Histoire du français
Chapitre 4
(4) Le moyen françaisUne période sombre(XIVe et XVe siècles) |
Plan du présent article
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Avec les XIVe et XVe siècles, s'ouvrit une période sombre pour la France, qui sombra dans un état d'anarchie et de misère. C'est l'une des époques les plus agitées de l'histoire de ce pays au point de vue sociopolitique: guerre de Cent Ans avec l'Angleterre, guerres civiles, pestes, famines, etc. Hors de France, l'Église était compromise par des abus de toutes sortes et des désordres scandaleux, qui lui firent perdre son crédit, pendant que l'Empire ottoman mettait fin à l'Empire romain d'Orient. Évidemment, la langue française — ainsi que le latin — allait subir les contrecoups de ces bouleversements. La période du moyen français sera avant tout une période de transition, c'est celle qui allait permettre le passage de l'ancienne langue au français moderne. 1 L'emploi du français dans les actes officiels
Les enfants de l'aristocratie anglaise durent apprendre le «françois», probablement jusque vers le milieu du XIVe siècle. Par exemple, dans ses célèbres Contes de Canterbury écrits vers 1380, Geoffrey Chaucer (v. 1343-1400) met en scène une prieure qui s’efforce d’avoir les belles manières de la haute société anglaise en parlant le «françois»:
La ville de Stratford-atte-Bow était située près de Londres et on y apprenait le «françois d'Angleterre». À l'époque, il existait en Angleterre deux types de langue française: l'un correspondait à une langue vernaculaire parlée spontanément, sans égard à la langue écrite, alors que l'autre était une langue seconde qu’on allait apprendre en France. Sinon, il fallait se contenter du «français d'Angleterre», moins prestigieux. En même temps, il se développa en Angleterre une série de traductions françaises de traités spécialisés, que ce soit sur la médecine, les mathématiques ou la religion. 2 Les conséquences de la guerre de Cent AnsAvant la Peste noire de 1348, la France comptait 25 millions de citoyens, soit près du tiers de tous les Européens. Compte tenu de la division linguistique entre le Nord (langues d'oïl) et le Sud (occitan), le français était déjà la langue la plus parlée en Europe au milieu du XIVe siècle. Divers facteurs vont favoriser la progression du français en France, mais en limiter l'expansion en Angleterre. En 1328, le dernier des Capétiens (Charles IV) mourut sans héritier. Le roi d'Angleterre fit valoir ses droits à la succession au trône de France, mais Philippe VI de Valois (qui régna de 1328 à 1350) fut préféré par les princes français (1337). C'est alors que deux rois de langue française, Philippe VI de Valois et Édouard III d'Angleterre, se disputèrent le royaume de France à partir de 1337, mais la guerre s'éternisa jusqu'en 1453: ce fut la guerre de Cent Ans, qui évolua en d'innombrables petites guerres, lesquelles s’éternisèrent pour en déclencher d'autres, sans fin.
La France paya très cher sa victoire sur les Anglais pour récupérer son territoire. Les guerres ravagèrent le pays tout entier et ruinèrent l'agriculture, occasionnant la famine et la peste, décimant le tiers de la population. La noblesse elle-même perdit près des trois quarts de ses effectifs, permettant ainsi aux bourgeois enrichis par la guerre d'acheter des terres et de s'anoblir. La vieille société féodale se trouva ébranlée et un nouvel idéal social, moral et intellectuel commença à naître. 2.1 L'éviction du français d'Angleterre La guerre de Cent Ans contre les Anglais fit naître un fort sentiment nationaliste, tant en France qu'en Angleterre. Paradoxalement, c'est en pleine guerre de Cent Ans contre les Français que les Anglais choisirent une devise en français («Honi soit qui mal y pense», avec un seul n) pour l'ordre de la Jarretière officiellement appelé Ordre très Noble de la Jarretière (en anglais: The Most Noble Order of the Garte).
En réaction contre la France, le
Statute of Pleading du Parlement anglais reconnut dans un texte
rédigé en français l’anglais
comme langue unique des tribunaux, mais dans les faits le français restera
une langue employée jusqu'en 1731, malgré la déclaration du Parlement de
1362, qui décidait de faire de l'anglais la langue juridique du pays. Voici
un extrait de la déclaration de 1362 rédigé en «français d'Angleterre» (et
en traduction française contemporaine):
Le texte dit clairement que le français était une langue méconnue dans le royaume et que «le roi a ordonné et établi que toute plaidoirie soit plaidée, exposée, défendue et jugée en langue anglaise, et qu'elle soit enregistrée et transcrite en latin». La même année, c'est donc en anglais que le chancelier ouvrit les séances du Parlement, mais le changement de langue ne se fit pas instantanément, au contraire. Les résultats parurent sans doute décevants, car ce ne fut qu'une vingtaine d'années plus tard, soit à partir de 1386, que les registres et débats du Parlement furent rédigés en anglais; qui plus est, le français continua d'être utilisé avec l'anglais jusque vers 1430. Par la suite, le français perdit graduellement la place privilégiée qu’il avait dans l’enseignement. À partir de 1349, l'université d'Oxford dispensa son enseignement en anglais, alors qu'auparavant c'est en français que se faisait l'enseignement universitaire. On commença à enseigner l'anglais dans quelques «grammar schools», puis toutes les écoles finirent par suivre le mouvement. Néanmoins, les manuels utilisés pour le commerce, par exemple à l'université d'Oxford, furent rédigés en français jusqu'au milieu du XVe siècle. Après la défaite d'Azincourt (1415),
le traité de Troyes (1420) reconnut Henry V d'Angleterre comme héritier du
royaume de France. Mais Henry V fut le premier roi d'Angleterre à utiliser
l'anglais dans les documents officiels; il écrivit son testament en anglais.
Le français continua d'être employé oralement à la cour anglaise, car la
plupart des reines d'Angleterre venaient de France. Henry V avait épousé
Catherine de Valois, fille du roi de France Charles VI. Quant aux Français,
s'ils étaient instruits, ils n'écrivaient plus en français dialectal,
c'est-à-dire dans les langues
d'oïl, mais en français ou en latin.
Autrement dit, la conquête de la France par les Anglais aurait assuré la pérennité du français en Angleterre grâce à la fusion des deux royaumes. Dans ce cas, le français aurait certainement dominé sur l'anglais. Par la suite, la répartition mondiale des langues aurait aujourd'hui une toute autre apparence. 2.2 La progression du français en France Mais en France même, le français avait pris de l'expansion. Les vastes opérations militaires et les conquêtes territoriales dans la «France anglaise» avaient diffusé le «françois» dans toute la France. Le brassage des populations et des troupes avaient favorisé l'emploi du «françois» dans toutes les classes de la société, même dans le Sud, car l'intervention du roi en Occitanie avait accéléré la francisation de cette partie du royaume. En 1490, Charles VIII (1470-1498) prescrivit une ordonnance pour imposer l'usage du «langage François» ou «maternel»:
L'objectif était de limiter l'emploi du latin et favoriser la langue maternelle, soit le «françois» soit la langue locale. Quelque cinquante ans plus tard, François Ier, dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), reprendra à peu près les mêmes termes, ce qui signifiait aussi que les ordonnances royales précédentes n'avaient pas été très efficaces. À partir du milieu du XVe siècle, le français comme langue administrative s'introduisit partout en Occitanie, sauf à Avignon, qui servait alors de résidence pour les papes. Au milieu du XVe siècle, si les divers parlements régionaux de Toulouse (1444), de Bordeaux (1462) et d'Aix-en-Provence (1501) continuaient de rédiger leur arrêts en latin, ils tenaient leurs registres en français. Dans la pratique, l'occitan demeurait la seule langue parlée dans la vie quotidienne des gens, sauf pour ceux qui pratiquaient le droit, ainsi que les clercs, les ecclésiastiques, certains marchands et des nobles, qui tous devaient s'exprimer aussi en français. Le prestige de l'Université de Paris avait attiré non seulement un auditoire couvrant toute la France, mais également un auditoire international, car au milieu du XIVe siècle près de la moitié des étudiants venaient hors de France. Les pèlerinages dans les grands sanctuaires de la chrétienté (Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle) avaient même contribué à la diffusion du «françois» hors de France. De plus, les ½uvres littéraires françaises, comme les chanson de geste et les romans, étaient diffusées en Angleterre, mais aussi en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie.
Certaines villes de France vivaient un bilinguisme assez généralisé, quasi impensable aujourd'hui. Ainsi, la ville de Lyon s'était développée grâce à une importante immigration venue d'Italie; on y trouvait une communauté italophone (toscan) avec ses marchands, ses banquiers, ses prêtres, etc. Dans une ville comme Bayonne (Béarn), le basque, le gascon, le françois et l'espagnol étaient partout utilisés. À Bordeaux, c'étaient le gascon, le françois (ou françoys) et l'anglais. Dans la plupart des villes portuaires, on pouvait entendre toutes sortes de langues. 3 L'état du moyen françaisCette longue période d'instabilité politique, sociale et économique favorisa un mouvement de «relâchement linguistique». 3.1 Une langue simplifiée Tout le système de l'ancien français se simplifia. Les nombreuses diphtongues et triphtongues disparurent, se réduisant à des voyelles simples dans la langue parlée. Les «lettrés» de l'époque réagirent en exigeant de conserver des graphies qui ne correspondaient plus à la langue orale; seule la langue écrite conserva les traces de la prononciation de l'époque précédente dans des mots comme oiseau, peau, fou, fleur, coeur et saoul. On eut aussi tendance à restituer des consonnes doubles disparues en ancien français (p. ex., belle pour bele d'après le latin bella, flamme pour flame d'après flamma, etc.). Pour lutter contre les confusions dues, à l'initiale des mots, à l'alternance entre la lettre [u] et [v] dans la graphie, on ajouta un [h] initial, ce qui permit de distinguer des mots tels que huis de vis, huître de vitre, etc. Plus tard, au XVIe siècle, on introduisit la cédille pour distinguer la lettre [c] prononcée [k] de celle [c] prononcée [s], ainsi que les accents tels que à, â, ê, ô. L'orthographe se compliqua, malgré les efforts de certains pour la rationaliser. On observe aussi l'effritement des consonnes finales (par exemple grand prononcé antérieurement gran-ntt devint gran) et la contraction des mots (serment pour serement). Il n'en demeure pas moins que l'orthographe commença à se fixer, comparativement à l'ancien français, tout en se compliquant en même temps, et ce, malgré les efforts de certains pour la rationaliser. La déclinaison issue du latin et réduite à deux cas en ancien français tomba également, favorisant ainsi une stabilisation de l'ordre des mots dans la phrase (sujet + verbe + complément); les prépositions et les conjonctions se développèrent beaucoup, ce qui rendit la phrase plus complexe. Les conjugaisons verbales se régularisèrent et se simplifièrent. Par rapport à l'ancien français, de nombreux mots disparurent, notamment les termes locaux. Afin de se faire une idée des différences entre l'ancien français et le moyen français, on peut comparer ces transcriptions des Serments de Strasbourg, l'un étant une graphie du XIe siècle (ancien français), l'autre, celle du XVe siècle (moyen français):
L'une des caractéristiques du moyen français consiste à employer le pronom on en se substituant à toutes les autres personnes grammaticales, notamment avec la première personne du pluriel (nous). Ainsi, il était alors courant d'employer, par exemple, on aurions tort. Le type j'allons était aussi très répandu, même à la cour du roi. Dans les siècles à venir, ce type d'emploi sera éliminé à la cour pour se limiter à des usages ruraux. En français populaire, la construction on + verbe à la 3e personne du singulier au lieu de nous + verbe à la 1re personne du pluriel se maintiendra au XXe siècle dans la langue parlée. 3.2 Une langue écrite latinisante
Les traits les plus marquants du moyen français concernent le lexique et l'orthographe. Le français se répandit de plus en plus en France et gagna des positions réservées naguère au latin, mais celui-ci prit sa revanche en envahissant la langue victorieuse.
Dès le XIIIe
siècle, le latin savant faisait son apparition dans le vocabulaire français,
mais, au XIVe
siècle, ce fut une véritable invasion de latinismes. Au terme de ce siècle,
les emprunts au latin devinrent tellement nombreux que les termes français
parurent ensevelis sous la masse des latinismes. Un grand nombre de ces mots
ne connut qu'une existence éphémère (intellectif; médicinable,
suppécliter), mais d'autres réussirent à demeurer (déduction,
altercation, incarcération, prémisse). Ce vaste mouvement de
latinisation (ou de relatinisation) commença au milieu du XIVe
siècle et allait se poursuivre jusqu'au milieu du XVIe
siècle. On peut la considérer comme l'un des faits marquants de toute
l'histoire du français.
Le français perdit la prérogative de se
développer librement, il devint la chose des lettrés, des poètes et des
grammairiens. Voici comment se justifiait un latiniste de l'époque,
Nicolas Oresme (v. 1320-1382):
Une science qui est forte, quant est de
soy, ne peut pas estre bailliee en termes legiers à entendre, mes y convient
souvent user de termes ou de mots propres en la science qui ne sont pas
communellement entendus ne cogneus de chascun, mesmement quant elle n’a
autrefois esté tractée et exercée en tel langage. Parquoi je doy estre excusé en
partie, si je ne parle en ceste matière si proprement, si clarement et si
adornéement, qu'il fust mestier.
Autrement dit, il convient d'user non pas de «termes légers à entendre», mais souvent de «mots propres de la science qui ne soient communément entendus ni connus de chacun». Oresme professait ainsi que plus les termes étaient difficiles et rares, mieux ils convenaient à des écrits savants. En 1501, à la toute fin
du moyen français, un traité anonyme, Le Jardin de Plaisance et fleur de
rhetorique, dénonçait déjà cette nouveauté à outrance qui consistait à
écumer le latin :
En supposant que 20 millions de Français étaient des sujets du roi, on peut penser que quelque 40 000 d'entre eux savaient lire et que le tiers (presque tous les clercs) de cette mince fraction trouvait l'occasion de lire les textes que nous avons aujourd'hui sous la main. On peut estimer que pas plus d'un cinquantième de la population pouvait pratiquer ce français écrit.
Le français s'est développé librement entre les IXe et XIVe siècles, mais le XVe siècle annonce déjà l'époque du «dirigisme linguistique», caractéristique du français qui va suivre. Durant ce temps, en 1452, l'Empire romain d'Orient (Byzance) était envahi par Memeth II, empereur ottoman (avec un seul canon, le premier de l'histoire), et Constantinople devenait Istanbul. La population fut massacrée et les églises, transformées en mosquées.
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25 août 2024
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