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La colonie française de Plaisance(Terre-Neuve) 1650-1713 |
Avis: cette page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien.
Plan du présent article
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Avant
le traité
d'Utrecht de 1713, la Nouvelle-France
comprenait cinq colonies: le Canada
(incluant les «Pays-d'en-Haut» ou région des Grands Lacs), l'Acadie
(aujourd'hui la Nouvelle-Écosse), la Baie du
Nord (aujourd'hui la baie d'Hudson),
Terre-Neuve (que la
France partageait avec la Grande-Bretagne sous le nom de
«Plaisance») et la Louisiane (voir
la carte agrandie de la Nouvelle-France avant 1713). Si le «Pays des Illinois» faisait partie de la Louisiane, le «Pays-d'en-Haut»
était rattaché au Canada. Après le traité d'Utrecht, la Nouvelle-France a vu son territoire réduit, qui comprenait alors le Canada, l'Acadie continentale (aujourd'hui le Nouveau-Brunswick), l'Île-Royale (le Cap-Breton et l'île Saint-Jean, aujourd'hui l'île du Prince-Édouard) ainsi que la Louisiane. En principe, chacune des colonies était gérée par un gouverneur local (voir la liste des gouverneurs de Plaisance) et possédait sa propre administration. Les colonies de l'Amérique française étaient en même temps supervisées par un gouverneur général résidant à Québec. |
Autrement dit, les colonies de l'Amérique française étaient administrées par un gouverneur local, mais aussi par un gouverneur général, obligatoirement un militaire, résidant à Québec, ainsi que par le roi et ses ministres à Versailles. Le gouverneur général de la Nouvelle-France avait donc autorité pour intervenir dans les affaires des autres colonies de l'Amérique du Nord. En temps de guerre, le commandement suprême de la Nouvelle-France se trouvait à Québec, mais après 1748 le gouverneur du Canada ne put commander les troupes françaises stationnées à Louisbourg, parce que leur état-major relevait directement de Versailles. En temps normal, le gouverneur local devait non seulement rendre des comptes au roi et au ministre de la Marine, mais également au gouverneur général et à l'intendant de Québec. Certains gouverneurs généraux ont considéré les colonies voisines comme leur arrière-cour et sont intervenus régulièrement, souvent même sans en aviser le gouverneur local, tant à Terre-Neuve (Plaisance) et en Acadie qu'en Louisiane. Théoriquement, la Nouvelle-France était gouvernée par un seul chef militaire pour toutes les colonies. Toutefois, la distance et les difficultés des communications rendaient la mainmise du gouverneur général de Québec parfois aléatoire. Les gouverneurs locaux correspondaient souvent avec Versailles et les ministres du roi, sans passer par Québec.
Toutes les colonies de la Nouvelle-France étaient administrées par le secrétaire d'État à la Marine. Les plus célèbres ministres furent sans nul doute Jean-Baptiste Colbert, le comte de Maurepas, le comte de Pontchartrain, Antoine Rouillé et Étienne-François de Choiseul (voir la liste). Bref, la France exerçait un contrôle étroit sur ses colonies de l'Amérique du Nord et avait réalisé une unité nécessaire à la défense de son empire, sans oublier l'Alliance avec la quasi-totalité des nations amérindiennes du continent. Cette cohésion a d'ailleurs préservé longtemps la force de la Nouvelle-France par opposition aux colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, toutes divisées entre elles et peu enclines à coopérer. Le système français suscitait l'envie des Anglais qui auraient bien apprécié une telle unité pour leurs colonies.
Ce sont les Basques qui auraient découvert l'île de Terre-Neuve dès le XIIe siècle; ils pêchaient de la morue sur les Grands Bancs et ne résidaient sur l'île que l'été. Avant toute exploration officielle, des pêcheurs bretons et normands s’établirent vers 1504 sur une base saisonnière à l'île Saint-Pierre et vinrent pêcher dans les eaux de Terre-Neuve où la morue était abondante; des Basques sont venus chasser la baleine sur les bancs de Terre-Neuve à la même époque. Au retour de son second voyage au Canada, le 5 juin 1536 sous le règne de François Ier, le Malouin Jacques Cartier aborda l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon avec deux bateaux, la Grande Hermine et l'Émérillon. Il y resta six jours et constata la présence de plusieurs navires «tant de France que de Bretagne». |
Il profita de son séjour pour en prendre officiellement possession au nom de François Ier, roi de France. Ce n'est pas Cartier qui avait dénommé l'île Saint-Pierre; il n'avait fait que reprendre une appellation déjà connue en 1530. Les Français se trouvaient déjà dans les parages depuis longtemps. Vers 1550, les ports de France envoyaient en effet environ 500 navires vers Terre-Neuve, tandis que l'Angleterre n'armait encore que peu de vaisseaux.
En 1578, la reine Elizabeth Ire concéda à sir Humphrey Gilbert (v. 1537-1583) «tous pays lointains payens et barbares non actuellement possédés par prince ou peuple chrétien». Le 5 août 1583, Humphrey prit officiellement possession de l'île de Newfoundland (Terre-Neuve) au nom de l'Angleterre. Cependant, la plupart des puissances européennes, dont la France, ne voulurent pas reconnaître cette prise de possession, ce qui n'empêcha pas les Anglais d'y installer des postes de pêche, non loin de l'actuelle ville de St John's.
En 1610, John Guy, un marchand anglais de Bristol, établit dans la baie de la Conception la première colonie permanente à Newfoundland (Terre-Neuve). En même temps, des Français, des Basques et des Bretons s'installaient l'été sur l'île pour exploiter le lucratif marché de la pêche à la morue. En 1655, ces pêcheurs occupaient plus de la moitié des côtes méridionales et occidentales de l'île, et avaient fait de Plaisance l'un des ports importants de la Nouvelle-France.
Le nom français de Terre-Neuve est apparu en 1510; il s'agit d'une traduction de New Founde Isle («île nouvelle»), utilisée par le Vénitien Giovanni Caboto (devenu John Cabot en anglais; Jean Cabot en français) qui, parti de Bristol en Angleterre, avait navigué vers l'ouest pour y accoster en 1497. En 1502, le nom New Found Launde était employé dans les documents officiels en anglais. Sur une carte de 1529, le Florentin Giovanni da Verrazano (v. 1485-1528) employa le terme Terra Nova. Depuis le 31 mars 1949, le nom officiel de cette province canadienne est Newfoundland en anglais et Terre-Neuve en français. Par la suite, en 2001, une modification constitutionnelle, adoptée par la Chambre des communes et le Sénat du Canada, ainsi que par la Législature provinciale, a eu pour effet de changer le nom officiel de Terre-Neuve (Newfoundland) en Terre-Neuve-et-Labrador (en anglais: Newfoundland and Labrador). Cette modification est entré en vigueur le 6 décembre 2001.
Les historiens ont avancé plusieurs explications sur le fait que l'île de Terre-Neuve avait attiré la convoitise des Européens. La population des villes d'Europe augmentait rapidement. Durant presque la moitié de l'année, en raison des nombreuses fêtes religieuses, il était interdit aux catholiques de consommer de la viande, mais il leur était permis de manger du poisson. Les jours maigres, le poisson séché et salé de Terre-Neuve constituait une excellente source alimentaire, bon marché, facile à transporter et qui se conservait bien. Mais seuls les Anglais et les Français purent fonder des colonies sur l'île de Terre-Neuve.
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En Nouvelle-France, la colonie française de Terre-Neuve portait le nom
de Plaisance, et non pas celui de
«Terre-Neuve» qui désignait l'île tout entière et dont
l'administration fut partagée durant soixante-trois ans par la France au sud et
l'Angleterre au nord.
Le nom de «Plaisance» aurait été donné par les Basques en souvenir de la ville basque de Guipeicoa, appelée Plazencia en espagnol. Le baron Louis-Armand de Lahontan (1666-1715) en donna en 1692 l’explication suivante:
La ville de Plaisance donna son nom à toute la colonie, mais aussi à une baie et un port. Les Français avaient construit quelques forts, dont le fort Louis qui contrôlait l'entrée du port de Plaisance; une garnison y était généralement maintenue. Dans le territoire sous administration anglaise, la colonie de Terre-Neuve portait généralement le nom de Colony of Newfoundland, rarement St John's. |
3.1 La souveraineté française
L'Angleterre avait toujours considéré l'île de Terre-Neuve comme sa possession, mais concédait aux pêcheurs français des droits de pêche. Les pêcheurs possédaient sur l'île des établissements permanents, dont un chef-lieu appelé Plaisance dans la baie du même nom, et ce, depuis 1626. En 1655, Versailles nomma un gouverneur à Plaisance au sud-ouest de la péninsule d'Avalon et accorda en 1658 un fief héréditaire à Nicolas Gargot de La Rochette, dit «Jambe-de-Bois» (1610-1664), capitaine de la Marine, qui devait coloniser, entretenir une garnison et ne pas tolérer de présence anglaise. En 1660, Nicolas Gargot de La Rochette fut nommé comte de Plaisance et gouverneur de l'île par une commission royale, grâce à l'intervention du surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, qui avait des intérêts privés dans la région. La plupart des gouverneurs de Plaisance (voir la liste) se révéleront de mauvais administrateurs, voire des escrocs, car ils préféraient leurs propres intérêts avant ceux du roi et de la colonie.
En 1662, Versailles fit de Plaisance une colonie royale, pendant que la "Newfoundland" restait la colonie des Anglais qui avaient installé leur capitale à Saint John's, au nord-est de la même péninsule d'Avalon. Louis XIV fit fortifier la ville de Plaisance. Un recensement mené en 1680 a révélé que 1700 personnes vivaient en permanence sur la côte anglaise, à l'est entre Bonavista et Renews, et jusqu'à Trepassey. Ces deux colonies rivales sur une même île représente un cas d'exception; d'ailleurs, l'île de Terre-Neuve allait devenir très tôt un enjeu dans la rivalité franco-anglaise pour la domination des mers. À partir de 1663, la France décida d'exercer sa souveraineté sur toute la partie méridionale de l'île de Terre-Neuve, c'est-à-dire du Cap-Ray à l'ouest jusqu'au Cap-Race à l'est, ainsi que sur les îles du littoral. Cependant, ces frontières n'ont jamais fait l'objet d'ententes formelles entre les Français et les Anglais, de sorte que, par exemple, des Anglais résidaient en permanence à Trepassey, alors que des Français s'installaient le long de la côte ouest vers le nord jusqu'à la pointe Riche et même sur la côte du Petit-Nord jusqu'à Bonavista. |
Il y eut même des «engagés» français auprès de résidents anglais et des «engagés» anglais chez des résidents français, ce qui ne plaisait pas aux autorités locales. Les gouverneurs de Plaisance n'ont jamais manifesté de la bienveillance envers les habitants de religion protestante, qu'ils soient d'origine huguenote, anglaise ou écossaise, car l'une de leurs fonctions était de faire respecter la religion catholique. De façon générale, les relations entre les Français et les Anglais à l'île de Terre-Neuve restaient relativement harmonieuses, même au plan des administrations, sauf en temps de guerre où les attaques réciproques devenaient fréquentes.
3.2 L'organisation de la colonie française
La France avait acquis un vaste territoire s'étendant sur les côtes du sud-ouest de l'île, comprenant la baie de Plaisance, la baie de Fortune et la baie de l'Hermitage. Des postes français avaient été installés à Petit-Plaisance, Pointe-Verte, Baie-Fortune, Grand-Banc, Hermitage, ainsi qu'aux îles de Saint-Pierre et de Miquelon. La côte ouest et sud de l'île était désignée la côte du Chapeau-Rouge, et la côte nord et nord-est, le Petit-Nord (en anglais Northern Coast). Le nom de Chapeau-Rouge tiendrait son origine d'un rocher appelé «Chapeau-Rouge» et situé à l'ouest de l'entrée de la baie de Plaisance; celui-ci ne laissait voir au-dessus de la mer que son extrémité (un peu comme un iceberg) et constituait un danger pour les vaisseaux qui risquaient de s'y fracasser.
En principe, l'administration de la colonie de Plaisance devait être sous la juridiction du gouverneur général de la Nouvelle-France, à partir de Québec. En pratique, c'est Versailles qui exerça le contrôle jusqu'au début du XVIIe siècle. C'est seulement avec le gouverneur Daniel d'Auger de Subercase (1702-1706) que Plaisance intégra davantage le marché administratif, militaire et commercial de la Nouvelle-France. En raison de ses bons services, Subercase deviendra ensuite gouverneur de l'Acadie.
Les fonctions du gouverneur de Plaisance se résumaient à faire respecter la religion catholique ainsi que l'autorité du roi de France, de peupler l'île et de gagner le respect des habitants, en plus de conserver le contrôle militaire du fort Louis près de la ville de Plaisance, de protéger les pêcheurs et de promouvoir l'agriculture. Il fallait toujours craindre les attaques possibles des Anglais, surtout en période de guerre. De façon générale, les gouverneurs et les officiers se plaignaient des conditions de vie difficiles dans la colonie, de l'insuffisance des troupes et des piètres fortifications. Afin de combler le manque à gagner, les gouverneurs et les officiers faisaient la pêche et le commerce avec les vivres de la garnison. Ils établissaient leurs propres règles de fonctionnement dans la colonie. Certains se sont comportés comme des escrocs: par exemple, Jacques-François de Monbeton de Brouillan n'a pas hésité à s'approprier la solde de ses soldats, leurs vivres et leur eau-de-vie.
Les premières garnisons permanentes à Plaisance apparurent en 1687 avec l'arrivée de quelque 25 soldats des Compagnies franches de la Marine.
En principe, une compagnie du roi comptait trois officiers et une
cinquantaine d'hommes. Les officiers donnaient leurs ordres en
français aux soldats patoisants ou bilingues, et même aux soldats
étrangers (germanophones, hispanophones, anglophones,
etc.). Mais le nombre de soldats à
Plaisance fut rarement suffisant, car il ne dépassait jamais
la soixantaine. À partir de 1695, l'effectif militaire permanent augmenta
et atteignait la centaine. Après 1711, pendant la guerre de
Succession d'Espagne (1701-1713), les compagnies
furent maintenues à leur maximum, soit 250.
Il est vrai que, durant tout le Régime français, les compagnies expédiées par la Métropole voyaient leur nombre chuter en raison des décès et surtout des nombreuses désertions. Les pénibles conditions de vie, les corvées aux fortifications et les faibles salaires favorisaient les désertions; les soldats étaient mal armés, mal vêtus, peu entraînés et mal nourris. Le gouverneur Philippe de Pastour de Costebelle (1706-1713) estimait qu'il fallait augmenter la solde des soldats pour diminuer les désertions et éviter qu'ils ne songent à chercher «chez l'ennemi le repos dont ils ne croient jamais obtenir ici». |
La situation était similaire du côté anglais au point qu'en 1698 le capitaine William Holden, commandant de St John's, proposa une entente avec le gouverneur Joseph de Monic, afin de permettre à chacun de renvoyer à l'autre les déserteurs du camp opposé; Joseph de Monic se montra favorable à cette offre. Lorsque les circonstances le permettaient, le français était la langue véhiculaire entre les deux administrations française et anglaise. Sinon, on recourait à des interprètes.
En 1700, la petite colonie française, où n'étaient affectés que quelques fonctionnaires, était néanmoins devenue une composante coloniale à part entière en Nouvelle-France, avec le Canada, l'Acadie et la Louisiane. Le commerce des pêcheries à Terre-Neuve (Plaisance) était encore plus rentable que celui des fourrures au Canada.
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En 1664, il y
avait environ 200 Français éparpillés le long de la côte entre
L'Hermitage et le Cap Ray. En 1670, la colonie de Plaisance ne
comptait que 73 individus qui y résidaient en permanence. Vers 1686, plus de 640
Français vivaient à Terre-Neuve, dont 256 à Plaisance. Il existait alors de
nombreux petits villages tout le long de la côte ouest, et au sud jusqu'au petit
archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Au plus fort de la présence française sur l'île, soit entre 1678 et 1688, quelque 20 000 Français se consacraient à la pêche durant la belle saison, mais un recensement de 1687 évaluait la population permanente de la colonie française à seulement 633 habitants, dont 256 à Plaisance, 76 à l'île Saint-Pierre, 72 à Baie-Fortune, 72 à Cap-Nègre, 45 à Grand-Banc, 36 à Havre-Bertrand, 35 à Petit-Plaisance, 31 à L'Hermitage, 17 à Pointe-Verte. Il n'y avait que neuf soldats et 14 engagés au fort Louis. La majorité des Français ne résidait donc pas en permanence sur l'île; c'étaient des «engagés d'été» au service des navires métropolitains. Ces engagés temporaires faisaient gonfler considérablement la population dans la colonie entre les mois de mai et de septembre. |
En plus des soldats et des engagés, la colonie de Plaisance comptait aussi des marchands, des artisans, des «manouvriers» (ou manœuvres), des domestiques et des petits commerçants, dont des cabaretiers. La consommation d'alcool et de tabac était importante au sein de la population, notamment parmi les engagés. Fumer et boire constituaient des activités sociales permettant d'accepter les pénibles conditions de vie. Évidemment, la présence de nombreux cabarets entraînait un lot de problèmes, mais il en était également ainsi dans la colonie anglaise de Newfoundland. Il arrivait aussi que des marchands anglais puissent faire des affaires dans la colonie de Plaisance. Bien que ce type de commerce fût interdit par le roi, les gouverneurs pouvaient se montrer conciliants, car ils pouvaient alors s'approvisionner plus rapidement que par l'intermédiaire des navires français, notamment dans les années de disette. De toute façon, les fonctionnaires de la Marine avaient pris soin de ne pas imposer une réglementation trop sévère de crainte de détourner les métropolitains du commerce avec la colonie de Plaisance.
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Le tableau ci-contre
permet certaines observations générales. Les hommes sont toujours
plus nombreux que les femmes dans la colonie; il en est ainsi pour
les garçons par rapport aux filles, sauf en 1698. Même si la
population a augmenté passablement entre 1673 et 1687, c'est entre
1698 — sauf 1704 — et 1710 qu'elle a été la plus élevée.
En incluant les engagés aux habitants permanents, on constate que la population d'été de la colonie de Plaisance a augmenté à 853 en 1704 et à plus de 500 en 1706. Les engagés d'été ont donc pour effet de faire doubler, voire tripler, la population présente dans la colonie, soit de mai à septembre environ. Cela, c'est sans compter les engagés pêchant pour les navires métropolitains, dont il n'est pas possible d'en établir le nombre. |
- Les ecclésiastiques
Il ne faudrait pas oublier la présence d'un certain nombre d'ecclésiastiques à Plaisance. La vie religieuse de la colonie française relevait de l'autorité de l'évêque de Québec. Le successeur de François de Montmorency-Laval (1623-1708), Jean-Baptiste de Saint-Vallier (1653-1727), a même fait en juin 1689 un séjour de deux mois à Plaisance et à Saint-Pierre (île). Le recensement de 1687 révèle qu'il existait sept églises dans la colonie de Plaisance: Pointe-Verte, Petit-Plaisance, Saint-Pierre, L'Hermitage, Grand-Banc, Baie-Fortune et Havre-Bertrand. Dans la ville même de Plaisance, il y avait deux églises, une pour le fort Louis (avec son aumônier), une autre pour les habitants (avec un curé). La paroisse de Plaisance portait le nom de «Notre-Dame-des-Anges». Ce sont généralement des récollets qui ont assuré en français et en latin les services religieux dans la colonie, mais des vicaires de France venaient parfois les remplacer.
4.1 L'origine des pêcheurs
Les pêcheurs français installés sur l'île de Terre-Neuve étaient principalement originaires de l'Aunis et de la Saintonge, mais aussi de la Bretagne, de la Normandie et du Pays basque. Ils étaient généralement partis des ports de La Rochelle (province de l'Aunis), de Saint-Malo (province de Bretagne) ou de Bayonne (côte basque). Les Basques pêchaient surtout dans la baie de Plaisance et la baie de Trinité (Trinity) avec les Saintongeais et les Rochelais, mais ils pouvaient aussi pêcher ailleurs; les Bretons étaient normalement installés sur la côte du Petit-Nord, soit entre Bonavista et le détroit de Belle-Isle; les Normands étaient concentrés sur la côte ouest de Terre-Neuve («la côte du Chapeau-Rouge»).
Beaucoup de Basques et de Bretons ne parlaient
que leur langue ancestrale, le basque ou le breton. La plupart des
Saintongeais et des Normands parlaient soit le saintongeais soit le normand,
selon le cas, mais aussi un français régional plus ou moins diversifié. Toutefois, l'Administration n'utilisait que le «français du roy».
Toute l'économie de la colonie de Plaisance reposait entièrement sur la pêche et le commerce de la morue. Chaque année, on pouvait compter entre 600 et 800 navires français qui participaient aux pêches de Terre-Neuve, ce qui signifiait environ 30 000 matelots. Malheureusement, des problèmes internes d'ordre organisationnel, l'incompétence évidente des gouverneurs français, les maigres ressources agricoles du territoire, ainsi que les tensions ethniques entre Basques, Malouins, Rochelais, Saintongeais et Normands contribuèrent à affaiblir cette petite colonie française de Plaisance. Quant aux Anglais, de 1675 à 1705, on dénombrait quelque 2000 permanents répartis sur la côte orientale, surtout entre Renews et Bonavista. À la fin du Régime français (1713), la majorité de la population blanche était née en France ou, dans la partie anglaise, en Angleterre, en Écosse ou en Irlande. |
Dans la zone méridionale sous administration française, les recensements ont aussi établi la présence de quelques Anglais et Irlandais. Les gouverneurs n'appréciaient généralement pas leur présence, mais ils ont rarement pris des mesures contre eux; on rencontrait aussi des Français dans la partie septentrionale anglaise. Quoi qu'il en soit, il n'y avait officiellement que trois catégories de peuples: les Français, les Anglais et les Indiens (appelés généralement «sauvages»). Il n'y avait pas encore de «Canadiens».
4.2 Les autochtones
L'île de Terre-Neuve abritait aussi de nombreux Amérindiens appartenant à la grande famille linguistique algonquienne. On trouvait alors des Béothuks, des Micmacs et des Montagnais (aujourd'hui appelés «Innus»).
Les Béothuks furent les tout premiers habitants de l'île. Avant l'arrivée des Européens, ils habitaient le littoral de Terre-Neuve, surtout au nord et à l'ouest, mais aussi dans la péninsule d'Avalon. Au fur et à mesure de l'implantation des Européens, ils furent refoulés à l'intérieur. À la fin du XVIIe siècle, ils n'étaient plus qu'environ 500 individus, car les contacts avec les Blancs avaient entraîné dans leurs rangs des épidémies et des décès. Un siècle plus tard, les Béothuks seront disparus du littoral pour être confinés à l'intérieur des terres jusqu'à leur complète extinction en 1829. Les Micmacs étaient probablement les autochtones les plus nombreux, soit entre 6000 et 10 000. Ils habitaient toute la partie sud de l'île, ce qui correspondait à la colonie française de Plaisance. Parmi les nations amérindiennes, ce furent les seuls alliés des Français. Quelques Micmacs habitaient en permanence à Plaisance même. Par ailleurs, les Français encouragèrent les Micmacs à liquider les Béothuks, car les pêcheurs voulaient ainsi protéger leurs propriétés et leurs biens. Les Britanniques pratiquaient les mêmes méthodes dans la zone qu'ils occupaient. |
Venaient ensuite les Innus, appelés à cette époque «Montagnais» par les Français. Ils étaient généralement installés sur le littoral de la péninsule du Nord et conservaient des liens avec leurs communautés vivant au Canada (Côte-Nord) et au Labrador.
L'industrie de la pêche à la morue était d'une très grande importance pour la France et l'Angleterre. C'est pourquoi les colonies de Plaisance et de St John's recevaient l'aide des couronnes des deux royaumes. En même temps, les conflits étaient omniprésents entre Français et Anglais pour la prédominance du lucratif marché de la pêche, notamment en temps de guerre. Durant deux cents ans, de 400 à 800 navires partirent chaque année en mars des ports de Dieppe, de Fécamp, de Granville et de Saint-Malo afin de passer six mois sur les bancs de pêche de Terre-Neuve.
5.1 Les corsaires
Mentionnons aussi la présence de nombreux corsaires à Terre-Neuve, surtout à partir de 1692. En quelques années, les corsaires français auraient capturé une soixantaine de navires anglais. Ils ravitaillaient en même temps la colonie en denrées indispensables, prises sur les navires ennemis. Les historiens croient que, si la colonie de Plaisance a pu résister longtemps aux Anglais, c'est à cause de la contribution des corsaires français qui semaient la terreur chez leurs ennemis, la France n'ayant plus les ressources militaires lui permettant de garantir la sécurité de sa petite colonie. Il existait aussi des corsaires anglais, lesquels tentèrent à deux reprises (1690 et 1692) de saccager Plaisance. Pendant l’été de 1702, pour ne prendre que cet exemple, des corsaire anglais brûlèrent les vigneaux français à Trepassey, à St Mary's, à Colinet et à St Lawrence; ils détruisirent également le fort de l'île Saint-Pierre. Régulièrement, Anglais et Français commettaient ce genre d'exaction et saccageaient tout ce qui se trouvait sur leur chemin. En 1711, la marine britannique attaqua à son tour Plaisance; bien qu'elle disposât de 15 bâtiments, de 900 canons et de 4000 hommes, elle ne réussit pas à prendre la ville.
5.2 Pierre Le Moyne
d'Iberville
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D'ailleurs, c'est en représailles contre des corsaires anglais que Pierre Le Moyne d'Iberville (1661-1706), surnommé «le Cid canadien» par les historiens, s'illustra à Terre-Neuve durant l'hiver de 1696-1697, avec une flotte de trois navires et l'aide de 200 miliciens canadiens et d'Amérindiens alliés. Avec la «collaboration» du gouverneur Jacques-François de Monbeton de Brouillan, il détruisit presque tous les postes anglais échelonnés sur la côte orientale de l'île, soit une quinzaine, dont le chef-lieu St John's (qui devint provisoirement Saint-Jean); il massacra plus de 200 Anglais et fit plus de 700 prisonniers; il s'appropria ou anéantit plus de 370 bateaux de pêche. À la fin de l'expédition, en mars 1697, il ne restait plus aux Anglais que deux petites agglomérations, Bonavista et Carbonear. Pendant cette période de quatre mois d'offensive, d'Iberville avait fait disparaître 36 postes de pêche anglais. Ce fut la campagne la plus importante et la plus dévastatrice de la carrière de Le Moyne d'Iberville. Jamais les Français n'avaient frappé les Anglais aussi fort. Pour d'Iberville et les Français, c'était «mission accomplie». |
Pour les Britanniques, ces excès de massacres, de pillages et d'incendies furent considérés comme des «actes de barbarie dignes des sauvages abénaquis». Ils n'avaient pas tort, mais eux-mêmes ne feront pas mieux avec la déportation des Acadiens en 1755.
Pendant quelques mois, l'île de Terre-Neuve s'est pour ainsi dire trouvée sous entière administration française, sauf à Bonavista et à Carbonear. Alors que d'Iberville s'apprêtait à attaquer ces deux postes — il espérait devenir gouverneur de l'île —, Versailles lui ordonna de se rendre en Louisiane, pratiquement abandonnée depuis sa prise de possession en 1682. En raison de ses conquêtes à la baie d'Hudson (l'année précédente) et à Terre-Neuve contre les Anglais, Le Moyne d'Iberville devint une légende au Canada et en France; il fut considéré comme le plus illustre homme de guerre de la Nouvelle-France. Grâce à lui, la France parvint à contrôler toute la baie d'Hudson et presque toute l'île de Terre-Neuve, mais ce fut seulement pour quelques mois. Cette manie de multiplier les massacres en ne laissant aucune garnison pour maintenir les acquis ne donnait que des résultats provisoires: au printemps suivant, Saint-Jean redevenait St. John's.
5.3 Le traité de Ryswick
C'est que, au
traité
de Ryswick, signé le 20 septembre 1697 entre la France et
l'Angleterre, les deux pays se rendirent mutuellement leurs
conquêtes en Amérique:
Tous les Pays, Villes, Places,
Terres, Forts, Isles et Seigneuries, tant au dedans qu'au dehors de
l'Europe, qui pourroient avoir été pris et occupés depuis le
commencement de la presente Guerre, seront restitués de part et
d'autre au même état, qu'ils étoient pour les Fortifications lors de
la prise, et quant aux autres Edifices, dans l'état qu'ils se
trouveront, sans qu'on puisse y rien detruire ny deteriorer, sans
aussi qu'on puisse pretendre aucun dedommagement pour ce qui auroit
pû estre demoli ; Et nommement le Fort et habitation de Pondichery
sera rendu aux conditions susdites à la Compagnie des Indes
Orientales establie en France ; Et quant à l'Artillerie qui y a esté
amenée par la Compagnie des Indes Orientales des Provinces Unies
elle luy demeurera ainsi que les munitions de Guerre et de bouche,
Esclaves, et tous les autres effets, pour en disposer comme il luy
plaira, comme aussi des terres, droits et privileges qu'elle a
acquis tant du Prince que des habitans du Pays.
Article VIII
Les Français conservèrent donc l'Acadie et la colonie de Plaisance, tandis que les Anglais retrouvaient leurs anciens établissements de Terre-Neuve (Newfoundland) ainsi que tous les postes de la Compagnie de la Baie d'Hudson (BH), baie appelée par les Français la «baie du Nord», mais non ceux de la baie James pris par Pierre Le Moyne d'Iberville entre 1686 et 1697. Avec la réinstallation d'un gouverneur anglais à St John's et la remise en état des établissements anglais, la guerre d'escarmouches en mer pouvait reprendre de plus belle.
En 1707, l'île de Saint-Pierre au sud de Terre-Neuve fut encore attaquée par les Anglais, alors que le corsaire français Chambéry s'emparait de trois de leurs navires. La nuit du jour de l'An 1709, les Français attaquèrent la capitale terre-neuvienne des Anglais, qui redevint Saint-Jean. Joseph de Monbeton de Brouillan, dit Saint-Ovide, lieutenant du roi et futur gouverneur de l'Île-Royale (Louisbourg), commanda l'attaque de St. John's, avec l'appui de son supérieur, le gouverneur de Plaisance, Philippe de Pastour de Costebelle, et du gouverneur de l'Acadie, Daniel d'Auger de Subercase. Devant le refus de Versailles de conserver Saint-Jean et dans l'impossibilité d'y laisser une garnison, Saint-Ovide se résigna à raser toute la ville. L'année suivante, les Anglais étaient revenus, avaient reconstruit leur place-forte, et St. John's bourdonnait à nouveau d'activités. Et la série des hostilités de se poursuivre jusqu'au traité d'Utrecht de 1713, entre pêcheurs, marins et corsaires, qu'ils soient anglais, français ou basques.
L'île de Terre-Neuve resta donc sous une double administration: anglaise au nord avec St. John's, française au sud avec Plaisance. Ainsi, au cours de l'Histoire, jamais la France n'aura exercé longtemps une souveraineté exclusive sur l'île de Terre-Neuve, sauf dans le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Malgré deux attaques en règle en 1690 et 1692, sans oublier celle de 1711, les Anglais ne réussirent pas à prendre le fort de Plaisance. Dans les faits, les Britanniques perdaient la plupart des batailles qui avaient lieu sur l'île de Terre-Neuve, mais la France avait perdu la guerre en Europe. Elle dut céder une partie de ses colonies d'outre-mer et ses postes de pêches de Plaisance.
Neuf mois avant le traité d'Utrecht, alors
que Plaisance était encore française, le
ministre Pontchartrain écrivit à
Philippe de Rigaud, marquis de
Vaudreuil
: «Si Plaisance et l'Acadie restent aux Anglois...» Le sort en est donc
décidé. Il faut dire que «les Anglois [...] désiroient avoir depuis longtems
Plaisance, [car] ce port valoit tous les ans à la France trois à quatre
millions» de livres, et qu'ils avaient constamment tenté de s'en emparer pour
contrôler seuls les pêcheries terre-neuviennes.
L'île de Terre-Neuve devint exclusivement britannique en 1713
au traité
d'Utrecht. Voici le libellé de l'article 13 concernant le fort de Plaisance,
Terre-Neuve et les droits de pêche:
L'isle de Terreneuve, avec les
isles adjacentes, appartiendront désormais et absolument à la G.B., et à
cette fin le Roy T.C. fera remettre à ceux qui se trouveront à ce commis
en ce païs là, dans l'espace de sept mois à compter du jour de l'échange
des ratifications de ce Traité, ou plus tôt si faire se peut, la ville
et le fort de Plaisance, et autres lieux que les François pourraient
encore posséder dans ladite isle sans que ledit Roy T.C., ses héritiers
et successeurs, ou quelques-uns de ses sujets, puissent désormais
prétendre quoi que ce soit, et en quelque temps que ce soit, sur ladite
isle et les isles adjacentes, en tout ou en partie. Il ne leur sera pas
permis non plus d'y fortifier aucun lieu, ni d'y établir aucune
habitation en façon quelconque, si ce n'est des échafauts et cabanes
nécessaires et usités pour sécher le poisson, ni aborder dans ladite
isle dans d'autres temps que celui qui est propre pour pêcher et
nécessaire pour sécher le poisson. Dans ladite isle, il ne sera pas
permis auxdits sujets de la France de pêcher et de sécher le poisson en
aucune autre partie que depuis le lieu appelé Cap-de-Bona-Vista, jusqu'à
l'extrémité septentrionale de ladite isle, et de là en suivant la partie
occidentale jusqu'au lieu appelé Pointe-Riche. Mais l'isle dite
Cap-Breton, et toutes les autres quelconques, situées dans l'embouchure
et dans le golphe de Saint-Laurent, demeureront à l'avenir à la France,
avec l'entière faculté au Roy T.C. d'y fortifier une ou plusieurs
places.
6.1 La perte de la colonie
française En conséquence, la France devait accepter de rendre les
fortifications de Plaisance aux Britanniques et de ne pas y établir des
habitations pour la pêche. Elle conservait cependant des droits de
pêche qui s'étendaient en 1713 jusqu'au cap Bonavista, en passant par
le cap John, la pointe Riche au nord-ouest (voir la carte en 2.1).
La France acceptait de transporter sa colonie
de Plaisance à
l'île du Cap-Breton renommée dorénavant île Royale, avec Louisbourg comme
future capitale.
Le traité ratifié,
Louis XIV, en date du 27 septembre
1713, ordonna au gouverneur Philippe de Pastour
de Costebelle de préparer l'évacuation des quelque
700 habitants français «à mon Isle Royale vulgairement appelée du Cap
Breton [...], puisque Plaisance et mes forts ont été cédés à ma chère
sœur la reine de la Grande-Bretagne [... et que d'ici là] la justice y
soit administrée au nom de ma chère sœur».
La ville de Plaisance fut aussitôt appelée en anglais Placentia
et devint la nouvelle capitale britannique de Terre-Neuve. La plupart des Français retournèrent
en France, mais d'autres se
réfugièrent à l'île Royale (Cap-Breton), où
commençait alors la construction de Louisbourg. À l'aide de trois navires du roi
et de navires marchands, cette partie de la population française fut transportée sur
l'île Royale: 116 hommes, 10 femmes et 23 enfants. D'autres
furent déportés en Nouvelle-Angleterre ou en Grande-Bretagne. Les quatre
ou cinq Français qui choisirent de
rester à Terre-Neuve comme agriculteurs durent immédiatement prêter allégeance au roi d'Angleterre;
ils allaient progressivement s'assimiler aux Anglais et aux
Irlandais. 6.2 L'encerclement de la
Nouvelle-France En se résignant à perdre la colonie de Plaisance, la France perdait
aussi la
maîtrise de l'estuaire du golfe du Saint-Laurent et exposait le Canada et
l'Acadie continentale à devenir une proie facile pour les Britanniques. La perte de
La colonie de Plaisance en
1713
constituait la première phase d'encerclement des colonies du Canada (avec la
baie d'Hudson devenue anglaise) et de
l'Acadie par les
Britanniques. Heureusement, la France pouvait remplacer la colonie de Plaisance par
celle de Louisbourg, qui deviendra la
colonie de l'Île-Royale, ce qui allait provoquer la reprise des
hostilités
entre les deux puissances.
6 Le traité d'Utrecht (1713)
Article 13
6.3 Le traité de Versailles (1783)
En 1783, le traité de Versailles reconnaissait l'indépendance des
États-Unis, mais ne permettait pas à la France de récupérer le Canada; la France
n'avait obtenu que la propriété des îles de Saint-Pierre et de
Miquelon ainsi que des droits de pêche sur le "French Shore", lequel
s'étendait désormais entre le cap St John et le cap Ray. Quant à la
Louisiane française (allant du sud des Grands Lacs au golfe du
Mexique), elle était attribuée à l'Espagne.
Le traité devait entraîner des modifications importantes dans la zone de pêche française. Pour les Français, la déclaration du roi de Grande-Bretagne signifiait que la Couronne avait accepté, sans l'affirmer en toutes lettres, le principe d'une pêche côtière exclusive pour la France et avait cédé les îles de Saint-Pierre et de Miquelon sans aucune condition. |
Cependant, pour les Anglais, il importait que la pêche côtière exclusive ne soit pas reconnue formellement et que les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon ne puissent jamais constituer une menace pour les intérêts britanniques, ce qui signifiait qu'elles ne pouvaient pas être fortifiées:
S. M. le Roi de Grande-Bretagne, en cédant les îles de Saint-Pierre et Miquelon à la France, les considère cédées aux fins d'abri pour les pêcheurs français, et en pleine confiance que ces possessions ne deviendront pas motif de jalousie entre les deux nations […]. |
En 1904, les droits de pêche furent définitivement résiliés par une «entente cordiale» qui prendra fin en 1972. Les pêcheurs français conservaient le droit de pêcher concurremment entre les mêmes limites, mais n'étaient plus autorisés à accoster ou à utiliser la côte.
***
Les
Français de la colonie de Plaisance n'ont laissé que peu de traces
de leur passage,
sauf dans la toponymie avec des noms normands (cap Normand,
Granville), bretons (Groix, Belle-Isle, Toulinguet, etc.) et
français (Port-au-Port, Port-aux-Basques, Baie-Verte, Burin, Fortune, Lamaline,
etc.). En effet, ils ont nommé de nombreux sites le long des côtes ouest et sud
jusqu'à l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Quant à la ville de Placentia actuelle, elle abritait au recensement de 2016 quelque 3500 habitants, dont cinq francophones, les autres parlant l'anglais ou l'une des langues immigrantes (arabe, panjabi, croate, espagnol, mandarin, etc.). Il ne reste de la présence française à Terre-Neuve qu'une plaque commémorative de Parcs Canada, sur une pierre située près du poste de police. |
La colonie française de Plaisance a existé durant soixante-trois ans. Elle fait maintenant partie de l'histoire de l'île de Terre-Neuve-et-Labrador (Canada). De son immense empire en Amérique du Nord, il ne resta à la France que le minuscule archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, un caillou de 242 km² que la France perdra à trois autres reprises (1778-1783 ; 1793-1796 ; 1803-1816) au profit de la Grande-Bretagne.
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Province de Terre-Neuve
(Canada)
St-Pierre-et-Miquelon
(France)