Empire soviétique1922-1991 |
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1. L'URSS comme empire
L’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) ou simplement Union soviétique a existé du 30 décembre 1922 au 26 décembre 1991, soit 68 ans. C'était un État fédéral composé de 15 républiques. En russe, on écrit en cyrillique: Союз Советских Социалистических Республик ou en abréviation СССР; en alphabet latin, on écrirait: "Soïouz Sovietskikh Sotsialistitcheskikh Riespoublik" (SSSR). L'ensemble formait un véritable empire militaire, économique, culturel et linguistique. Malgré son nom qui laissait croire à une unité «fraternelle», cet empire fut constitué par la force en 1922 et démantelé en 1991. De plus, la prépondérance numérique des Russes est énorme : 132 millions en 1939 sur 170. |
L'article 13 de la Constitution de 1936 laissait effectivement croire que l'Union était librement consentie des Républiques socialistes soviétiques égales en droit. Suivait l'énumération des républiques fédérées :
Статья 13
Союз Советских Социалистических Республик
есть союзное государство, |
Article 13 L'Union
des Républiques soviétiques socialistes est un État fédéral
constitué sur la base de l'union librement consentie de Républiques
soviétiques socialistes égales en droit. Ce sont : |
Il y avait 15 républiques, dont cinq pour le Turkestan (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan) et trois pour le Caucase (Azerbaïdjan, Géorgie, Arménie). En dépit de sa forme fédérale, l'URSS était c'est un rouleau compresseur assimilateur: il était rigide dans le domaine économique, très poussé dans le domaine politique et, au contraire, souple dans le domaine culturel.
Bien que plusieurs pays de l'Europe de l'Est (appelé le «Bloc de l'Est») ne fussent pas partie de l'Union soviétique, ils furent placés, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sous le contrôle plus ou moins direct de l’Union soviétique : l'Albanie, la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. À la différence des 15 républiques soviétiques, ces pays dits «communistes», en fait des pays satellites, ne furent pas soumis en principe à la soviétisation et à la russification des sociétés locales, mais ils ont néanmoins été broyés par la dictature des partis communistes devenus des partis uniques, selon un mode de gouvernement similaire à celui de l'URSS.
Néanmoins, dans tous les pays du «Bloc de l'Est», des cours de russe sont devenus obligatoires dans les écoles en plus des langues locales, généralement accompagnés d'une promotion de la culture soviétique. Toutefois, après 1965, l'enseignement du russe ne fut plus obligatoire, sauf en Bulgarie.
L'idéologie du communisme théorique a pu être rapprochée du concept de «la Sainte Russie» (en russe : Свята́я Русь ou "Svyatáya Rus") messianique qui, sous les tsars, désignait la terre russe, choisie par Dieu pour son salut, et éclairée par la foi chrétienne et l'union des chrétiens orthodoxes.
Mais la pratique du communisme soviétique concret n'a gardé, de ce messianisme, que l'idée d'une lutte des classes menée internationalement en tant que guerre, «patriotique» ou bien «froide», devant sauver le monde grâce au peuple russe défendant le prolétariat mondial et les peuples colonisés, comme l'expriment les armoiries de l'URSS où la faucille et le marteau dominent le globe terrestre sous l'étoile rouge du parti. |
En 1917, la Russie passa de la théorie à la pratique en détruisant l'ordre ancien et en promettant un avenir resplendissant dans un futur Royaume socialiste. Le paradis promis n'arrivera pas, puisque suivront dans la révolution les famines, les répressions, les guerres et la déshumanisation à grande échelle.
Cette affiche géante (2 m X 4,30m) de 1947 est entreposée au Musée d'art de Bucarest) avec le slogan suivant: «Merci au bien-aimé Staline, notre guide vers la paix.» Les drapeaux identifiables sont, de gauche à droite, soviétique, chinois, tchécoslovaque, nord-coréen, mongol, roumain, hongrois, bulgare, polonais, yougoslave (c'est juste avant la rupture entre Staline et Tito). Il manque le drapeau est-allemand, car la RDA n'avait pas encore été proclamée.
Cette affiche a été souvent copiée et il existe des versions en noir et blanc, d'autres où le défilé marche vers la droite, et d'autres plus tardives avec le drapeau allemand, mais sans les Chinois ni les Yougoslaves. Ce genre d'affiche de propagande témoigne de la part des autorités soviétiques de la volonté de s'exhiber comme empire. |
2 Un État multiethnique
L'URSS fut créée à la suite de la Révolution russe de 1917 et de la guerre civile russe. Cette révolution s'est donc réalisée en deux temps :
La prise du pouvoir par Lénine donna naissance à la Russie soviétique, laquelle constitua le premier régime communiste de l'histoire. |
L'URSS fut créée par un traité signé le 22 décembre 1922 et ratifié, le 30 décembre 1922, par le Congrès des Soviets de Russie, de Biélorussie, d'Ukraine et de Transcaucasie (RSFST : Géorgie, Azerbaïdjan et Arménie). En mars 1923, Lénine fut écarté de la politique par la maladie et décéda au début de l'année suivante. Deux successeurs se présentèrent : Joseph Staline et Léon Trotski. Après avoir réussi à éliminer politiquement ses adversaires, Staline devint le dirigeant suprême de l'Union soviétique de 1927 à sa mort en mars 1953. Cet État transnational fut gouverné par le Parti communiste, notamment par son bureau exécutif, le Politburo. En réalité, sous Staline, l'URSS fut une dictature totalitaire comportant 15 républiques, ce qui en faisait aussi le plus vaste État du monde avec 22 402 200 km².
Par la force des choses, c'était également un État largement multiethnique, même si les Russes constituaient le groupe majoritaire et présent dans toutes les républiques. Cependant, chacune de celles-ci était composée d'une «nationalité» dite «titulaire»: Arméniens en Arménie, Azerbaïdjanais ou Azéris en Azerbaïdjan, Biélorusses en Biélorussie, Estoniens en Estonie, Géorgiens en Géorgie, etc. Les pays ou républiques qui faisaient partie de l'Union soviétique étaient désignés comme des «États satellites»; ils étaient liés à des entités géopolitiques (Bloc de l'Est), des alliances militaires (pacte de Varsovie) et des unions économiques (Conseil d'assistance économique mutuelle) pour constituer un véritable empire, qui se trouvait à remplacer l'ancien Empire russe des tsars.
3 La question linguistique sous Lénine et Staline
En URSS, le russe servait de langue officielle de l'Union, sans que ce statut n'ait jamais été reconnu dans la Constitution soviétique. Dans les faits, le russe est devenu la langue des communications entre toutes les composantes de cet immense empire de 285 millions de personnes (avant 1991) comprenant quelque 130 langues nationales. Contrairement aux dirigeants qui lui succéderont, Lénine n'attribuait pas des qualités supérieures au russe et ne l'a jamais élevé au-dessus des autres langues. Bien qu'il se servait du russe pour transmettre la révolution communiste, il refusait d'assurer un statut particulier au russe. Il rejetait même le concept du russe comme langue officielle de l'État, car un tel statut évoquait pour lui l'époque tsariste où toutes les langues autres que celle du tsar devaient être réprimées et liquidées. C'est pourquoi Lénine s'opposait à l'introduction d'une langue officielle, ce qui signifiait pour lui une «imposition de la langue des Grands-Russes qui constituent la minorité de la population de la Russie à tout le reste de la population du pays» (cité par Andrèa khylya Hemour, 2009-2010). Bref, le russe, n'ayant jamais été formellement déclaré langue officielle ni par l'Union ni par aucune république, même pas dans la république de Russie (1978), a toujours joui cependant du statut de langue officielle de facto. Le russe était forcément la langue des communications interethniques.
Lénine croyait que le russe s'imposerait forcément comme langue seconde, sans que les peuples doivent renoncer à leur langue maternelle. De plus, il favorisait l'alphabet latin plus universel plutôt que l'alphabet cyrillique. Enfin, il croyait que s'il devait y avoir une «langue universelle» ce serait «probablement l'anglais ou peut-être le russe». Il ne faut pas oublier que les bolcheviks se trouvaient devant un pays grandement analphabète et peuplé d'un grand nombre de locuteurs non russophones dont le niveau d'instruction était très bas. Ces habitants, généralement des paysans, appartenaient auparavant à l'Empire russe et constituaient dorénavant des minorités nationales. Les nombreuses langues qu'ils parlaient (lituanien, biélorusse, yiddish, polonais, letton, arménien, etc.) n'avaient rien de commun avec la langue des communistes russophones. Bref, le gouvernement bolchévique se trouvait devant une tâche gigantesque avant de tenter de récupérer la classe prolétarienne non russophone. Il fallait auparavant alphabétiser les masses et les familiariser avec le russe.
3.1 La politique indigéniste
En somme, les premières années de la politique des nationalités soviétiques, entre le début des années 1920 au milieu des années 1930, furent placées sous le signe de l'indigénisation ou indigéniste (en russe : коренизация ou korenizatsia, parfois francisé en «korénisation»); en russe, le terme korenizacija dérive de l'expression korennoje naselenije (коренное население), ce qui signifie littéralement «population racine», c'est-à-dire «population indigène» ou «population autochtone». Cette idéologie était conforme à la Déclaration des droits des peuples de Russie, qui proposait le «libre développement des minorités nationales et des groupes ethnographiques habitant le territoire de la Russie».
Ce fut la période durant laquelle le nouveau régime soviétique avait adopté une politique dite d'«égalité entre nations cohabitantes», ce qui favorisait le maintien des langues locales autres que le russe. Au cours de la décennie de 1920 , cette politique d'indigénisation ou de korénisation avait l'aval des représentants de la nation titulaire, donc la nomenklatura ou l'élite bureaucratique, et de leurs minorités nationales, notamment dans l'administration locale et les écoles.
Politiquement et culturellement, la politique indigéniste visait à éliminer la prédominance de la langue et de la culture russes dans les républiques soviétiques. On peut même parler de «dérussification» qui fut imposée en principe aux russophones et à leurs enfants. Par exemple, en Ukraine et dans d'autres républiques, tous les enfants furent forcés d'apprendre la langue ukrainienne ou la langue de la nation
titulaire. C'est une politique qui devait faciliter l'établissement par le Parti communiste des langues locales dans le gouvernement et l'éducation, dans l'édition, dans la culture et dans la vie publique. Bref, même les cadres du Parti communiste local furent tenus d'apprendre la langue et la culture locales de la république soviétique où ils habitaient. De toute façon, cette politique ne fut pas appliquée dans toutes les républiques, et ce, d'autant plus que les exigences linguistiques obligatoires favorables aux «indigènes« furent vite abandonnées.
Cette politique linguistique, apparemment libérale, ne devait pas durer longtemps. Elle se termina quelque temps après la mort de Lénine (le 21 janvier 1924). Une véritable guerre de succession opposa Léon Trotski à Joseph Staline; en 1928, Staline, un Géorgien, l'ayant emporté, il instaura un régime socialiste très autoritaire et mit rapidement au rancart cette politique indigéniste.
3.2 La politique stalinienne de russification
Bien que d'origine géorgienne, Staline, nommé
«commissaire aux nationalités» dans le Conseil des commissaires du peuple, n'appliqua guère les idées libérales de Lénine en matière de nationalités, en dépit de ce qu'il proclamait pourtant encore en 1930.
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Au cours de la décennie 1930, Staline favorisa plutôt, à l'exemple des tsars, la russification de l'URSS en généralisant l'emploi du «grand-russe» comme langue de travail et l'immigration des Russes dans les États fédérés, sans oublier les déportations massives en Sibérie pour des petits peuples entiers accusés de trahison.
Une chape de plomb s'est abattue sur la plupart des 15 républiques soviétiques dès le milieu des années 1930. Au contraire, les apparatchiks développèrent intensivement la russification, celle-ci n'étant nullement inférieure aux anciens impérialistes tsaristes. Pour Staline, la fusion en une seule culture socialiste par la forme comme par le contenu, avec une seule langue commune, était nécessaire pour faire triompher le prolétariat dans le monde entier et pour faire entrer le socialisme dans les mœurs. C'était cette doctrine que Staline adaptait dans sa conception léniniste du problème des cultures et des langues nationales.
Staline dénonça deux «déviations» du Parti communiste, en fait deux erreurs politiques, d'ailleurs opposées :
1° Le «simplisme»: une illusion des colonisateurs de croire que tous les peuples sont semblables et que des institutions identiques sont applicables à tous ; en tant que géorgien, Staline sait très bien qu'un Géorgien et un Russe ont des coutumes particulières;
2° Le «nationalisme» : c'est la tendance des colonisés à exagérer les particularités locales, pour aboutir à un «séparatisme» agressif.
Ces deux erreurs seront poursuivies et soigneusement éliminées. Par la suite, les purges staliniennes entraînèrent l'emprisonnement de beaucoup d'intellectuels et l'arrêt de toute promotion des langues locales. Celles-ci prirent du recul, alors que le russe devint la langue de l'administration, de l'éducation et du commerce. En 1933, Staline imposa une réforme de l'orthographe des langues titulaires, plus calquées sur le russe. L'objectif des linguistes russes était de «purifier» l'écriture des «déformations nationalistes». En se rapprochant de plus en plus du russe, les langues non russes se trouvaient ainsi à perdre davantage leurs propres caractéristiques en s'assimilant à la langue du «grand frère». C'est cette version orthographique de l'alphabet cyrillique qui fut ensuite employée dans les publications officielles.
Profitant d'une période de développement économique, Staline poursuivit sa politique de russification dans toutes les républiques de l'URSS. La langue du «socialisme internationaliste», celle des dirigeants soviétiques, celle de l'ethnie majoritaire et celle de la littérature et des sciences étaient le russe. En 1937, l'URSS était devenue un pays «complètement alphabétisé», ce qui fut perçu comme une réussite de la révolution culturelle. Par le fait même, l'imposition du russe et de son écriture pouvait dorénavant s'étendre dans toute l'URSS. En octobre de cette année de 1937, Staline entreprit une extermination massive des écrivains et artistes non russophones; cet événement marqua l'apogée de la «Grande Purge» et des répressions dans les régions sous contrôle soviétique. Par le fait même, les purges staliniennes des dirigeants et des intellectuels, accompagnées de la collectivisation forcée des paysans, contribuèrent au rétrécissement de la conscience collective nationale. |
Le 13 mars 1938, Staline décréta l'apprentissage obligatoire du russe dans toutes les écoles de l'URSS: ce fut le Décret sur l'étude obligatoire de la langue russe dans les écoles des républiques nationales et des régions. En voici un extrait concernant la proposition n° 3:
Proposition 3 Déterminer la quantité suivante de connaissances en langue russe pour les élèves des écoles primaires, secondaires incomplètes et secondaires non russes:
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Le décret obligeait les citoyens de l'URSS à enseigner la langue russe et, pour la première fois même pour toute la périphérie, donc toute l'URSS, ce qui n'était pas le cas sous le tsarisme. Le décret de 1938 fut à peine appliqué dans les premières années, faute d'enseignants russophones qualifiés, mais après la guerre de 1938-1944 l'enseignement du russe fut systématiquement imposé sous la contrainte.
De plus, l'arrivée des minorités russophones, avec les incontournables purges politiques dans presque toutes les républiques, eut un effet d'entraînement considérable pour la diffusion du russe.
L'intention de Staline était très claire: il fallait commencer par amadouer les populations locales avant de les forcer à s'assimiler. Il abolit toutes les unités militaires nationales et imposa l'unique langue russe à l'armée soviétique. Au milieu des années 1940, la conversion des autres langues que le russe en alphabet cyrillique était en principe terminé.
En 1944, la déportation des Tatars de Crimée, des Tchétchènes, des Ingouches, des Balkars, des Kalmouks et plusieurs autres petits peuples augmentèrent les effectifs du goulag, ces campa de travaux forcés, de plus d'un million de personnes. Dans l'après-guerre, les «nationalités», ces peuples «punis» auxquels s'ajoutaient les Baltes, les Ukrainiens et les Roumains, accusés de résistance nationaliste, composèrent la majorité de la population des camps. Malgré tout, le «petit père des peuples» était tellement aimé qu'en 1947 il remporta la mairie de Moscou avec 131 % des suffrages; apparemment, il avait été impossible de contenir l’enthousiasme électoral des citoyens de l’extérieur de la ville! |
Pour ce dirigeant éminemment autoritaire que fut Staline, l'évolution naturelle des langues devait entraîner une réduction considérable du nombre des langues dans le monde et ne conserver que celles ayant une «réelle valeur de communication». Cette réduction paraissait même souhaitable pour éviter des pertes d'énergie et de temps pour l'humanité. Mieux, au fil d'arrivée, il ne devrait rester peut-être que l'anglais et le russe, probablement même seulement le russe, la «langue du socialisme triomphant» ("yazyk pobedivshego sotsializma"). Mais Staline se révéla un bien mauvais prophète! Après sa mort en 1953, la persécution ouverte des nationalités minoritaires en URSS, ce qu'on pourrait appeler la «stalinisation», diminua; elle se poursuivit de façon plus adoucie.
3.3 L'imposition de l'alphabet cyrillique
En 1939-1940, les Soviétiques décidèrent qu'un certain nombre de langues non slaves, dont le tatar, le kazakh, l'ouzbek, le turkmène, le tadjik, le kirghiz, l'azéri et le bachkir, devaient dorénavant s'écrire avec l'alphabet cyrillique. Les autorités soviétiques firent croire à ces peuples que ce changement était rendu nécessaire parce qu'il s'agissait de «demandes de la classe ouvrière».
En réalité, en 1936, Joseph Staline avait entrepris par décret une réforme des langues parlées en Union soviétique dans un but bien précis. Afin de donner une écriture aux langues nationales, il imposa à un rythme accéléré l'alphabet cyrillique en lieu et place des alphabets latin, grec, arabe, turc, mongol, etc. Évidemment, la réforme fut menée dans une atmosphère de terreur et fut accompagnée de la destruction physique des intellectuels, de l'élimination de toute trace d'autonomie nationale réelle et de l'imposition de la langue russe. Cette réforme stalinienne prit fin en 1940, après que pas moins de 21 eurent changé deux fois d'alphabet et 13 trois fois. La réforme fut tellement vite fait qu'on en oublia plusieurs, dont le kurde, le géorgien, l'arménien, le finnois, etc. |
Pour Staline, l'imposition du cyrillique constituait une arme idéologique redoutable. C'était une façon de faire oublier la culture du passé à de nombreux peuples qui ne pouvaient plus lire les ouvrages anciens dans leur langue parce qu'ils ignoraient leur ancien alphabet. Toute une génération de Soviétiques désorientés et non russophones perdit le contact avec leur culture du passé. En 1938, la réglementation stalinienne obligeait chaque écolier de l'Union soviétique à pouvoir lire l'alphabet cyrillique afin de parler le russe, véhicule de la langue de communication inter-ethnique de l'Union. Staline savait dès 1936 que la guerre approchait: la langue de commandement dans l'Armée rouge était le russe.
3.4 La déportation des nationalités
Staline fit déporter en bloc plus de 20 nationalités, y compris huit populations entières installées depuis des générations sur leur territoire historique: les Allemands de la Volga (chrétiens non orthodoxes), les Kalmouks (bouddhistes), ainsi que six nationalités musulmanes (Tchétchènes, Ingouches, Karatchaïs, Balkars, Tatars de Crimée et Meskhètes). Seule la mort de Staline empêcha les 2,5 millions de Juifs soviétiques de connaître le même sort. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, sept noms de nations avaient été rayés de la carte. Certains territoires autonomes furent rebaptisés, d'autres furent dépecés et distribués en totalité ou en partie aux républiques voisines. Les noms de villes et villages qui rappelaient trop le passé furent russifiés; presque tous les monuments historiques, livres, lieux de culte et même les cimetières furent détruits. Staline liquida la mémoire culturelle, linguistique et historique des peuples transférés (déportés). Le tableau ci-dessous donne une idée de l'étendue des déportations (d'après Focus Histoire):
Les nationalités déportées |
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Allemands de la Volga (sept. 1941) | 366 000 |
Karachaïs (nov. 1943) | 68 000 |
Kalmouks (déc. 1943) | 92 000 |
Tchétchènes (févr. 1944) | 362 000 |
Ingouches (févr. 1944) | 134 000 |
Balkars (avr. 1944) | 37 000 |
Tatars de Crimée (mai 1944) | 183 000 |
Turcs meskhètes (nov. 1944) | 200 000 |
Sous-total | 1 442 000 |
Autres minorités déportées 1936-1952 | |
Polonais (1936) Ukraine > Kazakstan |
60 000 |
Coréens (1937) Vladivostok > Kazakhstan / Ouzbékistan |
172 000 |
Polonais/Juifs
(1940-1941) Ukraine et Bélarus > N. Sibérie |
380 000 |
Autres Allemands soviétiques (1941-1952) Saratov, Ukraine > Asie centrale |
843 000 |
Finlandais de la région de Léningrad
(1942) Léningrad > Sibérie |
45 000 |
Autres peuples du
Caucase du Nord (1943-1944) Nord-Caucase > Asie centrale |
8 000 |
Autres peuples de Crimée
(1944) Crimée > Asie centrale |
45 000 |
Moldaves (1949) Moldavie > centre et est de Sibérie |
36 000 |
Grecs de la mer Noire
(1949) Région de la mer Noire > Kazakhstan |
36 000 |
Autres peuples de la mer Noire
(1949) Région de la mer Noire > Kazakhstan |
22 000 |
Sous-total | 1 647 000 |
GRAND TOTAL | 3,1 millions |
Certes, après la mort de Staline survenue en 1953, le recours à la terreur et aux travaux forcés diminua de manière sensible, mais la russification perdura, puis s'accentua par la suite.
4 La déstalinisation et la soviétisation
Après la mort de Staline en 1953, Nikita Khrouchtchev prit le pouvoir comme dirigeant de l'Union soviétique. Il annonça une période de «dégel» et un processus de déstalinisation fut entamé dès 1956. Ayant condamné publiquement le culte de la personnalité pratiquée par son prédécesseur, il l'accusa d'avoir abandonné la politique léniniste des nationalités.
Le processus de déstalinisation devait apporter des possibilités d'ouverture supplémentaires pour le développement des cultures et des langues locales. Toutefois, les limites et les incohérences de Khrouchtchev et de son entourage n'apportèrent pas l'ouverture espérée. La russification des républiques fut réorientée par les programmes visant «l'internationalisme» et «l'entente et la fusion des nations». Khrouchtchev était convaincu que, sans l'introduction de la langue et de la culture de la Russie dans toutes les sphères de la vie des républiques, le communisme était impossible. D'où le concept de la «formation d'un homo sovieticus». ce qu'on pourrait appeler «l'homme nouveau». |
4.1 La langue russe en éducation
Après de longues discussions, Khrouchtchev fit adopter la Loi du 24 décembre 1958 «sur le renforcement du lien entre l'école et la vie et sur le développement ultérieur du système d'enseignement public en URSS» (Закон від 24 грудня 1958 р. «Про зміцнення зв'язку школи з життям і про подальший розвиток системи народної освіти в СРСР»; en alphabet latin: Zakon vid 24 hrudnya 1958 r. "Pro zmitsnennya zv'yazku shkoly z zhyttyam i pro podalʹshyy rozvytok systemy narodnoyi osvity v SRSR"). Cette loi devait avoir un impact important sur les langues des non-russophones. D'une part, la loi proclamait l’égalité juridique de toutes les langues de l'Union soviétique, ce qui légitimait l'enseignement de la langue maternelle, c'est-à-dire «n’importe quelle langue librement choisie». D'autre part, l'article 19 de la loi déclarait que l’enseignement dans la langue maternelle n'est pas obligatoire, car les parents peuvent choisir la langue d’enseignement pour leurs enfants. Dans la pratique, cela signifiait, par exemple, que les russophones en Ukraine n'étaient pas tenus d'apprendre l'ukrainien, comme les ukrainophones n'étaient pas obligés d'apprendre le russe. Cependant, toutes les conditions sociales favorisaient la promotion intensive de la langue russe.
En dépit de cette loi censée remettre à l'honneur les langues régionales, le nombre d’écoles où la langue d'instruction se donnait en russe s'est mis à augmenter de façon très importante. Progressivement, les langues nationales, celles des groupes ethniques, devinrent de simples matières scolaires, ces langues ayant perdu leur valeur identitaire aux yeux des parents et des enfants.
La diffusion de la langue russe à partir des années 1960 était principalement le résultat d'un libre choix; cela signifiait que les parents non russophones envoyaient leurs enfants dans des écoles russophones en sachant pertinemment que la fréquentation d'une école non russe entraverait leur avancement futur. Avec les décennies, la soviétisation, c'est-à-dire l'acculturation ayant fait son œuvre, les parents n'eurent plus le choix de forcer leurs enfants à poursuivre leurs études dans les écoles russes, alors que la connaissance du russe s'étendait dans toutes les républiques et que des émissions de télévision et de radio étaient diffusées en russe dans toute l'Union.
Les réformes scolaires de Khrouchtchev eurent pour effet de remplacer des écoles non russes par des écoles russes, avec comme procédure l'instauration du «choix parental volontaire».
Cependant, l'offre d'enseignement dans les langues locales diminua grandement, puisque dans la plupart de celles-ci cet enseignement n'était tout simplement pas possible durant la totalité de la scolarité tant au primaire qu'au secondaire. De plus, pour certaines nationalités, aucune scolarité n'était possible dans la langue maternelle. Par exemple, au début des années 1970, les écoles offrant un enseignement dans une langue locale n'étaient possibles que dans 45 langues (sur 130), bien que sept autres langues pouvaient être étudiées durant au moins une année scolaire. En 1980, l'instruction dans une langue locale n'était autorisée que dans 35 langues pour les citoyens de l'Union soviétique. Bref, en quelques années, plus de 90 langues disparurent des programmes scolaires.
Dans les écoles soviétiques, l’éducation était résolument moraliste et militariste. On condamnait, par exemple, l’introduction du jazz ou du rouge à lèvres et on imposait deux heures par semaine de «préparation militaire initiale» (maniement et utilisation des armes de petit format, premiers soins à sur les champs de bataille, etc.). Les gamins sur l'affiche de gauche ne sont pas encore des "komsomols" («jeunesses communistes» au lycée et à la fac), mais des "pionniers" («Mouvement des pionniers), l'étape précédente (correspondant au collège), la première étape étant le "Faucon rouge" (correspondant à l'école primaire). |
À la toute fin des années 1970, des mouvements nationalistes se développèrent un peu partout dans les républiques soviétiques. Afin de calmer les ardeurs nationalistes, les Soviétiques imposèrent une nouvelle constitution qui mettait l'accent sur l'égalité de toutes les langues de l'URSS. En réalité, la politique linguistique des républiques fut tout axée sur l’égalité des droits linguistiques de tous les citoyens, surtout ceux des russophones, et sur le développement harmonieux de toutes les nations et ethnies de l’URSS. C'était une façon de banaliser toutes les langues nationales dites «titulaires» — la langue majoritaire d'un territoire sous tutelle — et d'accorder un statut privilégié au russe. Dans les faits, toutes les langues titulaires des républiques soviétiques n'avaient droit de cité (après le russe) que dans leur république d'origine, alors que la langue russe avait la priorité dans toutes les républiques. Tout non-russophone souhaitant poursuivre une carrière au-delà des limites de sa propre république d'origine devait donc posséder une connaissance approfondie du russe. Évidemment, la russification des écoles dans les républiques nationales entraîna l'émergence d'un bilinguisme de masse dans toute l'URSS, sauf en Russie.
4.2 La soviétisation
Au-delà du simple usage de la langue, la soviétisation visait à créer une identité entièrement nouvelle et non ethnique : cet être nouveau et «supérieur» devait idéalement être instruit et parler le russe, soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde.
La soviétisation exigeait aussi que les femmes soient traitées comme des partenaires absolument égales dans la construction du socialisme. En même temps, les religieux, les paysans et les nomades avaient tendance à être perçus comme des «vestiges» d'une époque révolue et conservatrice. En ce sens, la soviétisation est un processus d'acculturation qui a pour effet d'accélérer la russification. Au-delà de la simple utilisation de la langue russe, la soviétisation cherchait aussi à créer une identité non ethnique entièrement nouvelle: un Homo sovieticus, dont l'idéologie se devait d'être façonnée par les paradigmes de la société russo-soviétique.
Il peut sembler difficile de distinguer clairement ces deux concepts de soviétisation et de russification, mais la soviétisation consiste surtout à adopter un système politique basé sur le modèle des Soviets, c'est-à-dire le choix d'un mode de vie, d'une mentalité et d'une culture inspiré de l'Union soviétique. Cela inclut l'adoption de l'alphabet cyrillique en plus de la langue russe. |
En définitive, la soviétisation comprend l'adoption inconditionnelle d'institutions, de lois, de coutumes, de traditions et du mode de vie soviétiques, à la fois au niveau national et dans les plus petites communautés. Ainsi, la soviétisation va plus loin que la langue, elle façonne la pensée des individus de sorte qu'elle assimile les valeurs culturelles, reléguant celles des peuples titulaires à un simple folklore insignifiant parce qu'elle superpose de façon prioritaire les valeurs soviétiques. On inculquait aux citoyens soviétiques qu'ils existaient pour se dévouer, pour se sacrifier et pour mourir pour la liberté, sauf qu'on ne leur a jamais appris à être libres. La soviétisation s'appliquait aussi aux pays du «Bloc de l'Est» qui, bien que non intégrés à l'URSS et ayant conservé leur indépendance formelle, durent se convertir au communisme et acquérir les valeurs soviétiques. Cette politique de soviétisation consiste donc à homogénéiser l'environnement culturel. Au-delà des défis linguistiques se jouent aussi des enjeux identitaires pour les populations soviétisées qui voient leur histoire et leur culture s’effriter avec un impact psychologique considérable sur les collectivités.
Selon les principes imposés par les dirigeants, le schéma de la scolarité complète dans les pays communistes pourrait se résumer ainsi:
Le primaire (trois ans): l'élève doit en sortir en sachant parler, lire et compter en russe, chanter l'Internationale et reconnaître les portraits des dirigeants soviétiques; placer les républiques fédérées sur la carte de l'Union; décliner la hiérarchie des Soviets et pratiquer les exercices des «octobristes», l'équivalent soviétique des louveteaux scouts;
Le secondaire (trois ans): l'élève doit posséder une culture générale de base en sciences; savoir que les religions sont des superstitions aliénantes; être capable de bricoler correctement, d'effectuer des réparations simples; de réciter des poèmes, des slogans, des pièces de théâtre russes; et pratiquer les exercices des «pionniers», l'équivalent soviétique des scouts;
Le lycée (trois ans): posséder des compétences préprofessionnelles ou paramilitaires; bénéficier d'une connaissance complète des principes du communisme et de la vision communiste du monde; avoir une spécialisation technique, scientifique, artistique, agricole ou autre; et pratiquer les exercices de «komsomols» ou jeunesses communistes: sports, entraînement militaire, travaux publics et agricoles volontaires dans les usines ou les kolkhozes, etc.
L'éducation, une nouvelle société, le mondialisme communiste, l'anti-américanisme, l'anti-religion, l'intellectualisme et la production industrielle étaient tous des idéaux inculqués aux camarades communistes. Quant aux enseignants, ils étaient responsables des succès de leurs élèves pour leur propre carrière. Trop de cancres dans leurs classes pouvaient entraîner leur renvoi. Il était donc dans leur intérêt d'augmenter les connaissances de leurs élèves, quitte à donner des cours à domicile.
Au final, on voulait inculquer chez les individus la fierté soviétique! Celle-ci était véhiculée au moyen de grandes affiches illustrant le bonheur de vivre en Union soviétique et également au moyen des nombreux défilés militaires qui démontraient la puissance des Soviétiques, sans oublier la faucille et le marteau pour représenter le communisme dans sa variante léniniste. Le principe était de toujours représenter le bonheur par la force, militaire d'abord, puis par l'union des travailleurs agricoles et du prolétariat ouvrier! On leur a appris à aimer et à admirer les hommes armés de fusils,
Les thèmes communs de la propagande soviétique l'individu nouveau qui pensait que le travail acharné et la discipline surmontaient les instincts de base des humains, faisant des individus ordinaires des héros. La création d'un ennemi de classe, vilipendant la bourgeoisie, permettait de se contenter à la rigueur d'une pauvreté plus acceptable que celle vivotant sous les tsars. |
La soviétisation préconisait l'égalité et la fraternité des peuples composant l'URSS et même ceux du «Bloc de l'Est», mais l'objectif réel dans la pratique était de rendre les Russes non seulement égaux aux «autochtones» qui vivaient dans les républiques alors qu'ils étaient minoritaires dans 14 républiques sur 15, mais surtout de les rendre socialement supérieurs aux «autochtones» assujettis. C'était une «union» imposée par les Russes!
C'est pourquoi les autorités soviétiques ont placé des Russes à tous les échelons administratifs dans les 14 républiques autres que la Russie, ainsi que dans les pays du «Bloc de l'Est». Ainsi, les apparatchiks, les membres de la nomenklatura, les cadres du gouvernement et du Parti communiste devenaient des potentats locaux aux pouvoirs considérables. Leur rémunération était si élevée qu'ils devenaient eux-mêmes des capitalistes qu'ils devaient combattre.
4.3 L’ère brejnévienne
L'arrivée au pouvoir de Léonid Brejnev (1964-1982) occasionna une politique plus stricte que celle de Khrouchtchev qui avait été limogé. Plus sévère et plus intolérant, Brejnev déploya une politique de russification et de soviétisation plus accentuée. Les minorités nationales furent graduellement marginalisées, puis éliminées des domaines associés au progrès et à l'éducation, et finalement confiné à un rôle de plus en plus identitaire.
- Le sort des nationalités
L'idéologie développée par Brejnev sur les «nationalités» prenait en considération les idées de Staline et celles de Khrouchtchev en y ajoutant ses propres idées dans le but de soutenir et de promouvoir le rôle supérieur de la langue russe. Étant donné la supériorité de la «Grande Langue russe», il ne saurait exister une «égalité totale» entre les langues en Union soviétique, mais une hiérarchie normale au sein de la pluralité des langues.
En raison de la vieillesse et de la maladie de Brejnev, les années 1970 marquèrent l'âge d'or de la nomenklatura; cette nouvelle «féodalité soviétique» se traduisit politiquement par la présence majoritaire des cadres régionaux au sein du Comité central. Comme ils étaient tous soviétisés et russifiés, ils s'enrichirent de la même façon que les Russes. |
Le 7 octobre 1977, le Soviet suprême adopta à l’unanimité la quatrième et dernière Constitution soviétique, aussi appelée «Constitution brejnévienne». Le nom officiel de la Constitution était Constitution (loi fondamentale) de l'Union des républiques socialistes soviétiques (En russe : Конститу́ция (Основно́й Зако́н) Сою́за Сове́тских Социалисти́ческих Респу́блик). Selon l'idéologie du moment, on ne mentionnait pas de langue officielle, pas même le russe. Par contre, on parlait d'égalité, de droits identiques pour tous, de rapprochement entre les nations, de la possibilité d'employer la langue maternelle, etc. Voici les articles portant sur la question linguistique:
Стаття 34. Громадяни СРСР є рівними перед Законом незалежно від походження, соціального і майнового стану, расової і національної належності, статі, освіти, мови, ставлення до релігії, роду і характеру занять, місця проживання та інших обставин. Рівноправність громадян СРСР забезпечується в усіх галузях економічного, політичного, соціального і культурного життя. Стаття 36. Громадяни СРСР різних рас і національностей мають рівні права. Здійснення цих прав забезпечується політикою всебічного розвитку і зближення всіх націй і народностей СРСР, вихованням громадян у дусі радянського патріотизму і соціалістичного інтернаціоналізму, можливістю користуватися рідною мовою та мовами інших народів СРСР. Будь-яке пряме чи непряме обмеження прав, встановлення прямих чи непрямих переваг громадян за расовими і національними ознаками, так само як і всяка проповідь расової або національної винятковості, ворожнечі або зневаги - караються за Законом. Стаття 45. Громадяни СРСР мають право на освіту. Судочинство провадиться мовою союзної або автономної республіки, автономної області, автономного округу або мовою більшості населення даної місцевості. Особам, що беруть участь у справі і не володіють мовою, якою провадиться судочинство, забезпечується право повного ознайомлення з матеріалами справи, участь у судових діях через перекладача і право виступати в суді рідною мовою. |
Article 34. Les citoyens de l'URSS sont égaux devant la loi, indépendamment de leur origine, de leur statut social et patrimonial, de leur race et de leur nationalité, de leur sexe, de leur éducation, de leur langue, de leur religion, de leur sexe et de leur profession, de leur lieu de résidence et autre circonstance. L'égalité des citoyens de l'URSS est assurée dans tous les domaines de la vie économique, politique, sociale et culturelle. Article 36. Les citoyens de l'URSS ont droit à l'éducation. La procédure judiciaire se déroule dans la langue de l'Union ou de la République autonome, de l'oblast autonome, de l'okrug autonome ou dans la langue de la majorité de la population de la localité. Les justiciables impliqués dans un procès et ne maîtrisant pas la langue de la procédure se voient garantir le droit de prendre pleinement connaissance des pièces du dossier, de participer à la procédure judiciaire par l'intermédiaire d'un interprète et le droit de comparaître devant le tribunal dans leur langue maternelle. |
Bien que le texte constitutionnel mette de l'avant la langue maternelle des peuples de l'URSS, tous savaient que tous ces beaux principes n'avaient de valeur que dans la mesure où la Grande Langue russe conservait la priorité absolue, les autres langues titulaires n'étant que des «possibilités». Il fallait préserver la hiérarchie russe parmi les langues soviétiques. D'ailleurs, avant l'indépendance des républiques soviétiques, selon les évaluations linguistiques de l'époque, quelque 40 % ou plus de la population locale ne parlait plus couramment leur langue nationale titulaire (ukrainien, kazakh, tadjik, azéri, etc.). Les écoles reflétaient aussi la domination de la langue russe, car on comptait deux fois plus d'écoles primaires russes que d'écoles allophones. Tout l'enseignement supérieur se donnait massivement en russe et la langue titulaire n'était une langue d'instruction que pour environ 20% des étudiants. La langue des affaires demeurait le russe et, pour bien des «locaux», leur langue maternelle était reléguée au rang de «langue seconde».
- L'installation des Russes dans les républiques
Au cours de ces années, de nombreux Russes vinrent s'installer dans toutes les républiques, ce qui contribua à la diffusion de la langue russe, et ce, d'autant plus qu'ils exigeaient que leurs enfants reçoivent une éducation en russe. L'omniprésent Parti communiste n'offrait des promotions qu'à ceux qui maîtrisaient parfaitement la langue russe. Étant donné que le biélorusse et l'ukrainien sont plus apparentés au russe que la plupart des autres langues parlées en Union soviétique, l'assimilation fut plus rapide. La Biélorussie et l'Ukraine urbaines devinrent russophiles et russophones. L'enseignement de la langue nationale devint de plus en plus facultatif dans les écoles primaires au profit du russe. On envisagea même d'obliger les jardins d'enfants à n'utiliser que le russe dans l'enseignement.
Entre 1960 et 1980, près de la moitié des quelque 70 langues auparavant enseignées dans les écoles disparurent des programmes scolaires. Dans les républiques de l'Asie centrale, les langues titulaires (arménien, azerbaïdjanais, géorgien, kazakh, turkmène, ouzbek, tadjik, etc.) ne furent pas réellement touchées, mais le nombre d'heures accordé au russe furent considérablement augmenté. De plus, toutes les publications dans les langues nationales connurent un fort déclin.
À cette époque bénie de l'Union soviétique, la vie était facile pour tous les russophones vivant dans les différentes républiques de l'Union. En effet, les Russes bénéficiaient de tous les avantages d’une majorité fonctionnelle qui n’avait pas besoin d’être bilingue; ils détenaient les clés de la domination économique, sociale, culturelle, etc. Ils pouvaient exiger partout que leurs enfants reçoivent leur instruction uniquement en langue russe ou de subir un procès uniquement en langue russe. Des exemples comme la Biélorussie, l'Ukraine ou la Lettonie ne demeurent pas des exceptions. La situation était en tous points identique dans toutes les républiques, y compris celles de l'Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, etc.). La plus prestigieuse des langues de l'URSS, le russe, devint incontournable. Cette langue fut largement exploitée par les dirigeants soviétiques à des fins politiques, ce qui favorisa une politique linguistique de type hégémonique. Le russe a constitué pour les politiciens soviétiques l'ultime recours pour instaurer et maintenir un nationaliste pansoviétique. Ce faisant, tous les langues nationales se russifièrent à des degrés divers. Du côté des russophones, tout allait bien pour eux: ils dominaient la vie politique et culturelle, leur avenir économique semblait assuré et ils se sentaient chez eux.
- La russification dans le «Bloc de l'Est»
Il ne faut pas oublier que la russification atteignit aussi les pays du «Bloc de l'Est», qui ne faisaient pas partie des 15 républiques de l'URSS: l'Albanie, la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et, dans une moindre mesure, la Yougoslavie de Tito, qui s'est toujours voulue non alignée à l'Union soviétique. Si l'Empire romain a mis au moins quatre siècles à latiniser et à romaniser les populations de son époque, l'URSS a mis moins de soixante-dix ans pour soviétiser ses populations assujetties. En ce sens, c'est un exploit!
- Les études linguistiques
Malgré les errements de la politique de russification pratiquée dans l'ancienne URSS, il faut aussi mentionner les aspects scientifiques remarquables du travail des linguistes soviétiques. Par exemple, au cours des années vingt, soixante et quatre-vingt, les linguistes ont fait des efforts importants pour créer des alphabets et des langues littéraires, même pour les peuples les plus petits de l'URSS. Il existe une quantité impressionnante de travaux portant sur la classification, la typologie, la phonétique, la phonologie, la grammaire, le lexique, etc., des langues, grandes ou petites, parlées en URSS, dont une grand nombre de petites langues autochtones. Par comparaison, il n'est pas certain qu'on trouverait, dans une aussi large proportion, autant d'études linguistiques similaires sur les autochtones des États-Unis ou les langues régionales de France, pour ne citer que ces deux pays.
Par ailleurs, au cours de l'histoire de l'Union soviétique, il y eut de réelles tentatives visant à sauvegarder les langues des peuples de l'URSS. Beaucoup de petits peuples ont ainsi obtenu une autonomie culturelle qui leur a permis de se développer et de se maintenir.
5 La perestroïka et la glasnost
À la toute fin des années 1970, des mouvements nationalistes se développèrent et s'accentuèrent, en 1986, après l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine. La situation commença à changer vers la fin du régime soviétique, notamment avec l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir et la perestroïka, puis la chute du mur de Berlin, l'effondrement des régimes communistes, la fin du monopole politique des partis communistes, etc.
Le 11 mars 1985, l'élection de Mikhaïl Gorbatchev au poste de secrétaire général du Parti communiste ouvrit la voie à une nouvelle période, la dernière dans l'histoire de l'URSS. Celle-ci se caractérisait par une forte volonté réformiste visant à rendre plus efficace le système soviétique existant. Ce fut la perestroïka («restructuration») qui fut suivie par la glasnost (transparence), qui marqua la volonté d'engager un nouveau dialogue social.
Formellement, depuis 1977 en URSS il n'y avait pas de langue officielle, tandis que toutes les langues de l'empire étaient égales en droits. Mais la loi du 24 avril 1990 sur les langues des peuples de l'URSS rétablit le russe comme langue officielle de l'URSS. Dans la pratique, la langue russe demeurait la langue de communication interethnique, les autres langues étaient loin d'être égales dans leurs fonctions et droits réels. Les peuples non russophones, c'est-à-dire les allophones, sont censés apprendre le russe, alors que les russophones ne sont pas tenus d’étudier une autre langue soviétique. |
5.1 L'effondrement de l'URSS
Cependant, la réponse à cette ouverture politique entraîna, au terme de six années de perestroïka, l'effondrement de l'URSS, celle-ci ne pouvant subsister que dans la coercition. Finalement, la dislocation en 1991 de l'URSS a, en principe, mis fin à la soviétisation, sauf en Transnistrie et en Biélorussie. Par exemple, dans les anciens pays du «Bloc de l'Est», la faucille et le marteau sont considérés comme le symbole d'une idéologie totalitaire et criminelle; la représentation de la faucille et du marteau, ainsi que d'autres symboles communistes tels que l'étoile rouge, est considérée comme une offense criminelle. Cependant, la russification, elle, s'est poursuivie en Biélorussie, en Moldavie et en Ukraine (dans sa partie orientale), y compris dans les 86 «sujets» (ou unités administratives) de la fédération de Russie: républiques, kraïs, oblasts, villes à statut fédéral, régions et districts autonomes. Au lieu de choisir un pays digne où il fait bon vivre, l'idéologie soviétique a préféré un pays puissant retenu par la force. Les peuples minoritaires de l'Union soviétique acquirent alors une marge de manœuvre dont elles surent rapidement tirer parti. Après l'effondrement de l'URSS en décembre 1991, toutes les républiques de l'ex-URSS proclamèrent une à une leur indépendance. Au moment de la dissolution de l'Union soviétique en 1991, on comptait quelque 25 millions de Russes dans les différentes républiques.
5.2 Les conflits séparatistes ou irrédentistes
La dissolution de l'Empire soviétique ne s'est pas toujours déroulée sans heurts. Des guerres civiles secouèrent aussitôt la Transnistrie (1992) et en Tchétchénie (1994). Le Caucase s’est embrasé avant que la Russie et la Géorgie ne se livrent à une guerre interétatique (2008). Puis ce fut la deuxième guerre en Tchétchénie, suivie du Donbass (2014) en Ukraine. Et c’était sans compter le potentiel d’implosion de la Yougoslavie et les longues guerres au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine. Si les non-Russes voulaient quitter l'Empire soviétique, les Russes en Transnistrie et en Crimée au contraire désiraient y demeurer.
Sauf que la fédération de Russie, issue de l'URSS, a voulu restaurer une partie des États de l'union soviétique. Ce fut d'abord l'instauration de la Communauté des États indépendants, puis celle-ci fut suivie de l'annexion de la Crimée en 2014 et de la guerre en Ukraine en 2022. C'est sans oublier les autres conflits sur les territoires de sa zone d'influence: l'Azerbaïdjan et l'Arménie avec le Haut-Karabagh, la Moldavie avec la Transnistrie, la Géorgie avec l’Abkhazie, l’Adjarie et l’Ossétie du Sud, sans oublier la Tchétchénie, l'Ossétie, le Daghestan, l'Ingouchie, etc., dans la région du Caucase.
Actuellement, le russe est parlé par 154 millions de locuteurs comme langue maternelle et par 100 millions de locuteurs comme langue seconde pour un total de 254 millions. En somme, l'URSS a beaucoup mieux réussi à diffuser la connaissance de la langue russe et de sa culture que l'Empire russe ne l'a jamais été. Comme quoi la peur accompagnée de quelques mesures reliées à la sécurité peut inciter des populations entières à adopter une autre langue.
Dernière mise à jour: 24 avr. 2024
Voir aussi :
L'Empire russe - La fédération de Russie