Autriche + Hongrie

Empire austro-hongrois

De 1867 à 1918

1. L'union de deux États

L'Empire austro-hongrois (en allemand: Österreichisch-Ungarische Monarchie; en hongrois: Osztrák-Magyar Monarchia), dans sa forme longue, est aussi appelé dans sa forme courte l'Autriche-Hongrie. C'était une union sous le sceptre des Habsbourg entre deux États d'Europe centrale, l'Autriche et la Hongrie, créées par la division de l'empire d'Autriche (1804-1867) lui-même issu de la monarchie de Habsbourg (XIIIe siècle -1804).
 

Cette «double-monarchie» a existé de 1867 à 1918 et comptait une superficie de 676 615 km² (France actuelle: 547 030 km²). Vers 1900, l'Empire austro-hongrois était plus étendu que la France métropolitaine, et était aussi plus peuplé, avec 55 millions d’habitants contre 40 en France.

L'Empire austro-hongrois n'a jamais eu de drapeau unifié, l'Autriche (la Cisleithanie) et la Hongrie (la Transleithanie) ayant employé leurs propres drapeaux, ainsi que les royaumes qui les constituaient (Bohême-et-Moravie, Galicie-et-Lodomérie, Croatie-et-Slavonie). Le double drapeau ci-dessus fut employé principalement comme pavillon de la marine marchande. On reconnaît à gauche les couleurs de la Maison de Babenberg, qui détenait le duché d'Autriche avant la montée de la Maison des Habsbourg d'Autriche et, à droite, les couleurs de la Hongrie surmontées d'une couronne de saint Étienne.

2. L'empereur François Joseph

Après les révolutions européennes de 1848, François-Joseph Ier devint empereur d'Autriche en décembre 1848; il succédait à Ferdinand 1er, contraint d'abdiquer. Au cours de son règne, il fut l'initiateur de l'unification avec la Hongrie pour former l'Empire austro-hongrois en 1867. Membre de la maison de Habsbourg, il régna sur l'Autriche et la Hongrie du 2 décembre 1848 au 21 novembre 1916, détenant ainsi le plus long règne en tant que souverain d'Autriche et de Hongrie, ainsi que le quatrième plus long règne de tous les pays de l'histoire européenne, après Louis XIV, le prince Jean II du Liechtenstein et la reine Élisabeth II du Royaume-Uni, soit près de 68 ans.

Le 28 juin 1914, l'assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand, son neveu et héritier présomptif, aboutit à la déclaration de guerre au royaume de Serbie, allié de l'Empire russe. François-Joseph décéda le 21 novembre 1916 et son petit-neveu Charles lui succéda, mais pour peu longtemps, car il fut le dernier monarque et forcé de renoncer au trône le 12 novembre 1918.

3. L'étendue de l'Empire

L’étendue de cet État austro-hongrois couvrait intégralement jusqu’en 1918 les pays tels que l'Autriche, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine. L'Empire comprenait aussi une partie des territoires de l’Italie (au nord-est), de la Pologne (au sud), de la Roumanie (au nord-ouest: la Transylvanie), de la Serbie (au nord) et de l’Ukraine (à l'ouest). La Valachie, la Moldavie occidentale et la république de Moldavie n'ont jamais fait partie de l'Empire austro-hongrois.

L'Empire était constitué d'une mosaïque de peuples d'environ 55 millions d'habitants (dont 28 millions en Autriche): Allemands, Hongrois, Serbes, Croates, Bosniaques, Polonais, Slovaques, Tchèques, Slovènes, Roumains, Ukrainiens, Ruthènes, Italiens, Tsiganes, etc. Si les trois quarts des Austro-Hongrois étaient catholiques, il y avait aussi des communautés protestantes, orthodoxes, juives, musulmanes, chamanistes, etc. En réalité, la plupart des Autrichiens étaient catholiques, tandis que la moitié des Hongrois étaient calvinistes, voire luthériens, les autres catholiques.

La Première Guerre mondiale, déclenchée par un ultimatum de la part de l'Empire austro-hongrois au Royaume de Serbie entraîna la fin de l'Autriche-Hongrie qui ne survécut pas à sa défaite.

L'Empire fut en effet démantelé en sept États-nations (voir la carte de l'Europe en 1914 et en 1919) et de nouvelles frontières furent tracées et reconnues lors de la signature des traités de Saint-Germain-en-Laye en 1919 et du Trianon en 1920 : la république d’Autriche, la régence de Hongrie, la Tchécoslovaquie, la république de Pologne, le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes (future Yougoslavie titiste), le royaume de Roumanie et le royaume d’Italie

4. Les langues dans l'Empire austro-hongrois

Les autorités impériales durent respecter la langue, la religion et la culture des sujets de l'Empire, bien que la langue allemande puisse demeurer prioritaire en Autriche et le hongrois en Hongrie, à côté d'autres langues telles que le tchèque, le polonais, le serbo-croate (en cyrillique et en latin), le slovène, l'italien, le roumain, le ruthène et le vieux-prussien. Dans la pratique, l'État autrichien s'est montré beaucoup plus tolérant en matière de langue que l'État hongrois qui privilégiait l'hégémonie illusoire d'une nation catholique gouvernante.

4.1 La situation linguistique en Hongrie

En principe, la langue officielle était le hongrois (ou magyar) parlé par près de la moitié de la population, mais d'autres langues lui faisaient concurrence, dont le serbo-croate (en fait, le croate, le serbe et le bosniaque) au sud, le slovaque au nord, le roumain à l’est, sans oublier l'allemand parlé par de très nombreux colons germaniques répartis dans plusieurs régions du pays. De plus, le fait que le hongrois soit une langue finno-ougrienne de la famille ouralienne, alors que toutes les autres langues appartenaient à la famille indo-européenne, donc sans aucun rapport linguistique avec celles-ci, avait comme conséquence d'éloigner les locuteurs non magyarophones de la langue officielle.

Malgré les efforts pour magyariser les Croates, les Slovaques, les Allemands et les Roumains, le hongrois totalement étranger se trouvait à être imposé à une moitié de la population qui n'y voyait pas un avantage pratique à l'apprendre.

En 1868, le Parlement adopta la Loi sur l'égalité ethnique proposée par le ministre de la Religion et de l'Instruction publique (József Eötvös). Cette loi stipulait que la langue officielle était le hongrois, ainsi que la pratique de la culture et de la langue des nationalités, si la proportion de la population appartenant à la nationalité donnée dans un district donné atteignait 20 %. De plus, les minorités pouvaient utiliser leur langue maternelle dans leurs requêtes, devant les juridictions inférieures, et elles recevaient également des ordonnances dans cette langue. La langue officielle des villages était déterminée par les habitants, ils pouvaient également s'exprimer dans leur langue maternelle lors des assemblées départementales. Ils étaient libres de disposer de leurs écoles et de leurs églises, de créer des institutions et des sociétés à des fins nationales. La loi, fondée sur le principe de l'unité territoriale et d'une nation politique, ne garantissait pas l'autonomie. Voici quelques extraits de cette loi de 1868, qui compte 29 articles:

Az 1868. évi XLIV a nemzetiségi egyenjogúság tárgyában

1. cikk

A nemzet politikai egységénél fogva Magyarország államnyelve a magyar levén, a magyar országgyülés tanácskozásai s ügykezelési nyelve ezentúl is egyedül a magyar; a törvények magyar nyelven alkottatnak, de az országban lakó minden más nemzetiség nyelvén is hiteles fordításban kiadandók; az ország kormányának hivatalos nyelve a kormányzat minden ágazatában ezentúl is a magyar.

2. cikk

A törvényhatóságok jegyzőkönyvei az állam hivatalos nyelvén vitetnek; de vitethetnek e mellett mindazon nyelven is, a melyet a törvényhatóságot képviselő testület vagy bizottmány tagjainak legalább egy ötödrésze jegyzőkönyvi nyelvül óhajt. A különböző szövegekben mutatkozó eltérések eseteiben a magyar szöveg a szabályozó.

3. cikk

Törvényhatósági gyülésekben mindaz, a ki ott szólás jogával bir, akár magyarul szólhat, akár saját anyanyelvén, ha az nem a magyar.

6. cikk

A törvényhatósági tisztviselők saját törvényhatóságaik területén a községekkel, gyülekezetekkel, egyesületekkel, intézetekkel és magánosokkal való hivatalos érintkezéseikben a lehetőségig ezek nyelvét használják.

29. cikk

Ezen törvény rendeletei a külön területtel biró s politikai tekintetben is külön nemzetet képező Horvát-, Szlavon- és dalmátországokra ki nem terjednek, hanem ezekre nézve nyelv tekintetében is azon egyezmény szolgáland szabályul, mely egyrészről a magyar országgyülés, másrészről a horvát-szlavon országgyülés között létrejött, s melynél fogva azok képviselői a közös magyar-hotvát országgyülésen saját anyanyelvükön is szólhatnak.

Loi n° XLIV de 1868 sur l'égalité ethnique

Article 1er

En raison de l'unité politique de la nation, la langue officielle de la Hongrie est le hongrois, et la langue des délibérations et de la gestion des affaires du Parlement est uniquement le hongrois; les lois sont rédigées en hongrois, mais doivent également être publiées dans une traduction authentique dans la langue de toutes les autres nationalités vivant dans le pays; la langue officielle du gouvernement du pays dans tous les domaines du gouvernement est toujours le hongrois.

Article 2

Les procès-verbaux des autorités législatives doivent être rédigés dans la langue officielle de l'État ; mais ils peuvent également être présentés dans toute langue dont au moins un cinquième des membres de l'organisme ou du comité représentant l'autorité législative, qui le souhaite. En cas de divergences entre les différents textes, le texte hongrois prévaudra.

Article 3

Dans les assemblées législatives, toute personne qui y a le droit de s'exprimer peut le faire en hongrois ou dans sa langue maternelle, si ce n'est pas le hongrois.

Article 6

Dans leurs contacts officiels avec les municipalités, les congrégations, les associations, les instituts et les particuliers sur le territoire de leurs propres autorités légales, les fonctionnaires utilisent leur langue dans la mesure du possible.

Article 29

Les décrets de cette loi ne s’étendent pas aux pays des Croates, des Slavons et des Dalmates, qui sont des nations distinctes en termes de territoire et de politique, mais ils sont également régis par convention entre le Parlement hongrois, d’une part, et l’Assemblée croato-slavonne d’autre part, et par laquelle leurs représentants peuvent s'exprimer dans leur propre langue à l’Assemblée nationale commune croato-hongroise.

Dans la loi, il n'était pas question de reconnaître des groupes ethnolinguistiques.

4.2 La situation linguistique en Autriche

En Autriche, les locuteurs étaient germanophones pour le tiers de la population. Il restait donc les deux tiers des locuteurs du pays pour se partager soit des langues romanes, surtout l'italien, soit des langues slaves, notamment le croate et le slovaque, mais également le polonais et le tchèque. Par conséquent, les peuples de l'Autriche étaient majoritairement slaves, mais aucune ne pouvait exercer une certaine hégémonie. Après avoir tenté vainement d'imposer dans le pays la bureaucratie allemande, les autorités impériales de Vienne finirent par exclure toute prétention de l'allemand à devenir la langue dominante, et ce, d'autant plus que la langue allemande n'était pas unifiée. En effet, en Autriche, les locuteurs se partageaient entre les variétés bavaroises tels que le bavarois septentrional (Nordbairisch), le bavarois moyen (Mittelbairisch) et le bavarois méridional (Südbairisch), sans oublier la concurrence avec la Hochsprache, l'allemand standard appelé aujourd'hui le Hochdeutsch (le haut-allemand).

Or, ayant constaté assez tôt qu'ils ne pouvaient pas dominer les autres groupes linguistiques, les Autrichiens se sont tournés vers l'Empire allemand qui favorisait la Hochdeutsch au détriment des autres variétés allemandes (francique, bas-allemand et moyen-allemand). Bref, les nationalités slaves réussirent à tenir le coup, que ce soit le tchèque, le polonais, le croate, le slovène, etc. 

Finalement, l’article 19 de la Loi fondamentale (qui comptait 20 articles) proclamait l’égalité de tous les groupes ethniques.

Staatsgrundgesetz vom 21. December 1867 über die allgemeinen Rechte der Staatsbürger für die im Reichsrathe vertretenen Königreiche und Länder

Artikel 2.

Vor dem Gesetze sind alle Staatsbürger gleich.

Artikel 3.

1)
Die öffentlichen Aemter sind für alle Staatsbürger gleich zugänglich.

2) Für Ausländer wird der Eintritt in dieselben von der Erwerbung des österreichischen Staatsbürgerrechtes abhängig gemacht

Artikel 19.

1)
Alle Volksstämme des Staates sind gleichberechtigt, und jeder Volksstamm hat ein unverletzliches Recht auf Wahrung und Pflege seiner Nationalität und Sprache.

2) Die Gleichberechtigung aller landesüblichen Sprachen in Schule, Amt und öffentlichem Leben wird vom Staate anerkannt.

3) In den Ländern, in welchen mehrere Volksstämme wohnen, sollen die öffentlichen Unterrichtsanstalten derart eingerichtet sein, dass ohne Anwendung eines Zwanges zur Erlernung einer zweiten Landessprache jeder dieser Volksstämme die erforderlichen Mittel zur Ausbildung in seiner Sprache erhält.

Loi fondamentale du 21 décembre 1867 sur les droits généraux des citoyens pour les royaumes et pays représentés au Conseil impérial

Article 2

Devant la loi,
tous les citoyens sont égaux.

Article 3

1)
Les services publics sont accessibles de la même manière à tous les citoyens.

2) Pour les étrangers, l’admission à ces droits est subordonnée à l’acquisition de la nationalité autrichienne. 

Article 19.

1)
Toutes les ethnies de l'État ont des droits égaux, et chaque ethnie a
un droit inviolable à la préservation et au soin de sa nationalité et de sa langue.

2) L'État reconnaît
l'égalité de toutes les langues habituelles du pays dans les écoles, les bureaux et la vie publique.

3) Dans les pays où vivent plusieurs groupes ethniques, les établissements publics d'enseignement doivent être aménagés de telle sorte que chacun de ces groupes ethniques reçoive les moyens nécessaires pour s'instruire
dans sa propre langue sans l'application d'aucune contrainte d'apprendre une seconde langue nationale.

Ainsi, les groupes ethniques disposaient d’un droit inaliénable à conserver et à cultiver leur langue et leur nationalité. Les langues d’usage dans les régions étaient reconnues comme égales par l’État dans le domaine de l’école, de l’administration et de la vie publique; des aménagements étaient prévus dans les pays où résidaient plusieurs groupes ethniques. Il faut aussi comprendre que si de tels droits linguistiques étaient reconnus, c'est parce que les autorités n'avaient guère le choix, l'allemand en Autriche et le hongrois en Hongrie n'étant pas majoritaires, alors que tous les peuples slaves voulaient à tout prix conserver leur identité. 

5. Le maintien des langues slaves

En somme, l'Empire austro-hongrois comptait quatre groupes slaves qui s'opposaient les uns aux autres:

1) les Tchèques et les Slovaques: encerclés par des populations de langue allemande et hongroise, ils formaient un fort groupe compact d’environ neuf millions de locuteurs aspirant à former leur propre État;

2) Les Polonais: arbitrairement séparés de leurs compatriotes d’Allemagne et de Russie, ils n'aspiraient qu'à restaurer leur unité fragmentée;

3) Les Slovènes et les Serbo-Croates: les Croates, les Serbes, les Monténégrins et les Bosniaques parlaient la même langue et constituaient un fort groupe d'opposition à l'allemand et au hongrois. Mais les Slovènes ont rapidement constaté qu'ils formaient un groupe slave à part qui ambitionnait de conserver leur identité particulière.

4) Les Ruthènes : parlant une langue slave très proche de l’ukrainien, ils se trouvaient dispersés principalement en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie et en Ukraine, ils formaient un autre groupe distinct.

Cette fragmentation des peuples slaves favorisa durant un certain temps la tentative d’hégémonie allemande dans l'Empire, mais ceux-ci réussirent à conserver leur identité particulière, alors qu'ils n'étaient guère unifiés. Aujourd'hui, tous les groupes linguistiques slaves — tchèque, slovaque, polonais, serbe, croate, monténégrin, bosniaque et slovène — ont conservé intégralement leur langue, sauf le ruthène qui ne dispose pas d'un État pouvant se maintenir en position de force. 

Dernière mise à jour: 17 févr. 2024


 

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