Sous le régime soviétique, le russe était la langue officielle de l'Union, alors que chacune des républiques avait en plus une langue titulaire co-officielle. Même si le russe n'a jamais été déclaré formellement langue officielle, ni par l'Union ni par aucune république, pas même pas en Russie (1978), il a toujours joui dans les faits du statut de langue officielle jusqu'en 1991.
1.1 Le statut des langues dans les républiques
Nous allons faire un petit tour d'horizon dans les constitutions des anciennes républiques soviétiques. Par exemple, lorsqu'on lit la Constitution du 14 avril 1978 de la Biélorussie, force est de constater que l'accent était mis sur l'égalité de toutes les langues de l'Union. La politique linguistique de la Biélorussie soviétique était tout axée sur l’égalité des droits linguistiques de tous les citoyens, surtout ceux des russophones, et sur le «développement harmonieux» de toutes les nations et ethnies de l’URSS. C'était une façon de banaliser toutes les langues nationales (ou titulaires) et d'accorder un statut privilégié au russe, comme au temps des tsars. C’est ainsi qu’on pouvait lire aux articles 32 et 34:
Article 32 1) Les citoyens de la République socialiste soviétique (RSS) de Biélorussie sont égaux devant la loi indépendamment de leur origine, de leur situation sociale et de leurs biens, de leur appartenance raciale et nationale, de leur sexe, de leur niveau d'instruction, de leur langue, de leur attitude vis-à-vis de la religion, du genre et du caractère de leurs occupations, de leur lieu de résidence et autres circonstances. 2) L'égalité en droit des citoyens de la RSS de Biélorussie est garantie dans tous les domaines de la vie économique, politique, sociale et culturelle. Article 34 1) Les citoyens de la RSS de Biélorussie de races et de nationalités différentes jouissent de droits égaux. 2) L'exercice de ces droits est garanti par la politique de développement harmonieux et de rapprochement de toutes les nations et ethnies de l'URSS, par l'éducation des citoyens dans l'esprit du patriotisme soviétique et de l'internationalisme socialiste, par la possibilité d'utiliser sa langue maternelle et la langue des autres peuples de l'URSS 3) Toute restriction directe ou indirecte des droits, tout établissement de privilèges directs ou indirects pour les citoyens en raison de la race ou de la nationalité, de même que toute propagande d'exclusivisme racial ou national, de haine ou de mépris sont punis par la loi. |
Pour la Lettonie, on
pouvait lire à l’article 34:
1) Les citoyens de la République socialiste soviétique de Lettonie de races et de nationalités différentes jouissent de droits égaux.
2) L'exercice de ces droits est garanti par la politique de développement harmonieux et de rapprochement de toutes les nations et ethnies de l'URSS, par l'éducation des citoyens dans l'esprit du patriotisme soviétique et de l'internationalisme socialiste, par la possibilité d'utiliser sa langue maternelle et la langue des autres peuples de l'URSS.
3) Toute restriction directe ou indirecte des droits, tout établissement de privilèges directs ou indirects pour les citoyens en raison de la race ou de la nationalité, de même que toute propagande d'exclusivisme racial ou national, de haine ou de mépris sont punis par la loi.
En Ukraine, la situation était évidemment semblable. Les articles 32 et 34 de la Constitution du 20 avril 1978 proclamaient l’égalité de tous les citoyens:
Article 32 1) Les citoyens de la République socialiste soviétique (RSS) d'Ukraine sont égaux devant la loi indépendamment de leur origine, de leur situation sociale et de leurs biens, de leur appartenance raciale et nationale, de leur sexe, de leur niveau d'instruction, de leur langue, de leur attitude vis-à-vis de la religion, du genre et du caractère de leurs occupations, de leur lieu de résidence et autres circonstances. 2) L'égalité en droit des citoyens de la RSS d'Ukraine est garantie dans tous les domaines de la vie économique, politique, sociale et culturelle. Article 34 1) Les citoyens de la RSS d'Ukraine de races et de nationalités différentes jouissent de droits égaux. 2) L'exercice de ces droits est garanti par la politique de développement harmonieux et de rapprochement de toutes les nations et ethnies de l'URSS, par l'éducation des citoyens dans l'esprit du patriotisme soviétique et de l'internationalisme socialiste, par la possibilité d'utiliser sa langue maternelle et la langue des autres peuples de l'URSS. 3) Toute restriction directe ou indirecte des droits, tout établissement de privilèges directs ou indirects pour les citoyens en raison de la race ou de la nationalité, de même que toute propagande d'exclusivisme racial ou national, de haine ou de mépris sont punis par la loi. |
En dépit des dispositions soviétiques proclamant le droit de chaque citoyen au libre choix de sa langue maternelle, notamment en matière d'enseignement et de création intellectuelle, en dépit également de l'égalité des ressources en vue de la conservation, de l'étude et du développement de toutes les langues des peuples de l’Union, en dépit encore de la préoccupation particulière de l'État soviétique envers les langues minoritaires et en dépit de la nécessité de connaître les langues de relations interethniques, le russe conservait une préséance certaine sur toute autre langue, ce qui incluait l’ukrainien, le letton, le biélorusse ou toute autre langue.
La situation était devenue telle qu’une majorité de parents non russophones préférait faire instruire leurs enfants dans les écoles russes plutôt que dans les écoles nationales (ukrainiennes, lettones ou biélorusses).
1.2 La politique d'assimilation stalinienne
En cela, le pays respectait les directives de la politique linguistique de Lénine, laquelle reconnaissait le droit pour tout citoyen soviétique de recevoir son instruction dans sa langue maternelle. C'est pourquoi, dans Belorussia under Soviet Rule, 1917-1957, Yvan Lubachko (cité par JEANTHEAU, 2001) affirmait en 1972 que nombre de Biélorusses furent très satisfaits de la politique de Lénine à ce sujet:
Le programme linguistique de Lénine a gagné à la cause des bolcheviks de nombreux nationalistes qui leur étaient au départ opposés. Beaucoup de Biélorusses, par exemple, qui avaient fui à l'étranger, furent si contents du programme soviétique pour développer la langue biélorusse qu'ils retournèrent en Biélorussie soviétique et travaillèrent de façon enthousiaste à la révolution culturelle avec les bolcheviks. |
Toutes les minorités de l'URSS eurent le droit de parler leur langue, de transmettre leur culture à leurs enfants, d'ouvrir leurs écoles et de posséder leurs propres organismes de presse. Pour Lénine, le développement des langues nationales avait des objectifs pragmatiques précis: il fallait alphabétiser les citoyens dans leur langue maternelle afin de les mobiliser politiquement. De plus, une autre mesure fut prise à cette fin: c'est la politique dite de korenozacija (l'«indigénisation») destinée à promouvoir des citoyens «indigènes» à des fonctions de cadres dans l'Administration locale, ce qui devait favoriser en premier lieu la langue des nationalités.
Mais cette politique «libérale» ne dura pas très longtemps; elle se termina quelque temps après la mort de Lénine (le 21 janvier 1924). Une véritable guerre de succession opposa Trotski à Staline et, en 1928, Staline l'emporta et instaura un régime socialiste autoritaire.
Bien que d'origine géorgienne, Staline n'appliqua guère les idées libérales de Lénine en matière de nationalités. Dans les années trente, Staline favorisa plutôt, à l'instar des tsars, la russification de l'URSS en généralisant l'emploi du russe comme langue de travail et l'immigration des Russes dans les États fédérés, sans oublier les déportations massives en Sibérie pour des petits peuples entiers accusés de trahison. En 1930, lors du XVIe Congrès du Parti communiste, Staline déclarait ce qui suit:
Il faut laisser les initiatives nationales grandir et se déployer en manifestant toutes leurs vertus potentielles pour leur permettre ensuite de se fondre en une seule culture avec une seule langue commune. L’épanouissement des cultures, nationales par la forme et socialistes par le contenu, sous le régime de la dictature du prolétariat dans un seul pays, pour leur fusion en une seule culture socialiste par la forme comme par le contenu, avec une seule langue commune au moment où le prolétariat triomphera dans le monde entier et où le socialisme entrera dans les moeurs, voilà précisément où est l’essence dialectique de la conception léniniste du problème des cultures nationales. |
L'intention était très claire: amadouer les populations locales avant de les obliger à s'assimiler. Dans plusieurs républiques, les purges de Staline entraînèrent l'emprisonnement de beaucoup d'intellectuels et l'arrêt de toute valorisation de la langue nationale locale. Toutes les langues recommencèrent à prendre du recul, alors que le russe devint la langue de l'administration, de l'éducation et du commerce.
Profitant d'une période de développement économique, Staline appliqua une politique de russification dans toutes les républiques de l'URSS. La langue du «socialisme internationaliste», celle des dirigeants soviétiques, celle de l'ethnie majoritaire, celle de la littérature et des sciences était le russe. Le 13 mars 1938, Staline décréta l'apprentissage obligatoire du russe dans toutes les écoles de l'URSS, proclamé comme «le moyen de communication transnationale». D'où l'introduction (l'imposition), dès le début des années quarante, des alphabets cyrilliques qui facilitaient, notamment dans les républiques d'Asie centrale, l'emprunt de mots russes. Ensuite, l'arrivée des minorités russophones avec leurs incontournables purges politiques dans presque toutes les républiques eu un effet d'entraînement considérable pour la diffusion du russe. De plus, Staline abolit toutes les unités militaires nationales et imposa l'unique langue russe à l'armée soviétique. Pour Staline, l'évolution naturelle des langues devait entraîner une réduction considérable des langues dans le monde et ne conserver que celles ayant une «réelle valeur de communication». Cette réduction est même souhaitable pour éviter des pertes d'énergie et de temps pour l'humanité. Mieux, au fil d'arrivée, il ne devrait rester peut-être que l'anglais et le russe, probablement même seulement le russe, la «langue du socialisme triomphant» (cité par jeantheau, 2001). Mais Staline se révéla un bien mauvais prophète! |
Staline fit déporter en bloc plus de 20 nationalités, y compris huit populations entières installées depuis des générations sur leur territoire historique: les Allemands de la Volga (chrétiens non orthodoxes), les Kalmouks (bouddhistes), ainsi que six nationalités musulmanes (Tchétchènes, Ingouches, Karatchaïs, Balkars, Tatars de Crimée et Meskhètes). Seule la mort de Staline empêcha les 2,5 millions de Juifs soviétiques de connaître le même sort. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, sept noms de nations avaient été rayés de la carte. Certains territoires autonomes furent rebaptisés, d'autres furent dépecés et distribués en totalité ou en partie aux républiques voisines. Les noms de villes et villages qui rappelaient trop le passé furent russifiés; presque tous les monuments historiques, livres, lieux de culte et même les cimetières furent détruits. Staline liquida la mémoire culturelle, linguistique et historique des peuples transférés (déportés). Le tableau ci-dessous donne une idée de l'étendue des déportations (d'après Focus Histoire):
Les nationalités déportées |
|
---|---|
Allemands de la Volga (sept. 1941) | 366 000 |
Karachaïs (nov. 1943) | 68 000 |
Kalmouks (déc. 1943) | 92 000 |
Tchétchènes (févr. 1944) | 362 000 |
Ingouches (févr. 1944) | 134 000 |
Balkars (avr. 1944) | 37 000 |
Tatars de Crimée (mai 1944) | 183 000 |
Turcs meskhètes (nov. 1944) | 200 000 |
Sous-total | 1 442 000 |
Autres minorités déportées 1936-1952 | |
Polonais (1936) Ukraine > Kazakstan |
60 000 |
Coréens (1937) Vladivostok > Kazakhstan / Ouzbékistan |
172 000 |
Polonais/Juifs
(1940-1941) Ukraine et Bélarus > N. Sibérie |
380 000 |
Autres Allemands soviétiques (1941-1952) Saratov, Ukraine > Asie centrale |
843 000 |
Finlandais de la région de Léningrad
(1942) Léningrad > Sibérie |
45 000 |
Autres peuples du
Caucase du Nord (1943-1944) Nord-Caucase > Asie centrale |
8 000 |
Autres peuples de Crimée
(1944) Crimée > Asie centrale |
45 000 |
Moldaves (1949) Moldavie > centre et est de Sibérie |
36 000 |
Grecs de la mer Noire
(1949) Région de la mer Noire > Kazakhstan |
36 000 |
Autres peuples de la mer Noire
(1949) Région de la mer Noire > Kazakhstan |
22 000 |
Sous-total | 1 647 000 |
GRAND TOTAL | 3,1 millions |
Certes, après la mort de Staline survenue en 1953, le recours à la terreur et aux travaux forcés diminua de manière sensible, mais la russification perdura, puis s'accentua avec Nikita Khrouchtchev. La langue russe devint une marque distinctive — «priznak» — de premier ordre pour l'unité socialiste soviétique. Le russe servit à la fois d'instrument d'unification et de symbole de la «culture soviétique» et du «peuple soviétique». Si le russe ne pouvait devenir LA langue maternelle de tous les citoyens soviétiques, il pouvait, à tout le moins, devenir la «seconde langue maternelle» de tous les Soviétiques. Les lois soviétiques de 1958 et de 1959 sur la réforme de l'enseignement supprimèrent l'obligation que les enfants reçoivent leur instruction dans leur langue nationale locale durant les premières années de l'école primaire. Évidemment, ce fut un dur coup pour les langues des nationalités, car les parents ont vite compris que lerus enfants devaient être instruits dans une «langue de carrière» privilégiée, le russe.
Leonid Brejnev remplaça Khrouchtchev en 1964, lequel avait été limogé. Les minorités nationales furent graduellement marginalisées, puis éliminées des domaines associés au progrès et à l'éducation, et finalement confiné à un rôle de plus en plus identitaire.
Au cours de ces années, de nombreux Russes vinrent s'installer dans toutes les républiques, ce qui contribua à la diffusion de la langue russe, et ce, d'autant plus qu'ils exigeaient que leurs enfants reçoivent une éducation en russe. L'omniprésent Parti communiste n'offrait des promotions qu'à ceux qui maîtrisaient parfaitement la langue russe. Étant donné que le biélorusse et l'ukrainien sont plus apparentés au russe que la plupart des autres langues parlées en Union soviétique, l'assimilation fut plus rapide. La Biélorussie et l'Ukraine urbaines devinrent russophiles et russophones. L'enseignement de la langue nationale devint de plus en plus facultatif dans les écoles primaires au profit du russe. On envisagea même d'obliger les jardins d'enfants à n'utiliser que le russe dans l'enseignement. Entre 1960 et 1980, près de la moitié des quelque 70 langues auparavant enseignées dans les écoles disparurent des programmes scolaires. Dans les républiques de l'Asie centrale, les langues titulaires (arménien, azerbaïdjanais, géorgien, kazakh, turkmène, ouzbek, tadjik, etc.) ne furent pas réellement touchées, mais le nombre d'heures accordé au russe furent considérablement augmenté. De plus, toutes les publications dans les langues nationales connurent un fort déclin.
À cette époque bénie de l'Union soviétique, la vie était facile pour tous les russophones vivant dans les différentes républiques de l'Union. En effet, les Russes bénéficiaient de tous les avantages d’une majorité fonctionnelle qui n’avait pas besoin d’être bilingue; ils détenaient les clés de la domination économique, sociale, culturelle, etc. Ils pouvaient exiger partout que leurs enfants reçoivent leur instruction uniquement en langue russe ou de subir un procès uniquement en langue russe. Des exemples comme la Biélorussie, l'Ukraine ou la Lettonie ne demeurent pas des exceptions. La situation était en tous points identique dans toutes les républiques, y compris celles de l'Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, etc.). La plus prestigieuse des langues de l'URSS, le russe, devint incontournable. Cette langue fut largement exploitée par les dirigeants soviétiques à des fins politiques, ce qui favorisa une politique linguistique de type hégémonique. Le russe a constitué pour les politiciens soviétiques l'ultime recours pour instaurer et maintenir un nationaliste pansoviétique. Ce faisant, tous les langues nationales se russifièrent à des degrés divers. Du côté des russophones, tout allait bien pour eux: ils dominaient la vie politique et culturelle, leur avenir économique semblait assuré et ils se sentaient chez eux.
À la toute fin des années soixante-dix, des mouvements nationalistes se développèrent et s'accentuèrent, en 1986, après l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine. La situation commença à changer vers la fin du régime soviétique, notamment avec l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir et la perestroïka, puis la chute du mur de Berlin, l'effondrement des régimes communistes, la fin du monopole politique des partis communistes, etc. Les peuples minoritaires de l'Union soviétique acquirent alors une marge de manoeuvre dont elles surent rapidement tirer parti. Après l'effondrement de l'URSS en décembre 1991, toutes les républiques de l'ex-URSS proclamèrent une à une leur indépendance. Au moment de la dissolution de l'Union soviétique en 1991, on comptait quelque 25 millions de Russes dans les différentes républiques.
1.3 Les études linguistiques
Malgré les errements de la politique de russification pratiquée dans l'ancienne URSS, il faut aussi mentionner les aspects scientifiques remarquables du travail des linguistes soviétiques. Par exemple, au cours des années vingt, soixante et quatre-vingt, les linguistes ont fait des efforts importants pour créer des alphabets et des langues littéraires, même pour les peuples les plus petits de l'URSS. Il existe une quantité impressionnante de travaux portant sur la classification, la typologie, la phonétique, la phonologie, la grammaire, le lexique, etc., des langues, grandes ou petites, parlées en URSS, dont une grand nombre de petites langues autochtones. Par comparaison, il n'est pas certain qu'on trouverait, dans une aussi large proportion, autant d'études linguistiques similaires sur les autochtones des États-Unis ou les langues régionales de France, pour ne citer que ces deux pays.
Par ailleurs, au cours de l'histoire de l'Union soviétique, il y eut de réelles tentatives visant à sauvegarder les langues des peuples de l'URSS. Beaucoup de petits peuples ont ainsi obtenu une autonomie culturelle qui leur a permis de se développer et de se maintenir.
La situation a bien changé depuis l'Union soviétique. Le régime s'est libéralisé et la fédération de Russie a signé et ratifié la plupart des conventions internationales portant sur la protection des minorités nationales. La politique linguistique à l'égard du russe est surtout défini dans la Constitution du 12 décembre 1993, ainsi que dans la Loi sur la dénomination des toponymes, la Loi sur l'éducation (du 10 juillet 1992), et surtout la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie (2004).
2.1 La Constitution et la langue officielle
La politique à l'égard du russe reste fidèle à l'article 68 de la Constitution de 1993, qui déclare que la langue officielle de la fédération de Russie sur l'ensemble du territoire est le russe et que les républiques ont le droit d'établir leurs langues officielles:
Article 68
1) La langue officielle de la fédération de Russie sur l'ensemble du territoire est le russe. 2) Les républiques ont le droit d'établir leurs langues officielles. Dans les organismes du pouvoir de l'État et les organismes des collectivités locales, les établissements d'État de la république, elles sont utilisées parallèlement à la langue officielle. |
Bien que le russe soit la langue officielle de la Fédération, chacune des entités fédérées peut avoir une autre langue officielle.
2.2 La Loi sur la langue officielle
En 2004, était adoptée la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie: ЗАКОH О ГОСУДАРСТВЕННОМ ЯЗЫКЕ РОССИЙСКОЙ ФЕДЕРАЦИИ. L'article 1er de la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie de 2004 reprend les dispositions de la Constitution avec plus de précisions quant à l'usage du russe comme langue officielle:
Article 1
Le russe comme langue
officielle de la fédération de Russie 3) Les règles de confirmation des normes de la langue russe littéraire moderne, qui est utilisée à titre de langue officielle de la fédération de Russie, et les règles de l'orthographe et de la ponctuation russe sont définies par le gouvernement de la fédération de Russie. 4) La langue russe comme langue officielle de la fédération de Russie est la langue contribuant à la compréhension mutuelle, le renforcement des relations interethniques des peuples de la fédération de Russie dans l'État multinational commun. 5) La protection et le soutien du russe comme langue officielle de la fédération de Russie contribuent à l'amélioration et au mutuel enrichissement de la culture spirituelle des peuples de la fédération de Russie. 6) Dans l'utilisation du russe comme langue officielle de la fédération de Russie, l'emploi des expressions et mots du langage populaire et injurieux, ainsi que les mots étrangers avec des équivalents communs en russe, est interdit. |
La Douma, ou Chambre basse de la Fédération, a récemment débattu plusieurs mesures législatives visant à renforcer la position de la langue russe dans le pays. Un projet de loi porte sur la définition du peuple russe et son rôle géostratégique dans la consolidation de la Russie en tant que communauté multiethnique. Comme dans la Constitution, la langue russe conserverait le statut de langue officielle sur l'ensemble du territoire de la Fédération. Pour sa part, le peuple russe, dans quelle que république que ce soit, ne pourrait être considéré comme une minorité ethnique. Bref, le statut de la langue russe et de la population russe resterait protégé.
Le 5 juin 2002, un autre projet de loi a été présenté à la Douma afin d'imposer l'alphabet cyrillique comme pour toutes les langues indigènes parlées en Russie. La loi a été adoptée en novembre 2002 et elle porte «sur les langues des entités ethniques dans la fédération de Russie». Elle prévoit que «la langue officielle de la Fédération de Russie et les langues officielles des républiques constitutives emploieront des alphabets basés sur le cyrillique». Évidemment, la loi fédérale entre en conflit avec d'autres lois locales. Par exemple, au Tatarstan, le gouvernement a fait adopter une loi visant à restaurer l’alphabet tatar sur la base de la graphie latine. La loi devait entrer en vigueur en 2001 et se poursuivre jusqu'en 2011, date où les livres et les journaux tatars ne seront plus autorisés à utiliser un autre alphabet que l'alphabet tatar. Cette situation n’est pas nouvelle pour le Tatarstan, car avant 1917 la population tatare utilisait l'alphabet arabe; en 1927, l'alphabet latin fut imposé jusqu'en 1939 alors que l'alphabet cyrillique devint l'écriture officielle.
L'article 3 de la Loi sur la langue officielle précise les activités dans lesquelles le russe est obligatoire:
Article 3
1) Le russe comme langue officielle de la fédération de Russie doit être obligatoire:
[...] |
Lorsqu'une langue dans une république de la fédération de Russie est officielle à côté du russe, les deux langues doivent être identiques par leur contenu et leur présentation technique, et être lisibles; l'information sonore (y compris les documents audiovisuels et les programmes de radio) doit être en russe et l'information indiquée dans la langue officielle d'une république doivent aussi être identiques par leur contenu, leur prononciation et leurs moyens de transmission.
L'article 4 de la Loi sur la langue officielle garantit la protection et le soutien du russe comme langue officielle par les pouvoirs publics fédéraux:
Article 4
La protection et
le soutien du russe comme langue officielle de la fédération de Russie
d) prennent des mesures orientées sur la garantie des droits des citoyens de la fédération de Russie à l'usage du russe comme langue officielle de la fédération de Russie; e) prennent des mesures pour le perfectionnement du système de la formation et du système de la préparation des experts dans le domaine de la langue russe et des professeurs du russe comme des langues étrangères, ainsi que pour la préparation des effectifs scientifiques et pédagogiques à l'égard des établissements d'enseignement avec le russe comme langue d'enseignement à l'extérieur de la fédération de Russie; f) contribuent à l'étude du russe à l'extérieur de la fédération de Russie; g) soutiennent la promotion de l'État dans la publication des dictionnaires et grammaires en russe; h) effectuent le contrôle du respect de la législation de la fédération de Russie sur le russe comme langue officielle de la fédération de Russie; i) appuient d'autres mesures sur la protection et la promotion du russe comme langue officielle de la fédération de Russie. |
L'article 5 de la Loi sur la langue officielle apporte certaines précisions, notamment dans les établissements d'enseignement et les médias:
Article 5
1) La garantie du droit des citoyens de la fédération de Russie relativement à l'usage du russe comme langue officielle de la fédération de Russie prévoit:
[...] |
2.3 La langue de l'État russe
Dans les deux Chambres du Parlement, le Sénat et la Douma, conformément à l'article 12 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie, les textes des lois ainsi que les autres textes juridiques adoptés par le Parlement sont publiés dans la langue officielle de la Russie et les langues officielles des unités constituantes de la Fédération, le tout étant officiellement et également authentiques. Selon l'article 13, ces mêmes textes sont publiés dans la langue officielle de la Russie et dans les langues officielles des unités constituantes de la Fédération.
Article 12 La langue de publication des lois et autres actes juridiques de la fédération de Russie Les textes des lois de la fédération de Russie et autres actes juridiques adoptés par les congrès des députés du peuple de la fédération de Russie, le Conseil suprême de la fédération de Russie, le Présidium, le Conseil de la République, le Conseil des nationalités du Conseil suprême de la fédération de Russie et le président de la fédération de Russie sont publiés dans la langue officielle de la fédération de Russie ainsi que dans les langues officielles des républiques constituant la fédération de Russie, tout en ayant le même caractère officiel et une valeur juridique égale. |
En vertu de l'article 15 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie, la langue officielle de la fédération de Russie est le russe, mais également celles des entités constituantes de la Fédération. Les documents officiels de l'État, de ses organismes (incluant les cours fédérales) et des établissements situés sur le territoire de la Fédération doivent être publiés en langue russe, mais aussi dans les langues officielles des autres entités constituantes (art. 16). La correspondance officielle entre les organismes de l'État est conduite en russe (art. 17). Dans des relations entre la Fédération russe et les entités fédératives, l'utilisation sera faite, sur la base de l'égalité, de la langue officielle de la Fédération et des langues officielles des entités fédératives (art. 27). Les personnes ne connaissant pas la langue officielle pourront recourir aux services de traduction lors des activités judiciaires (art. 18).
|
Selon l'article 23 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie, la Fédération russe et les entités constituantes des territoires et des régions (républiques, oblasts, kraïs et okrougs) déterminent dans leur juridiction la liste des régions ou zones où des noms géographiques, des inscriptions, des désignations topographiques et signes routiers doivent être rédigés dans la langue officielle de la Fédération et dans les langues officielles des entités constituantes. Les services auprès de la population doivent être en russe et dans l'une ou l'autre des langues officielles des entités constituantes. En principe, la signalisation routière est souvent bilingue, c'est-à-dire en russe et dans la langue locale des entités fédérés. En 1984, la Russie a signé l’accord européen sur la signalisation routière, signé à Genève et, le 7 juin 1974, la Convention de Vienne sur la signalisation routière. C'est ce qui explique l'emploi en Russie du signal d'«arrêt» avec l'octogone rouge avec le mot STOP écrit en alphabet latin en blanc. |
2.4 L'emploi des langues en matière de justice
L'article 18 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie traite de la langue de la procédure judiciaire. Entre les organismes judiciaires, que ce soit le Tribunal constitutionnel de la Fédération, la Cour suprême, le Tribunal d'arbitrage suprême et toute autre instance judiciaire de la fédération de Russie, la langue russe est obligatoire (par. 1). Dans les républiques de la Fédération, la langue officielle de la république et le russe peuvent être utilisés (par. 2). Lorsqu'un justiciable ignore ces langues officielles, il peut s'exprimer dans sa langue maternelle et, en cas de nécessité, le tribunal fournira un interprète (par. 3):
Article 18
L'usage des langues dans la procédure judiciaire et les écritures dans les organismes judiciaires 1) La procédure judiciaire et les écritures au Tribunal constitutionnel de la fédération de Russie, à la Cour suprême de la fédération de Russie, au tribunal d'arbitrage suprême de la fédération de Russie et dans les autres instances judiciaires de la fédération de Russie sont formulées dans la langue officielle de la fédération de Russie. 2) La procédure judiciaire et les écritures dans les organismes judiciaires des républiques constituant la fédération de Russie sont formulées dans les langues officielles de ces républiques et/ou dans la langue de la majorité de la population de langue étrangère résidant de façon compacte sur un territoire, ainsi que dans la langue officielle de la fédération de Russie, en conformité avec la législation de la fédération de Russie. 3) Aux personnes qui, parties à une cause, ne connaissent pas la langue ou les langues dans lesquelles se font la procédure judiciaire et les écritures, il est garanti la possibilité d'utiliser les services d'un interprète au cours du procès, entre autres pour donner des explications, pour faire leur déposition et pour prendre pleinement connaissance des éléments de la cause; il leur est garanti également le droit de s'exprimer devant le tribunal dans leur langue maternelle. 4) La violation de la législation de la fédération de Russie et des républiques constituant la fédération de Russie quant au régime d'emploi des langues dans la procédure et les écritures des organismes judiciaires est un motif de cassation. |
L'article 19 de la même loi précise que les règles pour déterminer la langue du tribunal s'appliquent aux actes notariés et aux autres agences d'État effectuant des actes notariés. Les documents sont rédigés dans la langue officielle de la fédération de Russie, si le citoyen demandant l'acte notarié ne possède pas la langue dans laquelle la cause est menée.
L'article 18 du Code de procédure criminelle de 2001 précise bien que la procédure judiciaire criminelle se déroule en russe, ainsi qu'à la Cour suprême et les cours martiales:
Article 18 Langue de la procédure criminelle 1) La procédure judiciaire criminelle se déroule en russe, ainsi que dans la langue officielle des républiques, les membres de la fédération de Russie. La procédure des causes criminelles à la Cour suprême de la fédération de Russie et des cours martiales se déroulent en russe. |
Mais le paragraphe suivant autorise l'emploi de la langue maternelle pour toute partie à la procédure judiciaire, qui n'a aucune connaissance ou seulement une piètre connaissance de la langue dans laquelle se déroule la procédure; on a alors recours à un interprète.
2.5 L'éducation
L’un des grands domaines de la politique linguistique suivie en Russie en matière de nationalités concerne le développement du système éducatif. Celui-ci s’effectue dans les jardins d'enfants, les écoles primaires, les écoles secondaires, les centres culturels et éducatifs, les complexes d’enseignement et d’éducation (CEE), les lycées et les collèges.
L'article 43 de la Constitution garantit à tous les citoyens de la fédération de Russie l’accès général et gratuit à l’enseignement préscolaire, primaire, ainsi qu’à l’enseignement secondaire général et professionnel, dans les établissements d’enseignement d’État et municipaux:
Article 43
1) Chacun a droit
à l'instruction. 3) Chacun a le droit, sur la base du
concours, de recevoir gratuitement l'enseignement supérieur dans les
établissements et entreprises d'enseignement public ou municipal.
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Il faut consulter également la Loi sur l'éducation de 1992. L'article 6 semble de loin le plus important, car il traite des langues d'enseignement. Il précise bine que tout citoyen de la fédération de Russie a le droit de recevoir son instruction dans sa langue maternelle, que ce soit le russe ou une autre langue:
Article 6 Les langues d'enseignement 7) Les questions relatives à l'étude des
langues officielles des républiques dans la structure de la fédération de
Russie sont réglementées par la législation de ces républiques. |
Cependant, en tant que langue officielle de la Fédération, le russe est une matière obligatoire et demeure le véhicule d'enseignement dans la plupart des écoles primaires et secondaires. Il faudrait citer également l'article 10 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie:
Article 10
L'étude et
l'enseignement des langues des peuples de la fédération de Russie 2) La langue russe,
comme langue officielle de la fédération de Russie, est étudiée dans les
établissements secondaires et spécialisés et dans les établissements
d'études supérieures. 4) Chaque peuple de la fédération de Russie ne disposant pas d'écriture possède le droit de créer sa propre langue écrite maternelle. L'État assure pour cela les conditions nécessaires. 5) L'État crée les conditions pour la recherche dans toutes les langues des peuples de la fédération de Russie. |
Tout en précisant les dispositions constitutionnelles pertinentes, la législation de la fédération de Russie sur l’éducation, garantit à tous les peuples, y compris aux représentants des minorités nationales, l’égalité du droit à l’enseignement. Elle prévoit de façon spécifique la possibilité de recevoir un enseignement général primaire dans la langue maternelle, ainsi que l’introduction de normes éducatives d’État incluant des composantes fédérales et nationales. Conformément à l’article 2 (paragraphe a) de la loi de la fédération de Russie du 10 juillet 1992 sur l’éducation, les principes fondamentaux de la politique linguistique dans le domaine de l’éducation sont «l’accès général et l’adaptabilité au […] niveau des élèves ainsi qu’à leur parcours et à leur développement spécifiques». Dans le paragraphe b, l’une des fonctions du système éducatif a trait à la protection des cultures nationales et des traditions culturelles régionales dans un État multinational. En ce cas, le russe demeure une matière obligatoire en tant que langue seconde.
Dans les établissements d'enseignement supérieur, pratiquement tout l'enseignement est dispensé en russe, sauf dans les régions où résident majoritairement des minorités ethniques; en ce cas, l'enseignement est généralement dispensé en deux langues.
2.6 La citoyenneté et les publicité
Par ailleurs, la Douma (ou Chambre basse du Parlement russe) a adopté en avril 2002 un projet de loi sur la citoyenneté qui rend obligatoire la connaissance de la langue russe pour obtenir la nationalité russe. Le projet de loi, qui autorise notamment la double citoyenneté pour les Russes, prévoit aussi une procédure accélérée d'octroi de la citoyenneté aux ex-citoyens soviétiques vivant sur le territoire des ex-républiques soviétiques et qui n'ont pas de citoyenneté définie. C'est le président Vladimir Poutine qui est à l'origine du projet de loi sur la citoyenneté; il désirait favoriser ainsi l'immigration en provenance des pays de l'ex-URSS afin de compenser le déficit démographique de la Russie.
Une autre initiative de la Douma consiste à interdire la publicité en langues étrangères. Il s'agit d'une initiative qui s'inscrit dans la législation sur l'étiquetage des produits alimentaires. Après l'effondrement du régime soviétique, la Russie fut envahie par des produits alimentaires étrangers: du chocolat belge, des figues turques, même du sirop d'érable canadien, et ce, sans aucun mot en russe sur l'emballage. Or, le gouvernement a réagi en adoptant des lois sur la protection du consommateur et forcé les sociétés commerciales à utiliser un étiquetage obligatoire en russe. Les sociétés occidentales étaient parmi les premières à se plier à ces exigences. Le règlement intitulé «On Information in the Russian language on the food products imported to the Russian Federation» a été préparé conformément à la décision gouvernementale no 799 du 12 juillet 1996 concernant l'application de mesures visant à protéger le marché de consommation de la Fédération de Russie contre la pénétration de produits importés de qualité inférieure. Ce règlement définit les exigences en matière d'étiquetage à respecter par les entreprises et les entrepreneurs individuels qui importent des produits alimentaires sur le territoire de la fédération de Russie. Pour l'instant, il n'est pas certain que les produits sans étiquette en langue russe doivent être consignées; il semble que ces produits seront admis sur le territoire de la Russie, mais qu'il sera interdit à leur propriétaire de les vendre tant que des étiquettes en russe n'y seront pas apposées.
Les photos suivantes (de Michel Leclerc) témoignent de l'importance du russe dans l'affichage commercial:
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2.7 L'accès aux médias
La question des médias n'est pas en reste dans la fédération de Russie, d'autant plus que ces derniers ont probablement fait évoluer dans un sens positif les problèmes posés par la politique russe en matière de nationalités. En effet, de nouveaux programmes ont été élaborés et consacrés à la culture des peuples vivant en Russie, de même qu'un espace d’information générale pour la communication interethnique.
L’article 29 de la Constitution de la fédération de Russie garantit à chacun la «liberté de pensée et de parole », «le droit de rechercher, d’obtenir, de transmettre, de produire et de diffuser librement des informations par tout moyen légal», et la liberté des médias:
Article
29
1) À chacun est garanti la liberté de pensée et de parole. 2) Est interdite la propagande ou l'agitation incitant à la haine et à l'hostilité sociale, raciale, nationale ou religieuse. Est interdite la propagande relative à la supériorité sociale, raciale, nationale, religieuse ou linguistique. 3) Nul ne peut être contraint d'exprimer ses opinions et convictions ou de les renier. 4) Chacun a le droit de rechercher, d'obtenir, de transmettre, de produire et de diffuser librement des informations par tout moyen légal. La liste des informations constituant un secret d'État est fixée par la loi fédérale. 5) La liberté de l'information de masse est garantie. La censure est interdite. |
Ces principes sont précisés dans la Loi sur les médias, la Loi sur l’autonomie culturelle nationale, ainsi que dans d’autres actes normatifs. Quant à la Loi sur les médias, elle ne contient aucune restriction sur la langue à utiliser par les médias, mais interdit l’utilisation des médias à des fins d’incitation à l’intolérance et à la haine nationales et religieuses.
L'article 20 de Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie prévoit que le russe, en tant que langue officielle de la fédération de Russie, est la langue des médias. Néanmoins, dans les médias des républiques constituant la fédération de Russie, la langue russe, les langues officielles des républiques constituant la fédération de Russie, ainsi que d'autres langues des peuples résidant sur leur territoire sont utilisées :
Article 20 La langue des médias 2) Dans les médias des républiques constituant la fédération de Russie, la langue russe, les langues officielles des républiques constituant la fédération de Russie, ainsi que d'autres langues des peuples résidant sur leur territoire sont utilisées. [...] |
Présentement, on estime que plus de 400 journaux et magazines sont publiés dans les différentes régions de la fédération de Russie, le tout en une soixantaine de langues des peuples de Russie (dont le russe, bien sûr). Par exemple, les documents d’information imprimés à Moscou sont diffusés, en plus du russe, en neuf langues (arménien, géorgien, yiddish, kurde, allemand, tatar, ukrainien, tsigane, tchétchène). Dans le kraï de Krasnodar, ils le sont en six langues (adyguéen, arménien, grec, géorgien, kurde, allemand). Dans l’oblast d’Orenbourg, en quatre langues (bachkir, kazakh, allemand, tatar); dans l’oblast d’Astrakhan, en trois langues (kazakh, allemand, tatar); dans l’oblast de Samara, en trois langues (polonais, tatar, tchouvache); dans l’oblast d’Oulianovsk, en trois langues (allemand, tatar, tchouvache); dans l’oblast de Tcheliabinsk, en trois langues (bachkir, tatar, ukrainien); dans l’oblast de Sakhaline, en deux langues (coréen et nivkhe).
En Russie, les émissions de radio sont diffusées en 43 langues, alors que les programmes télévisés le sont en 33 langues nationales. Toutes les sociétés de radiotélévision des républiques, ainsi que de nombreuses sociétés régionales de radiotélévision, diffusent leurs émissions non seulement en russe, mais aussi dans les langues nationales locales. Par exemple, la société de radiotélévision d’État SRTE Daghestan diffuse ses programmes en avar, azerbaïdjanais, darguine, lack, lesguien, nogaï, tabassaran, tats et tchétchène; la SRTE Bachkortostan émet en bachkir, mari, tatar, oudmourte et tchouvache; la SRTE Orenbourg en bachkir, biélorusse, kazakh, mordve, allemand, tatar et ukrainien; la SRTE Évenk Heglen en kets, évenki et iakoute.
Ces faits présentés par le gouvernement russe ne doivent pas masquer les pratiques réelles en matière de langues. Les périodiques publiés en russe comptaient pour 94 % de la production totale en 1994: quelque 2166 titres russes sur un total de 2307. Quant aux journaux, 93 % d'entre eux étaient publiés en russe: 4197 sur un total de 4526.
Les lecteurs et auditeurs des journaux, radios et télévisions en langues des nationalités appartiennent essentiellement aux milieux ruraux et sont d'âge moyen et avancé, une situation qui tend à se perpétuer. En général, les consommateurs de médias en langue russe sont de trois à dix fois plus nombreux que ceux des nationalités. L'analyse de l'utilisation des langues par toutes les radios publiques et privées, montre un déséquilibre évident. Dans certaines entités comme les républiques, on peut compter en général une heure d'émission en langues nationales pour plus de quarante en russe! Cette situation s'expliquerait par le fait que les gens ont l'habitude d'employer une langue en fonction du contenu. Par exemple, certains sujets ne sont traité qu'en russe (social, politique, économie, etc.), l'industrie du doublage des films est peu développé en Russie, les budgets en langues nationales sont plus limités, etc. Ces facteurs ont pour effet de réduire l'importance des médias dans les langues des nationalités.
La politique décrite dans cet article
correspond à celle présentée dans le rapport gouvernemental intitulé
Rapport de la fédération de Russie sur la mise en œuvre des dispositions de
la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (8 mars
2000). Sur papier, cette politique semble irréprochable. Le problème, c'est
que, selon L'UNESCO, 80% des quelque 110 langues pour 176 nationalités sont
«potentiellement en danger» en Russie. La plupart des langues des peuples
autochtones de la Russie centrale et septentrionale et de la Sibérie ne sont
pas devenues des langues de cultures modernes, car la mise en place d'écoles
pour ces minorités ethniques et l'enseignement dans les langues autochtones
exigerait au préalable la production de matériel pédagogique et didactique
dans ces langues, ce qui n'a pas été fait.
Dans les faits, la politique linguistique de la fédération de Russie ne peut
empêcher de nombreuses petites langues d'être sérieusement menacées. Par
exemple, en Sibérie, presque toutes les langues locales, soit une
quarantaine, sont en voie de disparition. N'oublions pas qu'il n'est pas
facile pour les autorités de la Fédération de faire appliquer les lois
fédérales dans les républiques. Malgré les prescriptions constitutionnelles
et les lois fédérales, la république du Daghestan, pour ne prendre que cet
exemple, ne fournit une instruction qu'en russe et en six langues
différentes (alors qu'il existe une douzaine de langues officielles et une
trentaine de langues nationales). Le cas du Daghestan n'est pas unique. Il
est vrai que, grâce à leur isolement géographique, la plupart des «peuples
titulaires» — Adigués, Altaï, Bachkirs, Bouriates, Caréliens, Darguines,
Khakasses, etc. — ont réussi à protéger pendant longtemps leur langue
nationale, mais les statistiques révèlent que les locuteurs de ces langues
nationales, ou du moins les peuples qui les emploient comme leur langue
maternelle, représentent un pourcentage de plus en plus faible de la
population. L'abandon des langues nationales semble être plus rapide chez
les citadins et chez les jeunes. Les
peuples ouraliens sont particulièrement touchés, même lorsqu'ils
bénéficient d'une république autonome, tels que les Caréliens, les Mordves,
les Mari, les Komi et les Oudmourtes; ou lorsqu'ils jouissent de leurs
propres districts autonomes (Khant, Mansi, Komi-Permiak et Nenets ). Quoi
qu'il en soit, ces communautés, sauf pour les Komi-Permiak, restent
minoritaires dans ces régions. Quant aux autres petits peuples, ceux appelés
«peuples autochtones numériquement peu importants», ils sont considérés
comme «potentiellement en danger» par l'UNESCO ou «en danger», sinon sur la
voie de l'extinction pure et simple.
Dans la vie quotidienne, la plupart des 21 républiques — ainsi que des districts, des kraïs, des oblats — éprouvent des difficultés à faire reconnaître dans la réalité leur propre langue nationale officielle (titulaire), tant la force du russe est considérable. Il faut préciser que les langues des peuples non russes doivent faire face à des décennies d'assimilation linguistique commencée au moment de l'ère stalinienne. Certains peuples de la fédération de Russie sont même menacés physiquement. Mentionnons le cas de la Tchétchénie où l'usage de la torture par les forces armées russes est systématique se poursuit encore. Comme le démontre le rapport préparé par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) en 2002: «Les forces fédérales considèrent le recours à la torture comme un moyen inévitable et même souhaitable d'intervention dans le conflit tchétchène.» Le rapport énumérait de nombreuses violations flagrantes et massives des droits de l'homme à l'égard de populations civiles: tortures et traitements cruels, arrestations arbitraires et illégales, interrogatoires forcés, enfermement dans des lieux de détention illégaux, disparitions et meurtres. De nombreux cas de tortures et de disparitions dans des zones de conflit en Tchétchénie sont constatée dans le cadre d'opérations de «nettoyages» et de «filtrations», d'«interrogatoires forcés», de disparitions et d'«opérations spéciales ciblées». Tous ces sévices ont des conséquences sur les langues plus faibles parce qu'ils font disparaître les locuteurs ou les contraignent à ne plus employer leur langue.
Dans ce grand pays qu'est la fédération de Russie, il existe aussi des langues et les cultures relevant des peuples autochtones, notamment ceux qui vivent de la pêche de la chasse ou de l'élevage de rennes, et qui sont étroitement liées à leur milieu traditionnel. Or, la pollution massive de l'environnement menace presque tous ces peuples (une soixantaine), ainsi que leurs moyens de subsistance traditionnels, sans oublier l'exploitation intensive et brutale des ressources naturelles des régions septentrionales, l'installation de champs de pétrole et de gaz, l'installation de grands complexes industriels et d'autres initiatives néfastes pour l'environnement. Ces événements entraînent aussi la lente liquidation des langues parlées depuis parfois plusieurs siècles.
Or, la législation russe ne peut résoudre tous ces problèmes concernant les minorités nationales de la Russie. Les nouvelles lois linguistiques fédérales n'ont pas fait leurs preuves, car des dizaines de milliers de locuteurs de ces langues dans les républiques, les oblasts, les districts ou les kraïs, notamment chez les jeunes, ne maîtrisent pas la langue de leur nationalité. Plus précisément, les lois de protection de la Fédération n'ont pas réussi à renverser la vapeur et il est probable que ce ne soit pas possible pour la majorité des langues nationales. La loi ne peut surtout pas empêcher l’assimilation des petites communautés dont les membres abandonnent volontairement leur langue, bien que les lois linguistiques promulguées dans plusieurs républiques soutiennent le maintien de leurs langues nationales et reconnaissent leur égalité avec le russe. Toutefois, ces lois ne prévoient pas les moyens économiques nécessaires à l'application de dispositions efficaces. C'est pourquoi la survie des nombreuses petites langues est loin d'être gagnée, au contraire!
Il faut mentionner qu'aucune loi ne peut
supprimer les inconvénients liés à la dispersion des petits peuples répartis sur
d'immense territoires, dont ils ne contrôlent ni les centres de décision
politique et administrative, ni les pouvoirs économiques, ni l'éducation et
encore moins les médias, alors que tout déroule dans une langue dominante, en
l'occurrence le russe autrement plus puissant. De toute façon, aucun État, pas
plus la Russie, n'a intérêt ni la possibilité de faire fonctionner un pays avec
une centaine de langues. Par voie de conséquence, ce sont les petites langues
qui vont en payer le prix parce que leurs locuteurs choisissent, bien souvent,
leur propre liquidation dans la mesure où ces langues ne leur assurent pas la
prospérité dont auraient besoin.
Par ailleurs, c'est un secret de polichinelle qu'en Russie le président Poutine estime que la langue russe agit comme une force unificatrice et maintient un espace de civilisation unique sur le territoire de l'ex-Union soviétique. Encore aujourd'hui, les
autorités de la Fédération emploient le russe comme «langue de communication interethnique». Moscou envisage des mesures utiles visant à soutenir et à préserver le statut de la langue russe non seulement en Russie, mais à
l'extérieur de grand pays. Dans ces conditions, la préservation des petites langues ne pèsent pas lourd dans ce grand projet d'expansion.
Cartes:
Lois linguistiques:
3)
Loi sur l'autonomie
culturelle (1996)
Dernière mise à
jour:
15 févr. 2023
(4)
La politique
linguistique à l'égard du russe
(5)
La politique
linguistique
à l'égard des nationalités
(6)
Bibliographie
(a) Les sujets de la Fédération
(b) Les 21 républiques
1)
Loi sur l'éducation (1992)
2) Loi sur la langue officielle de la
fédération de Russie (2004)
4)
Loi sur les langues des peuples de
la fédération de Russie (1991 et 1998)
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