Hongrie

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2) Données historiques

1 La période proto-hongroise  

La langue hongroise fait partie du groupe des langues finno-ougriennes de la famille ouralienne.  Les langues parentes les plus proches sont le finnois de Finlande et les langues vogoul (mansi) et ostyak (khanty), suivies des langues oudmourte, komi, mari et mordve. Les Hongrois dont la langue maternelle est le hongrois s’appellent des Magyars, d'où le terme magyarophones pour désigner les locuteurs du hongrois.

Selon les recherches des linguistes ouraliens, la langue hongroise s'est peut-être séparée de ses langues parentes les plus proches il y a environ 3000 ans, au proto-finno-ougrien, de sorte que l'histoire de la langue hongroise aurait débuté vers 1500 ans avant notre ère. Le premier millénaire avant notre ère couvrirait la période initiale de l'ère proto-hongroise. À cette époque, l'unité linguistique finno-ougrienne avait déjà donné naissance à de nouvelles langues.

Selon diverses hypothèses, les proto-Magyars auraient progressivement changé leur mode de vie, passant de chasseurs sédentaires à de nomades éleveurs d'animaux, peut-être à la suite de contacts avec des peuples iraniens qui suivaient un mode de vie similaire. Leurs animaux les plus importants étaient les chevaux, les moutons et les bovins.

Il n'existe pas de traces écrites de cette première période proto-magyare, mais la recherche a permis de trouver quelques emprunts des langues avec lesquelles les Hongrois étaient en contact, comme des langues turques ou les langues permiennes
(komi-zyrian, komi-permyak, oudmourte, etc.).

Selon certains linguistes, le suffixe -ni (-nü) du participe du nom serait d'origine permienne, malgré le fait qu'en turc il s'agit de -mek et de -mak, selon l'ordre des sons.

2 L'Antiquité et le Moyen Âge

Les ancêtres des Hongrois proviendraient de la Sibérie occidentale pour se déplacer vers l'Europe. Ils auraient commencé leur migration vers l'ouest entre 2500 et 1100 avant notre ère. Ils étaient déjà séparés des peuples ougriens depuis au moins 500 ans.

2.1 Les déplacements de population

Entre 1100 avant notre ère et 400 de notre ère, les proto-Magyars s'installèrent à l'est de l'Oural (d'où l'appellation de «langues ouraliennes») dans les steppes boisées de la Sibérie occidentale. D'éleveurs de bétail, ils se mirent à l'agriculture et au travail du bronze, puis ils s'orientèrent de plus en plus vers une culture équestre. Cependant, des changements climatiques et des tribus hostiles obligèrent les proto-Magyars à se déplacer dans le Sud-Ouest pour arriver dans le Caucase près des rives de la rivière Kouma. 

Vers le VIIe siècle, les Magyars se déplacèrent encore vers l'ouest, dans l'Etelköz, un territoire situé au nord de la mer Noire, à cheval sur les régions historiques de la Moldavie, de la Roumanie et de l'Ukraine méridionale, plus précisément entre les Carpates et le Dniepr (l’Ukraine actuelle).

Vers 854, les Magyars durent faire face à l'arrivée des Petchenègues turcophones dont ils subirent des influences de cette langue en empruntant plusieurs dizaines de mots turcs. À partir de 862, les Magyars commencèrent une série de pillages en s'aventurant à l'ouest des Carpates, principalement contre l’Empire franc, la Grande-Moravie et l'Empire bulgare, qui s'étendait alors sur l'actuelle Roumanie et les Balkans. Les déplacements des Hongrois s'achevèrent en 895 lorsqu'ils s'installèrent vers le bassin du Moyen-Danube en s'alliant avec l'Empire byzantin afin de se défendre contre les Slaves et les Valaques, comme en témoigne la «Chronique des temps anciens» du moine russe Nestor.

À partir de cette époque de l'ancien hongrois, les Magyars entrèrent en contact avec les Slaves, surtout les Bulgares, les Croates et les Serbes, ce qui devait s'accompagner de l'adoption de nombreux mots slaves, mais également de mots germaniques et latins. Ces emprunts concernent surtout la vie politique et religieuse, sans exclure des noms d’animaux exotiques, des termes techniques, etc. En même temps, la langue hongroise s’enrichit par la dérivation, les suffixes lexicaux étant plus nombreux que dans la langue actuelle, ainsi que par la composition (nyelv + védelem = nyelvvédelem ("langue" + "protection").

2.2 Les emprunts aux langues slaves et autres

Voici quelques mots empruntés par les hongrois aux langues slaves (27% du lexique): borotva (< russe britva: «rasoir»), vacsora (< slovaque vecera: «souper»), ebéd (< slovaque obed: «dîner»), ecet (< tchèque ocet: «vinaigre»), asztal (< russe stol: «table»), udvar (< russe dvur: «cour»), veréb (< slovaque vrabec: «moineau»), király (< russe korol: «roi»), kalâsz (< slovaque klas: «gerbe»), kulcs < slovaque kluc: «clef»), szalma (< croate slama: «paille»), szilva (< siva: «prune»), etc.

Les mots latins (25% du lexique) peuvent provenir soit du latin ecclésiastique mise (< missa: «messe »), eklézsia (< ecclesia: «église»), iskola (< scola: «école»); patika (< apotheca: «pharmacie»), párduc (< leopardus: «panthère»), les noms des mois : január, február, etc. soit du latin oriental populaire: áfonya (< afinā: «myrtille»), furulya (< fluier: «flûte»), pakura (< pācurā pour «bitume»: aujourd'hui «mazout»), paláczinta (< plācintā: «crêpe, feuilleté»), pásztor (< «pāstor»: berger), pisztráng (<pāstrāv: «truite»), tokány (< tocanā: «ragoût»), etc.

Le jour de Noël de l'an 1000, le duc de Hongrie devint roi de Hongrie sous le nom de Étienne Ier ((975-1038) avec une couronne envoyée par le pape Sylvestre ainsi que le consentement de l’empereur germanique Otton III. Sous son règne, la Hongrie connut une longue période de paix et de prospérité, et devint l'une des principales routes pour les marchands et les pèlerins circulant entre l'Europe occidentale et Constantinople ou la Terre sainte. Étienne Ier entreprit de transformer la Hongrie en un État chrétien. Bien que la conversion des Hongrois avait déjà débuté sous le règne de son père, c'est Étienne Ier qui obligea systématiquement ses sujets à se convertir au christianisme. Placé au contact des chrétientés grecques et latines, il choisit le catholicisme romain qui avait pénétré par l'intermédiaire de missionnaires venus de la Bohême et de la Bavière.

C'est ainsi que son activité législative est étroitement liée au christianisme, ce qui aura pour effet, selon les coutumes médiévales, de faire jouer un rôle important de la langue latine dans le hongrois, principalement en rapport avec le vocabulaire du christianisme et de l'éducation. Toutes les lois et tous les actes juridiques furent rédigés en latin, et sous les successeurs d'Étienne cette langue allait devenir définitivement la langue officielle de la Hongrie. Étienne Ier est considéré comme le véritable fondateur de l'État hongrois.

2.3 La Transylvanie hongroise
 

Il encouragea une importante communauté hongroise (székelyek: «Sicules») et germanique (szászok: «Saxons») à s'installer en Transylvanie, où, selon les historiens et les linguistes bulgares, serbes et roumains, vivaient déjà des Slaves méridionaux (bolgárok, szkéjok) et des Valaques (oláhok), mais où, selon les historiens hongrois, il n'y avait aucune population sédentaire avant les Magyars (thèse de l'avar sivatag, le «désert des Avars»). Peu de Hongrois s'installèrent dans le banat de Severin (actuels Banat et Olténie), car beaucoup choisirent plutôt cours de la rivière Maros et le «Pays sicule» en Transylvanie. Les Sicules: «ceux qui tiennent les sièges», soit les sièges militaires, avaient comme principale fonction la protection de la frontière orientale du royaume de Hongrie. Ce statut se traduisait par une relative indépendance au sein du système féodal hongrois en échange de leurs services militaires dans la défense du royaume.

Pendant que la royauté et la noblesse hongroises choisissaient l'obédience de Rome donc adoptaient le catholicisme, les Valaques (Roumains de Transylvanie, Valachie et Moldavie) restaient dans l'obédience de Constantinople donc orthodoxes, et, entre le Xe siècle et le XIVe siècle, se constituèrent en principautés dont les lois (jus valachicum) étaient d'inspiration byzantine, mais dont la monarchie était élective comme en Hongrie et en Pologne.

C’est sous le règne de Bella III (1173-1204), qui avait été élevé à Byzance, que la civilisation hongroise prit son essor. Ce prince avait épousé Marguerite, sœur du roi Philippe de France. La cour adopta les usages français; de jeunes Magyares furent envoyés dans les universités de Paris et de Padoue. On forma même une académie à Veszprim sur le modèle de l’université de Paris.

2.4 Les emprunts au français

Le hongrois a pu ainsi puiser des emprunts à la langue française: Acél (< acier), arestálni (< arrêter), bárka (< barque), bokréta (< bouquet), bastya (< bastion), érsek (< archevêque), iskatulya (< chatouille), forint (< florin). Plus tard, d'autres termes plus modernes feront leur apparition en hongrois: kabin (< cabine), kamion (< camion), croissant (< croissant), creme brulee (< crème brûlée), vitrin (<vitrine), garázs (< garage), etc.

Sous les dynasties qui suivirent, le royaume de Hongrie connut, en dépit de l'invasion tatare de 1241 avec le fils de Gengis Khan, un développement important. Le royaume s'organisa en comitats, intégra tout le Bassin des Carpates et, en plus le royaume de Croatie, la Transylvanie et le banat de Severin. Puis certains États limitrophes reconnurent également le roi de Hongrie comme leur suzerain, par exemple les principautés serbes, la Bosnie et la Valachie et la Moldavie.

2.5 La partition de la Hongrie

Au XVe siècle, parmi les trois grandes provinces de la Roumanie actuelle — Moldavie, Valachie et Transylvanie , seule la Transylvanie faisait encore partie de la Hongrie. Pendant que la Valachie et la Moldavie étaient roumanophones et pratiquaient la religion orthodoxe, la Transylvanie subissait la magyarisation et demeurait catholique. Cependant, les peuples de religion orthodoxe, dont une grande partie de roumanophones, se virent coincés par les catholiques au nord-ouest et les musulmans au sud, car les Turcs ottomans progressaient en Anatolie. La chute de Constantinople en 1453 inaugura une nouvelle ère historique, car la région, une terre chrétienne, devenait une terre musulmane et Constantinople, la capitale de l'Empire ottoman qui connut ensuite un essor rapide au cours du XVe siècle. Constantinople devint la base de l'expansion ottomane en Europe. Les Ottomans s'emparèrent progressivement des États voisins de la Hongrie: ce fut d'abord la Serbie en 1459, puis la Bosnie en 1463.

Après la victoire des Ottomans de Soliman le Magnifique lors de la bataille de Mohács en 1526, une petite ville proche du Danube, le royaume de Hongrie s'écroula. Cette victoire entraîna la partition de la Hongrie entre l’Empire ottoman, les souverains Habsbourg d’Autriche et la principauté de Transylvanie. De fait, la Hongrie fut partagée entre trois couronnes pour cent cinquante ans: le centre (avec la capitale) fut annexé par les Ottomans; la Transylvanie, à l’est, devint une principauté vassale avec une certaine autonomie; à l’ouest, la Hongrie royale subsista sous l’autorité des Habsbourg, dont Ferdinand Ier, le frère cadet de Charles Quint, acquit les deux royaumes de Bohême et de Hongrie.

3 La domination ottomane

Après la conquête ottomane, d'importants mouvements de population eurent lieu; les variétés dialectales du hongrois s’influencèrent mutuellement. En même temps, les Hongrois furent rapidement en contact avec les Allemands. Les relations avec ces derniers furent le résultat de relations de cour, de mariages, de chevaliers enrôlés et de prêtres convertis. Ainsi, certains des premiers mots étrangers allemands font référence à la vie militaire et à la cour. Ceux-ci incluent des mots comme páncél («armure»), ostrom («siège») ou tánc («danse»). Néanmoins, la langue hongroise de cette époque se rapprocha de celle d’aujourd’hui.

3.1 La Hongrie ottomane

Sous le règne de Soliman le Magnifique (de 1520 à1566), l'Empire ottoman atteignit l'apogée de sa puissance économique, militaire, politique et culturelle. Ce sultan mena ses armées à la conquête des bastions chrétiens de Belgrade, de Rhodes et de la Hongrie, avant de s'arrêter devant Vienne en 1529, sans pouvoir s'emparer de la ville.  C'est encore lui qui annexa la plus grande partie du Proche-Orient, dont la Mésopotamie et les côtes d'Arabie, ainsi que de larges portions de l'Afrique du Nord jusqu'en Algérie, s'arrêtant aux portes du Maroc. Sous son règne, la marine ottomane domina la mer Méditerranée, la mer Rouge et le golfe Persique. Ce fut l'âge d'or de l'Empire ottoman qui, avec 20 millions d'habitants, atteignait ses plus vastes dimensions sur trois continents. La domination ottomane fut le premier grand événement tragique de la Hongrie; cette domination devait durer cent cinquante ans.

Sous la domination ottomane, beaucoup de nos mots étrangers entrèrent dans la langue hongroise. En même temps, la Réforme entamée au XVIe siècle contribua à l'unification de la langue hongroise en luttant pour la langue nationale. De plus, l'impression de livres et le développement des systèmes d'éducation participèrent également au développement de la langue hongroise. Le premier livre entièrement en hongrois fut publié à Cracovie en 1533 par Benedek Komjáti, intitulé Az Zenth Paal Leueley en hongrois; il fut traduit en latin sous le titre de Epistolæ Pauli Lingua Hungarica Donatæ. La version hongroise semble assez similaire au hongrois employé au XVIIe siècle, mais l'écriture n'était pas littéraire de sorte que chaque écrivain hongrois utilisait sa propre variété locale dans leurs œuvres.

3.2 Les emprunts au turc

Les contacts des Hongrois avec des peuples turcophones furent relativement étroits au Ve siècle. Étant donné que ces peuples étaient généralement sédentaires et pratiquaient l'agriculture, les emprunts au turc au cours de cette période furent plutôt élevés, probablement autour de 300, dont voici quelques exemples concernant l'agriculture, l'élevage, les métiers, la flore, la faune: ács («charpentier») alma («pomme»), bársony («velours»), bér («paie»), bika («taureau»), boka («cheville»), borz («blaireau»), búza («blé»), gyász («deuil»), kecske («chèvre»), kos («bélier»), torma («raifort». Les contacts avec le monde turcophone reprirent avec les Ottomans au XVIe siècle, mais les mots turcs de cette époque ne dépasseraient pas la trentaine: bogrács («chaudron»), dívány («divan»), kávé («café»), kefe («brosse»), pamut («coton), papucs («pantoufle»), zseb («poche»).

4 La tutelle des Habsbourg

En Hongrie, l'occupation ottomane dura jusqu'en 1686 lorsque les Habsbourg d'Autriche prirent le pouvoir. Par la suite, la lutte contre les Autrichiens se révéla infructueuse malgré quelques guerres d'indépendance de la part des Hongrois. Au traité de Karlowitz en1699, les Ottomans cédèrent aux Habsbourg la plus grande partie de la Hongrie, la partie de la Croatie-Slavonie qu'ils contrôlaient et leurs droits de suzeraineté sur la Transylvanie qui leur était tributaire centrale ainsi que leur statut de suzerains de la Transylvanie.

En deux décennies, de 1713 (traité d'Utrecht) à 1739 (traité de Belgrade), les Habsbourg agrandirent encore leur empire, à l'ouest de la Belgique, au sud-ouest des duchés italiens, à l'est de la Transylvanie (en dépit de l'opposition armée de la noblesse hongroise, ici à majorité protestante) et au sud-est de la Serbie et du Banat pris aux Ottomans, ainsi que de l'Olténie prise aux Valaques; ils durent cependant rendre la Serbie et l'Olténie en 1739 au traité de Passarowitz.

Au siècle des Lumières, les Hongrois furent forcés de se rendre compte que la langue nationale n'était pas adaptée à la présentation de traités scientifiques sans latinismes, et que le vocabulaire n'était pas assez varié pour satisfaire aux besoins littéraires accrus. En conséquence, un groupe d'écrivains, parmi lesquels Ferenc Kazinczy, commença à élargir et à renouveler le vocabulaire hongrois. Certains mots furent abrégés, de nombreux mots dialectaux se sont répandus dans toute la zone linguistique, des mots disparus réapparurent et de nombreux mots furent créés. Ce «renouveau linguistique» augmenta le vocabulaire de plus de 10 000 mots, et peut être considéré comme une politique linguistique remarquablement réussie.

4.1 Du latin à l'allemand

Dans le régime médiéval de Hongrie, le latin demeurait la langue de l'administration et de la justice; les fonctionnaires du pays correspondaient avec les bureaux subordonnés et les autorités législatives (villes, comitats) dans cette langue. Dans la vie quotidienne, à la fois oralement et par écrit, les habitants du pays communiquaient entre eux dans la langue utilisée localement; c'est ainsi qu'un grand nombre de sources écrites dans les langues des différentes nationalités survécurent.

- Les emprunts au latin

En 1791 le latin redevenait la langue officielle des bureaux administratifs. Dès lors, la question de la langue hongroise, c'est-à-dire son usage dans l'enseignement, dans la culture et dans l'administration fut constamment à l'ordre du jour, tandis que les opposants à l'introduction de la langue officielle allemande commencèrent à plaider pour l'utilisation du hongrois au lieu du latin. Voici un certain nombre de mots empruntés au latin par le hongrois: Szarvas (< cervus: «cerf»), lentse (< lens: «lentille»), szent (< sanctus: «saint»), csillag (< stella: «étoile»), ora (< hora: «heure»), angolna (< anguilla: «anguille»), almârium (< armarium: «armoire»), biográfia (< biographia: «biographie»), cseresznye (< cerasum: «cerise»), császár (< Caesar; «empereur»), diktatúra (< dictatura: «dictature»), fige (< ficus: «figue»), márvány (< marmor: «marbre»), filozófia (< philosophia: «philosophie»), história (< historia: «histoire), konspiráció (< conspiratio: «conspiration»), mars (< mars: «mars»), muzsika (< musica: «musique»), etc.

- Les emprunts au grec

Par la même occasion, le hongrois s'est trouvé à emprunter au grec, que ce soit des mots qui sont passés par le latin ou empruntés directement au grec ancien (antológia, botanika, demokrácia, epidémia, fiziológia, gigantikus, kolosszus, lepra, etc.) ou au grec byzantin (antilop < anthólops: «antilope»; cigány < tsingános: «tsigane»; diák < diákos: «diacre»; kabát < kabádēs: «manteau»; protokoll < prōtókollon: «protocole»; szláv < sklábo: «slave», etc. Plusieurs des mots empruntés au grec ont pu passé auparavant par l'allemand, le slovène ou d'autres langues slaves.

Toutefois, un décret linguistique de Joseph II de Hongrie, publié le 4 mai 1784, obligea le Conseil royal hongrois des gouverneurs à mener son administration et sa correspondance en allemand à partir du 1er novembre de la même année. Il fixa au 1er novembre 1785 la date limite des autorités législatives du royaume, mais celle-ci fut repoussée à un an plus tard. Dans les faits, tout devait être fait en allemand pendant l'administration officielle, de même que les tableaux et les compilations, les rapports et les copies des procès-verbaux.  À partir de 1787, l'allemand devint la langue des tribunaux et des documents judiciaires. Cela signifiait aussi que les organismes ne pouvaient employer que des personnes qui parlaient l'allemand.

- Les emprunts à l'allemand

En raison des événements liés à l'histoire entre la Hongrie et l'Autriche, le hongrois ne pouvait pas ne pas emprunter de mots à la langue allemande. Voici quelques mots empruntés à cette langue en hongrois: arat (< Aernte: «récolte»), borbély (< Barbier: «barbier»), borosta (< Bürste: «brosse»), font (< Pfund: «livre»),  friss (< frisch: «frais»), gesztenye (< Kastanie: «châtaigne»), istállo (< Stall: «écurie»), istáp (< Stab: «baguette»), krumpli (< Kartoffel / Grundbirn: «pomme de terre»),  ökör (<Ochs: «bœuf»), pldjbász (< Bleiweiss: «crayon»), piascz (<Platz: «place»), saláta (< Salad: «salade»), rettek (< Rettich: «radis»), tánc (< Tánz: «danse»), hIá (< Haus: «maison»), viz (< Wasser: «eau»).

Puis l'administration se remit progressivement au hongrois dans les bureaux de l'État. Vers 1820, certaines écoles commencèrent à ouvrir des cours en langue hongroise, des écoles professionnelles surgirent, des théâtres hongrois s'ouvrirent et un grand nombre de publications périodiques et même des revues purement littéraires furent publiées.  

4.2 L'officialisation du hongrois

Sous la pression des nationalistes hongrois, le roi Ferdinand V, déjà affaibli par la maladie, consentit à officialiser l'usage du hongrois dans le pays à la place de l'allemand. L'adoption de cette loi, appelée «Loi de 1844 sur la langue et la nationalité hongroise» peut à juste titre être qualifiée de l'une des plus grandes victoires de l'ère de la réforme. Ce fut l’époque de la formation de la langue nationale unitaire et de la langue standard. Voici une traduction de la dite loi de 1844:

1844. évi II. törvénycikk a magyar nyelv és nemzetiségről

Az ország Rendei ő Felsége kegyelmes megegyezése hozzájárultával meghatározták hogy:

1. § Az országgyüléshez bocsátandó minden kegyelmes királyi Leiratok, Előadások, Válaszok, és Intézvények ezentúl egyedül magyar nyelven adassanak ki.

2. § A törvénycikkek valamint már a jelen országgyülésen is egyedül magyar nyelven alkottattak és erősíttettek meg: úgy ezentúl is mind alkottatni, mind királyi kegyelmes jóváhagyással megerősíttetni egyedül magyar nyelven fognak.

3. § Országgyülési nyelv ezentúl kirekesztőleg a magyar lészen, egyedül a kapcsolt Részek követeinek engedtetvén meg: hogy azon esetben, ha a magyar nyelvben jártasok nem lennének, a közelebbi 6 évek alatt tartandó országgyüléseken szavazataikat latin nyelven is kijelenthessék.

4. § A magyar udvari Cancellaria útján az ország határain belől bocsátandó minden iratokban, akár legyenek ő Felsége által aláirva, akár nevében adassanak ki - és így a magány folyamodásokra kelendő rendeletekben és határozatokban is - szinte a magyar nyelv használtassék.

5. § A királyi Helytartótanács minden nemű tárgyalásaiban, hivatalos foglalkozásairól viendő jegyző-könyveiben, valamint ő Felsége eleibe terjesztendő felirásaiban, és az ország határain belőli minden hatóságokhoz bocsátandó minden intézményeiben a magyar nyelvet használja; - azon levelezések, mellyeket a királyi Helytartótanács a hadi fő-, és az ő Felsége örökös tartományaibeli polgári törvényszékekkel s kül-országi törvényhatóságokkal folytatand, ide nem értetvén.

6. § A királyi udvari főtörvényszék nyelve az ország határain belől indított minden perekre nézve, valamint az ország határain belőli minden itélőszékek - következéskép a szentszékeknek nyelvök is, a magyar lészen; s azon itélőszékeknek hivatalos minden egyéb dolgaik is magyar nyelven folytatandók.

7. § A kapcsolt Részekbeli törvényhatóságok a magyarországi hatóságoknak magyar, - ezek pedig a kapcsolt Részekbeli törvényhatóságoknak latin nyelven irt leveleiket is fogadják el; tárgyalják, és azokat illő válasszal lássák el.

8. § Ő Felsége már kegyelmesen elrendelte, hogy a magyar nyelv a kapcsolt Részekbeli fő-, és minden közép iskolákban (Academia és Gymnasiumokban) mint rendszerinti tudomány taníttassék; - nem különben.

9. § Ő Felsége méltóztatott kegyelmesen rendeléseket tenni már az iránt is, hogy az ország határain belőli iskolákban közoktatási nyelv a magyar legyen.

Loi de 1844 sur la langue et la nationalité hongroises

Les Ordres du pays, avec le consentement gracieux de Sa Majesté, ont déterminé que :

§ 1.
Tous les gracieux procès-verbaux royaux, ainsi que les discours, les réponses et les instructions, qui doivent être remis à l’Assemblée nationale
seront désormais publiés en hongrois uniquement.

§ 2.  Les articles de loi, ainsi que ceux de l’Assemblée nationale actuelle, qui ont été rédigés et confirmés
en hongrois seulement, seront désormais à la fois rédigés et confirmés avec l’approbation royale en hongrois seulement.

§ 3. La langue de l’Assemblée nationale est
désormais exclusivement le hongrois, n’autorisant que les délégués des parties concernées que s'ils ne maîtriseraient pas la langue hongroise, ils pourraient déclarer leurs votes en latin aux assemblées nationales qui se tiendront dans les six prochaines années.

§ 4. Dans tous les documents devant être délivrés à l'intérieur du pays par l'intermédiaire de la Chancellerie judiciaire hongroise, qu'ils soient signés par Sa Majesté ou délivrés en son nom, et donc aussi dans les décrets et les décisions de recours privés,
la langue hongroise doit être employée.

§ 5. Le Conseil royal des gouverneurs doit employer la langue hongroise dans toutes ses délibérations, dans ses procès-verbaux officiels, ainsi que dans ses écrits à distribuer à Sa Majesté, et dans toutes ses institutions à envoyer à toutes les autorités à l'intérieur des frontières du pays; ainsi que la correspondance que le Conseil royal des gouverneurs établira avec les tribunaux civils de l'armée principale et des provinces héréditaires de Sa Majesté et avec les autorités judiciaires étrangères, à l’exclusion des présentes.

§ 6. La langue de la Cour suprême de la Cour royale pour tous les procès intentés à l'intérieur des frontières du pays, ainsi que tous les tribunaux à l'intérieur des frontières du pays, par conséquent les langues des Saints-Sièges dans le cas de la Hongrie, et toutes les autres affaires officielles de ces tribunaux
doivent également être traitées en hongrois.

§ 7. Les autorités judiciaires des parties concernées doivent accepter que leurs lettres soient écrites
en hongrois aux autorités hongroises, et elles doivent accepter également les lettres écrites en latin aux autorités compétentes en matière de droit des parties concernées, et leur fournir une réponse appropriée.

§ 8. Sa Majesté a déjà gracieusement ordonné que la langue hongroise soit enseignée comme matière régulière dans les écoles primaires et dans toutes les écoles secondaires (académies et gymnases) dans les parties connexes, et pas autrement.

§ 9. Sa Majesté a bien voulu ordonner que le hongrois soit la langue de l'enseignement public dans les écoles à l'intérieur des frontières du pays.

Il faut préciser que la loi de 1844 énonçait que la langue de délibération et de gestion des affaires au Parlement était le hongrois, mais les lois devaient être traduites dans la langue de toutes les nationalités. Chacun pouvait employer sa langue maternelle dans ses relations avec le gouvernement, mais la réponse devait être en hongrois, la version linguistique originale devant être incluse avec le hongrois. En réalité, les langues des nationalités pouvaient être également autorisées dans des cas particuliers, notamment si la proportion de la population appartenant à la nationalité donnée dans un district donné atteignait 20 %. À partir de 1845, la langue officielle hongroise fut employée pendant quelques années, soit jusqu'en 1849, et l'allemand devint à nouveau la langue d'administration dans les bureaux centraux.

4.3 L'Empire austro-hongrois
 

Au milieu de XIXe siècle, après les guerres napoléoniennes, un vent de réforme souffla sur la Hongrie, alors que l'Autriche contrôlait de vastes régions sous occupation militaire en Transylvanie et en Croatie. Le 14 mars 1848, une délégation hongroise se rendit alors à Vienne pour y transmettre leurs souhaits. Toutefois, des dissensions apparurent entre les Magyars et les Slaves. D'une part, les révolutionnaires magyars, républicains et centralisateurs, désiraient unifier la Hongrie en supprimant l'autonomie politique et linguistique de la Croatie-Slavonie et de la Transylvanie. D'autre part, les Slaves, les Allemands et les Roumains de Hongrie, plus modérés et fédéralistes, proposaient un système politique constitutionnel.

Le gouvernement autrichien centralisé à Vienne restait sourd aux demandes de changement des Hongrois qui voulaient se libérer de la tutelle des Habsbourg. La Hongrie créa alors sa propre armée sur la base des gardes nationaux et entreprit une guerre d'indépendance. Après quelques victoires de l'armée révolutionnaire, celle-ci fut rapidement écrasée par les armées autrichiennes et russes.

Sur le moment, les acquis de la révolution furent perdus et un régime militaire fut instauré, tandis que la Transylvanie, la Slavonie et le Banat furent séparés du royaume de Hongrie.

- Un empire à deux couronnes
 

Après les révolutions européennes, François-Joseph Ier devint empereur d'Autriche en décembre 1848; il succédait à Ferdinand V contraint d'abdiquer comme roi de Hongrie. François-Joseph Ier fut l'initiateur du compromis d'unification avec la Hongrie pour former l'Empire austro-hongrois en 1867. C'était une union sous le sceptre des Habsbourg entre deux États d'Europe centrale, l'Autriche et la Hongrie. Cette «double-monarchie» devait exister de 1867 à 1918; elle comptait une superficie de 676 615 km² (France actuelle: 547 030 km²).

L'Empire était constitué d'une mosaïque de peuples d'environ 55 millions d'habitants (dont 28 millions en Autriche): Allemands, Hongrois, Serbes, Croates, Bosniaques, Polonais, Slovaques, Tchèques, Slovènes, Roumains, Ukrainiens, Ruthènes, Italiens, Tsiganes, etc. Si les trois quarts des Austro-Hongrois étaient catholiques, il y avait aussi des communautés protestantes, orthodoxes, juives, musulmanes, chamanistes, etc. En réalité, la plupart des Autrichiens étaient catholiques, tandis que la moitié des Hongrois étaient calvinistes, voire luthériens, les autres catholiques.

- La concurrence linguistique

Les autorités impériales durent respecter la langue, la religion et la culture des sujets de l'Empire, bien que la langue allemande puisse demeurer prioritaire en Autriche et le hongrois en Hongrie, à côté d'autres langues telles que le tchèque, le polonais, le serbo-croate (en cyrillique pour le serbe et en latin pour le croate), le slovène, l'italien, le roumain, le ruthène et le vieux-prussien. Dans la pratique, l'État autrichien s'est montré beaucoup plus tolérant en matière de langue que l'État hongrois qui privilégiait l'hégémonie illusoire d'une nation catholique gouvernante.

En principe, la langue officielle demeurait le hongrois (ou magyar) parlé par près de la moitié de la population, mais d'autres langues lui faisaient concurrence, dont le serbo-croate (en fait, le croate, le serbe et le bosniaque) au sud, le slovaque au nord, le roumain à l’est, sans oublier l'allemand parlé par de très nombreux colons germaniques répartis dans plusieurs régions du pays. De plus, le fait que le hongrois soit une langue finno-ougrienne de la famille ouralienne, alors que toutes les autres langues appartenaient à la famille indo-européenne, donc sans aucun rapport linguistique avec celles-ci, avait comme conséquence d'éloigner les locuteurs non magyarophones de la langue officielle.
Malgré les efforts pour magyariser les Croates, les Slovaques, les Allemands et les Roumains, le hongrois totalement étranger se trouvait à être imposé à une moitié de la population qui n'y voyait pas un avantage pratique à l'apprendre.

4.3 Le maintien du hongrois comme langue officielle

En 1868, le Parlement hongrois adopta la Loi sur l'égalité ethnique, qui énonçait que la langue officielle était le hongrois, mais prévoyait aussi la pratique de la culture et de la langue des nationalités, si la proportion de la population appartenant à la nationalité donnée dans un district donné atteignait 20 %.. Voici quelques extraits de cette loi de 1868, qui compte 29 articles:

Az 1868. évi XLIV a nemzetiségi egyenjogúság tárgyában

1. cikk

A nemzet politikai egységénél fogva Magyarország államnyelve a magyar levén, a magyar országgyülés tanácskozásai s ügykezelési nyelve ezentúl is egyedül a magyar; a törvények magyar nyelven alkottatnak, de az országban lakó minden más nemzetiség nyelvén is hiteles fordításban kiadandók; az ország kormányának hivatalos nyelve a kormányzat minden ágazatában ezentúl is a magyar.

2. cikk

A törvényhatóságok jegyzőkönyvei az állam hivatalos nyelvén vitetnek; de vitethetnek e mellett mindazon nyelven is, a melyet a törvényhatóságot képviselő testület vagy bizottmány tagjainak legalább egy ötödrésze jegyzőkönyvi nyelvül óhajt. A különböző szövegekben mutatkozó eltérések eseteiben a magyar szöveg a szabályozó.

3. cikk

Törvényhatósági gyülésekben mindaz, a ki ott szólás jogával bir, akár magyarul szólhat, akár saját anyanyelvén, ha az nem a magyar.

6. cikk

A törvényhatósági tisztviselők saját törvényhatóságaik területén a községekkel, gyülekezetekkel, egyesületekkel, intézetekkel és magánosokkal való hivatalos érintkezéseikben a lehetőségig ezek nyelvét használják.

29. cikk

Ezen törvény rendeletei a külön területtel biró s politikai tekintetben is külön nemzetet képező Horvát-, Szlavon- és dalmátországokra ki nem terjednek, hanem ezekre nézve nyelv tekintetében is azon egyezmény szolgáland szabályul, mely egyrészről a magyar országgyülés, másrészről a horvát-szlavon országgyülés között létrejött, s melynél fogva azok képviselői a közös magyar-hotvát országgyülésen saját anyanyelvükön is szólhatnak.

Loi n° XLIV de 1868 sur l'égalité ethnique

Article 1er

En raison de l'unité politique de la nation, la langue officielle de la Hongrie est le hongrois, et la langue des délibérations et de la gestion des affaires du Parlement est uniquement le hongrois; les lois sont rédigées en hongrois, mais doivent également être publiées dans une traduction authentique dans la langue de toutes les autres nationalités vivant dans le pays; la langue officielle du gouvernement du pays dans tous les domaines du gouvernement est toujours le hongrois.

Article 2

Les procès-verbaux des autorités législatives doivent être rédigés dans la langue officielle de l'État ; mais ils peuvent également être présentés dans toute langue dont au moins un cinquième des membres de l'organisme ou du comité représentant l'autorité législative, qui le souhaite. En cas de divergences entre les différents textes, le texte hongrois prévaudra.

Article 3

Dans les assemblées législatives, toute personne qui y a le droit de s'exprimer peut le faire en hongrois ou dans sa langue maternelle, si ce n'est pas le hongrois.

Article 6

Dans leurs contacts officiels avec les municipalités, les congrégations, les associations, les instituts et les particuliers sur le territoire de leurs propres autorités légales, les fonctionnaires utilisent leur langue dans la mesure du possible.

Article 29

Les décrets de cette loi ne s’étendent pas aux pays des Croates, des Slavons et des Dalmates, qui sont des nations distinctes en termes de territoire et de politique, mais ils sont également régis par convention entre le Parlement hongrois, d’une part, et l’Assemblée croato-slavonne d’autre part, et par laquelle leurs représentants peuvent s'exprimer dans leur propre langue à l’Assemblée nationale commune croato-hongroise.

De plus, les minorités pouvaient utiliser leur langue maternelle dans leurs requêtes, devant les juridictions inférieures, et elles recevaient également des ordonnances dans cette langue. La langue officielle des villages était déterminée par les habitants, ils pouvaient également s'exprimer dans leur langue maternelle lors des assemblées départementales. Ils étaient libres de disposer de leurs écoles et de leurs églises, de créer des institutions et des sociétés à des fins nationales. La loi, fondée sur le principe de l'unité territoriale et d'une nation politique, ne garantissait pas l'autonomie.

4.4 Le problème de la Transylvanie et du nationalisme roumain

À la suite de l'intervention de Napoléon III au moment de l'adoption du traité de Paris en 1858, la Moldavie occidentale et la Valachie avaient obtenu la reconnaissance de leur union en un État unique: la Roumanie (voir la carte ci-contre). Le nouvel État, sans la Transylvanie, fut officiellement reconnu comme indépendant en 1861 par les puissances européennes et les Ottomans. Dans les faits, la Valachie et la Moldavie occidentale demeurèrent vassales des Ottomans: elles devaient leur payer un tribut annuel et aligner leur politique étrangère sur celle de l'Empire ottoman.

Dans l'empire des Habsbourg, les Roumains détenaient une majorité absolue dans la principauté de Transylvanie, ainsi que dans le Banat, la Crisana, une partie des Maramures et la Bucovine. Mais la Transylvanie demeura le foyer du nationalisme roumain et sa présence à l'extérieur de l'espace politique contrôlé par les Roumains, c'est-à-dire la Valachie et la Moldavie, accentuait son caractère particulier. Dans l'histoire du nationalisme roumain, la Transylvanie fut toujours perçue comme le troisième État roumain, et non pas comme un «État hongrois». Néanmoins, en 1890, la Transylvanie faisait encore partie de la Hongrie et de l'Empire austro-hongrois, car la région abritait un nombre important de Hongrois.

La Première Guerre mondiale, déclenchée par un ultimatum de la part de l'Empire austro-hongrois au Royaume de Serbie entraîna la fin de l'Autriche-Hongrie qui ne survécut pas à sa défaite. La tutelle de la Maison des Habsbourg constituait le deuxième événement tragique pour la Hongrie: elle avait duré de 1686 à 1919, soit plus de deux cents ans.

4.5 La partition de 1919-1920

L'Empire austro-hongrois fut démantelé en sept États-nations (voir la carte de l'Europe en 1914 et en 1919) et de nouvelles frontières furent tracées et reconnues lors de la signature des traités de Saint-Germain-en-Laye en 1919 et du Trianon en 1920 : la république d’Autriche, la régence de Hongrie, la Tchécoslovaquie, la république de Pologne, le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes (future Yougoslavie titiste), le royaume de Roumanie et le royaume d’Italie

En ce qui concerne la Hongrie proprement dite, elle perdit alors les deux tiers de son territoire, son accès à la mer, et 60% de sa population (plus de 23 millions d'habitants, dont trois millions de Magyars) au profit de la Slovaquie, de la Roumanie, de l'Autriche et de la Yougoslavie. C’est ce qui explique aujourd’hui pourquoi on retrouve des Hongrois non seulement en Slovaquie, en Serbie (Voïvodine) et en Roumanie, mais aussi en Ukraine.

Plus d'un siècle plus tard, le traité de Trianon est resté pour tous les Hongrois synonyme d'humiliation nationale et d'injustice flagrante; il est même devenu un puissant marqueur du nationalisme hongrois. Ce fut le troisième événement tragique pour la Hongrie.

Il n'y a rien d'étonnant à ce que l'irrédentisme magyar se soit installé en Slovaquie, en Roumanie, en Slovénie et surtout en Voïvodine comme une donnée politique permanente. Pour les autorités hongroises, les minorités magyares représentent des enjeux de pouvoir et de leviers politiques importants.

5 Le royaume de Hongrie (1920-1946)

Comme tous les autres pays vaincus du conflit, le royaume de Hongrie se vit interdire la reconstitution de son armée. Dès le 1er mars 1920, une assemblée générale abolit la république et rétablit la monarchie, mais ne rappela pas le roi; elle élit plutôt un «régent», Miklós Horthy (1868-1957), ancien amiral de la marine austro-hongroise. Aussitôt au pouvoir, celui-ci pratiqua un régime autoritaire, aristocratique et presque féodal, mais dont le régime possédait néanmoins un parlement et consentait à une opposition politique. Amiral sans flotte et régent d'un royaume sans monarque, Horthy ne toléra aucune critique et s'entoura d'un cérémonial de cour.

Le régime subit la pression des nationalistes radicaux et des fascistes hongrois au fur et à mesure que les nazis consolidaient leur position en Europe et particulièrement en Hongrie. Graduellement, la Hongrie tomba sous l'influence de l'Allemagne au cours des années 1930. À la fin des années 1930, la politique étrangère d'Horthy le conduisit à une alliance réticente avec l'Allemagne nazie contre la Russie soviétique. Les lois raciales hongroises furent calquées sur les lois de Nuremberg (Allemagne). Elles annulèrent le statut d'égalité citoyenne de 1867 accordé aux Juifs de Hongrie. Selon le recensement de 1941, la population juive du pays comptait environ 825 000 individus, soit moins de 6% de la population totale de la Hongrie. À l'été 1941, les autorités hongroises déportèrent quelque 20 000 Juifs, dont la plupart vivaient en Transcarpatie et dont aucun n'avait pu obtenir la nationalité hongroise.

5.1 La loi antisémite

En 1930, la Hongrie comptait 92 % de Magyars et 5,5 % d'Allemands. Les deux tiers de la population étaient catholiques, 27 % étaient protestants (comme l'amiral Horthy lui-même), 2,8 % étaient uniates et orthodoxes, ainsi que 5,1 % de juifs. En 1939, la Chambre des représentants de la Hongrie adopta une «loi juive». En voici quelques particularités:

Art. 1 : Toute personne, qui elle-même ou au moins l'un de ses parents, ou dont au moins deux des grands-parents étaient de confession israélite au moment de l'entrée en vigueur de la loi, ou qui était également membre de la foi israélite, sera considéré comme un descendant juif né.

Art. 5 : En tant que fonctionnaire ou tout autre employé, un juif ne peut entrer au service de l'État, d'une autorité judiciaire, d'une municipalité ou de tout autre organisme public, institution publique ou service public. Les enseignants juifs qui enseignent dans les collèges, les lycées et les écoles professionnelles, et les enseignants juifs qui enseignent dans les écoles publiques doivent être mis à la retraite ou, selon les règles en la matière, licenciés avec indemnité de départ.

Art. 7 : Les juifs ne peuvent être admis en première année des universités et des collèges que dans une proportion telle que le nombre d'étudiants juifs soit de 6% du nombre total d'étudiants admis dans la faculté respective de l'université ou du collège.

Art. 9 : Les membres juifs ne peuvent être admis au barreau, en médecine ou dans une salle presse, ainsi que dans une salle de théâtre et de cinéma que dans une proportion telle que le nombre de membres juifs corresponde ou ne dépasse pas les 6% du nombre de membres des groupes professionnels.

5.2 Les gains territoriaux

Grâce au plein soutien militaire d'Adolf Hitler et des Italiens, la Hongrie réussit à regagner des territoires perdus par le traité de Trianon. Parmi ces territoires, on trouvait le sud et l'est de la Slovaquie alors qu'elle faisait partie de la Tchécoslovaquie (1938), la Transcarpatie (1939) enlevée à la Pologne (aujourd'hui en Ukraine), la Transylvanie septentrionale de la Roumanie (1940) et la région de Backa (1941) de la Yougoslavie démembrée (1941). Les territoires perdus étaient considérés par les Hongrois comme des pays appartenant à la «Couronne de saint Étienne» (en hongrois : Szent István Korona) et donc inaliénables. Ce révisionnisme hongrois était avant tout dirigé vers la Roumanie, car la Transylvanie, dont le «Pays sicule», était perçue comme un élément essentiel de l’identité magyare, mais également vers la Tchécoslovaquie dans le but de récupérer au moins le sud de la Slovaquie où les Hongrois étaient nombreux.

En novembre 1940, la Hongrie avait rejoint l'Axe (Allemagne, Italie et Japon). Les troupes hongroises participèrent aux côtés de l'armée allemande à l'invasion de la Yougoslavie (avril 1941) et de l'Union soviétique (juin 1941). Cependant, étant donné que le régent Horthy se montrait réticent à contribuer à l'effort de guerre de l'Axe et livrer les Juifs hongrois aux autorités allemandes, les troupes d'Hitler prirent le contrôle du royaume en mars 1944.

Les Allemands arrêtèrent Horthy et le contraignirent à renoncer au poste de régent. Ils mirent en place un nouveau gouvernement hongrois sous la direction de Ferenc Szalasi, le dirigeant d'un parti fasciste et radicalement antisémite. L'occupation du royaume de Hongrie par la Wehrmacht renforça davantage la politique antisémite menée par le régime. Les Juifs et les Roms furent déportées vers le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz. Mais, en 1945, les forces hongroises et allemandes en Hongrie furent vaincues par l'Armée rouge. Les frontières de la Hongrie retournèrent à leur statut d'avant la guerre après sa reddition de 1919 (voir la carte de l'Europe en 1914 et en 1919).

6 La Hongrie communiste

L’arrivée des Soviétiques provoqua un véritable exode chez les Hongrois. Ce devait être le quatrième événement tragique dans l'histoire de la Hongrie. Plus d'un million d'entre eux s’enfuirent, notamment au sein des populations des territoires annexés en 1938 et en 1940: ce furent surtout les plus grands propriétaires fonciers, les industriels, les hauts fonctionnaires, les représentants les plus connus des partis et organisations d’extrême droite et ceux de la politique du régime contre-révolutionnaire. La République populaire de Hongrie fut proclamée en 1949; elle devait durer quarante ans.

6.1 La protection des minorités

La nouvelle Constitution prévoyait la protection des minorités nationales et ethniques:

1949. évi XX. törvény a Magyar Köztársaság Alkotmánya

27. §

Az Országgyűlés tagjai az állampolgári, valamint a nemzeti és etnikai kisebbségi jogok országgyűlési biztosaihoz, az Állami Számvevőszék elnökéhez, a legfőbb ügyészhez és a Magyar Nemzeti Bank elnökéhez kérdést, a Kormányhoz és a Kormány bármely tagjához interpellációt és kérdést intézhetnek a feladatkörükbe tartozó minden ügyben.

32/B. §

1) Az állampolgári jogok országgyűlési biztosának feladata, hogy az alkotmányos jogokkal kapcsolatban tudomására jutott visszásságokat kivizsgálja, vagy kivizsgáltassa, és orvoslásuk érdekében általános vagy egyedi intézkedéseket kezdeményezzen.

2) A nemzeti és etnikai kisebbségi jogok országgyűlési biztosának feladata, hogy a nemzeti és etnikai kisebbségi jogokkal kapcsolatban tudomására jutott visszásságokat kivizsgálja, vagy kivizsgáltassa, és orvoslásuk érdekében általános vagy egyedi intézkedéseket kezdeményezzen.

3) Az országgyűlési biztos eljárását törvényben meghatározott esetekben bárki kezdeményezheti.

4) Az állampolgári jogok, illetőleg a nemzeti és etnikai kisebbségi jogok országgyűlési biztosait a köztársasági elnök javaslatára az Országgyűlés a képviselők kétharmadának szavazatával választja. Az Országgyűlés egyes alkotmányos jogok védelmére külön biztost is választhat.

5) Hatálytalan 1994

6) Az országgyűlési biztos tevékenységének tapasztalatairól évente beszámol az Országgyűlésnek.

7) Az országgyűlési biztosokról szóló törvény elfogadásához a jelenlévő országgyűlési képviselők kétharmadának szavazata szükséges.

68. §

1) A Magyar Köztársaságban élő nemzeti és etnikai kisebbségek részesei a nép hatalmának: államalkotó tényezők.

2) A Magyar Köztársaság védelemben részesíti a nemzeti és etnikai kisebbségeket. Biztosítja kollektív részvételüket a közéletben, saját kultúrájuk ápolását, anyanyelvük használatát, az anyanyelvű oktatást, a saját nyelven való névhasználat jogát.

3) A Magyar Köztársaság törvényei az ország területén élő nemzeti és etnikai kisebbségek képviseletét biztosítják.

4) A nemzeti és etnikai kisebbségek helyi és országos önkormányzatokat hozhatnak létre.

5) A nemzeti és etnikai kisebbségek jogairól szóló törvény elfogadásához a jelenlévő országgyűlési képviselők kétharmadának szavazata szükséges.

Loi XX de 1949 de Constitution de la république de Hongrie
 

Article 27

Tout député peut poser des questions au médiateur parlementaires des droits civiques, au médiateur des droits des minorités nationales et ethniques, au président de la Cour des comptes et au président de la Banque nationale de Hongrie, au gouvernement, à tout membre du gouvernement et au procureur général dans toute affaire qui relève de leurs compétences respectives.

Article 32 B

1) Le médiateur parlementaire des droits civiques est chargé d'examiner ou de faire examiner les violations des droits constitutionnels portées à sa connaissance, ainsi que de prendre l'initiative de mesures générales ou individuelles pour y remédier.

2) Le médiateur parlementaire des droits des minorités nationales et ethniques est chargé d'examiner ou de faire examiner les violations des droits des minorités nationales et ethniques portées à sa connaissance, ainsi que de prendre l'initiative de mesures générales ou individuelles pour y remédier.

3) Dans les cas fixés par la loi, chacun peut demander une intervention du médiateur parlementaire.

4) Le médiateur parlementaire des droits civiques et le médiateur parlementaire des droits des minorités nationales et ethniques sont élus, sur proposition du Président de la République, par l'Assemblée nationale, à la majorité des deux tiers des voix des députés. L'Assemblée nationale peut élire des médiateurs spéciaux également pour la protection de certains droits constitutionnels.

5) [Invalidé en 1994].

6) Le médiateur parlementaire doit présenter un rapport annuel sur son activité à l'Assemblée nationale.

7) L'adoption de la loi sur les médiateurs parlementaires requiert la majorité des deux tiers des voix des députés présents.

Article 68

1) Les minorités nationales et ethniques vivant en république de Hongrie partagent le pouvoir du peuple ; elles sont des éléments constitutifs de l'État.

2) La république de Hongrie protège les minorités nationales et ethniques. Elle assure leur participation collective à la vie publique, le développement de leur propre culture, l'usage de leur langue maternelle, l'enseignement dans la langue maternelle, le droit à l'utilisation de leur nom dans leur propre langue.

3) Les lois de la république de Hongrie garantissent
la représentation des minorités nationales et ethniques vivant sur le territoire du pays.

4) Les minorités nationales et ethniques peuvent créer des organes d'autogestion locaux et nationaux.

5) L'adoption de la loi sur les droits des minorités nationales et ethniques requiert la majorité des deux tiers des voix des députés présents.

Bien qu'une série de droits démocratiques fondamentaux (tels que la liberté de réunion, d'expression et de religion) aient été inclus dans le texte, ces droits manquaient néanmoins de garanties institutionnelles. Il en va de même pour les droits sociaux, dont le droit au travail ou aux vacances. La Constitution ne prévoyait pas la représentation des intérêts politiques et autres, mais elle énonçait que la force dirigeante du pays et de la société était le Parti des travailleurs hongrois.

En réalité, comme partout en URSS, il fallait avant tout protéger les minorités russophones sur tout le territoire soviétique. La protection des nations titulaires, celles propres aux territoires conquis, ne servaient que de paravent afin de privilégier les russophones et d'imposer une langue commune à l'Empire.

6.2 La dictature stalinienne
 

Au début, de 1945 à 1948, les Soviétiques tolérèrent une relative liberté sous la forme d'un parlementarisme à l'occidentale, bien que le nouveau régime aie dû concéder des privilèges exorbitants au Parti communiste agissant de concert avec Moscou. Puis les forces anticommunistes hongroises finirent par être liquidées les unes après les autres.

Le camarade Staline instaura une dictature qui fut mal reçue par les Magyars. Des centaines de milliers de personnes furent emprisonnées, des camps d’internement furent créés dans tout le pays. Dans cet état de terreur, des dirigeants politiques furent exécutés, ainsi que des opposants réels ou supposés à l’intérieur du Parti communiste. Le rôle de la police politique, la détestée ÁVH (Államvédelmi Hatóság), devint incontournable : dans les années 1950, elle comptait près de 100 000 membres pour un pays de 9,5 millions d'habitants.

Cette dictature se manifesta au plan culturel et linguistique. L’apprentissage de la langue russe devint obligatoire, généralement aux dépens de la langue hongroise, et demeura la seule langue étrangère autorisée à être enseignée dans les écoles, les lycées et les universités. La langue russe – en tant que langue de contact entre les nations – jouissait d'une situation exceptionnelle pour des raisons politiques, économiques, idéologiques et, surtout, militaires.

L'objectif le plus important du système était de rééduquer les Magyars, de sorte que toute la population (même les adultes) fut envoyée dans différentes écoles pour apprendre le nouveau système d'idées soviétiques. Le tout était en outre encadré par la présence permanente de l’Armée rouge sur le territoire hongrois. Les photos des camarades Lénine et Staline furent obligatoirement exposées dans tous les bureaux administratifs du pays. 

6.3 Les gouvernements pro-soviétiques

La Hongrie devint un État résolument communiste sous la direction de l'autoritaire Mátyás Rákosi (1892-1971) qui se qualifiait lui-même comme «le meilleur élève hongrois de Staline». Rákosi politisa, entre autres, le système d'éducation hongrois pour remplacer les classes des écoles par une «intelligentsia laborieuse». Il introduisit non seulement l'apprentissage du russe, mais également des cours de «politique communiste» à tous les niveaux d'enseignement. Les écoles religieuses furent nationalisées et les chefs religieux furent remplacés par des partisans du gouvernement. Bref, sous Rákosi, le gouvernement hongrois paraissait parmi les plus répressifs d'Europe. En même temps, Rákosi devint l'objet d'un culte en tous points semblable à celui dont s'entourait Staline, son idole et maître.

En 1956, Budapest se souleva contre Moscou avec à sa tête le ministre Imre Nagy qui, le 1er novembre, demanda le retrait de la Hongrie du Pacte de Varsovie. Cette annonce mettait en principe fin à la base légale du stationnement ultérieur des troupes soviétiques en Hongrie. De plus, Imre Nagy se mit à dénoncer les injustices du régime soviétique et à prévoir la fin de l'industrialisation à outrance et de la collectivisation forcée. Il autorisa les artisans et les petits commerçants à rouvrir leurs boutiques et promit d'être «patient et tolérant» à l'égard de la religion. À cette époque, ce fut perçu par Moscou, peu habitué à de tels propos, comme une déclaration de guerre!

Moscou envoya, dès le 4 novembre, d'importantes troupes dans le pays, afin d'écraser la rébellion. L'armée soviétique envahit Budapest et les autres régions du pays. Quant à la résistance hongroise, elle se poursuivit jusqu'au 10 novembre. Après l'écrasement de la révolte, des milliers de Hongrois furent arrêtés: 26 000 Hongrois furent amenés devant les tribunaux et 22 000 d'entre eux furent condamnés, 13 000 furent emprisonnés et il y eut des centaines d'exécutions, sans oublier plusieurs centaines de Hongrois déportés en Union soviétique. Plus de 200 000 Hongrois s'enfuirent en Autriche et de là ailleurs en Europe en tant que réfugiés.

En janvier 1957, le nouveau gouvernement pro-soviétique dirigé par Janos Kadar avait supprimé toute opposition publique. Quant à Imre Nagy, il fut exécuté par les Soviétiques dans la prison de Budapest par pendaison en 1958 et il est depuis considéré comme un héros national par les Hongrois.

À partir des années 1960, le régime, tout en restant fidèle à l'Union soviétique, introduisit des réformes économiques visant à concilier la planification centralisée et les lois du marché. En 1988, Karoly Grosz succéda à Janos Kadar, qui n'était plus soutenu par Mikhaïl Gorbatchev, l'initiateur de la perestroïka. La Hongrie devint alors le pays socialiste le plus riche et le plus ouvert à l'Ouest. C'est pourquoi des mouvements d'opposition commencèrent à se structurer. L'année suivante, la direction du Parti communiste hongrois condamna l'intervention soviétique de 1956 et réhabilita les victimes, dont Imre Nagy. La chute de l'Union soviétique entraîna la proclamation de la IVe république de Hongrie en 1990.

7 La Hongrie actuelle

Après avoir chassé les communistes du pouvoir en 1990, la Hongrie se trouva confrontée à une situation intérieure et extérieure difficile. À l’exemple des autres pays d'Europe centrale et orientale, la Hongrie subit, au cours des années qui suivirent l'accession à l'indépendance, des bouleversements et des transitions d'ordre social, économique et culturel. Les remous de la vie politique permirent quand même un important travail législatif qui réussit à mettre en place les bases institutionnelles de la démocratie, de l'État de droit et de l'économie de marché.

D’ailleurs, la réussite de cet effort institutionnel fut reconnue par le Conseil de l'Europe, qui accepta rapidement la Hongrie en son sein. La Hongrie rejoignit le Conseil de l'Europe le 6 novembre 1990. En 1997, les Hongrois votèrent par référendum pour l'adhésion à l'OTAN. Cependant, la Hongrie fut confrontée au problème de ses propres ressortissants hongrois dans les pays voisins. En effet, la présence des minorités hongroises de la Yougoslavie, de la Slovaquie, de l’Ukraine, de la Roumanie et de la Slovénie rendit les relations difficiles avec ces pays. L'absence de solution à ce problème pouvait, à long terme, constituer un handicap sérieux au développement intérieur et extérieur de la Hongrie.

7.1 L'arrivée de Viktor Orbán au pouvoir

En même temps, la Hongrie élabora une politique linguistique relativement avancée. Elle portait, d’une part, sur le code linguistique hongrois et la valorisation sociale de cette langue, d’autre part, sur les langues des 13 minorités nationales reconnues. Si le premier volet de la politique s’avéra simple, il n’en fut pas ainsi pour le second, tout axé sur les langues minoritaires.

En 1998, des élections législatives eurent lieu et portèrent au pouvoir des partis de droite, ainsi que Viktor Orbán qui devint premier ministre. Défait de justesse par les socialistes quatre ans plus tard, il dirigea l'opposition de droite pendant huit ans. En mai 2004, la Hongrie fut acceptées comme membre de l'Union européenne.  En mai 2010, Viktor Orbán redevint premier ministre de la Hongrie pour une seconde fois. En tant que chef de la Fidesz (Union civique hongroise), un parti nationaliste de droite, il pratiqua une politique très conservatrice anti-européenne, surtout à l'égard des Roms/Tsiganes et des étrangers. Pour le gouvernement hongrois dirigé par Viktor Orbán, les réfugiés seraient des «profiteurs» et des «terroristes potentiels». Avec Orban, la Hongrie est tombée dans l’autoritarisme, après des années de politique néolibérale menée par les socialistes; on le compare parfois à Mátyás Rákosi en raison de ses mesures brutales envers les réfugiés.

Le 25 avril 2011, le Parlement hongrois (off. "Magyar Országgyűlés" : «Diète hongroise») approuvait, par 262 voix contre 44, avec une abstention, une nouvelle constitution (appelée «Loi fondamentale») d'inspiration ultra-conservatrice, notamment avec ses références à Dieu, à la religion catholique et à la famille traditionnelle. Le texte aurait été rédigé entièrement par le premier ministre de droite Viktor Orbán, d'où le nom de «Constitution Orbán». Seul le parti de ce dernier, majoritaire, a voté pour le texte de la nouvelle Constitution, le Fidesz ou Union civique hongroise (en hongrois : Fidesz-Magyar Polgári Szövetség). La Constitution prenait effet le 1er janvier 2012. Le nom officiel du pays, auparavant «République hongroise», est devenu simplement «Hongrie».

En 2015, plus de 40 000 réfugiés sont arrivés en Hongrie, dont plus de la moitié du Kosovo, les autres de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan, mais la plupart d'entre eux se retrouvèrent aussitôt vers l’Autriche et l’Allemagne. Pour le parti de Viktor Orbán, les immigrants menaceraient l'existence de la Hongrie.

La même année, la Hongrie achevait en 29 août la pose d'une clôture de fils de fer barbelés destinée à empêcher l’entrée des milliers de migrants qui se pressaient à sa frontière avec la Serbie. Sa construction, sur 175 km de long, en pleine crise des migrants, suscita lors une vive polémique. Des capteurs, des caméras de surveillance et des barbelés garnis de lames de rasoir ont complété le dispositif. Quelques années plus tard, la clôture anti-immigrants était devenue un modèle d'efficacité, surtout avec deux murs à la frontière avec la Serbie. Ainsi, la Grèce, la Bulgarie, la Lituanie, l'Autriche, la Slovénie et la Pologne en ont construit.

De plus, Viktor Orbán a même demandé à Bruxelles de lui rembourser la moitié des 800 millions d’euros que Budapest dit avoir dépensés pour ériger à ses frontières une clôture sécurisée.

Accusé de corruption du pouvoir, Orbán a trouvé dans les immigrants un bouc émissaire idéal pour détourner l’attention de ses politiques conservatrices et autoritaires.

7.2 La politique pro-magyare d'outre-frontière

Le gouvernement hongrois dirigé par Orbán préconise une politique pro-magyare pour les magyarophones vivant à l'extérieur du pays, ceux qu'on appelle les Hongrois d'outre-frontière. Actuellement, il est estimé qu’environ 2,5 millions de personnes d’origine hongroise vivent en Roumanie, en Slovaquie, en Ukraine ou encore en Serbie. Viktor Orbán leur a accordé la nationalité hongroise, ainsi que le droit de vote aux élections législatives. De plus, il réclame l'autonomie pour les minorités hongroises dans ces pays!

Peu après son arrivée au pouvoir, le parti de Viktor Orbán modifia en 2011 la Loi sur la citoyenneté hongroise de 1993 en introduisant une nouvelle voie simplifiée d’acquisition de la citoyenneté pour les Hongrois vivant outre-frontière. Le soutien aux minorités hongroises est depuis longtemps une priorité politique du gouvernement de la Fidesz. Ainsi, Viktor Orbán investit des milliards à l’étranger pour favoriser les minorités hongroises; l'objectif est d’acheter les votes les Hongrois vivant à l’étranger et de les ajouter aux votes des ressortissants hongrois. Pour les Hongrois d'outre-frontière, le choix paraît évident: Orbán aide les enfants des minorités hongroises, il donne de l’argent à leurs familles. Alors, forcément, ils votent pour lui!

Le parti au pouvoir a ainsi ouvert la voie à la naturalisation pour une grande partie des 2,2 millions de Hongrois de souche vivant dans les pays voisins, ce qui permet d’influencer les élections en Hongrie, un pays qui compte moins de 10 millions d’habitants.

Sur la façade du Parlement, Viktor Orbán a même fait placer le drapeau des Sicules, ce petit territoire magyarophone en Roumanie, à la place du drapeau européen.

Bien entendu, cette politique nationaliste n’est pas sans susciter des tensions avec les pays concernés, notamment en Roumanie et en Slovaquie, où la minorité hongroise est importante. Les États voisins de la Hongrie ne sont pas très enchantés que la Hongrie se sente responsable de ses citoyens «de l’extérieur» et leur donne le droit de vote en Hongrie. En un peu plus d’un an et demi, le gouvernement Orbán aurait adopté plus de 350 lois, dont plus d'une trentaine à la majorité des deux tiers, en faveur des magyarophones d'outre-frontière.

Même si l'opposition politique remportait les prochaines élections en Hongrie, elle ne pourrait jamais se prévaloir d'une majorité aussi élevée et elle serait dans l'impossibilité d'abroger les lois adoptées par le gouvernement Orbán. Pour plusieurs observateurs, la liberté de la presse et les droits des minorités sont menacés en Hongrie. Le 11 janvier 2015, Viktor Orbán déclarait à la télévision hongroise: «Nous ne voulons pas voir chez nous de minorité issue d'un milieu culturel qui diffère du nôtre. Nous voulons que la Hongrie reste la Hongrie.» Ces propos sont perçus comme islamophobes, mais l'affirmation n'est pas énoncée clairement en parlant de «milieu culturel». Néanmoins, tout Hongrois sait qu'il s'agit des musulmans et non pas des 13 minorités nationales reconnues.

De plus, la Hongrie serait devenue sous Viktor Orbán le deuxième pays le plus corrompu de l'Union européenne. L'ONG Transparency International le confirme : durant le règne de Viktor Orbán, en matière de corruption, la Hongrie est passée de la 20e à l'avant-dernière place des pays de l'Union européenne, juste devant la Bulgarie. Josef Peter Martin, le directeur exécutif de Transparency International Hongrie (cité par Radio-France international, le 7 avril 2018), déclare ceci :

La corruption est devenue centralisée, systémique et même parfois légale. C’est quasiment du clientélisme et du népotisme alors qu’avant 2010 c’était plutôt un dysfonctionnement du système. Aujourd’hui on dirige délibérément l’argent public vers les copains du gouvernement. Même le beau-fils du premier ministre a été mis en cause publiquement.

Plusieurs exemples, ces dernières années, montrent que ceux qui sont au pouvoir en Hongrie considèrent les fonds publics comme leur appartenant. Cette situation ne peut que faire dégénérer toutes les politiques linguistiques élaborées depuis des décennies. Si les immigrants ne sont pas les bienvenus en Hongrie, il risque d'en être ainsi à long terme pour les minorités non magyares et les minorités religieuses.

Le 13 novembre 2019, Viktor Orbán fut reçu à la Maison-Blanche par Donald Trump, lui assurant ainsi son statut international d’homme d’État. Si certaines minorités linguistiques autres que les Roms sont assez bien traitées, il n'en est pas ainsi des autres minorités, qu'elles soient religieuses ou sexuelles, que ce soit des réfugiés ou des pauvres, voire des femmes. Grâce à l'intervention active du gouvernement en Hongrie, la normalité doit être blanche, chrétienne-catholique, hétérosexuelle et patriarcale. Pour le moment, l’opposition actuelle au régime d'Orbán ne semble pas en mesure d’offrir une véritable solution politique à la majorité des Hongrois pour le moment plus réceptifs à des politiques conservatrices qu’à l’ambition fédérale européenne. Le premier ministre hongrois est devenu un modèle pour les partis populistes d'Europe, qui progressent un peu partout : il est le premier d'entre eux à se trouver au pouvoir, fort en plus d'une large majorité au Parlement. Pour beaucoup de Hongrois, grâce à Orbán, l'Europe ne regarde plus la Hongrie de haut!

Celui-ci contrôle le système d'éducation, les médias de l'État et le système judiciaire grâce à la nomination de personnes qui lui sont dévouées. Il a aussi modifié la Constitution afin d'affaiblir la procédure électorale et de le rendre plus obscur. Il a réussi à priver les Hongrois de certaines libertés individuelles qui sont protégées dans les autres pays de l'Union européenne. En raison d'un contrôle accru des pouvoirs législatifs, judiciaires et économiques, ainsi qu'une reprise en main des médias et un discours nationaliste, Viktor Orbán, qui se montre un sympathisant du président Poutine, inquiète aujourd'hui l'Union européenne. Il veut conserver le pouvoir le plus longtemps possible, quitte à prendre des mesures antidémocratiques.

Certains réclament des sanctions contre la Hongrie, sinon son exclusion de l'UE. En septembre 2018, les députés européens ont activé la procédure de l'article 7 du Traité de l'Union européenne (violation des valeurs de l'Union). Non seulement les eurodéputés dénoncent la menace «systémique» visant les valeurs de l'Union européenne dans le pays dirigé par Viktor Orbán, mais ils accusent la Hongrie de multiples violations de la démocratie et des droits de l'homme, notamment les droits des femmes non respectés, la liberté de la presse bafouée, les lieux de culte fréquentables ou non, les marchés publics non conformes et la corruption galopante, les demandeurs d'asile refoulés auxquels la nourriture est refusée, les universités asphyxiées, etc.

La Hongrie a reçu entre 2014 et 2020 plus de 25 milliard d'euros des fonds européens. En 2023, Orbán annonçait qu'il pourrait empêcher l'Ukraine de joindre l'UE, car il voulait plus d'argent en échange d'un vote favorable de son pays. Il opposait son véto à un financement de 50 milliards d'euros à l'Ukraine. Bref, ce pays est à la merci d'un petit dictateur qui profite d'un mauvais mécanisme de fonctionnement de l'UE (l'unanimité des pays membres). Ce faisant, le gouvernement hongrois est de plus en plus isolé sur la scène européenne et se rapproche de plus en plus de son ami Vladimir Poutine. Cela n'annonce rien de bon ni pour les Hongrois et leurs minorités, ni pour les Européens.    

Dernière mise à jour: 18 nov. 2024



Hongrie
 


1)
Généralités

 

 
2)
Données historiques

 

3) La politique linguistique
 à l'égard du hongrois


4)
La politique linguistique
 à l'égard des minorités nationales

 

Bibliographie

L'Europe

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