer d'exercer son hégémonie sur la politique indienne. Mettant en pratique sa longue expérience politique, Manmohan Singh a voulu s'abstenir de mettre tous ses œufs dans le même panier afin de privilégier une «une diplomatie tous azimuts avec un maximum de partenaires», selon les mots du politicologue Jean-Luc Racine (directeur de recherche au Centre d'études de l'Inde à Paris). Singh est salué comme l'«architecte de la modernisation de l’Inde». On parle aujourd'hui d'une une «perestroïka à l’indienne». C'est lui qui fit adopter en 2005 la Loi sur le droit à l'information, permettant à toute personne qui désire obtenir des informations de le faire une demande par écrit ou par voie électronique en anglais ou en hindi ou dans la langue officielle de la région. En mai 2014, Narendra Modi lui succéda comme premier ministre. La même année, le 2 juin, après des débats houleux au Parlement indien, un nouvel État télougouphone fut créé à partir de la partie ouest de l'Andhra Pradesh, le Télangana, avec comme capitale Hyderabad, une capitale commune aux États jusqu'en 2024 (voir la carte politique actuelle).

Dernière mise à jour: 22 déc. 2023

L'Inde


1) L'Union indienne
 


2) Bref aperçu historique


3) La politique linguistique
du gouvernement central


4) La politique linguistique
des États
- Liste des États disponibles


5) Bibliographie

Carte Asie 
L'Asie