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Ukraine1) Données démolinguistiques |
Plan de l'article
L'Ukraine (en ukrainien: Украïна
> Ukraïna) est un pays de l'Europe de l'Est, limité au nord par la Biélorussie et la Russie, à l'est par la Russie, au sud par la mer Noire et la mer d'Azov, au sud-ouest par la Roumanie et la Moldavie, et à l'ouest par la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne (voir la carte 1). Après la Russie (17 millions km²), l’Ukraine est le second plus grand pays d’Europe par sa superficie de 603 700 km² (France: 543 965 km²).
Le pays ne possède pas de dénomination officielle longue du type «République d'Ukraine», bien que cet usage existe. L'Ukraine comprend 24 oblasts (ou régions) et avant 2014 deux villes ayant un statut particulier: Kiev et Sébastopol (voir la carte détaillée), mais depuis 2014 Sébastopol ne fait plus partie de l'Ukraine. |
On peut aussi consulter la carte des régions historiques: Volhynie, Galicie, Ruthénie, Podolie, Zaporoguie, Méotide, Tauride, Yedisan, Boudjak, Bucovine et Crimée.
La République autonome de Crimée (voir la carte détaillée) qui, jusqu'en 2014, faisait partie intégrante de l’Ukraine, disposait d’une autonomie de décision dans les domaines la concernant, conformément aux pouvoirs qui lui étaient reconnus par la Constitution de l’Ukraine et par la Constitution de la République autonome de Crimée. On sait que la Russie a annexé unilatéralement cette partie de l'Ukraine en 2014, mais les autorités ukrainiennes n'ont jamais reconnu cette annexion et ont maintenu intégralement toute la législation concernant cette région, même si celle-ci demeure inapplicable. L'Ukraine est aussi une ancienne république soviétique.
Les principales villes ukrainiennes sont Kiev, Kharkiv, Dnipropetrovsk, Odessa (Odesa en ukrainien), Donetsk, Zaporijia, Lviv et Kryviy Rig. L’Ukraine fait partie du Conseil de l’Europe depuis le 9 novembre 1995.
- Les doubles appellations toponymiques
L'ukrainien et le russe sont deux langues slaves assez proches l'une de l'autre, mais elle sont néanmoins différentes. De plus, la langue ukrainienne a subi de très longues périodes d'oppression de la part des tsars et des Soviets: souvent interdite sous l'Empire russe et toujours assujettie sous l'Union soviétique, la langue ukrainienne a subi l'influence du russe, y compris dans sa toponymie. C'est ainsi que beaucoup de noms de lieu en Ukraine furent officialisés en russe plutôt qu'en ukrainien: Kiev, Lvov, Kharkov, Dnipro, Odessa, etc. En Ukraine, le nom des villes et des régions administratives apparaît régulièrement avec des orthographes différentes, selon qu'on se base sur l'orthographe ukrainienne ou sur l'orthographe russe. Par exemple, Louhansk s'écrit en ukrainien "Луганська", ce qui correspondrait en alphabet latin à "Luhanska", mais à "Луга́нск" en russe, soit «Lugansk» en alphabet latin. Selon qu'on se base sur l'une ou l'autre langue de départ, la translittération en français pourra être différente: Louhansk (translitération de l'ukrainien) ou Lougansk (translitération du russe).
Après la dissolution de l'Union soviétique en 1991, la rectification de l'orthographe par le gouvernement ukrainien parut nécessaire parce qu'elle signifiait un important geste d'affirmation nationale. C'est ainsi que Kiev a été remplacé par Kyiv, ou Kyïv, Lvov par Lviv, Kharkov par Kharkiv, Dnieper par Dnipro, Odessa par Odesa, etc. La ville de Kiev est le cas le plus connu et soulève la controverse dans les médias occidentaux, surtout depuis l'invasion russe en Ukraine (février 2022). Selon qu'on utilise l'appellation à partir de la transcription russe, on aura Kiev (Киев: Kiyev); à partir de la transcription ukrainienne, on aura Kyyiv (< Київ : Kyïv).
La graphie Kyïv devrait se prononcer [kji-iv], tandis que la graphie Kiev se prononce [kjèv]. De plus, la consonne finale [v] est plus près de l'ukrainien, alors qu'en russe elle se rapproche de [f]. En réalité, la véritable prononciation en ukrainien n'existe pas en français, ni en anglais d'ailleurs, ni dans un grand nombre de langues. Bref, un francophone ne pourra jamais reproduire exactement la prononciation ukrainienne. Il faut donc adapter la prononciation pour le français (ou l'anglais ou d'autres langues). Pour un francophone, la graphie Kiev est beaucoup plus facile à prononcer que la graphie Kyïv. Jusqu'en février 2022, la quasi-totalité des non-ukrainophones n'ont jamais employé la prononciation de Kiev avec des intentions malveillantes, pas davantage quand on prononce Munich au lieu de München, Londres au lieu de London, Florence au lieu de Firenze, Bruxelles au lieu de Brussel, etc.
Autrement dit, on peut employer le mot Kiev sans avoir une arrière-pensée dominatrice ou nécessairement pro-russe, surtout quand on ignore tout du russe et de l'ukrainien. Même le dictionnaire Le Petit Robert des noms propres n'utilise encore que la forme «Kiev». Par contre, adopter la graphie Kyïv peut être perçu comme un acte de solidarité politique, ce qui peut être justifié! Dans le cadre de cet article sur l'Ukraine, la graphie Kiev reste privilégiée pour une raison d'usage ou d'aisance linguistique! Quoi qu'il en soit, la prononciation de Kiev en français n'est pas plus du russe que de l'ukrainien.
Bien que les Nations unies recommandent d'effectuer des recensements de la population tous les dix ans, il subsiste des problèmes en Ukraine dans l'organisation des recensements prévus. Depuis l'invasion russe en 2022, les statistiques présentées ci-dessous se révèlent considérablement modifiées. Si la population était de 43,7 millions avant 2022, elle serait à la fin de l'année 2024 moins de 38 000, plus précisément 37,8 millions les projections de l'ONU. Toutefois, la natalité dans le pays a fortement baissé; à la séparation des couples, avec le départ pour l’étranger de millions de femmes et d’enfants, il s'est ajouté la mortalité masculine. Deux ans après le début de l’invasion conduite par la Russie, l’Ukraine continue de voir sa population diminuer, de sorte que le pays compterait actuellement entre 33 et 35 millions d’habitants, mais aucune comptabilité précise ne peut être établie du fait de l’occupation de 20 % du territoire par les forces russes. Cette estimation provient du Fonds monétaire international, tandis que les statistiques officielles ukrainiennes donnaient le chiffre de 35 millions au 1er janvier 2024, incluant la Crimée, les régions de Louhansk, de Donetsk, de Zaporijia et de Kherson toujours occupées par l’armée russe. Cependant, ce chiffre tombe à seulement à 31,1 millions si l’on se limite au territoire resté sous le contrôle du gouvernement ukrainien.
Par arrêté du
Cabinet des ministres de l'Ukraine de 2008, un nouveau recensement fut fixé pour
2011, mais il fut reporté en 2012, puis en 2013 et en 2016. Les raisons des
retards n'ont jamais été officiellement expliqués, mais les médias ukrainiens
ont souvent mentionné le manque de fonds pour effectuer le recensement de la
population; il y a eu aussi certainement la réticence des autorités à provoquer
des troubles sociaux en raison des résultats litigieux qui pouvaient influencer
les élections.
Enfin, par un arrêté du Cabinet des ministres d'Ukraine du 16 décembre 2015, le recensement fut annoncé pour 2020. Ainsi, les dernières données fiables et détaillées sur la composition linguistique de la population ukrainienne datent de 2001. Des réserves subsistent quant aux différentes estimations qui apparaissent dans certaines études sociologiques, mais pour des résultats vérifiables il faut se baser sur le recensement de 2019 dont les résultats parviennent au compte-gouttes en 2020. L'Ukraine compte 24 régions administratives appelées «oblasts» (ukrainien: область, Selon le Service national des statistiques de l'Ukraine, la population du pays au 1er janvier 2019 était de 44,5 millions d'habitants (voir le tableau ci-dessous). |
Cependant, la ville de Sébastopol et la Crimée
étaient comptabilisées en date du 1er avril 2014, alors que ces deux entités ne font plus partie de l'Ukraine. Il faudrait en réalité
compter 42,1 millions d'habitants.
Oblast/région (Transcription française) |
Appellation en ukrainien + translittération latine |
Population (est. 2019) |
---|---|---|
Vinnytsia | Вінницька / Vinnytsʹka | 1 560 394 |
Volhynie | Волинська / Volynsʹka | 1 035 330 |
Dnipropetrovsk | Дніпропетровська / Dnipropetrovsʹka | 3 206 477 |
Donetsk | Донецька / Donetsʹka | 4 165 901 |
Jytomyr | Житомирська / Zhytomyrsʹka | 1 220 193 |
Transcarpathie | Закарпатська / Zakarpat·sʹka | 1 256 802 |
Zaporijjia | Запорізька / Zaporizʹka | 1 705 836 |
Ivano-Frankivsk | Івано-Франківська / Ivano-Frankivsʹka | 1 373 252 |
Région de Kiev | Київська / Kyyivsʹka | 1 767 940 |
Kirovohrad | Кіровоградська / Kirovohradsʹka | 945 549 |
Louhansk | Луганська / Luhansʹka | 2 151 833 |
Lviv | Львівська / Lʹvivsʹka | 2 522 021 |
Mykolaïv (Nicolaïev) | Миколаївська / Mykolayivsʹka | 1 131 096 |
Odessa | Одеська / Odesʹka | 2 380 308 |
Poltava | Полтавська / Poltavsʹka | 1 400 439 |
Rivne | Рівненська / Rivnensʹka | 1 157 301 |
Soumy | Сумська / Sumsʹka | 1 081 418 |
Ternopil | Тернопільська / Ternopilʹsʹka | 1 045 879 |
Kharkiv | Харківська / Kharkivsʹka | 2 675 598 |
Kherson | Херсонська / Khersonsʹka | 1 037 640 |
Khmelnytskyï | Хмельницька / Khmelʹnytsʹka | 1 264 705 |
Tcherkassy | Черкаська / Cherkasʹka | 1 206 351 |
Région de Tchernivtsi | Чернівецька / Chernivetsʹka | 904 374 |
Région de Tchernihiv | Чернігівська / Chernihivsʹka | 1 005 745 |
Ville de Kiev |
Місто Київ Misto Kyyiv |
2 950 819 |
Ville de Sébastopol* |
Місто Севастополь Misto Sevastopolʹ |
385 998 |
République autonome de Crimée* |
Автономна Республіка Крим / Avtonomna Respublika Krym |
1 968 550 |
Total Ukraine 2019 (estimation) |
- |
44 507 749 |
Au 1er janvier 2019, la densité de population de l'Ukraine était de 70,5 habitants par km². La densité de population la plus élevée est caractéristique des régions de l'Est et de l'Ouest, ainsi que de la région de Kiev (incluant la ville de Kiev). La densité de population dans les régions de la Polésie au nord et dans les steppes d'Ukraine est plutôt faible; la densité de population maximale est enregistrée dans l'oblast de Donetsk, alors que la densité minimale est dans l'oblast de Tchernihiv. Cependant, il semble difficile d’estimer la population restée dans les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. Celles-ci couvrent les zones les plus urbanisées d’une région où vivaient 6,5 millions d’habitants avant la guerre (1974). Selon une compilation sommaire au 1er janvier 2017 du Service national des statistiques de l'Ukraine, 3,8 millions de personnes vivaient dans les territoires occupés. Selon les observateurs, une estimation plus précise serait une compilation de 3,2 millions de personnes, ce qui équivaut à une dépopulation de 50 %. Les Nations unies estiment que 2,3 millions de personnes auraient grandement besoin d’une aide humanitaire.
L’Ukraine comptait en 1989 quelque 51,4 millions d’habitants, mais 47,2 millions au moment du recensement de 2001. En 2019, on estimait que, selon le cas, la population oscillait entre 42,1 et 43,7 millions. On se trompait! Depuis le dernier recensement de 2001, le nombre de personnes dans le pays aurait diminué de 11 millions d'habitants, selon une étude du gouvernement ukrainien rendue publique en janvier 2020. De faibles taux de natalité, des taux de mortalité élevés, une émigration à grande échelle et plusieurs autres causes — taux de mortalité élevé, diminution des soins de santé, détérioration des conditions de vie, crise économique, appauvrissement, corruption, etc. — ont contribué au déclin.
En effet, les dernières statistiques du gouvernement ukrainien (janvier 2020) révèlent que la population du pays est en chute libre. Les migrations et les conflits découlant de l’annexion par la Russie de la Crimée et la guerre civile dans l'Est expliquent cette dégringolade de plus de 10 millions d’habitants en moins de vingt ans. Quelque 37,3 millions de personnes vivaient au 1er décembre 2019 dans les territoires contrôlés par Kiev, ce qui n’inclut donc pas la Crimée annexée par la Russie ni les zones sous contrôle séparatiste. Ce nombre ne comprend donc pas les personnes qui vivent en permanence à l’étranger et dans les territoires occupés. Il s'agit du nombre de personnes se trouvant physiquement en Ukraine.
Depuis que la Russie a provoqué l’effondrement de l’économie ukrainienne en envahissant le Donbass et en annexant la Crimée, on estime qu'un million d’Ukrainiens partent chaque année tenter leur chance ailleurs. Le deuxième plus grand danger auquel l’Ukraine doit faire face, le premier étant l’agression militaire russe, c'est le problème économique qui freine le développement. Conjuguée à la baisse de la natalité, le recul considérable de l'économie est devenu l’un des puissants moteurs du dépeuplement de l’Ukraine. Après la crise de 2014 avec la Russie, le crash économique a aggravé les disparités avec les voisins européens, ce qui a multiplié les motifs des Ukrainiens pour quitter leur pays. Nous pouvons constater l'une des disparités par une simple comparaison : le salaire mensuel moyen de 2012 en Ukraine était de 292 € (322 $US), alors que la moyenne de l'Union européenne était de 2343 € (2585 $US). Étant donné que les parents ukrainiens cherchent un meilleur avenir pour leurs enfants, ils considèrent qu'il vaut mieux quitter leur pays natal. Les destinations les plus recherchées sont la Pologne (où les salaires sont trois fois plus élevés qu'en Ukraine) et la Russie voisine. Ces pays cherchent à attirer la main-d'œuvre ukrainienne, car elle est considérée aux points de vue ethnique, religieux, culturel et social comme étant proche de leurs voisins, ce qui contribuerait à une intégration mieux réussie. Par ailleurs, beaucoup de gens d'âge moyen et prospères ne vivent pas jusqu'à la vieillesse. Ce problème est étroitement lié à la santé de la population, qui est influencée par des facteurs économiques et le mode de vie. |
Bref, tant que l'État demeurera le moindrement dysfonctionnel, corrompu et appauvri, il est difficile d'envisager une solution rapide du problème de la dépopulation. L'ONU prévoit que la population ukrainienne diminuera d'un autre 18% jusqu'en 2050, passant de 45,5 millions en 2013 à seulement 33 millions en 2050. L'Institut de démographie et d'études sociales de l'Académie nationale des sciences de l'Ukraine déclarait déjà en 2018 : «La dépopulation est devenue un trait caractéristique de l'Ukraine, et de la tendance à la réduction de la population à surmonter est déjà presque impossible.» Dans ces conditions, l'émigration de l'Ukraine ne fera que s'aggraver.
2.3 Une population multiethnique
L'Ukraine était en 2022 un pays multiethnique, avec au moins 25 communautés diverses d'une certaine importance numérique. Malgré tout, l'Ukraine demeure un pays relativement homogène au point de vue ethnolinguistique (voir la carte des villes ukrainiennes), puisqu’au moins 75,5 % de la population est d'origine ukrainienne, ce qui représente une proportion beaucoup plus élevée par rapport à la plupart des pays. Plus précisément, les 75,5 % d'Ukrainiens et les 17,2 % de Russes comptent pour 92,7 % de la population, ce qui laisse un peu plus de 7 % pour l'ensemble de toutes les autres minorités.
La population de l'Ukraine est une population urbanisée à 67,2 %, puisque les villes comptent 32,5 millions d'habitants. Il en résulte que les ruraux
atteignent 15,8 millions d'individus et représentent 32,8 % de la population. La capitale de l'Ukraine, Kiev, compte 2,6 millions d'habitants. Les dix plus grandes villes ukrainiennes sont les suivantes: Kharkiv (1,4 million), Dnipropetrovsk (1 million), Odessa (1 million), Donetsk (1 million), Zaporijia (815 000), Lviv (733 000), Mykolaïv (514 000), Kryviy Rih (669 000) et Marioupol (492 000). En 2019, les ukrainophones comptaient 33,0 millions de locuteurs (75,5 %), alors que les russophones formaient le second groupe avec 7,5 millions de locuteurs, soit 17,2 % des habitants de l'Ukraine. En 1989, les Ukrainiens ne représentaient que 72,7% et les Russes 22,1%. Cet écart entre les deux groupes est principalement dû à la chute de l'ex-URSS qui a entraîné le retour de milliers de Russes dans leur patrie d'origine. Bien qu'il y ait des ukrainophones et des russophones partout dans le pays, les russophones demeurent concentrés dans l'Est et le Sud (voir la carte des villes ukrainiennes). L'Ukraine occidentale est ukrainophone dans une proportion de plus de 90%. À l'est, les oblasts de Khartiv, de Loushansk, de Donetsk et de Zaporijia comptent une majorité de russophones et d'Ukrainiens russifiés. Par exemple, en Crimée, 67 % des habitants se considéraient comme des Russes en 1989, contre 25,6% comme des Ukrainiens. De façon générale, les Russes dominent dans les centres urbains et les zones industrialisées. En simplifiant, on peut dire que l'Ukraine est partagée entre un Ouest ukrainophone et un Est russophone. |
La proportion des habitants de l'Ukraine provenant d'autres origines se situe autour de 7 %. On y distingue principalement les Roms, les Ruthènes, les Biélorusses, les Moldaves, les Bulgares, les Hongrois, les Roumains, les Polonais, les Arméniens, les Grecs, les Tatars de l'Oural, les Azerbaïdjanais, les Géorgiens, les Allemands, les Gagaouzes, etc. Les autres nationalités sont très petites et représentent 0,4 % de la population. On y constate l'apparition des Tatars de Crimée en 2001 (248 200 Tatars représentant 0,5 %), alors qu'ils étaient absents du recensement de 1989 et la chute du nombre de Juifs recensés en 2001: 0,2 % de la population (103 600) contre 0,9 % en 1989. Les groupes de langues les plus représentées sont évidemment les langues slaves, puis les langues ouraliennes de type turcique, quelques langues romanes et caucasiennes, de même que des langues indo-iraniennes. |
Ces résultats d'ordre ethnique ne correspondent pas nécessairement aux langues parlées, puisque 67,5 % des Ukrainiens parlent l'ukrainien comme langue maternelle, contre 29,6 % pour le russe et 2,9 % pour les autres langues. Il faut considérer que des Ukrainiens ont adopté le russe et que de nombreux membres des petites ethnies (dont des Russes) sont passés à l'ukrainien ou au russe.
Groupe ethnique | Population | Pourcentage | Affiliation linguistique |
Ukrainien | 33 057 000 | 75,5 % | |
Russe | 7 532 000 | 17,2 % | |
Roms de Balkans | 606 000 | 1,38 % | |
Ruthènes | 503 000 | 1,14 % | |
Moldave/Roumain | 370 000 | 0,86 % | |
Tatar de Crimée | 294 000 | 0,67 % | |
Biélorusse | 249 000 | 0,56 % | |
Bulgare | 185 000 | 0,42 % | |
Hongrois | 141 000 | 0,32 % |
langue ouralienne (ougrienne) |
Polonais | 130 000 | 0,29 % | |
Arménien | 90 000 | 0,20 % | |
Grec | 83 000 | 0,18 % | |
Tatar | 66 000 | 0,15 % | |
Juif de l'Est | 49 000 | 0,11 % | |
Rom des Carpathes | 43 000 | 0,09 % | |
Azerbaïdjanais du Nord | 41 000 | 0,09 % | |
Géorgien | 31 000 | 0,07 % | |
Allemand | 30 000 | 0,06 % | |
Gagaouze | 29 000 | 0,06 % | |
Coréen | 11 000 | 0,02 % | |
Ouzbek du Nord | 11 000 | 0,02 % | |
Tchouvache | 9 600 | 0,02 % | |
Indien | 9 000 | 0,02 % | |
Valaque (Rom roumanophone) | 8 900 | 0,02 % | |
Mordve | 8 400 | 0,01 % | |
Lituanien | 6 500 | 0,01 % | |
Arabo-ouzbek | 5 900 | 0,01 % |
langue mixte |
Slovaque | 5 800 | 0,01 % | |
Tchèque | 5 300 | 0,01 % | |
Kazakh | 5 000 | 0,01 % | |
Letton | 4 600 | 0,01 % | |
Ossète | 4 400 | 0,01 % | |
Oudmourte | 4 300 | 0,01 % | |
Lezghien | 3 900 | 0,00 % | |
Bachkir | 3 800 | 0,00 % | |
Mari des Basses Terres | 3 800 | 0,00 % | |
Tadjik | 3 800 | 0,00 % | |
Turc | 3 600 | 0.00 % | |
Turc meskhète | 3 600 | 0.00 % | |
Vietnamien | 3 500 | 0,00 % | |
Turkmène | 3 400 | 0.00 % | |
Albanais | 3 000 | 0,00 % | |
Assyrien | 2 800 | 0,00 % | |
Tchétchène | 2 600 | 0.00 % | |
Estonien | 2 600 | 0,00 % | |
Chinois mandarin | 2 000 | 0,00 % | |
Kurde yazidi | 2 000 | 0,00 % | |
Kurde kurmanji | 1 900 | 0,00 % | |
Rom des Balkans | 1 900 | 0,00 % | |
Tatar judéo-criméen | 1 700 | 0,00 % | |
Abkhaze | 1 500 | 0,00 % | |
Dargine | 1 500 | 0,00 % | |
Avar | 1 400 | 0,00 % | |
Carélien | 1 400 | 0,00 % | |
Juif karaïte | 1 200 | 0,00 % | |
Komi-Permyat | 1 100 | 0,00 % | |
Komi-Zyrian | 1 100 | 0,00 % | |
Kirghizes | 1 000 | 0,00 % | |
Lak | 900 | 0,00 % | |
Orok | 900 | 0,00 % | |
Pachtou | 900 | 0,00 % | |
Tabassaran | 900 | 0,00 % | |
Autres | 82 400 | 0,18 % |
- |
Total (est. 2019) | 43 774 800 | 100 % |
2.4 Les Ukrainiens et leur langue nationale
Parmi les 75,5 % d'Ukrainiens, 85,2 % d'entre eux considèrent que la langue ukrainienne est leur langue maternelle et le russe pour 14,8 % d'entre eux, ce qui porterait la proportion à 67,5 % pour l'ensemble du pays. Ainsi, la majorité des habitants de ce pays sont des Ukrainiens «d’origine» dont la langue maternelle est l’ukrainien, une langue slave de la famille indo-européenne et apparentée assez étroitement au russe et au biélorusse. Ces trois langues en constituaient jadis une seule, puis elles ont commencé à se fragmenter vers le Xe siècle pour devenir des langues différentes vers le XIVe siècle.
Historiquement, elles font partie des
langues slaves orientales
avec le ruthène. Contrairement à la croyance populaire, l'ukrainien diffère du russe, autant, par exemple, que le français de l'italien. Ces deux langues slaves que sont le russe et l'ukrainien s'écrivent avec l'alphabet cyrillique et sont demeurées proches l'une de l'autre, tant aux points de vue phonétique et grammatical que lexical. |
Il est vrai que la grammaire des deux langues présente beaucoup de similitudes et que leur vocabulaire coïncide — mais n’est pas semblable — dans une proportion d’environ 60%, un peu comme lorsque des mots français (dénoncer, cheval, décembre, etc.) ressemblent à des mots italiens (denunciare, cavallo, dicembre, etc.).
C'est pourquoi le russe et l'ukrainien peuvent donner l'impression à première vue d'être presque deux variantes régionales d'une même langue, mais ce n'est pas le cas. Ce sont bel et bien deux langues distinctes: un italophone ne comprend pas un francophone, alors que les deux langues ont une origine commune, comme c'est le cas pour le russe et l'ukrainien. D'ailleurs, un Russe unilingue ne peut comprendre la langue ukrainienne, bien que les langues soient considérées comme «proches». Voici quelques exemples en ukrainien, en russe et en biélorusse démontrant dans ce cas certaines ressemblances :
Ukrainien |
Russe |
Biélorusse |
Équivalent français |
khlib |
khleb |
kheb |
«pain» |
mist |
most |
most |
«pont» |
vkhid |
vkhod |
ouvakhod |
«entrée» |
stil |
stol |
stol |
«table» |
bilshovyk |
bolchevyk |
balchevyk |
«bolchevik» |
vulytsya |
oulitsa |
voulitsa |
«rue» |
divchyna |
devouchka |
daoutchina |
«jeune fille» |
Évidement, ces quelques exemples témoignent des similitudes, non des différences. Avant la soviétisation de l'Ukraine, on ne comptait pas beaucoup d'emprunts au russe (comme bilshovnyk issu de bolchevnyk), mais à partir des années 1930 les mots russes sont entrés massivement dans la langue ukrainienne et, dans beaucoup de cas, sans aucune nécessité, car ils étaient imposés par les Russes. Cette introduction importante de mots russes dans le vocabulaire ukrainien fut l’un des résultats de la politique de russification menée par le Parti communiste de l’URSS. En fait, 38% du lexique du russe et de l'ukrainien diffère, ce qui est un peu plus que l'espagnol et l'italien, qui diffèrent de 33%.
Un Russe de Moscou qui arrive à Kiev en croyant comprendre instantanément l'ukrainien déchante rapidement, car il se rend compte aussitôt qu'il demeure muet et sourd. Lorsque le président Petro Porochenko s'adressait en ukrainien au président russe Vladimir Poutine, celui-ci avait besoin d'un interprète. Un Russe ne peut parler l'ukrainien sans l'avoir appris, comme un Français ne peut comprendre un Espagnol sans avoir appris l'espagnol (ou l'inverse).
Je parle l'ukrainien Я розмовляю українською (cyrillique) Ya rozmovlyayu ukrayinsʹkoyu (transcription latine) |
Je parle le russe
Я говорю по русски (cyrillique) Ya govoryu po russki (transcription latine) |
Je parle le biélorusse
Я размаўляю па-беларуску (cyrillique) Ja razmaŭliaju pa-bielarusku (transcription latine) |
Tout en utilisant le même alphabet cyrillique, le russe et l'ukrainien ne l'écrivent pas de la même façon. Par exemple, le russe possède les lettres Ё/ё, ъ, ы et Э/э, qui ne sont pas utilisées en ukrainien. Au lieu de cela, l'ukrainien emploi les lettres Ґ/ґ, Є/є, Іі et Ї/ї. La prononciation des mots et des lettres varie également: le И en russe se prononce comme [é], alors qu'en ukrainien la même lettre se prononce comme un court [i], plus précisément entre [i] et [é]. Parfois, des mots peuvent être écrits de la même manière en russe et en ukrainien. Ainsi, le mot приклад (pryklad) signifie en russe «crosse de fusil», tandis qu'en ukrainien il signifie «exemple».
Un cas intéressant concerne le nom des mois de l'année. En russe, le nom des mois est très proche des autres langues européenne: Январь (yanvar), февраль (fevral), март (mart), апрель (aprel), mай (may), июнь (iyun), etc. Par contre, l'ukrainien a conservé davantage ses sources slaves: січень (sichen), лютий (lyutyy), марш (marsh), квітень (kviten), травень (cherven), etc.
La grammaire dans les deux langues est similaire, mais il subsiste certaines différences: si l'ukrainien utilise le passé continu, il n'y a que trois temps en russe (passé, présent et futur). En Ukraine, on pourrait dire : «Je suis en attente de vous» (чекаю ÿ на тебе > chekayu ÿ na tebe). Il n'est pas nécessaire d'avoir une conjonction en russe: Я жду тебя > YA zhdu tebya, ce qui signifie «je vous attends).
Une question fréquemment posée quand on fait référence à l'ukrainien par rapport au russe, c'est-à-dire le degré de similitude entre ces deux langues. Du point de vue lexical, l’ukrainien et le russe coïncideraient à 70,5 %,selon l’étude de Victor Koptilov (Parlons ukrainien: Langue et culture,1995, p. 72), tandis que la coïncidence entre le français et l’espagnol, par exemple, est de 75%, celle entre le français et l’italien de 89%, selon les données rassemblées par M.P. Lewis (Ethnologue, 2009). Cela n'empêche pas ces ressemblances d'aboutir à des langues différentes, peu intelligible entre elles.
- Les variétés dialectales de l'ukrainien
L'Ukraine n’est pas un pays linguistiquement homogène, bien que l'ukrainien soit parlé par la majorité des habitants. il n’existe pas de langue ukrainienne unique, mais plusieurs variétés et plusieurs formes d’ukrainien, sans oublier une présence importante du russe. Comme c'est souvent le cas pour de nombreuses langues européennes, l'ukrainien est fragmenté en plusieurs variétés dialectales. On distingue trois grands types de dialectes: les dialectes septentrionaux, les dialectes du Sud-Ouest et les dialectes du Sud-Est.
1) Les dialectes septentrionaux comprennent eux-mêmes le polissien occidental (n° 1), le polissien central (n° 2) et le polissien oriental (n° 3), sans la ville de Kiev.
2) Les dialectes du Sud-Ouest sont, dans l'axe nord ouest-est, le volynien (n° 4), le podillien (n° 5), le pokuttia (n° 6), le boyko (n° 7), le transcarpathien (n° 9), etc. Il y en a encore quelques autres.
2) Les dialectes du Sud-Est comprennent au nord-ouest le moyen-dnieprien (10), le dialecte des steppes (n° 11) et le slobodan (n° 12).
L'intercompréhension est relativement aisée entre toutes ces variétés dialectales, mais celles-ci servent à identifier l'origine géographique des locuteurs.
- L'ukrainien standard
L'ukrainien écrit correspond à ce qu'on pourrait appeler l'ukrainien standard, une forme normalisée utilisée dans l'administration et apprise à l'école; cette forme d'ukrainien n'est utilisée à l'oral que dans des circonstances formelles. Il s'agit de l'ukrainien de la ville de Kiev et associé à la littérature, donc utilisé par les écrivains et les auteurs classiques, surtout ceux du XIXe siècle. Comme on peut l'imaginer, l'ukrainien standard est la langue des dictionnaires, des manuels, des écrits officiels et de «l'environnement graphique de la ville» (affichage). Pour la plupart des Ukrainiens, c'est «le seul vrai bon ukrainien». Il est souvent qualifié de «pur» sans influence du russe, une affirmation qui ne correspond pas à la réalité. La variante officiellement reconnue de la langue ukrainienne littéraire est utilisée seulement par une petite partie de la population ukrainophone.
Cependant, pour beaucoup d'Ukrainiens, cette variété d'ukrainien standard apparaît comme un idéal difficile à atteindre plutôt qu’une réalité quotidienne. D'ailleurs, l’enseignement censé transmettre la norme est souvent critiqué parce que les enseignants ne maîtrisent pas toujours bien cette variété, sans parler des fonctionnaires dont la langue laisse parfois à désirer, surtout quand ils sont russophones. Les termes les plus souvent employés pour qualifier l'ukrainien standard semblent être les mots «littéraire», «authentique» et «pure» ajoutés au mot langue. Par conséquent, très peu d'Ukrainiens parlent l'ukrainien standard. En effet, seule une part relativement faible des Ukrainiens maîtrise réellement l'ukrainien standard. Mais tous parlent soit l'ukrainien urbain, soit une variété dialectale de l'ukrainien, soit le sourjyk.
À l'exemple du russe, du biélorusse, du serbe, du bulgare et du macédonien, la langue ukrainienne s'écrit avec l'alphabet cyrillique. On parle aussi de l'alphabet ukrainien lorsqu'on l'oppose à l'alphabet russe, dont il constitue une variante. Il est possible de transcrire l’ukrainien avec l’alphabet latin pour en faciliter la lecture à ceux qui ne peuvent pas lire l’alphabet cyrillique. |
En voici quelques exemples:
Mots français | Mots ukrainien en alphabet cyrillique | Mots ukrainiens en alphabet latin |
Langue ukrainienne |
Українська мова |
Ukrayinska mova |
- L'ukrainien urbain et le sourjyk
Ce qu'on appelle l'«ukrainien urbain» est la forme orale de l'ukrainien standard écrit. Mais il existe deux grandes variétés d'ukrainien urbain: celui des villes à majorité ukrainophone et celui des villes à majorité russophone. L'ukrainien urbain à majorité ukrainophone demeure peu influencé par le russe, alors que l'ukrainien urbain à majorité russophone l'est beaucoup plus. Cela signifie que l'ukrainien parlé dans l'Ouest diffère de l'ukrainien parlé dans l'Est. Dans les grandes villes ukrainienne, une autre forme d'ukrainien a fait son apparition depuis longtemps: le sourjyk (écrit sourjik, surzhik ou plus officiellement suržyk), mot qu'il convient de prononcer [sour-zhik]. Le sourjyk consiste non seulement à un mélange des langues, mais aussi à l'usage de l'ukrainien et du russe en alternance, y compris au cours d'une même conversation, souvent avec le même interlocuteur. Dans les villes ukrainophones, le sourjyk est moins fréquent, mais néanmoins présent, alors que dans les villes russophones les «sourjykophones» sont omniprésents. De plus, la part des mots russes dans le sourjyk peut varier non seulement d'une ville à l'autre, mais également d'un individu à l'autre. Ce n'est pas une variété normalisée! |
Selon les données présentées en 2003 par l'Institut international de sociologie de Kiev, de 11 % à 18 % de la population de l'Ukraine communiquerait en sourjyk. Plus précisément, le sourjyk est parlé par 2,5 % de la population dans l'ouest de l'Ukraine, alors qu'il est employé par plus de 12,4 % de la population dans le Sud. Parallèlement, 9,6 % de la population de l'Est emploie le sourjyk. Ce sont les oblats de la région du Centre-Est qui utilisent le plus le sourjyk. Néanmoins, il semble difficile d'obtenir des statistiques officielles pour les locuteurs du sourjyk, car la question portant sur la langue dans le dernier recensement décennal ne prévoyait comme réponse que «ukrainien» ou «russe», et non pas «sourjyk». L'utilisation du sourjyk est le fait des zones rurales. Dans les villes, les Ukrainiens ont tendance à parler l'ukrainien urbain ou le russe, contrairement aux habitants des zones plus rurales, car il y a un prestige associé à ces langues. |
On estime que 48 % des Ukrainiens du Sud-Est parlent quotidiennement le russe, contre 40 % pour ceux qui ne parlent que l’ukrainien (surtout les zones rurales et dans les villes de l'Ouest). Les 12 % restants parlent un mélange des deux, c'est-à-dire le sourjyk, ce qui signifie qu'il s'agirait là d'un phénomène propre aux ukrainophones russifiés, mais ce n'est pas aussi simple, car il existe un sourjyk chez les russophones (plus ou moins ukrainisés). Par contre, dans l'Ouest, 90 % des Ukrainiens ne parlent que l'ukrainien, mais dans les villes cette proportion monte à 50 %, tandis que le phénomène du sourjyk demeure plus marginal.
En général, le sourjyk est socialement mal perçu et peu valorisé. Bien souvent, les Ukrainiens eux-mêmes ne peuvent pas dire s'il s'agit de l’ukrainien ou du russe, tant les deux langues semblent fusionnées; pour eux, c'est soit de l'«ukrainien incorrect» soit du «russe incorrect»
ou du «mauvais ukrainien» ou du «mauvais russe». De toute façon, le sourjyk est perçu comme une
forme «incorrecte» de s'exprimer puisqu'il ne correspond à aucune des langues décrites et standardisées, que ce soit l'ukrainien ou le russe. Non seulement le sourjyk est considéré comme «incorrect», mais également comme un «ukrainien pourri», une «langue impure», probablement parce que «tout le monde peut parler comme ça», un phénomène d'hybridation témoignant qu'un individu
peine à s'exprimer autant en ukrainien qu'en russe. Il n'en demeure pas moins que le sourjyk correspond à une formidable adaptation linguistique de la part des Ukrainiens dans les milieux urbains.
- L'ukrainien de la capitale (Kiev-Kyiv)
Le nom officiel de la capitale est Kyiv en ukrainien, la forme Kiev est d'origine russe; c'est cette forme qui est passée au français et à l'anglais dans «Kiev». Aujourd'hui, les autorités ukrainiennes proposent généralement pour le français et l'anglais la forme Kyiv. En 1995, le gouvernement ukrainien a fait adopter une résolution officielle concernant l'usage des formes étrangères pour désigner la capitale: en alphabet latin, la forme ukrainienne de Kyiv (en cyrillique: Київ) est proposée en lieu et place de Kiev (en cyrillique: Киeв) parce qu'elle correspond mieux à la prononciation ukrainienne que la russe. Voici le texte (en traduction) de la résolution de la Commission ukrainienne pour la terminologie légale reconnue: Protocole n° 1 du 14 octobre 1995 Sur la base de l'analyse d’experts de l'Institut de la langue ukrainienne de l'Académie nationale des sciences de l'Ukraine au sujet de la correspondance en alphabet latin du toponyme Kiev en ukrainien, étant donné que l'orthographe Kyiv est en effet la pratique moderne dans les communications internationales de l'Ukraine, qu’il est urgent de standardiser la recréation des noms propres ukrainiens par des lettres latines dans un contexte d'intégration de l'Ukraine dans la réalité légale du monde, conformément au point 6 de la partie 4 (b) de la Disposition sur la Commission ukrainienne pour la terminologie légale, approuvée par le décret no 796 du président de l'Ukraine le 23 août 1995 «concernant la disposition en Comité pour les initiatives législatives relatives au président de l'Ukraine, à la Commission de la codification ukrainienne et à la Commission ukrainienne pour la terminologie légale», la Commission a APPROUVÉ : 1) Il est reconnu que l'orthographe latine de Kiev ne recrée pas les particularités phonétiques et écrites du toponyme de la langue ukrainienne. 2) Il est confirmé que l'orthographe de Kyiv comme correspondance de l'écriture latine standardisée du toponyme Київ dans la langue ukrainienne. 3) Sur la base du point 7 de la Disposition de la Commission ukrainienne pour la terminologie légale, il est déterminé comme obligatoire l'orthographe en alphabet romain standardisée de Kyiv pour l'emploi dans les textes législatifs et officiels. 4) La résolution entre en vigueur au moment de son approbation. Chef de la Commission, Une bonne translittération française serait «Kyiv» ou «Kyïv» (en prononçant [Kyi-iv]), et celle en anglais serait «Kyyiv», mais jamais «Kyev». Évidemment, la loi ukrainienne n'a juridiction qu'en Ukraine et elle ne peut obliger un autre pays à utiliser une forme ou une autre. Cela dit, la forme Kiev en français (comme en anglais) demeure encore la plus répandue.
parce qu'elle est «française». Même le dictionnaire Le Petit Robert des noms propres n'utilise encore que la forme «Kiev». Cela étant dit, il est possible que la forme Kyiv entre progressivement dans l'usage des francophones, un peu comme Pékin et Beijing pour la capitale de la Chine.
Cependant, il faudrait l'écrire sous la forme de »Kiive».
Dans la capitale, le bilinguisme russo-ukrainien est une nécessité
plus que dans toute autre ville, puisque le nombre des russophones est
légèrement supérieur au nombre des ukrainophones. Bien que l’ukrainien ait été
promu au rang de seule langue officielle, ce statut n'a encore occasionné que
fort peu de retombées sur l’usage de l'ukrainien à Kiev qui, on le sait, a été
passablement russifiée depuis longtemps, même si un certain progrès a été
réalisé depuis 1991, notamment dans l'administration et les établissements
d'enseignement. Dans l'ensemble, la langue russe reste à Kiev un moyen de
communication essentiel dans les situations de communication formelle et
informelle, et assure sa prédominance dans les milieux professionnels, ainsi que
dans les grandes manifestations culturelles, incluant la presse et à la
télévision. On peut même affirmer que le Kiévien type est un locuteur du russe.
Il n'existe pas de mauvaises façons de parler le russe à Kiev et il n’y a pas
réellement de norme idéale du «parler russe correct». Généralement, il vaut
mieux ne connaître que le russe à Kiev, plutôt que seulement l'ukrainien!
Évidemment, la population kiévienne paraît favorable à une «dérussification»
des usages linguistiques dans la ville où l'affichage est uniquement en
ukrainien. Jusqu'à récemment, les autorités (généralement très russifiées)
n'avaient pas manifesté beaucoup d'empressement pour changer la situation;
beaucoup d'Ukrainiens ont accusé les autorités de «lenteur» et de «mollesse»
dans l’affirmation du droit légitime de la langue ukrainienne. Il est possible
que la vague de nationalisme chez beaucoup d'Ukrainiens devrait à long terme
avoir des effets dans un éventuel processus de transformation et que le russe
devra faire face à la pression politique soucieuse d’introduire l’usage
croissant de l’ukrainien.
- L'ukrainien rural et le sourjyk
L'ukrainien parlé dans les campagnes («en
province») comporte de nombreuses formes dialectales, tant au point de vue
phonétique que lexical. Pour les Ukrainiens des villes, l'ukrainien rural est
considéré presque comme «une autre langue», car cette variété est très marquée
comme essentiellement régionale, patoisante et porteuse d'une origine
géographique spécifique, avec des connotations archaïsantes. On ne peut employer
socialement l'ukrainien rural dans les villes. Toute variété régionale est
exclue du parler urbain. On constate aussi que plus un
Ukrainien est éloigné des villes plus il renforce son effet patoisant. Par
contre, s'il demeure près d'un centre urbain, son ukrainien rural prendra
davantage une forme hybride qui subit les effets d'une certaine
russification. En somme,
l'ukrainien rural est stigmatisé comme une «mauvaise façon de parler» lorsqu'il
est employé dans une ville; il est apparenté à la «langue des paysans», donc
«grossier» et «désagréable» pour un citadin.
La tendance
normale pour ne pas se démarquer dans un milieu urbain serait de se débarrasser
de sa «provincialité» et, idéalement, de passer au russe, une langue plus
gratifiante. Cependant, comme il est difficile d'apprendre le russe
instantanément, il paraît plus simple de commencer à parler le sourjyk (en anglais: Surzhyk ; en ukrainien, suržyk). Dans une première phase d'intégration, l'Ukrainien rural mélange d'abord les deux langues (le sourjyk), pour espérer, dans le meilleur des cas, en arriver à un bilinguisme presque égalitaire, généralement à dominante ukrainophone, bien qu'il puisse subsister un accent d’origine. En somme, il existe une opposition entre les villes, aux parlers plus «purs», et les campagnes, aux parlers plus «impurs». Cette différenciation est donc d'origine socio-économique.
2.5 La répartition spatiale des langues
avant la guerre La carte ci-dessous illustre la répartition spatiale des ukrainophones et des russophones dans le pays, selon le recensement de 2001. Les locuteurs de l'ukrainien sont majoritaires à plus de 90 % dans l'Ouest (Valhynie, Lviv, Rivne, Ternopil, Ivano-Frankivsk, Jytomyr, Vinnytia), sauf dans la Transcarpathie où vivent aussi
une importante minorité hongrois; l'oblast de Tchernivtsi abrite beaucoup de locuteurs du roumain. Ce sont des raisons historiques qui expliquent en partie la répartition entre l'Ouest ukrainophone et l'Est russophone. L'Ukraine occidentale a, en effet, été annexée à l'Union soviétique plus tardivement et l'Ukraine de l'Est fut vidée d'une partie de sa population ukrainophone par les répressions staliniennes. Les ukrainophones sont aussi largement majoritaires dans les régions du Centre:
les oblasts de Kiev (92,3%), de Tcherkasssy (92,5%), de Kirovohrad (88,9%), de Tchernihiv (89%), de Soumy (84%) et de Poltava (90%).
Dans la région autonome de Crimée, on comptait, avant la sécession, 65% de Russes, 22% d’Ukrainiens et 10% de Tatars.
Néanmoins, il faut comprendre que les ukrainophones sont partout, y compris dans les zones russophones du Sud et de l'Est, notamment dans les régions rurales (voir la carte des villes ukrainiennes). L'ouest de l'Ukraine correspondrait à ce qu'on peut appeler «l'Ukraine profonde», celle où la quasi-totalité des gens parle l'ukrainien tous les jours et affirme ne pas savoir le russe. Le Centre et l'Est sont des régions plus mixtes, mais le Sud est
en principe aussi unilingue russe que l'Ouest est unilingue ukrainien. Traditionnellement, c'est le Dniepr qui distingue l'Est de l'Ouest, mais la région du Centre couvre les deux rives du fleuve (voir la carte). En général, les russophones de l'Est et du Sud ont tendance à ignorer l'ukrainien, mais la situation est plus complexe qu'il n'y paraît. Dans certaines familles russophones de la haute société kiévienne, la nouvelle mode est d’embaucher du personnel parlant un ukrainien standard, et de faire des efforts personnels afin de ne parler que l’ukrainien aux enfants dès leur enfance. Il n'en demeure pas moins que les russophones sont généralement partagés entre leur appartenance à la russophonie et leur identification nationale qui passe par l’ukrainophonie. Si beaucoup de russophones se soumettent à cette ukrainophonie, de façon plus ou moins fataliste, d'autres s’opposent plus ouvertement à cette ukrainisation. Les sentiments qu'ils éprouvent peuvent être contradictoires dans la mesure où ils varient de l’attachement affectif à l'Ukraine, parfois à sa culture (et sa langue?) jusqu'à l’hostilité pure et simple, le tout alimenté par les relations conflictuelles entre l’Ukraine et la Russie. Chose certaine, rares sont les russophones du Sud-Est qui croient encore que l'Ukraine deviendra un jour une «province de
la Russie». Historiquement, l'Ouest ukrainien n’a pratiquement jamais accepté la russification massive et constante du Sud-Est. L'Ouest a jadis fait partie de l'Empire austro-hongrois et a été annexé à l'Union soviétique plus tard que le reste du pays, soit 1939 au lieu de 1922; il a pu mieux préserver sa langue, et ce, d'autant plus que le voisinage de la Pologne lui fut bénéfique. Rappelons encore que la population de l'Ukraine est urbanisée dans une proportion de 67,2 % et rurales à 32,8 %. Dans les principales divisions administratives et territoriales de l’Ukraine, sauf pour ce qui est de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol, les Ukrainiens forment la majorité absolue. On emploie souvent le terme «Russes» pour désigner les russophones,
bien que la plupart d'entre eux soient des Ukrainiens d'origine, mais russifiés au cours des décennies, sinon des siècles. Ce sont donc des Ukrainiens russophones, non des Russes
dit «ethniques» comme ceux qui vivent en Russie. L'Ukraine est leur patrie, mais ils demeurent
russophones et étaient jusqu'à récemment (avant l'invasion russe de 2022) très russophiles en raison de la proximité géographique, linguistique et culturelle
avec la Russie. En raison des politiques d'assimilation entamées d'abord par
l'Empire russe, puis par le
Régime soviétique, la plupart des russophones
revendiquent une culture davantage russe plutôt qu'ukrainienne; ils ont donc tendance à
penser comme des «Russes ethniques» — c'est-à-dire d'origine
— plutôt
que comme des «Ukrainiens». Néanmoins, si les russophones d'Ukraine sont
attachés à la culture russe, ils n'ont en principe pas de liens particulièrement
forts avec la Russie. La plupart d'entre eux sont nés en Ukraine, tandis que la Russie ne
représente qu'un endroit où ils vont de façon occasionnelle. Il n'est donc pas
toujours facile de distinguer les «Russes ethniques» des «Ukrainiens russophones», bien que
les deux groupes soient généralement associés. Autrement dit, le fait de parler
russe n'en fait pas un(e) Russe, bien que le président Poutine considère les
russophones d’Ukraine comme des Russes «loyaux à la Russie»! La langue n'est pas
le seul critère pour désigner une ethnie. Il y a notamment la géographie, la
culture, l'histoire et le régime politique. C'est ainsi qu'un(e) Écossais(e) ou
un(e) Australien(ne) ne se considère pas comme un(e) Anglais(e) en parlant
anglais. Les russophones et/ou les Russes ethniques constituent la «minorité
numérique» la plus importante du pays avec 7,5 millions, soit 17,2% des habitants de l'Ukraine. Au plan, social, les russophones ne forment pas une minorité comme les autres,
car le russe est plus qu’une langue
minoritaire. Au plan numérique, elle l'est, mais elle agit comme une majorité
fonctionnelle, car elle est comprise par la grande majorité des Ukrainiens qui
l'utilisent plus ou moins, selon les circonstances, dans leur vie quotidienne.
Avant 2014, la plupart des villes d'Ukraine, des secteurs clés de
l’économie et des médias, sans oublier la plupart des postes prestigieux en
éducation, étaient entièrement occupés par les Russes ethniques et les locuteurs
russophones. Les villes étaient restées le lieu marqué par la russification.
Bien que le libre choix de la langue fussent la règle, c'était une fiction dans
les villes russifiées. Vouloir employer l'ukrainien était un lourd prix à payer,
le mépris n'était jamais très loin. C’est la raison pour laquelle la plupart des
locuteurs de l'ukrainien, notamment ceux qui émigraient des villages ou des
petites villes de langue ukrainienne dans les grandes villes, passaient aussitôt
au russe, même entre ukrainophones, dans les conversations hors du foyer
familial. - Les Russes ethniques
Selon le recensement de 2001, les Russes
ethniques comptaient pour 38,2 % dans le Donetsk et 47,0% dans le
Louhansk. La proportion des russophones dépassait celle des
Russes ethniques : 74,9% dans le Donetsk, 85,3 dans le Louhansk. Les
ukrainophones représentaient 24,1% dans el Donetsk et 13,7 dans le
Louhansk. Il faut comprendre que beaucoup d'Ukrainiens
déclaraient le russe comme langue maternelle et il en était ainsi
pour une foule de petites minorités biélorusses, grecques, tatares,
arméniennes, azéries, géorgiennes, etc. sk, alors que
dans ces régions ukrainiennes les minorités de Russes ethniques
représentaient 39 % dans l’oblast de Louhansk et 38,2 % dans celui
de Donetsk.
Dans la vie quotidienne, la langue russe servait
de langue véhiculaire pour 95,9% des Donbassiens contre 3,9% pour
l'ukrainien. Bref, les non-Russes ethniques, étaient
considérablement russifiés et assimilés. L'élite des Russes
ethniques se comportait comme dans les colonies: beaucoup avaient
quitté la Russie, mais à la condition de conserver leur domination
politique, économique et culturelle sur les peuples «indigènes». Par ailleurs, les sondages de 2011 portant sur les identités régionales en Ukraine
ont révélé que près de 40 % des résidents du
Donbass se réclamaient d'une
«identité soviétique». Enfin, selon le Centre des études sociologiques Razoumkov
(du nom d'un politicien ukrainien),
92% des citoyens ukrainiens estimaient en 2016 qu’ils étaient des «Ukrainiens
ethniques», 6% estimaient qu’ils étaient des «Russes ethniques» et 1,5%
affirmaient représenter d’autres peuples. Depuis 1991, c’est le taux le plus
élevé de l’autodétermination ukrainienne en raison de l’annexion de la Crimée et
de la guerre dans le Donbass. - Le russe kiévien Les russophones possèdent certaines particularités par rapport aux
Russes dits «ethniques» plus proches de la Russie. Ils parlent une forme régionalisée du russe qu'on pourrait
qualifier de «russe kiévien» parce que c'est celui en usage dans la ville de Kiev;
on utilise aussi l'expression «russe ukrainien».
En ce sens, le russe kiévien s'oppose au «russe moscovite» (dit «standard»)
parlé en Russie. Les deux formes sont mutuellement intelligibles, mais néanmoins
identifiables par tout russophone. Le russe kiévien s'est constitué au
cours de l’histoire par contact avec les réalités linguistiques et culturelles
ukrainiennes. C'est donc une variété de russe influencée par l'ukrainien. Le russe kiévien est d'abord marqué phonétiquement, notamment par
un accent et une certaine tendance à remplacer une consonne russe sonore par une
consonne ukrainienne sourde. Il existe aussi de légères différences au point de
vue grammatical. Le vocabulaire ukrainien a également influencé le russe local,
surtout depuis l'indépendance, alors que l'Administration a introduit de
nouveaux vocables techniques désignant des réalités administratives,
structurelles et urbaines, notamment l'environnement graphique de la ville
(affichage). Enfin, de façon générale, le russe kiévien semble être caractérisé
par un vocabulaire plus restreint par rapport au russe standard. - La concentration géographique Les plus grandes concentrations de russophones en Ukraine sont dans les oblasts de Kharhiv
(25,6%), de Donetsk (38,2%), de Louhansk (39,0%) et de Zaporijia (24,7%), ainsi que
dans quelques villes de l'Est: Kherson, Mykolaïv et Odessa. Dans l'oblast
d'Odessa, les russophones sont concentrés dans la partie méridionale près de
la frontière avec la Moldavie et la Roumanie. Bien que les Russes ne soient pas majoritaires dans l'Est et
le Sud, ces régions constituent pourtant des bastions russophones au sein
desquels la population, et les Russes notamment, affichent une identité
supranationale plus forte que dans le reste du pays. Leur répartition actuelle s'explique essentiellement par des
raisons historiques, le Sud et l'Est ayant été intégrés dans l'Empire russe dès
le XVIIe siècle. Dans le Sud, la domination du russe a débuté dès 1667, lors du traité d'Androussov (ou Androussiv), qui partageait l'Ukraine et la Pologne, ce qui explique cette prédominance encore aujourd'hui. Les «régions russophones» reposent sur une grande industrie héritée de l’époque soviétique, laquelle était étroitement liée pour ses approvisionnements en énergie et en matières premières à la Russie.
Le sondage indique que les habitants de la région de l'Ouest parlent l'ukrainien dans une proportion de 94,4%, ceux du Centre (incluant Kiev), dans une proportion de 61,2%. La région du Centre-Est montre que 31,0% des locuteurs parlent l'ukrainien contre 46,4% pour le russe. Les régions du Sud et de l'Est sont majoritairement russophones, respectivement 82,3% et 86,8%.
Ces résultats ont le mérite d'être clairs: les habitants de la partie orientale de l’Ukraine ne s’identifient pas comme des Russes, mais comme des «gens d'ici», ce qui signifie des Ukrainiens russophones. Pour certains observateurs, l’encadrement politique dans lequel vivent les russophones du Sud-Est n’en fait pas nécessairement des militants pro-communistes ou pro-Russie, mais plutôt des citoyens encore politiquement passifs qui ont peur de revendiquer quoi que ce soit, car ce n'est pas dans leur culture. Ils se cherchent encore une identité propre. S'il faut reconnaître des différences héritées de l'histoire entre les territoires situés de part et d'autre du Dniepr, une nouvelle identité ukrainienne pourrait bientôt se profiler, dans laquelle les éléments russes et ukrainiens seraient mieux intégrés. Malgré sa position prédominante depuis des décennies dans les villes, le russe commence à régresser, notamment dans l'administration, l'éducation et surtout dans l'affichage exclusivement ukrainien. - La langue russe parlée à la maison Si la langue russe est la langue maternelle de 39,0 % de la
population de l'oblast de Louhansk, elle est parlée à la maison dans
une proportion de 96%. Cela signifie que 58% des non-russophones
parlent cette langue dans leur propre foyer. Nous pouvons observer
ce genre d'écart considérable dans les oblasts de Donetsk (38,2% >
97%), de Zaporijia (24,7% > 94%), de Kherson (14,1% > 91%), d'Odessa
(20,7% > 96%), de Kharkiv (25,6% > 94%), de Mykolaïv (14,1% > 87%).
Bref, les locuteurs des oblasts de Themihiv, de Kahkiv, de
Louhansk, de Donetsk, de Zaporijia, de Dnipropetrovsk, de Kherson,
de Mykolaïv et d'Odessa parlent le russe à la maison dans des
proportions supérieures à 80%. Ainsi, on parle russe dans tous les
oblasts, même lorsque les russophones sont très minoritaires, comme
dans les régions occidentales du pays. Ces résultats illustrent le degré de russification chez les
ukrainophones. Plus de la moitié de la population de l'Ukraine, soit
52,08%, emploient le russe à la maison, alors que les russophones
représentent 17,2 % de la population, les
ukrainophones, 75,5 %. De plus, cette russification est
beaucoup plus accentuée dans les centres urbains que dans les zones
rurales. Plus précisément, une moyenne de 96% dans l'oblast de
Louhansk pourrait signifier près de 100% dans les villes et moins de
96% dans les zones rurales. On pourrait affirmer que l'ukrainien parlé aujourd'hui, près de
25 ans après avoir été déclaré langue officielle du pays au moment de son
indépendance, porte encore les traces des siècles d'oppression linguistique
et démographique. Il n'est pas normal que la quasi-totalité des ukrainophones adultes soient bilingues et parlent la langue de la minorité,
ce devrait être le contraire. En fait, les années de domination soviétique
ont créé une hiérarchie linguistique, dans laquelle le russe est devenu la
langue de la mobilité économique et sociale, tandis que l'ukrainien était
toujours considéré comme une langue rurale. Cette perception semble bien
ancrée encore dans les esprits des Ukrainiens.
2.7 Les autres minorités
nationales Les autorités ukrainiennes font une distinction entre les expressions «minorités nationales» et «peuples autochtones d'Ukraine». - Les peuples autochtones En tenant compte de la définition du mot «autochtone» en français,
il s'agit d'individus qui vivent dans un pays et qui ne viennent pas de
l'immigration, donc qui sont nés dans le pays. Les peuples autochtones en Ukraine seraient les suivants: les Ukrainiens,
ukrainophones comme russophones, les Tatars de Crimée,
les Karaïtes, les Criméens (ou Krymchaks), les Grecs de l'Azov et les Gagaouzes.
Cependant, la Loi sur les peuples autochtones
de 2021 ne considèrent comme «autochtones» que les Tatars, les Karaïtes et les
Krymchaks. Les Tatars, les Karaïtes et les Criméens (ou Krymchaks) sont tous des peuples originaires de la Crimée et parlent tous une langue turcique
différente (ainsi que le russe). Les Tatars sont de confession musulmane, les Karaïtes pratiquent le karaïsme, une branche du judaïsme, alors que les Krymchaks professent un judaïsme orthodoxe. Étant donné que l'Ukraine ne contrôle plus la péninsule de la Crimée, cette reconnaissance tourne à vide, car les autorités ukrainiennes ne peuvent ni intervenir ni appliquer quelque mesure que ce soit. - Les Grecs Avant l'invasion russe de 2022, la quasi-totalité des Grecs (85%) habitait dans la ville portuaire de Marioupol
— «la ville de Marie» en grec — et ses environs, sur les rives de la mer d’Azov dans l'oblast de Donetsk. Au plan linguistique, il convient de distinguer les Grecs de Marioupol en deux groupes: les Grecs hellénophones
très minoritaires (les rumeï) et les Grecs turcophones très majoritaires (les urumy). Les Grecs de l'Ukraine sont venus s’installer en Crimée au temps de grandes migrations dans l’Antiquité, mais à la fin du XVIIIe
siècle Catherine la Grande «transféra» les Grecs de la Crimée jusqu'aux rives de la mer d’Azov.
Deux cents ans plus tard, jusqu'à l'invasion russe, ils habitaient toujours la même région dans le
Donbass, autour de la ville de Marioupol, d’où leur appellation de «Grecs de Marioupol» ou «Grecs de la région de la mer d’Azov», tous turcophones parlant l'ouroum. On trouve aussi de petites communautés grecques dans les oblasts de Kherson, de Mykolaïv et
d'Odessa. D'autres Grecs, hellénophones, résident dans les villes des oblasts d'Odessa, de Kharkiv et de Kiev,
la capitale. Les Grecs d’Ukraine compteraient officiellement qu’environ 93 000 membres, dont 83 000 turcophones et 10 00 hellénophones, mais certaines sources parlent de 150 000
locuteurs. - Les Gagaouzes Quant aux Gagaouzes, ils habitent surtout dans la région d'Odessa près des frontières avec la Roumanie et la Moldavie, mais quelques petites communautés résident dans les
oblasts de Mykolaïv, de Donetsk, de Louhansk, de Dnipropetrovsk, de Zaporijia et de Kherson. La plupart des Gagaouzes (71%) considèrent le gagaouze, une langue turcique, comme leur langue maternelle, tandis qu'une proportion importante (23%) considère le russe comme leur langue maternelle. Tous ces peuples dits «autochtones» subissent une intense russification, et ce, d'autant plus que la plupart d'entre eux sont hors de contrôle des autorités ukrainiennes. En effet, la Crimée a été annexée par la Russie, alors que le
Donbass s'est autoproclamé indépendant et est devenu une zone de guerre. - Les minorités nationales Tous les autres groupes ethniques résidant en Ukraine sont des «minorités nationales», c'est-à-dire une diaspora de peuples qui ont leur propre patrie ethnique ou leur origine nationale en dehors de l'Ukraine. Mentionnons les Russes
«ethniques», les Biélorusses, certains Juifs, les Moldaves, les Polonais, les Roumains,
certains les Hongrois, etc. Les langues des minorités nationales reconnues sont les suivantes: en
plus du grec et du gagaouze, ce sont le bulgare, le grec, l'hébreu, le moldave, le polonais, le roumain, le hongrois, l’allemand, le biélorusse et le slovaque. Le cas de la langue russe est plus problématique à classer.
Numériquement, le russe est une langue minoritaire. Socialement et
fonctionnellement, c'est une langue «majoritaire» au même titre que l'ukrainien. Six autres groupes ethniques comprennent entre 100 000 et 300 000 locuteurs: les Biélorusses (249 800), les Moldaves (234 600), les Bulgares (185 000), les Hongrois (141 000), les Roumains (136 000) et les Polonais (130 000). Pour le gouvernement ukrainien, il faudrait tenir compte des Tatars de Crimée (294 00). Pour ce qui est des Ruthènes, l'État ukrainien les considère comme des Ukrainiens, car le terme «ruthène» est employé en hongrois et en roumain pour désigner les Ukrainiens.
De plus, onze autres groupes ethniques comptent entre 10 000 et 99 000 locuteurs: les Arméniens, les Grecs, les Tatars, les Juifs, les Roms des Carpates, les Azerbaïdjanais, les Géorgiens, les Allemands, les Tsiganes (Roms), les Allemands, les Azerbaïdjanais, les Gagaouzes, les Géorgiens, les Lituaniens et plusieurs groupes appartenant aux langues altaïques telles que les Tchouvaches, les Ouzbeks, les Mordviniens, les Kazakhs, etc. Mentionnons aussi une langue particulière, le trasianka (< biélorusse : трасянка). Il s'agit d'une langue mixte mélangeant le biélorusse et le russe. Cette langue est répandue en Biélorussie, mais également dans les régions frontalières de l'Ukraine, dans l'oblast de Tchermihiv, surtout dans les zones rurales. Le trasianka peut être comparé au sourjyk, sauf que c'est le biélorusse qui remplace l'ukrainien. C'est là encore le résultat de quelques siècles de russification, commencée au temps de l'Empire russe et poursuivie par le régime actuel en Biélorussie. Les nombreux autres groupes nationaux comptent moins de 10 000 locuteurs par langue. Selon le rapport présenté par l’Ukraine au sujet de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (2 nov. 1999), plus de 130 nationalités étaient représentées en Ukraine. La composition linguistique de l'Ukraine, à partir du recensement de 2001, est caractérisée par les données suivantes : Bien que ces données ne soient pas à jour, elles donnent une idée du degré de bilinguisme chez les minorités nationales. Parmi celles-ci, les Polonais ont choisi de façon importante l'ukrainien pour langue maternelle à 71 % (12,9 % pour le polonais et 15,6 % pour le russe), les Allemands à 22,2 %, les Tsiganes à 21,1 %, les Biélorusses à 19,8 %, les Juifs à 13,4 % ainsi que les Moldaves à 10,7 %. Parmi les nationalités qui ont très peu choisi l'ukrainien comme langue maternelle, on peut citer, outre les Russes, les Tatars de Crimée (0,1 % et 6,1 % pour le russe), les Hongrois pour 3,4 % (le hongrois pour 95,4 %). À l'exception des Russes et des nationalités citées auparavant, plus de la moitié des Moldaves (70 %), des Roumains (91,7 %), des Arméniens (50,4 %), des Azéris et des Gagaouzes (71,5 %) ont choisi leur propre langue comme langue maternelle. Enfin, le russe a été choisi par les Grecs d'Ukraine à 88,5 %, les Juifs à 83 %, les Biélorusses à 62,5 %, les Allemands à 64,7 %, les Tatars de l'Oural à 58,7 % et les Géorgiens à 54,4 %. On observe aussi des situations de «minorité au sein d’une minorité» dans un certain nombre de municipalités à l’intérieur des oblasts (régions) ainsi que dans certaines collectivités locales. Par exemple, les Roumains constituent la majorité de la population du district d’Hertsajiv de l’oblast de Tchernivtsi, tandis que les Bulgares sont en majorité dans le district de Bolgrad de l’oblast d’Odessa et que les Hongrois sont le groupe national le plus important dans le district de Berehove de l’oblast de Transcarpathie (Zakarpattia en ukrainien). Il existe également, dans certaines collectivités locales, des quartiers d’habitation dans lesquels d’autres groupes ethniques, comme les Biélorusses, les Grecs, les Gagaouzes, les Moldaves, les Polonais et les Tatars de Crimée, constituent une majorité.
2.8 Le bilinguisme des Ukrainiens On dit aujourd'hui que l'Ukraine est un pays bilingue et que ce ne serait pas une juxtaposition de deux communautés unilingues (voir la carte des villes ukrainiennes): l'une étant exclusivement ukrainophone, l'autre exclusivement russophone. La plupart des Ukrainiens comprendraient le russe et l'ukrainien, alors qu'un quart de la population combinerait l'emploi des deux langues dans leur vie quotidienne, les autres ayant une langue de préférence. - Les langues parlées à la maison Une enquête menée en 2007 par le Centre Razoumkov révélait que 21,5 % des personnes interrogées ne pouvaient guère décider laquelle, de l'ukrainien ou du russe, était leur langue maternelle, ce résultat étant particulièrement élevé dans le Sud à 25,5 % et dans l'Est à 32,2 %. Le nombre de personnes bilingues dans ces régions traditionnellement russophones est égal ou supérieur à celui des personnes qui se réclament de l'ukrainien comme langue maternelle. Dans l'ensemble du pays, selon l'Institut de sociologie de l'Académie nationale des sciences, les citoyens où l'on parle les deux langues à la maison sont estimés à 17,1 % en 2011, contre 32 % en 1992 (voir le tableau de gauche). Ainsi, la part du bilinguisme au foyer aurait considérablement baissé. Par contre, l'emploi de l'ukrainien au foyer a augmenté, passant de 36,8 % en 1992 à 42,8 % en 2011. Le russe a également augmenté, de 29,0% en 1992 à 38,6 % en 2011. Ce sont donc les foyers où l'on parlait les deux langues, l'ukrainien et le russe, qui ont vu leur part s'éroder. Une enquête menée en avril 2002 par le Centre Socis démontrait que le groupe parlant les deux langues à la maison est composé en grande partie d'individus ayant l'ukrainien comme langue maternelle, soit 65 %, comparativement à 34 % pour ceux dont le russe est la langue maternelle. Pour certains linguistes, le bilinguisme serait généralement une étape intermédiaire vers la russification de la langue ukrainienne. Le bilinguisme collectif est étendu sur presque tout le territoire, mais de façon asymétrique: il y a toujours une langue plus forte que l'autre. Dans l'Ouest, c'est l'ukrainien, dans l'Est, le russe. Par exemple, dans l'oblast de Soumy (voir la carte détaillée des régions), où 24 % de la population locale considère le russe comme sa langue maternelle et 75% l'ukrainien, 25% parlaient le russe à la maison en 2002, alors que seulement 29% des 75% des ukrainophones parlaient exclusivement l'ukrainien à la maison, tandis que 46% parlaient les deux langues. Dans l'oblast de Mykolaïv (voir la carte), 60% de ceux qui ont indiqué l'ukrainien comme langue maternelle, 10% ne parlent que l'ukrainien à la maison, contre 40% pour le russe. Dans l'oblast de Donetsk (voir la carte), 10% des personnes interrogées ont admis avoir l'ukrainien comme langue maternelle, mais moins de 1% parlaient l'ukrainien, alors que 87 % des russophones ne parlaient que russe et 12%, les deux langues «selon les circonstances». - Le bilinguisme individuel et la langue
maternelle Le bilinguisme individuel ne semble pas très égalitaire en Ukraine, selon qu'on parle l'ukrainien ou le russe comme langue maternelle. Il y a plus d'ukrainophones qui passent au russe que de russophones qui changent de langue pour l'ukrainien. Ainsi, entre 1992 et 2010, le passage du bilinguisme vers l'unilinguisme ukrainien n'existe que dans l'ouest du pays où la proportion d'individus bilingues a diminué de 19% à 6%, en raison d'une augmentation des locuteurs de l'ukrainien. Cependant, au même moment, plusieurs autres régions (oblasts) sont en cours de russification. Dans le Sud, seul 1% des bilingues est passé à l'ukrainien contre 9 % au russe. En conséquence, la part de ceux qui parlent le russe à la maison a augmenté de 43% à 54% dans le Sud et de 56% à 64% dans l'est de l'Ukraine.
Quoi qu'il en soit, la maîtrise souvent égale des deux langues en Ukraine n'est
pas sans poser des problèmes dans la mesure où elle remet en cause la notion
même de «langue maternelle». D'ailleurs, de nombreux ukrainophones hésitent à
cocher dans une case de recensement «ukrainien» ou «russe», tellement ils ne
savent plus quelle est leur langue maternelle. Or, celle-ci est en général
considérée par les répondants comme une confirmation de leur appartenance
ethnique. Un sondage réalisé en 2000 indiquait, par exemple, que 62,6% des
habitants de la ville de Kiev désignaient l'ukrainien comme leur langue
maternelle, bien que seuls 15,6% parlaient cette langue à la maison. Dans les grandes villes du Sud, de l’Est et en partie du Centre, la langue ukrainienne est pratiquement absente, car elle est parlée uniquement par des intellectuels, surtout des écrivains, des artistes, des scientifiques, quelques militants des mouvements sociaux ou des partis politiques à orientation nationale ukrainienne. Ceux qui parlent l'ukrainien dans ces régions (oblasts) résident dans les zones rurales.
Bref, la prochaine carte linguistique va montrer que la langue russe couvre au
moins 98% du territoire criméen. - La ville de Kiev Il ne faudrait pas oublier la ville de Kiev. En 2008, le Centre d'études sociologiques Dumka Hromadska a mené une enquête sociologique pour déterminer quelle était la situation linguistique à Kiev. La question était la suivante : «Quelle langue utilisez-vous dans la vie quotidienne ?» Les réponses ont été les suivantes : - 52 %, principalement le russe; Ces résultats démontrent que le bilinguisme individuel n'est le fait que du tiers de la population de Kiev. Dans cette ville traditionnellement bilingue, l'usage veut que, dans les communications interpersonnelles, les individus s'expriment dans la langue de leur choix, mais il est considéré comme «offensant» de ne pas comprendre la langue de l'autre. Il est courant de poser une question en russe et de se faire répondre en ukrainien, ou vice versa. C'est une pratique courante à la télévision. - Le bilinguisme selon la nationalité
Les niveaux les plus faibles de maîtrise du russe sont les suivants:
71,1% des Moldaves; 58,1% des Ukrainiens ukrainophones; 54,7% des
Polonais; 47,0% des Roms-Tsiganes; 45,5% des Roumains et 311,7% des
Hongrois. Les russophones d'Ukraine bénéficient de nombreux avantages pour
une communauté minoritaire. Par exemple en 2001, dans ce pays, on
comptait 14 théâtres russes d'État, des jardins d'enfants, des
écoles primaires et secondaires, des associations culturelles, des
services sociaux, des hôpitaux, etc. Jusqu'au début des années 2000,
les séries télévisées et les films étaient massivement russes, car
les Russes étaient perçus comme les porteurs de toute civilisation,
tandis que les Ukrainiens étaient toujours considérés comme
inférieurs. En termes de pourcentage, le nombre d’écoles russes en Ukraine
dépassait le pourcentage de citoyens de langue russe. Cette
situation de la langue russe en Ukraine était très différente de
l’état de la langue ukrainienne en Russie, où environ quatre
millions de citoyens russes de nationalité ukrainienne n’avaient pas
une seule école, encore moins de théâtre ou d'établissement
d’enseignement supérieur en langue ukrainienne.
2.9 Résumé de la situation linguistique La situation linguistique actuelle en Ukraine est le résultat du processus d'assimilation inachevé au moment de la période soviétique, c'est-à-dire la lente transformation de la communauté ukrainienne en une communauté russophone. En conséquence, la nature déséquilibrée du bilinguisme reflète l'état post-colonial de la société ukrainienne. Parmi les Russes de souche, seulement 13% se sont déclarés bilingues, tandis que parmi les Ukrainiens ce chiffre est de 34,4%, malgré le fait que 19% des Ukrainiens ne parlent que le russe. Bien que l'ukrainien soit la langue officielle depuis 1989, ce statut confirmé dans la Constitution de l'Ukraine en 1996 n'a pu empêcher l'éviction de l'ukrainien dans plusieurs domaines de la vie sociale et politique au profit du russe. Autrement dit, l'ukrainien, langue majoritaire en Ukraine, doit affronter la forte concurrence du russe, pourtant une langue minoritaire. - Sous la tutelle ukrainienne Il faut dire que l'instauration de l'ukrainien comme langue officielle dans la sphère publique ne s'est jamais accompagnée de mesures systématiques visant à améliorer la situation linguistique que les autorités jugeaient déplorable. Que ce soit sous la présidence de Leonid Kravtchouk (ukrainophone), de Leonid Koutchma (russophone), de Viktor Iouchtchenko (ukrainophone), de Viktor Ianoukovytch (russophone) ou de Petro Porochenko (ukrainophone), les autorités ukrainiennes n'ont pu réussir à élaborer et à mettre en œuvre un programme efficace de planification linguistique, ni à créer des mécanismes efficaces pour la renaissance et le soutien de la langue ukrainienne, ni à contrecarrer l'expansion linguistique et culturelle de la Russie. Le fait d'accorder au russe un statut de «seconde langue officielle» à des régions
(ou oblasts) entraînait forcément une réduction du rôle de l'ukrainien dans ce pays parce qu'en conséquence la langue ukrainienne cessait d'être un attribut obligatoire de l'État dans pratiquement la moitié de l'Ukraine. Au lieu de se servir de mesures législatives pour favoriser la consolidation de l'État et l'harmonisation des citoyens, les lois
ont servi jusqu'ici à leur fragmentation. Avant l'invasion russe en Ukraine, toute politique linguistique
était fortement politisée et polarisée, car elle était généralement élaborée et décidée par des politiciens,
sans consultation auprès de la population, et sans la participation de spécialistes de premier plan en sociolinguistique, en ethnologie, en science politique ou en droit.
- Sous la tutelle russe Cependant, la guerre entamée en février 2022 est venue changer la donne
et il n'y
aura pas de retour en arrière, du moins en Crimée et dans le
Donbass. L'Ukraine a vu partir
près de dix millions de ses citoyens en deux ans.
Les zones occupées par l'armée russe, c'est-à-dire la Crimée, les
régions de Louhansk, de Donetsk, de Zaporijjia et de Kherson, se
sont vidées de leur population ukrainophone. Dans les zones occupées, les malversations contre la langue et la
culture ukrainiennes sont innombrables. On assiste à un retour de la
russification telle que le pays l'a connue du temps des tsars et de
l'Union soviétique. Ainsi, selon les données provenant de sources
diverses, de multiples exactions ont été enregistrées indiquant la
destruction intentionnelle de la langue ukrainienne dans divers
domaines de la vie publique, la privation effective du droit des
citoyens de l'utiliser, d'étudier et d'apprendre la langue
ukrainienne, sans oublier la discrimination et la persécution des
personnes qui manifestent leur identité nationale ukrainienne en
public, notamment en parlant ukrainien dans les territoires qui sont
sous occupation «temporaire». Les actes de ce qu'on peut qualifier
de « linguicides» s'accompagnent de menaces, d'intimidations, de
recours à la force physique, de pressions psychologiques, de
restrictions de liberté, d'enlèvements, de tortures, de meurtres et
d'autres crimes contre les citoyens ukrainiens.
Dans le domaine culturel, sur une liste de nombreux faits qui
portent les traces d'un linguicide, on peut ajouter l'élimination
des livres en langue ukrainienne dans les bibliothèques des
territoires temporairement occupés; ils sont brûlés dans les places
publiques. De plus, dans les localités occupées des régions de
Donetsk, Louhansk, Kherson, Zaporijjia, Kiev et Kharkiv (Melitopol,
Kherson, Nova Kakhovka, Marioupol, Kozacha Lopan (région de
Kharkiv), Bucha, Verkhniotoretske, Chchastie), on a constaté de
nombreux événements culturels qui ont lieu en russe, ainsi que des
journaux publiés en russe. De plus, les bombardements des tournées de télévision
ukrainiennes, la fermeture ou la saisie des chaînes de télévision et des
stations de radio ukrainiennes, l'enlèvement et l'assassinat de journalistes et
le lancement de la diffusion de leurs propres chaînes de propagande ont été
parmi les premières mesures prises par les administrations d'occupation. De tels
événements ont été enregistrés dans les villes occupées de Zaporijjia et de la
région de Kherson : Melitopol, Berdiansk, Enerhodar, Nova Kakhovka, Tavriisk,
Kherson et Kakhovka. Comme il fallait s'y attendre, l'éducation ukrainienne est devenue
une autre victime de la guerre. Non seulement l'enseignement de l'ukrainien est
interdit, mais l'occupant russe enregistre les conversations téléphoniques dans
les établissements d'enseignement secondaire, licencie les directeurs d'écoles
pour leur refus de travailler avec l'administration russe en raison de leur
«manque de loyauté envers la Russie, remplace les manuels d'histoire, introduit
des postes d'«instructeurs politiques» dans les écoles, etc. Les villes les plus
touchées sont les suivantes: Katioujanka, Donské, Melitopol, Volnovakha,
Marioupol, Henitchesk, Kakhovka, Berdiansk et Skadovsk. À Marioupol, ville
occupée depuis plus longtemps par la Russie, les occupants ont déjà créé une
branche de l'organisation paramilitaire «Jeune Armée» ("Молодая
армия": Molodaya armiya).
La religion jour un rôle non négligeable dans les antagonismes ukrainiens: langues et religions ne font pas nécessairement bon ménage. Ainsi, l'Église ukrainienne orthodoxe du patriarcat de Moscou est presque entièrement russophone, alors que l'Église ukrainienne gréco-catholique (catholique uniate) est ukrainophone et l’Église ukrainienne orthodoxe du patriarcat de Kiev ainsi que l’Église ukrainienne orthodoxe autocéphale sont toutes massivement ukrainophones. Dans l’ouest de l’Ukraine, ce qui comprend Kiev, la capitale, la population est majoritairement catholique, parlant ukrainien et géographiquement plus proche de l’Union européenne. La partie orientale est peuplée par des «Russes ethniques», parlant russe et de religion orthodoxe. Environ 75 % des Ukrainiens, toutes langues confondues, se disent croyants.
Ministre de la Justice de l'Ukraine -- S. Holovaty
Secrétaire de la Commission -- Y. Zaitsev
Ceux qu'on appelle les «Russes ethniques»
sont des Russes originaires de la Russie, selon le droit du sang.
Leurs ancêtres immédiats sont donc des Russes, non des Ukrainiens.
De façon générale, ils habitent dans la
région du Donbass au nord-est
de l'Ukraine, mais avant la guerre de 2022 il y avait aussi des
ukrainophones et des russophones ukrainiens, sans oublier un
grand nombre de petites minorités. L'oblast de Louhansk est
aujourd'hui contrôlé par la République populaire de Luhansk (RPL),
alors que le Donetsk est contrôlé par la République populaire de Donetsk
(RPD), mais toutes deux se sont autoproclamées indépendantes et
soutenues depuis février 2022 par l'armée russe.
Les russophones sont concentrés dans l'est et le sud de l'Ukraine dans une proportion de 90%, mais cette proportion diminue considérablement dans la région du Centre
et se réduit encore davantage dans l'Ouest; ils ne forment que 13,1% à Kiev.
Lors du recensement de 2001, les russophones représentaient en Crimée plus de 58% de la population
contre 24% pour les ukrainophones et 12% pour les Tatars, puis 6% pour les autres nationalités.
S'ils forment plus de 17% de la population au plan national, leur proportion
demeure inférieure à 5 % dans la majorité des régions de l'Ouest et du Centre,
alors que, dans l'Est et le Sud, elle oscille entre 14,1 % (oblast de Kherson)
et 39 % (oblast de Louhansk). À l'exception de la Crimée de 2001, où ils
représentaient 58,3 % de la population, les Russes ne sont majoritaires dans
aucune des 24 oblasts du pays.
En 2003, l'Institut de international de sociologie de Kiev avait fait un sondage pour savoir si l'Ukraine était une patrie pour ses habitants russophones: 76 % avaient répondu par l'affirmative, 16 % s'étaient abstenus et à peine plus de 6 % avaient répondu non.
Le tableau ci-contre illustre la véritable force du russe au
sein de la société ukrainienne. Nous pouvons constater que, selon un
sondage mené entre le 6 septembre et le 10 octobre 2019, le russe
est parlé à la maison par plus d'ukrainophones que de russophones.
Donc, les russophones font partie des «minorités nationales», mais dans les faits ils correspondent à la fois à une minorité numérique et une «majorité fonctionnelle» qui entre en concurrence avec la majorité ukrainophone; ce sont les deux seuls groupes à dépasser le million de locuteurs. Suivent les Roms (plus de 600 00) et les Ruthènes (plus de 500 000).
Office ukrainien des statistiques 2001
Les langues maternelles en pourcentage
Langue par nationalité
Ukrainien
comme langue maternelleRusse
comme langue maternelleAutre langue
choisie
Ukrainiens
85,2 %
-----
14,8
0,0
Russes
95,9 %
3,9
----
0,2
Biélorusses
19,8 %
17,5
62,5
0,2
Moldaves
70,0 %
10,7
17,6
1,7
Tatars de Crimée
92,0 %
0,1
6,1
1,8
Bulgares
64,2 %
5,0
30,3
0,5
Hongrois
95,4 %
3,4
1,0
0,2
Roumains
91,7 %
6,2
1,5
0,6
Polonais
12,9 %
71.0
15,6
0,5
Juifs
3,1 %
13,4
83,0
0,5
Arméniens
50,4 %
5,8
43,2
0,6
Grecs
6,4 %
4,8
88,5
0,3
Tatars
35,2 %
4,5
58,7
1,6
Tsiganes (Roms)
44,7 %
21,1
13,4
20,8
Azerbaïdjanais (Azéris)
53,0 %
7,1
37,6
2,.3
Géorgiens
36,7 %
8,2
54,4
0,7
Allemands
12,2 %
22,1
64,7
1,0
Gagaouzes
71,5 %
3,5
22,7
2,3
Autres
32,6 %
12,5
49,7
5,2
- 32 %, le russe et l'ukrainien à égalité;
- 14 %, surtout l'ukrainien;
- 4,3 %, exclusivement l'ukrainien.
Selon le recensement de 2001, la maîtrise du russe était déclarée
par 31 698 051 résidents de l’Ukraine, soit 65,7% de la population,
dont 98,9 % de Russes; 97,5% de Grecs; 95,3% de Juifs; 93,3% de
Tatars, 89,7% de Bulgares; 87,7% d’Arméniens; 85,8% de Biélorusses;
84,9% d’Azerbaïdjanais; 85,9% de Tatars de Crimée. Toutes ces
nationalités connaissent le russe dans des proportions supérieures à
80%.
L’hypothèse d’une «vie inconfortable» des russophones en Ukraine a
également été étudiée à plusieurs reprises: par exemple, selon des
enquêtes menées à Kiev, seuls 11,9% des russophones interrogés se
sont dits victimes de discrimination pour des raisons linguistiques,
tandis que les locuteurs de langue ukrainienne à Kiev auraient connu
un niveau beaucoup plus élevé de discrimination pour des raisons
linguistiques, soit 54,8% des répondants. Et dire que le président
de la Russie, Vladimir Poutine, a voulu envahir l'Ukraine pour
sauver les russophones! En avril 2023, une partie de la société
ukrainienne percevait déjà sans aucun doute la langue russe comme la
«langue de l'ennemi» ou la «langue de l'envahisseur», celle qui a
longtemps supplanté l'ukrainien.
L'une des raisons du manque d'efficacité de la politique linguistique ukrainienne provient de l'incohérence et le chaos des actions entreprises par les autorités pour déterminer la responsabilité institutionnelle de la mise en œuvre et des conséquences de cette politique. Chaque président, qu'il soit ukrainophone ou russophone, n'a pu faire mieux que de défaire ce que son prédécesseur avait élaboré! Un président pro-ukrainien faisait adopter une politique anti-russe, alors qu'un président pro-russe favorisait la langue russe au détriment de l'ukrainien. Chacun s'est employé aussi à faire disparaître les organismes de protection linguistique créés par
son prédécesseur. Pendant qu'un Conseil des ministres imposait des examens de langue ukrainienne pour l'accès à des universités ou à la fonction publique, le Conseil des ministres suivant les abolissait. Avec l'arrivée au pouvoir d'une coalition dirigée par le Parti des régions, résolument pro-russe, ce fut le retour à l'idéologie et à la pratique soviétiques dans la politique linguistique.
La photo du démontage du panneau en ukrainien à l'entrée de
Marioupol a fait le tour du monde (voir la photo ci-contre),
et il y en a eu bien d'autres, car les faits de ce genre se sont multipliés dans de
nombreuses villes telles Kherson, Melitopol, Nikolské, Mykhailivka,
Vasylivtsi, Berdiansk, Dniprorudne, Vovchansk, etc. Les occupants
remplacent non seulement les panneaux rédigés en ukrainien à
l'entrée des villes par des panneaux en russe, mais ils démontent et
détruisent aussi les symboles nationaux, les bannières ukrainiennes,
les panneaux commémoratifs aux soldats ukrainiens tombés au combat,
y compris les panneaux sur les bâtiments gouvernementaux.
Comme il se doit chez les autocrates russes, on a pu constater l'usage de la
langue russe par les collaborateurs et les représentants des autorités
d'occupation pour diffuser la propagande pro-russe et informer les citoyens. La
langue russe devient dans les territoires occupés la langue des actes, du
travail, de la correspondance commerciale, de la documentation, etc. Les zones
occupées sont devenues russes. Tous ces relevés ne sont certainement pas
exhaustifs, car ils constituent une certaine généralisation, mais ils offrent
l'occasion de caractériser l'ampleur et les méthodes utilisées par les occupants
russes dans leurs tentatives de renverser l'ordre constitutionnel, de détruire
l'État ukrainien et l'identité ukrainienne en général. Dans la péninsule de
Crimée, toutes ces exactions, accompagnées de mesures pour modifier complètement
la composition ethnique de la péninsule, sont pratiquées de façon systématique
en Crimée depuis son annexion en 2014. Pour le Kremlin, l'objectif est
d'éradiquer l'identité ukrainienne par tous les moyens possibles. Dire que Vladimir Poutine accuse les
Ukrainiens d'être des nazis!
En définitive, les ukrainophones qui consentiraient à vivre dans les territoires
occupés doivent accepter de perdre leur langue, leur culture et leur identité.
Les deux grandes religions de l'Ukraine sont chrétiennes. Il s'agit, d'une part, de la religion orthodoxe (58,7 %), d'autre part, de la religion catholique (9,6 %). L'Église gréco-catholique ukrainienne fait partie des Églises catholiques orientales ainsi que l'Église gréco-catholique ruthène. Il existe d'autres religions chrétiennes, dont le protestantisme et l'Église apostolique arménienne, mais elles sont en petit nombre. L'islam est peu représenté (3,5 %), de même que le judaïsme. Les russophones et les ukrainophones sont de religion orthodoxe, alors que les Tatars sont pour la plupart des musulmans sunnites. Les minorités hongroises et polonaises sont généralement des catholiques romains.
Dernière mise à jour:
27 oct. 2024
L'Ukraine
1)
Données démolinguistiques
2) Données historiques
3) Politique relative à la langue ukrainienne
4)
politique linguistique relative aux minorités nationales
5) Bibliographie