République de Crimée

Crimée

(Sous occupation russe)

3) La politique linguistique

 

1 La 22e république russe

La politique linguistique a toujours été décidée d'abord par la majorité russophone de la République autonome de Crimée et ensuite seulement par les Ukrainiens qui gouvernaient le pays. La rupture des liens avec l’Ukraine a provoqué une détérioration de la situation économique régionale et de nombreuses difficultés quotidiennes pour la population criméenne. Au plan politique, l’annexion à la Russie a entraîné un certain nombre de restrictions, dont une augmentation des pressions exercées à l’encontre de la minorité tatare. La Crimée a notamment perdu le statut d’autonomie dont elle jouissait lorsqu’elle faisait partie intégrante de l’Ukraine. Ce statut lui avait été accordé en 1991 et la répartition des pouvoirs entre Kiev et Simféropol avait été entérinée par la Constitution de la République autonome de Crimée adoptée en 1998. Depuis la déclaration de rattachement de 2014, ce sont les russophones qui font la pluie et le beau temps.

1.1 La nouvelle Constitution et la législation russe

Le 11 avril 2014, la Russie a imposé une nouvelle constitution à la Crimée, devenue désormais la 22e république de la fédération de Russie. Selon le nouveau texte, le gouverneur de la Crimée sera dorénavant élu pour cinq ans par le Parlement régional parmi les candidats proposés par le président de la fédération de Russie. Dorénavant, c’est celui-ci qui dispose du droit de mettre fin aux fonctions du gouverneur de la péninsule. Cela signifie un contrôle direct de l’administration de la région par le président russe. On notera par ailleurs que la nouvelle Constitution prévoit une diminution du nombre total de députés : ils ne sont plus que 75 (contre 100 auparavant) à pouvoir siéger au Parlement de Crimée.

Par suite du rattachement ou de l'annexion de la Crimée à la Russie, c’est désormais la législation russe qui est appliquée dans la péninsule. Les habitants de la région doivent donc faire face à de nombreuses restrictions, notamment en matière de droits à la liberté d’expression, d’association et de rassemblement. Plusieurs médias (journaux, sites Internet, etc.) ont été contraints de cesser leurs activités. Les journalistes perçus ou identifiés comme «pro-ukrainiens» ne sont plus autorisés à assister aux événements officiels organisés par les autorités de la Crimée. Depuis l'annexion de la péninsule à la Russie, les membres de la minorité tatare sont de plus en plus souvent pris pour cible.

1.2 La 22e république

Le territoire de la République de Crimée fait maintenant partie intégrante du territoire de la fédération de Russie, c'est la 22e république russe. Le plus haut fonctionnaire de la Crimée est le chef de la république, qui doit être élu par les députés du Conseil d'État (le Parlement) pour un mandat de cinq ans. Le chef de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. En vertu de la Constitution, le Conseil d'État de la Crimée est habilité à promulguer les lois qui seront en vigueur sur le territoire de la République. Le Conseil exerce également le droit d'initiative législative à la Douma d'État de la fédération de Russie.

2 Les langues officielles

Comme l'avait proposé Vladimir Poutine, la Constitution russo-criméenne de 2014 déclare à l'article 10 que «les langues officielles de la république de Crimée sont le russe, l'ukrainien et le tatar de Crimée»:
 

Article 10

1)
Les langues officielles de la république de Crimée sont
le russe, l'ukrainien et le tatar de Crimée.

2) Le statut des langues officielles de la république de Crimée est défini par la législation de la fédération de Russie et par la législation de la république de Crimée.

3) En république de Crimée, le principe de la diversité des cultures est reconnu, le développement égal et l'enrichissement mutuel de celles-ci sont garantis.

Par voie de conséquence, l'article 3 de la Loi sur les langues (2017), une loi russo-criméenne, reconnaît que «les langues officielles de la république de Crimée sont le russe, l'ukrainien et le tatar de Crimée»:
 

Article 3

Statut juridique des langues

1)
Les langues officielles de la république de Crimée sont le russe, l'ukrainien et le tatar de Crimée.

2)
La langue russe est la langue qui doit favoriser la compréhension mutuelle, le renforcement des liens interethniques des peuples de la fédération de Russie résidant sur le territoire de la république de Crimée.

Les langues officielles de la république de Crimée et d’autres langues dans la république de Crimée peuvent bénéficier du soutien de l’État.

3) Les alphabets des langues officielles de la république de Crimée doivent être fondés sur une base graphique cyrillique. D'autres bases graphiques d'alphabets des langues officielles de la république de Crimée peuvent être établies par les lois fédérales.

Cependant, les trois langues ne sont pas officielles au même degré, car «la langue russe est la langue qui doit favoriser la compréhension mutuelle, le renforcement des liens interethniques des peuples de la fédération de Russie résidant sur le territoire de la république de Crimée». Les deux autres langues, l'ukrainien et le tatar, ne sont ainsi officielles que de façon symbolique.

2.1 Les langues du Parlement criméen

Le Parlement de la Crimée s'appelle le Conseil d'État de la république de Crimée: en russe, Государственный Советом Республики Крым (Gosudarstvennyy Sovetom Respubliki Krym). C'est un parlement monocaméral qui relève en principe des autorités de la fédération de Russie. Cette institution a été créée à la suite du rattachement ou de l'annexion de la Crimée en 2014. Selon la Constitution de la république de Crimée du 11 avril 2014, les membres du Conseil d'État sont élus pour cinq ans et sont au nombre de 75 députés, dont trois Tatars. Le Conseil d'État est le seul organisme représentatif et législatif de la république de Crimée. Il élit le chef de la République, le plus haut responsable de la Crimée. C'est lui qui dirige le gouvernement de la République, c'est-à-dire le Conseil des ministres et, avec l'accord du Conseil d'État, nomme le président du Conseil des ministres.

Les premières élections des députés du Conseil d'État de la République ont été organisées par les autorités russes le 14 septembre 2014. Sur les 75 sièges, le Parti Russie unie en a obtenu 70, le Parti démocrate libéral, cinq. Le 9 octobre 2014, le Conseil d'État nouvellement élu de Crimée a élu à l'unanimité Sergueï Aksionov à la tête de la république de Crimée.

L'article 10 de la Loi sur les langues (2017) énonce que «les lois de la république de Crimée doivent être publiées dans les langues officielles»:

Article 10

Langues de la publication des lois et des autres actes juridiques normatifs de la république de Crimée

1) Les lois de la république de Crimée doivent être publiées dans les langues officielles de la république de Crimée.

D'autres actes juridiques normatifs de la république de Crimée adoptés par le chef de la république de Crimée, le Conseil d’État de la république de Crimée, le Conseil des ministres de la république de Crimée, ainsi que les publications officielles dans la langue officielle de la fédération de Russie
peuvent être publiés officiellement dans les langues ukrainienne et tatare de Crimée dans le cas d'une décision des autorités qui ont adopté un tel acte.

À l'article 5 du Décret du Conseil d'État de la république de Crimée, n° 376-1/14 de 2014, il est énoncé au paragraphe 3 que la publication publication officielle des lois de la république de Crimée est effectuée dans les langues officielles, mais cette disposition est contrebalancée par les paragraphes précédents qui stipulent que le russe est la langue de travail du Conseil d'État:

Article 5

1) La langue de travail et de l'administration du Conseil d'État est le russe.

2) Les projets de loi de la république de Crimée, les résolutions du Conseil d'État et tout autre acte du Conseil d'État et de son présidium sont présentés
en russe en tant que langue de travail et de l'administration du Conseil d'État.

3) La publication officielle des lois de la république de Crimée est effectuée conformément à la législation de la république de Crimée. Les résolutions du Conseil d'État et de son présidium sont publiées dans les périodiques officiels du Conseil d'État — le journal Vedomosti du Conseil d'État de la république de Crimée —
dans les langues officielles
de la république de Crimée. 

Enfin, l'article 6 de la Loi sur l'adoption, la promulgation et l'entrée en vigueur des lois de la république de Crimée (2014) prévoit que le chef de la république de Crimée doit promulguer les lois dans le Journal officiel dans les langues officielles de la république de Crimée:

Article 6

Après que le chef de la République a signé et enregistré la loi, celui-ci fait parvenir:

- une copie de la loi dans les trois jours ouvrables au Conseil d'État;
- une copie de la loi dans un délai de sept jours pour sa publication dans la presse ou le Journal officielle;
- une copie de la loi dans les dix jours pour la publication (affichage) sur le portail officiel d’information juridique dans l'Internet
(www.pravo.gov.ru);
- une copie des règlements sur la liste de diffusion officielle au Conseil d’État, aux députés de la république de Crimée et aux parties intéressées.

Le chef de la république de Crimée doit promulguer les lois dans la presse officielle ou dans le Journal officiel dans les langues officielles de la république de Crimée.

Bien que toutes ces dispositions permettent, depuis 2014, que les lois adoptées par le Parlement de Crimée soient publiées dans les langues officielles, elles sont encore rédigées uniquement en russe. Jusqu'à maintenant, le Parlement de Crimée (ou Conseil d'État), contrôlé par la Russie, ne dispose d'aucune version des lois et des règlements en ukrainien ou en tatar de Crimée. Il n'existe pas de traduction simultanée durant les débats parlementaires. De toute façon, aucun député ne s'exprime dans une autre langue que le russe au Parlement.

2.2 Les langues de la justice

La Crimée est soumise au système judiciaire russe, qui manque d'indépendance et est dominé par le pouvoir exécutif. Les opposants à l'annexion de la Crimée font valoir que le pouvoir judiciaire est politisé et punit les dissidents dans les cas motivés par des considérations politiques. Les lois russes interdisent la double nationalité aux agents publics et les juges de Crimée sont tenus  depuis l'annexion d'obtenir la citoyenneté russe pour pouvoir reprendre leurs fonctions après l'annexion.

Les autorités russes ont remplacé la législation ukrainienne par les lois de la fédération de Russie, recourant souvent à des mesures apparemment adoptées pour lutter contre le terrorisme, l'extrémisme et le séparatisme, et visant généralement les opposants au régime. Les arrestations et les détentions arbitraires, les tactiques d'interrogatoire sévères, la falsification des preuves, la pression pour renoncer aux services d'un avocat et les procès inéquitables sont courants. De nombreux détenus et prisonniers ont été transférés de la Crimée occupée en Russie, en violation du droit international.

En matière de justice, l'article 13 de la Loi criméenne sur les langues (2017) précise que la procédure judiciaire doit être effectuée «en conformité avec la législation fédérale»:

Article 13

Langue de la procédure judiciaire et de la tenue des dossiers devant les tribunaux, du travail de bureau dans l'application de la loi et des bureaux de notaire

La procédure et la tenue des dossiers dans les tribunaux, le travail de bureau dans les documents d’application de la loi dans l'application de la loi et des bureaux de notaire doivent être effectués en conformité avec la législation fédérale.

Or, dans la fédération de Russie, tous les citoyens bénéficient d’un accès égal à la justice, y compris ceux appartenant à des minorités nationales. L'article 19 de la Constitution de la fédération de Russie (paragraphes 1 et 2) proclame l’égalité de tous devant la loi et le tribunal:

Article 19

1) Tous sont égaux devant la loi et le tribunal.

2) L'État garantit l'égalité des droits et des libertés de l'homme et du citoyen indépendamment du sexe, de la race, de la nationalité, de la langue, de l'origine, de la situation patrimoniale et professionnelle, du lieu de résidence, de l'attitude à l'égard de la religion, des convictions, de l'appartenance à des associations, ainsi que d'autres considérations. Toute forme de limitation des droits du citoyen selon des critères d'appartenance sociale, raciale, nationale, de langue ou de religion est interdite.

La protection judiciaire est également garantie par l’article 46 de la Constitution de la fédération de Russie:

Article 46

1) À chacun est garantie la protection judiciaire de ses droits et libertés.

2) Les décisions et les actes (ou omissions) des organismes du pouvoir d'État, organes de l'auto-administration locale, associations et fonctionnaires peuvent faire l'objet d'un recours au tribunal.

3) Chacun a le droit conformément aux traités internationaux de la fédération de Russie de s'adresser aux organes inter-étatiques pour la protection des droits et libertés de l'Homme, dès lors que tous les moyens de protection juridique internes ont été épuisés.

De plus, l'article 18 du Code russe de procédure criminelle (2001) précise bien que la procédure judiciaire criminelle se déroule en russe, ainsi qu'à la Cour suprême et les cours martiales. Toutefois, le paragraphe qui suit autorise l'emploi de la langue maternelle pour toute partie à la procédure judiciaire, qui n'a aucune connaissance ou seulement une piètre connaissance de la langue dans laquelle se déroule la procédure; on a alors recours à un interprète:

Article 18

Langue de la procédure criminelle


1) La procédure judiciaire criminelle
se déroule en russe, ainsi que dans la langue officielle des républiques, les membres de la fédération de Russie. La procédure des causes criminelles à la Cour suprême de la fédération de Russie et des cours martiales se déroule en russe.

2) Pour toute partie à la procédure judiciaire criminelle qui n'a aucune connaissance ou seulement une piètre connaissance de la langue dans laquelle se déroule la procédure, il doit être expliqué et garanti le droit de faire des déclarations, de donner des explications et de témoigner, de présenter des requêtes et des plaintes, de prendre connaissance des documents de la cause criminelle et de prendre la parole devant la cour en employant sa langue maternelle ou toute autre langue dont la partie a une bonne connaissance, et de faire usage gratuitement des services d'interprète, conformément à la procédure établie dans le présent code.

3) Si, conformément au présent code, l'enquête et les documents du procès doivent être présentés au suspect et à l'accusé, ainsi qu'aux autres parties à la procédure judiciaire criminelle, lesdits documents sont traduits dans la langue maternelle de la partie concernée à la procédure ou dans une langue dont elle a une bonne connaissance.

Malgré ces mesures particulières à l'égard des peuples de la fédération de Russie, il ne faut pas se faire trop d'illusions sur l'emploi des langues nationales en matière de justice. De façon générale, seules les langues des peuples titulaires  ̶  ceux qui constituent la majorité de la population dans leur républiques  ̶  sont parfois employées dans les tribunaux, c'est-à-dire dans certaines des républiques ethniques: la Tchouvachie, Touva, le Tatarstan, la Kalmoukie, le Daghestan, la Tchétchénie, l’Ingouchie, la Kabardino-Balkarie, l’Ossétie du Nord et la Karatchaevo-Tcherkessie. Dans toutes les autres républiques, les Russes constituent la majorité des habitants, devenant ainsi le «peuple titulaire». Bref, les langues des petits peuples ne sont jamais utilisées, alors que celles des peuples titulaires le sont parfois. Comme les membres des différentes communautés linguistiques parlent massivement le russe comme langue seconde, aussi bien utiliser cette langue, ne serait-ce que pour mettre toutes les chances de son côté!

Bref, en dépit des apparences d’égalité au plan linguistique, le russe est la seule langue officielle opérationnelle dans les tribunaux criméens. Dans le cas où un individu ne pourrait s'exprimer en russe, le recours à un interprète est nécessaire.

Cependant, il y a, tout compte fait, des cas fréquents d'ingérence directe des autorités russes dans les activités des tribunaux criméens. À la suite de telles actions de celles-ci, l'indépendance du système judiciaire de Crimée est forcément compromise. En particulier, les pouvoirs des juges nommés conformément à la législation ukrainienne ont été suspendus de manière inattendue et le statut de ces derniers est devenu incertain. Les attentes concernant une éventuelle nomination à un poste de juge et le manque de transparence de la procédure ont poussé les candidats à faire preuve d'une loyauté maximale à l'égard des autorités de la fédération de Russie.

3 Les langues de l'administration

La Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie (1998) offre à chacun des citoyens la possibilité d’utiliser la langue qu’il connaît. Les individus qui ne connaissent pas la langue officielle de la Fédération ni celle d’une république ont le droit de s’exprimer dans la langue qu’ils connaissent lors des réunions, des assemblées, des conférences, etc., de la part des organismes de l’État, des organisations, des entreprises ou des institutions. Une interprétation simultanée doit être prévue. Les citoyens de nationalité russe ont le droit d’adresser à l'administration de l’État ou aux institutions dans la langue officielle de la Fédération, dans leur langue maternelle ou dans toute autre langue des peuples de la fédération de Russie qu’ils connaissent (article 15):

Article 15

L'usage des langues de travail des administrations, organismes, entreprises et institutions

1) Dans les activités de l'administration, des organisations, entreprises et  institutions de la fédération de Russie,
la langue officielle et les langues officielles des républiques constituant la fédération de Russie, ainsi que d'autres langues des peuples de la fédération de Russie doivent être employées.

2) Les citoyens de la fédération de Russie qui ne possèdent pas la langue officielle de la fédération de Russie ou la langue officielle d'une république constituant la fédération de Russie ont le droit de parler dans les réunions, les conférences et les assemblées dans les organismes de l'État, les organisations, les entreprises et les institutions dans la langue qu'ils possèdent. En cas de besoin, la traduction correspondante est assurée.

3.1 La langue des organismes

De plus, en vertu de l'article 12 de la Loi criméenne sur les langues (2017), les organismes d'autonomie locale et des établissements municipaux, des institutions et d'autres organismes dans la république de Crimée doivent utiliser les langues officielles:

Article 12

Emploi des langues de travail dans les organismes des autorités de la république de Crimée, des organismes d'autonomie locale et des établissements municipales, des institutions et des organismes de la république de Crimée

1) Dans le travail des autorités publiques de la république de Crimée, les organismes d'autonomie locale et des établissements municipaux, des institutions et des organismes dans la république de Crimée doivent utiliser les langues officielles de la république de Crimée.

2) Les citoyens de la fédération de Russie, qui ne parlent pas les langues officielles de la république de Crimée, ont le droit de prendre la parole au cours d'une réunion ou d'une assemblée devant les autorités publiques de la république de Crimée, les organismes d'autonomie locale et les établissements municipaux, les institutions et les organismes dans la république de Crimée dans la langue qu’ils maîtrisent. Si cela s'avère nécessaire, la traduction doit être fournie pour les paroles prononcées dans l’une des langues officielles de la république de Crimée.

3) Sur le territoire de la république de Crimée, les citoyens ont le droit de communiquer avec les autorités publiques de la république de Crimée, les organismes d'autonomie locale, les entreprises publiques, les établissements municipaux et les organismes dans la république de Crimée par des propositions, des demandes et des plaintes dans les langues officielles de la république de Crimée, dans leur langue maternelle ou dans toute autre langue des peuples de la fédération de Russie qu'ils maîtrisent.

4) Les réponses aux propositions, demandes et plaintes des citoyens présentées aux autorités publiques de la république de Crimée, aux organismes d'autonomie locale, aux établissements municipaux, aux institutions et aux organismes de la république de Crimée doivent être transmises dans la langue de la demande. S’il n’est pas possible de donner une réponse dans la langue de la demande, la langue officielle de la fédération de Russie est utilisée.

5) Sur le territoire de la république de Crimée, toute restriction en matière d'emploi relativement aux citoyens qui ne maîtrisent pas les langues officielles de la république de Crimée est inacceptable, sauf lorsque leur connaissance est prescrite par la loi comme des exigences nécessaires de qualification pour occuper des postes qualifiés.

6) Les chefs des autorités publiques de la république de Crimée et des autorités d'autonomie locale doivent créer des conditions pour que les employés maîtrisent les langues officielles de la république de Crimée selon les conditions nécessaires pour exercer leurs fonctions officielles.

Selon la législation, les résidants de la république de Crimée ont le droit d'employer leur langue maternelle auprès des autorités locales. Les citoyens, qu'ils soient de langue russe, ukrainienne ou tartare de Crimée, peuvent prendre la parole dans toutes les réunions ou assemblées du gouvernement et écrire aux responsables dans leur langue. En même temps, les fonctionnaires ne sont pas tenus de répondre aux lettres dans la langue de la requête. S'ils ne peuvent pas répondre en ukrainien ou en tatar de Crimée, ils peuvent répondent en russe. En vertu de la loi, le travail de bureau en Crimée doit être effectué en russe, mais il peut l'être en ukrainien ou en tatar de Crimée.

Pourtant, l'article 11 de la Loi criméenne sur les langues prévoit que les protocoles de vote, les résultats des élections et des référendums dans la république de Crimée doivent être publiés en russe et, si nécessaire, en ukrainien et en tatar de Crimée.

Article 11

Langues de la préparation et du déroulement des élections et des référendums dans la république de Crimée

1) Dans la préparation et la tenue d'élections et de référendums dans la république de Crimée, ce sont les langues officielles de la république de Crimée qui doivent être employées.

2) Les bulletins de vote et les bulletins d'information dans les élections et les référendums en république de Crimée doivent être imprimés en russe.

Selon la décision de la Commission électorale de la république de Crimée et/ou la Commission électorale de l'établissement municipal, les bulletins doivent être imprimés en russe, en ukrainien et en tatar de Crimée. Si le bureau de vote a imprimé les bulletins en deux langues ou plus, le texte en russe doit être placé sur chaque bulletin. Les protocoles de vote, les résultats des élections et des référendums dans la république de Crimée doivent être publiés en russe et, si nécessaire, en ukrainien et en tatar de Crimée.

Cependant, au sein de l’administration locale, c’est le russe qui domine partout, bien que l’ukrainien soit en principe obligatoire. Les Tatars demeurent pratiquement absents des postes de responsabilité (environ 1 %) dans les divers organismes administratifs et l es services de santé; seulement 0,1 % des Tatars occupent des postes dans la police et les services de sécurité. Le russe demeure dans les faits la seule employée par le gouvernement local. Dans ses rapports avec l’administration, le citoyen ne peut pas utiliser l’ukrainien et encore moins le tatar.

3.2 La citoyenneté russe

L'article 14.3 de la Loi sur les langues prévoit que les documents d’identité, les actes d’état civil, les cartes militaires, les relevés d’emploi et les certificats d’éducation sont publiés en russe. Cependant, sur demande, ils peuvent en plus être libellés en ukrainien ou en tatar de Crimée.  

Article 14

Emploi des langues dans la gestion des documents officiels

1) La gestion des documents officiels dans les organismes des autorités publiques de la république de Crimée, les organismes d'autonomie locale et les établissements municipaux, les institutions et les organismes de la république de Crimée doit se dérouler
dans la langue officielle de la fédération de Russie, mais elle peut se faire en ukrainien et/ou en tatar de Crimée.

2) Les textes des documents (formulaires, sceaux, timbres, estampilles) et des panneaux avec les noms des organismes des autorités publiques de la république de Crimée, des organismes d'autonomie locale, des établissements municipaux, des institutions et des organismes de la république de Crimée
doivent être publiés dans les langues officielles de la république de Crimée.

3) Les documents officiels prouvant l'identité d'un citoyen de la fédération de Russie, les certificats d'enregistrement des actes d'état civil, les dossiers d'emploi ainsi que les documents sur l'éducation, les cartes militaires et les autres documents
doivent être produits selon les traditions nationales de dénomination dans la langue officielle de la fédération de Russie. Sur demande, l'inscription à côté de la langue officielle de la fédération de Russie doit être utilisée en ukrainien et en tatar de Crimée.

Et il n'est pas question de critiquer la politique linguistique des autorités. Moscou a adopté des lois liberticides criminalisant la critique : ceux qui remettent en cause l’appartenance de la Crimée à la Russie dans les médias, ou même en public, risquent de trois à cinq ans d'emprisonnement. Les organismes de presse locaux qui n’ont pas encore été remplacés par des médias russes peuvent être «avertis», c’est-à-dire intimidés et perquisitionnés. 

L’homogénéisation de la population est largement en cours, puisque 98 % des Criméens ont désormais un passeport russe. Depuis le mois d’août 2014, ceux qui ont la double nationalité sont considérés comme des «menaces au patriotisme»; ils doivent le déclarer sous peine d’amende. Seuls 3500 Criméens auraient refusé la citoyenneté russe avec comme conséquence que leur vie quotidienne est semée d’embûches.

Par exemple, les forces de police, du Service fédéral de sécurité (FSB) et du bureau du procureur ont mené des raids dans les écoles, les bibliothèques, les lieux de culte et les habitations privées pour saisir et détruire toute documentation «religieuse» interdite, conformément à une liste fédérale contenant non seulement des titres d'ouvrages musulmans mais aussi des Témoins de Jéhovah.

3.3 L'affichage public et commercial

L'affichage dont il est question ici concerne toute inscription sur la voie publique, que ce soient les indications topographiques, les noms de lieu, les panneaux de signalisation routière, les enseignes commerciales ou gouvernementales, etc. L'article 19 de la Loi sur les langues (2017) énonce que toutes ces inscriptions doivent être rédigées, en plus de la langue officielle de la fédération de Russie, en ukrainien et en tatar de Crimée, et dans les cas jugés nécessaires par les autorités locales, dans d'autres langues de la république de Crimée dans les zones de résidence compactes:

Article 19

Procédure de détermination de la langue d'écriture des noms de lieux géographiques et des inscriptions, des indications topographiques et des panneaux routiers, leur conception et leur installation

1) Dans la république de Crimée, l'inscription des noms de lieux géographiques et l'enregistrement des inscriptions, des panneaux de signalisation et d'autres panneaux doivent être faits, en plus de la langue officielle de la fédération de Russie, en ukrainien et en tatar de Crimée, et dans les cas nécessaires par décision des autorités locales, dans d'autres langues de la république de Crimée dans les zones de résidence compactes.

2) Les organismes exécutifs des autorités publiques de la république de Crimée doivent prévoir l'écriture des noms de lieux géographiques, la conception et le maintien des inscriptions, des routes et d'autres panneaux, et assumer la responsabilité de leur enregistrement et de leur entretien, le cas échéant, conformément à la législation fédérale, à la législation de la république de Crimée et aux règles internationales.

Dans les faits, cette disposition relative au trilinguisme n'est pas plus appliquée que les autres.

Le 21 novembre 2014, en Crimée, sur l'autoroute Simferopol-Feodosiya, une cérémonie solennelle a eu lieu pour remplacer le panneau routier avec ses inscriptions en ukrainien. L'événement fut rapporté sur le site web du Conseil d'État de la république de Crimée. Le président du Conseil d’État de Crimée, Vladimir Konstantinov, était présent à la cérémonie et a souligné que cet événement revêtait une importance historique, car pendant de nombreuses années, la majorité russophone de la Crimée aurait souffert de la présence ukrainienne en raison de la violation de ses intérêts, en particulier au plan linguistique.

En fait, dès l'annexion à la fédération de Russie, les Russes ont installé 4000 nouveaux panneaux routiers. Ceux-ci sont tous uniquement en russe. Des ouvriers ont été dépêchés de toute urgence et, en quarante-huit heures, les inscriptions en ukrainien ont été modifiées de façon à être compatibles avec le russe. Par exemple, l'inscription ukrainienne Крим Сімферополь"Krym Simferopol l'inscription russe Крым Симферополь ("Krym Simferopol").

Les panneaux bilingues ukrainiens-anglais ont été remplacés par des inscriptions unilingues russes. Tous les panneaux en ukrainien sont disparus des routes de Crimée.

Par la suite, le président du Conseil d'État de la république de Crimée, Vladimir Konstantinov, a déclaré que des panneaux de signalisation en langue tatare de Crimée ne seraient installés que dans les districts où la population est constituée de Tatars. Il a donc été signalé que, à la demande des communautés des lieux de résidence compacte des minorités nationales, les inscriptions sur les panneaux de signalisation pouvaient être traduites dans leur langue maternelle.

En réalité, rien n'a été fait et la visibilité du russe est devenue omniprésente dans toute la péninsule criméenne. Que ce soient les ministères, la police, les hôtels, les restaurants, les pharmacies, les hôpitaux, ou toute autre entreprise, l'unilinguisme russe est la règle.

Il existe bien quelques rares exceptions pour certains lieux touristiques où l'anglais et le russe sont possibles, mais c'est tout. Pourtant, la situation économique n’est pas florissante en Crimée. La propagande russe affirme que «le développement économique va reprendre», à l’aide notamment du tourisme, l'un des piliers de l'économie criméenne. Or, les chiffres disent le contraire: la Crimée ukrainienne accueillait habituellement six millions de touristes en été, dont 70 % d’Ukrainiens; logeant majoritairement «chez l’habitant», ils contribuaient grandement à l’économie locale. En 2018, en dépit des appels russes à un «tourisme patriotique», les touristes étaient à peine plus de deux millions. Bref, l’annexion n’a pas ouvert la Crimée au tourisme, ni à l'économie.

3.4 La réglementation municipale

En principe, les municipalités doivent tenir compte des langues employées par les citoyens, notamment en ce qui a trait aux trois langues officielles. Étant donné que les minorités nationales, soit les Ukrainiens et les Tatars de Crimée, ne contrôlent aucun mécanisme dans les municipalités, l'unilinguisme russe est la règle. D'ailleurs, l'article 4 de la Loi sur le registre de la réglementation municipale (2014) énonce que le registre de la réglementation municipale fait partie intégrante du registre fédéral et qu'il doit être tenu en russe sous forme électronique et sur papier:

Article 4

Organisation des travaux sur la tenue du registre

1) Le registre de la réglementation municipale fait partie intégrante du registre fédéral
.

2) L'organisation et la tenue du registre sont assurées par le Conseil des ministres autorisé de la république de Crimée par l'organisme exécutif du gouvernement de la république de Crimée (ci-après dénommé l'organisme autorisé).

3) Le registre doit être tenu sous forme électronique et sur papier en russe. [...]

Quoi qu'il en soit, le russe est devenu l'unique langue employée dans les municipalités, y compris celles où habitent des minorités de langue ukrainienne et tatar.

4 Les langues de l'éducation

Le ministère russe de l’Éducation soutient formellement l’usage de toutes les langues des peuples de la Russie en tant que langues d’enseignement et d’apprentissage. La place accordée aux langues nationales dans le système d'éducation est déterminée par l’entité concernée (république ou municipalité) et relève de sa compétence. Selon le statut de la langue et la matière du programme ou de la langue d’enseignement, la république, dont la Crimée, est responsable des programmes et des manuels, ainsi que de la formation des enseignants et de la formation supérieure. En tout état de cause, le ministère de l'Éducation, des Sciences et de la Jeunesse de la république de Crimée doit appliquer les politiques adoptées et imposées par la Russie.

4.1 Les prescriptions constitutionnelles

Ainsi, la Constitution russe garantit à tous les citoyens de la fédération de Russie l’accès général et gratuit à l’enseignement préscolaire, primaire, ainsi qu’à l’enseignement secondaire général et professionnel, dans les établissements d’enseignement nationaux (les républiques fédérées) et municipaux. Il est vrai que tous les citoyens de la Fédération russe ont le droit de recevoir une instruction. 

L'article 43 de la Constitution russe se lit comme suit:

Article 43

1) Chacun a droit à l'instruction.

2) L'accès général à l'enseignement préscolaire, primaire général et secondaire professionnel et sa gratuité sont garantis dans les établissements d'enseignement publics et municipaux et dans les entreprises.

3) Chacun a le droit, sur la base du concours, de recevoir gratuitement l'enseignement supérieur dans les établissements et entreprises d'enseignement public ou municipal. 

4) L'enseignement général élémentaire est obligatoire. Les parents ou les personnes qui les remplacent s'assurent que les enfants reçoivent une instruction générale de base.

5) La fédération de Russie établit les normes fédérales en matière d'enseignement et soutient les diverses formes d'enseignement et d'auto-éducation.

4.2 La langue maternelle

En vertu de l'article 9 de la Loi sur les langues (2017), les citoyens de la fédération de Russie résidant sur le territoire de la république de Crimée ont le droit de recevoir leur instruction à tous les niveaux, que ce soit en russe, en ukrainien ou en tatar de Crimée, «en fonction des possibilités offertes par le système d'éducation, selon la procédure prévue par la législation fédérale et les lois de la république de Crimée en éducation»:

Article 9

Langues de l'éducation

1)
Les citoyens de la fédération de Russie résidant sur le territoire de la république de Crimée ont le droit de recevoir un enseignement préscolaire, primaire général, un enseignement général de base dans leur langue maternelle, y compris en russe, en ukrainien et en tatar de Crimée,
ainsi que le droit d’étudier la langue maternelle en fonction des possibilités offertes par le système d'éducation, selon la procédure prévue par la législation fédérale et les lois de la république de Crimée en éducation. La mise en œuvre de ces droits est assurée par la mise en place du nombre requis des établissements d’enseignement, des classes et des groupes, ainsi que des conditions de leur fonctionnement.

2) La république de Crimée, conformément à la procédure prescrite par la législation fédérale et les lois de la république de Crimée en éducation, prévoit la création d’un système d’organisations éducatives, d'autres formes de formation et d’éducation dans les langues nationales de la république de Crimée, de l'aide à l’organisation de la formation et de l’éducation dans les autres langues dans la république de Crimée, ainsi que dans les langues officielles de la république de Crimée
et les autres langues de la république de Crimée.

Les langues russe, ukrainienne et tatare de Crimée doivent être prises en charge par l'État criméen. Cependant, des restrictions existent en fonction des possibilités offertes par le système d'éducation, ou en fonction de la procédure prévue par la législation fédérale et les lois de la république de Crimée en éducation.

La Loi sur l'éducation (2015) de la république de Crimée énonce, d'une part, que les organismes éducatifs municipaux situés sur le territoire de la république de Crimée, de même que les activités pédagogiques doivent se dérouler dans la langue officielle de la fédération de Russie; d'autre part, que les citoyens de la fédération de Russie résidant sur le territoire de la république de Crimée ont le droit de recevoir un enseignement préscolaire, primaire général et un enseignement général de base dans leur langue maternelle, y compris en russe, en ukrainien et en tatar de Crimée:

Article 11

Enseignement des langues

1) Dans les organismes éducatifs publics de la république de Crimée et les organismes éducatifs municipaux situés sur le territoire de la république de Crimée, les activités pédagogiques doivent se dérouler dans la langue officielle de la fédération de Russie. L’enseignement et l’étude de la langue officielle de la fédération de Russie dans le cadre de programmes éducatifs agréés par les États sont offerts conformément aux règles et aux normes pédagogiques fédérales.

2) Les citoyens de la fédération de Russie résidant sur le territoire de la république de Crimée ont le droit de recevoir un enseignement préscolaire, primaire général et un enseignement général de base dans leur langue maternelle, y compris en russe, en ukrainien et en tatar de Crimée, ainsi que le droit d'apprendre leur langue maternelle dans la limite des possibilités offertes par le système d'éducation, et selon la manière prescrite par la législation sur l’éducation.La réalisation de ces droits est garantie par la création du nombre nécessaire d’organismes, de classes et de groupes éducatifs pertinents, ainsi que leurs conditions de fonctionnement. L’enseignement et l’apprentissage de la langue maternelle dans le cadre de programmes scolaires agréés par l’État sont offerts conformément aux règles scolaires de l’État fédéral.

En réalité, la tâche principale de l'État russo-criméen est d'assurer l'enseignement de la langue russe partout, ainsi que l'étude de la langue russe par les nouveaux résidents afin que les citoyens puissent comprendre les textes de lois et les ordres militaires. C'est seulement par la suite, et dans la mesure de ses capacités financières, que l'État peut soutenir les efforts des communautés linguistiquement différentes qui voudraient préserver et développer leur propre langue. Dans la plupart des pays du monde, cette mesure incombe entièrement aux représentants des groupes ethniques ou linguistiques. En Crimée, ce sont les assemblées parentales qui peuvent décider du choix des langues d'enseignement dans l'école de leur(s) enfant(s). Cependant, la pression sociale étant ce qu'elle est, les parents ont une nette tendance à choisir le russe. Ajoutons que les normes du ministère criméen de l'Éducation imposent un minimum de 25 élèves pour instaurer l'enseignement d'une langue dans une classe donnée. 

- L'enseignement de l'ukrainien

Au cours de l'année scolaire 2012-2013, soit avant l'annexion de la Crimée par la Russie, une proportion de 89,3 % des élèves du secondaire avaient reçu leur instruction en russe, contre 7,4 % en ukrainien et 3,1 % en tatar de Crimée. En somme, l'enseignement du russe n'était manifestement pas en danger, étant donné que le russe était la langue maternelle de 58,3 % de la population; l'ukrainien, de 24,3 % et le tatar de Crimée, de 12,1 %. Autrement dit, les ukrainophones et les tatarophones remplissaient les écoles russophones. À la lumière de ces faits, le désir de la Russie de «protéger les Criméens de langue russe de l'ukrainisation» n'apparaît que comme un prétexte créé par les autorités russes pour justifier l'annexion de la péninsule.  

En 2018, la situation a bien changé en éducation en matière de langues. Avant l'annexion, il existait plus de 400 écoles dont le russe était la langue d'enseignement et sept l'ukrainien. À présent sur la péninsule, il n’y a plus que deux écoles où l’enseignement se fait en ukrainien, et ce, dans les villes d'Alushta et de Theodosia. Dans tous les autres cas, il existe uniquement quelques classes d'ukrainien admises au sein des écoles russes. Très peu de parents souhaitent aujourd'hui envoyer leurs enfants dans des classes où l'on enseigne l'ukrainien ou le tatar de Crimée. En raison de l'occupation russe, il ne reste pratiquement plus d'écoliers dans la péninsule qui étudient en ukrainien. C'est ce que rapporte le ministère ukrainien des Affaires étrangères, en faisant référence au rapport de la Secrétaire générale, Audrey Azul, publié deux fois par an et adopté par le Conseil exécutif de l'UNESCO. Le document cite des violations flagrantes par les autorités russes des droits des Ukrainiens et des Tatars de Crimée en matière d'éducation, d'utilisation de leur langue maternelle et de la liberté des médias.

Malgré l'ordonnance de la Cour internationale de justice du 19 avril 2017, selon laquelle la Russie était tenue de garantir l'accès à l'éducation en ukrainien, les autorités russes continuent de détruire le système d'éducation déjà en lambeaux de la population de langue ukrainienne. Ainsi, par rapport à 2014, le nombre d'élèves dans les écoles aurait diminué de 98%. En outre, le rapport souligne l'impossibilité pour les autorités ukrainiennes d'accéder à leurs sites du patrimoine culturel, que ce soient des monuments, des musées et des centres scientifiques, ainsi que les fouilles archéologiques illégales et le retrait des biens culturels du territoire de la péninsule.

De plus, dans les rares classes d'ukrainien qui fonctionnent encore, il est interdit aux enseignants d'ukrainien d'utiliser les anciens manuels d'ukrainien, sauf qu'il n'en existe pas de nouveaux. Le problème est similaire avec le tatar de Crimée. D'ailleurs, comme l'ont déclaré les autorités du ministère criméen de l'Éducation, même si les parents décidaient que leur enfant étudie en ukrainien ou en tatar de Crimée, celui-ci devrait néanmoins poursuivre ses études en russe plus tard et subir les examens dans cette langue. En outre, dans les établissements d'enseignement général de la Crimée, les enseignants de langue et de littérature ukrainiennes doivent être recyclés en tant que professeurs de langue et de littérature russes. Dans la plupart des cas, les enseignants sont tenus, à leurs frais, d'apprendre une autre spécialité ou de rechercher de manière indépendante d'autres possibilités de revenus. En somme, il apparaît que, en dépit des droits linguistiques accordés par la Constitution et les lois, celui de les exercer n'est pas nécessairement garanti.

- Les assemblées parentales

En mai 2014, le journal moscovite Izvestiya affirmait que des parents de Sébastopol, de Simferopol, de Yalta, d'Yevpatoria, de Feodosia et de Kerch, ainsi que de dizaines d’autres villes, ont demandé à leur direction d’école de changer la langue d’enseignement de l’ukrainien pour le russe et d’utiliser des manuels produits par le gouvernement russe plutôt que ceux de Kiev. Selon ce journal, la moitié des écoles dans lesquelles l'ukrainien était utilisé avaient déjà décidé de passer au russe. D'autres n'auraient «pas encore pris de décisions officielles», mais comptaient organiser des assemblées de parents dans les prochains jours. Le recours à des assemblées parentales où le vote a rarement lieu au scrutin secret vient d'une longue tradition dans l'éducation soviétique et russe en tant que moyen privilégié pour introduire les changements souhaités par les autorités.

Quelques leaders d'opinion soulignent que les autorités favorisent ces assemblées qu'elles peuvent influencer; c'est ainsi que la plupart des parents reçoivent les orientations officielles et votent ensuite de la manière appropriée. Il emble que c'est ainsi que Moscou a fait dans ce cas. Toutefois, c'est plus qu'un simple changement de langue qui est en cause. Les directeurs et les enseignants doivent se familiariser avec les lois russes et avec le contenu des manuels russes. Les problèmes sont d'ordre existentiel pour les professeurs d’histoire, car ils doivent désormais enseigner non pas l’histoire de l’Ukraine, mais celle de la Russie. Voici, entre autres, comment sont brièvement décrits dans les nouveaux manuels d'histoire les événements qui ont entraîné l'annexion  à la Russie:

«В конце 2013 — начале 2014 года обострилась ситуация на Украине. В феврале 2014 года легитимный президент страны В.Ф. Янукович был низложен, а власть перешла к оппозиции. Одним из ее первых решений стала отмена закона о статусе русского языка и введение запрета на его использование наравне с украинским. Верховный совет Автономной Республики Крым, входившей в состав Украины, отказался подчиняться киевским властям». Fin 2013 - début 2014, la situation en Ukraine s'est détériorée. En février 2014, le président légitime du pays V. F. Ianoukovitch a été déposé et le pouvoir est passé à l'opposition. L'une de ses premières décisions fut l'abrogation de la Loi sur le statut de la langue russe et l'introduction d'une interdiction de son usage par rapport à la langue ukrainienne. Le Conseil suprême de la République autonome de Crimée, qui faisait partie de l'Ukraine, a refusé de se soumettre aux autorités de Kiev.

Sui une description des événements : la désignation de la date du référendum, ses résultats, les décisions du Conseil suprême sur l’entrée de la Crimée en Russie. Le paragraphe se termine par des informations sur le décret présidentiel et la création du district fédéral de Crimée.

- L'enseignement du tatar et de l'ukrainien

Les Tatars disposaient en 2018 de sept écoles primaires et d’un institut pédagogique pour les enseignants en tatar de Crimée. Les élèves tatars doivent apprendre le russe, l’ukrainien et le tatar; ils apprennent aussi l'arabe coranique en raison de leur appartenance à l'islam. Notons que l'appui à l'enseignement en tatar de Crimée ne semble toutefois pas faire l'unanimité au sein de la population tatare de Crimée, surtout en raison des inconvénients que cet enseignement constituerait pour les élèves qui poursuivent leurs études et recherchent des emplois mieux rémunérés. Les parents ont le droit de demander la création d'une classe de tatar, mais seulement s'il est possible de rassembler au moins huit enfants. Enfin, l'État a permis l'ouverture d'une faculté en tatar de Crimée à l'Université nationale de Simferopol.

Depuis 2014, les manuels scolaires ont été changés: ils sont écrits avec l'alphabet cyrillique (et non plus avec l'alphabet latin) en tatar de Crimée et traduits du russe à l'intention des élèves des écoles et des cours dans cette langue. En 2018, on ne trouvait que 3% d'élèves étudiant en tatar de Crimée et 0,2 % en ukrainien, contre 3,1 % pour les premiers et 7,4 % pour les Ukrainiens en 2014. Dans toutes les autres écoles de Crimée, l’enseignement est offert uniquement en russe. En Crimée, il existe quelques classes où l'on enseigne l’arménien, le bulgare ou l'allemand.

Dès 2015, la Chambre de commerce de Crimée s'est opposée à l'étude obligatoire du tatar de Crimée et de l'ukrainien dans les établissements d'enseignement de la république, préférant le libre choix, avec comme conséquence que les deux langues sont discriminées. Les écoles doivent utiliser le programme national russe. L'enseignement en ukrainien a été presque complètement supprimé. Dans un arrêt de 2017, la Cour internationale de justice a ordonné à la Russie de garantir la disponibilité de l'éducation en ukrainien, mais il ne semble pas que les autorités se soient conformées à cette ordonnance en 2018. L'accès à l'éducation en langue tatare de Crimée a été plus stable et n'a diminué que légèrement depuis 2014.

De plus, Moscou a interdit le Mejlis, l'Assemblée des Tatars de Crimée. Les membres de cet organisme font l'objet d'actes d'intimidation, de perquisitions et d'arrestations. Cette assemblée est suspendue et toutes ses activités sont interdites par la procureure générale de Crimée en raison de la lutte contre l'extrémisme. En février 2014, le Majlis avait manifesté son opposition à l'annexion de la Crimée à la Russie, en particulier avant le début des opérations de l'armée russe sur la péninsule.

4.3 Les sources officielles et l'enseignement du russe

Selon le ministère de l'Éducation, des Sciences et de la Jeunesse de la république de Crimée, la plupart des élèves des écoles primaires et secondaires ont décidé d'étudier en russe en 2015:

• En russe : 96,74%;
• En tatar de Crimée : 2,76% ou 5083 élèves (+188 à 2014) qui étudient en tatar de Crimée dans 53 écoles de 17 districts. On a ouvert 37 classes de 1re année d'école primaire.
• En ukrainien : 0,5% ou 949 élèves qui étudient en langue ukrainienne dans 22 écoles de 13 districts. Des classes de 1re année du primaire ont été ouvertes.

Le ministère de l'Éducation a annoncé à la mi-août 2014 que (comme aucun des parents d'élèves de première année n'avait déposé une demande d'apprentissage de l'ukrainien) la Crimée avait décidé de ne pas organiser de cours d'ukrainien dans ses écoles primaires. Le Ministère a aussi déclaré que plus du quart des parents du gymnase ukrainien de Simferopol avaient formulé une demande pour qu'on enseigne à leurs enfants en ukrainien; cette école pourrait avoir des cours de langue ukrainienne. Il a ajouté que les parents d'élèves de première année avaient demandé à apprendre le russe (dans les régions habitées par les Tatars de Crimée) et à apprendre le tatar de Crimée. Selon le Ministère, en date du 10 octobre 2014, la Crimée comptait 20 écoles où toutes les matières étaient offertes en ukrainien.

Un rapport (réalisé à l'été 2015) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) affirmait que la république de Crimée avait pour objectif de «mettre fin à l'enseignement de l'ukrainien» en faisant pression sur les administrations scolaires, les enseignants, les parents et les enfants.

- Un système discriminatoire

Les informations recueillies par le groupe de défense des droits de l'Homme de Crimée sur la discrimination contre les Ukrainiens dans l'accès à l'enseignement en langue ukrainienne ont été soumises à la Cour internationale des Nations unies. Elles ont été présentées dans l'ensemble des preuves relatives à l'affaire «Ukraine contre la Russie» pour violation de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale de la Russie en Crimée. Le 19 avril 2017, la Cour internationale des Nations unies a publié une résolution unanime des juges invitant la fédération de Russie à garantir l'accès à l'éducation en ukrainien en Crimée. Le nombre d'élèves ayant comme langue d'enseignement l'ukrainien a été réduit de 36 fois depuis 2013. Si en 2013, quelque 13 590 individus recevaient leur instruction en ukrainien dans la République autonome de Crimée, leur nombre a été ramené à 371 en 2016 dans la république de Crimée. En conséquence, le nombre de classes d'ukrainien en tant que langue d'enseignement a été réduit de 31 fois en deux ans.

De son côté, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale engage la Russie à garantir le droit des résidents de Crimée à l'éducation et à la formation professionnelle. Néanmoins, les habitants de la Crimée sont victimes d'une discrimination fondée sur l'origine ethnique et la langue dans ces domaines. L'accès à l'éducation en ukrainien est particulièrement compromis (voir le tableau de gauche, Crimean Human Rights Group). Autrement dit, les Ukrainiens de Crimée n’ont plus le droit d’apprendre leur langue. En même temps, la fédération de Russie continue de transférer par centaines de milliers sa propre population en Crimée, ce qui signifie que la tragédie qui avait frappé le peuple de Crimée en 1944 se répète aujourd’hui.

La Russie commet de «graves atteintes aux droits de l'homme en Crimée», conclut l'ONU dans un rapport rendu public en novembre 2017. On peut lire ce qui suit: «De graves violations des droits de l'homme, dont des arrestations arbitraires, des détentions, des disparitions, des mauvais traitements et des cas de torture, ainsi qu'au moins une exécution en dehors de tout cadre judiciaire, ont été recensés.»

Des détenus ont en outre été acheminés de Crimée en Russie, ce qui est contraire au droit international, d'ajouter les auteurs. 

- L'enseignement universitaire

Les universités de Crimée sont représentées par différents types d'établissements d'enseignement, soit des universités proprement dites, des instituts et des académies de Crimée, pour lesquels il y a à la fois des frais de scolarité et une possibilité d'obtenir des bourses d'études. Ces écoles supérieures acceptent non seulement les Criméens, mais également les étrangers qui veulent y poursuivre des études. On y compte plus de 40 000 étudiants.

Les principaux établissements supérieurs sont les suivants:

- Institut d'État technologique maritime de Kertch (Керченский государственный морской технологический университет);
- Université d'ingénierie et d'éducation de Crimée (Крымский инженерно-педагогический университет);
- Université fédérale de Crimée de V.I. Vernadsky (Крымский федеральный университет имени В. И. Вернадского);
- Institut d'affaires de Crimée (Крымский институт бизнеса);
- Université de culture, d'art et de tourisme de Crimée (Крымский университет культуры, искусств и туризма);
- Université d'économie et de gestion (Университет экономики и управления);
- Institut de formation et de gestion des enseignants (une branche de l'Université fédérale de Crimée) Институт педагогического образования и менеджмента (филиал Крымского федерального университета);

Tous les cours se donnent en russe. Vers la fin de 2014, l'ukrainien en tant que langue d'enseignement avait été retiré de l'enseignement universitaire.

4.4 L'enseignement des langues étrangères

L'’apprentissage d’une langue étrangère s'applique sur les exigences de la jurisprudence de l’État fédéral russe. Selon le ministère criméen de l'Éducation, l'anglais est maintenant enseigné comme langue étrangère dans les 540 écoles de Crimée. À partir de septembre 2015, au moins 20% des écoles devaient ajouter une deuxième langue étrangère. Pour l'année scolaire 2018-2019, la deuxième langue étrangère devait commencer à être enseignée aux élèves de cinquième année du primaire.

Évidemment, l'introduction d'une deuxième langue étrangère dans les écoles de Crimée apparaît quelque peu cynique dans la mesure où les langues tatare et ukrainienne qui devraient constituer des choix importants se battent pour leur survie dans le domaine de l'éducation. Or, les langues étrangères choisies sont le français, l'allemand et le chinois.

En réalité, la Russie a déclaré la guerre à l’éducation dans les langues autochtones de Crimée. Il n'est pas obligatoire d'apprendre une langue maternelle autre que le russe en Crimée. Cette indécente situation crée des conditions qui rendent presque impossible l'étude en langue tatare de Crimée et en ukrainien, soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde. Rappelons que, au moment du choix d'une langue d'enseignement, les parents sont soumis à des pressions morales ou administratives de la part de la direction d'école ou de leurs employeurs. Ils ne doivent pas indiquer l'ukrainien comme langue d'enseignement. Il importe également de souligner que les Ukrainiens sont étiquetés à maintes reprises comme des «ennemis», avec le résultat que les ukrainophones ont peur de manifester tant soit peu leur identité ukrainienne dans le choix de la langue d'enseignement.

5 Les langues et les médias

Dès l'annexion de la Crimée par la Russie, les médias ukrainiens ont été fermés. Les autorités russes ont persécuté des journalistes pour avoir exprimé des opinions qui déplaisaient au gouvernement ou pour avoir relaté des actes de répression exercés au moment de l'occupation russe. Le groupe des droits de l'Homme de Crimée a longtemps fait état du blocage généralisé de sites Internet et de médias ukrainiens, et a fermement condamné un projet de loi qui pourrait imposer une censure globale d'Internet.

5.1 Les restrictions dans la liberté de la presse

Depuis 2014, la liberté de la presse est sévèrement restreinte en Crimée. Outre les autres lois restrictives russes, une disposition du Code pénal prévoit jusqu'à cinq ans d'emprisonnement pour les appels publics à l'action contre l'intégrité territoriale de la Russie, interprétant l'interdiction des déclarations contre l'annexion, y compris dans les médias. Les journalistes risquent d'être harcelés, arrêtés et emprisonnés pour avoir effectué leur travail.

En 2015, un processus de réinscription des médias — une procédure d'enregistrement en tant qu'entités russes a permis de réduire le nombre de médias en Crimée à plus de 90 %. Les autorités russes ont coupé l'accès du territoire à la télévision ukrainienne, tandis que les fournisseurs de services Internet de Crimée ont été soumis à la législation fédérale sur les médias. De plus, les autorités russes ont pris des mesures pour empêcher les sources d'information ukrainiennes d'atteindre la Crimée; elles ont brouillé également les signaux des stations de radio ukrainiennes en Crimée en transmettant des programmes radiophoniques russes sur les mêmes fréquences. Sergey Aksyonov, le chef du gouvernement de Crimée nommé par Moscou, a déclaré aux journalistes que des médias soupçonnés d'inciter à la haine ethnique et aux conflits ne seraient pas autorisés à travailler dans la péninsule.

D'un  autre côté, l'article 16 de la Loi sur les langues (2017) énonce que la publication des journaux et magazines publics, et la transmission des programmes de radio et de télévision publiques sur le territoire de la république de Crimée peuvent être effectuées dans les langues officielles de la république de Crimée et à la discrétion des propriétaires, également dans d'autres langues dans la république de Crimée:

Article 16

Les langues dans les médias et les communications

1) La publication des journaux et magazines publics, et la transmission des émissions de radio et de télévision publiques sur le territoire de la république de Crimée peuvent être effectuées dans les langues officielles de la république de Crimée et, à la discrétion des propriétaires, également dans d'autres langues de la république de Crimée.

Bref, les langues officielles ne sont pas obligatoires dans les journaux et magazines publics de même que dans les programmes de radio et de télévision publiques. Ce sont les propriétaires de ces médias qui le décident, en l'occurrence les gouvernements.

En fait, c'est le Service fédéral de surveillance des communications, des technologies de l'information et des médias, le Roskomnadzor (en russe : Роскомнадзор), qui est l'autorité exécutive fédérale de la Russie. Celui-ci exerce les fonctions suivantes: contrôler et surveiller les médias (y compris les médias électroniques), les communications de masse, les technologies de l'information et de télécommunications, de la conformité des données à caractère personnel, ainsi que les activités du service de radiofréquences. En 2019, à l'occasion de l'anniversaire du référendum sur l'annexion de la Crimée à la Russie, Vladimir Poutine devait annoncer ce qui deviendrait désormais la version officielle de ces événements historiques.

5.2 Les journaux

En 2000, la Crimée ukrainienne comptait plus d'une quarantaine de journaux publiés en langue russe dans la péninsule: Komsomol'skaya pravda v Ukraine, Segodnya, Narodnaya tribuna, Kerchenskiy rabochiy, Kafa, Krymskaya pravda, Yevpatoriyskaya zdravnitsa, Svobodnaya territoriya, Krymskaya gazeta, Ekho Setevoy, Pervaya Krymskaya, etc. Les ukrainophones publiaient, pour leur part, une douzaine de journaux en langue ukrainienne et quelque 200 périodiques. Il existait aussi quelques journaux en tatar de Crimée:  Kryrym, Vetan Crimea, Yanyi Dunya et Avdet. En fait, le nombre de journaux publiés en d'autres langues que l'ukrainien atteignait 42, dont 15 en russe et en tatar de Crimée, 11 en russe et dans les langues des petits peuples de Crimée (grec, allemand, arménien, etc.), 13 en russe et dans des langues étrangères (anglais, allemand, arabe) et trois autres en diverses langues (allemand-russe, anglais-russe-tatar ou grec-russe).

Il y avait notamment des journaux en grec (Neos Pontos, Ellinikí efimerída, Pondida), en arménien (Masyats agavni et Armyanskiy vsemirnyy kongress), en allemand (Hoffnung, Guten Tag, Landemanshaft, Fokus Deutschland-Krim, etc.), en karaïm (Crimeakalaylar, Journal Karaim, Krai Gazetesi), une langue turque avec des influences hébraïques. Soulignons que la plupart de ces journaux publiaient en même temps des articles en russe.

En somme, les journaux multilingues étaient monnaie courante dans la Crimée ukrainienne.
 

Selon les sources russes en Crimée, en 2018, on comptait 628 médias imprimés sur le territoire de la république de Crimée et dans la ville d'importance fédérale, Sébastopol. Parmi les quotidiens les plus importants en Crimée figurent: Krymskaya Pravda (31 000 exemplaires), Krymskaya Gazeta (55 000), Krymskoe Vremya (32 000), Pervaya Krymskaya (40 000), Vesti Krymskiy Vypusk (25 000) et Krymskiy Telegraf (10 000). Tous ces journaux sont en russe.

Depuis le 19 mars 2014, la Rossiyskaya Gazeta publie des numéros quotidiens et hebdomadaires en Crimée. Quelque 4000 exemplaires du numéro hebdomadaire sont distribués gratuitement aux participants, aux anciens combattants et aux personnes handicapées de la Seconde Guerre mondiale.

En outre, un centre de correspondance de la Komsomolskaïa Pravda a été créé au KFO et des travaux sont en cours pour la création de bureaux du journal Argumenty i Fakty et du journal Izvestia. Outre la Rossiyskaya Gazeta, les publications fédérales suivantes sont distribuées de manière continue: Komsomolskaïa Pravda, Argumenty i Fakty, Izvestia et Sobesednik.

Selon le gouvernement russe, les Criméens manifestent un intérêt croissant pour la presse russe, ce qui signifie que les journaux en d'autres langues sont laissés pour compte. Le 20 novembre 2015, les autorités criméennes ont lancé un journal en russe portant un nom en tatar de Crimée, Mehraba; celui-ci est destiné au public tatar de Crimée. Le document est publié chaque semaine avec un tirage de 1000 exemplaires. Les médias au service de la minorité ethnique tatare de la Crimée occupée par la Russie ont fermé leurs portes après avoir omis de s'enregistrer auprès des nouvelles autorités pro-moscovites. Depuis 2016, il n'y a plus de journaux publiés en ukrainien, puisque l'unique quotidien publié entièrement en ukrainien, Krymska Svitlytsia, a cessé de distribuer ses numéros le 25 mars de cette année-là. Évidemment, très peu de journaux ukrainophones provenant de l'Ukraine peuvent circuler en Crimée.

5.3 Les médias électroniques

La télévision et la radio sont diffusées dans le district fédéral de Crimée par les principales chaînes de télévision et de radio russes. L’exploitation de toutes les stations d’émission du Réseau russe de télévision et de radiodiffusion (RTPTS: Peredayushchikh Stantsiy Mestnogo Radiotelevizionnogo Peredayushchego Tsentra) est assurée par 267 émetteurs. La couverture de la population par la diffusion de chaînes de télévision publiques fédérales entièrement russes est supérieure à 84 %. Il y a environ 200 câblo-opérateurs sur le territoire de la péninsule: 26 chaînes analogiques, 34 chaînes numériques et 5 stations de radio sont diffusées, notamment Radio Mayak, Vesti FM et Radio Russia. Depuis le 1er juillet 2014, RTRS, en collaboration avec des spécialistes du Réseau russe de télévision et de radiodiffusion, a installé du matériel technologique supplémentaire et lancé deux multiplex russes. Il a également assuré la présence du troisième multiplex régional en direct.

Ainsi, sur le territoire de la république de Crimée et dans la ville d'importance fédérale de Sébastopol, trois chaînes de télévision sont diffusées en format numérique. Le premier multiplex comprend les chaînes de télévision accessibles à tous, obligatoires et entièrement russes: Channel One, Russia-1, Russia-2, NTV, Channel Five, Russie-K, Russia-24, Karusel, OTR, Centre TV. Le deuxième multiplex comprend Ren TV, SPAS, STS, Domashniy, TV3, NTV + Sport, Zvezda, MIR, TNT, Muz TV et le troisième est GTRK, Crimea, ATR, Pyatnitsa, LALE, Tele FM, LifeNews, Pepper, Moscou-24, ainsi que 1er Sébastopolsky et STV (uniquement à Sébastopol).

Le 31 mars 2015, la radio Meydan a cessé de diffuser ses programmes en tatar, suivie de la chaîne tatare de télévision ATR le lendemain. Cela s'est produit après qu'on leur a refusé l'enregistrement et le droit de diffuser sur le territoire de la Crimée. À la mi-juin 2015, la chaîne ATR, qui diffuse en russe, en ukrainien et en tatar, a repris ses émissions en Ukraine continentale et est depuis lors située à Kiev. Le 13 février 2017, une nouvelle station de radio a été mise en service par les autorités criméennes. Il s'agit d'une station de radio pro-russe en langue tatare de Crimée appelée Vatan Sedasi. Jusqu'à présent, la chaîne n'émet que vers Simferopol et le district de Simferopol, mais elle a reçu des fréquences dans les plus grandes villes de la péninsule. Les meilleures chaînes ukrainiennes ne peuvent être visionnées qu'en ligne ou par satellite. Lorsque les chaînes de télé sont situées en Crimée, la plupart des programmes sont diffusés en russe (60 %) contre 35 % en tatar de Crimée et 5 % en ukrainien. Cependant, il faut tenir compte des émissions provenant de la Russie, qui sont diffusées entièrement en russe et accaparent une part importante des émissions disponibles.

Les minorités ethniques et les opposants à l'annexion mènent à l'évidence une vie difficile sous le régime russe, dont les autorités locales et les services de sécurité entravent les voix indépendantes et dissidentes. Pendant près de vingt-cinq ans sous la gouvernance ukrainienne, les Tatars de Crimée avaient pu bénéficier d'un degré substantiel de respect de leurs libertés civiles et politiques, ce qui leur avait permis de fonder des médias indépendants en tatar de Crimée tels qu'ATR, Golos Kryma et Avdet (tous disparus aujourd'hui). Les Tatars avaient pu organiser des assemblées publiques et pratiquer leur religion musulmane sans devoir faire face à des accusations d'extrémisme motivées par des motifs politiques.

Depuis l'annexion de la Crimée par Catherine II en 1783, la Crimée est toujours restée une péninsule à majorité russophone. Non pas seulement parce que les russophones y ont toujours été majoritaires, mais parce qu'ils ont réussi à contrôler la Crimée à tous les points de vue: politique, économique, social, culturel, etc. Ce sont eux qui, de tout temps, ont fait la pluie et le beau temps en Crimée, même sous le régime de l'Ukraine, car la région avait obtenu un statut d'autonomie relativement étendu dans laquelle les Russes étaient majoritaires. Les russophones contrôleront encore davantage la Crimée à la suite de l'annexion de mars 2014, car le pouvoir local risque d'être davantage restreint par les autorités fédérales de la Russie.

Les Ukrainiens et les Tatars de Crimée resteront les principales minorités du territoire. Ils seront dorénavant tellement préoccupés par leur survie qu’ils n’auront guère les moyens de se battre pour leur langue. Mais leur lutte n'est malheureusement pas terminée, car après avoir vécu l’exclusion de la période tsariste et celle de la période soviétique, ils devront vivre sous un régime criméen russophone plus autoritaire, plus ukrainophobe et plus tatarophobe. Dans les faits, la plupart des Ukrainiens et des Tatars déclarent même parler le russe à la maison avec leurs enfants.

Les événements de mars 2014 ont accéléré le processus de russification de la Crimée, non seulement chez les Ukrainiens et les Tatars, mais également chez toutes les autres petites minorités. Les autorités locales vont, à plus long terme, avoir tendance à pratiquer une politique de bilinguisme symbolique (russe-tatar), en excluant l'ukrainien, sinon ils vont adopter un unilinguisme russe. Au mieux, les dirigeants russophones vont adopter la même politique linguistique qu'en Transnistrie, cette enclave russe de Moldavie, avec un trilinguisme (russe-ukrainien-tatar) strictement théorique qui place les deux minorités dans une sujétion des russophones, sans pouvoir s'y opposer de quelque façon que ce soit. Comme en Transnistrie, ce serait à la fois une politique officielle de multilinguisme de façade et une politique d'assimilation, voire de répression. Pour les autres minorités, la question semble réglée.

La politique linguistique appliquée à la Crimée en est une de valorisation exclusive de la langue russe majoritaire aux dépens des langues minoritaires qui sont perçues comme des nuisances rivales dont la concurrence apparaît comme un danger pour la survie de la langue russe. En réalité, c'est une politique hégémonique qui ressemble beaucoup à celle pratiquée par les Tsars au XIXe siècle, lesquels ont alors adopté une politique de russification visant à circonscrire et surtout à éliminer les langues et les cultures des minorités.

Dernière mise à jour: 19 déc. 2023

République de Crimée


1) Situation générale
 

2) Données historiques
 

3) La politique linguistique
 

4) Bibliographie
 

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