République islamique de Mauritanie
Mauritanie

Mūrītāniyyah

Al Jumhuriyah al Islamiyah al Muritaniyah

Capitale: Nouakchott
Population: 4,8 millions (est. 2023)
Langues officielles: arabe (de jure) et français (de facto)
Groupe majoritaire: arabe hassanya (84 %)
Groupes minoritaires: poular (7 % - 12 %), soninké (env. 4 %), wolof (0,4 %), bambara, berbère, etc.
Langue coloniale: français
Système politique: république islamique
Articles constitutionnels (langue): article 6 de la Constitution de 1991
Lois linguistiques: Décret n° 68-078 du 7 mars 1968 créant une Direction de la traduction (1968); Circulaire n° 28 du 12 mars créant une Direction de la traduction (1968); Décret n° 79.348/PG/MEFS portant création d'un Institut des langues nationales (1979, abrogé);
Lois scolaires:
Arrêté n° 041 du 28 mars 1974 fixant la nature des épreuves de contrôle en vue du baccalauréat de la série lettres modernes, option arabe (1974); Loi n° 99-012 du 26 avril 1999 relative à la réforme du système éducatif national (1999); Loi n° 2001-054 portant obligation de l’Enseignement fondamental (2001); Loi n°2022-023/ P.R/ portant loi d’orientation du système éducatif national (2022).
Lois à portée linguistique:
Loi n° 1961-112 portant Code de la nationalité mauritanienne (1961); Décret n° 74-044 du 14 février 1974 portant organisation du concours pour le recrutement de cadis (1974); Décret n° 45-79 du 24 avril 1979 relatif à l'organisation de la présidence du gouvernement (1979); Charte constitutionnelle du Comité militaire de salut national (1980); Ordonnance n° 83-162 du 09 juillet 1983 portant institution d’un Code pénal (1983); Ordonnance n° 83-163 du 09 juillet 1983 instituant un Code de procédure pénale (1983); Code des obligations et des contrats - Ordonnance n°89- 126 du 14 septembre (1989) ; Ordonnance n° 91-023 du 25 juillet 1991 sur la liberté de la presse (1991, abrogée); Loi n° 2000-05 portant Code de commerce (2000); Loi n° 2004-017 portant Code du travail (2004); Ordonnance n° 017 - 2006 sur la liberté de la presse (2006); Règlement administratif de l'Assemblée nationale (2008); Décret n° 181-2008 portant organisation des services du premier ministre (2008); Loi n° 2010 – 023 du 11 février 2010 abrogeant et remplaçant certaines dispositions de la loi 61–112 du 12 juin 1961 portant code de la nationalité mauritanienne (2010); Loi n° 2010-045 du 26 juillet 2010 relative à la communication audiovisuelle (2010); Décret n° 2011-180 du 07/07/2011/PM portant application de certaines dispositions de la loi n° 2010-044 du 22 juillet 2010 portant Code des marchés publics (2011); Loi n° 2012-018 modifiant certaines dispositions de la loi n° 2008-026 du 6 mai 2008 abrogeant et remplaçant l’ordonnance n° 2006-034 du 20 octobre 2006 instituant la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (HAPA); Loi constitutionnelle n° 2012-015 (2012).

1 Situation générale

La Mauritanie, officiellement appelée République islamique de Mauritanie, est un pays saharien de l'Afrique de l'Ouest (voir la carte). Sa superficie est relativement grande, car elle couvre plus d'un million de kilomètres carrés (deux fois la France), soit à peu près l'équivalent des pays comme le Tchad, le Niger, l'Angola, le Mali, l'Afrique du Sud, l'Éthiopie ou l'Égypte. 

La Mauritanie est baignée à l'ouest par l'océan Atlantique et est bordée au nord-ouest par le Sahara occidental (revendiqué par le Maroc), au nord par l'Algérie, à l'est et au sud-est par le Mali et au sud-ouest par le Sénégal. En raison de sa situation géopolitique, la Mauritanie, désignée aussi comme le «pays des Maures» dont elle tire son nom, est une terre de contact et sert de «pont» ou de transition entre les pays du Maghreb au nord et l'Afrique noire au sud.

La Mauritanie est divisée en 13 régions appelées «wilayas» : Adrar, Assaba, Brakna, Dakhlet Nouadhibou, Gorgol, Guidimaka, Hodh Ech Chargui, Hodh El Gharbi, Inchiri, Nouakchott, Tagant, Tiris Zemmour et Trarza. À leur tour, les wilayas sont elles-mêmes subdivisées en "moughataa", soit 52 au total (voir la carte).  

2 Données démolinguistiques

La Mauritanie est un pays aux trois quarts désertique parce qu'il est enclavé dans le désert du Sahara comme ses pays voisins. Dans sa partie méridionale, la Mauritanie fait aussi partie du Sahel (arabe: Es-Sahel: «bordure»). C’est l’espace de transition qui sépare au nord le désert du Sahara, et au sud la zone soudanienne où les pluies sont plus fréquentes.

La Mauritanie est donc caractérisée par la hausse de la température durant une grande partie de l'année, ainsi que par la rareté des pluies et la dominance des plaines et des dunes de sable, ce qui entraîne la pauvreté de la couverture végétale. La région du Sahel correspond à une zone de transition entre deux Afriques: géographiques et humaines. Les Arabes au nord, les Négro-Africains au sud.

La population de la Mauritanie était estimée en 2023 à un peu plus de quatre millions d'habitants, dont 85 % vivaient dans le Sud, représentant seulement 20 % de la superficie globale. Autrement dit, le pays est aux trois quarts dépeuplé par la force des choses. La densité de la population est en moyenne de 3,78 hab./km², mais ce chiffre est trompeur (voir la carte): les régions septentrionales de Tiris Zemmour, d'Adrar et d'Inchiri ont une densité de 1 ou de 2 hab./km², alors que les régions méridionales tels que le Gorgol et le Guidimaka en compte 12 hab./km², sinon davantage (Nouakchott: 958 hab./km²).

2.1 Les groupes ethniques
 

La diversité ethnique de la Mauritanie reflète sa localisation géographique qui en fait une transition entre le Maghreb au nord et l'Afrique de l'Ouest subsaharienne au sud. On trouve donc au nord le Maroc et l'Algérie avec des populations arabes, mais le Sénégal et le Mali au sud avec des populations noires.

La Mauritanie est ainsi composée de deux populations principales: les Maures arabophones (ou Arabo-Mauritaniens) et les Négro-Mauritaniens de langues nigéro-congolaises, ce qui n'exclut pas certaines mixités où il serait difficile de distinguer qui est «noir» et qui est «blanc».

- Les Maures arabophones (environ 70%)

Ces derniers comptent deux communautés plus ou moins égales en nombre, mais différentes par leurs origines ethniques : les Maures blancs ou Beidanes (< arabe Bîdhân: «blanc») de souche arabo-berbère et les Maures noirs (à la peau en principe plus foncée que les précédents) ou Haratins (aussi Haratines au féminin; ou Chouachins et Chouachines), une appellation désignant les travailleurs de la terre, descendants des esclaves africains de souches diverses, arabisés depuis des siècles, mais ayant gardé la conscience de leur statut social inférieur.

Encore aujourd'hui, beaucoup de Maures noirs sont «au service» des Maures blancs. Les différences entre les Maure blancs et les Maures noirs ne sont pas vraiment physiques, puisqu'il est souvent difficile de les distinguer par la couleur de la peau. Les particularités sont avant tout d'ordre social. Ce sont les Maures blancs (30%) qui gouvernement le pays et qui imposent l'arabe littéral comme langue officielle aux Maures noirs (40%) et aux Négro-Mauritaniens (30%).

- Les Négro-Mauritaniens (environ 30%)

Les Négro-Mauritaniens regroupent les Peuls, les Wolofs, les Soninkés, les Toucouleurs, les Sarakolés, les Foulons, les Bambaras, etc. Au cours des dernières années, les rivalités entre les Maures blancs, traditionnellement dominants, et les Négro-Mauritaniens, qui n'acceptent plus la domination des premiers, se sont exprimées violemment, notamment au cours des années 1989 à 1991.

- Les esclaves et les subalternes
 

La promulgation de l'interdiction de l'esclavage en 1980 n'a jamais été suivie de mesures d'application efficaces. Selon les organismes "Amnistie internationale", "Anti-Slavery International" et de nombreuses autres ONG locales, plus de 10 %, voire 20 %, de la population (entre 340 000 et 680 000) serait toujours retenue en une forme d'esclavage en Mauritanie, bien que cette pratique ait été officiellement abolie. Toute personne convaincue d'esclavagisme risque jusqu'à dix ans de prison ferme. Selon un rapporteur de l'ONU, même la législation de 2007 criminalisant cette pratique ne serait pas correctement appliquée. En 2003, les autorités ont promulgué une loi relative à la traite des personnes (la vente des enfants, l’incorporation des enfants dans l’armée, la prostitution, la vente d’organe, etc.), mais elles ont refusé d’y inclure formellement l’esclavage. Cette pratique illégale serait nettement plus répandue chez les Maures arabophones, tout en perdurant aussi chez certains Wolofs, Peuls et Soninkés, les trois principales ethnies du sud du pays.

L'institution de l'esclavage perdure aujourd'hui en Mauritanie, notamment dans les campagnes. Des dizaines de milliers de Noirs sont considérés comme la propriété de leurs maîtres et sont entièrement soumis à la volonté de ces derniers. Ils travaillent de longues heures sans rémunération, ils n'ont pas accès à l'éducation et ne jouissent pas de la liberté de se marier ou de s'associer librement avec d'autres Noirs. Lorsqu'ils échappent à leur servitude, ce n'est pas en exerçant leurs droits prévus dans la loi, mais principalement en s'enfuyant. Toutefois, l'ignorance de leurs droits, la peur d'être repris et la torture qui s'ensuivrait, ainsi que le manque de compétences commercialisables dans un pays pauvre, découragent un nombre important d'esclaves de tenter de s'échapper. L’esclavage serait particulièrement répandu dans l’est du pays.

Il faut aussi préciser que la religion a joué un rôle important dans la perpétuation de l’esclavage. Les propriétaires d’esclaves se sont généralement servi de la reconnaissance de l’esclavage par l’islam afin de justifier leurs pratiques. Cependant, selon le Coran, l’islam ne reconnaît l’esclavage que dans la mesure où les prisonniers capturés lors des guerres saintes peuvent être traités comme des esclaves, et ce, la condition qu’ils soient libérés après leur conversion à l'islam. Or, en Mauritanie, les esclaves étaient tous musulmans bien avant la première abolition en 1905, mais ils n’ont jamais été émancipés. Mais de nombreux cadis, des juges des tribunaux islamiques, ont préféré protéger l'institution de l'esclavage plutôt que d'assurer son éradication dans le seul but de protéger leurs fonctions judiciaires. L'objectif était de faire en sorte que les esclaves croyaient qu'il était de leur devoir religieux de servir leurs maîtres, une sorte de condition pour aller au ciel. Le proverbe suivant est révélateur : «Le chemin qui mène au ciel est sous la plante du pied de votre maître.» Après l'abolition en 1980, des maîtres intimidaient leurs esclaves en leur disant que leur choix était de les écouter ou d'aller en enfer. Les pauvres esclaves ne pouvaient même pas aller prier à la mosquée, car ils n'avait jamais appris ce qu'il fallait réciter par cœur, ne sachant pas lire.

Bien que ce soit un secret de polichinelle dans toute la Mauritanie, le régime en place nie depuis des décennies l'existence de l'esclavage ou de l'une de ses formes. Le problème, c'est que la classe politique dominante, composée presque uniquement de Maures blancs, est celle qui bénéficie le plus de cette pratique. Ceux-ci n'ont aucun intérêt à dénoncer cette pratique d'une autre époque. Ce sont les Haratins qui ont jadis servi d'esclaves. Ils demeuraient chez leurs maîtres et y effectuaient les tâches les plus pénibles.

Au final, il existe différentes formes subtiles de l'esclavage: le travail des enfants, le travail domestique, les mariages d'enfants, la prostitution, le droit de cuissage et le trafic d'êtres humains, des pratiques qu'on voit aussi dans les pays voisins. Les Haratins sont les seuls en Mauritanie à pratiquer le métier de débardeurs, de blanchisseurs, de boys, de manœuvres, de gardiens, etc., toutes des tâches considérées comme «avilissantes» par les Maures blancs. En Mauritanie et au Maroc, le termes Haratins et Haratines, Chouachins et Chouachines comportent une connotation péjorative puisqu'ils sont associés à l'esclavage, mais surtout au fait d'être subalterne. La société mauritanienne semble encore, à des degrés divers, basée sur l'oppression de certains groupes ethniques par d'autres. En 2020, environ 150 000 personnes, soit 3,1 % de la population mauritanienne, se seraient trouvés dans des conditions d’esclavage moderne.

2.2 Les régions

Les régions ou wilayas les plus peuplées de la Mauritanie sont d'abord celle de la capitale (Nouakchott : 28,0%)) et les régions méridionales (voir la carte): le Gogol (9,0%), l'Assaba (9,0%), le Brakna (8,0%), le Hodh Ech Chargui (7,8%), le Trarza (7,3%) et le Guidimaka (7,3%). 186 697), sans oublier la grande région du Hodh Ech Chargui, qui fait autant partie du Sud que du Nord (12,0%.  

Wilaya Chef-lieu Superficie Population Pourcentage
Dakhlet Nouadhibou (nord) Nouadhibou 22 300 km² 138 526 3,4 %
Tagant (nord) Tidjikdja 95 200 km²  82 683 2,0 %
Adrar (nord) Atar 215 300 km²  61 196 1,5 %
Tiris Zemmour (nord) Zouérate 252 900 km²  55 213 1,3 %
Inchiri (nord) Akjoujt 46 800 km²  22 833 0,5 %
Nouakchott (capitale) - 1 000 km² 1 116 739 28,0 %
Hodh Ech Chargui (nord-sud) Néma 182 700 km² 478 464 12,0 %
Gorgol (sud) Kaédi 13 600 km² 359 027 9,0 %
Assaba (sud) Kiffa 36 600 km²

360 249

9,0 %
Brakna (sud) Aleg 33 800 km² 320 447 8,0 %
Hodh El Gharbi (sud) Aioun el Atrouss 53 400 km²

313 681

7,8 %
Trarza (sud) Rosso 67 800 km² 291 210 7,3 %
Guidimaka (sud) Sélibaby 10 300 km² 294 506 7,3 %
Total (2020) - 598 600 km²     3 984 774 100 %

En général, les Négro-Mauritaniens sont plus nombreux dans le Sud; les Arabes, massivement majoritaires dans le Nord. Dans les faits, il n'existe pas de régions habitées uniquement par des Noirs dans le Sud. Les localités dans toutes les régions s’enchevêtrent dans le même espace de sorte qu’il est difficile de tracer des frontières précises. Cette situation se reproduit aussi dans les principales villes du pays, au nord comme au sud. Par exemple, la région de Guidimaka abrite des Soninkés (env. 50 %), mais aussi des Peuls (env. 25 %) et des Arabes (env. 215 %).

Dans la région du Gorgol, on trouve diverses ethnies: des Maures blancs, des Maures noirs, des Peuls, des Soninkés, des Bambaras et des Wolofs, mais la langue véhiculaire est le poular. Dans la wilaya du Hodh El-Gharbi, certaines localités sont composées à la fois de Peuls et de Maures.

La capitale, Nouakchott, présente une mosaïque dans laquelle on trouve des Maures, des Occidentaux et des Noirs de toutes les origines, les quartiers riches se situant au nord, les quartiers pauvres au sud. Il existe des quartiers mixtes et des quartiers à prédominance négro-mauritanienne, bien que, dans l'ensemble, les Maures soient majoritaires.

Les Maures sont majoritaires dans toutes les régions ou wilayas, à l'exception du Gorgol (à prédominance poular), du Brakna (à prédominance poular) et du Guidimaka (à prédominance soninké). Dans les faits, beaucoup de Mauritaniens, arabophones ou négro-africains, ont tendance à parler aussi la langue principale de la région où ils résident.  Par exemple, un arabophone peut s'exprimer en poular dans le Gorgol ou en wolof dans le Trarza. Le wolof sert souvent de langue véhiculaire pour les affaires avec le Sénégal (voir la carte).    

Les rivalités entre les Arabo-Berbères, traditionnellement dominants, et les Noirs, qui n'acceptent plus la domination des premiers, se sont exprimées violemment depuis les années 1980. L'ensemble des ethnies afro-africaines n'atteindrait pas les 20 %, car les Arabo-Berbères formeraient plus de 80 % de la population mauritanienne. Par contre, la plupart des représentants des communautés négro-mauritaniennes prétendent que les Noirs seraient majoritaires dans le pays. Pour eux, les Maures d'origine arabo-berbère constitueraient moins de 40 % de la population, probablement 33 %; les Négro-Mauritaniens, 33 %; les Haratins, 33 %. Pourtant, ce sont les Arabes qui gouvernent le pays depuis l'indépendance.

2.3 Les langues nationales

Contrairement à la plupart des pays d'Afrique, les langues nationales ne sont pas très nombreuses en Mauritanie. On ne compte que quatre grandes communautés linguistiques: l’hassanya, le poular (aussi pulaar, pular, peul ou fulfulde), le soninké et le wolof. Pour résumer, on peut dire que le nord du pays connaît un certain unilinguisme, alors que le Sud vit pleinement le multilinguisme. Sont attestées en Mauritanie des variantes de l'arabe et des langues négro-africaines telles que le wolof, le poular, le soninké, le bambara, etc., et des parlers français (français académique, français local et français populaire).

- La difficulté d'obtenir des données numériques valides

Il n'est pas aisé de recenser avec précision le nombre des locuteurs de chacune des langues parlées en Mauritanie, car les données statistiques gouvernementales d'ordre linguistique ne sont pas disponibles. Aucun recensement sérieux des langues n’a encore pu être effectué depuis au moins quatre décennies. La Mauritanie est l'un des rares pays au monde avec la Belgique où les données démographiques, quand elles existent, relèvent du secret d'État. Quant aux statistiques des organismes privés, elles ne concordent que rarement avec le nombre des locuteurs réels des langues.

Lors du quatrième recensement général de la population et de l’habitat de la Mauritanie effectué en 2013, trois questions portant sur les langues avaient été posées: la langue maternelle, les langues comprises et les langues lues et écrites. Or, les résultats concernant la langue maternelle n'ont jamais été divulgués afin d'éviter les tensions communautaires. Néanmoins, les résultats sommaires des «langues parlées, lues et écrites» du recensement de 2013, selon l'Office national de la statistique, sont disponibles:

- l'arabe : 50,8%
- le français : 14,5 %
- les autres langues : 9,4 %
- aucune langue: 36,3 %

Cette année-là, quatre personnes sur dix (39,8 %) parlaient, lisaient et écrivaient l’arabe, dont 39,9 % de femmes et 39,7 % d’hommes. L’arabe constituait ainsi la première langue parlée, lue et écrite. Cette langue était suivie du français et de l’arabe avec 11 % de la population, dont 13,7 % d’hommes et 8,5 % de femmes. Le français seul était faiblement parlé et écrit à hauteur de 3,5 %, dont 2,8 % pour les femmes et 4,2 % pour les hommes. Une proportion de 9,4 % de la population parlait d’autres langues, dont 7,8% pour les femmes et 11,2% pour les hommes.

Ces résultats pêchent par plusieurs lacunes. Non seulement les langues nigéro-congolaises, qui sont aussi lues et écrites par une partie de la population, n'ont pas été recensées, mais aucune donnée n'indique de quel arabe il s'agit. Or, l'arabe parlé en Mauritanie est l'hassanya, tandis que l'arabe écrit est l'arabe littéral.  

L'organisme américain Ethnologue révélait les résultats suivants pour 2013:

- l'arabe hassanya : 89%
- le peul : 7%
- le soninké : 5%

Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessous proviennent de l'organisme américain Joshua Project (ou Projet Josué) de 2023.

Ethnie Population     Pourcentage Langue parlée Affiliation linguistique Religion
Maure 3 954 000 82,3 % hassanya islam
Poular ou Peul    303 000  6,3 % poular islam
Soninké    248 000  5,1 % soninké islam
Tamasheq    133 000  2,7 % tamasheq islam
Bédouin     72 000 1,4 % hassanya islam
Bambara    24 000 0,4 % bambara famille nigéro-congolaise islam
Wolof     20 000 0,4 % wolof islam
Français       7 100 0,1 % français christianisme
Jola-Fonyi      5 000 0,1 % diola islam
Sérère      4 800 0,0 % sérère islam
Masna      2 800 0,0 % hassanya langue sémitique islam
Coréen      2 600 0,0 % coréen famille coréenne aucune
Wolof de Lébou      1 500 0,0 % wolof famille nigéro-congolaise islam
Zénaga      1 100 0,0 % hassanya langue sémitique islam
Imragen        900 0,0 % hassanya langue berbère islam
Britannique       500 0,0 % anglais langue germanique christianisme
Némadi      500 0,0 % hassanya langue berbère islam
Autres    20 000 0,4 %-
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Total 2023 4 800 800  100 %

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Le nombre de certains locuteurs des langues peut ne pas être exact dans le tableau ci-dessus. Si le nombre des locuteurs de l'hassanya, du poular, du soninké, du bambara et du wolof devrait correspondre assez près à la réalité, il n'en est certainement pas ainsi du tamasheq, une langue touarègue, dont le nombre ne devrait pas excéder 5000 (on indique ici 133 000). Le tamasheq est la langue des Touarègues des régions désertiques d'Afrique du Nord depuis des millénaires (Mauritanie, Mali, Libye, Algérie, Burkina Faso, Tunisie). Dans le cas présent, les statistiques semblent avoir confondu les membres de l'ethnie tamasheq et le nombre de ses locuteurs. Wikipedia dénombre 500 000 locuteurs dans le monde, dont 378 000 au Mali. 

Cependant, le mérite des données du Project Josué est de mentionner l’hassanya comme langue arabe. Si l'on additionne toutes les communautés qui l'utilisent comme langue principale, on en arrive à 4 030 200 locuteurs, soit 83,4%.

- Les variétés d'arabe

La langue officielle de la Mauritanie est, depuis 1968, l'arabe, sans qu'aucun texte juridique n'ait précisé de quel arabe il s'agit. Or, il faut distinguer au moins trois sortes d'arabe: l'arabe hassanya, l'arabe coranique et l'arabe standard moderne appelé aussi «arabe littéral». Dans les faits, l'intercompréhension mutuelle n'est pas facile entre l’hassanya et l'arabe coranique, mais elle n'est pas impossible; elle est nettement plus aisée entre l’hassanya et l'arabe moderne. D'après l'article 6 de la Constitution, l'arabe est à la fois la langue officielle et une langue nationale en Mauritanie. On ne mentionne pas quel type d'arabe, mais dans les faits c'est l'arabe moderne «littéral».

L’arabe standard/littéral correspond à la variante moderne de la langue arabe, c'est-à-dire celle qui est enseignée dans les écoles, par opposition à l'arabe classique associé à l'arabe du Coran. En Mauritanie comme dans d'autres pays arabophones, l'arabe moderne sert de langue d'enseignement à tous les niveaux, sauf dans l'enseignement supérieur scientifique où il est concurrencé par le français en Mauritanie. Cet arabe moderne standard est également la langue des productions littéraires, de la presse écrite, de la presse électronique, et de différents documents administratifs et judiciaires. C'est surtout la langue qui est employée dans les manifestations officielles et institutionnelles. Cette variété d'arabe n'est que très rarement en usage à l'oral, même de la part de ceux qui le maîtrisent et l'emploient dans la communication écrite. C'est donc l'arabe moderne standard qui sert de langue officielle écrite. Par conséquent, l'arabe moderne est l'une des deux langues utilisées avec le français en Mauritanie dans les textes et les documents officiels. Cela dit, ce terme d'arabe littéral semble revêtir une signification très élastique en fonction des circonstances. Par exemple, à la mosquée et dans les documents signés par les autorités religieuses, il se rapproche plutôt de l’arabe coranique. Beaucoup de contrats civils en Mauritanie sont certifiés par un imam.

L'arabe hassanya ou simplement l'hassanya est présent partout dans la vie quotidienne, mais il ne bénéficie d'aucun statut juridique parce qu'il est associé à l'arabe littéral, ce qui constitue presque la norme dans la quasi-totalité des pays arabes. L’hassanya n'est pas une langue écrite, sauf chez ceux qui l'étudient de façon scientifique, c'est-à-dire les linguistes, les grammairiens et les érudits. C'est donc une langue essentiellement orale, celle de la communication informelle chez la population maure du pays et chez beaucoup de locuteurs afro-mauritaniens comme langue seconde. C'est celle qu'on utilise dans les foyers entre les membres de la famille et dans les chansons populaires. L’hassanya est une variété d'arabe très influencée par le berbère, donc regroupant toutes les caractéristiques des langues afro-asiatiques.

Compte tenu de l'étendue du territoire occupé traditionnellement par les Arabes en Mauritanie, on peut estimer que l’hassanya est employé comme langue maternelle ou comme langue seconde par près de 90 % de la population. Malgré l'étendue de l'aire géographique dans laquelle il est parlé, l’hassanya est linguistiquement homogène. Ainsi, les locuteurs du Nord mauritanien n'ont aucune difficulté à communiquer avec ceux du Sud marocain parce que les différences sont minimes d'une région à l'autre. L’hassanya est aussi parlé au Maroc, au Sahara occidental, au Sénégal, en Algérie et au Mali. Paradoxalement, l’hassanya est totalement exclu de l'aménagement linguistique en Mauritanie, alors qu'il est la véritable langue nationale des Mauritaniens.

Selon les pays, cet arabe local peut porter différents noms: hassaniyya, hasanya, hassani, hassaniya, maure, mauri, moor, suraka, suraxxé.

L'arabe coranique est aussi appelé «arabe classique». Il n'est la langue maternelle d'aucun Mauritanien et il n'est pas utilisé comme véhicule spontané de communication, pas plus en Mauritanie que dans tout autre pays arabe. Pour un arabophone, l'arabe coranique demeure la langue de la prédication islamique et de l'enseignement religieux (la langue du Coran). En fait, cet arabe coranique tourne entièrement autour de la récitation du texte sacré souvent appris par cœur à défaut de parler réellement la langue.

L'arabe coranique est le résultat d'un effort de normalisation de la langue utilisée lors des deux premiers siècles de l'islam avec comme référent l'arabe du Coran et la tradition du prophète Mahomet. C'est donc une langue figée dans le temps depuis plus de 1000 ans, alors que toutes les populations arabophones ont continué à faire évoluer leur langue maternelle en une multitude de variétés locales: c'est ce qu'on appelle aussi l'arabe dialectal. Mais l'arabe coranique est l'outil symbolique de l'identité arabo-musulmane, une langue supranationale réservée à des usages formels et limités à certaines situations particulières.

En somme, pour faire face à toutes le situations de communications en arabe, il faut connaître l'arabe local, l'arabe littéral et l'arabe classique, trois variétés qui ne sont pas similaires, bien qu'il y ait des bases communes. 

- Les langues négro-mauritaniennes

En plus de l’hassanya, les langues nationales du pays comprennent des langues négro-mauritaniennes reconnues et non reconnues. Le poular, le soninké et le wolof font partie des langues nationales reconnues dans la Constitution. Il existe d'autres langues, dont le bambara, le sérère et le diola, mais elles ne bénéficient d'aucun statut, comme c'est le cas pour l’hassanya. Ces langues parlées par les ethnies noires dans le sud du pays appartiennent toutes aux langues nigéro-congolaises. Selon les données de Joshué, le nombre des locuteurs de ces langues serait de 605 500, soit 12,6 % de la population.

De plus, le pays abrite aussi des langues berbères telles le zénaga et le tamasheq. Depuis le milieu du XXe siècle, les berbérophones ne constituent que de faibles petites communautés, habitant dans le sud-ouest (zénaga) ou le sud-est (tamasheq) du pays. Lorsque ces locuteurs berbérophones parlent encore leur langue ancestrale, c'est généralement en plus de l'hassanya. Quant à l'imeraguen, c'est un isolat linguistique

Si l'on consulte la carte de gauche («Langues de Mauritanie»), on constatera que le nord du pays est massivement unilingue et parle l’hassanya qui est parlé également dans tout le Sahara occidental, dans le sud du Maroc et en partie dans le nord-ouest du Mali. Dans l'extrémité sud, le long des rives du fleuve Sénégal, la Mauritanie connaît une plus grande concentration d'habitants souvent majoritairement de race noire. Ainsi, les Négro-Mauritaniens vivent un certain plurilinguisme avec le poular, le soninké et le wolof, sinon le bambara et le diola, voire l’hassanya.

Si la Mauritanie présente un portrait linguistique complexe, ce n'est pas en raison du nombre de ses langues en présence, lequel est assez réduit par comparaison à des pays comme le Sénégal voisin ou le Cameroun, mais c'est à cause des enjeux culturels et politiques que masquent les rivalités ethniques.

- En résumé

L'arabe officiel, dont on ne nomme jamais le type, est l'arabe littéral qu'on ne parle pas, mais qu'on écrit. Tous les arabophones parlent l'hassanya, mais ne l'écrivent pas. L'arabe coranique est inutile dans la vie quotidienne, mais il est employé dans les activités religieuses et pour servir d'identité entre tous les Arabes. C'est similaire au latin de l'Église catholique chez les chrétiens à une autre époque. Il faut également préciser que la politique d'arabisation entreprise s’inscrit dans une grande politique de domination d’un certain clan qui a pris les rênes du pays au lendemain de l'indépendance et qui impose cette forme d'arabe officiel à toute la population. Presque toute la population mauritanienne en subit les conséquences, toutes ethnies confondues : Arabes hassanya, Peuls, Soninkés ou Wolofs. En somme, une toute petite minorité arabophone impose une langue à toute une population qui n'en veut pas.   

2.4 La place du français

Le français a été une langue officielle avec l'arabe jusqu'en 1991. Toutefois, malgré son absence de statut dans les documents juridiques officiels, le français a conservé une bonne partie de ses privilèges. Force est de constater que les langues nationales mauritaniennes — hassanya, poular, soninké et wolof — n’ont pas acquis d'autre statut que celui de «langues nationales», sans que cela n'implique une quelconque obligation pour l'État. De plus, ces langues nationales ne sont pas écrites et elles demeurent donc très peu enseignées. Les seules langues écrites en Mauritanie sont l'arabe littéral et le français. Il y aurait encore plus de 7000 ressortissants français en Mauritanie.

- Le français local

Il faut néanmoins mentionner la présence d'une variété de français appelée le «français local». Il s'agit du «français mauritanien» utilisé aussi bien à l'oral qu'à l'écrit et estimé comme étant «correct». Cependant, si à l'oral cette variété peut apparaître dans les communications elle se manifeste à l'écrit surtout dans la communication non officielle et plutôt privée, s'y mélangeant soit avec le français académique, soit avec le français populaire. Le français local de Mauritanie montre l'usage des ressources les plus usitées de la langue française, des extensions et des glissements de sens, des modifications mineures de la syntaxe, et un lexique plutôt réduit par rapport à celui de la langue française. On peut aussi distinguer deux sous-variétés différentes: celle des Maures et celle des Négro-Mauritaniens. La première montre l'influence de l'arabe, plus particulièrement de l’hassanya, les locuteurs étant arabophones. La seconde est surtout influencée par la langue wolof.

En Mauritanie, le français est employé à la radio, à la télévision et dans certains discours politiques. Il l'est aussi souvent par le fonctionnaire maure qui donne des explications à un citoyen d'une autre communauté linguistique. Il l'est particulièrement par les ressortissants français dans la communication avec les petits commerçants, les employés de maison, les militaires, etc. L'interlocuteur, dans huit cas au moins sur dix, ne comprend pas cette langue, ce qui crée le contexte qui donne naissance au français populaire.

- Un instrument de revendication ethnique

Contrairement à bien d'autres pays d'Afrique, le français ne sert pas comme langue d'unité nationale, car il est devenu davantage un instrument de revendication ethnique de la part des Négro-Mauritaniens contre l’arabe imposé et les communautés maures. Si le français n'entre pas en concurrence avec les langues nationales, il entre en compétition avec l'arabe littéral, surtout dans le domaine scolaire. Pour les populations négro-mauritaniennes, dont les locuteurs parlent une langue nigéro-congolaise, l'arabe officiel est perçu comme une politique d'assimilation, alors que le français devient un instrument de résistance. C'est dans le monde scolaire que se vivent les affrontements les plus visibles.  

2.5 Les religions
 

Au moment de l'accession à l'indépendance en 1960, la Mauritanie est devenue une république islamique. La Constitution de 1985 faisait de l'islam la religion d'État et de la Charia la loi du pays. Les Mauritaniens sont tous officiellement musulmans sunnites de rite malékite, mais en réalité le pays compte 99 % de musulmans. Bien qu'il existe quelques petites communautés chrétiennes, aucun organisme religieux autre que musulman n'est reconnu. Si la quasi-totalité des Mauritaniens est musulmane, ceux-ci ne sont pas tous arabes ni arabophones. De fait, les ethnies négro-africaines, les Toucouleurs, les Sarakolés, les Foulons, les Bambaras, les Peuls, les Wolofs et les Soninkés sont islamisés, mais ne se sont jamais arabisés; ils ont conservé leurs langues ancestrales.

L’appartenance commune à l’islam constitue le seul ciment unitaire dans un pays où les Négro-Mauritaniens subissent encore l’ostracisme de leurs compatriotes arabo-berbères qui les considèrent souvent comme des «Sénégalais», c'est-à-dire des citoyens de seconde zone. Si les dirigeants maures de la Mauritanie indépendante ont privilégié de manière récurrente l’identité arabe, ils ont réduit au strict minimum les références à l’«africanité» noire.

3 Données historiques

Les premiers habitants de la région furent des Noirs, les Bafours, qui pratiquaient la chasse, la pêche, l'élevage et l'agriculture. À partir du Ier millénaire de notre ère, les Noirs se replièrent plus au sud en raison du dessèchement du Sahara et parce que les conditions climatiques leur paraissaient plus clémentes. Ainsi, la Mauritanie fut donc habitée par des Noirs dès l'époque néolithique avant de connaître une triple pénétration berbère, arabe et européenne. Ces premières populations noires furent supplantées progressivement par des populations blanches venues d'Afrique du Nord, les Berbères. Leur arrivée allait durer plus de quinze siècles; possesseurs de chevaux et de chameaux, ceux-ci s'installèrent dans la région et assujettirent progressivement les agriculteurs noirs qui devinrent leurs esclaves.

3.1 La conquête arabo-musulmane
 

À partir du VIIe siècle, l'invasion arabo-musulmane provoqua une onde de choc qui allait marquer profondément la région. Son expansion s'appuyait sur le commerce transsaharien et l'islamisation des populations locales. Sous l'influence des Arabes, les Berbères se convertirent à l'islam sunnite, puis les populations noires animistes les suivirent. À partir de cette époque, le terme «Maure» devint synonyme de «musulman», qu'il soit d'origine berbère, arabe ou même ibérique.

Au Xe siècle, tous les Mauritaniens étaient islamisés, mais pas nécessairement arabisés, car il est resté des populations berbérophones, alors que la plupart des Noirs avaient conservé leurs langues nigéro-congolaises. Encore aujourd'hui, les Zénaga et les Tamasheqs parlent leur langue berbère. 

Vers 1400, des groupes arabes armés originaires de l'Arabie, les Hassanes (signifiant «les nobles»), pénétrèrent en Mauritanie, combattirent les tribus berbères et organisèrent le pays en émirats. Les Hassanes vainqueurs formèrent la classe noble et guerrière; ils firent adopter leur langue, l'hassanya, par les populations berbères islamisées qui, pour la plupart, délaissèrent progressivement leur langue ancestrale. À partir du XVe siècle, les Hassanes achevèrent d’arabiser la Mauritanie en modifiant considérablement la culture berbère initiale, même si cette arabisation s'est faite progressivement mais avec de fortes résistances sont fortes. Au XVIe siècle, les Berbères mauritaniens étaient totalement assujettis aux Arabo-Musulmans. C'est de cette époque que date la structuration en castes de la société mauritanienne. Au sommet, on trouvait les Berbères (les lettrés et marabouts) et les Arabes (les guerriers). Ensuite, c'étaient les esclaves noirs (les Haratins) auxquels étaient dévolues les tâches agricoles. L'arabe local intégra les langues berbères pour former l'arabe hassanya, la langue de la majorité des habitants de ce pays. En fait, il faut comprendre que, extérieurement aux conflits, les Hassanes arabophones se sont mélangés à la population berbère et/ou négro-africaine. Ce métissage a donné lieu au groupe actuellement majoritaire au Mauritanie, ceux qu'on appelle aujourd'hui les «Maures», qui sont finalement des Arabo-Berbères parlant l'hassanya.

Avant la colonisation française, l'arabe des Hassanes, l'hassanya, était la seule langue qui avait un statut dans l'enseignement non seulement en Mauritanie, mais aussi dans toute la région ouest-africaine. Les autres langues en présence, le poular, le soninké, le wolof, le bambara, etc., n'avaient qu'un usage vernaculaire avec comme résultat que l'enseignement, les pratiques religieuses, la correspondance écrite, ainsi que toutes les pratiques liées à l'écriture, demeurèrent l'apanage de l'arabe. Il y a donc toujours eu en Mauritanie un enseignement de base, essentiellement confessionnel, qui était donné aux enfants de 5 à 6 ans, où ils étaient initiés à l'alphabet arabe, ce qui leur permettait d'apprendre le Coran et, en même temps, à lire et à écrire l'arabe ancien. Cet enseignement coranique était offert en principe aux garçons et aux filles de toutes les catégories sociales. Il existait aussi un enseignement qu'on pourrait appeler «de second degré» destiné aux plus riches; on y étudiait des ouvrages élémentaires de la langue et de la littérature arabes, du droit musulman, de la théologie, de la grammaire, etc.

3.2 La colonisation européenne

Les premiers Européens qui arrivèrent en Mauritanie furent les Portugais. Ils s'y installèrent en 1448-1449 et fondèrent un établissement à Arguin sur le littoral atlantique. Ils s'enfoncèrent ensuite vers l'est où ils établirent des entrepôts destinés à conserver la gomme, leur principale matière première pour l'exportation. Mais les Portugais ne purent se maintenir très longtemps en Mauritanie, car ils furent supplantés par les Espagnols en 1580, lesquels en 1638 furent à leur tour délogés par les Hollandais. Plus tard, des Français installés à Saint-Louis-du-Sénégal s'emparèrent des comptoirs hollandais, mais ceux-ci furent pris par les Anglais durant les guerres napoléoniennes et restitués en 1814 lors du traité de Paris avec l'ensemble des établissements français de l'Afrique-Occidentale française.

- La présence française
 

Les Français pénétrèrent dans le pays qu'ils conquirent militairement en 1858 et l'administrèrent à partir de Saint-Louis (aujourd'hui au Sénégal). Ce fut d'abord la colonisation du Sud négro-africain qui s'est perpétuée jusqu'en 1891, suivie de la colonisation du Nord arabo-berbère de 1902 à 1919. Le raccordement administratif de ces deux territoires distincts donna naissance à la colonie française de la Mauritanie en 1920, laquelle fut rattachée à l'Afrique-Occidentale française et administrée depuis Saint-Louis-du-Sénégal, conjointement avec le Sénégal.

Pour la France, la Mauritanie, en raison de sa situation géographique, s'imposait comme un trait d’union entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. La colonie mauritanienne, biraciale et ethno-tribale, faisait cohabiter dans un même espace deux communautés qui avaient dans le passé été administrées par des pouvoirs spécifiques. Il y avait le «pays maure» et le «pays du fleuve» Sénégal.

C'est en ce sens qu'on peut parler de «frontière artificielle», car la Mauritanie coloniale — à l'exemple de bien d'autres colonies d'Afrique — fut créée et tracée sans tenir compte des peuples qui la composaient. Sans l'intervention de la France, la Mauritanie n'aurait jamais existé, le territoire ferait probablement partie du Maroc ou du Mali, ou d'une partie des deux.  

- La politique de francisation

La politique de l'enseignement colonial fut initialement élaborée par le gouverneur général de l'Afrique-Occidentale française, Ernest Nestor Roume, en poste de 1902 à 1907. Dans un décret en date du 24 novembre 1903, il résumait ainsi la politique coloniale:
 

La colonisation devenait dès lors une conversion des peuples à la civilisation. Dans l'enseignement cela signifiait l'implantation dans les pays d'outre-mer de l'école française avec ses programmes, sa législation, son personnel, sa langue.

Étant donné le caractère biracial de la population mauritanienne, celle des Maures et celles du fleuve Sénégal, les autorités coloniales considérèrent qu'il valait mieux adapter l'enseignement à cette réalité. Dans un rapport destiné au gouverneur de la Mauritanie, l'inspecteur André Charton préconisait une adaptation particulière en mars 1932 :

La Mauritanie reste du point de vue scolaire dans une situation tout à fait particulière. Il ne peut être question de la comparer aux autres colonies du groupe. Les nécessités de la pénétration et de la pacification, la difficulté des communications, la pénurie des ressources, la résistance musulmane à l'influence par l'éducation française ont longtemps retardé ou ralenti les progrès de l'enseignement.

Mais la résistance musulmane dont il est question s'expliquait alors par une hostilité manifeste de la part des Maures à la colonisation en général et surtout à l'école française. Il ne restait qu'à trouver et appliquer en matière scolaire les formes d'enseignement censées convenir à chaque région, surtout les régions du Nord par rapport aux régions du Sud. Les autorités coloniales en arrivèrent à imposer en Mauritanie deux systèmes d'enseignement, dont l'un était destiné aux populations négro-mauritaniennes du Sud, et qui correspondaient à ceux utilisés dans les colonies voisines d'Afrique de l'Ouest. L'autre système d'enseignement s'adressait aux Maures et s'inspirait de l'enseignement pratiqué en Afrique du Nord, notamment en Algérie. Très tôt, la politique scolaire est devenue ségrégationniste en distinguant les «écoles de village» réservées aux Noirs et les «écoles franco-arabes» (les médersas) destinées aux fils de chefs et de notables maures.

En 1909, le gouverneur de l'Afrique-Occidentale française, Amédée William Merlaud-Ponty, en poste de 1908 à 1915, décrivait ainsi la politique scolaire :

Toutefois, il ne saurait être question de favoriser le développement des écoles coraniques en Mauritanie et l'influence politique de la classe maraboutique. Ils pourraient profiter de cette protection officieuse pour s'efforcer à notre insu de satisfaire leurs ambitions personnelles. Il est indéniable que nous devons nous efforcer non d'accroître l'importance des marabouts, mais de répandre la langue et les idées françaises parmi nos ressortissants.

Cet enseignement dans les écoles coraniques était généralement donné par des marabouts. Pour les Français, les marabouts étaient considérés comme de simples sorciers ou des envouteurs à qui les musulmans prêtaient des pouvoirs de voyance. Ils enseignaient à lire et à écrire quelques mots d'arabe, et à réciter par cœur des passages entiers du Coran que d'ailleurs ils ne comprenaient pas. Ils étaient en général rétribués par leurs élèves, à raison de quelques centimes par semaine. En 1903, le gouvernement français tenta de laïciser cet enseignement en imposant des cours de français aux marabouts.

- La ségrégation dans l'enseignement

De façon générale, les Noirs, généralement sédentaires, se sont montrés plus réceptifs à la scolarisation française, avec comme conséquence que les Français les ont favorisés en formant exclusivement en français une élite destinée aux écoles et à l'administration. Les Noirs ont pu ainsi bénéficier d'un système dont l'enseignement était entièrement francisé, alors que les Maures recevaient un enseignement bilingue (français et arabe) ou exclusivement arabe. De plus, parce qu'il y avait des Maures nomades et des Maures sédentaires, les autorités coloniales décidèrent de créer des «écoles de campement» destinées aux nomades. Les programmes des classes françaises correspondaient à ceux de l'enseignement primaire des écoles coloniales, alors que dans les classes arabes ils portaient sur l'étude de l'arabe littéraire, du droit coranique et de la religion islamique.

Après plusieurs années d'expérience peu encourageantes, les rapports furent unanimes sur le quasi-échec des écoles de villages et des «écoles de campement» destinées aux Arabes. En fait, très peu d’enfants arabophones ont pu être scolarisés, contrairement aux enfants négro-africains qui se sont montrés beaucoup moins réfractaires à l'enseignement français. Le colonisateur avait imposé le français comme langue administrative, mais les Maures ont souvent boycotté les écoles françaises en guise de résistance passive. Les autorités françaises tentèrent de dissuader les Maures de boycotter l'école coloniale au moyen de dispositions réglementaires prévoyant des amendes, des jours d'emprisonnement ou des mises à pied contre les parents récalcitrants. Dans les années 1950, le gouvernement colonial envisagea de suspendre la solde des chefs mauritaniens réputés «indociles».

Durant la période coloniale, aucune formation technique n’était offerte en Mauritanie. Quant à l'enseignement supérieur, il se passait l’essentiel à l’étranger, c'est-à-dire en France ou au Sénégal, au Maghreb, au Proche-Orient, etc.

- Un territoire d'outre-mer

La Mauritanie devint un territoire d’outre-mer en 1946, prélude à une évolution vers une autonomie croissante. L'esclavage traditionnel fut officiellement aboli, mais demeura ancré dans les mentalités mauritaniennes. Puis, en 1947, un décret colonial autorisa officiellement l’uniformisation de l’enseignement en Mauritanie en octroyant six heures d’enseignement de l’arabe en tant que langue vivante et de culture, non pas comme langue religieuse de l’islam. Cet enseignement de l'arabe souleva des protestations répétées de la part des représentants négro-mauritaniens, jusqu’à ce que cet enseignement soit réduit à trois heures.

En 1957, la ville de Nouakchott, située au bord de l'océan Atlantique, devint la capitale mauritanienne en lieu et place de Saint-Louis-du-Sénégal. À cette époque, la ville qui n'était qu'un simple petit fort, comptait 500 habitants. La population était estimée à 8000 en 1980 et à 800 000 en 2014. Dans le cadre de la Communauté créée par la Constitution française de la Ve République, le territoire de Mauritanie devient la République islamique de Mauritanie le 28 novembre 1958. 

3.2 La Mauritanie indépendante

En tant que république islamique, la Mauritanie instituait dans sa constitution l'islam comme religion d'État ou de la nation. Cependant, la Mauritanie plaçait sa législation islamique sous tutelle de sa constitution en n'appliquent la Charia que partiellement.
 

La Mauritanie fut la dernière des républiques de la Communauté française à devenir indépendante, le 28 novembre 1960, malgré l'opposition du Maroc et de la Ligue arabe unie, qui prétendirent que le pays faisait «partie intégrante du Maroc» et refusèrent de reconnaître l'existence du nouvel État. Il faudra attendre en 1970 avec la signature d'un traité à Casablanca pour mettre un terme aux revendications marocaines.

Le président Moktar Ould Daddah, mis en place  par la France et considéré aujourd'hui comme «le père de la nation», adopta en 1964 une constitution qui faisait de la Mauritanie un État monopartite à régime présidentiel autoritaire : le Parti du peuple mauritanien devint alors le seul parti politique autorisé. Moktar Ould Daddah, un arabophone de la région du Trarza, allait diriger le pays jusqu'à son renversement par des militaires, le 10 juillet 1978. Le règne sans partage de ce premier président mauritanien sera émaillé par plusieurs crises majeures. Pendant toutes ces années, l’opposition fut durement réprimée

- La revendication de l'arabité

Plusieurs années avant l'indépendance, une partie de l'élite arabe mauritanienne s'était exilée en Égypte, en Algérie, en Syrie, en Irak, etc. Cette élite avait reçu une formation prônant une idéologie revendicatrice de l'identité arabe dont les luttes étaient axées contre le colonisateur. Parmi les différents courants de pensée, le nassérisme (< président égyptien Gamal Abdel Nasser) et le baassisme (< Parti Bass de Syrie), qui proposaient l'unification des États arabes en une seule et grande nation, influencèrent fortement les Mauritaniens musulmans exilés. Ces deux mouvances idéologiques réussirent dans certains cas à favoriser des progrès économiques et politiques dans un monde arabe qui se débattait encore contre le colonialisme, sans pour autant renier les grandes valeurs traditionnelles de l'islam. Cependant, une fois retournés dans leur pays, les disciples mauritaniens du panarabisme, devenus ministres, gouverneurs, colonels, inspecteurs de police, etc., allaient rapidement se transformer en adeptes de l'assimilation à l'arabe et de la xénophobie. 

Le président Moktar Ould Daddah dut ainsi faire face aux pressions des éléments arabes traditionnels qui rêvaient d’ériger une théocratie au sein de laquelle les rênes du pouvoir appartiendraient à quelques familles guerrières et maraboutiques. En même temps, l'élite négro-mauritanienne, en raison de sa plus grande connaissance du français, avait pu jusqu'alors occuper les postes importants, réduisant à un rôle second les représentants de la population arabe. Au moment de l'indépendance, deux choix politiques se présentèrent au gouvernement du président Moktar Ould Daddah :

1) jouer son rôle d'«État-frontière» et devenir le trait d'union entre l'Afrique du Nord maghrébine et l'Afrique noire;
2) se proposer comme un pays exclusivement arabe puisque le pouvoir était confié à l'ethnie maure.  

Au début, le président Moktar Ould Daddah tenta de concilier le multiculturalisme ethnique en le teintant d'arabité et d'africanité. En 1957, dans un discours à Atar, Moktar Ould Daddah avait lancé un appel à l'unité nationale de la Mauritanie: «En un mot, et si nous le voulons, avec l'aide d'Allah, la Mauritanie sera demain un carrefour où se rencontreront et coexisteront pacifiquement des hommes de toutes origines.» Lors de l'élaboration de la future Constitution mauritanienne, le nouveau gouvernement choisit le français comme langue officielle et l'arabe comme langue nationale:
 

Constitution de 1959 [abrogée]

Article 3

La langue nationale de la Mauritanie est l'arabe. La langue officielle est le français.

Le gouvernement espérait ainsi concilier les intérêts des Arabo-Berbères et des Négro-Mauritaniens. Mais la Constitution de 1961 fut révisée à six reprises entre 1964 et 1970; elle allait régir la Mauritanie jusqu'au 10 juillet 1978. L'article 3 de 1959 fut réintroduit tel quel dans la Constitution de 1961.

- Le mouvement du panarabisme

Toutefois, la Mauritanie ne put résister à la vague du panarabisme qui envahit tout le Maghreb, surtout l'Algérie, mais aussi l'Égypte et la Libye au début de la décennie de 1960. Ainsi, pour rejoindre les pays arabes, le président Moktar Ould Daddah décida dès 1966 d'arabiser entièrement son pays. La Loi constitutionnelle n° 68-065 du 4 mars 1968 modifiant les articles 3, 47 et 53 de la Constitution transforma le statut des langues dans la Constitution de 1968 :
 

Constitution de 1968 [abrogée]

Article 1er

Les dispositions de l'article 3 de la loi n° 61.095 du 20 mai 1961, portant Constitution de la République islamique de Mauritanie, sont abrogées et remplacées par les dispositions suivantes :

« Art. 3. La langue nationale est l'arabe, les langues officielles sont le français et l'arabe. »

Dès cette année-là, l'arabe (sans préciser lequel) est devenu co-officiel avec le français dans la Constitution. La colonisation française avait eu pour effet de couper la Mauritanie du Maghreb arabe, dont les pays voisins, le Maroc et l'Algérie, c'est-à-dire du monde arabe auquel elle appartenait tant au point de vue ethnique que culturelle. Pendant un siècle, le pays avait été rattaché complètement à l'Afrique noire française dans le cadre de l'Afrique-Occidentale française. Il était normal que les arabophones mauritaniens allaient vouloir reprendre la place qui leur était due. En fait, la nouvelle politique linguistique devait faire de l'arabe une langue bénéficiant d’un statut égal à celui du français, c’est-à-dire non seulement une langue dite officielle qu'on pouvait utiliser dans l’administration, mais aussi une langue d'usage normal de l’enseignement moderne. Cependant, si la Loi constitutionnelle n° 068065 reconnaissait l'arabe comme langue nationale, rien dans la loi ne mentionnait les autres langues tels le poular, le soninké ou le wolof.

- L'arabisation dans l'enseignement

En 1965, il y eut une première réforme de l’enseignement décrétée par le président Mokthar Ould Daddah. Mais l'arabisation pouvait aussi entraîner des risques. Cette réforme voulait introduire plus d'arabe dans le système d’enseignement, car les arabophones se trouvaient défavorisés dans un système massivement francophone. Convaincu que le bilinguisme franco-arabe était la meilleure solution, le gouvernement mauritanien émit un décret d'application prescrivant l'étude de l'arabe dans l’enseignement secondaire, ce qui provoqua un soulèvement de la part des populations négro-mauritaniennes. Il faut comprendre que cet arabe n'était pas l'arabe hassanya, mais l'arabe littéral peu employé jusqu'alors. Les élèves noirs des établissements d'enseignement de Rosso et de Nouakchott se mirent en grève contre le décret d'application de la loi du 30 janvier 1965, qui rendait obligatoire l'enseignement de l'arabe dans le second cycle. Une vingtaine de hauts fonctionnaires se solidarisèrent avec le mouvement et publièrent un manifeste accusant le gouvernement de faire basculer la Mauritanie dans l'arabité; ils furent suspendus et arrêtés, avant d'être finalement libérés.

Cette réforme de l'enseignement se caractérisait par l'instauration d'une classe d'initiation à l'arabe pour tous les Mauritaniens. Il s'agissait d'une classe supplémentaire au cycle primaire qui passait alors de six à sept années, une classe appelée «enseignement fondamental». La rivalité entre les Négro-Mauritaniens et les Arabes s'accentua dans les années qui suivirent, car les Noirs y virent un moyen de les marginaliser, ce qui pouvait les priver de l’accès aux hauts postes administratifs. Les Arabes, qui avaient été méprisés à l'époque coloniale, semblaient vouloir prendre leur revanche sur les Noirs en leur imposant la langue arabe au mépris de leur langue maternelle africaine.

En même temps, la Mauritanie se détacha de l'Afrique noire en se retirant de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM), qui regroupait alors 14 États francophones (Cameroun, République centrafricaine, Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Côte d’Ivoire, Dahomey, Gabon, Haute-Volta, Madagascar, Niger, Rwanda, Sénégal, Tchad et Togo).

Au final, la réforme de l'enseignement ne provoqua que des insatisfactions : pendant que les Arabes, très attachés à la culture arabo-islamique, trouvaient que le rythme dans le processus d'arabisation était beaucoup trop lent, les Négro-Mauritaniens refusaient l'enseignement de l'arabe parce que ce n'était pas leur langue maternelle. Pendant que les partisans du statu quo avaient à défendre leurs intérêts dans un système où les postes étaient répartis en fonction de leur connaissance du français, les militants de l’arabisation, nouveaux venus dans l'administration, désiraient, eux aussi, prendre part aux fonctions de l'État. Le 4 janvier 1966, les élèves noirs des établissements d'enseignement de Nouakchott déclenchèrent une grève «illimitée» afin de vue de faire supprimer les mesures rendant obligatoire la langue arabe dans l'enseignement du second degré. Le tout dégénéra rapidement en conflit ethnique en opposant, d'une part, les arabophones, d’autre part, les locuteurs des langues nigéro-congolaises (poular, soninké et wolof). Dans ces conditions, la réforme de l'enseignement ne pouvait qu'aboutir à un échec, les Négro-Mauritaniens considérant l'arabe comme une langue d'oppression et d'assimilation, qui menaçait leur identité africaine.

Finalement, le ministère de l'Éducation se rendit compte que les élèves ne maîtrisaient aucune des deux langues, ce qui entraîna la raillerie suivante: «Le bilingue est celui qui ne sait ni le français ni l'arabe!» À la suite d'une longue période de sécheresse durant les années 1970, les populations nomades maures et sédentaires noires durent affluer vers les villes, ce qui accentua les tensions ethniques. Mais le gouvernement fit la sourde oreille aux revendications de la communauté noire. Les instances dirigeantes du pays, maintenant toutes arabophones, décidèrent d'entreprendre une politique d'arabisation plus intensive. Pour les dirigeants mauritaniens, l'indépendance politique du pays devait s'accompagner d'une indépendance culturelle qui passait nécessairement par la promotion de la seule langue arabe (laquelle?). Il faut comprendre que l'arabisation touchait autant les arabophones de l'hassanya que les locuteurs afro-mauritaniens, car aucune communauté ne parlait cet arabe imposé, bien que les arabophones puissent y trouver plus leur compte en raison de la proximité linguistique.   

- La promotion plus intensive de l'arabe

En juin 1973, ce fut la rupture avec la France et le rapprochement avec l'Algérie, la Tunisie, la Libye et l'Irak. La même année, la Mauritanie intégrait la Ligue arabe unie. Ce fut aussi la création d'une monnaie nationale, l'ouguiya, et le début de la nationalisation de certaines grandes entreprises étrangères. Le bilinguisme franco-arabe passa à l'unilinguisme arabe et tout l'enseignement fondamental fut arabisé, alors que le français ne fut introduit qu'en troisième année comme «langue étrangère». Les deux tiers de l'enseignement furent attribués à l'arabe, contre un tiers pour le français. L'enseignement secondaire fut réparti en deux filières: une filière arabisante et une filière bilingue à dominante française. Dans la filière arabe, tout l'enseignement devait être donné en arabe, le français y conservant le statut de première langue étrangère obligatoire avec cinq heures par semaine durant les trois années du premier cycle, trois heures en 4e et en 5e année et deux heures en 6e année. Dans la filière bilingue, l'enseignement devait se faire en français (dans toutes les disciplines) à raison de 19 heures par semaine dans les trois premières années et de 24 heures dans les années suivantes, avec respectivement 11 heures et 6 heures d'arabe.

Cette réforme eut encore pour effet de renforcer davantage les clivages ethniques entre arabophones et non-arabophones. Si, pour les populations arabes, le français était perçu comme un symbole d'aliénation culturelle, il était considéré par les autres comme un moyen de résistance à l'assimilation arabe. Cette politique d'arabisation plus intensive fut accompagnée d'une politique de recrutement massif d'enseignants arabophones venus de l'étranger. La plupart de ces enseignants venaient des mahadras où l'on pratiquait un enseignement séculaire du Coran. La pédagogie consistait à utiliser des moyens très simples et limités afin de faire réciter le Coran aux élèves en se basant essentiellement sur leurs capacités mnémoniques. Ce type d'enseignement constituait un facteur d'unité et d'intégration en Mauritanie du Nord et dans le reste du monde musulman. Cette éducation était même perçue comme une obligation sans laquelle l'intégration sociale des enfants devenait difficile.

Encore une fois, la réforme de 1973 fut de courte durée, car en 1975 le déclenchement de la guerre du Sahara occidental enfonça le pays dans de graves difficultés. Cette guerre opposait le Maroc et la Mauritanie au Front Polisario ("Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro") soutenu par l'Algérie sur le territoire du Sahara occidental à la suite du retrait de l'Espagne du Sahara espagnol qu'elle avait convenu de céder au Maroc et à la Mauritanie lors des accords de Madrid (14 novembre 1975). Cette crise fut fatale au prestige personnel du chef de l'État mauritanien, Moktar Ould Daddah, qui maintenait un semblant de cohésion nationale. Finalement, le 10 juillet 1978, les militaires s'emparèrent du pouvoir lors d'un coup d'État dirigé par le colonel Moustapha Ould Mohamed Salek.

- L'intensification de l'arabisation par les militaires 

À partir de 1978, et jusqu'au mois d'avril 1992, le pays fut gouverné par un comité d’officiers militaires. Les nouveaux dirigeants, sous la coupe du Comité militaire de salut national (CMSN), radicalisèrent la politique linguistique de la réforme de 1973. Les autorités mauritaniennes remplacèrent officiellement le terme «Arabo-Berbère» par le mot «Arabe». La circulaire n° 002 d'avril 1979 du ministère de l'Enseignement fondamental et de l'Enseignement secondaire accrut la place de l'arabe et des disciplines enseignées dans cette langue. Cette politique d'arabisation entraîna des grèves à répétition.

Afin d'apaiser les tensions, le Comité militaire de salut national annonça la création d'un institut de transcription et développement des langues nationales. Ce fut le décret n° 79.348/PG/MEFS portant création d'un Institut des langues nationales (1979). Le nouvel Institut eut pour missions la transcription de langues nationales en caractères latins, puis la préparation de l'instauration de ces langues (poular, soninké et wolof) dans le système d'éducation mauritanien :

Article 2

L'Institut des langues nationales a pour mission d'organiser, de coordonner et de promouvoir l'ensemble des recherches appliquées dans le domaine de toutes les langues nationales. Dans ce cadre, il est chargé, dans une première phase, de préparer l'introduction dans l'enseignement des langues PULAAR, SONINKÉ et WOLOF, d'assurer la formation du personnel et l'élaboration du matériel pédagogique, d'étudier les incidences pratiques et financières de cette introduction et les problèmes posés par l'utilisation de ces langues dans les différentes fonctions linguistiques (langues de l'enseignement, langues de l'information et des moyens de communication, langues de l'économie et du travail, etc.).

L’Institut des langues nationales (ILN) fut créé afin d'élaborer une expérimentation des langues nationales pour une durée de six ans avant de mettre en œuvre cette mesure, le temps d'arrêter l’alphabet de ces langues à tradition orale. Cette officialisation de la part du Comité militaire de salut national ne concernait que le système d'éducation sur la base d'un enseignement de toutes les langues nationales. Quoi qu'il en soit, l'officialisation tomba vite dans l'oubli. Dès le départ, l'ILN connut des problèmes au point de vue financier et matériel, ainsi que sur le plan des ressources humaines. D'ailleurs, l’institut sera aboli en 1999 et rattaché au Département des langues au sein de l’Université de Nouakchott, devenant le Département des langues nationales et de linguistique.

Le Comité militaire de salut national (CMSN) décréta en décembre 1980 l'arabe comme seule langue officielle du pays. Toutefois, pour éviter des réactions trop violentes de la part des minorités négro-mauritaniennes, le Comité reconnut par des «mesures transitoires» aux trois principales langues négro-mauritaniennes le statut de «langues nationales» et au français celui de «langue étrangère privilégiée», ce qui signifiait en principe une forme de bilinguisme, de sorte que, si des parents choisissaient pour leur enfant une première langue d'enseignement, l'autre devenait nécessairement une langue seconde obligatoire. Évidemment, l'hassanya, la variété d'arabe parlée par tous les Mauritaniens arabophones, ne fut jamais évoqué, puisqu'il était assimilé à l'arabe standard officiel.

Toujours en 1980, la Charte constitutionnelle du Comité militaire de salut national instituait un pouvoir collégial. Par la Chartre, le Comité militaire de salut national détenait le pouvoir législatif, déterminait la politique générale de la nation, orientait et contrôlait l'action du gouvernement.  En 1981, le décret 81.072 /PG/MEN fixant les alphabets et la transcription des langues nationales prescrivit l'alphabet latin pour le poular, le soninké et le wolof. Le ministre de l’Éducation nationale à l’époque, Hasni Ould Didi, présentait ainsi en 1984 la nouvelle orientation politique du gouvernement devant la Commission nationale de la réforme de l’enseignement :

Les langues nationales doivent prendre place dans le système éducatif et être utilisées comme véhicule du savoir sous toutes ses formes au fur et à mesure que cela deviendra possible, suivant les progrès qui seront réalisés dans leur développement. Mais il est indispensable que vous compreniez tous que cette décision n’est pas une mesure politicienne qui cache un calcul sordide et sans lendemain. Toutes nos langues nationales font partie de notre patrimoine culturel et sont le moyen de communication d’une partie de notre peuple. Nous ne pouvons retrouver notre identité nationale si une partie de notre culture est négligée.

Ce statut officiel se voulait temporaire, car il fallait attendre aussi une reconnaissance législative qui n'est jamais venue. En fait, depuis le coup d’État de juillet 1978, la concentration de la plupart des pouvoirs économiques, politiques et militaires fut entre les mains de la majorité arabo-berbère (maure). L'armée mauritanienne devint une véritable fonction publique parallèle qui dirigeait le pays et qui avait réussi à écarter et à marginaliser la communauté noire de tous les centres de décision. Cette période militaire constitue parenthèse sombre pour l'histoire politique de la Mauritanie, car elle est caractérisée non seulement par une instabilité politique, mais par la cristallisation de la dictature militaire et les manipulations institutionnelles.

- La tentative d'enseignement des langues nationales

À la rentrée scolaire de 1982, une douzaine de classes expérimentales en poular, en soninké et en wolof furent mises en place pour l’enseignement fondamental à Nouakchott et dans la région du fleuve Sénégal où les populations négro-mauritaniennes étaient les plus nombreuses. Néanmoins, la politique d'arabisation se poursuivit dans l'enseignement fondamental qui s'ouvrit en deux filières: l'une en arabe, l'autre bilingue, sur le modèle de l'enseignement secondaire. Le français fut introduit dans les deux filières en deuxième année avec 20 heures de français pour l'option «arabe» et 55 heures d'arabe pour l'option «bilingue». En fait, les enfants maures furent systématiquement orientés vers la filière «arabe», alors que les enfants négro-mauritaniens avaient le choix.

Au cours de la même période, soit de 1982 à 1988, le poular, le soninké et le wolof furent enseignés comme langues secondes aux enfants de la filière arabe, avec 14 classes à Nouakchott, à Rosso et à Kaédi. Cette politique présentait l'avantage de calmer les revendications des Noirs qui étaient opposés à l'arabisation forcée. Quant au français, il conservait son rôle de langue de résistance chez les Noirs.

Par la suite, l'enseignement des langues nationales fut progressivement délaissé, l'État n'ayant pas les moyens de ses ambitions. En l'absence de volonté politique, cette expérience allait se terminer sans lendemain et l'officialisation des langues nationales est demeurée un vœu pieux. Dans les faits, l'enseignement des langues nationales ne dépassa jamais le stade de l’expérimentation; elles seront définitivement fermées à la fin de 2004. De toute façon, beaucoup de Négro-Mauritaniens ont fini par considérer que cet enseignement constituait un «ghetto» qui les privait du français.

- Un autre coup d'État

Le 12 décembre 1984, un nouveau coup d’État renversa Mohamed Khouna Ould Haidalla et porta Maaouiya Ould Taya au pouvoir. En 1986, des intellectuels noirs dénoncèrent, dans un document intitulé «Le manifeste du Négro-Mauritanien opprimé», le système politique raciste en Mauritanie. Ils furent aussitôt arrêtés et emprisonnés. Les autorités mauritaniennes procédèrent ainsi à l'épuration de l'administration et des entreprises publiques de leurs éléments noirs dans le but de «dénégrifier» le pays. Les Négro-Mauritaniens du Sud virent leurs villages détruits, leurs biens confisqués et ils furent massivement déportés vers le Sénégal et le Mali, ce qui s'apparente à une forme de génocide.

D'ailleurs, dans un discours prononcé en 1989, le président Ould Taya admettait formellement que la Mauritanie était un «pays arabe». De fait, il œuvra beaucoup pour rattacher son pays au monde arabe et à le distancer de l’Afrique noire.

En 1989, des revendications pour un meilleur équilibre en faveur des groupes négro-africains entraînèrent une forte tension avec le Sénégal : des dizaines de milliers d'éleveurs noirs furent expulsés vers le Sénégal, qui renvoya parallèlement dans leur pays quelque 100 000 Mauritaniens vivant au Sénégal. Pendant ce temps, les communautés maures et négro-africaines s'affrontèrent violemment et dégénérèrent en émeutes raciales.

À la suite d'incidents demeurés encore obscurs aujourd'hui, plusieurs centaines de cadres militaires négro-mauritaniens furent arrêtés, sinon torturés, et un grand nombre, exécutés. Ces événements qui se sont produits en 1989 et ceux qui ont suivi étaient pourtant prévisibles : ils sont la suite logique de la politique raciste appliquée en Mauritanie depuis l'indépendance et fondée sur l'appropriation par la communauté maure de tous les leviers du pouvoir. Les événements qui se sont déroulés en Mauritanie entre 1989 et 1992 présentent les caractéristiques d'un génocide, selon les termes retenus par les Nations unies. De novembre 1990 à février 1991, de 500 à 600 prisonniers politiques noirs furent exécutés ou torturés à mort par les forces gouvernementales. Les victimes faisaient partie des quelque 2500 Noirs arrêtés sans inculpation, détenus au secret et soumis à de violentes violences physiques.  L'hostilité entre la Mauritanie et le Sénégal provoqua une éruption de violences ethniques et de meurtres qui conduisirent rapidement à l'expulsion de dizaines de milliers de noirs de Mauritanie, accompagnées d'exécutions extrajudiciaires généralisées, d'arrestations arbitraires, de torture, de viols et de confiscations de biens. À la fin de 1993, les Nations unies estimaient le nombre de réfugiés mauritaniens au Sénégal à environ 52 500 et au Mali à environ 13 000. Ces chiffres réels étaient probablement beaucoup plus élevés, car ce nombre ne reflétait que ceux qui se s'étaient officiellement enregistrés auprès des autorités locales et ne prenait pas en compte les milliers de personnes vivant chez des proches du côté sénégalais du fleuve.

L'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1948, affirme :

Article 2

Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

Critiqué par la communauté internationale pour son non-respect des droits de l'homme, le gouvernement mauritanien fit promulguer une nouvelle constitution en 1991 et instaura officiellement le multipartisme. Le Parti républicain démocratique et social (PRDS), le parti de Maaouiya Ould Taya, gagna les premières élections multipartites en avril 1992 avec 67,02 % des voix. Taya fut réélu à la tête de l'État en 1997.

- La réforme scolaire de 1999

La question linguistique revint à l'ordre du jour lors du discours à la nation, le 28 novembre 1998, du président Maaouya Ould Taya. Celui-ci  annonça une autre réforme (officiellement la cinquième) menée autour de deux grands principes : l'un concernait l'unité de la nation, l'autre l'ouverture au monde. Cette réforme tentait de remédier aux lacunes passées en unifiant le système d'éducation par la suppression d'une des deux filières existantes, soit l'arabe et la bilingue. Au printemps de 1999, conformément à la loi n° 99-012 du 26 avril 1999 relative à la réforme du système éducatif national, la réforme pouvait être résumée de la manière suivante concernant l'enseignement des langues :

1) la mise en place d'une filière unique avec l'arabe et le français devenu «langue d’ouverture» pour l’enseignement des disciplines scientifiques;
2) le renforcement des langues étrangères avec l’anglais dès la première année du cycle secondaire;
3) la création d’un département des langues nationales au sein de l’université de Nouakchott pour la promotion du poular, du soninké et du wolof.
4) le français bénéficiait du statut de «langue d’enseignement», car toutes les matières scientifiques devaient être données en français au secondaire.

En décidant de mettre fin au système dualiste qui favorisait une situation de quasi-apartheid entre les élèves d'origine ethnique différente, le gouvernement prit le risque de supprimer la filière bilingue au profit de la filière arabe. La réforme prévoyait l'introduction du français dès la seconde année de l'enseignement fondamental (comme dans l’ancienne filière bilingue) et l'adoption progressive du français comme langue d’enseignement des matières scientifiques. Cette réforme se voulait probablement plus équilibrée et plus réaliste, mais les partisans de l'arabisation intégrale s'y opposèrent de même que les Négro-Mauritaniens dits extrémistes.

D'une part, les arabisants désapprouvaient la «francisation du système éducatif» et s'indignaient du «retour à l'oppression culturelle», d'autre part, les Négro-Mauritaniens considéraient que les «matières culturelles» (philosophie, langue; histoire, géographie, instruction civique, morale et religieuse, droit, etc.) les acculturaient par l'enseignement en arabe. Les Mauritaniens se retrouvaient donc avec un double échec. Il s'agissait, durant la colonisation, des efforts de l’administration française pour promouvoir le français, après l'indépendance de l’administration mauritanienne pour favoriser l’arabe. En même temps, le gouvernement remplaçait l’Institut des langues nationales par un département chargé des langues nationales et de la linguistique (art. 12 de la loi n° 99-012 du 26 avril 1999), directement rattaché à la faculté des Sciences humaines.
 

Article 12

Dans le cadre de la poursuite de la promotion et du développement des langues nationales, poular, soninké et wolof, il est créé au sein de l’Université de Nouakchott, un Département des langues nationales.

Les langues nationales furent ainsi reléguées au statut de «langues de laboratoire», n'étant enseignées et analysées qu'à l'université. Toutefois, les politiques d'arabisation élaborées jusqu'alors en Mauritanie n'ont jamais tenu compte du pouvoir de résistance des minorités linguistiques d'origine négro-mauritanienne. C'est d'ailleurs la plus grande lacune de toutes les politiques d'arabisation tenues ailleurs dans le monde arabe, que ce soit au Maroc, en Algérie ou en Tunisie.

En août 2005, le Conseil militaire pour la justice et la démocratie, dirigé par Ely Ould Mohamed Vall, renversa le gouvernement de Taya pendant que le président se trouvait en déplacement en Arabie Saoudite. La Mauritanie vivait alors dans une situation de blocage maintenue ainsi par un président qui avait peur et qui se sentait menacé. Ely Ould Mohamed Vall, le directeur de la Sûreté nationale et l'un des hommes les plus riches du pays, forma un gouvernement de transition et engagea certaines réformes, avant de laisser la place à un gouvernement civil élu démocratiquement. Sidi Ould Cheikh Abdallahi fut le seul président élu de façon démocratique dans l'histoire du pays.

Conformément à sa promesse électorale, son gouvernement décida d'organiser le retour des réfugiés négro-mauritaniens installés au Sénégal depuis le conflit sénégalo-mauritanien de 1989. Le processus fut fortement critiqué par les Forces de libération des Africains de Mauritanie (FLAM) qui le jugèrent trop lent et peu généreux. Puis, lors d'un autre coup d'État militaire en août 2008, le président de la République et le premier ministre furent arrêtés et déposés.

- Le recensement comme pratique discriminatoire
 

Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, un autre homme aussi riche que Vall, prit le pouvoir avant d'être élu en 2009. Le général-président Aziz entreprit un recensement national dès sa prise du pouvoir en 2019. L'objectif était de mettre en œuvre un système biométrique d’identification des citoyens, sur la base de caractéristiques physiques comme les empreintes digitales. Le gouvernement souhaitait ainsi sécuriser les documents d'identification nationaux, tels les passeports et les cartes d’identité, afin de lutter contre la fraude. Le gouvernement voulait distinguer les «vrais Mauritaniens» des étrangers qui auraient usurpé la nationalité mauritanienne.

Mais en quelques semaines, les représentants des communautés négro-mauritaniennes se soulevèrent pour dénoncer certaines pratiques des agents de recensement, jugées humiliantes, arbitraires et discriminatoires. Non seulement la Commission nationale de recensement comptait 18 membres arabophones sur 19, mais la majorité des enquêteurs ne parlait que l'arabe, ce qui exacerba le sentiment d’exclusion des populations noires.

Les agents du gouvernement pouvaient, selon leur bon vouloir, retirer sa nationalité à tout individu et en faire un apatride dans son propre pays sans aucun recours possible. Ce recensement fut la goutte d’eau qui fit encore déborder le vase et dégénéra en affrontements violents. Dans le pays, les Négro-Mauritaniens se voyaient considérés comme des «étrangers», alors que les Maures blancs étaient perçus comme des «vrais Mauritaniens». C'est dans un climat trouble qu'est né le mouvement «Touche pas à ma nationalité», qui dénonçait un «État toujours raciste» et réclamait la fin des opérations d’enrôlement.

Le but non avoué du gouvernement était de contrôler tous les leviers de l’État en justifiant que les Noirs mauritaniens y étaient moins présents parce qu'ils ne représentaient qu'une faible minorité. Afin de mettre fin à la polémique, le président Ould Abdel Aziz finit par reculer en précisant qu'il ne s'agissait pas d'un «recensement», mais «d'une réfection de l'état civil» et que «personne ne sera exclu». 

Lors des élections du 11 mars 2007, un candidat à la présidence, Ahmed Ould Daddah, avait déclaré à la revue Jeune Afrique :
 

La Mauritanie est arabe, africaine et islamique. Cela signifie que notre dimension africaine doit absolument être préservée et développée. L'identité arabe, elle, est plus évidente. Si nous réussissons la symbiose de ces trois éléments, la Mauritanie se portera bien.

Le 4 mars 2010, le premier ministre mauritanien, Moulaye Ould Mohamed Lagdhaf, animant une conférence de presse à Nouakchott, répondit ainsi à un journaliste qui se plaignait de n’avoir pas compris ses propos en arabe: «Que voulez-vous ? Nous sommes en Mauritanie. C’est un pays arabe.» Manifestement, le message ne passait pas, car les politiques mauritaniens cédaient toujours aux velléités ethno-tribales qui avaient le dessus sur tout projet d’édification d’un État moderne multiethnique.

- La perpétuation des régimes autoritaires

Depuis 2009, le président Aziz désignait plusieurs des membres de sa famille, de ses proches et de sa tribu dans les postes clés de l'État. Ould Aziz fut accusé d'avoir vidé les caisses de l'État et soupçonné d'être impliqué dans divers scandales, dont le bradage des terres agricoles, les affaires de blanchiment d'argent et la drogue au point d'être cité comme «le parrain de la drogue». Il fit tout pour qu'aucun changement pacifique et démocratique ne soit possible. Dans ces conditions, il exposa son pays à l’instabilité perpétuelle.

L'État unitaire mauritanien perpétua le monopole du pouvoir politique par les Maures blancs arabophones et l'exclusion des Négro-Mauritaniens, le pouvoir politique continuant de jouer la carte de l'arabisation à outrance. Encore en 2010, la ministre de la Culture et de la Jeunesse, Mme Cissé Mint Boide, déclarait que la langue arabe devait servir d’instrument d’échange et de travail au sein de l’administration mauritanienne. Elle ajoutait aussi: «Les langues nationales font obstacle à l’émergence de la langue arabe.» Une telle déclaration pouvait être perçue comme de la véritable provocation! On peut comprendre pourquoi les ethnies négro-mauritaniennes ont toujours été sous-représentées dans la vie politique, administrative et militaire du pays. Après plus de six décennies d'existence, la faillite de l'État mauritanien par rapport à la gestion de la cohabitation raciale et linguistique paraissait totale.

- La réforme de l'éducation de 2022

Candidat soutenu par le président de la République sortant Mohamed Ould Abdel Aziz à l'élection présidentielle de juin 2019, Mohammed Ould Ghazouani fut élu dès le premier tour avec 52,01% des voix. Après son élection, le président mit l’unité nationale et le dialogue au premier plan en souhaitant «réaliser un consensus national autour des questions fondamentales auxquelles le pays est confronté, réaliser les réformes pour un véritable État de droit, conduisant à la normalisation de la vie politique».

En éducation, le président Ould Ghazouani mit en place un comité sur la réforme de l’éducation nationale, encore une autre réforme. Après une politique d’arabisation tous azimuts qui avait atteint ses limites, le président voulut donner un nouveau souffle qui devait passer par l’introduction des langues nationales à l’école. De fait, les chercheurs, les pédagogues et les psycho-éducateurs, les inspecteurs de l’enseignement, les sociologues et les politologues mauritaniens et africains étaient unanimes sur l’importance de la langue maternelle dans l’enseignement.

Cependant, en Mauritanie, toute réforme en éducation se heurte traditionnellement à une forte résistance de fonctionnaires extrémistes panarabes bien implantés dans tous les rouages de l’État, notamment dans le domaine de l’enseignement où ils sont très actifs. Sans oublier que la fonction publique mauritanienne est réputée pour être relativement incompétente en s'opposant à tout changement. De plus, les représentants négro-mauritaniens n'acceptent plus que leurs langues soient constamment déphasées par rapport à l'arabe. Ils estiment que l’école mauritanienne marche au ralenti et que cette situation provient des pratiques clientélistes favorisées par l’ex-président Ould Aziz qui aurait détérioré l’école publique en la sacrifiant aux plus offrants.
 

L'Assemblée nationale adopta la Loi n°2022-023/ P.R/ portant loi d’orientation du système éducatif national. Cette nouvelle loi sur l’éducation constitue une avancée importante en matière de garantie du droit à l’éducation parce qu'elle rend obligatoire l’enseignement de six à quinze ans et qu'elle reconnait que «l’éducation est un droit fondamental garanti à toute la population mauritanienne, sans discrimination de genre et d’origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique». Cependant, la loi est aussi controversée dans la mesure où elle oblige les enfants non arabophones à recevoir des cours d'arabe en plus des cours dans les langues nigéro-congolaises. Par ailleurs, tout enfant arabophone doit apprendre au moins l’une des trois autres langues nationales (le poular, le soninké et le wolof), ce qui ne fait pas l'affaire de tout le monde.  

L'Organisation pour l'officialisation des langues nationales (OLAN), un mouvement mauritanien qui proteste contre la loi d'orientation de l'éducation nationale, jugea que la loi était discriminatoire envers les langues nationales (polar, soninké et wolof), car elle aurait pour objectif de parachever l'arabisation du système d'éducation. En fait, l'organisation revendique l'officialisation des langues nationales dans la Constitution. Cette exigence découle d’un droit de tous les citoyens à se faire instruire dans leurs langues maternelles. L'OLAN dénonce l’hypocrisie des tenants du système, lesquels envoient tous leurs enfants dans les écoles à filière française, en Mauritanie ou à l’étranger.

De façon générale, les non-arabophones ne refusent pas systématiquement l’arabe, mais ils s'opposent et refusent l’arabisation à outrance qu’on leur impose. Ils considèrent qu'ils ont leurs langues et désirent qu’elles soient officialisées comme l'arabe, d’abord et avant tout, pour ensuite être enseignées dans leurs écoles pour donner les mêmes chances à tous les enfants mauritaniens. Depuis l'indépendance, l'élite arabophone qui dirige le pays impose encore une arabisation à toute la population négro-mauritanienne. Celle-ci a des raisons de se méfier de ses dirigeants, car elle en subit les conséquences, toutes ethnies confondues.

Parmi les autres problèmes dont souffre la Mauritanie, il convient de mentionner les mauvais traitements infligés aux détenus et aux prisonniers politiques, les limites imposées à la liberté de la presse et à la liberté d'assemblée, sans oublier la corruption généralisée du système (au 130e rang sur 180, selon Transparency International). Non seulement la gestion politique va mal, mais la Mauritanie demeure l'un des pays les plus pauvres de la planète (152e sur 174) et les plus endettés, alors que la moitié de la population mauritanienne vit sous le seuil de la pauvreté. Quant à l'alphabétisation, son taux est passé chez les adultes de plus de 60% d'analphabètes en 1990 à près de 42% aujourd'hui. Ce niveau de pauvreté masque de grandes inégalités entre le milieu urbain et rural (trois pauvres sur quatre sont en milieu rural) et entre les hommes et les femmes (deux femmes sur trois sont pauvres).

Pourtant, la Mauritanie est rentrée officiellement dans le club très privé des pays producteurs de pétrole depuis février 2006; grâce aux revenus de son pétrole, la Mauritanie a acquis des capacités de financement nouvelles. Mais ce n'est pas le peuple qui en profite et aucun projet d'envergure n'a été lancé avec les deniers du pétrole qui ne profitent qu'à l'élite dirigeante; celle-ci accentue davantage l'instabilité politique et les disparités sociales, plutôt que de contribuer à promouvoir la prospérité et le développement économique du pays. En Mauritanie, les citoyens sont ou bien très riches ou bien très pauvres. De rapides changements seraient nécessaires, mais ce n'est pas encore pour demain la veille.

4 La politique d’arabisation

Au lendemain de l'indépendance, seul le français avait acquis un statut officiel. En effet, l'article 3 de la Constitution de 1959 reconnaissait le français comme «langue officielle» du pays, mais l'arabe était retenu avec le statut de «langue nationale». La réforme de l'enseignement de 1959 admettait aussi le français et l'arabe comme langues d'enseignement dans toutes les écoles. Comme on peut l'imaginer aisément, l'arabe dont il est question ici, c'est l'arabe littéral et non l'arabe hassanya dont l'appellation n'est jamais citée dans un quelconque texte juridique.

4.1 Le statut des langues

Depuis l'indépendance, l'arabe littéral n'a cessé de bénéficier de la politique interventionniste de l'État mauritanien. Dans le domaine de la législation, la loi du 4 mars 1968 faisait accéder l'arabe (lequel?) au statut de langue co-officielle avec le français. Dans le domaine de l'éducation, ce sont les réformes de l'enseignement de 1967, de 1973 et de 1978, qui ont renforcé la promotion de l'arabe littéral. Ces réformes faisaient suite à une arabisation progressive et consistaient à augmenter considérablement les horaires d'enseignement et les domaines d'utilisation de la langue arabe, notamment dans l'administration de l'État.

La politique actuelle est restée la même, hormis le fait que le statut du français est officiellement supprimé. Cette politique est résumée essentiellement à l’article 6 de la Constitution de 1991. Les dispositions constitutionnelles précisent que les «langues nationales» sont l'arabe, le poular, le soninké et le wolof, et que l’arabe (littéral) est la «langue officielle» (version consolidée de 2012):
 

Article 6

Les langues nationales sont l'arabe, le poular, le soninké et le wolof. La langue officielle est l'arabe.

Dans la Constitution de 1959, la langue nationale était l’arabe et la langue officielle était le français. Dans la Constitution de 1961, l’arabe est devenu la langue nationale, mais le français et l’arabe restaient les langues officielles. Dans la Constitution de 1991, le français a perdu son statut, alors qu'il continue d'avoir une forte présence dans l'administration publique, dans l'enseignement, dans les médias et dans le monde du travail. Pour pouvoir accéder à un emploi gratifiant, des milliers de cadres mauritaniens doivent se résoudre à suivre une formation linguistique en français afin d'en maîtriser la langue.

La Loi constitutionnelle n° 2012-015 (2012) portant révision de la Constitution du 20 juillet 1991 ajoutait un paragraphe supplémentaire au préambule de la Constitution:
 

Article 2

Après le 3e alinéa du Préambule de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

Alinéa 4 (nouveau) : Uni à travers l’histoire, par des valeurs morales et spirituelles partagées et aspirant à un avenir commun, le peuple mauritanien reconnait et proclame sa diversité culturelle, socle de l’unité nationale et de la cohésion sociale, et son corollaire, le droit à la différence. La langue arabe, langue officielle du pays, et les autres langues nationales, le poular, le soninké et le wolof, constituent, chacune en elle-même, un patrimoine national commun à tous les Mauritaniens que l’État se doit, au nom de tous, de préserver et promouvoir.

La langue arabe, qui est une langue nationale comme le poular, le soninké et le wolof, bénéficie aussi du statut de langue officielle, alors que l’hassanya, bien qu'il soit parlé par 84% de la population, n'a aucun statut. De plus, le préambule de la Constitution affirme que «le peuple mauritanien» est un «peuple musulman, arabe et africain»:
 

Préambule

Conscient de la nécessité de resserrer les liens avec les peuples frères, le peuple mauritanien, peuple musulman, arabe et africain, proclame qu'il œuvrera à la réalisation de l'unité du Grand Maghreb, de la nation arabe et de l'Afrique et à la consolidation de la paix dans le monde.

Ce document laisse entendre que tous les Mauritaniens sont arabes, ce qui n'est guère le cas, et ce, d'autant plus que la dimension berbère est aussi totalement ignorée et exclue. La Constitution sous-entend également que l’officialisation de la seule langue arabe serait motivée par la volonté de construire une nation unie. Si cela avait été effectivement le cas, le législateur aurait prévu l'officialisation des trois langues nationales négro-africaines importantes et de l'arabe hassanya. En fait, la volonté du législateur répond au seul désir d’imposer la prédominance d’une communauté et d'une langue que personne ne veut vraiment sur les autres.

4.2 Les langues de la législation

Étant donné que l'arabe est la langue officielle, on peut s'attendre à ce que ce soit la seule langue admise au Parlement, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Pourtant, il existe un service de traduction et d'interprétariat, ce qui suppose que d'autres langues sont possibles. L'article 22 du Règlement administratif de l'Assemblée nationale (2008) décrit ainsi ce service:
 

Article 22

Le Service de la traduction et de l'interprétariat est chargé de :

· Traduire les débats des séances plénières et des rapports et procès-verbaux des travaux des commissions ;
·
Assurer la traduction des documents pouvant être utiles à l’information et l’usage des députés ou tout autre utilisateur autorisé ;
· Concourir à l’élaboration des bulletins d’information par la traduction en langues nationales des textes et tout autre document utile à l’information du public ;
·
Assurer l’interprétariat pendant tous les travaux de l’Assemblée nationale (séances plénières, commissions, etc.) ;
· Assurer l’interprétariat des échanges entre les parlementaires et les personnels administratifs nationaux lors de rencontres avec leurs homologues étrangers ;
· Assurer la maintenance et l’entretien des équipements de sonorisation et d’interprétariat de l’Assemblée nationale.

Le Service de la traduction et de l’interprétariat comprend deux divisions :

· La division traduction ;
· La division interprétariat.

Dans les faits, l'arabe moderne est la langue des lois, des règlements, décrets, arrêtés, etc., mais tous ces mêmes documents sont traduits en français. Dans les débats parlementaires, l'arabe hassanya, l'arabe moderne et le français sont employés régulièrement, bien devant l'arabe littéral. L'article 11 du décret n° 45-79 du 24 avril 1979 relatif à l'organisation de la présidence du gouvernement énonce clairement que la publication et la diffusion du Journal officiel sont «en arabe et en français» :
 

Article 11

La Direction des études, de la législation et du Journal officiel est chargée :

— de l'étude des projets d'actes législatifs et réglementaires ;
— de l'étude de toutes les questions d'ordre juridique qui lui sont soumises par les ministères ;
— de
la publication et de la diffusion du Journal officiel en arabe et en français.

Cette direction comprend deux divisions.

D'ailleurs, tous les ministres du gouvernement s'expriment en français lorsqu'ils lisent un discours politique en présence d'interlocuteurs étrangers et francophones, sinon ils le font en arabe littéral. Les représentants officiels mauritaniens non arabophones s'expriment généralement en français. Dans la capitale, à Nouakchott, l'arabe hassanya, le français et le wolof sont les principales langues véhiculaires.

4.3 Les langues de la justice

Bien que l’hassanya n'ait aucun statut, en matière de justice, c'est cette langue qui la plus couramment employée dans les communications orales, mais le français est aussi admis. En ce cas, il s'agit presque toujours d'un français local fortement teinté d'arabismes et d'africanismes. Tous les documents écrits peuvent être disponibles soit en arabe moderne soit en français, jamais dans les langues négro-africaines ni en hassanya.

- L'arabe et le français

L'article 234 de l'ordonnance n° 83-163 du 09 juillet 1983 instituant un Code de procédure pénale autorise le recours à un interprète lorsque l'accusé ne parle pas ou ne comprend pas la langue utilisée par la cour. Selon les articles 293 et 344, la langue de la cour est l'arabe, ce qui correspond en fait à l'arabe moderne:
 

Article 234

Le président de la cour criminelle, ou un magistrat désigné qu'il désigne interroge l’accusé au moins huit jours avant le début de la session. Ce délai est réduit à trois jours en cas de crime flagrant. Il doit être fait appel à un interprète si l’accusé ne parle ou ne comprend pas la langue utilisée par la cour.

Article 293

Dans le cas où l’accusé, les témoins ou l’un d’eux, ne parlent pas suffisamment la langue arabe ou s’il est nécessaire de traduire un document versé aux débats, le président nomme d’office un interprète, âgé de dix-huit au moins et lui fait prêter serment de remplir fidèlement sa mission.

Le Ministère public, l’accusé et la partie civile peuvent récuser l’interprète en motivant leur récusation. Le président se prononce sur cette récusation. Sa décision n’est susceptible d’aucun recours.

L’interprète ne peut, même du consentement de l’accusé ou du Ministère public, être pris parmi les juges composant la cour, les jurés, les parties et les témoins.

Article 344

Dans le cas où le prévenu ne parle pas suffisamment la langue l’arabe, ou s’il est nécessaire de traduire un document versé aux débats, le président désigne d’office un interprète, âgé de dix-huit ans au moins, et il lui fait prêter serment de remplir fidèlement sa mission.

Le Ministère public, le prévenu et la partie civile peuvent refuser l’interprète en motivant leur récusation. Le tribunal se prononce sur cette récusation et sa décision n’est susceptible d’aucune voie de recours.

- Les tribunaux religieux

En Mauritanie, il existe aussi des tribunaux religieux habilités à trancher les litiges selon les règles islamiques. À l'origine, le calife choisissait une personne déléguée, le cadi, reconnue parmi les connaisseurs du Coran et des mécanismes de son interprétation. Le cadi devait être un moujtahid, c'est-à-dire une personne ayant des connaissances particulières non seulement du Coran, mais aussi de la langue arabe, afin de lui permettre d'interpréter les textes et de trouver des solutions à cet effet. En vertu du décret n° 74-044 du 14 février 1974 portant organisation du concours pour le recrutement de cadis, les autorités mauritaniennes ont prévu d'organiser des concours pour recruter des cadis, dont la connaissance de la culture et de la langue arabes :
 

Article 5

Le programme du concours comporte:

- Une épreuve de culture générale en langue arabe;
- Trois
épreuves de culture juridique en langue arabe.

En raison de sa connaissance du droit musulman, le cadi est généralement très respecté en Mauritanie et il joue un rôle important dans la vie publique. Aujourd'hui, les cadis n'ont plus beaucoup de pouvoirs pour rendre exécutoires les jugements qu'ils rendent. C'est pourquoi les cadis jouent souvent le rôle d'arbitre dans les litiges dans ou entre les familles. Au besoin, ils n'hésitent pas à recourir oralement à l'arabe hassanya.

Malgré l'importance de l'arabe pour les autorités mauritaniennes dans la vie politique et sociale, l'article 101 de l'ordonnance n° 83-162 du 09 juillet 1983 portant institution d’un Code pénal autorise l'emploi d'autres langues lorsque les forces de l'ordre veulent avertir un attroupement armé de se disperser :
 

Article 101

Sont interdits sur la voie publique ou dans un lieu public :

1. Tout attroupement armé;

2. Tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique.

[...]

Dans les autres cas, l'attroupement est dissipé par la force après que, soit le préfet, soit un commissaire de police ou tout autre officier de police judiciaire porteur des insignes de sa fonction :

1. Aura annoncé sa présence par un signal sonore ou lumineux de nature à avertir efficacement les individus constituant l'avertissement;

2. Aura sommé les personnes participant à l'attroupement, dans la langue de la majorité d'entre elles, de se disperser à l'aide d'un haut-parleur ou en utilisant un signal sonore ou lumineux de nature également à avertir efficacement les individus constituant l'attroupement;

3. Aura procédé de la même manière à une seconde sommation, si la première est restée sans résultat.

La nature des signaux dont il devra être fait usage sera déterminée par décret.

Il s'agit d'un cas assez rare dans l'emploi d'une langue négro-mauritanienne. C'est ce qu'on appelle un cas de force majeure.

4.4 Les langues dans l'administration publique

La majorité des fonctionnaires employés dans la fonction publique mauritanienne, c'est-à-dire plus de 90 % des quelque 31 000 employés, est d'origine arabo-berbère, donc de langue arabe. De même, près 90 % des membres des Forces armées mauritaniennes et dans l’administration territoriale sont des Maures blancs de culture arabe. En principe, tous les employés de l'État parlent l'hassanya, l'arabe littéral et le français. En réalité, beaucoup d'employés subalternes et de simples soldats ne connaissent que l'hassanya et un peu d'arabe littéral pour l'écrit. Dans l'ensemble, l'administration publique est aujourd'hui très arabisée, alors que les deux tiers des fonctionnaires et des agents contractuels de l'État travaillent à Nouakchott.

En 2014, le gouvernement avait prévu des sessions de perfectionnement en arabe, en français et en anglais pour plus de 200 fonctionnaires et agents de la Fonction publique au centre d'enseignement des langues de l'École nationale d'administration de Nouakchott (ENA). Ces sessions de formation, qui ne coûtent pas très cher au gouvernement, étaient mises en œuvre en collaboration avec les ambassades de France et des États unis. De plus, un projet de décret prévoyait instaurer une nouvelle structure de formation supérieure dont la vocation était d'offrir une formation dans le domaine des langues vivantes, de la traduction et de l'interprétariat. Il s'agit d'un Institut supérieur professionnel de langues, de traduction et d'interprétariat.

- La toponymie arabe

Dans la toponymie, les autorités mauritaniennes ont visiblement pris fait et cause pour l'arabe, surtout depuis 1993. Ainsi, sur les 13 régions du pays, seules deux d'entre elles portent des noms négro-africains : le Gorgol et le Guidimakha. Dans tous les autres cas, la toponymie provient soit de l'hassanya soit de l'arabe littéral. Le gouvernement a adopté une «politique de mauritanisation» qui a eu pour effet d'arabiser les dénominations françaises et africaines. Par exemple, les dénominations françaises "Port-Étienne" et "Fort-Gouraud" sont devenues "Nouadhibou" et "Zouérate", alors que les noms africains comme Sélibaby et Rosso sont devenus respectivement "Ould Ely Babe" et "L’Guareb".

Comme on pouvait s'y attendre, les «régions» sont devenues désormais en arabe des "wilayas" et les «départements», des "moughataa". Il est désormais interdit d'employer les mots «gouverneur» pour wali, «préfet» pour hakem, «juge» pour qadi, «région» pour wilaya, «département» pour moughataa, etc., même dans un journal parlé ou télévisé en langue française. Ces mots doivent être remplacés par les termes obligatoires empruntés à l'arabe.

Il en est ainsi dans les noms de villes. Par exemple, à Nouakchott, tous les noms de quartiers ou d'arrondissements portent des noms de personnalités arabes importantes: Riad, Bagdad, Arafat, Bouhdida, Teyarett, Tevragh Zeina, Bassorah, etc. Toutes les appellations négro-africaines et françaises ont été transformées en arabe. Au moment de l'indépendance, rares étaient les villes qui portaient un nom arabe. En général, elles avaient une appellation berbère (p. ex. Nouakchott) ou française (Port-Étienne). Aujourd'hui, seuls les quartiers urbains à majorité négro-africaine ont conservé leurs noms d'origine. Bref, l'absence de plus en plus manifeste des langues nationales africaines dans la toponymie reflète la rivalité ethnique qui a exercé un grand rôle dans les divisions et les tensions politiques en Mauritanie.

- Le rôle des Négro-Mauritaniens

Dans les régions négro-mauritaniennes, des fonctionnaires sont noirs et parlent, en plus du français, différentes langues locales (poular, soninké et wolof). De façon générale, les Négro-Mauritaniens et les Maures noirs sont sous-représentés aux postes de niveau intermédiaire et supérieur. Évidemment, la connaissance de l’arabe moderne ou littéral dans l'administration constitue un puissant outil de domination et d’exclusion, car l'État a entrepris de s'adresser à toute la population mauritanienne au moyen de la seule langue arabe. Les examens linguistiques se font toujours en arabe moderne.

- La langue française

Néanmoins, le français a conservé certaines prérogatives. Ainsi, les en-têtes des lettres officielles et de toute la correspondance apparaissent en arabe et en français. Sur les plaques d'immatriculation des véhicules motorisés, c'est un système de numération en français qui est employé et aucune inscription n'apparaît en arabe. Dans les panneaux d'affichage, les langues nationales sont nettement défavorisées, puisque la plupart des inscriptions, y compris la publicité commerciale, sont rédigées en arabe et en français.

En fait, de nombreux ministères, notamment ceux à vocation économique ou technique (Finances, Affaires économiques, Énergie, Industrie, etc.) sont demeurés encore des bastions pour le français. La plupart des formulaires administratifs et des études sont rédigés en français. Lorsque les documents sont bilingues, la version originale est toujours le français, l'arabe demeurant une traduction. Même les lois et les règlements sont souvent rédigés d'abord en français, puis traduits en arabe.

- La citoyenneté

Au lendemain de l'indépendance, l'article 19 de la loi n° 1961-112 portant Code de la nationalité mauritanienne (1961) admettait comme langues admissibles à la citoyenneté mauritanienne le toucouleur, le saracollé, le ouolof (wolof), le bambara, l’hassanya, l'arabe et le français :

 
Article 19 (remplacé par un nouvel article)

Nul ne peut être naturalisé:

1. s'il n'est reconnu sain de corps et d'esprit;

2. s'il ne parle couramment l'une des langues suivantes: toucouleur, saracollé, ouolof, bambara, hassanya, arabe, français;

3. s'il n'est de bonne vie et mœurs, ou s'il a été condamné pour infraction de droit commun à une peine privative de liberté non effacée par la réhabilitation ou l'amnistie.

Les peines prononcées à l'étranger pour des délits politiques pourront toutefois ne pas être prises en considération pour l'application du présent article.

En 2010, le même article de la loi n° 2010 – 023 du 11 février 2010 abrogeant et remplaçant certaines dispositions de la loi 61–112 du 12 juin 1961 portant code de la nationalité mauritanienne ne mentionnait plus que l'arabe, le poular, le soninké et le wolof:

Article 19 (nouveau)

Nul ne peut être naturalisé:

1– s’il n’est reconnu sain de corps et d’esprit;

2– s’il ne parle couramment l’une des langues nationales : l’arabe, le poular, le soninké et le wolof;

3– S’il n’est de bonne vie et mœurs, ou s’il a été condamné pour infraction de droit commun à une peine privative de liberté non effacée par réhabilitation ou l’amnistie.

 - L'administration publique

Dans le Code des obligations et des contrats - Ordonnance n°89- 126 du 14 septembre (1989), la loi privilégie nettement l'arabe au lieu du français:

Article 866

Le mandant n'est pas tenu de ce que le mandataire aurait fait en dehors ou au-delà de ses pouvoirs, sauf dans les cas suivants :

Article 860. Un seul alinéa comme le texte en arabe, au lieu de deux.

1° Lorsqu'il l'a ratifié, même tacitement;
2° Lorsqu'il en a profité;
3° Lorsque le mandataire a contracté dans des conditions plus favorables que celles portées dans ses instructions ;
4° Même lorsque le mandataire a contracté dans des conditions plus onéreuses, si la différence est de peu d'importance, ou si elle est conforme à la tolérance usitée dans le commerce ou dans le lieu du contrat.

Article 1024

"Synallagmatique" et "bilatéral" couvrent en principe la même notion . Il s'agit du contrat qui oblige chacune des parties vis-à-vis de l'autre.

Dans cette disposition, le texte en français ne correspond pas au texte en arabe, qui vise à juste titre, le contrat commutatif.

Explications complémentaires en annexe.

Toute obligation ayant pour cause une dette de jeu ou un pari est nulle de plein droit.

Article 1179

Pour combler les lacunes de cette ordonnance, il est fait référence au rite malékite.

Pour lever toute équivoque dans la version française de ce texte, la version arabe fait foi.

Par contre, dans une loi plus récente, la loi n° 2004-017 portant Code du travail (2004), toute convention collective doit être obligatoirement écrite en langue arabe et en français:

Article 71

Forme

La convention collective
doit être obligatoirement écrite en langue arabe et en français.

Elle est établie sur papier libre et signée par les représentants mandatés des parties contractantes.

Il faut comprendre que le français remplace en principe les langues nationales négro-africaines. Dans la loi n° 2000-05 portant Code de commerce (2000), il n'est fait aucune mention d'une langue particulière, mais la réalité laisse croire qu'il s'agit der l'arabe et du français, car dans le monde du travail et des affaires cette langue est est demeurée importante:

Article 813

La lettre de change contient :

1. la dénomination de lettre de change insérée dans le texte même du titre et exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre;
2. le mandat pur et simple de payer une somme déterminée;
3. le nom de celui qui doit payer (tiré);
4. l'indication de l'échéance;
5. celle du lieu où le paiement doit s'effectuer;
6. le nom de celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait;
7. l'indication de la date et du lieu où la lettre est créée;
8. la signature de celui qui émet la lettre (tireur), cette signature est apposée, soit à la main, soit par tout procédé non manuscrit.

 Il en est ainsi dans le décret n° 2011-180 du 07/07/2011/PM portant application de certaines dispositions de la loi n° 2010-044 du 22 juillet 2010 portant Code des marchés publics (2011):

Article 19

Du contenu du dossier d’appel d’offres

Le dossier d’appel d’offres comprend notamment,

- l’avis d’appel d’offres, l’objet du marché, les conditions auxquelles doivent répondre les offres, le lieu et les date/heure limites de réception et d’ouverture des offres, le délai pendant lequel les candidats resteront engagés par leurs offres, qui doit être compris entre soixante et quatre-vingt-dix jours, les obligations en matière de cautionnement provisoire et les pièces administratives exigées, les justifications à produire concernant les qualités et les capacités exigées des soumissionnaires, éventuellement d’autres considérations décidées par l’autorité contractante et notamment les considérations spéciales qui entrent en ligne de compte pour l’analyse des offres, les indications relatives à la marge de préférence, la source de financement ;

[...]

Toutes les pièces, écrites, publiées, remises aux ou par les candidats et titulaires, à quelque titre que ce soit, sont établies dans la langue fixée par les dispositions du dossier d'appel d'offres.

Le décret n° 45-79 du 24 avril 1979 relatif à l'organisation de la présidence du gouvernement semble être l'un des rares documents juridiques concernant la normalisation de la langue arabe:
 

Article 13

La Direction de la traduction est chargée :

a) de la traduction des textes législatifs et réglementaires, des accords, des conventions et des documents officiels de grande portée ;
b) de l'élaboration d'une terminologie pour
l'utilisation et la normalisation de la langue arabe en vue de son usage dans les services publics.

La Direction de la traduction comprend deux divisions.

- Le service de la traduction

La Mauritanie s'est dotée de services à la traduction sous l'appellation de «Direction de la traduction». C'est le décret n° 68-078 du 7 mars 1968 créant une Direction de la traduction qui créait la Direction de la traduction:

Article 2

La Direction de la traduction a pour attribution :

— D'élaborer les conditions d'utilisation des langues officielles, arabe et française, dans tous les domaines, notamment administratif, éducatif, culturel, économique et technique ;
— De promouvoir, en liaison avec les services intéressés,
l'usage de la langue arabe dans les programmes de campagne, d'éducation populaire, d'alphabétisation des masses et autres actions à caractère social ou culturel.

Article 3

Dans ce but, la direction de la traduction est chargée :

1° De l'élaboration d'une terminologie pour l'utilisation et la normalisation de la langue arabe en vue de son usage dans les services publics. Les résultats de ces travaux, sous forme de lexiques, par domaines spécifiques, feront l'objet de textes d'application qui en rendront l'usage obligatoire.

2° De la traduction d'une langue dans l'autre de tous textes et documents officiels, ainsi que de toute documentation à caractère officiel destinée à la diffusion.

Il faut retenir non seulement la promotion de l'arabe dans les programmes de campagnes populaires, mais aussi l'élaboration d'une terminologie arabe et son emploi obligatoire dans les services publics. Ce genre d'intervention ressemble à ce qui se passe en France avec la langue française. La circulaire n° 28 du 12 mars 1968 du président Moktar Ould Daddah ne fait que rappeler le même message:

Il est créé une Direction de la traduction qui a pour mission, entre autres tâches, de procéder à la traduction, d'une langue officielle dans l'autre, de tous les textes et documents officiels ainsi que de toute documentation à caractère officiel destiné à la diffusion.

Pour ce faire, la Direction doit commencer, en collaboration avec les services intéressés, à établir et à fixer, par domaines spécifiques, une terminologie pour l'utilisation de la langue arabe — le problème ne se posant pas pour le français — en vue de son usage dans les services publics.

Aussi, je vous demande de désigner parmi votre personnel un fonctionnaire méthodique, ayant une certaine technicité, pour établir, en collaboration avec la Direction de la traduction, la liste de mots techniques en usage dans tous les domaines de votre département.

Les résultats de ces travaux, une fois achevés et soumis à une commission, feront l'objet de textes d'application en rendant l'usage obligatoire.

D'après le décret n° 181-2008 portant organisation des services du premier ministre  (2008), la Direction de la traduction est devenue la Direction générale de la législation, de la traduction et de l'édition:

Article 8

La Direction générale de la législation, de la traduction et de l'édition du Journal officiel est chargée de :

[...]

- assurer la traduction des documents à caractère officiel et proposer des solutions aux problèmes de linguistique juridique ;

Les documents portant sur le code de la langue arabe sont relativement rares dans les États arabes, car généralement les interventions portent davantage sur le rôle symbolique de l'arabe classique que sur con code.

4.5 La religion d'État

La Constitution de 1991 énonce que la Mauritanie est une république islamique et décrète à l'article 5 que l’islam est la religion de ses citoyens et de l’État: «L'islam est la religion du peuple et de l'État.» C'est pourquoi à l'article 1er, le prosélytisme est interdit pour les non-musulmans, mais presque obligatoire pour les musulmans: «Toute propagande particulariste de caractère racial ou ethnique est punie par la loi.» Il en est ainsi pour la fabrication et la distribution de bibles et d’autres documents religieux non musulmans. Cependant, les chrétiens ont le droit de posséder des bibles, mais pas celui de les produire ni de les propager.

Dans les mosquées, les imans utilisent l'arabe hassanya pour leurs prêches, mais l'arabe coranique pour les rituels. La plupart des imans sont des Arabes, rarement des Négro-Mauritaniens, sauf dans les régions du Sud. De façon générale, les imans se contentent de soulever leur auditoire pour prôner la destruction d'Israël, puis de rappeler aux Mauritaniens qu'ils ont l'obligation de respecter les préceptes d'Allah. Jamais leurs propos ne consistent à dénoncer les injustices, le racisme, l'esclavage et la corruption dont souffre leur pays. La plupart des imams sont eux-mêmes des commerçants ou des hommes d'affaires prospères qui représentent en eux-mêmes les travers d’une société inégalitaire.

4.6 Les langues d'enseignement

En Mauritanie, la scolarité est obligatoire pour les six premières années de l'enseignement primaire, mais la législation portant sur la fréquentation scolaire obligatoire n’a jamais été appliquée de façon efficace. L’enseignement public est gratuit jusqu’au niveau universitaire. Les classes sont mixtes, comprenant garçons et filles de tous les groupes sociaux et ethniques.

Jusqu'à récemment, l'enseignement était régi par la loi n° 2001-054 portant obligation de l’Enseignement fondamental (2001) et la loi n° 99012 du 26 avril 1999 relative à la réforme du système éducatif national (1999). La loi de n° 2001-54 rend responsable les parents ou les tuteurs de faire inscrire les enfants dont ils ont la charge dans les quinze jours qui précèdent la date de la rentrée scolaire. En cas d’infraction aux dispositions de la loi, les autorités administratives compétentes peuvent demander aux personnes ayant contrevenu à la loi de s'y conformer dans un délai prescrit, faute de quoi celles-ci sont passibles des peines prévues. Or, ces amendes sont lourdes pour les Mauritaniens quand on sait que le revenu annuel individuel moyen est estimé à 420 € (560 $US) : selon la loi n° 2001-054, ces amendes varient de 10 000 ouguiyas (25 € ou 33 $US) à 100 000 ouguiyas (258 € ou 344 $US).

- L'arabe et le français

Quant à la loi n° 99012 du 26 avril 1999 relative à la réforme du système éducatif national (1999), l'article 2 prescrit l'arabe comme seule langue d'enseignement en 1re année et, à l'article 3, l'enseignement du français en 2e année avec le calcul en 3e année et les sciences naturelles en 4e année: 
 

Article 2

L'arabe est la seule langue d'enseignement en première année pour tous les élèves inscrits dans les établissements nationaux, publics et privés.

L'instruction civique est introduite à partir de la 1re année en tant que discipline autonome.
 
Article 3

L'enseignement du français est dispensé à partir de la deuxième année.

L'enseignement du calcul est assuré en français à partir de la 3e année.

L'enseignement des sciences naturelles est dispensé en français à partir de la 5e année.

Article 12

Dans le cadre de la poursuite de la promotion et du développement des langues nationales, poular, soninké et wolof, il est créé au sein de l’Université de Nouakchott, un Département des langues nationales.

Article 13

En attendant que le processus d’unification prévu par la présente loi aboutisse au supérieur, des dispositions réglementaires seront prises afin d’améliorer le niveau d’apprentissage des langues d'enseignement et de renforcer l'enseignement de l'instruction civique.

Comme on peut le constater, aucun enseignement dans les langues nationales africaines n'est prévu. Au primaire, l'arabe moderne est enseigné 13 h/semaine en 1re année, mais 8 h/semaine en 2e, en 3e et en 4e année, puis 7 h/semaine en 6e et en 7e année. Le français est offert en raison de 6 h/semaine à partir de la 2e année.

Dans l'enseignement secondaire, il faut distinguer le premier cycle (7e, 8e et 9e année) et le second cycle (10e, 11e et 12e année). L'arabe moderne est enseigné 5 h/semaine dans le premier cycle et le français 6 h/semaine. Au second cycle, le nombre d'heures pour l'arabe varie entre 2 et 3 h/semaine, le français entre 2 et 6 h /semaine, et l'anglais entre 2 et 4 h/semaine.

L'enseignement supérieur est assuré à la fois en français et en arabe par l'université de Nouakchott (fondée en 1981) et ses trois facultés, l'École normale supérieure, l'École nationale d’administration, le Centre supérieur d’enseignement technique, l'Institut supérieur d’études et de recherches islamiques, ainsi que l’Institut national des spécialités médicales. Dans certains cas, il existe des «filières arabes» et des «filières bilingues». Les effectifs étudiants sont de l’ordre de 15 400, dont 11 % de filles, répartis entre la formation supérieure à l’étranger qui profite à environ 2700 étudiants et les établissements nationaux d’enseignement supérieur qui accueillent quelque 12 700 étudiants. Dans les études supérieures, le nombre des étudiants dans les filières arabisantes est deux fois plus élevé que dans les filières francisantes ou bilingues. De plus, les bourses nationales sont accordées prioritairement aux étudiants arabisants. Les orientations d'étudiants à l'étranger vont généralement vers les pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Syrie, Koweït, Bahreïn, etc.).

- Les examens

Le seul autre texte juridique portant sur la langue dans le domaine de l'enseignement concerne l'arrêté n° 041 du 28 mars 1974 fixant la nature des épreuves de contrôle en vue du baccalauréat de la série lettres modernes, option arabe (1974). Dans cet examen, les candidats doivent démontrer leurs connaissances de l'arabe (quatre heures), du français (trois heures) et d'une langue étrangère (deux heures):
 

Article 1er

La nature des épreuves de contrôle en vue du baccalauréat de la série lettres modernes, option arabe, est fixée comme suit :

- Arabe, durée: quatre heures, coefficient 3.
L'épreuve comporte, à partir d'un texte d'au moins une demi-page du niveau des programmes étudiés en deuxième année de second cycle :

- Des questions portant sur le sens du texte, le vocabulaire et sa grammaire,
- Suivies de questions sur la littérature et l'histoire littéraire et d'un essai répondant à une ou plusieurs questions se rapportant au texte.

- Français, durée : trois heures, coefficient 1,5. L'épreuve comporte, à partir d'un texte de vingt à trente lignes, du
niveau des programmes étudiés en deuxième année de second cycle, écrit en français moderne aisément compréhensible pour des lecteurs contemporains, pleinement intelligible sans le secours d'une documentation spéciale :

- Des questions de difficulté graduée portant sur le sens général du texte, sur le vocabulaire et la grammaire;
- Suivies d'un essai d'une dizaine de lignes en français répondant à une ou plusieurs questions se rapportant au texte.

- Deuxième langue vivante étrangère, durée: deux heures, coefficient 0,.5. L'épreuve comporte, à partir d'un texte de quinze à vingt lignes, du niveau des programmes étudiés en deuxième année de second cycle, écrit en une langue moderne aisément compréhensible pour des lecteurs contemporains, pleinement intelligible sans le secours d'une documentation spéciale :

- Les enseignants

Pour enseigner en Mauritanie dans une école primaire, il faut avoir suivi une formation d'instituteur (ou d'instituteur adjoint) dans l'une des deux écoles normales du pays, soit à Nouakchott soit à Aïoun El Atrouss dans la région (wilaya) du Hodh El Gharbi. Pour enseigner dans un collège au secondaire, il faut détenir une formation de professeur du premier cycle de l'enseignement secondaire à l'École normale supérieure (ENS). Afin d'enseigner dans un lycée, il faut posséder une formation de professeur du second cycle de l'enseignement secondaire à l'ENS, sanctionnée par un certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement secondaire (CAPES). La plupart des cours sont donnés en arabe, mais certains sont en français.

Pour ce qui est du poular, du soninké et du wolof, qui font pourtant partie intégrante du patrimoine culturel national, elles ne sont guère enseignées, bien qu'elles devraient l'être au même titre que l'arabe dans le cadre d'une politique linguistique globale. Pour ce faire, il faudrait au moins continuer les recherches en vue de la promotion des langues nationales négro-mauritaniennes. À l'exception des velléités du régime militaire, rien de concret n'a été entrepris en vue de la transcription des langues nationales.

- La réforme de 2022 en éducation

L'adoption de la Loi n°2022-023/ P.R/ portant loi d’orientation du système éducatif national (2022) devrait changer la donne. Elle rend obligatoire l'éducation pour tous de six à quinze ans, sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique:
 

Article 3

L’éducation est une priorité nationale absolue et l’enseignement est obligatoire de six à quinze ans.

L’éducation est un droit fondamental assuré à tous les Mauritaniens sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique. C’est aussi un devoir qu’assument conjointement les individus et la collectivité.

L'article 4 de la loi se trouve à imposer une école fondée sur les valeurs de l’islam sunnite, mais aussi pour assurer à chaque enfant mauritanien une éducation multilingue:
 

Article 4

L’école mauritanienne est fondée sur les valeurs de l’islam sunnite et tolérant, de la cohésion et de la paix sociales, de l’équité et de la solidarité, de l’unité nationale, de la justice et de la démocratie, de la transparence et des droits de l’Homme dans un cadre de bonne
gouvernance.

Une école unificatrice, équitable, inclusive, dispensant une éducation pour tous de qualité sur un pied d’égalité, qui tient compte des spécificités et des besoins
individuels. Une école au service du développement durable.

Une école qui assure à chaque enfant mauritanien une éducation multilingue renforçant l’enracinement culturel, l’unité nationale, la cohésion sociale et l’ouverture sur les autres cultures et civilisations universelles. Une école unifiée pour être le reflet de l’unicité de la nation et de sa pluralité culturelle enrichissante.

Une école ayant pour vocation de former un citoyen capable de comprendre le monde, de s’y adapter et de le transformer tout en étant profondément ancré dans sa culture et ouvert sur la civilisation universelle.

Depuis l'indépendance, l'enseignement n'a jamais été multilingue, sauf pour les non-arabophones. La question est de savoir comment on va s'y prendre pour rendre effectif ce genre de disposition.

L'article 7 fait la distinction entre l'arabe et les autres langues nationales. D'une part, on affirme qu'il faut «maîtriser la langue arabe» et «au moins deux langues étrangères», alors qu'il faut seulement «promouvoir» l'enseignement des autres langues nationales:
 

Article 7

Dans sa mission d’instruction, l’école assure l’acquisition de connaissances et de compétences permettant à tous les élèves de développer leurs potentialités de manière optimale en leur garantissant un enseignement de qualité favorisant l’épanouissement intégral, harmonieux et équilibré de leur personnalité.

Dans cette perspective, l’école fournira les connaissances fondamentales et développera les outils méthodologiques et pédagogiques facilitant l’apprentissage et préparant à la vie active. Elle enrichira les potentiels culturels et cognitifs, physiques et psychologiques permettant :

de maîtriser la langue arabe, langue nationale et officielle, en tant que langue d’enseignement à tous les niveaux du SEN, moyen de production culturelle et de communication;

de promouvoir et d’étendre l’enseignement dans les autres langues nationales, poular, soninké et wolof, qui doivent être développées à l’effet d’être des langues d’acquisition du savoir à tous les niveaux d’enseignement et moyen de production culturelle et de communication;

de maîtriser au moins deux langues étrangères pour tirer meilleur profit des cultures et des civilisations universelles et de l’évolution de la recherche dans les différents domaines;

En ce sens, les Négro-Mauritaniens ont raison de se méfier et de se faire imposer l'arabe, car la hiérarchie entre les langues est évidente.

L'article 65 de la loi n°2022-023 semble confirmer cette tendance, puisque «l'enseignement est dispensé en langue arabe à tous les niveaux d'éducation», tandis que «les langues nationales poular, soninké et wolof sont introduites, promues et développées»: 
 

Article 65

Pour offrir l’accès le plus facile, le plus efficace et le plus équitable au savoir, chaque enfant mauritanien sera enseigné dans sa langue maternelle, tout en tenant compte du contexte local et des impératifs de préservation de la cohésion sociale.

L'enseignement
est dispensé en langue arabe à tous les niveaux d'éducation et de formation, aussi bien dans les établissements publics que dans les établissements privés.

Les langues nationales poular, soninké et wolof sont introduites, promues et développées à tous les niveaux d'éducation, aussi bien dans les établissements publics que dans les établissements privés d'éducation et de formation, à la fois comme langues de communication et comme langues d’enseignement ; selon la langue maternelle et la demande exprimée pour chacune de ces langues.

Au niveau du primaire, chaque enfant mauritanien effectue l’apprentissage des disciplines scientifiques dans sa langue maternelle, tout en tenant compte du contexte local et des impératifs de préservation de la cohésion sociale.

Tout enfant de langue maternelle arabe doit apprendre au moins l’une des trois langues nationales (poular, soninké et wolof). Le choix de cette langue est guidé par le contexte sociodémographique régional.

L’arabe est enseignée à tous les enfants dont il n’est pas la langue maternelle comme langue de communication et comme langue d’enseignement.

Les modalités d'application de cet article seront fixées par voie réglementaire, dans le cadre d’une politique linguistique nationale.

Il est vrai qu'il est affirmé que «tout enfant de langue maternelle arabe doit apprendre au moins l’une des trois langues nationales (poular, soninké et wolof)». Toutefois, il est aussi formulé que «le choix de cette langue est guidé par le contexte sociodémographique régional» et que «les modalités d'application de cet article seront fixées par voie réglementaire, dans le cadre d’une politique linguistique nationale».

Ce n'est guère rassurant pour les non-arabophones. On peut comprendre qu'ils veulent que leurs langues soient d'abord officialisées au même titre que l'arabe, afin de placer les langues sur un pied d'égalité. Dans la loi actuelle, l'imposition de l'arabe et la promotion des autres langues nationales ne correspondent pas à la «même égalité». Finalement, la loi n'est pas contraignante pour le gouvernement, sauf pour l'arabe.  De plus, la législation ne précise pas que l'enseignement de l'arabe aux populations négro-mauritaniennes est donné selon la méthode traditionnelle d'une langue maternelle et non comme une langue seconde, ce qui serait beaucoup plus approprié et mieux adapté. En Mauritanie, même les questions d'ordre pédagogique sont occultées par des positions idéologiques arrêtées.

4.7 La place des langues dans les médias

La Constitution garantit la liberté d'expression et la liberté de la presse. Selon l'organisme Reporters sans frontière, la Mauritanie serait le premier pays arabe en matière de liberté de la presse et l’un des premiers pays africains en la matière. Elle devancerait tous ses voisins, sauf le Sénégal qui apparaissait en 59e position en 2013. Pour les autorités mauritaniennes, être le premier des pays du monde arabe en matière de liberté de presse semble constituer une consécration, mais en réalité il s'agit d'une position très modeste.

- La liberté de presse

Malgré les garanties que présente la Constitution, le gouvernement a fait adopter une loi à ce sujet: l'ordonnance n° 91-023 du 25 juillet 1991 sur la liberté de la presse. Cette loi a été abrogée en 2006 par la nouvelle ordonnance n° 017-2006 sur la liberté de la presse. Cette loi se veut plus libérale, mais elle contient encore toutes les mesures qui peuvent entraver la liberté de la presse, soit les articles 21, 32, 35, 36, 39 et 70. Ainsi, l'article 21 énonce que les publications ou journaux étrangers, quelle que soit leur langue, sont passibles d'interdiction et de lourdes amendes s'ils portent atteinte à l'islam, au crédit de l'État, s'ils nuisent à l'intérêt général ou compromettent l'ordre et la sécurité publics:
 

Article 21

La circulation, la distribution ou la mise en vente sur le territoire de la République islamique de Mauritanie de journaux ou écrits périodiques étrangers, quelle que soit la langue dans laquelle ils sont imprimés et quel que soit le lieu de leur impression, peuvent être interdites par arrêté du ministre de l'Intérieur, lorsqu'ils sont susceptibles de porter atteinte à l'islam ou au crédit de l'État, à nuire l'intérêt général, à compromettre l'ordre et la sécurité publics.

Lorsqu'elles sont faites sciemment, la mise en vente, la distribution ou la reproduction de journaux ou écrits interdits sont punies d'une amende de 200.000 à 500.000 UM. Il en est de même de la reprise sous un titre différent de la publication d'un journal ou d'un écrit interdit. Toutefois, en ce cas l'amende est portée au double.

Il est procédé à la saisie administrative des exemplaires et des reproductions de journaux ou écrits interdits, et de ceux qui en reprennent la publication sous un titre différent.

L'arrêté d'interdiction est susceptible de recours devant la Chambre administrative du tribunal de wilaya, dans le ressort duquel se trouve le journal a été distribué, qui doit statuer dans un délai maximum de 24 heures à compter de la date du dépôt de la requête.

Cette disposition de l'article 21 est évidemment sujette à toutes sortes d'interprétations tout en suspendant une épée de Damoclès sur la presse étrangère. L'article 35 prévoit qu'une «offense au président de la République» est passible d'une amende de 200 000 à deux millions d'ouguiyas, soit de 515 € (ou  687 $US) à 5145 € (ou 6866 $US).

Selon l'article 36, tout journaliste qui publie «de nouvelles fausses» est passible d'une peine de prison de trois mois ou d'une amende débutant à 500 000 d'ouguiyas (1280 € ou 1708 $US) et pouvant aller jusqu'à trois millions d'ouguiyas (7715 € ou 10 295 $US). Pire, si les mêmes faits sont «de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l'effort de guerre de la Nation», la peine de prison est portée à six mois de prison en plus d'une amende pouvant s'élever à cinq millions d'ouguiyas, soit 12 820 € ou 17 110 $US.

Mais ce n'est pas suffisant, car l'article 39 de l'ordonnance n° 017-2006 prévoit des peines pour toute diffamation «envers un ou plusieurs membres du gouvernement, un ou plusieurs membres de l'une ou l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un employé chargé d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin».
 

Article 39

Sera punie de la même peine la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leur fonction ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du gouvernement, un ou plusieurs membres de l'une ou l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un employé chargé d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.

La diffamation contre les mêmes personnes concernant leur vie privée relève de l'article 40 ci-après.

Enfin, en vertu de l'article 70 de l'ordonnance n° 017-2006, le ministre de l'Intérieur et les autorités administratives locales peuvent ordonner par arrêté motivé la saisie administrative de tout numéro d'un journal ou écrit périodique, imprimés placards, affiches, films ou dessins dont la publication porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l'islam, à nuire l'intérêt général, à compromettre l'ordre et la sécurité publics:
 

Article 70

Indépendamment des poursuites et de la saisie judiciaire opérées en vertu des dispositions de la présente ordonnance, le ministre de l'Intérieur et les autorités administratives locales dans les limites de leur compétence territoriale, pourront ordonner par arrêté motivé la saisie administrative de tout numéro d'un journal ou écrit périodique, imprimés placards, affiches, films ou dessins dont la publication porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l'islam, à nuire l'intérêt général, à compromettre l'ordre et la sécurité publics.

Ces mêmes autorités peuvent interdire, par arrêté motivé, l'exposition sur les voies publiques et dans tous les lieux ouverts au public, ainsi que la diffusion par quelque moyen que ce soit sur la voie publique, de toute publication contraire à l'ordre et la moralité publics ou présentant un danger pour les enfants et adolescents.

Cette disposition contient également des notions vagues qui laissent le champ libre à toutes sortes d'interprétation et reprend presque mot à mot les dispositions de l'article 11 de  l'ordonnance n° 91-023 du 25 juillet 1991 sur la liberté de la presse. Cette ordonnance de 1991, de même que l'ordonnance n° 017-2006 sur la liberté de la presse, a servi comme arme de répression contre les médias. Il ne faut jamais oublier qu'en Mauritanie la liberté d'expression et la démocratie ne doivent pas servir de prétexte à l'instauration de l'anarchie. Depuis l’indépendance du pays en 1960, les dirigeants politiques se sont toujours évertués à s'assurer le contrôle des organes d’information.

- La presse écrite

Il existe une centaine de journaux qui paraissent régulièrement en français et/ou en arabe. Une dizaine d'entre eux disparaissent chaque année pour laisser la place à d'autres. Deux quotidiens, Horizon (en français) et Chaab (en arabe) appartiennent au gouvernement et sont généralement consacrés aux nouvelles officielles. La plupart des journaux privés sont publiés en arabe avec plus de 45 titres (Akhbar Nouakchott, Al Aqsa, Al Qalam, Al Shaab, Al Siraj, Sahara Media, etc.), mais près d'une trentaine sont en français (La Calame, La Tortue, La Tribune, Le Méhariste, Mauritanie Nouvelle, L'Éveil Hebdo, etc.) et quelques-uns sont édités à la fois en arabe et en français, dont Rajoul Esharee.

Il n'existe pas de journaux dans les langues nationales ni en hassanya. La tradition essentiellement orale liée à ces langues fait qu’elles sont inexistantes dans le domaine de la presse écrite. La plupart des journaux sont imprimés par l'Imprimerie nationale, mais quelques-uns le sont par l'Imprimerie nouvelle, une société privée.

- Les médias électroniques

La plupart des médias électroniques mauritaniens, c'est-à-dire la radio et la télédiffusion, appartiennent à l’État. La chaîne Radio-Mauritanie émet vingt-quatre heures sur vingt-quatre à Nouakchott. Le français est limité à deux éditions de journal dont les temps cumulés ne dépasseraient pas vingt minutes. Quant aux autres langues, c'est-à-dire les langues nationales, leur temps d’antenne quotidien se limite à moins d’une heure. Le temps restant étant partagé entre l’arabe moderne et l’hassanya. Dans les zones rurales du Sud-Ouest, les radios émettent plus de 60 % de leurs émissions en poular, en soninké et en wolof. Dans ces régions, le français local est utilisé dans les stations privées.

Créée en 1982, la Télévision mauritanienne demeure l'unique chaîne nationale. Elle est relayée par satellite afin d’élargir sa couverture aux principales villes du pays. La Mauritanie est caractérisée par un contrôle étroit de l’État sur les médias, malgré quelques périodes ponctuelles d’allégement du dispositif et d’ouverture. À la télévision nationale, les émissions sont quotidiennes en ce qui concerne l'arabe, l’hassanya et le français, mais avec une prépondérance pour les deux premières. Quant aux langues nationales, elles ne disposent que d'un temps d'antenne limité par jour. Par exemple, le poular bénéficie de 50 minutes par semaine; le soninké, de 50 minutes par semaine; le wolof, de 25 minutes par semaine.

En janvier 2013, la Haute Autorité pour la presse et l’audiovisuel (HAPA) a autorisé trois nouvelles chaînes de télévision qui, jusqu'à présent, émettaient de l'étranger: Mourabitoune, Dava et Chinguitt TV. Elles peuvent dorénavant être diffusées localement. Radio France Internationale (RFI) est rediffusée localement et il est possible de recevoir des émissions télévisées du monde entier grâce à des récepteurs satellitaires et des antennes paraboliques.

Par ailleurs, le français est très présent sur la scène médiatique, notamment dans les journaux privés (Le Calame, la Tribune, le Quotidien de Nouakchott, L’Éveil-Hebdo), le journal gouvernemental Horizon, ainsi que dans les journaux d’information à la radio et à la télévision. On se demande si la radio française RFI n’est pas mieux écoutée que Radio-Mauritanie. Dans la rue, les panneaux routiers et les enseignes des magasins sont pour la plupart bilingues.

- Les quotas linguistiques

En 2006, l'ordonnance n° 2006-034 du 20 octobre 2006 créait la Haute Autorité de la presse et de l'audiovisuel connue aussi sous le sigle HAPA. Cette ordonnance fut abrogée et remplacée par la loi n° 2008-026 abrogeant et remplaçant l'ordonnance n° 2006-034 du 20 octobre 2006 instituant la Haute Autorité de la presse et de l'audiovisuel. Cette dernière loi fut elle-même abrogée et remplacée par la loi n° 2012-018 modifiant certaines dispositions de la loi n° 2008-026 du 6 mai 2008 abrogeant et remplaçant l’ordonnance n° 2006-034 du 20 octobre 2006 instituant la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (HAPA).

La HAPA est une autorité administrative indépendante disposant de la personnalité morale et de l’autonomie financière; elle vise à régulariser les médias en Mauritanie. C'est cet organisme qui accepte, refuse ou retire les permis pour la création de nouvelles chaînes de radio ou de télévision.  C'est aussi l'HAPA qui fait respecter dans les programmes les grilles de quotas linguistiques pour la production audiovisuelle nationale.

En effet, la loi n° 2010-045 du 26 juillet 2010 relative à la communication audiovisuelle (2010) impose des quotas de langues aux chaînes de radio et de télévision dans la production audiovisuelle nationale:

Article 1er

Pour l’application de la présente loi et des textes pris pour son application, on entend par :

13) Production audiovisuelle nationale : Toute production audiovisuelle dont le contenu est à fort enracinement mauritanien, dont la personne morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation est installée en Mauritanie et a recours à des compétences majoritairement nationales et
qui est diffusée en langues nationales ou éventuellement en d’autres langues.

L'article 8 de la loi n° 2010-045 oblige les opérateurs de communication audiovisuelle à respecter la diversité culturelle et linguistique, conformément aux quotas des langues nationales définis dans les cahiers de charges:

Article 8

Les opérateurs de communication audiovisuelle doivent :

- respecter le droit du citoyen à l’information et à l’expression
- fournir une information pluraliste et fidèle;

- respecter la diversité culturelle et linguistique de notre société conformément aux quotas des langues nationales définis dans les cahiers de charges;

L'article 25 énumère les langues concernées dans le cahier de charges, notamment la durée et les caractéristiques générales des programmes réservés en arabe, en poular, en soninké et en wolof:

Article 25

Les cahiers de charges des opérateurs de communication audiovisuelle seront fixés par la HAPA et sont publiés après leur approbation par le ministre chargé de la communication dans le bulletin spécial de cette autorité.

[...]

Le cahier des charges doit préciser notamment :

1. L’objet de la licence ou de l’autorisation, sa durée ainsi que les conditions et les modalités de sa modification et de son renouvellement ;

2. Les engagements de l’attributaire notamment en ce qui concerne :

- l'établissement du réseau, dont ceux relatifs à la zone de couverture du service et au calendrier de réalisation ainsi qu’aux modalités techniques de l'émission ou de la transmission;
- l’exploitation, notamment la séparation des différents éléments des programmes, les conditions d'accès aux points hauts faisant partie du domaine public, les conditions et modalités de câblage des signaux ;

- la durée et les caractéristiques générales des programmes, notamment la part de la production propre, les quotas en langues nationales (arabe, poular, soninké et wolof), la part et les conditions d’insertion des messages publicitaires, la part des émissions parrainées ;
- le recours en priorité aux ressources humaines mauritaniennes;
- les obligations mises à la charge de l’opérateur en matière de recrutement de personnel qualifié ;

Le cahier des charges concernant l'audiovisuel n'est pas encore totalement connu, mais il impliquerait (art. 21) que la diffusion des œuvres musicales d’expressions mauritaniennes interprétées dans une langue régionale en usage en Mauritanie ou par des artistes d’origine mauritanienne doit atteindre un minimum de pourcentage. À la radio, il est imposé un maximum de pourcentage pour les programmes diffusées dans une langue étrangère.  Ces quotas fixés par la HAPA sont perçus par certains comme une contrainte contre l'épanouissement des cultures et des langues non arabo-berbères, telles le français et les langues nationales africaines.

En Mauritanie, ce sont les élites arabophones qui détiennent le pouvoir depuis l'indépendance. Elles ont aussitôt élaboré une politique linguistique axée essentiellement sur l'éducation et l'enseignement des langues. Tous les gouvernements, tous régimes confondus à l'exception de rares petites parenthèses, ont fait la promotion du panarabisme issu du nassérisme égyptien et du baassisme syrien, au point de créer une rupture entre les deux communautés arabes et négro-africaines qui composent la Mauritanie.

Les principales réformes en éducation pour la promotion de l'arabe ont eu lieu en 1967, en 1973, en 1978 et en 1999. La variété d'arabe choisi a été l'arabe littéral aux dépens de toutes les langues nationales, que ce soit l'hassanya, le poular, le soninké, le wolof, etc. Cependant, l'arabe autre que l'hassanya n'a pas fait fureur en Mauritanie : les arabophones lui ont préféré l'hassanya moins éloigné de l'arabe coranique. Dans le processus d'officialisation, toutes les langues nationales ont été écartées, y compris l'hassanya, la langue maternelle de la majorité de la population. Les courants nationalistes panarabes ont tout fait pour que l’on reconnaisse la Mauritanie comme un pays arabe, alors que l’arabité ne constitue qu’une partie importante de son identité, les autres étant la berbérité et l'africanité.  

Il existe en Mauritanie des lobbys pro-arabes très puissants qui dictent aux différents gouvernements la politique à suivre en matière culturelle et linguistique. L'arabe a acquis le statut de «langue officielle», alors que les autres langues ne sont que des «langues nationales». Normalement, lorsqu'un État déclare une langue «nationale», il ne s'engage pas lui-même à utiliser cette langue, mais il en assure seulement la protection et la promotion, afin d'en faciliter l'usage par les citoyens. Par contre, l'État est tenu d'employer et de protéger une langue officielle. De fait, l'État mauritanien a adopté une politique à l'égard des langues nationales, mais c'est celle de la non-intervention et de l'exclusion, sinon d'une certaine hostilité. À la suite de conflits ethniques qui paralysent le pays depuis plus d'un demi-siècle, les langues nationales n'ont jamais été officialisées.

De plus, en Mauritanie, le statut de «langue nationale» ne veut rien dire, sauf pour l'arabe qui est aussi doté du statut de «langue officielle». Quant au français, bien qu'il n'ait aujourd'hui aucun statut juridique en Mauritanie, il bénéficie dans les faits (de facto) de prérogatives d'une langue co-officielle. En effet, il est employé dans les textes de loi, les formulaires administratifs, l'enseignement et les manuels scolaires, la publicité, les médias, etc. Mais la place du français dans l'avenir dépend de certains facteurs aussi bien politiques qu'institutionnels: elle est, d'une part, liée à la qualité des relations entre la Mauritanie et la France, d'autre part, par le nombre de Mauritaniens «francophones» et par la place du français, tant dans les médias que dans l’enseignement.

La politique linguistique de la Mauritanie, telle qu'elle a été pratiquée jusqu'ici, était vouée à l'échec parce qu'elle discriminait toutes les langues parlées par la population, d'abord l'hassanya, puis les langues négro-africaines, au profit de deux langues qui ne sont la langue maternelle d'à peu près personne, c'est-à-dire l'arabe littéral et le français. La politique d'arabisation instaurée par l'oligarchie mauritanienne a été imposées par le pouvoir politique à toute la population. Contrairement à d'autres pays occidentaux, par exemple la Pologne, la Lituanie ou l'Estonie, qui ont élaboré des politiques linguistiques réhabilitant la langue du peuple (polonais, lituanien ou estonien) contre l'omniprésence du russe, l'État mauritanien a voulu d'abord supprimer la langue du colonisateur, le français, pour ensuite imposer une autre langue, l'arabe différent de l'arabe mauritanien, l'hassanya. Éliminer le français pouvait être justifié, mais pas l'hassanya.

Or, la politique linguistique aurait été fort différente si elles avaient été orientées vers l'arabe hassanya et les langues afro-africaines, plutôt que vers l'arabe littéral que fort peu de personnes parlent. La politique linguistique mauritanienne va toujours à rebrousse-poil des désirs de la population parce qu'elle consiste à disqualifier les langues maternelles des citoyens, l'arabe hassanya et les langues nationales, afin de privilégier l'opposition entre deux langues secondes, l'arabe littéral et le français. Ce genre de politique linguistique ne peut pas faire fureur auprès de la population.

En plus de soixante-dix ans, la Mauritanie n'a jamais pu trouver de solution satisfaisante à la question linguistique. Le modèle mauritanien démontre éloquemment que l'idéologie ultranationaliste qui fait fi de la langue du peuple dominant (l'hassanya) ou celle des minorités importantes peut entraver le développement économique en suscitant des conflits à perpétuité. Les dirigeants mauritaniens ne l'ont malheureusement jamais compris, aveuglés par leurs réflexes idéologiques d'assimilation non exempts de xénophobie. Il semble bien que le partage du pouvoir soit apparemment impossible en Mauritanie, car cette société demeure aujourd'hui très hiérarchisée et contrôlée par les Maures blancs (les Beidanes), eux-mêmes soutenus entre descendants des grandes familles de guerriers ou de marabouts, et de tribus moins prestigieuses. La très grande majorité des pouvoirs économiques, politiques et militaires est entre leurs mains, le tout avec une justice défaillante et des fonctionnaires réputés corrompus.

Évidemment, la Mauritanie n'est pas le seul État aux prises avec une telle situation qui n'est pas sans rappeler celle qui a prévalu dans les deux pays maghrébins frontaliers, le Maroc et l'Algérie, sans oublier la Tunisie plus à l'est. Une triste conséquence de la colonisation européenne, bien que l'arabisation tous azimuts d'une variété différente de la population repose sur les épaules d'une élite dirigeante mauritanienne.

Dernière mise à jour: 22 avr. 2024
 

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