État du Qatar |
Qatar
(Dawlat Qatar) |
Capitale: Doha
Population: 2,2 million (2014)
Langue officielle: arabe (de jure)
Groupe majoritaire: aucun
Groupes minoritaires: arabe du Golfe (27,7 %), arabe
palestinien (13,4 %), arabe libanais (10,4 %), farsi de l'Ouest (10,0
%), arabe syrien (9,3 %), ourdou (6,3 %), filipino ou tagalog (4,4 %),
malayalam (2,7 %), arabe saoudien du Najdi (2,0 %), arabe soudanais (2,0
%), baloutchi du Sud (2,0 %), cinghalais (2,0 %), arabe égyptien (2,0
%), anglais (1,4 %), tamoul (0,9 %), etc.
Langue coloniale: anglais
Système politique: monarchie absolue
Articles constitutionnels (langue): art. 1 et 35 de la
Constitution du 29 avril 2003
Lois linguistiques:
Loi sur la protection de la propriété intellectuelle et le droit d’auteur
(1995);
Loi sur les sociétés commerciales
(2002);
Loi du travail
(2004);
Loi
sur la protection de la langue arabe (2019). |
1
Situation générale
|
L'État du Qatar est un pays de la
péninsule Arabique; il forme une péninsule de 11 427 km² dans le golfe Arabo-Persique
(Belgique: 32 545 km²). Ce minuscule État pétrolier est
limité au sud-ouest par l'Arabie Saoudite et au sud-est par les Émirats
arabes unis. Doha est la capitale et le port
principal; elle accueille 40 % de la population qatarienne.
Rappelons que la ville de Doha abrite aussi une base militaire américaine. Au point de vue administratif, le Qatar est divisé en neuf
municipalités (baladiyat au singulier; baladiyah au pluriel): Ad
Dawhah, Al Ghuwayriyah, Al Jumayliyah, Al Khawr, Al Wakrah, Ar Rayyan, Jarayan
al Batinah, Madinat ash Shamal et Umm Salal. |
Le Qatar est une monarchie absolue. La
famille régnante, les al-Thani, peut se prévaloir d'une forte légitimité:
quelque 40 % de la population qatarie lui est apparentée. En vertu de l'ancienne
Constitution de 1970, le pouvoir exécutif est détenu par le chef de
l'État, l'émir, qui nomme les membres du Conseil des ministres. À l'instar des autres monarchies du Golfe,
le Qatar n'a
pas de véritable système législatif, bien que la Constitution garantisse à
tous les citoyens des droits démocratiques fondamentaux. La Charia, la loi
islamique, est la source du droit.
Aujourd'hui, l'émir (le cheikh
Hamad Bin Khalifa Al Thani) gouverne assisté d’un Conseil
consultatif et de ministres. Il détient à la fois les pouvoirs législatif
et exécutif. Le Conseil des ministres peut proposer des projets de lois et
des projets de décrets, mais avant tout il doit veiller à la bonne application des lois et des décrets
approuvés par l'émir.
Le Qatar est membre de la Ligue arabe.
2
Données démolinguistiques
La majorité de la population est concentrée à la
fois dans la
capitale Doha et dans la seconde ville en importance, Al-Rayyan.
Ces deux villes comptent environ pour 80 % de la population
qatarie (ou qatarienne). Seulement 8 % de la
population vit en dehors des villes; il s'agit principalement de nomades.
Les Qatariens originaires du pays sont en grande partie des musulmans
sunnites d'obédience wahhabite. La population prise dans son ensemble
demeure sunnite à plus de 90 %. L'arabe est la langue officielle, mais l'utilisation de l'anglais (comme
langue véhiculaire) pour le
commerce est très répandue.
2.1 Les ethnies
On distingue plusieurs groupes principaux de Qatariens (ou Qataris): les
Arabes, les Indo-Iraniens, les Indo-Pakistanais, les Bantous, les
Philippins et les Occidentaux. Parmi les Arabes, seuls ceux d'origine
qatarienne sont des «indigènes», les autres étant des travailleurs provenant
des pays voisins, notamment des Arabes palestiniens, libanais, syriens, soudanais,
égyptiens, saoudiens, etc. L'ensemble des Arabes forment 68 % de la population.
|
|
Outre les Arabes, on trouve les Indo-Iraniens
(Daris et Persans: 10 %), les
Bantous d'Afrique noire (9,4%), les
Indo-Pakistanais (14,1 %) tels que les Ourdous,
les Baloutches, les Cinghalais, les Malayali et les Tamouls. Il faut ajouter
aussi les Philippins (4,4 %) et une toute petite communauté chinoise.
Quant aux
Occidentaux (principalement des Britanniques,
des Américains,
des Canadiens, des Arméniens, des Français et des Allemands), ils forment un autre groupe communautaire d'environ
25 200 personnes, soit 1,3 % de la population qatarie.
Ethnie |
Langue maternelle |
Population |
Pourcentage |
Affiliation linguistique |
Arabes qatariens |
arabe qatarien |
355 000 |
18,3 % |
langue sémite |
Arabes palestiniens |
arabe palestinien |
260
000 |
13,4 % |
langue sémite |
Arabe libanais |
arabe libanais |
202 000 |
10,4 % |
langue sémite |
Iraniens (Persans) |
farsi de l'Ouest |
194
000 |
10,0 % |
langue indo-iranienne |
Akhdams (Arabes noirs) |
arabe du Golfe |
184 000 |
9,4 % |
langue sémite |
Arabes syriens |
arabe syrien |
182
000 |
9,3
% |
langue sémite |
Ourdous |
ourdou |
123 000 |
6,3 % |
langue indo-iranienne |
Philippins |
(filipino) tagalog |
87 000 |
4,4
% |
langue
austronésienne |
Malayalis |
malayalam |
54 000 |
2,7 % |
langue
dravidienne |
Arabes saoudiens du
Najdi |
arabe saoudien du Najdi |
39 000 |
2,0
% |
langue sémite |
Arabes soudanais |
arabe soudanais |
39 000 |
2,0 % |
langue sémite |
Baloutches du Sud |
baloutchi du Sud |
39 000 |
2,0
% |
langue indo-iranienne |
Cinghalais (Srilankais) |
cinghalais |
39 000 |
2,0 % |
langue indo-iranienne |
Arabes égyptiens |
arabe égyptien |
39 000 |
2,0
% |
langue sémite |
Tamouls |
tamoul |
19 000 |
0,9 % |
langue
dravidienne |
Arabes saoudiens |
arabe hijazi |
19 000 |
0,9
% |
langue sémite |
Britanniques |
anglais |
19 000 |
0,9 % |
langue germanique |
Américains |
anglais |
9 700 |
0,5
% |
langue germanique |
Arméniens |
arménien |
5 800 |
0,2 % |
isolat
indo-européen |
Français |
français |
5 800 |
0,2
% |
langue
romane |
Allemands |
allemand |
3 900 |
0,2 % |
langue germanique |
Turcs |
turc |
3 600 |
0,1 % |
famille
altaïque |
Autres |
- |
18 000 |
0,9 % |
- |
Total |
- |
1 938 000 |
100 % |
- |
On constate que le Qatar compte plus de
80 % de travailleurs étrangers parmi la population du Qatar; en tant
qu'étrangers, ils sont généralement exploités et maltraités par leurs
employeurs, sauf les Occidentaux, malgré des modifications récentes de la
législation sur le travail. La plupart de ces immigrants sont originaires du
sous-continent indien et des pays arabes voisins. Du fait du grand nombre
d'expatriés, majoritairement de sexe masculin, le Qatar possède l'une des
plus grosses différences de ratio entre les sexes dans le monde, soit
environ trois hommes pour une femme.
2.2 Les langues
Tous les Arabes parlent une
langue afro-asiatique (chamito-sémitique), peu importe leur
variété d'arabe (qatarien, palestinien, libanais, syrien, soudanais, égyptien,
saoudien, etc.). Les Iraniens parlent le farsi (Iran) ou le dari (Afghanistan),
une langue indo-iranienne du groupe
iranien. Les Indo-Pakistanais parlent des
langues indo-iraniennes, mais
appartenant au groupe indien (ourdou et cinghalais) ou iranien (baloutchi) ou
encore des langues dravidiennes
(malayalam et tamoul). Les Bantous d'Afrique noire ont perdu leur langue et
parlent l'arabe du Golfe. Mais les Philippins parlent leur langue nationale, le
filipino, une langue malayo-polynésienne
occidentale. Les Occidentaux parlent surtout l'anglais (Britanniques et
Américains), mais aussi le français (Français),
l'allemand ou l'arménien.
À l'exemple des autres pays arabophones, le
Qatar compte trois types d'arabe: l'arabe vernaculaire, l'arabe classique et
l'arabe moderne standard.
- L'arabe vernaculaire
(ou arabe qatarien, libanais, etc.) reste la langue maternelle de
tous les arabophones; l'arabe qatarien est aussi
appelé «arabe du Golfe». Toutefois, l'arabe du Golfe présente aussi ses
propres variantes selon qu'il est employé au Qatar, en Arabie Saoudite, au
Bahreïn, aux Émirats arabes unis, à Oman ou par les populations nomades du
sud de l'Irak. Ces variantes d'arabe, quoique compréhensibles en elles,
n'assurent pas nécessairement une communication aisée.
- L'arabe
classique n'est la langue maternelle d'aucun Qatarien et il n'est
pas utilisé comme véhicule normal de la communication. Cette langue arabe
demeure pour tout arabophone la langue de la prédication islamique et de
l'enseignement religieux (la langue du Coran), mais c'est également la
référence et l'outil symbolique de l'identité arabo-musulmane, une langue
supranationale réservée à des usages formels et limités à certaines
situations particulières. Enfin, l'arabe classique demeure en principe la
langue officielle de l'État, mais les faits révèlent qu'il est généralement
supplanté par l'arabe standard moderne.
- L'arabe moderne
standard, ou simplement «arabe standard», correspond à la
variante moderne de la langue arabe, soit celle qui est enseignée dans les
écoles, par opposition à l'arabe classique ancien associé à l'arabe du
Coran. Cette variété d'arabe moderne est également la langue des
productions littéraires, de la presse écrite, de la presse électronique, et
de toute sorte de brochures et de documents administratifs et judiciaires.
Surtout, c'est la langue qui est utilisée dans les manifestations
officielles et institutionnelles, notamment au Parlement. Au niveau
supranational, l'arabe moderne standard est la langue de communication par
excellence dans le monde arabe, bien plus que l'arabe classique, à la fois à
l'écrit et à l'orale. Pour cette raison, c'est une variété de référence pour
toute la communauté arabe, parce que, à travers elle, sont véhiculées la
culture arabe en général.
L'anglais
sert plus souvent qu'autrement de langue véhiculaire entre les locuteurs des
différentes langues employées dans le pays. De plus, l'anglais a tendance à
devenir une langue de communication privilégiée pour l'importante diaspora
d'expatriés que compte le Qatar. Devant l'importance croissante de l'anglais,
pour ne pas dire du «tout-anglais», le gouvernement qatarien semble avoir pris
des mesures dans le but de revaloriser la langue arabe. Néanmoins, le Qatar
est un pays où la langue officielle est l’arabe, mais où la population ne le
parle guère ou très peu, car c'est l'anglais qui sert de communication entre les
différentes ethnies, en fait généralement dans un anglais approximatif.
Dans cet ancien protectorat britannique, le français n'est
que fort peu pratiqué dans la vie quotidienne. Pourtant, après de nombreuses
polémiques, le pays est devenu membre de la Francophonie en 2012. Aujourd’hui,
10% de la population parle français. Et de grandes écoles françaises comme la
Sorbonne ou HEC y sont présentes et participent au programme "Qatar National
Vision 2030" visant à transformer le pays et à accroître le prétendu "soft
power" de l’émirat à travers le monde. Par ailleurs, des écoles privées
tunisiennes, libanaises, suisses, indiennes, etc., enseignent aussi le français.
2.3 Les religions
L'islam est la religion d'État du Qatar ; tous
les Qataris sont musulmans de confession wahhabite. Cependant, il
existe des adeptes d'autres religions, notamment des chrétiens,
parmi les nombreux travailleurs étrangers. Selon le recensement de
2004, la population est musulmane dans une proportion de 77,5 %;
chrétienne à 8,5 %; hindouiste à 9 %, etc.
3
Données historiques
Il semble que les plus traces les plus anciennes de présence humaine dans la
région du du Golfe remontent à quelque 4000 ans avant notre ère. Plus tard, la
péninsule Arabique fut fréquentée par des tribus nomades du désert du Najd, qui y
séjournaient durant la belle saison. La région du Golfe devint un centre de
commerce florissant.
Au
Ve
siècle avant notre ère, l’historien grec Hérodote désignait les habitants
de la région comme des Cananéens, connus pour leur maîtrise de la navigation et
leur habileté dans le négoce. Ce sont les Grecs qui donnèrent son nom au golfe
Persique. Auparavant, les Suméro-Babyloniens l'appelaient soit la mer
Inférieure, soit la mer Amère, soit encore la mer du Soleil levant. Au
IIe
siècle de notre ère, le géographe grec Ptolémée mentionna une ville nommée
Catara sur sa carte de la région. Par la suite, l'occupation romaine marqua le
déclin commercial du Golfe au profit de la mer Rouge. Il fallut attendre la
domination de la région par l’Empire
sassanide (entre les
IIIe
et VIe
siècles pour que la région du Golfe redevienne un lieu d’échanges florissants. Assyriens, Perses, Babyloniens, Grecs
et Sassanides se
succédèrent dans cette région du Golfe.
3.1 L'avènement de l'islam
La religion musulmane pénétra au
VIIe
siècle dans la région du Golfe, alors sous domination de la dynastie des Arabes
de Manadhira. Leur roi, Al Mundhir Ibn Sawi Al Timimi, se convertit à la
nouvelle religion. Dès lors, le Qatar participa à l’expansion de l’islam; il
aida à la préparation d'une première flotte destinées à diffuser la religion
au-delà des mers. En même temps, la langue arabe s'implanta définitivement dans
la région, même si cette langue était déjà parlée depuis quelques siècles,
probablement dès le IIe
siècle. C'est à cette époque qu'est apparu le nom de Qatar pour désigner la
région.
Durant le règne des Abbassides (750-1250), le Qatar connut une grande période
de prospérité. Ce fut l'époque des Milles-et-Une-Nuits, l'âge d’or du monde arabo-persan. Le port de Bassorah
(aujourd'hui en Irak) étendit son influence à tout le Golfe.
3.2 Les dominations ottomane et britannique
|
Les Portugais occupèrent le détroit d'Ormuz, puis Mascate (aujourd'hui la
capitale du sultanat d'Oman) et Bahreïn. En
1517, ils prirent le Qatar et imposèrent leur contrôle maritime et commercial
dans le Golfe. Quelques années plus tard, soit en 1538, ils furent chassés de la
région par les Ottomans qui dominèrent le Qatar durant presque quatre siècles.
En fait, le Qatar n'est jamais devenu une province ottomane, mais
les Ottomans l'ont néanmoins dirigé directement de 1550 à 1680 et de
1818 à 1830, puis indirectement de 1680 à 1818 et de 1830 à 1872; la
mainmise des Ottomans sur le Qatar s'est poursuivie en soumettant la
monarchie des Al Thani jusqu'en 1915.
Les
Ottomans n'imposèrent pas la langue turque aux habitants, cette langue restant
le seul apanage de l'Administration. Au cours du
XVIIe
siècle, le pays fut marqué par de violentes rivalités entre les tribus désirant
contrôler le territoire. Les conflits entre tribus se poursuivirent jusqu'au
début du
XIXe
siècle. |
C'est
alors que les Britanniques décidèrent d’intervenir, car les
rivalités tribales diminuaient la sécurité
maritime des flottes britanniques en route vers les Indes. Après avoir bombardé
Doha, le colonel Lewis Pelly,
à titre de «résident politique» dans le Golfe, imposa en 1868 un traité de paix
avec le cheikh Mohammad Bin Thani et reconnaissait en ce dernier le personnage
le plus influent de la région, ce qui mettait fin aux prétentions des Al Khalifa à
gouverner le Qatar.
En 1871, le traité de paix devint caduque, car les Turcs installèrent à
nouveau une
garnison au Qatar, remettant aussi le pays sous la gouverne ottomane.
Mais le cheikh Qasim s’opposa à cette tutelle et prit les armes contre les Turcs
et leur infligea une cinglante défaite. Au tournant du siècle, Qasim décida
d'adhérer au wahhabisme (d'après le nom du fondateur, Abd Al Wahhab), une
doctrine d’interprétation rigoriste du Coran.
En
1913, un accord fut conclu entre Britanniques et Ottomans, redéfinissant les
zones d'influence dans la région.
|
La domination britannique sur le Qatar fut consacrée en
1916 par un traité de protectorat : l'émir, en échange de la protection
britannique contre la puissance menaçante d'Ibn Séoud, accordait à la
Grande-Bretagne une exclusivité sur les concessions pétrolières. Le traité du 3
novembre 1916 entre le gouvernement britannique et le cheikh de Qatar comportait
divers engagements du cheikh, notamment celui de respecter les obligations
propres aux «États de la Trêve» (en anglais: "Trucial Coast").
Ce traité quasi unilatéral obligeait les Émirats
(Abou Dabi, Ajman, Dubaï, Charjah, Umm al-Quwain, Ras
al-Khaimah, etc.), ainsi qu'à Bahreïn, au Qatar et
même au
Koweït de n'entretenir aucune relation politique ou économique avec
un autre pays que la Grande Bretagne... en échange de sa protection. |
Sous réserve de quelques engagements
particuliers, l'administration intérieure du territoire demeurait entièrement
souveraine, car seuls les affaires extérieures se voyait limitées par
l'intermédiaire obligé du Royaume-Uni. Le traité entre le gouvernement
britannique et le cheikh de Qatar, en date du 3 novembre 1916, comportait divers
engagement du cheikh dont celui de respecter les obligations propres aux «États
de la Trêve» ("Trucial States") :
Moi, cheikh Abdullah, je
m'engage en outre à ne pas avoir de relations et à ne pas correspondre
avec une autre puissance, ni à recevoir son agent, sans le consentement du
Gouvernement britannique; sans un tel consentement, je ne céderai pas non
plus de terres à aucune autre puissance ni à ses sujets, que ce soit en
les affirmant, en les vendant, en les transférant, en les donnant ou de
toute autre manière. |
En retour, le gouvernement britannique s'engageait à protéger le cheikh, ses sujets et
son territoire contre toute agression par la mer et à prêter ses bons offices en
cas d'attaque terrestre du territoire de Qatar.
Les premières
découvertes de gisements pétrolifères dans la région, à Bahreïn en 1932,
soulevaient la question de la délimitation précise des frontières. Il s'agissait
de définir les territoires de prospection et d'exploitation des compagnies
pétrolières, l'américaine SOCAL ("Standard Oil Company of California") obtint
d'Ibn Séoud la concession du Hasa, en territoire saoudien, tandis que la
concession qatarie fut échue à la britannique APOC ("Anglo-Persian Oil Company").
Définir la frontière revenait à tracer la séparation entre les deux concessions.
Se posa en outre la question de l'accès à la mer; le port d'Al-Udaïd était
revendiqué par l'Arabie Saoudite, le Qatar et Abou Dabi. L'accord sur les
frontières n'interviendra qu'en 1965. Puis la Seconde Guerre mondiale vint
stopper la production pétrolière,mais entraîna une
vague d’immigration qui porta la
population du Qatar à environ 27 000 habitants, dont la moitié à Doha. La grande
aventure du pétrole recommença en 1949.
Au cours des années 1960, le cheikh Khalifa Bin Hamad Al Thani, alors prince
héritier, prit une part de plus en plus active dans les affaires du Qatar. Il
participa à l'élaboration d’un plan de développement national qui prévoyait une
modernisation de l’administration et un développement accéléré de l’industrie
pétrolière. Cette nouvelle situation entraîna un besoin de main d'œuvre,
c'est-à-dire une seconde vague d’immigration qui provenait essentiellement du
sous-continent indien (les Indo-Pakistanais).
Vers la fin de la même décennie, soit en 1968, les Britanniques décidèrent de
se dégager de tout accord de défense dans la région avant l’année 1971. Les
émirats du Golfe envisagèrent un temps de constituer une fédération, mais les
négociations s'avérèrent rapidement infructueuses.
En avril 1970, le Qatar se dota d’une constitution provisoire qui en faisait
un État arabe indépendant, avec l'arabe comme langue officielle, et devint
membre de l'Organisation des Nations unies.
Le Bahreïn devint également indépendant. Le gouvernement britannique mit fin au
protectorat le 1
er
décembre 1971.
3.3 L'indépendance
En 1972,
l'émir qui dirigeait le Qatar, Ahmad ibn Ali al-Thani, fut détrôné par son
cousin, Khalifa ibn Ahmad, sous le règne duquel le pays s'était modernisé. Le
cheikh Ahmad poursuivit la politique étrangère menée par son père au sujet de
l'Arabie Saoudite, avec laquelle les relations se compliquèrent. En
1974, l’ensemble des opérations pétrolières fut placé sous le contrôle d’une
société unique créée à cet effet, la Compagnie générale de pétrole du Qatar
(appelée QGPC). Grâce au pétrole, le Qatar devint un pays très riche. Les
domaines de la santé et de l'éducation se développèrent, ce qui favorisa une
troisième vague de main d’œuvre étrangère, cette fois-ci en en provenance du
monde arabe et de l'Asie du Sud-Est (Philippines). Les mœurs évoluèrent
rapidement, alors que la société qatarienne se trouvait confrontée à la
modernité importée de l’Occident. Apparurent les voitures, le téléphone, la
télévision, l'air climatisé, les ordinateurs, etc., ce qui bouleversa grandement
les mœurs des Qataris, sans remettre en cause les fondements religieux et
traditionnels de la société.
En 1991, le Qatar participa à la coalition levée contre
l'Irak, tout en demeurant partisan du retour de l'Irak sur la scène
internationale. Le Qatar fut aussi le premier pays arabe du Golfe à conduire des
négociations avec Israël en vue d'une normalisation des relations diplomatiques.
Cette politique étrangère différenciée s'inscrit dans un contexte de tensions
quasi permanentes avec ses voisins du Golfe, en raison de problèmes frontaliers
récurrents.
- Une certaine démocratisation
Le 27 juin 1995,
le prince héritier, le cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, prenait le pouvoir
après avoir renversé son père. Devenu nouvel émir du Qatar, il entreprit des
réformes marquant un premier pas vers la démocratisation du pays et de ses
institutions. Il accorda
le droit de vote aux femmes et, en octobre 1996, il laissa
s’implanter à Doha une chaîne de télévision privée arabe devenue célèbre :
Al-Jazeera (l’île). La chaîne
est devenue en quelques années la seule voix libre de l’immense nation arabe. À
l’heure actuelle, le Qatar semble se tourner vers une nouvelle aventure, celle
du gaz.
Les revenus du pétrole et du gaz naturel permettent au Qatar
d'atteindre un niveau de revenus par personne proche de celui des plus riches
pays industriels d'Europe de l'Ouest.
Le 11 décembre 2002, le Qatar signait avec les États-Unis un
accord de coopération militaire relatif à l’utilisation de la base aérienne
d’Al-Eideïd par les forces américaines. En 2011, le Qatar fit preuve d'une
certaine audace en envoyant ses avions militaires combattre les forces libyennes
du colonel Kadhafi aux côtés des troupes occidentales.
- La Francophonie
Depuis le 13 octobre 2012, le Qatar est membre associé de l'Organisation
internationale de la francophonie
(OIF), et ce, sans être passé par le statut d'observateur. De fait, l'admission du Qatar comme
«État associé» dans la Francophonie
paraît un peu
nébuleux. Les représentants du Qatar ont fait valoir que l'enseignement du
français a été rétabli dans les établissements publics qataris depuis la rentrée
2012, sans oublier le lancement en 2010 d'une radio francophone depuis Doha. Le
Qatar, monarchie pétrolière et gazière du Golfe, a aussi investi massivement en
France dans le secteur sportif, l'achat de droits de diffusion de télé, le
marché de l'art et de la mode. Le chef de la diplomatie française, à l'époque Laurent Fabius,
avait souhaité la bienvenue aux investisseurs qataris.
- La règle du non-droit
Quoi qu'il en soit, le
Qatar reste l'un des pays les plus sévèrement condamnés par Human Rights
Watch (HRW)
pour son non-respect de la règle de droit,
notamment le
droit à un procès juste et équitable et les droits de l’homme en général,
sans oublier les conditions d’esclavage imposées à ses ouvriers étrangers non
occidentaux. Pour ce qui est du droit de la nationalité, le Qatar s'organise
pour ne pas permettre aux travailleurs immigrés d'obtenir la nationalité qatarienne. Les enfants eux-mêmes n'acquièrent pas la nationalité qatarienne
lorsqu'ils naissent au Qatar, même si leur mère est elle-même qatarienne. Les
femmes font encore l’objet de diverses discriminations, que ce soit la violence
au foyer, le divorce, l'héritage, la garde des enfants, la nationalité et le
droit de circuler librement. La peine de mort reste en vigueur, ainsi que les
punitions corporelles, notamment la flagellation (surtout pour pour sévir contre
la consommation d'alcool ou des relations sexuelles illicites). Au Qatar, la
Charia interdit toute relation sexuelle hors mariage et l'homosexualité est
passible de la peine de mort pour les musulmans.
- L'opportunisme qatari
Doha entretient des relations notamment
avec la France, les États-Unis et le Hamas. Autrement dit, le Qatar entretient
des relations avec des parties en conflit. Il jouit d'une position unique
d'interlocuteur à la fois du Hamas, d'Israël et des Occidentaux. Le petit pays
du Golfe abrite la plus grande base militaire américaine de la région, tout en
cultivant également des contacts très réguliers et étroits avec la direction du
Hamas. Le gouvernement de Doha accueille depuis 2012 le bureau politique du
groupe au pouvoir dans la bande de Gaza, et ce, «avec l'aval tacite des
États-Unis». L'émirat partage aussi un champ gazier avec l'Iran, ce qui lui
permet de servir d'interface avec le pays perçu comme la menace majeure dans
cette région.
En effet, le chef du Hamas vit
confortablement au Qatar depuis 2019 à l'abri des bombes des Israéliens; il est
devenu millionnaire, comme d'autres dirigeants du mouvement militariste, en
prélevant une taxe de 20% sur tous les biens entrant à Gaza. L'émirat verse par
ailleurs 30 millions de dollars chaque mois à la bande de Gaza, pour financer la
construction d'infrastructures et les salaires des fonctionnaires, et ce, avec
l'aval d'Israël.
Dans ces conditions, le Qatar parle
directement à toutes les parties prenantes au conflit entre Israël et le Hamas,
ce qui en fait un interlocuteur incontournable pour ces négociations.
D'autres pays auraient pu jouer ce rôle, comme la Turquie ou l'Égypte, mais
l'opportunisme qatari a déjà gagné sa position de médiateur dans d'autres
crises, par exemple en Afghanistan.
Le Qatar est un pays très riche, mais il
est aussi très petit. Ses dirigeants ont compris qu'ils devaient s'appuyer sur
la «manière douce» ("soft power") pour exister sur la scène internationale. Le
pays veut devenir «la Genève du Moyen-Orient», ce qui le place en conflit avec
le sultanat d'Oman qui aspire au même titre.
4
La politique linguistique
L'État du Qatar a adopté une politique d'arabisation
pragmatique: il s'agit de favoriser l'arabe tout en conservant certaines
prérogatives à l'anglais. La Constitution de 1970 a été remplacée par celle de
2003, approuvée lors d'un référendum le 29 avril 2003. L'article 1er reprend les
dispositions de 1970 sur la langue:
Article 1er Le Qatar est un État arabe
indépendant et souverain. Sa religion est l'islam et la Charia islamique
la source première de ses lois. Son système politique est démocratique.
La
langue arabe est sa langue officielle. Le peuple du Qatar fait partie de
la nation arabe.
Article 35
Tous sont égaux devant la
loi et il n'y a aucune discrimination pour des raisons de sexe, de race,
de langue
ou de religion. |
Quant à l'article 35, il interdit la discrimination pour
des motifs de sexe, de race, de langue ou de religion.
4.1 La langue de l'État
Le Qatar fonctionne avec trois langues arabes: l'arabe classique, l'arabe
qatarien (arabe du Golfe) et l'arabe standard moderne. C'est en arabe
du Golfe que les employés de l'État communiquent oralement avec la population,
c'est-à-dire l'administration, l'armée, la police, les affaires, etc. C'est en
arabe standard moderne que l'État communique officiellement avec les Qatariens
lors des cérémonies officielles, mais l'arabe du Golfe n'est pas nécessairement
exclus. C'est l'arabe standard moderne qu'on utilise dans les médias, les écoles
et les communications entre les populations arabophones. Avec les
non-arabophones, c'est l'anglais qui remplace l'arabe moderne.
C'est la population indigène du Qatar qui contrôle les
affaires du gouvernement, de la police, de l'armée, etc. C'est pourquoi
l'arabe du Golfe, une langue essentiellement orale, est utilisé partout. La
plupart des fonctionnaires parlent donc l'arabe du Golfe, mais aussi l'arabe
standard lorsque les circonstances l'exigent, parfois l'anglais dans certains
bureaux
administratifs de la capitale. C'est en arabe du Golfe qu'on discute des lois
rédigées en arabe standard, c'est en arabe du Golfe qu'on commente les
règlements administratifs offerts en arabe classique.
Dans les tribunaux, l'arabe standard est la langue
officielle, mais les accusés, les témoins et les avocats peuvent s'exprimer en
arabe du Golfe ou en anglais lorsque la cause concerne les étrangers. Dans les
municipalités (cours locales), c'est toujours l'arabe du Golfe avec, selon les besoins,
le recours aux services d'un interprète. Cela étant dit,
il vaut mieux ne pas avoir de contentieux
avec des citoyens du Qatar (les «nationaux»), car la justice du pays risque de
ne pas se montrer totalement impartiale. Les services
gouvernementaux centralisés sont donc offerts en arabe du Golfe (avec les
locaux), en arabe standard (avec les autres arabophones) et en anglais (avec
les étrangers occidentaux et asiatiques).
4.2 L'éducation
L'enseignement au Qatar est gratuit et obligatoire, à la
fois pour les enfants qataris et pour ceux des travailleurs immigrés. Un
programme d'alphabétisation des adultes a été mis en place, avec un certain
succès, puisque le taux d'alphabétisation des adultes s'élevait à 79 % en 2001,
soit l'un des plus élevés du monde arabe. Avant que la découverte du pétrole, le
Qatar ne disposait seulement que de quelques écoles primaires pour des garçons,
celles-ci étant par ailleurs dispersées dans tout le pays. Aujourd'hui,
l'éducation est obligatoire et gratuite. Elle comprend six ans d'école école
primaire, trois ans d'école intermédiaire et trois ans d'enseignement général
secondaire. Les écoles maternelles sont privées et exigent des frais de
scolarité. Dans tout le système public, les garçons et les filles étudient dans
des écoles séparées. La langue d'enseignement est l'arabe standard, mais l'arabe
classique dans les établissements coraniques.
Le
Qatar dispose de 113 écoles primaires, dont 60 pour les garçons et 53 pour les filles.
On compte aussi quelque 56 écoles
préparatoires (28 pour les garçons et 28 pour les filles) et 41 collèges d'enseignement
général secondaires (19 pour les garçons et 22 pour les filles). Les écoles
publiques dispensent l'éducation gratuitement pour les enfants des résidants non
qataris qui travaillent pour le secteur public. L'anglais
est introduit dans les deux dernières années du primaire, mais il est surtout
appris dans les écoles préparatoires et au secondaire.
Dans l’enseignement secondaire
qatarien, le français demeure une option possible pour les élèves de la filière
Lettres où il est enseigné pendant les deux dernières années du secondaire.
- Les études supérieures
Le système universitaire à commencé en 1973 avec deux
facultés, une pour les hommes et une pour les femmes. Quelques années plus tard,
des facultés en sciences humaines, en études sociales, en études islamiques et
en sciences ont été ajoutées et l'Université de Qatar a été fondée. Cette
université a continué à s'étendre depuis et occupe maintenant un grand campus
juste à l'extérieur de Doha. La cité universitaire est divisée dans deux
sections, une pour les hommes et une pour les femmes; chacune des sections
bénéficie de ses propres salles de cours, ses laboratoires et différents autres
équipements. Le Collège de technologie a suivi; il constitue l'un des des éléments d'un projet grandiose du
Qatar visant la création d'une «cité de l'éducation» dans la capitale, qui
rassemblerait l'élite de l'expertise mondiale. D'ailleurs, la Cornell University School of Medicine
de New York y a établi un campus
satellite; cet institut médical offre à ses étudiants les mêmes diplômes «Ivy
League» qu'elle décerne à New York.
Les langues d'enseignement sont l'arabe
standard et l'anglais; en général, l'arabe standard est la langue d'enseignement dans
les domaines de l'éducation, des arts et des sciences sociales; l'anglais est la
langue d'enseignement dans les sciences naturelles, de la pétrochimie et des
affaires. Le Qatar possède un Institut des langues à Doha, qui est chargé de la
formation continue des employés du gouvernement afin d'améliorer leurs standards
en arabe, en anglais et en français. Les candidats doivent avoir suivi avant
leur inscription à l'Institut un minimum de trois années d'étude de langue
arabe.
- Les écoles privées
Le Qatar compte également des écoles
privées destinées aussi bien aux étrangers occidentaux qu'aux
différentes communautés arabes comme
les Libanais, les Jordaniens, les Soudanais, etc., ou aux Indo-Pakisanais. Dans
ces écoles, la langue d'enseignement est l'anglais, l'ourdou, le français, etc.
Le ministère de l'Éducation soutient l'éducation privée en fournissant des
écoles avec les manuels, la papeterie, la sécurité sociale, l'électricité et
l'eau gratuitement, ainsi qu'un directeur ou une directrice d'origine qatarie,
sans oublier un enseignant pour chacune des maternelles. À la suite de ce
soutien, les écoles privées sont devenues très populaires. Ces écoles reçoivent
de l'aide financière du gouvernement, mais pas suffisamment pour couvrir toutes
les dépenses; elles exigent donc des frais de scolarité.
En 2012, un sondage en ligne par le
journal arabe Al Raya révélait que 90 % des répondants
affirmaient qu'ils ne sentaient que l'arabe avait été utilisé correctement dans les
établissements publics, les écoles et les universités. Environ 85 % des
répondants croyaient que les établissements d'enseignement avaient échoué à adopter l'arabe
comme langue officielle.
4.3 Les médias
L'État du Qatar a une politique linguistique plutôt
libérale à l'égard des langues dans les médias. En réalité, il n'existe aucune
obligation. Certains journaux sont rédigés
en arabe standard (Al-Raya,
Al-Watan,
Al-Sharq,
Al-Arab), d'autres sont en anglais (Gulf Times
et The Peninsula).
- Les médias électroniques
Dans les
médias électroniques,
QBS (Qatar Radio Service) et ses stations locales diffusent en arabe du Golfe et
en arabe standard. QBS
diffuse également trois heures quotidiennes d’informations et de programmes de
divertissement en anglais et en français. La station
de Doha est composée d’une
dizaine de rédacteurs et d’animateurs, dont un Américain, un Français, un
Algérien, un Béninois, un Égyptien, un Qatarien et un Tunisien. En ce qui a
trait à la télévision,
Qatar Television One diffuse en arabe classique au canal 9 et au canal 11; Qatar Television Two (canal 37) diffuse en anglais de la fin d'après-midi jusqu'à
minuit, ainsi qu'un hebdomadaire en français le lundi (vers
18 h 45).
Les abonnés de Qatar Cable Vision
peuvent également suivre les programmes de TV5 Orient sur le canal 74. Cette
chaîne informe en permanence et propose des œuvres (françaises, suisses, belges
et canadiennes) audiovisuelles en langue française, de même que des émissions de
divertissement adaptées aux attentes des téléspectateurs francophones et
francophiles du Proche-Orient.
Il faut aussi mentionner Radio
Monte-Carlo Moyen-Orient (en FM.593.4) qui diffuse en arabe classique, puis des
bulletins d'informations en anglais et en français, trois fois par jour.
- La chaîne Al-Jazira
|
Enfin, la célèbre chaîne de
télévision Al-Jazira
(ou Aljazeera),
basée à Doha, est maintenant connue dans le monde entier. Elle
est la première chaîne d’informations en continu du monde arabe, diffusée via
satellite et regardée par près de quarante-cinq millions d’Arabes dans le monde.
Le président du Conseil d’administration d’Al-Jazira est un membre de la
famille royale et, bien que la chaîne soit entièrement financée par l’État du
Qatar, Al-Jazira ne constitue pas la voix du gouvernement. Vitrine du monde
arabe, la chaîne Al-Jazira traite des événements du monde, d’un point de vue arabe. Une
soixantaine de journalistes, des correspondants dans le monde entier, chrétiens
et musulmans, y travaillent.
Al-Jazira prône ainsi un monde arabe réunifié.
Elle diffuse en langue arabe standard depuis sa fondation en 1996, ainsi que des bulletins en anglais.
Cependant, en date du 15 novembre 2006, la chaîne Al-Jazira lançait une chaîne
en anglais pour partir à la conquête du monde anglophone. Le nouveau réseau
devrait être capté par au moins 40 millions de foyers, la plupart à l'extérieur
de l'Amérique du Nord et de l'Europe. |
Les États-Unis
voudraient bien faire taire Al-Jazira, car ils n'admettent pas que la chaîne
arabe présentent les événements d'une autre façon que la leur. Les dirigeants
américains n'ont certainement pas vu d'un bon œil l'apparition de la chaîne en
anglais, une autre façon «de répandre le Mal». Dans un monde
arabe dans lequel le contexte médiatique se caractérise par le conformisme, Al-Jazira semble l’exception qui confirme la règle. Pour bien des journalistes,
Al-Jazira demeure sans conteste une «ouverture» démocratique. Il n'est pas
surprenant que la chaîne ait suscité, depuis sa création en 1996, de
l'engouement dans tout le monde arabe. Le problème, c'est que les États-Unis
sont contre les démocraties dans le
monde arabe; ils préfèrent des régimes qui contrôlent fortement la situation du
pays en adoptant la «vision américaine». Quoi qu'il en soit, l'attitude du Qatar
en cette matière lui fait honneur, surtout que, dans la
plupart des pays arabes, c'est le silence... de peur de prendre position contre
les dictatures arabes, les États-Unis et les fondamentalistes musulmans. Il n'en
demeure pas moins que, à cause d'Al-Jazira, le minuscule État du Qatar, avec ses
800 000 habitants, jouit d'une influence gigantesque, hors du commun.
Grâce au vaste auditoire de la chaîne Al Jazira, l’émirat du Qatar s’est fait le
chantre des révolutions et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Al-Jazira dérange!
4.4 La politique de valorisation de
l'arabe
Le Qatar a élaboré une politique de valorisation de
l'arabe assez originale. Cette politique semble axée sur la promotion de l'arabe
dans le but manifeste de concurrencer la dominance de la langue anglaise. En
même temps, elle s'appuie également sur la Francophonie en ouvrant un nouveau
«front» linguistique.
- La promotion de l'arabe
Déjà en 2002, la
Loi sur les sociétés commerciales
(2002) imposait aux entreprises qui désiraient inviter les Qatariens
pour une souscription publique à utiliser au moins deux quotidiens arabes locaux
dans le but d'avertir les citoyens du pays:
Article 77
L'invitation pour une souscription publique doit se faire au
moyen d'un avis publié au moins dans deux quotidiens locaux
en arabe dans un
délai minimal d'une semaine avant le début de la souscription.
L'annonce de souscription devrait inclure les détails
suivants:
1. Le nom et la nationalité des représentants.
2. Le nom, l'objet et le siège de la société.
3. Le montant du capital, le capital versé, le type d'actions, la valeur des
actions, le montant des actions offertes à la souscription, les
actions souscrites par les représentants et les conditions imposées
sur le traitement des actions.
Article 182
La société doit publier les rapports financiers semestriels dans
les
quotidiens arabes locaux
pour les fins de consultation par les actionnaires. Le
contrôleur des comptes doit vérifier ces rapports et ceux-ci ne
doivent pas être publiés sans l'approbation du Ministère
concerné. |
L'article 9 de la
Loi du travail
(2004) impose la langue arabe dans tous les contrats
et autres documents écrits :
Loi du
travail du Qatar
Article 9
Tous les contrats et autres
documents et instruments écrits prévus par la présente loi
doivent être rédigés en langue arabe.
L’employeur peut accompagner ces
contrats, documents ou instruments écrits par des traductions dans
d’autres langues et, dans le cas d’une différence, le texte arabe
doit prévaloir. |
- Le décret sur l'affichage
(2012)
Le Qatar
présente une apparence visuelle résolument bilingue,
c'est-à-dire arabe-anglais.
L'anglais est omniprésent au point où l'on pourrait croire
que le pays est officiellement bilingue. Les affiches
unilingues arabes sont rares et même les ministères du
gouvernement ont des présentations bilingues. La signalisation
routière est bilingue. De façon générale, les inscriptions
en arabe sont placées au-dessus de celles en anglais.
En 2012,
l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, a approuvé un décret énonçant que les panneaux d'affichage
devaient être principalement en arabe, bien que les langues étrangères
puissent être autorisées de façon supplémentaire.
Autrement
dit, les langues étrangères ne sont pas interdites dans la
mesure où l'arabe est présent et constituer la langue
principale. C'est cette dispositions qui est inscrite à
l'article 10 de la
Loi n° 7 sur la protection de
l'arabe:
Article 10
Les marques, les appellations commerciales,
les pièces de monnaie, les timbres et les médailles doivent être
rédigés en arabe et l'équivalent peut être écrit dans une autre
langue à la condition que la langue arabe soit la plus importante.
|
L'affichage en question concerne
les panneaux
de signalisation, les bannières des entreprises et la
publicité commerciale. Quoi qu'il ne
soit, le décret de l'émir du Qatar ne peut pas empêcher la
présence de l'anglais dans l'affichage, il ne fait
qu'interdire l'unilinguisme anglais et la liquidation des
inscriptions en arabe. Le décret ne concerne pas les
annonces commerciales dans les journaux et les magasines.
Les affiches ne doivent pas
entraver la circulation des véhicules ou le déplacement
des piétons; elles ne doivent pas avoir un contenu insultant
l'islam ou toute autre religion, ni
violer les mœurs et les traditions qatariennes.
Les
personnes physiques et morales qui violeraient
le décret verraient leurs publicités enlevés «par la force»
et pourraient faire
se voir imposer une amende de 20,00 riyals qatariens
(5,49$US ou 4,83€), ce qui semble
vraiment peu pour un pays dont riche. Selon la Banque
mondiale, le revenu mensuel moyen par habitant au Qatar
s'élevait en 2011 à 6334 $US (ou 5572 €),
soit 76 010 $US (ou 66 871 €) par
habitant et par an.
- La Loi sur la protection de l'arabe (2019)
En février 2019, dans le but de promouvoir l'emploi de l'arabe au Qatar, le gouvernement a
présenté un projet de loi (en arabe romanisé:
qanun raqm (7) lisanat 2019 bishan himayat allughat alearabia).
La Loi n° 7 sur la protection de
l'arabe (2019) exige que tous les ministères, les organismes officiels, les
établissements d'enseignement, y compris les universités et les écoles
maternelles, les municipalités, à utiliser l'arabe dans toutes leurs
communications. La loi obligerait
l'emploi de l'arabe pour les instructions, les directives, les documents, les contrats,
les transactions, la correspondance, les étiquettes, les publications,
les publicités, etc.
La loi propose également que les universités d'État soit
assujettie aux nouvelles règles: les
universités et les établissements d'enseignement supérieur
publics,
supervisés par le gouvernement, sont incités à enseigner la langue arabe dans toute les
sciences.
Article 1er
Toutes les agences gouvernementales et non gouvernementales
s'engagent à protéger et à soutenir la langue arabe dans
toutes leurs activités et événements.
Article 2
Les ministères,
autres agences gouvernementales et organismes et
institutions publics
sont tenus
d'employer la langue arabe
dans leurs assemblées et discussions, et dans toutes les
décisions qu'ils prennent, règlements, instructions,
documents, contrats, correspondance, étiquettes, programmes,
publications, visuels, publicités audio ou imprimées et
autres transactions.
La disposition du
paragraphe précédent s'applique aux associations et
institutions privées, aux fondations privées d'intérêt
public et aux organismes dont le budget est financé par
l'État.
Article 3
La législation de l'État
doit être rédigée en langue arabe et une traduction de
celle-ci dans d'autres langues peut être publiée, si
l'intérêt public l'exige.
Article 4
La langue
arabe est
la langue des
conversations, des négociations, des mémorandums et de la
correspondance avec d'autres gouvernements,
organismes et organisations régionaux et internationaux et
des conférences officielles, le texte étant joint à l'autre
langue approuvée pour ces organismes.
La langue arabe doit être
employée dans la rédaction des traités, des accords et des
contrats conclus entre l'État et d'autres pays, dans les
organisations et les organismes régionaux et internationaux,
et une autre langue peut être adoptée à la condition qu'une
traduction en langue arabe y soit jointe.
Article 5
La langue
arabe est
la langue d'enseignement dans les établissements
d'enseignement publics,
à moins que la nature de certains programmes ne nécessite leur
enseignement dans une autre langue, tel que déterminé par le
ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur.
Les
établissements d'enseignement privés sont
tenus d'enseigner l'arabe en tant que matière principale
indépendante dans leurs programmes,
dans les cas et selon les règles et règlements fixés par le
ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur. |
Il y a quelques années, le
Conseil supérieur de l'éducation
a rendu une décision pour que la langue d'enseignement pour
les cours de droit, les affaires internationales, les médias et
l'administration des affaires, etc., passent de l'anglais à l'arabe à
partir du mois de septembre 2012. Cependant, la plupart des cours dans
les domaines des sciences, de l'ingénierie, de la pharmacie et de la
médecine ont
continué à être enseignées en anglais. Lorsque cette
politique linguistique a été connue, elle a attiré l'attention sur les
problèmes lexicologiques et les questions d'accréditation
potentielles au point de vue international. Beaucoup de
Qatariens trouvent inacceptables que l'arabe soit constamment devancé
par l'anglais.
La véritable question qui semble se poser aux Qatariens,
c'est de trouver des moyens de vivre en harmonie avec la mondialisation
tout en maintenant leur langue et leur identité. Cependant, aucun texte
de loi ne précise de quel arabe il s'agit quand on parle de «la langue
et de l'identité des Qatariens»: de l'arabe qatarien, de l'arabe
classique ou de l'arabe moderne standard? Cette ambiguïté est
voulue, car elle empêche de prendre position sur une question aussi
controversée non seulement au Qatar, mais dans tout le monde arabe.
4.5 La Francophonie
Le Qatar est membre associé de l'Organisation
internationale de la francophonie
(OIF) depuis le 13 octobre 2012. Cette entrée du Qatar a fait grincer
des dents; certains participants se sont aussi inquiétés de l'ambition
de ce pays de développer davantage son influence en Afrique de l'Ouest
musulmane et surtout de sa propension à financer des écoles religieuses
prenant parfois la place d'écoles en langue française. Le Qatar a fait
valoir qu'il accueillait de nombreux expatriés francophones et qu'une
radio publique de langue française avait été financée au Qatar, selon
une source informée des négociations. Enfin, d'autres commentateurs
reprochent à l'OIF de perdre sa spécificité en intégrant des pays qui ne
sont pas considérés comme francophones.
Outre l'anglais, certaines écoles
privées assurent l’enseignement du français comme seconde langue ou étrangère;
c’est le cas des établissements tunisien, libanais, anglais, égyptien,
américain, indien et de l'académie du Qatar (Qatar Academy). Depuis son entrée
dans la Francophonie
en octobre 2012, l'émirat wahhabite s'est intéressé de près au programme du
lycée franco-qatarien Voltaire de Doha; le gouvernement qatari aurait interdit
un livre d'histoire religieuse qui parlait de la chrétienté au Moyen Âge et a
remplacé un manuel d'enseignement de l'arabe par un ouvrage mêlant
l'apprentissage de la langue et de la religion. La Mission laïque française, qui
gère cet établissement, s’étant plainte auprès des autorités françaises, fut
forcée de quitter le Qatar à la fin du mois de décembre 2012. En réalité, le
différend qui oppose les Qataris à la Mission laïque française semble
strictement financier; celle-ci aurait utilisé les fonds du lycée pour
financer, à l'insu de ses partenaires locaux trois autres lycées, dont un en
Irak et deux en Afghanistan.
Dans les faits, l'État
qatari a plutôt exigé du lycée Voltaire que l'enseignement de l'histoire du
Qatar soit offert et que l'apprentissage de la langue arabe destiné aux élèves
(40 % d'entre eux) dont c'est la langue maternelle soit conforme au programme de
l'Éducation nationale du Qatar.
Par ailleurs, le Qatar ne semble pas
s'arrêter en si bon chemin; il veut financer des établissements du type du lycée
Voltaire dans le Golfe et en Afrique, avec l'ambition d’aider
«à la sauvegarde et à l’expansion de la langue française» et de
«devenir le pôle de la Francophonie
régionale». Ce sont là de beaux projets !
La politique linguistique de l'État du Qatar est celle d'un
bilinguisme anglo-arabe, ce qui n'empêche nullement la diglossie entre l'arabe dialectal
(arabe qatarien ou arabe du Golfe) et l'arabe standard, l'arabe classique étant évacué et réservé
aux activités religieuses. Il n'existe pas, au sens juridique du
terme, de minorités linguistiques au Qatar, sauf religieuses. Les arabophones
doivent parler l'arabe; les autres, l'anglais. La notion de minorité linguistique
n'existe pas parce que les autres langues sont considérées comme des langues
immigrantes, donc ignorées, comme c'est le cas d'ailleurs dans la plupart des
pays du monde.
En réalité, le Qatar compose avec le bilinguisme
arabo-anglais afin de permettre une meilleure harmonisation entre les nombreux
travailleurs étrangers. Dans les affaires de l'État, c'est la valorisation de la
langue officielle (l'arabe standard) et le maintien de l'arabe qatarien ou de
l'arabe du Golfe dans les communications
informelles. Toutefois, dans les écoles privées et dans les médias, c'est la
non-intervention et le multilinguisme qui règnent, avec une prédominance pour
l'anglais. Depuis quelques années, le Qatar semble aussi s'intéresser à
l'enseignement du français afin d'exercer un timide contrepoids à l'anglais. En
somme, le Qatar semble éprouver certaines difficultés à se débarrasser du
colonialisme linguistique qu'il a hérité de la Grande-Bretagne. Néanmoins, en
2019, le Qatar a adopté la
Loi
sur la protection de la langue arabe (2019), ce qui oblige l'emploi de
l'arabe sans nécessairement interdire une autre langue. Cette nouvelle politique
linguistique pourrait à tout le moins redonner à la langue arabe un traitement
plus approprié à la population arabophone.
Dernière mise à jour:
09 juin 2024
Bibliographie
ENCYCLOPÉDIE
MICROSOFT ENCARTA, 2004, art. «Qatar», pour la partie historique.
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Development in the Arab Gulf, Londres, Éditions Croom Helm, 1980.
PECK, Malcolm C. The United Arab
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Press, 1986.
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Paris, Éditions Ellipses, 1997.
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