[East Timor flag]
République démocratique du Timor oriental

Timor oriental

2) Données historiques

Il y a plus de 3000 ans avant notre ère, la grande île de la Nouvelle-Guinée (ou Irian Jaya) était occupée par des peuples mélanésiens; à l’ouest, l’île de Timor était également habitée par des Mélanésiens atolis. Puis, à partir de 2500, des Papous et d’autres Mélanésiens, particulièrement les Bélus, se sont installés par vagues successives (jusqu’en 200 avant notre ère) dans les deux îles, l’Irian Jaya et le Timor. Au début du premier millénaire, le territoire du Timor était déjà habité par plusieurs ethnies mélanésiennes dont les Atolis (ou Dawans), les Bunaqs, les Famaks, les Bélus, etc., ainsi que des Papous, ce qui contribua à former une diversité ethnique dont on constate encore aujourd’hui les effets. Tandis que tout l’archipel indonésien et les Philippines commençaient à s’islamiser au XIIIe siècle, les Timorais de l’Est sont restés à l’écart de ce grand bouleversement à la fois religieux et culturel.

1 La colonisation portugaise

À la même époque, un groupe de missionnaires portugais s’était installé au Timor oriental. Ceux-ci avaient réussi à convertir les autochtones, les Tétoums (ou Bélu), à la religion catholique; de leur côté, les Timorais de l’Ouest protégés par les Hollandais restaient musulmans. Avec les années, les missionnaires portugais avaient attiré des colons, des soldats, des marchands et des navigateurs formant une communauté assez disparate en raison du métissage entre Portugais et Timorais.

Un peu plus tard (au XVIe siècle), l’île de Timor fut divisée en deux royaumes rivaux autochtones: la partie occidentale se trouva sous la dépendance du royaume musulman de Sombay, alors que la partie orientale fut soumise au royaume catholique de Behale. Mais les rivalités entre les deux royaumes poussèrent les belligérants à rechercher l’aide militaire des puissances coloniales de l’île: les Portugais pour le royaume de Behale, les Hollandais pour le royaume de Sombay. En 1515, les deux groupes rivaux, l’un musulman, l’autre catholique, se livrèrent la guerre et les Topasses, une puissante famille lusophile, finirent par régner sur les deux parties de l’île, la religion catholique étant devenue une arme culturelle pour s’imposer sur tout le territoire. En raison de la colonisation portugaise, on peut affirmer que le Timor oriental est resté à l’écart de l'évolution culturelle et religieuse qui a marqué l’ensemble de l’archipel indonésien (îles de Sumatra, Java, Bali, Kalimantan, Sulawesi) et les Philippines.

Les descendants de ces métis sont à l’origine d’un groupe ethnique appelé Topasses qui, à partir du XIVe siècle, établirent leur domination sur les autres ethnies autochtones de l’île. Outre le portugais, la langue la plus utilisée devint le tétoum, la langue des Bélu. Ce nom de «Topasse» désignait les métis de Portugais et de Timorais, aussi qualifiés de «Portugais noirs». Deux grandes familles se sont distinguées : la famille de Hornay, issue d’un déserteur hollandais et la famille da Costa, d’origine portugaise. De 1693 à 1722, le Topasse Domingos da Costa fut considéré comme le souverain de Timor, choisissant alternativement de s’allier ou de s’opposer aux Portugais.

1.2 La division entre le Timor occidental et le Timor oriental

En 1602, les Pays-Bas fondèrent la Compagnie unie des Indes orientales» ("Vereenigde Ooste Indishe Compagnie"). Dès 1613, les Hollandais disputèrent aux Portugais la suprématie économique de la région. Quelques décennies plus tard, soit à partir de 1640, les Portugais intensifièrent leur présence politique et militaire au Timor oriental.

Pendant ce temps, les Hollandais expulsaient les Portugais des îles voisines et s’installaient définitivement dans toute l’Indonésie actuelle et, en 1769, au Timor occidental, lequel dépendait alors du royaume local de Sombay.

Durant trois siècles, le Portugal a maintenu sa tutelle coloniale au Timor oriental et les Pays-Bas ont fait de même au Timor occidental ainsi que dans le reste de l’Indonésie qui devint en 1800 les "Indes orientales néerlandaises». C'est ce qui explique que le Timor occidental demeurait sous administration hollandaise. C’est seulement en 1859 que les Pays-Bas et le Portugal signèrent un traité déterminant les frontières précises entre le Timor occidental hollandais et le Timor oriental portugais. Les frontières coloniales furent reconnues et fixées, le 25 juin 1914, par la Cour internationale de justice de La Haye.

Sous la domination portugaise, toute l'éducation se faisait par l'intermédiaire du portugais, bien qu'il puisse coexister avec le tétoum et d'autres langues. Le portugais a particulièrement influencé la variété malayo-polynésienne du tétoum parlée dans la capitale, Dili, plus connu sous le nom de "tetun prasa" (avec un "n" plutôt qu'un "m"), par opposition à la version plus traditionnelle parlée dans les zones rurales, connue sous le nom de "tetun terik".

Au début du XXe siècle, les incessantes luttes entre les royaumes autochtones rivaux finirent par excéder le Portugal qui délaissa quelque peu sa colonie jusqu’au moment où, en 1932, Antonio de Oliveira Salazar, alors ministre des Colonies du Portugal, décida d’imposer au Timor une dictature fasciste, semblable à celle qui sévissait en Métropole. Les Timorais portugais s’opposèrent aux politiques de Salazar, mais ils durent subir la répression portugaise puisque le régime refusa toute décolonisation outre-mer.

1.3 Les emprunts à la langue portugaise

Tel qu'il a été expliqué précédemment, la langue tétoum fut fortement influencée par le portugais européen. Ainsi, au fil des années de la colonisation (500 ans), le tétoum Ta incorporé de nombreux mots empruntés au portugais du Portugal. On trouvera ci-dessous des termes lexicaux appartenant à différents champs sémantiques, comme l'école, la politique, la religion, l'alimentation, etc. Ce sont là quelques exemples du portugais du Portugal entré dans la langue tétoum:

Champ sémantique Portugais Tétoum
Alimentation Pão, Café, Bolo, Caldeirada, Sobremesa, Trigo, Tomate, Cenoura, Arroz refogado, Berinjela, Bife, Tinto, Alface, Torta, Sumo, etc.
Pain, café, gâteau, ragoût, dessert, blé, tomate, carotte, riz, aubergine, steak, rouge, laitue, tarte, jus, etc.
Paun, Kafé, Bolu, Kalderada, Sobremeja, Trigu, Tomate, Senoura, Aroz fugadu, Brinjela, Bifi, Tintu, Alfase, Torta, Sumu, etc.
Vêtements et accessoires Calça, Camisa, Sapato, Botas, Saia, Vestido, Calcinha, Cueca, Blusa, Chuteira, Sandálias, Luva, Pasta, Brinco, Cinto, Fita, Gravata, Meias, Casaco, Batina, Bata, Chinelo, etc.
Pantalon, chemise, chaussures, bottes, jupe, robe, culotte, sous-vêtements, chemisier, bottes, sandales, gants, mallette, boucles d'oreilles, ceintures, rubans, cravates, chaussettes, manteaux, cassettes, robes, pantoufles, etc.
Kalsa, Kamija, Sapatu, Botas, Saia, Vestidu, Kalsina, Kuekas, Bluja, Suteira, Sandálias, Luvas, Pasta, Brinku, Sintu, Fita, Gravata, Meas, Kajaku, Batina, Bata, Sinelu, etc.
Transports Bicicleta, Taxi, Capacete, Avião, Passageiro, Condutor, etc.
Vélo, taxi, casque, avion, passager, conducteur, etc.
Bisikleta, Taxi, Kapasete, Aviaun, Pasajeiru, Kondutor, etc.
École Caderno, Livro, Estudante, Aluno/a, Professor/a, Caderneta, Lápis, Lapiseira, Régua, Cadeira, Mesa, Biblioteca, Educação, etc.
Cahier, livre, étudiant, élève, enseignant, cahier, crayon, porte-mine, règle, chaise, table, bibliothèque, éducation, etc.
Kadernu, Livru, Estudante, Alunu/a, Profesor/a, Kaderneta, Lapis, Lapijeira, Regua, Kadeira, Meja, Alunu/a, Biblioteka, Edukasaun, etc.
Religion Padre, Madre, Bispo, Igreja, Bíblia, Catequista, Missa, Terço, Reza, Oração, etc.
Prêtre (ou père), mère, évêque, église, Bible, catéchiste, messe, chapelet, prière, oraison, etc.
Padre, Madre, Bispu, Igreja, Bíblia, Katekista, Misa, Tersu, Reza, Orasaun, etc.
Santé Doutor/a, Hospital, Clínica, Parteira, Enfermeira, Paciente, Farmácia, etc.
Médecin, hôpital, clinique, sage-femme, infirmière, patient, pharmacie, etc.
Dotor/a, Ospital, Klinika, Parteira, Enfermeira, Pasiente, Farmásia, etc.
Politique Parlamento, Ministro/a, Deputado/a, Presidente/a Palácio, Governo, Lei, Advogado, Eleição, Corrupção, Bandeira, etc.
Parlement, ministre, député, palais présidentiel, gouvernement, loi, avocat, élection, corruption, drapeau, etc.
Parlamentu, Ministru/a, Deputadu/a, Presidente/a, Palásiu, Governu, Lei, Advogadu, Eleisaun, Korupsaun, Bandeira, etc.
Ustensiles et outils Fogão, Geladeira, Bandeja, Xícara, Balde, Copo, Garfo, Sofá, Chave de fenda, Parafuso, Alicate, Lâmina, Aço, etc.
Cuisinière, réfrigérateur, plateau, tasse, seau, coupe, fourchette, canapé, tournevis, vis, pinces, lame, acier, etc.
Fogaun, Jeladeira, Bandeja, Síkra, Balde, Kopu, Garfu, Sofá, Xafenda, Parafusu, Alkate, Lamina, Asu, etc.

Source: "A influência da língua portuguesa no tétum: estrangeirismos e empréstimos lexicais no processo de construção das línguas", Université de l'État de Paraíba (Brésil), 2019. En français: «L'influence de la langue portugaise sur le tétoum : mots étrangers et emprunts lexicaux dans le processus de construction des langues».

1.4 L'occupation japonaise

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Timor oriental se retrouva au centre des combats opposant les Alliés aux Japonais, ceux-ci ayant envahi la région au début de 1942 afin de préparer une offensive contre l’Australie. Salazar autorisa l’Australie à s’établir au Timor oriental, mais après de violents combats les Australiens abandonnèrent le terrain aux Japonais qui envahirent en février 1942 la région avec plus de 20 000 combattants.  La répression contre les populations timoraises qui avaient soutenu l’Australie fut terrible : de 40 000 à 70 000 morts, selon les estimations, pour une population de 500 000 personnes environ, soit entre 10 % et 15 % de la population d’avant-guerre

James Dunn, un ancien consul australien à Dili (1962-1964), a pu écrire en 1983: «Le Timor-Est a été une des plus grandes catastrophes de la Deuxième Guerre mondiale en termes de pertes de vies humaines.» Évidemment, les dommages matériels furent considérables puisque 90 % des constructions furent détruites.

Les Japonais voulurent se présenter comme les libérateurs du peuple indonésien. Cependant, ils entreprirent la promotion du japonais dans les Indes néerlandaises, c'est-à-dire l'Indonésie, dont faisait partie pour eux le Timor portugais. En peu de temps, la langue japonaise réussit à supplanter le néerlandais; il en fut ainsi avec l'espagnol aux Philippines et, bien sûr, avec le portugais du Timor. Bref, le néerlandais, l'espagnol et le portugais ne résistèrent pas à la concurrence linguistique du japonais imposé par la force des armes.

L'influence japonaise sur la partie orientale du Timor fut brève et donc superficielle, mais elle a laissé des traces sur la population timoraise, notamment sur les personnes âgées dans les régions rurales qui ont vécu cette période. L'impact de la langue japonaise sur les langues parlées au Timor oriental aurait pu être importante, mais pour des raisons pratiques, l'armée japonaise a surtout employé la langue anglaise dans ses documents destinés à l'administration portugaise locale et l'utilisait aussi pour communiquer avec la population de l'île, qu'elle soit d'origine européenne ou autochtone. Le seul contact intense documenté entre les Japonais et les Timorais de l'Est s'est produit lorsque l'armée japonaise, ayant des difficultés à s'imposer dans les régions les plus isolées du territoire du Timor portugais, a décidé de ramener l'élément autochtone à son profit. Néanmoins, l'impact linguistique de la langue japonaise en tétoum et dans les autres langues maternelles se limite à quelques mots et à des champs sémantiques spécifiques, parmi lesquels on peut mentionner les armes, les maladies, la nourriture et la guerre. En voici quelques exemples: sutaté (sauce soja), catana (épée indigène du Timor), kempi (police secrète japonaise), sodoku (maladie de la morsure de rat), samouraï (épée longue du samouraï japonais), lakeru zapones (chayote), gur zapanes (sorte de sous-bois), etc.

1.5 L'indépendance de l'Indonésie

Après la guerre (1945), le Portugal reprit immédiatement le contrôle du Timor oriental, mais ne tenta même pas de reconstruire sa colonie et imposa de nouveau sa dictature militaire. Pendant ce temps, la guerre avait repris entre les Pays-Bas et sa colonie indonésienne. En 1949, les Pays-Bas abandonnèrent leur colonie indonésienne qui devint la République fédérale indonésienne, puis, en 1950, le président Sukarno proclama la «République d’Indonésie». Tout le territoire de l’ancienne colonie hollandaise fut concédé à l’Indonésie, ce qui signifiait que le Timor occidental devenait une possession de l’Indonésie, alors que le Timor oriental restait sous administration portugaise. Une bataille diplomatique fut entreprise entre Lisbonne, Londres, Tokyo et Washington afin de libérer le Timor oriental du joug australien, néerlandais et japonais.

En 1961, les habitants du Timor oriental se soulevèrent contre le régime fasciste portugais, mais le président Salazar maintint son autorité jusqu’en 1968 alors que, victime d’une attaque cérébrale, il dut céder le pouvoir. Le Timor oriental tomba temporairement dans l’oubli pour la communauté internationale pendant que la guerre coloniale avec le Portugal se poursuivait. En fait, les guerres coloniales du Portugal en Asie et en Afrique coûtèrent la vie à 8000 Portugais, tandis que plus de 20 000 soldats revinrent handicapés ou mutilés, et plus de 140 000 restèrent traumatisés le restant de leur vie.

1.6 La révolution des Œillets

Le 25 avril 1974, le Parti socialiste du Portugal, appuyé par les Forces armées très hostiles à la poursuite des guerres coloniales, renversa le régime d’extrême-droite des partisans de Salazar et porta le général Antonio de Spinola à la présidence de la République portugaise. Ce fut le signal de la révolution des Œillets qui fournit l’occasion au nouveau gouvernement du Portugal de reconnaître le droit à l’indépendance des peuples des colonies. Mais, dans les faits, le Portugal se désintéressait de ses colonies, ce qui permit au gouverneur du Timor oriental de conserver ses fonctions dans ce qui était encore la «province d'outre-mer du Portugal». En juin 1974, le Mouvement des forces armées, la junte militaire à l’origine de la révolution, proposa trois options pour l’avenir du Timor oriental : l’association au Portugal, l’intégration à l’Indonésie ou l’indépendance.

Du côté de la population timoraise, la révolution au Portugal provoqua l’émergence des partis politiques nationalistes, jusque-là interdits. Trois forces politiques principales s’opposèrent:

- l’Union démocratique timoraise (UDT), un parti conservateur qui prônait une autonomie politique tout en conservant des liens étroits avec le Portugal;
- le Front révolutionnaire pour un Timor-Est indépendant (le FRETILIN), un parti de gauche qui défendait le droit à l’indépendance;
- l’Association populaire et démocratique timoraise (APODETI), un parti de droite qui défendait le rattachement à l’Indonésie.

De son côté, le Parlement portugais promulgua une loi destinée à préparer l'élection d'une assemblée populaire dans le territoire timorais et, en octobre 1975, il fit savoir que la souveraineté du Portugal sur le Timor oriental prendrait fin en octobre 1978. Bref, le Portugal avait choisi l’option de l’indépendance du Timor oriental et se trouvait à appuyer le Front révolutionnaire pour un Timor-Est indépendant (le Fretilin).

1.7 L’intervention armée indonésienne

Au cours du mois de novembre 1975, la guerre civile éclata au Timor oriental entre les partisans du FRETILIN favorables à l'indépendance et les partisans de l’UDT et de l’APODETI. Le Fretilin sortit vainqueur du conflit et, après avoir obtenu le contrôle du territoire, proclama la république du Timor-Est; son ministre des Relations extérieures fut José Ramos-Horta qui se méritera le prix Nobel de la paix en 1996. Mais l’éphémère république du Timor-Est ne vécut que dix jours. Dès la proclamation du nouveau gouvernement timorais, l’Indonésie annonça sur les ondes timoraises que des armes soviétiques, chinoises et vietnamiennes avaient été introduites clandestinement au Timor oriental pour soutenir le Fretilin. Évidemment, la propagande indonésienne était destinée à justifier une intervention de ses forces armées au Timor, qui devaient, selon la version officielle, combattre le communisme. De fait, le 7 décembre 1975, l’armée indonésienne envahissait le territoire, ce qui entraînait le retrait immédiat de l'administration portugaise.

2 La province indonésienne du Timor Timur

Étant donné que le Timor oriental possédait de vastes réserves de pétrole et de gaz naturel, la nouvelle province indonésienne devenait rentable à plus d’un titre. D’abord, le territoire rapportait des dividendes à l’économie indonésienne. De plus, l’invasion améliorait l’image du pouvoir politique qui se faisait l’apôtre de la lutte au communisme international incarné par le Fretilin; enfin, c’était une occasion rêvée pour les Forces armées indonésiennes de s’associer au pouvoir politique et d’en constituer une composante indissociable. Avec la bénédiction des États-Unis, l'Indonésie envahit le Timor oriental et l'occupa illégalement, sous prétexte de lutte contre le communisme.

Depuis le 21 mars 1968, le président de l'Indonésie était le général Suharto, désigné par l'Assemblée délibérative provisoire du peuple, mais il avait été au pouvoir de façon provisoire l'anné.es précédente. Suharto allait diriger un gouvernement fort, centralisé et dominé par les militaires. Durant sa dictature, plus de 500 000 personnes allaient perdre la vie sur un pays qui en comptait 200 millions. Dans les années 1990, l'autoritarisme de l'«Ordre nouveau» et la corruption généralisée allaient être également une source de mécontentement. C'est sous son règne que le Timor oriental allait être victime d'une occupation qui devait durer vingt-quatre ans.

2.1 La répression indonésienne

Après avoir pris possession de l’île en 1975 (devenue la 27e province), le président indonésien Suharto demanda aux derniers combattants de la résistance timoraise de se rendre en leur promettant un armistice. Comme la résistance était beaucoup mieux organisée qu’on l’aurait cru, les 16 000 soldats indonésiens eurent fort à faire pour mâter les «forces rebelles». L’armée d’occupation eut recours à des méthodes barbares; par exemple, se servir des Timorais ainsi que des boucliers humains, parquer la population dans des camps de concentration, brûler tout le couvert végétal de l’île, sans parler des arrestations arbitraires, des tortures, des déportations, des emprisonnements et des exécutions extrajudiciaires. Évidemment, les responsables du Fretilin n’ont jamais survécu à leur reddition et les opérations militaires se sont poursuivies jusqu’en 1978, puis ont repris de 1983 à 1989. En décembre 1978, l’armée indonésienne reconnaissait avoir interné 372 900 Timorais dans 150 camps, ce qui représentait 60 % de la population.

Les autorités indonésiennes ont toujours affirmé officiellement ralentir les massacres, mais les liquidations ont continué au Timor oriental à un point tel que le gouvernement de Jakarta fut obligé de refaire régulièrement les statistiques démographiques officielles, car, depuis 1975, les zones occupées se seraient «vidées» de quelque 250 000 habitants (et probablement 300 000, selon l’Église catholique du Timor). D’une population estimée par l’ONU à environ 700 000 en 1975, presque 200 000 Timorais auraient trouvé la mort sous l’effet direct de l’occupation indonésienne. L'Indonésie annexa officiellement le territoire en 1976, le déclarant comme sa 27e province et le renommant Timor Timur, la traduction indonésienne de "Timor oriental", limitrophe de celle du Nusa Tenggara Timur ("Timor occidental"). L'emploi de la langue portugaise fut alors interdit, car elle fut considérée comme une relique de la colonisation.

Cependant, les Nations unies n'ont jamais reconnu l'annexion, continuant à considérer le Portugal comme la puissance administrante légitime du Timor oriental, ce qui n'a pas empêché les États-Unis et l'Australie de reconnaître cette annexion.

2.2 La politique d’assimilation

Au lendemain de l'occupation par l'Indonésie, la langue portugaise fut aussitôt interdite. Elle était alors parlée par la petite communauté de quelque 1200 Européens et par un certain nombre de Timorais (entre 30 000 et 70 000) constituant l'élite locale qui fréquentait les écoles primaires et secondaires en portugais et qui occupait des postes administratifs. Donc, pour la plupart des Timorais, cette interdiction ne changeait pas grand-chose. Quant à l'Église catholique, l'une des institutions qui s'appuyaient le plus sur la langue portugaise, elle se tourna vers le tétoum prasa comme langue liturgique. Signalons que les réformes qui avaient aboli le latin comme langue du culte favorisaient toute langue vernaculaire, mais ce fut le tétoum de Dili qui fut choisi. En même temps, l'Église échappait au processus d'imposition de l'indonésien comme «nouvelle» langue du territoire.

Au même moment, le Portugal ignora le Timor, ce qui lui évitait de gérer un douloureux processus de décolonisation, et préféra considérer l’occupation indonésienne comme un fait accompli pendant que, de son côté, l’Australie revendiquait le territoire à des fins d’exploration pétrolière. Pour sa part, l’ONU déplora d’abord l’intervention armée de l’Indonésie, protesta à plusieurs reprises, adopta à l’unanimité la résolution 384 du 22 décembre 1975, mais laissa finalement tomber la question timoraise, alors que les communiqués indonésiens se montraient rassurants dans la lutte anticommuniste entreprise au Timor oriental. Il faut dire que les États-Unis avaient fait pression sur l’ONU pour que celle-ci ne condamne pas trop fermement l’agression indonésienne. La rébellion des Timorais s’est donc déroulée dans une quasi-indifférence et, durant plus de vingt ans, le Timor est demeuré un conflit oublié par la communauté internationale, tandis que l’Indonésie pratiquait impunément sa politique d’assimilation. Mais 25 ans de répression à huis clos, de famine et de résistance armée, un bilan de 250 000 morts, n'ont pas cassé les Timorais; ils ont même amplifié leur détermination.

Depuis l’annexion de 1975, l’Indonésie a pratiqué une véritable politique d’assimilation qui se doublait d’un génocide. Afin de réussir, cette politique d’assimilation devait porter sur plusieurs aspects: l’imposition de la nationalité indonésienne, le repeuplement (politique appelée officiellement "transmigration") et la régulation des naissances, l’interdiction et l’imposition linguistique (et religieuse), l’acculturation par l’éducation, la discrimination, etc. Toute cette politique d’assimilation est à la fois ethnique, linguistique, culturelle, religieuse et sociale.

2.3 La politique de la citoyenneté

Avant l’invasion indonésienne, tous les Timorais pouvaient se prévaloir de la nationalité portugaise. Ils manifestaient ainsi leur non-appartenance à la société indonésienne. C’est pour contrer cette attitude que l’administration indonésienne voulut imposer la citoyenneté indonésienne aux Timorais, celle-ci devenant une condition de la promotion sociale en même temps qu’un outil de discrimination.

L’acceptation de la citoyenneté indonésienne devint obligatoire pour obtenir des postes dans la fonction publique et l’éducation, les fonctionnaires et les enseignants devant être totalement soumis au régime. Inutile de dire que, sauf de rares exceptions, les Timorais ont été rapidement exclus de ces postes. En effet, des dizaines de milliers d’Indonésiens, surtout des Javanais, ont été implantés ou plutôt «transmigrés» par le gouvernement au Timor oriental et ont fini par détenir tous les pouvoirs de l’administration et de l’éducation. Or, l’éviction des Timorais dans ces postes stratégiques impliquait aussi le non-emploi de leur langue.

De plus, la législation indonésienne a interdit à tout «étranger» de posséder une propriété au Timor. Par exemple, si les agriculteurs timorais ne demandaient pas la nationalité indonésienne, ils perdaient leurs terres qui étaient confisquées et attribuées à l’armée ou aux nouveaux colons indonésiens. En les contraignant à accepter la citoyenneté indonésienne, le gouvernement pouvait prétendre que les Timorais étaient satisfaits de leur intégration à l’Indonésie. Toutefois, comme la plupart des grands propriétaires terriens s’étaient exilés en Australie ou au Portugal et qu’ils n’avaient aucune envie de solliciter la citoyenneté indonésienne, l’État indonésien a pu ainsi récupérer "légalement" ces terres et les distribuer aux amis du régime.

Cela dit, il n’en demeure pas moins qu’en regard du droit international les Timorais étaient et sont encore considérés aujourd’hui comme des... Portugais. Par ailleurs, selon les conventions de Genève et de La Haye, la législation foncière de l’Indonésie est jugée illégale et correspond à une confiscation de fait de la propriété privée.

2.4 La politique de transmigration et de stérilisation

La politique d’indonésiation des Timorais consiste à les minoriser sur leur propre territoire. Pour ce faire, il suffisait de déplacer massivement des populations indonésiennes au Timor et de limiter sévèrement les naissances chez les femmes timoraises. Ainsi, on augmentait le nombre des Indonésiens par rapport aux Timorais. Depuis 1980, on estime à quelque 200 000 ou 250 000 le nombre de colons et de fonctionnaires indonésiens qui se sont installés au Timor oriental, des «transmigrants» (selon la terminologie officielle) originaires des îles indonésiennes prétendument surpeuplées de Sulawesi, de Java, de Mandura et de Bali.

En fait, ce sont surtout des Javanais qui se sont implantés au Timor afin d’exploiter les richesses du sous-sol, notamment le pétrole et le gaz naturel. Évidemment, les bénéfices du développement économique ont toujours échappé aux Timorais au profit des Indonésiens, c’est-à-dire les commerçants javanais, les militaires et les représentants gouvernementaux. Les forces de sécurité indonésiennes ont dû en même temps réprimer les manifestations autochtones et les partis indépendantistes timorais.

Dans un pays composé de 13 000 îles et comptant 195 millions d’habitants, il est aisé de modifier la composition de la population et de déplacer massivement des Indonésiens. À cet effet, le gouvernement a adopté une politique dite de «transmigration» destinée à soulager les îles prétendument surpeuplées de Java, de Mandura et de Bali. Cette transmigration était dirigée vers des îles où la pression démographique est moins forte, par exemple vers le Timor oriental qui ne comptait en 1975 que 600 000 habitants. À partir de 1980, quelque quatre millions d’Indonésiens ont été «transmigrés» vers des îles moins peuplées et 40 millions d’autres devaient l’être au cours des deux décennies suivantes.

La «transmigration» des populations à destination du Timor oriental a commencé en 1980. Cependant, il est difficile de savoir combien de «transmigrants» se sont établis au Timor oriental, car l’information a été gardée secrète par les autorités. Des observateurs étrangers estiment toutefois entre 250 000 et 300 000 le nombre des «transmigrés» indonésiens au Timor oriental. Sur une population actuelle de 890 000 habitants, ce groupe représenterait environ 30 % de l’ensemble.

Par ailleurs, on sait maintenant que les paysans indonésiens «transmigrés» se sont très mal adaptées au Timor en raison de la mauvaise qualité des terres concédées et des engrais fournis, ainsi que du matériel agricole insuffisant. On sait aussi que les fonctionnaires indonésiens qui ont accepté de se rendre au Timor oriental l’ont fait parce que les salaires étaient de 20 % à 100 % supérieurs à ceux du reste du pays. Dans le secteur commercial, des milliers de commerçants, d’employés originaires de Sumatra et de Sulawesi se sont implantés au Timor, parce que les Timorais ont rarement obtenu l’autorisation d’ouvrir un commerce. Quoi qu’il en soit, en 1998, les deux principales villes du Timor oriental, Dili et Baucau, ne comptaient plus que 30 % de Timorais. Au plan sociopolitique, l’État indonésien espérait ainsi neutraliser la résistance des Timorais grâce à l’arrivée des «transmigrés» qui imposeraient alors leurs valeurs.

Afin de justifier cette «politique de transmigration» au Timor oriental, le gouvernement de Jakarta a prétendu que la province était trop sous-peuplée pour permettre un développement autonome viable. Or, après avoir perdu le tiers de sa population entre 1975 et 1980, le Timor oriental compte aujourd’hui 42 habitants au kilomètre carré, ce qui représente beaucoup plus que les îles voisines de Kalimantan (14 hab./ km²), d’Irian Jaya (3 hab./ km²) ou des Moluques (22 hab./ km²). En fait, avec ses 890 000 habitants, le Timor oriental est encore plus peuplé que plusieurs micro-États du Pacifique, dont Tonga (98 000 hab. sur 748  km²), Nauru (11 000 hab. sur 213  km²) et Kiribati (82 000 hab. sur 810  km²). À titre de comparaison, près de 40 États membres des Nations unies ont des populations inférieures à celle du Timor oriental, dont l’Islande, le Liechtenstein, le Luxembourg, Brunei, etc.

De toute façon, pendant que le gouvernement indonésien prétendait que la population du Timor était trop petite pour être viable, il obligeait les femmes timoraises à limiter sévèrement les naissances. D’après des informations (données de 1987) provenant d’une association de médecins indonésiens, des injections contraceptives auraient été pratiquées sur 57 % des femmes timoraises contre seulement 5 % dans le reste de l’Indonésie. Comme si ce n’était pas assez, les produits contraceptifs utilisés par les Timoraises leur ont été présentés comme étant un vaccin contre le tétanos. Or, l’Organisation mondiale de la santé n’a jamais autorisé ces pratiques alors que l’Église catholique du Timor a toujours dénoncé les procédés utilisés par les autorités indonésiennes en matière de contraception. En réalité, le gouvernement indonésien a décidé de stériliser frauduleusement les femmes timoraises.

Néanmoins, la politique indonésienne de «repeuplement» a été soutenue depuis 1980 par la Banque mondiale, bien que certains organismes humanitaires aient déjà dénoncé cette politique comme une autre forme de génocide qui, après les massacres massifs, consiste à minoriser une population sur son territoire au moyen d’une politique de transmigration et de stérilisation des femmes timoraises.

Quoi qu’il en soit, la politique de transmigration du gouvernement indonésien viole l’article 49 de la convention de Genève de 1949, signée par l’Indonésie, qui interdit toute déportation et tout transfert de population, sauf en cas de force majeure, et ce, de façon strictement provisoire:

Article 49

1) Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu'en soit le motif.

2) Toutefois, la Puissance occupante pourra procéder à l'évacuation totale ou partielle d'une région occupée déterminée si la sécurité de la population ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent. Les évacuations ne pourront entraîner le déplacement de personnes protégées qu'à l'intérieur du territoire occupé, sauf en cas d'impossibilité matérielle. La population ainsi évacuée sera ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités dans ce secteur auront pris fin.

3) La Puissance occupante, en procédant à ces transferts ou à ces évacuations, devra faire en sorte, dans toute la mesure du possible, que les personnes protégées soient accueillies dans des installations convenables, que les déplacements soient effectués dans des conditions satisfaisantes de salubrité, d'hygiène, de sécurité et d'alimentation, et que les membres d'une même famille ne soient pas séparés les uns des autres.

4) La Puissance protectrice sera informée des transferts et évacuations dès qu'ils auront eu lieu.

5) La Puissance occupante ne pourra retenir les personnes protégées dans une région particulièrement exposée aux dangers de la guerre, sauf si la sécurité de la population ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent.

6) La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle.

2.5 La politique d’interdiction et d’imposition linguistique

Au Timor oriental, comme dans tout l’archipel indonésien, le bahasa indonesia (ou indonésien) est devenu la langue officielle bien que la majorité de la population locale parle des langues mélanésiennes différentes, notamment le tétoum. En ce qui concerne la question de la langue, l’article 36 de la Constitution indonésienne proclamait ce qui suit:

Pasal 36

Bahasa negara ialah Bahasa Indonesia.

Article 36

La langue officielle est le bahasa indonesia (indonésien).

De fait, les autorités indonésiennes ont imposé le bahasa indonesia (indonésien) comme la seule langue véhiculaire de tous les Timorais. Les langues locales, comme le tétoum, ont été tout juste tolérées par l’Indonésie dans les communications orales en public, mais l’emploi du portugais, la langue de l’ancien colonisateur, a été rigoureusement interdit dans l’île. Ironiquement, le portugais, qui par ailleurs n’a jamais été prisé par les Timorais lors de la colonisation, est alors devenu un instrument de combat utilisé contre les Indonésiens. Après l'annexion du Timor oriental par l'Indonésie, la plupart des leaders combattant pour l'indépendance, dont Xanana” Gusmão qui sera président du Timor Leste de 2002 à 2007, communiquèrent principalement en portugais pour ne pas être compris des militaires indonésiens.

- L'administration

Dans toute l’Administration, seul le bahasa indonesia (ou indonésien de Java) était permis et les documents officiels portugais ont tous disparu. Étant donné que le gouvernement indonésien exigeait que tous les fonctionnaires d’origine timoraise se rallient publiquement au régime, il en est résulté que, dans la pratique, seuls les Javanais ont été employés comme fonctionnaires au Timor, ce qui a exclu par le fait même l’emploi de toute autre langue que l'indonésien. Il en fut ainsi dans toutes les cours de justice. Toutes les affiches des noms de rue furent désignées en indonésien, du moins le terme générique jalan qui remplaça celui en portugais rua, ce qui n'empêchait pas le terme spécifique de demeurer en portugais.

- L'éducation

L'enseignement du portugais est complètement disparu en 1981. L’État indonésien a également imposé en indication un système scolaire assimilateur pour les Timorais. Parce que les enfants timorais ne parlaient que le tétoum en arrivant à l’école primaire, le gouvernement a dû s’adapter et concéder un enseignement en tétoum. Le programme éducatif a prévu non seulement des cours d’apprentissage de la langue indonésienne à l’intention des petits Timorais ignorant tout de cette langue, mais aussi des cours sur la culture et les coutumes indonésiennes. Aux yeux de l’État indonésien, ces «nouvelles écoles primaires» constituaient des centres de conditionnement idéologique où les élèves, tous en uniforme et au garde-à-vous, devaient entonner les chants patriotiques de leur "nouveau pays" sous les photographies des anciens présidents Sukarno et Suharto. En fait, il fallait que le gouvernement mette en place un système d’endoctrinement auprès des jeunes afin de rendre moins manifestes les mesures de répression. La plupart des enseignants provenaient de l'île de Java.

Les parents ont été également mis à contribution, car ils ont été obligés d’apprendre le bahasa indonesia tandis que les mères ont dû, en plus, apprendre les rudiments de la cuisine indonésienne lors de cours qui leur ont été spécialement destinés. La seule langue étrangère autorisée à être dispensée dans les écoles fut l'anglais.

Pour ce qui est de l’enseignement secondaire, il est resté extrêmement rudimentaire, presque inexistant, afin de ne pas favoriser l’émergence de futurs opposants au régime. Enfin, les rares étudiants timorais qui obtenaient l’autorisation de fréquenter une université indonésienne étaient sévèrement surveillés par la police.

En 1992, la dernière école à enseigner le portugais comme langue d'enseignement, l'Externato de São José sous la responsabilité de l'Église catholique, dut fermer ses portes. 

2.6 La politique d’interdiction religieuse

Rappelons que 90 % des Timorais sont de religion catholique romaine, alors que l’immense majorité des 195 millions d’Indonésiens est musulmane. Or, la Constitution indonésienne garantit, du moins théoriquement, la liberté religieuse dans tout l’archipel, sauf... pour les Timorais. La pratique de la religion catholique a été interdite au Timor oriental. De plus, à l’école, non seulement enseignait-on en bahasa indonesia, mais l’imposition de cette langue s’accompagnait aussi de l’imposition de la lecture du Coran et d’une islamisation forcée.

2.7 L'influence de la langue indonésienne au Timor oriental

On peut parler de l'influence indonésienne en faisant référence au malais, puisque le bahasa indonesia est une variante du malais. Les emprunts malais en portugais peuvent être séparés en deux classes distinctes:

1. une classe formée par des termes qui sont entrés il y a un longtemps dans la variété portugaise probablement au moyen de la langue tétoum ou par le créole portugais de Malacca;
2. une autre classe est constituée de termes qui sont récemment entrés dans le portugais au moyen du bahasa indonesia; ils qui se limitent à des champs sémantiques spécifiques liés à l'invasion et à l'administration indonésiennes.

Quelques exemples d'emprunts indonésiens dans le domaine de l'alimentation: pangkat (grade militaire), tentara (soldat indonésien), rakitan (arme à feu artisanale), bapa (désigne affectueusement le père en indonésien), adat (traditions ethniques), katupa (riz cuit dans une feuille de palmier), saté (petit morceau de viande assaisonnés et cuits en brochettes), rendang (plat de viande indonésien au lait de coco et de piment), bakso (soupe indonésienne à base de légumes et de boulettes de viande), padang (façon indonésienne de conserver les aliments précuits avec une technique traditionnelle), nasi goreng (riz frit), mie goreng (nouilles frites), warung (restaurant indonésien spécialisé dans la viande orientale).

Voici d'autres exemples d'emprunts à l'indonésien appartenant à différents champs sémantiques, accompagnés de l'équivalent en français :

- hekter : «agrafeuse» ;
- arsip : «dossier» ;
- isolasi : «ruban adhésif»;
- amplop : «enveloppe» ;
- map : synonyme de «coller»:
- fotokopi : «photocopie»;
- merdeka : «indépendance»:
- integrasi : «intégration» ;
- pos : «poste militaire ou «poste de police» :
- milisi : «milice».

Il faut se rappeler que la domination indonésienne s'est déroulées durant près de vingt-cinq ans, alors que le portugais était interdit. Dans l'histoire d'un peuple, il s'agit d'un court laps de temps. Bien que les emprunts au bahasa indonesia dans sa variante javanaise soient relativement nombreux, ils sont beaucoup moins importants qu'en portugais dont l'influence a porté sur cinq cents ans.

3 Le rebondissement du conflit timorais (1996-1999)

Bien que le Timor oriental ait été envahi par les forces indonésiennes en 1975 et que les Nations unies n’aient jamais entériné l’annexion forcée du territoire, il a fallu attendre 1996 pour que la communauté internationale se souvienne du Timor oriental.

3.1 Le prix Nobel de la paix à deux Timorais

Cette année-là, à la surprise générale, le prix Nobel de la paix de 1996 a été attribué à deux militants timorais pour la cause de l’indépendance: l’administrateur apostolique du diocèse de Dili, Mgr Carlos Ximenes Belo, et le représentant permanent du Fretilin auprès de l'ONU et vice-président du Conseil national de la résistance timoraise (CNRT), M. José Ramos-Horta. Ce prix Nobel de la paix décerné à deux militants a donné une légitimité officielle à la lutte du peuple timorais pour son droit à l'autodétermination.

Toutefois, cette consécration internationale n'a pas été appréciée par le gouvernement indonésien qui, par la suite, a non seulement empêché José Ramos-Horta de s'exprimer, le 20 mars 1997, devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU, mais a immédiatement intensifié les violations des droits de l’homme au Timor oriental.

Au cours des élections de mai 1997, le Timor oriental connut les pires violences qu'il ait subies depuis des années. Le gouvernement indonésien dépêcha 6000 soldats supplémentaires sur l'île, c’est-à-dire 22 000 hommes au total. Mais il aura fallu attendre en mai 1998 la chute du vieux dictateur, le président Suharto, et l'accession au pouvoir de son dauphin, Bacharuddin Yusuf Habibie, pour qu'une évolution notable se produise quant à la situation du Timor oriental. Cela dit, on peut trouver un peu curieux que la communauté internationale ait «oublié» le Timor oriental pendant vingt-quatre ans, c’est-à-dire lorsque l'Indonésie était sous la botte des militaires, et qu'elle s'en préoccupe au moment où le People Power menace «l'ordre nouveau».

3.2 Le référendum de 1999

En juin 1998, le nouveau président Habibie, qui avait besoin de l'aide internationale pour atténuer les dégâts provoqués par la crise économique, s’est dit prêt à accorder au Timor oriental un «statut spécial» que les leaders timorais refusèrent. Le 7 février 1999, le ministre indonésien des Affaires étrangères accepta le principe d'une consultation d'autodétermination organisée par les Nations unies auprès des Timorais. Le 5 mai suivant, sous l'égide de l'ONU, l'Indonésie et le Portugal signèrent un accord qui, en prévoyant un référendum pour le 30 août, ouvrit la voie à l'indépendance.

Les militaires indonésiens ne purent empêcher que 450 000 Timorais s’inscrivent sur les listes électorales. Le 30 août, malgré les menaces, 78,5 % des Timorais qui avaient voté refusèrent l'autonomie interne proposée par Jakarta et se prononcèrent pour l'indépendance (une participation de 98,6 %, d'après l'ONU). Dès l'annonce du résultat référendaire, le président Habibie annonça à la télévision indonésienne que son gouvernement respectait et acceptait ce verdict populaire. Il affirma également qu'il avait donné l'ordre à la police et à l'armée indonésiennes d'assurer la sécurité et l'ordre dans le territoire.

3.3 La chasse aux indépendantistes

À l’encontre de la parole du président indonésien, le Timor oriental fut mis à feu et à sang aussitôt par des milices pro-indonésiennes ne dépendant pas du gouvernement, mais jouissant d'une impunité totale et farouchement déterminées à ignorer l'écrasante victoire de l’option indépendantiste au référendum. Évidemment, l’armée indonésienne n’intervint jamais pour rétablir l’ordre. Puis, dans une démonstration de force sans précédent, les milices indonésiennes s'emparèrent du centre de Dili, la capitale et lancèrent une chasse sanglante aux indépendantistes, et s'en prirent aux fonctionnaires nationaux et internationaux de la mission des Nations unies au Timor oriental (UNAMET), cette dernière étant accusée d'avoir favorisé les indépendantistes et d'avoir biaisé le scrutin. La capitale, Dili, fut brûlée, pillée et dévastée à 90 %. Sur la base des estimations de l'ONU, quelque 500 000 Timorais auraient été déplacés par les Forces indonésiennes, dont 200 000 vers le territoire indonésien du Timor occidental. C’est énorme quand on sait que la population totale (incluant les Indonésiens) lors du vote était estimée à 890 000 personnes. Après plusieurs jours de tueries et de pillages, l’ONU réussit à envoyer une première force d’interposition de 5000 Casques bleus afin d’imposer une forme de paix. Pour les Timorais, la présence de près de 4000 soldats supplémentaires de l'INTERFET sur le territoire demeurait le seul garant du retour de la paix. La capitale en ruine était devenue un vaste camp de réfugiés, un bidonville aussi hétéroclite qu'improvisé. Le Timor oriental devait repartir à zéro!

Il faut comprendre que le projet du président indonésien allait à l’encontre des vues et des intérêts d'une armée qu’il ne contrôlait pas. Celle-ci considérait la perte du Timor oriental comme une défaite et elle croyait aussi que cet acte politique serait perçu comme un encouragement pour d'autres régions troublées de l'archipel, qui n’hésiteraient pas à revendiquer un changement de statut. C’est pourquoi beaucoup d’observateurs ont accusé l’ONU d’avoir été naïve d’organiser un référendum selon les normes des pays démocratiques, alors que la vie politique indonésienne, depuis au moins trente ans, était dominée par la corruption et le trafic d'influence.

Force est de constater que, malgré son intensité, le conflit est resté très largement ignoré en Occident. Finalement, nous pouvons affirmer que le Timor Leste constitue l'un des plus grands drames humains de la seconde moitié du XXe siècle. Nous pouvons également nous interroger si l'occupation du Timor oriental et ses conséquences relèvent du crime contre l’humanité, voire même de la tentative de génocide.

Finalement, le Parlement du plus grand pays musulman du monde élit, le 20 octobre 1999, un nouveau président de la République, M. Abdurrahman Wahid, un modéré, ce qui fut considéré par la communauté internationale comme une victoire contre l'autoritarisme pratiqué pendant plus de trente ans par le régime du général-président Suharto.

4 Le territoire sous l’administration des Nations unies

Le 20 septembre 1999, le Timor oriental devint un territoire sous l’administration provisoire des Nations unies (UNTAET). Dans un premier temps, l’entrée des troupes onusiennes dirigées par l’Australie devait vraisemblablement permettre au Timor oriental de concrétiser le résultat du référendum à plus ou moins long terme.

4.1 Les Casques bleus

À ce moment, l'ONU devait prendre en charge le Timor oriental, la situation étant devenue trop critique. L'administration civile, les écoles, le système judiciaire et les services de santé avaient cessé de fonctionner, et des centaines de milliers de réfugiés avaient besoin d'une aide immédiate. Les Indonésiens (80 % du personnel administratif) avaient quitté le Timor oriental en brûlant les archives, tandis que les techniciens, les infirmiers et les médecins, les enseignants, les employés municipaux, etc., ne devaient plus revenir dans le territoire. Le Conseil de sécurité des Nations unies donna son feu vert (24 octobre 1999) à l’envoi de quelque 9000 Casques bleus, de 200 observateurs militaires, d’une force de police civile de 1640 personnes et à la mise en place de l’Administration transitoire de l’ONU au Timor oriental durant la période (deux à trois ans) qui devait conduire ce territoire à l’indépendance. S'y ajoutait un nombre indéterminé de fonctionnaires civils qui avaient la tâche d'administrer la quasi-totalité des services publics du Timor oriental, désertés alors par les Indonésiens.

4.2 L'abrogation de l'annexion indonésienne

Au plan juridique, il restait deux conditions pour concrétiser le projet d’indépendance du Timor oriental. D’abord, il fallait que le Parlement indonésien abroge la loi d’annexion de 1976, ce qui a été fait le 20 octobre 1999 par l'Assemblée consultative du peuple, laquelle a également ratifié un décret entérinant les résultats du référendum du 30 août. Pour l’Indonésie, c’était la dernière étape vers l'indépendance de l'ancienne colonie portugaise qui devra passer par une période transitoire de deux à trois ans sous administration onusienne. Il fallait également que le Portugal, considéré toujours comme la «Puissance administrante», abroge l’article 293 de la Constitution relatif au Timor oriental:

Artigo

1) Portugal continua vinculado às responsabilidades que lhe incumbem, de harmonia com o direito internacional, de promover e garantir o direito à autodeterminação e independência de Timor Leste.

2) Compete ao Presidente da República e ao Governo praticar todos os actos necessários à realização dos objectivos expressos no número anterior.

Article 293

1) Le Portugal continue à assumer les responsabilités qui lui incombent, conformément au droit international, visant à promouvoir et à garantir le droit à l'autodétermination et à l'indépendance de Timor oriental.

2) Il appartient au président de la République et au gouvernement d’appliquer toutes les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs indiqués au paragraphe précédent.

Dotée d'un mandat pouvant aller jusqu'à trois ans, l'UNTAET demeura responsable de toutes les fonctions gouvernementales dans ce pays de quelque 800 000 habitants. Le mandat de l'UNTAET était prévu jusqu'au 31 janvier 2001, mais il était renouvelable. La nouvelle administration devait, aussi rapidement que possible, compter dans ses rangs du personnel timorais. L'un des domaines les plus urgents a été de mettre en place un système judiciaire provisoire et une police civile. Pendant un certain temps, c'est la loi indonésienne qui demeura en application au Timor oriental à l'exception «des domaines où elle est en contradiction avec les normes internationales». La roupie indonésienne, peu populaire, demeura durant quelque temps la monnaie officielle, puis le Fonds monétaire international, après avoir envoyé une mission afin d'aider le pays à mettre sur pied de nouvelles structures financières, réussit à imposer le dollar américain à la place de l’escudo portugais.

4.3 L'éducation

En ce qui a trait à la langue, l’UNTAET dut décider d’une langue d’enseignement. Le plus simple fut de recourir au bahasa indonesia (l'indonésien) qui, en raison des 24 ans d’occupation indonésienne, était devenu la langue véhiculaire de toute la jeune génération. Afin de ne pas heurter le nationalisme des Timorais, c’est le bahasa malaisien (malais de Malaysia) qui fut choisi du fait que cette langue avait l’avantage d’être très proche du bahasa indonésien tout en étant différente. Néanmoins, en février 2000, les dirigeants timorais imposèrent le portugais comme «langue officielle» et le tétoum comme «langue nationale». En cela, les Timorais furent cohérents avec la Charte adoptée en 1998, qui précisait ce qui suit au sujet de la future langue officielle d’un Timor indépendant:

c) En tant que pays dont la langue officielle sera le portugais, le Timor oriental entretiendra des relations avec les pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Europe qui partagent la même langue et en outre il s'efforcera de renforcer la CPLP – la Communauté des pays de langue portugaise – ainsi que de promouvoir des relations avec les communautés et les pays de la région Asie-Pacifique.

Bien sûr, l'arrivée en 1999 des Nations unies pour rétablir la paix et entamer la reconstruction du territoire a fait en sorte que l'usage de l'anglais comme langue de travail s'est accentuée, notamment aussi avec sa proximité avec l'Australie. Or, au Timor oriental, l'anglais est aussi mal perçu que l'indonésien; ils sont considérés comme des langues des puissances occupantes, ce qui explique le choix du portugais comme langue d'évitement. 

5 La république du Timor Leste 

Le 30 août 2001, les Timorais votèrent massivement lors des premières élections démocratiques. La participation à ce scrutin, destiné à élire une Assemblée constituante, atteignit 93 %, selon les premières estimations de l'ONU qui administrait et assurait la sécurité du territoire depuis 1999. Les Timorais votèrent pour l'Indépendance dans une proportion de 78,5%; pour l'autonomie, 21,5%. Le Fretilin, le mouvement qui avait lutté pendant près d'un quart de siècle en faveur de l'indépendance vis-à-vis de l'Indonésie, a remporté facilement le scrutin du 30 août. L'Assemblée constituante de 88 membres (dont 55 pour le Fretilin) avait trois mois pour préparer la Constitution, puis se transformer en Parlement. Ce scrutin marqua la première étape du processus constitutionnel devant aboutir à l'indépendance formelle de la République démocratique du Timor Leste (ce qui signifie «le pays du soleil se levant»), le nom du futur État choisi par la population.

Mais le pays fut aussi désigné sous le nom tétoum de Timor Lorosa’e. L'Assemblée constituante proposa à l'ONU que le Timor oriental devienne indépendant le 20 mai 2002. Cette date correspondra au 28e anniversaire de la fondation du premier parti du Timor Leste, l'Association sociale démocratique timoraise (ASDT), à l'origine du Fretilin.

Depuis l’indépendance en mai 2002, le Timor Leste a connu de nombreuses périodes troubles. De fait, bien que la crise de 2006-2008 ait été la plus visible de l'extérieur, elle ne fut pas la première ni la dernière que le pays ait connue. Parmi les nombreux clivages de cette société, des tensions sont aussi apparues entre les deux diasporas timoraises, dont l'une était tournée vers le monde anglo-saxon (dans la mouvance de l’ONU, de l’Australie ou des États-Unis), tandis que l'autre privilégiait le monde de langue portugaise (Portugal et Afrique lusophone). C'est cette dernière tendance qui se perpétue aujourd'hui pour une question d'identité avec l'histoire.

5.1 L'adoption des langues officielles

La situation du Timor Leste est loin d'être confortable. Les autorités ont choisi de retenir le tétoum et le portugais comme les deux langues officielles du pays, alors que la concurrence demeure très forte de la part de l'indonésien et de l'anglais. De par sa géographie, le Timor Leste sera toujours confronté à l'indonésien et à l'anglais de l'Australie, le portugais étant une langue importante en Afrique (Angola, Mozambique et Cap-Vert), mais pas dans cette partie de l'Asie où il est inexistant. Or, les dirigeants ont choisi le portugais comme langue officielle, alors que peu de Timorais maîtrisent cette langue pour communiquer. Il s'agit d'un paradoxe dans lequel se sont retrouvés impliqués les enseignants portugais qui font de leur mieux pour pallier le problème.

- Le portugais

La jeune génération actuelle n'a aucun lien avec le Portugal ni avec les autres pays lusophones. Les Timorais dans la vingtaine sont nés et ont grandi sous l'influence indonésienne: c'est la génération dite "tim-tim", du nom de Timor Timur, que les Indonésiens ont donné à leur 27e province. Le Portugal est, pour cette génération, un pays lointain et qui ne correspond qu'à une partie d'un passé qu'ils n'ont pas vécu, la plupart ayant étudié en anglais en Australie ou en indonésien en Indonésie. Le choix de la langue portugaise est une option qu'ils ne comprennent pas; ils se demandent pourquoi l'avoir choisie comme l'une des langues officielles, alors que la majorité de la population ne la connaît pas. Pire encore, en voyant que les élites politiques actuelles s'expriment en portugais et qu'on leur refuse l'accès aux emplois dans l'administration publique parce qu'ils ne maîtrisent la langue désormais officielle, ces jeunes ont créé une certaine hostilité envers le Portugal et la langue portugaise. La question n'est pas facile à résoudre, mais elle se pose quotidiennement dans la vie des Timorais. Jamais un groupe de Timorais ne s'exprimera en portugais dans les rues des villes et des villages. Et ceux qui connaissent la langue portugaise, généralement les très vieux ou les très jeunes, ils ne l'utilisent que pour communiquer avec les Portugais qui restent sur le territoire, jamais les uns avec les autres.

Bref, le pays est aux prises avec un conflit intergénérationnel : la langue portugaise demeure un facteur de tension entre, d'une part, la «génération d'avant 1975», éduquée à l'époque coloniale portugaise, et la génération "tim-tim" (1975-1999) qui a grandi pendant l'occupation indonésienne. Les occupations consécutives du Timor oriental par le Portugal et l'Indonésie ont laissé des héritages culturels et linguistiques distincts aux générations concernées.

Cette réintroduction du portugais est une revendication identitaire qui peut s'avérer coûteuse. D'ailleurs, entre 2000 et 2010, l'État portugais a investi 50 millions d'euros dans le «Projet de consolidation de la langue portugais au Timor Leste». Et ce n'est pas terminé! La décision politique d’abandonner l’indonésien et de revenir au portugais va bien au-delà d’un retour au passé, alors que le portugais était la «langue de la résistance» à la répression indonésienne.

- Le tétoum

Alors pourquoi ne pas privilégier le tétoum ? Il s’agit encore essentiellement d’une langue sans tradition écrite, et il faudrait des décennies aux jeunes nationalistes qui soutiennent cette option pour la développer. La majorité de la population peut s'exprimer en tétoum, sinon dans l'une des différentes langues locales du territoire.

5.2 Les langues concurrentes

Aux prises avec quatre langues qui se font concurrence, l’édification de la nation promet d’être un véritable casse-tête doublé d’un possible gouffre financier.

- L'indonésien

Au moment de l'indépendance, il aurait certainement été plus facile de s’en tenir à l’indonésien, une langue que la plupart des Timorais connaissaient . Mais les décideurs timorais voulaient rompre avec le passé tortueux du Timor Timur et établir une distance avec l'ancienne puissance occupante que fut l'Indonésie. En fait, l'adoption de l'indonésien n’était pas acceptable pour bon nombre de Timorais qui ont résisté au régime de Djakarta. 

Au Timor Leste, l'emploi de la langue est directement influencé par le contexte scolaire et culturel des périodes d'occupation respectives. Ainsi, on estime que 90 % des Timorais âgés de moins de 35 ans parlent l'indonésien, et ce, malgré la politique de l'État approuvant les cours de portugais dans l'enseignement primaire et secondaire, et l'absence d'enseignement officiel en indonésien. Les aptitudes linguistiques en indonésien viennent juste après celles en tétoum.

Pour de nombreux Timorais plus âgés, la langue indonésienne renvoie à des connotations négatives avec le régime de Suharto, mais également de nombreux jeunes expriment des soupçons ou de l'hostilité face à la réintégration du portugais qu'ils considèrent comme une «langue coloniale» de la même manière que les Indonésiens voyaient le néerlandais. Cependant, alors que la culture et la langue néerlandaises avaient peu d'influence sur celles de l'Indonésie, les cultures timoraise et portugaise se sont entrelacées, notamment par les mariages mixtes, tout comme les langues. Bref, la  "Geração Foun" («nouvelle génération»), celle de l'indépendance, s'identifie à une identité post-colonialiste basée sur des liens avec le Timor occidental et sur les idéaux de lutte pour la démocratie partagés avec les militants indonésiens.

- L'anglais

Pourquoi ne pas avoir adopté l’anglais ? Cette idée était défendue par de nombreux consultants étrangers. Les Timorais pouvaient communiquer plus facilement avec leurs voisins régionaux, ainsi qu’avec les pays donateurs et les investisseurs. Cependant, l'anglais ne servirait qu'à accroître l'influence australienne, laquelle est indésirable pour les Timorais. De plus, les arguments en faveur de l'anglais ne sont pas dénués de sous-entendus colonialistes. De toute façon, introduire l’anglais représenterait aussi un investissement massif en temps et en argent, dans la mesure où presque personne ne le parlait en dehors de la capitale, Dili. Il n'empêche que l'anglais est relativement présent dans l'affichage des centres urbains et dans les transactions commerciales avec l'extérieur du pays.

Bien que la Constitution, adoptée en 2002, ait proclamé le portugais et le tétoum comme les langues officielles, il faut convenir que, par souci de pragmatisme, la loi fondamentale reconnaît néanmoins l’anglais et l’indonésien comme des «langues de travail». On peut espérer que le portugais soit de plus en plus ou de mieux en mieux enseigné dans les écoles et que les médias contribueront à la diffusion de cette langue officielle. Dans les faits, l’indonésien est encore employé dans les instances administratives et les tribunaux, tandis que l’anglais domine le commerce et le tourisme. Pour d'autres, l’avenir appartient au tétoum. Néanmoins, le débat sur les politiques linguistiques officielles, les récits historiques nationaux et, en particulier, l'identité nationale continue d'être controversée dans l'État du Timor oriental, qui est largement considéré comme ayant privilégié l'héritage lusophone de l'ancienne génération au détriment de la encore marginale "Geração Foun". Pour les tenants du portugais, sans cette langue, l'identité du pays se dissoudrait rapidement dans les cultures indonésienne et australienne environnantes.

Désormais, seul le temps pourra confirmer si le choix du portugais était le meilleur pour l'avenir du Timor Leste. C'est la seule perspective qui compte vraiment avec cette question linguistique. Après deux décennies d'indépendance, le Timor Leste demeure un pays pauvre et fragilisé par ses deux grands voisins: l'Indonésie et l'Australie. Pour le moment, le Timor Leste est écartelé entre ses quatre langues, le tétoum, l'indonésien, le portugais et l'anglais, et il reste toujours à la recherche d'un chemin vers la prospérité économique.

Cependant, selon les résultats du recensement de 2010, la politique linguistique adoptée depuis 1999 commence à porter ses fruits. L'alphabétisation de la population plus jeune post-indépendance (appelée la " Geração Foun", la «nouvelle génération») en langue portugaise a considérablement augmenté, reflétant les investissements du gouvernement du Timor Leste avec le soutien de la coopération portugaise et brésilienne. Le tétoum, à son tour, s'est consolidé en tant que langue nationale, utilisée par la majorité des Timorais et de plus en plus employée dans les environnements formels de la société (tribunaux, parlement, gouvernement, ONG). Quelle que soit la langue qui finira par s’imposer au Timor Leste, elle orientera le destin du pays. Toutefois, tant que les autorités n'auront pas réussi à éradiquer l'analphabétisme (variant en 2018 entre 64% et 84%, selon l'âge et le sexe), le fléau de la pauvreté restera figé dans le pays, et ce, peu importe la langue!

Dernière mise à jour: 23 déc. 2023

 

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2) Données historiques

 

3) La politique linguistique

 

4) Bibliographie

 

 

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