Le Cap-Vert (en portugais: Cabo Verde) est un petit pays insulaire de 4033 km² (soit sept fois plus petit que la Belgique, dix fois plus grand que l'île de Montréal qui est de 495 km², la superficie de Paris étant de 105 km²) situé dans l'océan Atlantique, à plus de 600 km au large du Sénégal, la pointe la plus occidentale de l'Afrique. L'archipel est constitué de dix îles et de cinq îlots. Au nord, les Îles-du-Vent (Ilhas de Barlavento) comprennent Santo Antão, São Vicente, São Nicolao, Sal et Boa Vista. Au sud, São Tiago (ou Santiago regroupant la moitié de la population), Brava, Fogo et Maio forment les Îles-sous-le-Vent (Ilhas de Sotavento). La capitale du Cap-Vert est Praia (île de São Tiago). Administrativement, le Cap-Vert est formé de 17 districts ou concelhos: Boa Vista, Brava, Calheta, Maio, Mosteiros, Paul, Praia, Porto Novo, Ribeira Grande, Sal, Santa Catarina, Santa Cruz, São Domingos, São Nicolau, São Filipe, São Vicente et Tarrafal. |
Les îles du Cap-Vert font partie de la Macaronésie, un ensemble géographique regroupant les îles volcaniques des Canaries (hispanophones), l'archipel de Madère (lusophone), incluant les îles Selvagens ("Sauvages") inhabitées, l'archipel des Açores (lusophone) et les îles du Cap-Vert (lusophones). Cet ensemble fait partie d'un programme de coopération transfrontalière entre les gouvernements de l'Espagne, du Portugal et du Cap-Vert parce que ces îles présentent des caractéristiques communes, environnementales et historiques, entraînant de nombreuses similitudes au plan de la faune et de la flore. Grâce à sa flore et à sa faune, la Macaronésie est l'une des régions naturelles les plus importantes du monde. Le Cap-Vert fait partie des cinq pays d'Afrique utilisent le portugais comme langue officielle, ce qui correspond en ce cas à une langue seconde pour les habitants de ces pays: l'Angola, la Guinée-Bissau, le Mozambique et les îles de São-Tomé-et-Príncipe. |
La population capverdienne est majoritairement issue d'un mélange d'Africains et d'Européens, avec 80% de Métis ou Mestiços, les descendants des anciens esclaves africains et des colonisateurs européens; les Blancs ne représentent que 2% de la population. La moitié des Capverdiens est concentrée sur l'île de São Tiago et l'île de São Vicente (voir le tableau ci-dessous).
Île | Population (2010) | Superficie |
Santiago | 266 160 | 991 km2 |
São Vicente | 76 107 | 227 km2 |
Santo Antão | 47 485 | 779 km2 |
Fogo | 37 860 | 476 km2 |
Sal | 25 775 | 216 km2 |
Boa Vista | 16 620 | 620 km2 |
São Nicolau | 13 300 | 346 km2 |
Maio | 7 500 | 269 km2 |
Brava | 6 460 | 64 km2 |
Santa Luzia | inhabitée | 35 km2 |
Total | 485 297 |
Suite à diverses vagues d'émigration, plus de 700 000 Capverdiens vivent aujourd'hui à l'étranger, surtout aux États-Unis (250 000), au Canada, au Portugal, en France, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Sénégal, en Angola, etc. Parce qu'elle a été marquée par cinq siècles de présence portugaise, la population capverdienne est majoritairement catholique (95%).
2.1 Le portugais
La langue officielle est le portugais, mais
la connaissance de cette langue au Cap-Vert
n'est une réalité que pour une portion très restreinte de la population —
l'élite capverdienne instruite et les Portugais blancs — et la pratique de cette langue est souvent limitée à
l'écrit puisque le créole est omniprésent dans la langue parlée. En effet,
toutes les situations informelles de la communications, tant dans la classe
instruite que dans la population en général, ne se déroulent qu'en
créole capverdien.
En Afrique, le portugais est également la langue officielle de la Guinée-Bissau, ainsi que des autres anciennes colonies du Portugal: les îles São Tomé e Principe, l'Angola et le Mozambique. |
2.2 Le créole capverdien (crioulo)
Presque tous les Capverdiens (nationaux) parlent le créole (98%), appelé en français capverdien. Au Cap-Vert, on l'appelle crioulo, caboverdiano, crioulo de Cabo Verde, língua caboverdiana ou encore simplement kriol à l'île São Vicente, la seconde île la plus peuplée des îles du Cap-Vert. En fait, l'appellation correcte de cette langue est «créole capverdien» ("crioulo cabo-verdiano"), mais dans l'usage quotidien la langue est simplement appelée «créole» ("crioulo") par ses locuteurs. La désignation de «capverdien» ("caboverdiano") ou de «langue capverdienne» ("língua caboverdiana") est utilisée dans la législation pour désigner la langue normalisée (standardisée).
Le créole est une langue véhiculaire forgée à partir du portugais et de différentes langues d'Afrique. C'est l'un des plus vieux créoles parlés dans le monde. La proportion de la population qui utilise le créole capverdien comme langue maternelle s'élève à plus de 99 %; les immigrants arrivant au Cap-Vert, surtout des Africains et des Chinois, apprennent rapidement le créole et l’utilisent comme langue véhiculaire, puis comme langue maternelle après une génération. Le créole capverdien est donc une langue assimilatrice, ce que n'est pas le portugais. Au Cap-Vert, malgré un niveau de scolarité relativement élevé en éducation, le créole capverdien demeure indélogeable dans sa fonction de langue maternelle.
Malgré l'étroitesse du territoire, la situation insulaire implique que chacune des neuf îles du Cap-Vert a élaboré sa propre façon de parler créole. Chacune de ces îles possède sa variété différente, mais les universitaires du Cap-Vert les désignent généralement par le terme de «variantes» (en portugais: variantes). On peut opposer deux grandes «variantes» : le capverdien sotavento (env. 65 %) ou créole des Îles-sous-le-Vent sur les îles de Santiago (Santiago), Maio, Fogo et Brava, et le capverdien barlavento (env. 35 %) ou créole des Îles-du-Vent sur les îles de Santo Antão, São Vicente, São Nicolau, Sal, et Boa Vista. Au point de vue linguistique, les variantes les plus importantes sont celles de Fogo, de Santiago, de São Nicolau et de Santo Antão, et toute étude approfondie de la langue créole devrait prendre en compte au moins ces quatre variantes. Aujourd'hui, on peut considérer le dialecte de l'île São Vicente comme un dénominateur commun des dialectes barlavento. Au point de vue social, les variantes les plus importantes sont celle de Santiago et celle de São Vicente. Les variantes des deux principaux centres urbains, Praia et Mindelo, sont les variantes comptant le plus grand nombre de locuteurs.
Voici un exemple de créole capverdien (extrait de : Nicolas QUINT, Parlons capverdien, langue et culture, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 20-21):
Caboverdiano |
Capverdien (traduction) |
PURMERU
LISOM : FLA MANTENHA 1. Djom é berdiánu di Santiágu. Anne é minina di Fránsa. 2. Djom : Es korpu ? 3. Anne : Alê-m li, es bida ? 4. Djom : Alê-m li dretu, gentis é módi ? 5. Anne : Tudu sta dretu ? Di bo ? 6. Djom : Támbi sta dretu, grásas-a Diós ! 7. Anne : Módi bu tchoma ? 8. Djom : M-tchoma Djom. Di bo, é módi ? 9. Anne : M-tchoma Anne. 10. Djom : Undi bu mora ? 11. Anne : M-mora na Práia. A-bo undi bu mora ? 12. Djom : A-mi m-mora na Somáda. |
PREMIÈRE
LEÇON : LES SALUTATIONS 1. Jean est un Capverdien de l'île de Santiago. Anne est une jeune fille originaire de France. 2. Jean : est-ce que tu vas bien ? 3. Anne : je vais bien, (et) toi comment vas-tu ? 4. Jean : je vais bien, comment va ta famille ? 5. Anne : tout le monde va bien. Et ta famille ? 6. Jean : ils vont bien aussi, Dieu merci. 7. Anne : comment t'appelles-tu ? 8. Jean : je m'appelle Jean. Et toi, comment t'appelles-tu ? 9. Anne : je m'appelle Anne. 10. Jean : où habites-tu ? 11. Anne : j'habite à Praia. Et toi, où habites-tu ? 12. Jean : moi, j'habite à Assomada. |
Les différences dialectales constituent la barrière principale en vue d'une éventuelle standardisation du créole capverdien, voire de son officialisation. La plupart des initiatives faisant la promotion officielle du créole sont venues de la plus grande île, Santiago, ce qui a causé un certain scepticisme dans les autres îles du pays, car les insulaires tiennent beaucoup à leur propre variété locale. Par exemple, à São Vicente, beaucoup de gens s'opposent vigoureusement au statut officiel du créole, car ils craignent l'imposition du capverdien (badiu) de l'île de Santiago. Voici un exemple à partir de la variété de Santiago (source: Wikipedia):
Créole capverdien | Traduction en portugais | Traduction française |
---|---|---|
Ôi Cábu Vêrdi, Bô qu’ê nhâ dôr más sublími Ôi Cábu Vêrdi, Bô qu’ê nhâ angústia, nhâ paxõ Nhâ vída nâce Dí disafíu dí bú clíma ingrátu Vontádi férru ê bô nâ nhâ pêtu Gôstu pâ lúta ê bô nâ nhâs bráçu Bô qu’ê nhâ guérra, Nhâ dôci amôr |
Oi Cabo Verde, Tu que és a minha dor mais sublime Oi Cabo Verde, Tu que és a minha angústia, a minha paixão Minha vida nasceu Do desafio do teu clíma ingrátu A vontade de ferro és tu no meu peito O gosto pela luta és tu nos meus braços Tu que és a minha guerra, O meu doce amor |
Salut
Cap-Vert, Toi qui es ma douleur plus sublime Salut Cap-Vert, Toi, qui es mon angoisse, ma passion Ma vie est née Du défi de ton clima ingrat La volonté d'acier est sur ma poitrine Le goût pour le combat est dans mes bras Toi qui es ma guerre Ô Mon doux amour |
On peut constater que les mots du lexique entre le créole et le portugais sont relativement rapprochés, ce qui démontre manifestement la filiation linguistique : Cábu Vêrdi/Cabo Verde, sublími/sublime, angústia/angústia, paxõ/paixão, nâce/nasceu, disafíu/desafio, clíma ingrátu/clíma ingrátu, Vontádi férru/vontade de ferro, pêtu/peito, Gôstu /gosto, bráçu/braços, guérra/guerra, amôr/amor.
Quoi qu'il en soit, ces variétés entre les îles du Cap-Vert sont intercompréhensibles de la part de tous les insulaires du pays. La langue n'étant pas standardisée ni normalisée, le système d'écriture (alphabet latin) peut varier entre le capverdien sotavento et le capverdien barlavento. C'est pourquoi le Décret-loi no 67/98 du 31 décembre a proposé un alphabet unifié appelé ALUPEC :
ALUPEC = Alfabeto Unificado para a Escrita do Cabo-verdiano (ou Alphabet unifié pour l'écriture du capverdien)
L'article 1er du décret-loi approuvait l'adoption de l'alphabet unifié à titre expérimental:
Article 1er Est approuvé à titre expérimental l'alphabet unifié pour l'écriture de la langue capverdienne (ou créole), ci-après dénommé ALUPEC (Alphabet unifié pour l’écriture du capverdien), dont les bases sont publiées en annexe. |
Dix ans plus tard, le Décret-loi no 8/ 2009 instituant l'ALUPEC comme alphabet capverdien rendait cet alphabet officiel :
Article 1er
Fondation de
l'Alphabet capverdien |
Le créole capverdien est également parlé en Guinée-Bissau (env. 100 000 locuteurs) et au Sénégal (env. 55 000), mais aussi aux États-Unis, en France, aux Pays-Bas, ainsi que dans tous les autres pays d'adoption comme en Angola. Par ailleurs, le Cap-Vert a accueilli quelques centaines de Sénégalais (environ 1200) pour qui le français peut demeurer une langue véhiculaire.
Bien que le créole soit la langue maternelle de presque toute la population du Cap-Vert, le portugais est encore la seule langue officielle. Comme le portugais est utilisé dans la vie quotidienne (école, administration publique, les procédures statutaires, etc.), le portugais et créole vivent dans un état de diglossie. À la suite de cette large présence du portugais, on peut observer un processus de décréoalisation (descrioulização) dans tous les variantes du créole capverdien.
2.3 Les langues africaines
Outre le créole capverdien, il existe aussi quelques langues africaines appartenant à la famille nigéro-congolaise (groupe ouest-atlantique): le peul, le balante et le mandjaque.
Ethnie | Population | Affiliation linguistique |
Caverdiens | 367 000 | créole portugais |
Fulani | 58 000 | groupe ouest-atlantique |
Balantes | 48 000 | groupe ouest-atlantique |
Mandjaques | 22 000 | groupe ouest-atlantique |
Portugais | 9 600 | langue romane |
Autres | 1 000 | - |
Total (2012) | 505 000 | - |
La plupart de ces Capverdiens parlant une langue africaine telle le peul, le balante ou le mandjaque sont originaires de la Guinée-Bissau, sinon du Sénégal. Ce sont des immigrants ou des enfants d'immigrants.
Les données d'une enquête sur la population étrangère et immigrée, publiées en 2023 à Praia par la Haute Autorité de l’immigration (Aai) et l’Institut national de la statistique (INE), révèlent que la population étrangère vivant au Cap-Vert est estimée à 10 869 personnes, ce qui représente environ 2,2% de la population totale de la population de 2021. Selon le journal sénégalais Le Quodidien du 19 décembre 2023, la majorité de la population immigrée étrangère vivant au Cap-Vert est originaire d’Afrique (65%), et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest ou CEDEAO (58,7%), avec en tête la Guinée-Bissau (36,3%), suivie du Sénégal (10,9%), du Nigeria (4,7%), de la Guinée-Conakry (2,9%) et d’autres pays d’Afrique. En second lieu, on trouve les pays européens, avec 17,1%, menés par le Portugal (8,9%) et l’Italie (3,7%), suivis par les personnes du continent américain, avec 8,3%, tandis que 4,8% sont originaires d’Asie, en particulier les Chinois (4,6%).
Il est probable que les îles du Cap-Vert étaient inhabitées lorsque les Portugais y abordèrent en 1456. Cependant, il n'est pas certain que ce soit vraiment les Portugais qu les aient découvertes. Des historiens croient que cette découverte est plutôt due à des navigateurs vénitiens et génois. On sait aussi que ces îles avaient été furent fréquentées depuis longtemps par des pêcheurs sénégalais.
3.1 Une colonie portugaise
C'est en 1460 que le navigateur Diogo Gomes prit possession de l'archipel au nom du Portugal, qui devint domaine de la Couronne, après que les droits portugais sur les îles eurent été consacrés par le traité de Tordesillas, en 1494. L'archipel servit d'abord de terre d'escale pour les navires portugais en route vers le Brésil. Puis il devint un important centre de la traite des Noirs vers l'Amérique, car le commerce des esclaves d’Afrique occidentale vers le Nouveau Monde transitait surtout par le Cap-Vert. De plus, les colons portugais de l'archipel firent venir leurs propres esclaves du continent africain pour les faire travailler dans les plantations. C'est à cette époque que s'est constitué le créole capverdien. Mais le peuplement de l'archipel fut relativement tardif, puisque São Vicente resta inhabitée jusqu'en 1727 et Sal, jusqu'en 1781. L'abolition définitive de la traite en 1866 et le détachement de la Guinée-Bissau en 1879 détruisirent l'économie des îles et entraînèrent une forte émigration vers les États-Unis (migration libre) et les colonies portugaises d'Angola et de São Tomé et Principe (migration forcée). Après l'abolition de l'esclavage, le portugais est resté la langue officielle dans la colonie, surtout comme langue de l'État, de la justice, de l'éducation et du commerce. Dans la culture coloniale, l'utilisation du créole restait un signe d'infériorité sociale. Contrairement à la Guinée-Bissau, à l'Angola et au Mozambique, le régime de l'indigénat ne fut pas appliqué aux îles du Cap-Vert. En effet, la population blanche ne résista pas à l’apparition de la malaria: les Métis et les Noirs assurèrent le fonctionnement des institutions, tant laïques que religieuses. Plus tard, les Métis capverdiens joueront un rôle important dans l'émancipation de la colonie, car à l'exemple des autres colonies portugaises d'Afrique, telles que l'Angola et le Mozambique, beaucoup de Métis étaient employés comme cadres dans l'Administration en raison de leur degré d'instruction plus élevé.
Pour l'heure, tout autonomie du pays était simplement impossible, car les conditions n'y étaient guère favorables en raison des sécheresses du début du siècle (1903-1904, et 1914), du régime fasciste de la Métropole et l'arrivée au pouvoir des militaires en 1926 ainsi que la limitation de l'immigration aux États-Unis et en Europe. En réalité, le Cap-Vert traversera l'une des périodes les plus sombres de son histoire, qui coïncidera également avec l'Estado Novo («Nouvel État») du dictateur António de Oliveira Salazar (1889-1970). Sous le régime de Salazar, les «chemises vertes», la police politique du dictateur, et le PIDE (Polícia Internacional de Defesa do Estado: la Police internationale de défense de l’État), réussirent à étouffer tous les opposants, tant au Portugal que dans les colonies. Les tortures et les déportations au Cap-Vert étaient couramment pratiquées. Au cours de cette période, toute immigration était interdite (dont l'Amérique) : Salazar avait envoyé des troupes dans toutes les colonies portugaises du continent africain, afin de contenir le nationalisme toujours croissant des peuples autochtones. PUis les famines successives (1941-1942, 1946-1948) tuèrent, selon certains historiens, environ 20 000 personnes (sur 150 000 habitants) dans l'indifférence générale, car le pays était fermé aux étrangers. Néanmoins, beaucoup de Capverdiens réussirent à s'enfuir vers le Sénégal dans les années cinquante et soixante, pays qui, bien souvent, servait de relais pour l'Europe, surtout la France, les Pays-Bas et la Belgique. C'est notamment dans ces trois pays que se formèrent la plupart des cadres du mouvement indépendantiste capverdien. Dans la colonie du Cap-Vert, le créole devint un symbole de la résistance face au colonialisme portugais.
En 1951, à l'instar des autres possessions portugaises, le Cap-Vert devint un territoire d'outre-mer. Cinq ans plus tard, en septembre 1956, Amilcar Cabral, un ingénieur agronome capverdien mais formé à l'université de Lisbonne, fonda le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée portugaise (future Guinée-Bissau) et du Cap-Vert (PAICG). À partir de 1959, il s'engagea dans la lutte armée contre le colonisateur portugais. Le mouvement prit une orientation nationaliste révolutionnaire et marxisante qui s'accentua en janvier 1973. La guérilla réussit à contrôler les deux tiers de la Guinée-Bissau, alors qu'au Cap-Vert le mouvement resta clandestin.
3.2 L'indépendance du Cap-Vert
En 1975, après la révolution des Œillets au Portugal, le Cap-Vert et la Guinée-Bissau (l'ancienne colonie portugaise la plus proche) accédèrent à l'indépendance et constituèrent un seul État commun, dirigé par Luis Cabral (le frère d'Amilcar Cabral). Des frictions opposèrent rapidement les insulaires capverdiens et les continentaux guinéens.
Les deux anciennes colonies portugaises se séparèrent lors du coup d'État du 14 novembre 1980 en Guinée-Bissau. Au Cap-Vert comme en Guinée-Bissau, le portugais continua d'être la langue officielle, mais le créole capverdien fut désigné comme «langue nationale». Le gouvernement, la radio et la télévision d'État, les journaux et les écoles utilisèrent le portugais, tandis que le créole restait la langue des organisations populaires, des mouvements syndicaux et des programmes éducatifs pour les enfants.
Bine que de tendance communiste, le Cap-Vert se rapprocha des pays occidentaux, dont il dépendait économiquement, ainsi que de l'Afrique du Sud. La pays s'est ensuite maintenu sous le régime du parti unique. En 1990, le Partido Africano da Independência de Cabo Verde, le PAICV (ou Parti pour l'indépendance du Cap-Vert) accepta d’organiser des élections libres, persuadé de les remporter. Toutefois, les élections démocratiques du 13 janvier 1991 furent remportées par le Mouvement pour la démocratie (Movimento para a Democracia, MPD), le premier parti d'opposition. Le 17 février 1991, Antonio Mascarenhas Monteiro fut élu président de la République. En 1996, de nouvelles élections furent encore remportées par le MPD.
Au plan international, le Cap-Vert fait partie, depuis juillet 1996, de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), et ses 40 000 émigrés vivant au Portugal ont obtenu le droit de vote aux municipales dans ce pays soucieux d'éloigner son ancienne colonie des tentations de l'adhésion à la Communauté francophone du fait qu'il est entouré d'États francophones. La Constitution capverdienne présente une certaine originalité du fait que les anciens ressortissants du pays ont le doit d'élire six députés à l'Assemblée législative et ne perdent jamais leur nationalité s'ils se font naturaliser dans un pays étranger. Le Cap-Vert est membre des Sommets de la Francophonie depuis 1993 et a adhéré à l'Agence intergouvernementale de la Francophonie en décembre 1996.
En juillet 2008, le Cap-Vert est devenu le 153e membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Malgré de faibles atouts économiques, le Cap-Vert est le pays le plus riche de l'Afrique du Sahel, grâce aux revenus de l'émigration et à l'aide internationale, qui représentent plus d'un tiers du produit intérieur brut (PIB). De fait, pauvre mais bien aidé par la communauté internationale, le Cap-Vert est considéré comme «un bon élève» par les organismes internationaux d'aide en développement.
Le Cap-Vert a adopté une politique linguistique presque ambiguë à l'égard de ses deux langues, le portugais et le créole capverdien. D'une part, le portugais est la langue officielle; d'autre part, le créole capverdien est la langue maternelle de tous les citoyens du pays, mais il n'a pas de statut officiel. La politique linguistique capverdienne porte sur ces deux langues.
L'article 9 de la Constitution du 23 novembre 1999, révisée en 2010, proclame que le portugais est la langue officielle tout en reconnaissant que les citoyens ont le devoir de connaître les langues officielles ("línguas oficiais") et le droit de les utiliser. C'est en ce sens que la Constitution est ambiguë: le portugais est la langue officielle, mais il faut connaître les langues officielles:
Article 9 Langues officielles 1) Le portugais est la langue officielle. 2) L'État promeut les conditions pour l'officialisation de la langue maternelle capverdienne à parité avec la langue portugaise. 3) Tous les citoyens nationaux ont le devoir de connaître les langues officielles et le droit de les utiliser. |
Ou bien une langue est officielle ou bien elle ne l'est pas. Le premier paragraphe aurait dû déclarer que les deux langues officielles sont le portugais et la «langue maternelle capverdienne», d'autant plus que le paragraphe 3 déclare que «tous les citoyens nationaux ont le devoir de connaître les langues officielles et le droit de les utiliser». Quant au paragraphe 2, il parle de «l'officialisation de la langue capverdienne à parité avec la langue portugaise». Cela signifie donc qu'il y aurait deux langues officielles, mais il est probable que le texte du paragraphe 1 soit volontairement ambiguë. La co-officialité réelle signifierait que les deux langues seraient employées tant à l'oral qu'à l'écrit, dans tous les sphères de communication de l'État, telles la justice, l'administration, l'école, etc. Or, ce n'est pas le cas. Le créole est confiné à l'oral dans les situations de communication généralement informelles.
Quoi qu'il en soit, beaucoup de Capverdiens réclament maintenant la co-officialisation du créole à parité avec le portugais. Il fallait auparavant que le créole possède un alphabet unifié. Ce fut fait en 2009 avec l'adoption du Décret-loi n° 8/ 2009 instituant l'ALUPEC comme alphabet capverdien. Pourtant, la Constitution révisée de 2010 n'en a pas tenu compte. Pour parvenir à une réelle officialisation, il faudrait, par exemple, que tous les documents gouvernementaux soient disponibles en créole pour tous les Capverdiens qui désirent y accéder dans cette langue. L'administration publique devrait être capable de répondre à tout citoyen par écrit en créole. L'école devrait enseigner le créole dans tous les établissements. Évidemment, cette officialisation entraînerait des coût supplémentaires, ce qui apparaît injustifié pour beaucoup de Capverdiens.
Au Cap-Vert, le contexte social permettant d'officialiser le créole est favorable à cette politique. Mais les conditions pour la réaliser doivent être propices: les autorités doivent faire preuve de patience et de résister à la tentation de bâcler une question aussi grave, qui implique des implications multiples et complexes pour le présent et l'avenir du pays. D'une part, il faut tenir compte de la langue employée par tout le monde, d'autre part, garder les contacts avec la communauté internationale. Seul le bilinguisme peut permettre une telle approche.
4.1 La politique à l'égard du portugais
La plus grande partie de la politique linguistique de l'État capverdien porte sur le portugais, la langue officielle depuis la colonisation. Le portugais est resté la langue de l'État, donc de la législation, de l'administration, de la justice, de l'enseignement et des médias, même de la religion. Le portugais est donc synonyme de savoir, d'éducation et de prestige.
- La langue de l'État
Le portugais est officiellement la langue du Parlement, du moins dans la promulgation et la publication des lois. Dans les faits, le portugais et le créole capverdien sont admis dans les débats oraux, mais la plupart des députés n'utilisent que le créole dans les délibérations et les travaux des comités. Les lois sont rédigées en portugais seulement.
Il en est ainsi dans les tribunaux où les témoignages peuvent être en créole, mais non les documents écrits obligatoirement présentés en portugais ou dans une langue étrangère accompagnée d'une traduction dans la langue officielle. L'emploi du créole n'est pas un droit, mais une pratique tolérée, car aucun citoyen ne se voit interdire de faire ses déclarations ou ses témoignages en créole.
L'administration publique pratique la même politique à l'égard des demandes orales en créole et des demandes écrites en portugais. Cela signifie que les fonctionnaires répondent toujours en créole aux demandes faites oralement dans cette langue. Non seulement les ministres s'adressent en créole à la population, mais également le président de la République et le premier ministre. Cependant, les documents administratifs ne sont pas disponibles en créole; il faut donc connaître le portugais.
Dans les écoles, la langue d'enseignement demeure le portugais, à tous les niveaux, c'est-à-dire du primaire à l'université en passant par le secondaire. Dans les écoles primaires, la langue d'enseignement est le portugais, mais des cours sont prévus pour l'évaluation de la culture créole, le «repositionnement» (reposicionamento) de la langue portugaise en tant qu'apport culturel dans la société capverdienne.
L'organisation des études portent sur quatre domaines: la langue portugaise, les mathématiques, les «sciences intégrées» (histoire, géographie et sciences de la nature) et l'expression orale. La Loi fondamentale sur le système d'éducation (1990) définit les principes fondamentaux de l'organisation et du fonctionnement du système d'éducation, y compris l'enseignement public et privé. L'article 9 de la loi énonce que l'éducation doit être fondée sur les valeurs, les besoins et les aspirations individuelles et collectives, et se connecter à la communauté, associant au processus éducatif les aspects les plus pertinents de la vie et de la culture capverdiennes. Parmi les nombreux objectifs de l'enseignement fondamental (primaire), figure à l'alinéa i) celui de promouvoir la connaissance, l'empressement ("apresso") et le respect pour les valeurs qui incarnent l'identité culturelle du Cap-Vert (art. 19):
Article 19 j) Promouvoir la connaissance, l'empressement et le respect pour les valeurs qui incarnent l'identité culturelle du Cap-Vert. |
L'enseignement primaire obligatoire dure six ans et le portugais reste la langue d'enseignement, mais les enseignants peuvent utiliser le créole capverdien pour quelques illustrations, surtout quand le problème de compréhension en portugais se pose. L'enseignement secondaire est, également, de six années, et il comporte trois cycles:
1er cycle: 7e
et 8e années portugais : 4 h par semaine anglais : 4 h par semaine français : 4 h par semaine |
2e cycle: 9e
et 10e années portugais : 4 h par semaine anglais : 3 h par semaine français : 3 h par semaine |
3e cycle : 11e
et 12e années portugais : 3 h par semaine anglais : 4 h par semaine français : 4 h par semaine |
L'enseignement secondaire assure la continuité du primaire en recourant encore à la langue portugaise comme véhicule d'enseignement. Selon l'article 22 de la Loi fondamentale sur le système d'éducation, l'un des objectifs de l'enseignement secondaire est de promouvoir la maîtrise de la langue portugaise en renforçant la capacité d'expression orale et écrite:
Article 22 Objectifs Les objectifs de l'enseignement secondaires sont les suivants: Les objectifs de l'enseignement secondaires sont les suivants: c) Promouvoir la maîtrise de la langue portugaise en renforçant la capacité d'expression orale et écrite; g) Promouvoir l'enseignement des langues étrangères. |
La langue de l'enseignement supérieur est le portugais. Pour la formation en anglais et en français, les langues sont respectivement l'anglais et le français, avec quelques recours parfois au portugais. Pour la formation en créole ( assez instable), on utilise le créole capverdien, et ce, uniquement à l'Institut supérieur de l'éducation (ISE).
Tous les médias écrits n'emploient que le portugais, mais les médias électroniques, particulièrement la radio (Radio Nacional De Cabo Verde et Radio Nova), ont recours davantage au créole capverdien, mais la télévision d'État, la Televisão Nacional De Cabo Verde, diffuse surtout en portugais. Les journaux les plus importants sont le Novo Jornal De Cabo Verde (hebdomadaire) l'A Semana (hebdomadaire) et le Horizonte (État).
Dans le domaine des affaires et du commerce, l'article 52 du décret-loi n° 15 du 14 février (2005) oblige les sociétés de gestion des fonds d'investissement à fournir leurs documents en portugais:
Article
52
Commercialisation au
Cap-Vert |
Mais la loi la plus importante de ce genre est le décret-loi n° 3 du 29 mars (1999) qui prescrit à l'article 85 l'usage du portugais pour les entreprises enregistrées. Le premier paragraphe énonce que «les entreprises doivent être correctement enregistrées en langue capverdienne ou portugaise», mais toutes les autres dispositions ne concernent ensuite que la langue portugaise. Tout ce qui n'existe pas en portugais, voire en latin ou en grec, est considéré comme «étranger». Voici les exceptions admises dans les entreprises:
Article 85 Utilisation du portugais 3) Des dispositions du paragraphe 1 est exclu l'usage de mots ou de parties de mots, même s'ils sont étrangers ou faits de façon étrangère: a) s'ils correspondent à un vocabulaire d'usage généralisé, sans traduction adéquate en portugais ; b) s'ils entrent dans la composition des entreprises déjà enregistrées ou correspondent en totalité ou en partie à des noms ou à des firmes associées, des mécènes ou des fondateurs ou, dans le cas de filiales, succursales ou autres formes de représentation, à des entreprises de sociétés-mères étrangères, qui sont légalement enregistrées dans leur pays d'origine et sont officiellement autorisées à les utiliser ; c) s'ils constituent une marque commerciale ou industrielle d'usage légale, conformément à la législation; d) s'ils résultent de la fusion des mots ou de parties de mots portugais ou étrangers, admissibles en vertu du présent paragraphe, qui sont directement liées aux activités réalisées ou à l'exercice ou même retirés des éléments restants dune firme ou des noms des entreprises associées, mécènes ou fondateurs; e) s'ils visent à faciliter une plus grande pénétration du marché à l'étranger où sont dirigées les activités à mener ou à exercer; f) s'ils résultent de l'emploi correct de termes dans les langues classiques du latin ou du grec. |
Il semble clair que les mots en créole font partie des langues étrangères.
- La langue des relations internationales
Dans les relations internationales, l'article 11 de la Constitution énonce que l'État du Cap-Vert doit maintenir «des liens spéciaux d'amitié et de coopération avec les pays de langue officielle portugaise et avec les pays d'accueil des émigrants capverdiens»:
Article 11 Relations internationales 6) L'État du Cap-Vert maintient des liens spéciaux d'amitié et de coopération avec les pays de langue officielle portugaise et avec les pays d'accueil des émigrants capverdiens. |
Le Cap-Vert fait officiellement partie des pays lusophones. Depuis 1990, de nombreux accords de coopération scientifique et technique ont été signés entre les États de la CPLP, ce qui a donné lieu à plusieurs commissions communes de terminologie. Dans les organisations internationales qui ne concernent pas les pays lusophones, les fonctionnaires utilisent surtout le français, rarement l'anglais. La langue véhiculaire des diplomates étrangers accrédités au Cap-Vert est le français (la majorité) et le portugais, dans certains cas.
- L’accord orthographique de 1990
Le traité le plus important concerne l'Accord orthographique sur la langue portugaise de 1990 — Acordo Ortográfico da língua Portuguesa — qui a pris en compte les différences linguistiques afin de réduire les difficultés liées à la tendance naturelle à la différenciation et de préserver les intérêts de la langue portugaise dans les pays lusophones.
À la suite des délibérations entre les délégations de l'Angola, du Cap-Vert, de la Guinée-Bissau, du Mozambique et de São Tomé et Príncipe, ainsi que des observateurs de la Galice (Espagne), les États signataires — la République populaire d'Angola, la République fédérative du Brésil, la république du Cap-Vert, la république de la Guinée-Bissau, la république de Mozambique, la république du Portugal et la République démocratique de São Tomé et Príncipe — ont convenu des dispositions qui suivent (l’accord comptant quatre articles).
L’article 1er ne fait que proclamer l’adoption de l’accord orthographique de 1990, mais l’article 2 énonce que les États signataires prendront les mesures nécessaires en vue d'élaborer un vocabulaire orthographique commun de la langue portugaise en ce qui concerne les terminologies scientifiques et techniques.
Article 2 Les États signataires doivent prendre, par l'entremise des institutions et organismes compétents, les mesures nécessaires en vue de l'élaboration, jusqu'au 1er janvier 1993, d'un vocabulaire orthographique commun de la langue portugaise, aussi complet que souhaitable et normalisé que possible en ce qui concerne les terminologies scientifiques et techniques. |
Selon l’article 3, l'Accord devait entrer en vigueur le 1er janvier 1994, une fois que seront déposés les instruments de ratification de tous les États signataires auprès du gouvernement de la république du Portugal. Pour diverses raisons, la date butoir a été reportée en mai 2015, car en janvier 1994 seuls le Portugal, le Brésil et le Cap-Vert avaient ratifié l'accord. Quant à l’article 4, il oblige les États signataires à prendre les mesures appropriées pour assurer le respect effectif de la date d'entrée en vigueur établie à l’article précédent. Le document fut signé par les sept États, à Lisbonne, le 16 décembre 1990.
Le traité est accompagné d’annexes décrivant les points orthographiques et/ou grammaticaux sur lesquels porte l’accord: alphabet, h initial et final, homophonie, séquences consonantique, voyelles atones, voyelles nasales, accentuation des oxytons/paroxytons, accent grave, tréma, trait d’union, apostrophe, minuscules et majuscules, divisions syllabiques, etc.
- La Communauté des pays de langue portugaise
En 1996, le Portugal ainsi que sept de ses anciennes colonies ont fondé la Comunidade dos Países de Língua Portuguesa (CPLP), la Communauté des pays de langue portugaise. Les pays membres étaient les suivants: l'Angola, le Brésil, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique, le Portugal et Sao Tomé-et-Principe. Après son indépendance, le Timor oriental a rejoint l’organisation comme 8e pays membre. La CPLP veut promouvoir la langue portugaise ainsi que la culture commune qui unit les pays membres. Plus particulièrement, les pays lusophones désirent collaborer dans le domaine de l'éducation, mais chercheront aussi à renforcer les liens culturels, politiques et économiques. La CPLP a son siège social à Lisbonne.
Grosso modo, les pays de la CPLP veulent encourager la diffusion et l'enrichissement de la langue portugaise, accroître les échanges culturels dans l’espace lusophone, renforcer la coopération entre les pays de langue portugaise dans le domaine de la concertation politique et diplomatique, encourager le développement d'actions de coopération interparlementaire, développer la coopération économique, dynamiser et approfondir la coopération dans le domaine universitaire, de la formation professionnelle et dans les différents secteurs de la recherche scientifique et technologique, mobiliser des efforts et des ressources en appui solidaire aux programmes de reconstruction et de réhabilitation, promouvoir la coordination des activités des institutions publiques et entités privées, associations de nature économique et organisations non gouvernementales œuvrant au développement de la coopération entre les pays lusophones, etc.
Quoi qu'il en soit, certains critères se trouvent à la base du concept de lusophonie:
1) un pays qui adopte la langue portugaise comme langue véhiculaire est un pays lusophone;
2) une communauté qui regroupe les sept peuples qui parlent portugais, ainsi que Timor, Goa et Macao est une communauté lusophone;
3) un pays où le portugais est une langue écrite et où cette pratique se généralise à tout le territoire est un pays où la lusophonie est en progression (c'est le cas du Timor oriental); par conséquent, le concept fondateur de la CPLP ne rattache pas nécessairement les locuteurs du portugais au monde de la lusophonie. Ainsi, un ensemble de pays dont la langue officielle, maternelle ou d'emprunt est le portugais est une communauté de pays de langue portugaise.
- La Déclaration constitutive des pays de langue portugaise
Deux documents ont été signés, le 17 juillet 1996, par les États de la CPLP: la Déclaration constitutive des pays de langue portugaise (Cimeira Constitutiva da Comunidade dos Países de Língua Portuguesa) et les Statuts de la Communauté des pays de langue portugaise (Estatutos da Comunidade dos Países de Língua Portuguesa).
La Déclaration constitutive des pays de langue portugaise a institutionnalisé la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). L'article 3 de la Charte de la Communauté des pays de langue portugaise exprime clairement les objectifs de ces sept pays:
1) concertation politique et diplomatique entre ses membres en matière de relations internationales, principalement dans le but d'affirmer sa présence (de la CPLP) dans les congrès internationaux ;
2) la coopération, particulièrement dans les domaines économique, social, culturel, juridique, technique et scientifique;
3) la mise en œuvre de projets destinés à promouvoir et à diffuser la langue portugaise.
- Les statuts des pays de langue portugaise (CPLP)
La Déclaration constitutive est accompagnée des Statuts de la Communauté des pays de langue portugaise, qui comptent 22 articles. Seul l'article 3 traite de la langue portugaise, les autres articles concernent le fonctionnement de la CPLP. Voici les objectifs tels qu'énoncés par l'article 3:
a) la concertation politique et diplomatique entre ses membres en matière de relations internationales, nommément en vue de renforcer leur présence aux fora internationaux;
b) la coopération, nommément dans les domaines économique, social, culturel, juridique, technique et scientifique;
c) la matérialisation de projets visant à la promotion et à la diffusion de la langue portugaise.
4.2 La politique à l'égard du créole capverdien
Depuis plus d'une dizaine d'années, le gouvernement capverdien s'est préoccupé du créole capverdien, la langue maternelle de tous les citoyens. C'est d'ailleurs l'une des obligations prévues par la Constitution. En effet, l'article 7 oblige l'État à «préserver, valoriser et promouvoir la langue maternelle et la culture capverdienne» (alinéa i) :
Article 7 Rôle de l'État Les tâches fondamentales de l'État sont: a) De défendre l'indépendance, de garantir l'unité nationale, de préserver, d'évaluer et de promouvoir l'identité de la nation capverdienne, en favorisant la création de leurs conditions nécessaires d'ordre social, culturel, économique et politique; g) De soutenir la communauté capverdienne éparpillée de par le monde et de promouvoir en son sein la conservation et le développement de la culture capverdienne ; h) De susciter et promouvoir l'éducation, la recherche scientifique et technologique, la connaissance et l' utilisation de nouvelles technologies, ainsi que le développement culturel de la société capverdienne ; i) De préserver, valoriser et promouvoir la langue maternelle et la culture capverdienne; |
L'article 79 de la Constitution porte sur le «droit à la culture». D'après cette disposition, il incombe spécialement à l'État de « promouvoir la défense, la valorisation et le développement de la langue maternelle capverdienne et de stimuler son usage dans la communication écrite» (alinéa f):
Article 79
Droit à la culture 1) Tous ont droit aux avantages et à la création culturelle, ainsi que du devoir de préserver, défendre et valoriser le patrimoine culturel. 2) Afin de garantir le droit à la culture, les pouvoirs publics doivent promouvoir, stimuler et assurer l' accès de tous les citoyens aux avantages et à la création culturelle en collaboration avec les autres agents culturels. 3) Afin de garantir le droit à
la culture, il incombe spécialement à l'État de: [...] e) promouvoir la participation d'émigrants dans la vie culturelle du pays ainsi que la diffusion et l'évaluation de la culture nationale au sein des communautés capverdiennes émigrées ; f) promouvoir la défense, la valorisation et le développement de la langue maternelle capverdienne et de stimuler son usage dans la communication écrite ; g) stimuler et soutenir les organisations relatives à la promotion culturelle et aux industries liées à la culture. |
- L'Alphabet unifié pour l'écriture du capverdien
L'objectif à long terme est d'officialiser le créole capverdien. Pour ce faire, il faut auparavant doter la langue d'une écriture. Le Décret-loi no 67/98 du 31 décembre proposé un alphabet unifié appelé ALUPEC : Alfabeto Unificado para a Escrita do Cabo-verdiano. Le décret 67/98 instituait une période d'essai d'une durée de cinq ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi. C'est le Décret-loi no 8 instituant l'ALUPEC comme alphabet capverdien (2009) qui rendait cet alphabet officiel. Toutefois, la loi n'a pas imposé des règles précises pour l'emploi de cet alphabet qui constitue une façon d'écrire le créole dans ses différentes variantes. C'est avant tout une option pour représenter chaque son de façon uniforme les variantes de la langue capverdienne. L'ALUPEC harmonise deux modèles d'alphabet latin: l'un sur une base phonologique, l'autre sur une base étymologique. Selon l'article 2 du décret-loi no 8/2009 du 16 mars, l'alphabet se compose de 23 lettres et de 4 digrammes, avec une représentation en majuscules et en minuscules:
Les 23 lettres | Les 4 digrammes | |
Majuscules | A - B - D - E - F - G - H - I - J - K - L - M - N - Ñ - O - P - R - S - T - U - V - X - Y - Z | DJ - LH - NH - TX |
Minuscules | a - b - d - e - f - g - h - i - j - k - l - m - n - ñ - o - p - r - s - t - u - v - x - y - z | dj - lh - nh - tx |
Un règlement prévoit que, pour que le créole devienne une langue officielle, il faut qu'il y ait des conditions nécessaires pour son officialisation. Or, celle-ci ne s'est pas encore concrétisée pour plusieurs raisons :
- L'existence d'une grande fragmentation dialectale dans le créole, et les locuteurs ne veulent pas parler une autre variante que la leur;
- L'absence de règles pour déterminer quelle est la forme correcte (et graphique) pour chacun des mots. Par exemple, seulement pour le mot correspondant en portugais à algibeira («poche»), on trouve algibêra, agibêra, albigêra, aljubêra, alj'bêra, gilbêra, julbêra et lijbêra;
- L'absence de règles pour établir les limites lexicales à adopter; souvent, les locuteurs du créole, en écriture, se joignent à différentes classes grammaticales. Par exemple, "pâm" au lieu de "pâ m";
- L'absence de règles pour établir des structures grammaticales qui doivent être prises non seulement entre les différences dialectales, mais aussi les variations dans une même variante dialectale. Par exemple, dans la variante de Santiago, lorsqu'il y a deux phrases dont l'une est subordonnée à l'autre, il faut une concordance des temps des verbes (bú cría pâ m' dába «tu querias que eu desse»), mais certains locuteurs ne l'applique pas;
- L'absence de normes pour déterminer des niveaux de langue : familial, formel, informel, argotique, scientifique, etc.
- Le système d'écriture adopté, l'ALUPEC, n'a pas été accepté par toutes les composantes.
Pour surmonter ces problèmes, certains auteurs préconisent un processus de standardisation des créoles des Îles-sous-le-Vent (capverdien sotavento) autour de la variante de Santiago et un autre processus de standardisation des créoles des Îles-du-Vent (capverdien barlanvento) autour de la variante de São Vicente. Ainsi, le créole serait une langue «multicentrée» ("língua pluricêntrica").
Malgré le fait que l'ALUPEC soit devenu un système d'écriture unifié et officiellement reconnu par le gouvernement du Cap-Vert, il est permis d'utiliser d'autres modèles d'écriture, selon la résolution n° 48/2005, «à la condition qu'ils soient présentés sous une forme systématisée»:
13. En disposant, en ce moment, d'un seul alphabet systématisé pour écrire la langue capverdienne (ou l'ALUPEC), son emploi constituera une valeur ajoutée pour le soutien institutionnel dans les créations artistiques. Cependant, d'autres modèles d'écriture sont également acceptables dans l'obtention d'un soutien, à la condition qu'ils soient présentés sous une forme systématisée. |
Ce sont toutes ces raisons qui font en sorte que chaque locuteur capverdien préfère utiliser son propre dialecte local; ils craignent en fait de perdre une partie de leur identité.
- La Commission nationales pour les langues
En octobre 2012, le gouvernement a institué la Comissão Nacional para as Línguas (CNL), la Commission nationale pour les langues, un organisme consultatif chargé de la mise en œuvre de la politique linguistique. En vertu de la résolution 47/2012 (Resolução n° 47/2012), le principal objectif de la Commission nationale pour les langues est de faire de la société capverdienne un pays affectivement bilingue, en accord avec les citoyens et l'environnement. Les langues concernées sont le portugais, le créole capverdien et la langue des signes. Les membres de la CNL sont des universitaires dans le domaine des études linguistiques, de la littérature, de la philosophie, ou des écrivains et des enseignants qui ont rédigé des ouvrages scientifiques ou littéraires dans les langues en usage dans la société capverdienne (portugais, créole et langue des signes). L'objectif dinal est d'officialiser le créole capverdien.
- L'enseignement du créole
Le créole capverdien est la langue maternelle de tous les Capverdiens. C'est cette langue que les jeunes cadres s'expriment dans leurs communications quotidiennes, y compris ceux qui ont étudié dans l'ancienne métropole comme les médecins, les ingénieurs, les enseignants, les avocats, les sociologues, les économistes, etc. C'est en créole capverdien que les fonctionnaires des différents ministères s'expriment pour communiquer entre eux. Bref, même s'il existe au Cap-Vert un bilinguisme élitiste (portugais-créole), le créole est constamment présent dans les relations informelles, même dans celles où le portugais prédomine. Autrement dit, il est inutile de nier la présence, pour ne pas dire l'omniprésence du créole dans la société capverdienne.
Évidemment, l'objectif de tout ce branle-bas de combat est d'intégrer le créole dans l'enseignement. Auparavant, il faut obtenir l'accord des parents, car il y a des résistances de ce côté. Certains veulent que leurs enfants reçoivent leur instruction uniquement en portugais dans les écoles privées, alors que d'autres se résignent à ce que les écoles publiques enseignent en créole. Il faut dire qu'en Afrique la plupart des pays ont une seule langue officielle, qui est aussi la langue d'enseignement à tous les niveaux. Peu de pays ont osé permettre une langue locale dans le système d'éducation.
Pour beaucoup de capverdiens, la politique linguistique à l'égard du créole est un écran de fumée. Il serait encore loin le jour où le créole deviendra dans les faits une langue co-officielle avec le portugais. Ce n'est pas par des dispositions constitutionnelles et des décrets gouvernementaux que le créole obtiendra ce statut. Pour ce faire, il faudra d'abord que le créole devienne une langue d'enseignement, une langue écrite dans l'administration, la justice et la législature, de même que dans les médias. Bref, il faudrait que le créole capverdien soit la langue dans toutes les situations formelles de communication, à l'intérieur du pays comme dans la diaspora. Quoi qu'il en soit, il faudrait surtout uniformiser les variétés ou variantes du créole capverdien. Et ce n'est pas pour demain la veille!
4.3 La politique à l'égard du français
Le Cap-Vert a également développé une politique d'enseignement du français langue seconde. Rappelons que le Cap-Vert est membre des Sommets de la Francophonie depuis 1996, donc à l'Organisation internationale de la Francophonie (en portugais: Organización Internacional de la Francofonía), et qu'il a adhéré à l'Agence intergouvernementale de la Francophonie en décembre 1996. Comme ses pays voisins, tels que la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, le Maroc, etc., sont des États francophones, le gouvernement a cru bon de promouvoir, dès 1995, l'enseignement du français comme langue seconde obligatoire. Pour l'année scolaire 2000-2001, les grands objectifs sont (1) la promotion du français dans le système scolaire et hors-système scolaire, (2) l'appui aux associations franco-capverdiennes et à la Commission nationale de la francophonie. Dans le cadre du système scolaire, les objectifs visent à augmenter le nombre de professeurs de français qualifiés, de promouvoir la qualité de l'enseignement de la langue française et d'augmenter le «public bénéficiaire».
Pour les élèves entrant à l'école secondaire, l'enseignement du français est obligatoire. Les élèves commencent l'apprentissage d'une langue vivante en 7e année (1re année de l'enseignement du secondaire). Cette langue peut être soit l'anglais soit le français, mais 50 % des élèves choisissent le français. En 9e et 10e année, les élèves commencent l'apprentissage d'une deuxième langue étrangère en fonction de leur choix initial. En 11e et 12e année, le français est obligatoire dans la filière humanités (lettres) et optionnel dans les autres programmes.
1999-2000 |
2000-2001 |
2001-2002 |
2002-2003 |
||
1er et 2e cycle |
Effectif global |
46 326 |
53 139 |
58 744 |
63 150 |
Enseignement du français |
34 744 |
39 854 |
44 058 |
47 362 |
|
3e cycle |
Effectif global |
5 210 |
8 472 |
12 097 |
14 760 |
Enseignement du français |
1719 |
2 795 |
3 992 |
4 570 |
En dehors du système public, des cours pour enfants et adultes ont lieu sur les îles de Santiago (à Praia, à Assomada et à Tarrafal), de Fogo et de Maio. Des cours «à objectif spécifique» sont même organisés dans des institutions ou dans des entreprises. Par ailleurs, les télévisions (Canal France International: CFI) et radio (Radio France International: RFI) proposent dans leur programme un enseignement du français.
Dans une intervention à la radiotélévision nationale, le 20 mars 1995, l'ancien président Antonio Pedro Monteiro Lima déclarait assez clairement que la politique gouvernementale était d'ancrer la francophonie dans la réalité capverdienne:
Il ne s'agit pas d'une commémoration qui ne nous regarde pas ou qui nous est totalement étrangères, à nous Capverdiens, [...] à la veille du 3e Congrès des cadres de la diaspora, il ne saurait s'agir d'une hérésie de dire, ici, qu'en dehors du créole le français est la seconde patrie linguistique de toute une génération de Capverdiens d'outre-mer, fruits des migrations vers les terres du destin de la capverdianité. [...] Au delà d'autres dimensions culturelles et d'autres espaces linguistiques, nous appartenons de plein droit à la Francophonie et ce n'est pas un hasard si nous participons à ses manifestations et si nous avons adhéré à son organisation internationale. |
L'État capverdien pratique une politique linguistique qui s'apparente à la non-intervention en ce qui concerne le portugais, sauf pour les relations internationales où l'État a adopté la politique des pays de la lusophonie. Quant à la langue nationale, le créole capverdien, la politique en est encore à ses débuts. Outre le fait de promouvoir le créole par des dispositions peu contraignantes, il reste tout à faire pour parvenir à une co-officialité dans les faits. En ce sens, la politique du Cap-Vert à l'égard du créole ressemble à celle de Haïti : un symbole qui ne se traduit pas dans les faits.
On ne peut pas dire que le Cap-Vert soit un État officiellement bilingue. En tout cas, ce bilinguisme ne s'est pas transposée dans l'appareil de l'État et reste déséquilibré dans les domaines sociopolitiques et socio-économiques. Malgré son statut de langue nationale, le créole capverdien n'apparaît pas davantage comme un idiome prestigieux. La société capverdienne n'est pas une société bilingue (moins de 20 %), mais l'État l'est, de même qu'une petite élite. Il s'agit donc d'un bilinguisme qui semble favoriser indûment le portugais aux dépens du créole, langue de la quasi-totalité de la population. Bref, le Cap-Vert, comme bien d'autres pays d'Afrique, est resté à un stade colonial, mais à avec cette différence que tout le pays parle une même langue, le créole fragmenté en diverses variétés favorisées par l'insularité de ses locuteurs.
Pour que le Cap-Vert se dote d'une véritable politique linguistique équilibrée, il lui faudrait faire entrer le créole dans les domaines de prestige et poursuivre un bilinguisme équilibré, avec comme condition préalable la standardisation de la langue. À l'heure actuelle, la politique linguistique capverdienne ne concorde pas avec l'article 9 de la Constitution qui a formellement reconnu le créole comme l'une des langues officielles de pays. Mais tous les espoirs sont permis, car le pays compte une population relativement scolarisée avec un taux de scolarisation à l'école primaire de 93 % (en 2011), selon l'UNESCO. En dépit de sa nation fragmentée, le pays existe bel et bien au-delà de ses particularismes insulaires.
Bibliographie
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