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Conclusion
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La politique linguistique du Québec comprend deux volets: le premier vise la réhabilitation de la langue française dans son statut de langue officielle, le second a comme but la conservation des droits de la minorité anglophone de langue anglaise. Dans ce dernier cas, il s'agit officiellement d'un statut juridique différencié, mais dans les faits ce statut s'avère relativement égalitaire.
La politique linguistique relative à la réhabilitation du français a connu certains succès. Si l'objectif du législateur était de rendre le Québec aussi français que l'Ontario était anglais, le résultat semble assez positif dans la mesure où le Québec était manifestement influencé par l'anglais. Les résultats les plus manifestes concernent la scolarisation en français des immigrants, la francisation du monde du travail et de l'affichage commercial.
Au moment de l'adoption de la Charte de la langue française (loi 101) en 1977 (modifiée en 2022), plus de 80 % des enfants allophones de la région métropolitaine s'inscrivaient à l'école anglaise. Si l'on ajoutait à ce nombre 1,6 % des élèves francophones, un élève sur quatre inscrit dans une école anglaise n'était pas de langue maternelle anglaise. Or, suite aux mesures législatives, la proportion d'écoliers allophones à l'école anglaise avait déjà chuté à moins de 50 % en 1983-1984. Bref, alors que la fréquentation par les immigrants dans les écoles de langue française était de 15 % en 1977, elle était à 36 % en 1986-1987, mais à 80 % en 1996. Les faits révèlent que les écoles anglaises drainent encore 10 % des élèves québécois, ce qui correspond à leur représentation démographique. Si l'objectif de la loi québécoise était de faire en sorte que les enfants d'immigrants passent tous sauf exceptions à l'école française, c'est assez réussi .
Au moment de l'adoption de la loi 101, le bilinguisme était un fait acquis dans un grand nombre d'établissements commerciaux de même que l'unilinguisme anglais et l'unilinguisme français. Toutefois, en tenant compte de la proportion des Anglo-Québécois, l'anglais était nettement sur-représentés, particulièrement à Montréal où l'on pouvait croire que le français était la langue de la minorité. En 1996, les études démontrent que 87 % des messages observés dans les vitrines des commerces de Montréal sont rédigés en français. Or, les anglophones forment 12 % de la population de la ville de Montréal et dans la région métropolitaine. Là aussi, la politique linguistique semble avoir réussi.
Du côté du monde du travail, au début des années 1970, les postes de cadre étaient occupés par 38 % des francophones au Québec, les communications écrites étaient rédigées dans 82 % des cas et la plupart des francophones instruits devaient travailler en anglais. En 1996, dans l'ensemble du Québec, plus de 95 % des employés du secteur privé travaillaient en français, mais cette proportion baissait à 46 % pour les grandes entreprises montréalaises de haute technologie, lesquelles soumettaient les francophones à des doses de bilinguisation encore importantes (40 % des travailleurs à Montréal). Malgré ces progrès réel, la francisation paraît limitée dans son ampleur parce que le français est souvent davantage une langue de traduction venant s'ajouter à l'anglais plutôt qu'une langue de travail qui vient se substituer à l'anglais.
En outre, il est resté des dizaines de milliers de petites entreprises de moins de 50 employés qui ne seront probablement jamais touchées par la loi et qui contribueront à réduire la francisation du milieu de travail. Or, 98 % des entreprises du Québec sont de petites entreprises. Il faut y ajouter environ 260 centres de recherches et sièges sociaux qui continueront de fonctionner surtout en anglais, et ce, dans le cadre de la Charte de la langue française, en vertu d'ententes particulières négociées avec l'Office de la langue française.
En somme, malgré les lois linguistiques, la majorité francophone du Québec n'est pas encore au bout de sa peine. Les problèmes liés à la dénatalité et à l'immigration constituent des défis de taille, et ils n'ont rien à voir avec les «Anglais»! Le défi démographique est plus grave que les questions d'ordre économique et constitutionnel. Si la société francophone du Québec refuse d'y faire face, elle aura perdu dans quelques décennies le "caractère distinct" qui a contribué à sa survie au Canada.
Un autre problème majeur réside néanmoins dans les droits constitutionnels du Québec. Malheureusement, en cette matière, le Québec ne pourra plus jamais faire modifier la Constitution canadienne afin d'en constituer une partie prenante. Au Canada, la loi fondamentale du pays n'est pas le résultat d'une entente entre deux communautés linguistiques, mais une constitution impliquant le Québec et imposée par la majorité anglophone. Ce contentieux, jamais résolu, risque fort de compromettre un jour la légitimité du Canada face à une minorité — le Québec — économiquement riche mais démocratiquement pénalisée.
2 La protection de la minorité anglophone
Parmi toutes les minorités du Canada, la minorité anglophone du Québec est celle qui possède les droits linguistiques les plus étendus. En effet, cette-ci a le droit d'employer l'anglais à l'Assemblée nationale et toutes les lois sont promulguées et traduites en anglais. Les membres de cette minorité ont aussi droit à des procès dans leur langue, le juge étant même obligé de rendre ses sentences en anglais. Ils peuvent obtenir tous les services désirés en anglais auprès de l'administration publique québécoise et auprès de la plupart des municipalités. Les anglophones ont des journaux très puissants et trois universités dans la province. Ils contrôlent également leurs institutions de santé et de services sociaux, leurs écoles où 97 % de leurs enfants ont accès à l'école dans leur langue (alors que dans certaines provinces anglaises seulement 10 % des francophones ont la possibilité de fréquenter une école française). Ils ont aussi accès à tous les services parapublics en anglais. Et, dans une ville comme Montréal, ils peuvent travailler uniquement en anglais sans être inquiétés. Ils ont accès à des radios et à des télévisions d'État ou privées d'excellente qualité. Bref, ils peuvent fonctionner en anglais toute leur vie sans même connaître le français.
Même si, dans les faits, la Charte de la langue française accorde les mêmes droits aux anglophones qu'aux francophones, sauf en ce qui a trait à l'affichage (prédominance du français) et à la signalisation routière (unilinguisme français), ces droits paraissent dans le texte de la Charte complètement éparpillés dans la gamme des droits de la majorité. Autrement dit, il faut presque être juriste pour reconnaître les droits linguistiques de la minorité anglophone.
De plus, on peut se demander pourquoi cette minorité n'est jamais formellement nommée dans la Charte, ce qui constitue sans nul doute une maladresse impardonnable à l'égard de la minorité. Il aurait été plus avisé de regrouper dans un seul chapitre les nombreux droits accordés à la minorité anglophone et de leur consentir officiellement, comme on le fait dans plusieurs pays, un statut juridique de minoritaire. Enfin, l'accès à la fonction publique québécoise pour les membres de cette communauté est quasiment nul, ce qui n'est pas normal.
Si l'on fait exception de ces quelques lacunes, il faut reconnaître que les droits de cette minorité anglophone sont les plus étendus parmi toutes les minorités du Canada, voire dans tout le monde occidental. Ces droits sont, en effet, comparables, sinon supérieurs, à ceux que plusieurs États démocratiques particulièrement généreux accordent à leurs minorités: par exemple, la Finlande (suédophones), l'Italie (germanophones de la province de Bolzano), l'Espagne (Catalans, Galiciens et Basques), l'Allemagne (minorités sorabes), l'Autriche (Slovènes), la Lituanie (Russes et Polonais), la Suède (finnophones), les Pays-Bas (Frisons), la Hongrie (toutes les minorités), etc.
Pourtant, les Anglo-Québécois se
montrent insatisfaits de leur sort: comme ils n'ont pas accepté leur nouveau
statut de minoritaires alors qu'ils font partie de la majorité du Canada, ils sont forcément déçus!
De plus, la plupart des anglophones se définissent par rapport à un espace
politique (le Canada anglais) différent de celui (le Québec) de nombreux
francophones.
Au plan strictement stratégique, l'un des problèmes fondamentaux de la politique linguistique du Québec, c'est que celui-ci ne peut demeurer le maître d'œuvre de ses législations linguistiques qui, au surplus, sont incompatibles avec celles du gouvernement canadien. Le Québec doit composer avec une force politique qui lui est supérieure — le gouvernement fédéral — et qui dispose de moyens plus puissants: le recours à la Constitution canadienne, la nomination des juges à la Cour suprême, la complicité des neuf premiers ministres provinciaux anglophones, l'appui de l'électorat majoritaire anglo-canadien, la menace de la «punition économique», etc. L'expérience montre que le Canada anglais peut même modifier la Constitution canadienne sans l'accord du Québec de façon à casser rétroactivement la législation québécoise afin de protéger l'anglais et d'assurer ainsi sa présence dans cette province francophone.
Pour rendre compatibles la politique linguistique du gouvernement fédéral et celle du gouvernement québécois, il faudrait satisfaire aux conditions suivantes:
1) soit que le gouvernement canadien ait comme objectif de protéger le français partout au Canada, y compris au Québec;
2) soit que le gouvernement québécois adopte le principe de la dualité canadienne (ou bilinguisme officiel), y compris sur son propre territoire;
3) soit que le Québec, à l'exemple des cantons suisses, obtienne la pleine souveraineté en matière linguistique, ce qui n'est pas possible en vertu de la Constitution canadienne en vigueur;
4) soit que le Québec devienne partie prenante obligatoire en matière constitutionnelle, et que la Constitution canadienne soit le résultat d'un compromis à la fois du Canada anglais et du Québec;
5) soit que le Canada anglais prenne à son compte la spécificité québécoise au plan constitutionnel et l'intègre dans son projet de société;
6) que le Québec devienne un État souverain et soit libre d'élaborer ses propres politiques linguistiques comme il l'entend.
Dans le cadre de l'actuelle fédération canadienne, les conflits sont là pour durer et la marmite linguistique risque de renverser encore régulièrement, mais avec une fréquence moins élevée que par le passé. Lorsque les Québécois commenceront à représenter moins de 20 % de la population canadienne, le rapport de force diminuera encore entre francophones et anglophones (à la faveur de ces derniers), tant au Canada qu'au Québec.
Puis certaines personnalités politiques canadiennes demanderont de réviser à la baisse les politiques de bilinguisme au Canada, pendant que d'autres personnalités québécoises feront de même dans leur province, avec comme conséquence des revendications de moins en moins agréées de la part des majorités anglaises (provinces anglaises) et francophone (Québec).
Enfin, les Québécois resteront impuissants à modifier la Constitution canadienne et ce contentieux risque de dégénérer au prix de remettre en question la légitimité du Canada qui, au lieu de considérer sa minorité comme une partie constituante de lui-même, la traite comme une entité antagoniste où la compétition et la concurrence sont de mise. Or, ce refus de la part du Canada anglais de prendre à son compte la réalité québécoise, loin d'atténuer les velléité sécessionnistes, contribuera plutôt à les renforcer. Mais, ça, les politiciens fédéraux canadiens l'ignorent ou font semblant de l'ignorer!
Néanmoins, à la lecture de
l'histoire du français au Québec, on peut croire que la langue française,
dans le contexte géographique canadien et nord-américain, aura toujours besoin
d’être soutenue par des mesures particulières, politiquement
interventionnistes, parfois coûteuses, et pouvant entraîner aussi des
bénéfices dans la mesure où le français devient de plus en plus utile,
indispensable et rentable au plan économique. Quoi qu’il en soit, le
Québec continuera inévitablement d’évoluer dans un environnement
continental fortement marqué par la présence de l’anglais. Ce constat fait
partie du destin du Québec et il vaudrait mieux apprendre à composer avec cette
réalité que de la nier.
D’ailleurs, le Québec n’a-t-il pas réussi jusqu’ici à échapper à l’assimilation britannique, à l’annexion américaine et à la domination anglo-canadienne? L'histoire nous enseigne que les Québécois ont franchi bien des obstacles, qu’ils continuent toujours de vivre en français, qu’ils sont devenus «eux-mêmes» et qu’ils sont disposés à partager leur patrimoine avec tous les citoyens du Québec. Cette appropriation du passé et du présent laisse croire que le Québec peut se tourner vers l’avenir pour construire une nouvelle société dans le partage d’une langue commune, le français. Cependant, le français en Amérique du Nord sera toujours en minorité avec les inconvénients de la situation d'une langue minoritaire.