Province de Québec
(5) La politique linguistique
et la 
Charte de la langue française

 

Cette page tient compte des dispositions de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, adoptée par l'Assemblée nationale du Québec le 24 mai 2022 et sanctionnée le 1er juin 2022. Cette loi modifiait considérablement la Charte de la langue française de 1977. Les lignes qui suivent présentent les dispositions de la version à jour de 2022 de la Charte de la langue française.  

Plan de l'article

1 La stratégie linguistique
1.1 Les principes généraux
1.2 Un comportement de majoritaire

2 La langue de la législature et de la justice
2.1. L'intervention de la Cour suprême
2.2. Une loi réparatrice

3 La langue de l'administration
3.1 Les municipalités dites «reconnues»
3.2 La signalisation routière

4 La langue des organismes parapublics
4.1 Une connaissance appropriée du français
4.2 Les résidents temporaires

5 La langue du travail, du commerce et des affaires
5.1 La promotion socio-économique des francophones
5.2 Les activités commerciales
5.3 La bataille judiciaire
5.4 Une campagne de sensibilisation ratée
 
6 Les langues d'enseignement
6.1 Le principe fondamental
6.2 Les établissements publics primaires et secondaires
6.3 Les établissements postsecondaires

7 Les organismes linguistiques
7.1 La Commission de toponymie
7.2 L'Office québécois de la langue française (OQLF)
7.3 Le ministère de la Langue française
7.4 Francisation Québec
7.5 Commissaire à la langue française

8 Le français, langue commune
8.1 La modification unilatérale de la Constitution de 1867
8.2 La version anglaise de validation

9 La contre-offensive fédérale
9.1 Les prescriptions constitutionnelles de 1867
9.2 La conception fédérale des droits linguistiques
9.3 La politique refusée d'une asymétrie des droits
9.4 L'ADN des nations majoritaires
9.5 Le refus de la souveraineté linguistique et culturelle

1 La stratégie linguistique

La victoire électorale du Parti québécois, au soir du 15 novembre 1976, a marqué un tournant décisif dans la politique linguistique du Québec. Héritier des réformes amorcées par la Révolution tranquille, le gouvernement de René Lévesque a poursuivi la politique de l'État interventionniste en l'appliquant au domaine de la langue. On a dû reprendre les conclusions du Rapport Gendron, mais en allant beaucoup plus loin que le gouvernement précédent. Les francophones ont salué comme un événement historique cette loi qui venait modifier complètement les règles du jeu entre l'anglais et le français. La Charte de la langue française, souvent plus connue sous son nom officieux de «loi 101», a été adoptée en 1977, soit un an après l'arrivée au pouvoir du Parti québécois.

1.1 Les principes généraux

La stratégie linguistique de la Charte de la langue française reposait sur trois principes généraux visant à corriger les problèmes qui traînaient en longueur depuis plusieurs décennies:

a) endiguer le processus d'assimilation et de minorisation des francophones;
b) assurer la prédominance socio-économique de la majorité francophone;
c) réaliser l'affirmation du fait français.

Étant donné que la population québécoise était formée (en 1971) de 80,8 % de francophones, de 14,7 % d'anglophones et de 4,5 % d'allophones, il importait que le français, plutôt que l'anglais, devienne la langue commune de tous les Québécois. C'est pourquoi la majorité devait obtenir s'imposer devant les minorités. D'où le rejet du bilinguisme officiel ou généralisé dont l'expérience passée a démontré qu'il constituait la plus grande menace à la vitalité du français, parce qu'il entraînait la dégradation de la langue de la majorité, favorisait l'unilinguisme des anglophones et assurait la prédominance de l'anglais dans tous les secteurs.

1.2 Un comportement de majoritaire

En somme, la Charte de la langue française témoignait du fait que les Québécois francophones pouvaient se comporter comme une majorité et utiliser les pouvoirs politiques dont ils disposaient. Il faut bien se rendre compte qu'une simple loi provinciale, adoptée par un État non souverain, constitue un véritable exploit, probablement unique au monde, du moins, à ce moment-là. De façon générale, il n'est pas courant qu'un État non souverain protège «trop» sa langue régionale aux dépens de la langue majoritaire à l'échelle nationale. 

Si le Québec a pu le faire, c'est parce que, d'une part, la Constitution canadienne ne prévoyait à peu près rien en ce qui concerne les pouvoirs des provinces en matière de langue (sauf l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867), d'autre part, parce que le Québec constitue une minorité forte au sein de la fédération canadienne et qu'il a su tirer profit de la situation. Enfin, le gouvernement a pu agir parce qu’il tentait de renverser une situation jugée anormale en faisant porter le poids du bilinguisme dans la vie publique sur la minorité anglophone plutôt que sur la majorité francophone. Ce fut de courte durée, car en 1982, le Canada a pu faire adopter une nouvelle constitution sans l'accord du Québec avec effets rétroactifs sur ses lois adoptées en toute légalité.

2 La langue de la législature et de la justice

L'article 1er de la Charte de la langue française proclame que «le français est la langue officielle du Québec». Cette loi va beaucoup plus loin que la précédente loi 22 (Loi sur la langue officielle, 1974), tant par l'affirmation du français dans tous les domaines que par son caractère coercitif. Le français devient la langue de la législature et de la justice, de l'administration publique, des organismes parapublics et des ordres professionnels, du travail, du commerce, des affaires, de l'enseignement, de l'affichage; bref, c'est la langue pour tous, pour tout, partout.

Les articles 7 à 13 de la Charte de la langue française déclarent que le français est la langue de la législature et de la justice au Québec. À l'origine de la loi, le Parlement devait rédiger et sanctionner les lois uniquement dans la langue officielle tout en offrant une version anglaise. Dans les tribunaux provinciaux, les personnes morales devaient plaider dans la langue officielle et les jugements devaient être rendus en français; les personnes physiques pouvaient utiliser la langue de leur choix.

2.1. L'intervention de la Cour suprême

On connaît le sort fait par la Cour suprême du Canada à cette partie de la loi. En 1979, la Cour suprême décréta inconstitutionnelles les dispositions de la loi 101 touchant à la langue de la législation et des tribunaux (chapitre III) parce qu'elles étaient incompatibles avec l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exige le bilinguisme dans ces institutions au Québec. Selon la Cour, le Québec n'avait pas le droit de déclarer que le français était la seule langue officielle de la législation et des tribunaux, même si, dans les faits, la loi permettait à tout anglophone de s'exprimer en anglais au Parlement ainsi que dans toutes les cours de justice québécoises. De par le Constitution canadienne de 1867, le français et l'anglais demeurent les deux langues officielles dans ces domaines. 

D'ailleurs, vingt ans plus tard, le «père de la loi 101» (la Charte de la langue française), Camille Laurin (le ministre qui avait présenté à l'époque le projet de loi à l'Assemblée nationale), reconnaissait qu'il savait très bien que ces dispositions étaient inconstitutionnelles. Il affirmait alors aux médias: «On a fait exprès pour mettre ces articles. Ça nous a donné l'occasion de déchirer nos chemises en public, de démonter aux Québécois qu'ils constituent un peuple dominé et d'affirmer que seule l'accession à la souveraineté permettra de rétablir la loi dans son intégralité.» Pendant que des francophones trouvent que le Québec ne va pas assez loin avec des lois dites «réparatrices», des anglophones considèrent que celui-ci adopte des lois «injustes et aberrantes».

2.2. Une loi réparatrice

Le Québec se résolut à adopter une autre «loi réparatrice» dont le long titre est le suivant: Loi concernant un jugement rendu par la Cour suprême du Canada le 13 décembre 1979 sur la langue de la législation et de la justice au Québec. La loi déclarait valide la version anglaise des lois adoptées seulement en français (art. 1). L'article 5 annonce toutefois que, en cas de divergence entre les textes français et anglais, le texte français prévaut (art. 7.1). L'article 8 de la Charte de la langue française est plus précis: «Les règlements et les autres actes de nature similaire auxquels ne s’applique pas l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, tel que les règlements municipaux, doivent être rédigés, adoptés et publiés exclusivement en français.» Même l'article 7.1 soulève la controverse chez les anglophones: «En cas de divergence entre les versions française et anglaise d’une loi, d’un règlement ou d’un autre acte visé au paragraphe 1° ou 2° de l’article 7 que les règles ordinaires d’interprétation ne permettent pas de résoudre convenablement, le texte français prévaut.»

L'article 12 de la Charte de la langue française énonce qu'il ne peut être exigé de la personne devant être nommée à la fonction de juge qu’elle ait la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle sauf si le ministre de la Justice, après consultation du ministre de la Langue française, estime que, d’une part, l’exercice de cette fonction nécessite une telle connaissance et que, d’autre part, tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter d’imposer une telle exigence.

3 La langue de l'administration

On entre ici dans un domaine plus sûr puisqu'il s'agit de la langue du gouvernement, de ses ministères et autres organismes de l'État. Les articles 13.1 à 29.4 de la Charte de la langue française décrètent l'unilinguisme officiel dans les cas suivants: «Le gouvernement, ses ministères et les autres organismes de l'Administration utilisent uniquement la langue officielle, dans leurs communications écrites entre eux» (art. 17). 

Toutefois, selon l'article 16, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les cas, les conditions ou les circonstances où une autre langue peut être utilisée en plus de la langue officielle. De façon générale, les exceptions concernant l'emploi d'une autre langue s'applique aux personnes physiques qui peuvent s'adresser à l'administration dans une autre langue, et les organismes municipaux ou scolaires, les services de santé ainsi que les services sociaux qui ont le droit d'utiliser une autre langue s'ils fournissent leurs services à des personnes en majorité autres que françaises. Dans les cas prévus par le Règlement, l'affichage des organismes municipaux et des services de santé peut être bilingue, mais avec prédominance du français.

3.1 Les municipalités dites «reconnues»

En 1983, le gouvernement du Québec adoptait des modifications importantes à la Charte de la langue française en élargissant les droits linguistiques de la communauté anglophone: bilinguisme institutionnel pour les organismes de langue anglaise, droit des municipalités majoritairement anglaises de conserver une désignation bilingue, droit des organismes publics officiellement anglophones d'utiliser l'anglais dans les communications internes (art. 26 à 28).

L'article 29.1 reconnaît qu'une municipalité est bilingue lorsque plus de la moitié des résidents de son territoire sont de langue maternelle anglaise:
 

Article 29.1

Les centres de services scolaires anglophones et le centre de services scolaire du Littoral sont des organismes scolaires reconnus.

L’Office doit reconnaître, à sa demande:

1° une municipalité, lorsque plus de la moitié des résidents de son territoire sont de langue maternelle anglaise;
2° un organisme relevant de l’autorité d’une ou de plusieurs municipalités et participant à l’administration de leur territoire, lorsque chacune de ces municipalités est déjà reconnue;
3° un établissement de services de santé et de services sociaux visé à l’annexe I, lorsqu’il fournit ses services à des personnes en majorité d’une langue autre que le français.

Le gouvernement peut, sur demande de l’organisme ou de l’établissement qui ne satisfait plus à la condition qui lui a permis d’obtenir la reconnaissance de l’Office, retirer celle-ci s’il le juge approprié compte tenu des circonstances et après avoir consulté l’Office. Cette demande est faite auprès de l’Office qui la transmet au gouvernement avec copie du dossier. Ce dernier informe l’Office et l’organisme ou l’établissement de sa décision.

Cette règle du 50 % apparaît relativement sévère, car en règle générale les États admettent un seuil moins élevé. Par exemple, selon l’article 5 de la Loi sur les langues de 2004, la Finlande applique la règle des 6 % et 8 %, selon laquelle si la minorité constitue 8 % et plus de la population d'une municipalité, le bilinguisme officiel est obligatoire pour tout ce concerne les services administratifs, gouvernementaux ou municipaux. Si la minorité constitue 6 % et moins de la population, la municipalité perd son statut bilingue; en conséquence, la minorité ne conserve aucune reconnaissance, sauf au gouvernement central.

En vertu de la loi, le français est la langue officielle des municipalités au Québec. Toutefois, les municipalités ou organismes publics «reconnus» ont le droit d'offrir des services dans une autre langue que le français, mais cette reconnaissance ne procure en elle-même aucune garantie de services en anglais aux administrés. De fait, les documents officiels (avis de convocation, procès-verbaux, résolutions) doivent quand même être établis en français, ou à la fois en français et dans l'autre langue, et les salariés de ces organismes ont droit à des directives et communications écrites en français, ou à la fois en français et dans l'autre langue. Cette forme de bilinguisme s'applique aussi à l'affichage des noms de rues (odonymes) dans les municipalités et arrondissements reconnus.

Dans les faits, beaucoup de municipalités offrent des services bilingues, et ce, même si la proportion des anglophones est située en deçà de 30 % ou même à moins de 20 %. Il s'agit là d'une des «subtilités» de la Charte de la langue française. Ainsi, la Ville de Montréal, bien qu'elle n'est pas dans l’obligation de rédiger ses règlements en anglais, elle rend plusieurs d'entre eux disponibles en anglais, en plus de la version originale française. Un citoyen peut même employer l’anglais devant un tribunal municipal.

3.2 La signalisation routière

Au point de vue administratif, le Québec a maintenu l'unilinguisme dans la signalisation routière (sauf dans des cas très exceptionnels pour des questions de sécurité).

En 1982, un décret faisait obligation d'employer uniquement le mot ARRÊT sur tous les panneaux de signalisation routière au Québec afin d'indiquer l'obligation d'arrêter à une intersection. Au point de vue administratif, il s'agit du «panneau P-10» indiquant le «panneau d'arrêt obligatoire» de forme octogonale sur fond rouge. Le mot STOP est considéré comme un mot «anglais». L'emploi de STOP ou ARRÊT a suscité la controverse jusqu'à l'Assemblée nationale après l'adoption de la loi 101 en 1977. Le mot STOP a été jugé à ce moment-là comme inacceptable au Québec parce que ce terme est employé dans toute l'Amérique du Nord.

Afin de faire plus «français», ou plus «québécois», et d'exprimer l'identité particulière de la province, le mot ARRÊT fut considéré préférable. Les politiciens ont aussi décidé que les Québécois n'avaient pas à imiter les Français qui, eux, utiliseraient beaucoup trop d'anglicismes. Par contre, on trouve partout le panneau CONSTRUCTION (sens ambigu) au lieu de TRAVAUX sur toutes les routes du Québec, ainsi que DÉTOUR au lieu de DÉVIATION.

Puis le décret du 15 décembre 1992 du ministre des Transports du gouvernement du Québec renversa le décret de 1982, puisque le mot STOP était tout aussi français. Depuis ce dernier décret, l'utilisation des termes ARRÊT ou STOP au Québec est conforme à la  réglementation à la condition que les deux termes ne figurent pas sur le même panneau, le Québec n'étant pas bilingue. Depuis lors, des villes de la région montréalaise comptant une forte présence d'anglophones (Ville Mont-Royal, Côte-Saint-Luc, Dollard-des-Ormeaux, Westmount, etc.) ont remplacé leurs panneaux ARRÊT par STOP. Le panneau ARRÊT constitue pour certains anglophones «un symbole infâme d'un Québec rigide dans une politique du tout-français» (''infamous symbol of Quebec's rigid French only policy''), car même en France on emploie le mot STOP.

Par ailleurs, les Inuits et les Amérindiens du Québec ont le droit d'afficher dans leurs municipalités des panneaux unilingues ou bilingues (avec le français, ce qui n'exclut pas STOP) en inuktitut, en cri, en innu, en huron, etc. Au Nouveau-Brunswick, on utilise des panneaux bilingues avec STOP au-dessus du mot ARRÊT; on fait de même dans certaines régions de l'Ontario et à Ottawa. Ainsi, au Canada, le mot STOP est anglais, le mot ARRÊT, français.

En fait, l'article 22 de la Charte de la langue française indique seulement que, dans le cas de la signalisation routière, le texte français peut être complété ou remplacé par des symboles ou des pictogrammes et une autre langue peut être utilisée lorsqu’il n’existe aucun symbole ou pictogramme pouvant satisfaire aux exigences de santé ou de sécurité publique.

Quant au Règlement sur l'affichage de l'Administration (1993), il permet l'affichage dans une autre langue avec nette prédominance du français dans deux cas, soit celui des avertissements destinés aux automobilistes qui arrivent au Québec (par exemple : «détecteurs de radar interdits», «radar detectors prohibited»), et celui des messages publicitaires d'organismes à vocation commerciale, comme la SAQ (Société des alcools du Québec) ou Loto-Québec. Ce même règlement autorise enfin le bilinguisme dans les messages affichés sur les sites touristiques, dans les musées et expositions, etc., pourvu que la présentation du français soit au moins équivalente à celle de l'autre langue.

4 La langue des organismes parapublics

Les 11 articles (art. 30 à 40.2) du chapitre V portant sur la «Langue des organismes parapublics» s'adressent essentiellement aux «ordres professionnels»: médecins, dentistes, optométristes, infirmiers et infirmières, ingénieurs, etc.

4.1 Une connaissance appropriée du français

Chaque membre d'un ordre professionnel a l'obligation d'avoir du français une connaissance appropriée à l'exercice de la profession. La connaissance de la langue française est évaluée au moyen de l'examen de français de l'Office québécois de la langue française:
 

Article 30

Les services rendus

Les entreprises d’utilité publique, les ordres professionnels et les membres des ordres professionnels doivent faire en sorte que leurs services soient disponibles dans la langue officielle. Ils doivent rédiger en cette langue les avis, communications et imprimés destinés au public, y compris les titres de transport en commun.

En vertu de l'article 35 de la Charte de la langue française:  «Les ordres professionnels ne peuvent délivrer de permis au Québec qu'à des personnes qui ont de la langue officielle une connaissance appropriée à l'exercice de leurs fonctions.»
 

Article 30.1

Les documents rédigés

Les membres des ordres professionnels doivent fournir en français et sans frais de traduction tout avis, opinion, rapport, expertise ou autre document qu’ils rédigent à toute personne autorisée à les obtenir et qui leur en fait la demande. Cette demande peut être faite à tout moment.

Malgré le premier alinéa, lorsque le client ayant fait appel aux services du membre d’un ordre professionnel est une personne morale, les frais de traduction d’un document visé au premier alinéa à la demande d’une personne autorisée à obtenir ce document, autre que ce client, sont à la charge de celui-ci.

Toute autre personne autorisée à obtenir un document rédigé par un membre d’un ordre professionnel peut exiger une traduction française du document sans frais supplémentaires, même si elle en fait la demande après leur rédaction. Cependant, les frais de traduction sont à la charge du client ayant fait appel aux services
d’un membre d’un ordre professionnel lorsque le client est une personne morale.

4.2 Les résidents temporaires

Selon l'article 37, toute personne résidant au Québec de façon temporaire peut se faire attribuer un permis «pour une période d'au plus un an» et l'Office québécois de la langue française peut autoriser les renouvellements. De plus, selon l'article 35.1, un professionnel ne peut, dans l’exercice de ses activités, refuser de fournir une prestation pour le seul motif qu’on lui demande d’utiliser la langue officielle dans l’exécution de cette prestation.

Ainsi, les membres des ordres professionnels doivent avoir une connaissance du français appropriée à l’exercice de la profession. Les ordres professionnels et l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) déterminent si leurs candidates et candidats doivent passer l’examen de français et les dirigent, le cas échéant, vers la Direction de l’évaluation du français. La réussite de l’examen de français de l’Office permet aux candidates et aux candidats d’obtenir une attestation de connaissance du français, étape préalable à la délivrance par leur ordre ou leur organisme d’un permis d’exercice.

5 La langue du travail, du commerce et des affaires

Il est très rare qu'une loi linguistique aborde des domaines tels que la langue du travail, la langue du commerce et des affaires, la langue de l'affichage. On en voit des exemples aujourd’hui dans des États comme la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie et la Croatie. 

5.1 La promotion socio-économique des francophones

De telles dispositions en la matière témoignent du souci du législateur d'intervenir dans ces domaines pour favoriser la promotion socio-économique du groupe majoritaire. Il en est ainsi lorsque la langue majoritaire (Québec, Lituanie, Estonie, Lettonie, Croatie) a jadis perdu ses droits de majoritaires. Le chapitre VI (art. 40.3 à 50.1) de la Charte de la langue française fixe des conditions et des normes de francisation poussée en matière de communications, d'offres d'emploi, de conventions collectives, de sentences arbitrales, le tout accompagné de sanctions destinées à décourager les contrevenants aux dispositions du chapitre VI. 

Par exemple, non seulement un employeur ne peut refuser d'embaucher une personne sous prétexte qu'elle ne connaît que la langue officielle, mais dans le cas où la connaissance d'une autre langue est nécessaire «il incombe à l’employeur de démontrer au commissaire du travail ou à l’arbitre que l’accomplissement de la tâche nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français» (art. 46). Ici, l'intention du législateur est sans équivoque; elle se conforme à l'article 4 des droits fondamentaux selon lequel les travailleurs québécois ont le droit de travailler en français.

5.2 Les activités commerciales

Le chapitre VII (art. 50.2 à 71) de la Charte de la langue française est la suite logique de celui portant sur la langue du travail en fixant le cadre linguistique dans lequel s'effectuent les activités commerciales. Il s'agit de plus d'une vingtaine d'articles détaillés couvrant toutes les informations écrites offertes aux consommateurs de biens et services: inscriptions sur les produits, catalogues, brochures, dépliants, contrats d'adhésion, bons de commande, certificats de garantie, modes d'emploi, formulaires de demande d'emploi, menus de restaurants, cartes des vins, etc. La loi oblige de fournir tous ces renseignements en français.

- L'affichage commercial

En ce qui a trait à l'affichage, la Charte de la langue française stipulait, jusqu'en décembre 1988, que la publicité commerciale et l'affichage public se faisaient uniquement dans la langue officielle: le français. Cela signifiait que tous les domaines de l'affichage étaient touchés: propriétés et édifices gouvernementaux, administrations municipales, signalisation routière, toponymie, raisons sociales, publicité commerciale, etc. À l'origine, l'article 58 a été modifié à plusieurs reprises (1983, 1988 et 1993) se lisait comme suit en 1977 :
 

Article 58 (original 1977 abrogé)

L'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle.

Sous réserve des exceptions prévues par la loi ou par les règlements de l'Office de la langue française, l'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle.

Article 58 (en vigueur)

L’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français.

Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.

Toutefois, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les lieux, les cas, les conditions ou les circonstances où l’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue.

- Les accommodements

La loi 101 prévoyait, en effet, de nombreux accommodements à l'intention des minorités. L'affichage bilingue ou multilingue (avec toute autre langue que le français) était en effet permis à l'intérieur des édifices publics ou commerciaux dans certaines conditions. Il s'agit principalement des organismes municipaux à majorité anglophone, des institutions scolaires, des services de santé, des services sociaux, des petites entreprises de moins de quatre employés, ainsi que de toute affiche destinée à des fins culturelles ou ethniques. De plus, l'unilinguisme autre que français était également permis pour des messages à caractère religieux, politique, humanitaire ou idéologique, c'est-à-dire pour des informations transmises par tout organisme sans but lucratif. On peut lire un extrait de la lettre que René Lévesque, alors premier ministre du Québec, adressait au président d’Alliance Québec, un puissant lobby anglophone à cette époque. Quoi qu'il en soit, les articles 58, 59 et 60 ont fait l'objet d'une longue bataille judiciaire. Voici comment se présentent maintenant ces articles:
 

Article 58.1

Malgré l’article 58, dans l’affichage public et la publicité commerciale, une marque de commerce peut être rédigée, même en partie, uniquement dans une autre langue que le français, lorsque, à la fois, elle est une marque de commerce déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13) et qu’aucune version correspondante en français ne se trouve au registre tenu selon cette loi.
Toutefois, dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, le français doit figurer de façon nettement prédominante, lorsqu’une telle marque y figure dans une telle autre langue.

Article 59

L’article 58 ne s’applique pas à la publicité véhiculée par des organes d’information diffusant dans une langue autre que le français ni aux messages de type religieux, politique, idéologique ou humanitaire pourvu qu’ils ne soient pas à but lucratif.

Article 60 (Abrogé).

5.3 La bataille judiciaire

Le gouvernement imposait les restrictions relatives à l'affichage en anglais en raison du contexte nord-américain. Il semblait normal qu'au Québec tous prennent conscience du caractère distinct de la société québécoise. Une trop grande ouverture à l'usage de l'anglais pourrait ramener au Québec un bilinguisme généralisé, surtout à Montréal. Or, l'affichage unilingue fit l'objet d'une autre bataille judiciaire. Dans un premier jugement rendu le 28 décembre 1984, la Cour supérieure du Québec a invalidé les articles interdisant l'affichage unilingue en soutenant que la loi violait la liberté d'expression consacrée dans la Charte québécoise des droits. Dans un jugement rendu le 15 décembre 1988, la Cour suprême du Canada a confirmé le jugement. Selon la Cour suprême, le Québec a le droit d'imposer l'usage du français, mais ne peut interdire l'anglais: les chartes des droits, canadienne et québécoise, garantissent la liberté d'expression, et ce, même dans le discours commercial.

La loi québécoise a dû être modifiée pour se conformer au jugement rendu par la Cour suprême du Canada. Ce fut l’objet de la loi 178 (Loi modifiant la Charte de la langue française, 1988), adoptée par le gouvernement Bourassa, qui provoqua un immense mécontentement dans tout le Canada anglais. Selon les termes de la loi 178 (sanctionnée le 22 décembre 1988), l'unilinguisme français dans l'affichage public et dans la publicité commerciale continuait de prévaloir à l'extérieur des établissements. Même si la loi rendait obligatoire l'affichage en français à l'intérieur des établissements commerciaux (employant moins de 50 personnes, mais plus de cinq), elle permettait l'utilisation de toute autre langue (pour les commerces comptant quatre personnes ou moins) pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.

Enfin, plusieurs autres accommodements ont été prévus dans la réglementation, car la loi 178 permettait au gouvernement de déterminer lui-même les modalités et conditions suivant lesquelles l'affichage commercial pouvait être fait à la fois en français et dans une autre langue. Ce fut l’objet du décret 1130-89 du 12 juillet 1989.

De plus, la loi 178 recourait à la clause dérogatoire de la Constitution canadienne. Grâce à cette clause de la Constitution canadienne, l'article 10 de la loi 178 comportait des dispositions visant à assurer la sécurité juridique des règles relatives aux langues de l'affichage. Ainsi, pouvait-on lire à l’article 10 de cette loi québécoise controversée:  

Article 10

Les dispositions de l'article 58 et celles du premier alinéa de l'article 68, respectivement édictées par les articles 1 et 6 de la présente loi, ont effet indépendamment des dispositions du paragraphe b de l'article 2 et de l'article 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre XI du recueil des lois du parlement du Royaume-Uni pour l'année 1982) et s'appliquent malgré les articles 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., chapitre C-2).

Toutefois, la loi 178 ou Loi modifiant la Charte de la langue française a été condamnée dans tout le Canada anglais parce que le Québec supprimait alors des libertés individuelles – la liberté d’expression – accordées aux anglophones. Un comité des Nations unies a même donné raison aux anglophones à ce sujet tout en précisant que la communauté anglo-québécoise ne pouvait être considérée comme une «minorité» puisqu’elle fait partie de la majorité canadienne. Le 18 juin 1993, la loi 178 était remplacée par la loi 86 (Loi modifiant la Charte de la langue française); quoi qu'il en soit, cette loi 178 serait devenue caduque le 22 décembre de la même année, sauf si elle avait été reconduite, ce qui n'a pas été le cas.

Toute cette controverse montrait hors de tout doute que le Québec n'avait pas le droit, et il l'a pas encore, de «trop» protéger sa langue aux dépens de la langue anglaise, pendant que les militants anglophones demeurent sourds aux droits des francophones que certaines provinces anglaises suppriment sans susciter autant de remous.   

5.4 Une campagne de sensibilisation ratée

Accueil_commerce_francais

En décembre 2008, une nouvelle campagne visant à sensibiliser les commerçants ainsi que les consommateurs à l’usage du français comme langue de service au Québec fut lancée. Cette campagne a été développée autour du thème «ici», principalement dans la région de Montréal, mais aussi en Outaouais et en Estrie. Les consommateurs furent appelés à rechercher le logo aux couleurs de la campagne chez les détaillants avec lesquels ils traitent. Les commerçants qui souhaitaient s’engager à offrir aux consommateurs un service en français pouvaient se procurer le logo à apposer dans leur vitrine.  

C'est l’Office québécois de la langue française qui invitait les commerçants à s’engager à offrir aux consommateurs un service en français à se procurer le logo Ici, on commerce en français. Les commerçants québécois pouvaient se procurer la fameuse vignette sur une base strictement volontaire, sans aucune vérification. Ainsi, un commerçant anglophone pouvait se procurer le petit logo en question, en sachant très bien qu’il n’était pas en mesure d’offrir un service efficace en français, et l’apposer sur sa vitrine. Comme il n'y avait pas de mesures de réprimande ni d'amendes, il s'agissait d'une campagne de sensibilisation peu efficace, d'autant plus qu'elle devait se terminer le 2 janvier 2009, donc quelques semaines. Ce genre d'intervention de la part de l'État québécois (ou basque) témoigne des difficultés à assurer la prédominance de la langue française lorsqu'il existe une importante population anglophone, comme à Montréal et dans l'Outaouais (Gatineau, près de la ville d'Ottawa).

Il est utile de rapporter qu'en juillet 2008 le gouvernement de la Communauté autonome du Pays basque a inauguré une campagne similaire avec le «Sceau d'engagement linguistique» (Sello de Compromiso Lingüístico).  Contrairement au Québec, la mesure était coercitive, comme en témoignent le Décret 123/2008 sur les droits linguistiques des consommateurs et usagers  et le Décret n° 53 réglementant le Sceau d’engagement linguistique Bikain et le Certificat de qualité en gestion linguistique (2009). De plus, l'acquisition de la «vignette» procurait des avantages financiers.

6 Les langues d'enseignement

Le chapitre VIII (art. 72 à 88) de la Charte de la langue française est consacré à la langue de l'enseignement, domaine qui donna souvent lieu dans le passé aux réactions les plus passionnées de la part de tous les groupes linguistiques au Québec.

6.1 Le principe fondamental

Le premier paragraphe de l'article 72 énonce le principe fondamental de la langue d'enseignement: «L'enseignement se donne en français dans les classes maternelles, dans les écoles primaires et secondaires sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre.» L'article 73 prévoit des exceptions à ce principe:
 

Article 73

Peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de l'un de leurs parents,

1o les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu au Canada;

2o les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada, de même que leurs frères et sœurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire ou secondaire reçu au Canada;

[abrogé] 3o les enfants dont le père et la mère ne sont pas des citoyens canadiens, mais dont l'un d'eux a reçu un enseignement primaire en anglais au Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu au Québec;

[abrogé] 4o les enfants qui, lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant le 26 août 1977, recevaient l'enseignement en anglais dans une classe maternelle publique ou à l'école primaire ou secondaire, de même que leurs frères et sœurs;

[abrogé] 5o les enfants dont le père ou la mère résidait au Québec le 26 août 1977, et avait reçu un enseignement primaire en anglais hors du Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu hors du Québec.

Article 73.1

Le gouvernement peut déterminer par règlement le cadre d’analyse suivant lequel une personne désignée en vertu de l’article 75 doit effectuer l’appréciation de la majeure partie de l’enseignement reçu qui est invoqué à l’appui d’une demande d’admissibilité fondée sur l’article 73. Ce cadre d’analyse peut notamment établir des règles, des critères d’appréciation, une pondération, un seuil éliminatoire ou un seuil de passage et des principes interprétatifs.

Le règlement peut préciser dans quels cas ou à quelles conditions un enfant est présumé ou est réputé satisfaire à l’exigence d’avoir reçu la majeure partie de son enseignement en anglais au sens de l’article 73.

Le règlement est adopté par le gouvernement sur la recommandation conjointe du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport et du ministre de la Langue française.

À l'origine, la loi énonçait qu'il s'agissait des «enfants dont le père ou la mère a reçu un enseignement primaire en anglais au Québec» (et non au Canada).  On précisait aussi que la loi concernait «les enfants qui recevaient légalement l'enseignement en anglais dans une école publique du Québec avant l'adoption de la loi». Rappelons le sort réservé par la Cour suprême, le 26 juillet 1984, à la «clause Québec». En effet, la Cour a déclaré cette clause (l'école anglaise uniquement pour les enfants de ceux qui ont étudié en anglais au Québec) rétroactivement inconstitutionnelle, parce qu'elle était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1982

Depuis cet autre jugement, c'est la «clause Canada» qui s'applique au Québec, tel qu'il est précisé maintenant dans la Charte de la langue française. Dès lors, l'école anglaise est également ouverte aux enfants de ceux qui ont fréquenté une école primaire au Canada.

6.2 Les établissements publics primaires et secondaires

Pour récapituler, tous les enfants doivent fréquenter l'école française au Québec, sauf pour les anglophones dont l'un des parents a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada. Cette obligation ne vaut que pour les établissements d'enseignement publics à la maternelle, au primaire et au secondaire (art. 72).

Ajoutons aussi que la loi québécoise prévoit une série d’autres exceptions, notamment pour les enfants dont les parents viennent travailler au Québec pour un temps limité (deux ans et moins). À ce sujet, il existe les règlements suivants:

1. Règlement concernant la demande de recevoir l'enseignement en anglais
Ce règlement prévoit les mesures acceptées pour être admis à l'école anglaise: il faut prouver que l'un des parents a fréquenté l'école primaire anglaise au Québec ou au Canada.


2. Règlement sur l'exemption de l'application du premier alinéa de l'article 72 de la Charte de la langue française qui peut être accordée aux enfants présentant des difficultés graves d'apprentissage

Ce sont principalement les
enfants présentant des difficultés graves d'apprentissage qui se manifestent par un retard scolaire généralisé de deux ans ou plus; ou ceux présentant des difficultés d'apprentissage de la communication écrite ou des mathématiques, celles-ci devant être causées par la dyslexie, la dyscalculie ou la dysorthographie caractérisée qui persistent malgré l'intervention corrective d'un enseignant spécialisé; ou encore ceux qui manifestent des difficultés de langage, de perception et de psychomotricité, etc.

3. Règlement sur l'exemption de l'application du premier alinéa de l'article 72 de la Charte de la langue française qui peut être accordée aux enfants séjournant au Québec de façon temporaire

Il s'agit d'un enfant qui n'est pas citoyen canadien et qui séjourne au Québec de façon temporaire parce qu'il est un enfant à charge d'une personne qui n'est pas un citoyen canadien et qui est affectée de façon temporaire au Québec à titre de représentant ou de fonctionnaire d'un pays autre que le Canada ou d'une organisation internationale.

6.3 Les établissements postsecondaires

Il n'existe aucune obligation en ce qui a trait aux établissements postsecondaires, que ce soit les collèges (appelés CEGEP ou cégep: collège d'enseignement général et professionnel), les instituts supérieurs ou les universités. C'est le libre choix qui prévaut en matière de langue. Cela signifie qu'un francophone a le droit de s'inscrire dans un collège ou une université anglophone, comme un anglophone ou un allophone a aussi le droit de fréquenter un établissement francophone.  

- Les collèges d'enseignement général et professionnel

En principe, les étudiants ont le choix de fréquenter un établissement francophone ou anglophone. La question d’étendre au cégep l’obligation de fréquenter un établissement de langue française est revenue régulièrement au cœur de nombreux militants pour le français au Québec. À ce sujet, plusieurs arguments ont été véhiculés dans les médias. Ainsi, les jeunes immigrants allophones qui fréquentent un cégep anglophone auraient davantage tendance à faire un transfert linguistique vers l’anglais, c’est-à-dire à adopter l’anglais comme nouvelle langue d’usage à la maison. La fréquentation d’un cégep anglophone favoriserait également l’insertion des immigrants dans les sphères anglophones du travail et de la vie publique. Au moment de l’adoption de la Charte de la langue française en 1977, on n’avait pas cru nécessaire de réglementer l’inscription au cégep anglais, puisqu’on faisait l’hypothèse que les habitudes linguistiques prises dans le réseau scolaire primaire et secondaire perdureraient dans la vie publique, peu importe le choix de l’institution postsecondaire.

Selon une étude réalisée par le Conseil supérieur de la langue française (2011), les  élèves issus du secondaire français et qui poursuivaient des études collégiales s’inscrivaient au cégep français dans une proportion qui variait de 93,1 % en 1998 à 92 % en 2007, sans qu'on puisse déceler une tendance. Par ailleurs, c'est dans une proportion de plus de 95% en 2007 que les élèves du secondaire anglais qui entreprenaient leurs études collégiales le faisaient en anglais. On constaterait cependant une légère tendance à la baisse, la proportion étant de 97,5 % en 1998 et de 95,6 % en 2007. Il n'y avait donc pas lieu de l'alarmer. Le Conseil faisait la recommandation suivante:

Le Conseil supérieur de la langue française est d’avis que le réseau collégial actuel, avec la présence de cégeps de langue française et de langue anglaise, doit être maintenu, de même que le libre choix de la langue d’enseignement.

- Les bénéfices pour les établissements anglophones

Pour sa part, le démographe Charles Castonguay, sans remettre en cause ces résultats, il les trouvait incomplets, car ils ne tenaient pas compte des déplacements linguistiques qui survenaient lorsque la langue maternelle de l'étudiant différait de la langue du cégep (collèges post-secondaires) où il avait choisi de s'inscrire. Selon Charles Castonguay (Le français langue commune : Projet inachevé. Montréal, Les Éditions du Renouveau québécois, 2013), de 1981 à 2010, le cégep anglais a attiré au total 54 426 nouveaux inscrits francophones en plus 75 024 nouveaux inscrits allophones. En retranchant les 9905 nouveaux inscrits anglophones, qui avaient choisi le cégep français, le bénéfice net était de 119 545 nouveaux inscrits pour le cégep anglais. Quant au bénéfice correspondant pour le cégep français, il était de 10 100. Bref, le régime de libre choix a profité au cégep anglais pour un nombre de 120 000 nouveaux inscrits, contre 10 000 au cégep français.

Le ministère de l'Enseignement supérieur présentait en 2021 les résultats suivants pour les établissements francophones au collégial:
 

Année Langue maternelle
française
Langue maternelle
anglaise
Autre langue maternelle Total
2007 94,1 % 0,7 % 5,3 % 45 669
2021 87,0 % 1,6 % 11,4 % 45 633

Pour les établissements anglophones:

Année Langue maternelle
française
Langue maternelle
anglaise
Autre langue maternelle Total
2007 23,1 % 52,8 % 24,1 % 55 696
2021 28,9 % 46,1 % 25,0 % 56 516

Au sein des collèges anglophones, 46,1 % des nouveaux inscrits en 2021 étaient de langue maternelle anglaise, alors que 28,9 % étaient de langue maternelle française et 25 %, de langue maternelle autre que le français ou l’anglais. Si l'on additionne les francophones (28,9%) et les allophones (25,0%), on atteint 53,9 % d'étudiants qui ne sont pas de langue maternelle anglaise fréquentant un établissement anglophone. Rappelons qu'après le secondaire les établissements d'enseignement ne sont pas soumis à la Charte de la langue française qui oblige les francophones et les allophones à s'inscrire dans les écoles francophones. Au collégial, c'est le libre choix.

- Le cégep pour les non-anglophones

Le premier constat, c'est que les cégeps anglophones du Québec sont davantage fréquentés par les non-anglophones, la situation étant encore plus prononcée à Montréal. Cela signifie qu'un établissement comme le collège Dawson, un établissement francophone, est davantage non anglophone qu'anglophone. Dans l'ensemble des cégeps anglophones, le gouvernement du Québec se trouvait ainsi à surfinancer ces établissements puisqu'ils surpassaient amplement la proportion des anglophones qui s'établissait à 7,6 % (recensement de 2021). C'est l'équivalent du double de celui auquel ils auraient droit si leur financement était fixé en proportion du poids démographique de la communauté anglophone.

En fait, dans la pratique, en intégrant dans ses rangs près de 50 % d’étudiants non anglophones, c’est-à-dire des francophones et des allophones, les établissements anglophones sont conduits à admettre plus d’étudiants que la limite de leur devis pédagogique et ce qui est nécessaire pour satisfaire aux besoins de la communauté anglophone québécoise. Ils contribuent tous d'abord à la bilinguisation des francophones et des allophones, puis à moyen terme à leur anglicisation en les introduisant dans les réseaux anglophones des études supérieures. Les cégeps anglophones reçoivent 17% des inscriptions, soit le double de la population de langue maternelle anglaise. 

- De nouvelles exigences

Afin de limiter les effets pervers d'une anglicisation des non-anglophones, le gouvernement a prévu un minimum de cours en français dans les établissements anglophones:

Article 88.0.2

L’enseignement collégial dans un établissement francophone se donne en français sous réserve des exceptions prévues à la présente sous-section. Il peut être donné en anglais dans un établissement anglophone.

L’établissement qui donne en anglais l’enseignement collégial doit néanmoins s’assurer que tout étudiant inscrit dans un programme d’études conduisant au diplôme d’études collégiales réussisse avant que ne lui soit délivré un tel diplôme, un minimum de trois cours donnés en français, à l’exclusion des cours de langue d’enseignement et de langue seconde de même que des cours d’éducation physique. Cet établissement peut permettre à un étudiant déclaré admissible à recevoir l’enseignement en anglais conformément à la section I de substituer trois cours de français à ces trois cours donnés en français; ces cours de français s’ajoutent alors aux cours de langue seconde.

L’établissement visé au deuxième alinéa doit voir à ce que les cours exigés en vertu de cet alinéa soient donnés à l’étudiant.

Article 88.0.3

Chacun des cours exigés en vertu de l’article 88.0.2 de même que les cours de langue seconde doivent compter un minimum de 45 heures d’enseignement.

L’évaluation des apprentissages pour chacun de ces cours et la présentation des résultats de cette évaluation sont régies par le régime des études collégiales établi en vertu de l’article 18 de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel (chapitre C-29).

En fait, les élèves anglophones doivent suivre trois cours de français. La loi prévoit qu’il est nécessaire, pour obtenir un diplôme d’études collégiales ou une attestation d’études collégiales, de démontrer un certain niveau de connaissance du français. Cependant, les personnes déclarées admissibles à recevoir l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire et secondaire en anglais sont exemptées de certaines obligations, dont celle de réussir l'épreuve uniforme de français; elles devront plutôt réussir l’épreuve uniforme d’anglais (EUA). Mais tous les autres, francophones et allophones, doivent réussir l'épreuve uniforme de français (EUF). Bref, tous les étudiants non titulaires d’une déclaration doivent réussir l’épreuve uniforme de français, tandis que les titulaires devront réussir un minimum de cinq cours en français ou de français. Tous les étudiants devront également maîtriser la terminologie française appropriée à leur programme d’études.

De plus, le gouvernement a institué une politique d’admission qui donne la priorité aux titulaires d’une déclaration d’admissibilité à l’enseignement en anglais si le nombre de candidats et de candidates dépasse le nombre de places dans un programme donné. En vertu de la Charte de la langue française, le gouvernement plafonne cette proportion et limitera la croissance du nombre de places à la part de la population ayant le droit de fréquenter l’école anglaise. Les cégeps anglophones devront également prioriser l’admission de la clientèle issue des établissements de langue anglaise. Voici des extraits de la loi:

Article 88.0.5

Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie détermine, pour chaque année scolaire, un effectif total particulier à chacun des établissements anglophones offrant l’enseignement collégial.

Lorsqu’il détermine un effectif total particulier pour une année scolaire, le ministre s’assure que, pour cette année scolaire, l’ensemble des effectifs totaux particuliers des établissements anglophones n’augmente pas et n’excède pas la moindre des proportions suivantes de l’ensemble des effectifs totaux particuliers de tous les établissements anglophones et francophones:

1° 17,5%;
2° la part de l’ensemble des effectifs totaux particuliers pour l’année scolaire précédente des établissements anglophones sur l’ensemble des effectifs totaux particuliers de tous les établissements anglophones et francophones pour cette même année scolaire.

Article 88.0.10

En plus de l’effectif total particulier à un établissement anglophone que le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie détermine en vertu de l’article 88.0.5, le ministre détermine, pour chaque année scolaire, un contingent particulier à cet établissement à l’égard des programmes d’études conduisant à l’attestation d’études collégiales.

Lorsqu’il détermine un contingent particulier pour une année scolaire, le ministre s’assure que, pour cette année scolaire, l’ensemble des contingents particuliers des établissements anglophones n’augmente pas et n’excède pas la moindre des proportions suivantes de l’ensemble des contingents particuliers de tous les établissements anglophones et francophones:

1° 11,7%;
2° la part de l’ensemble des contingents particuliers pour l’année scolaire précédente des établissements anglophones sur l’ensemble des contingents particuliers de tous les établissements anglophones et francophones pour cette même année scolaire.

Plutôt que d'appliquer les exigences de la Charte de la langue française aux écoles primaires et secondaires en anglais — seuls les anglophones dont les parents ont étudié en anglais —, le gouvernement a préféré limiter le nombre des admissions pour les non-anglophones dans un cégep anglais. 

- Les universités

Le Québec compte approximativement quelque 200 000 étudiants universitaires dans les établissements francophones et 65 000 dans les établissements anglophones. Au total, trois étudiants québécois sur quatre fréquentent une université de langue française. Dans tout le réseau scolaire québécois, il existe 70 % de francophones, 15 % d'anglophones et 15% d'allophones (langue tierce).

En examinant la fréquentation universitaire, nous pouvons apercevoir qu'il existe un déséquilibre manifeste entre les établissements francophones et anglophones. De fait, les Anglo-Québécois, ceux qui ont l'anglais comme langue maternelle, représentent près de 8 % de la population québécoise, mais ils représentaient, selon les données du ministère de l'Éducation de 2011, quelque 25 % des étudiants fréquentant les universités de langue anglaise au Québec et 18 % suivant une formation collégiale en anglais. Ainsi, un certain nombre de Québécois francophones choisissent de faire leurs études universitaires en anglais, ce qui correspond à 5,8 % de l'ensemble (9498 étudiants), alors que leur présence compte pour 14,6 % des 65 000 étudiants du réseau universitaire anglophone. Par conséquent, les francophones sont numériquement plus nombreux dans les universités anglophones que les allophones résidents québécois (au nombre de 5616). Rappelons qu'en 2011 le Québec comptait 7,8 millions d’habitants dont 78 % de langue maternelle française, 7,6 % de langue maternelle anglaise, 12,3 % de langue maternelle autre que l'anglais et le français (allophones et autochtones): 
 

Province 2021

Population totale
(en milliers)

Anglais

Français

Autre langue

Québec 
8 406 905
 639 365
(7,6 %)
6 291 440
(74,8 %)
1 177 320
(14,2 %)

Aujourd'hui, les deux plus importantes universités anglophones, l'Université McGill et l'Université Concordia, sont situées à Montréal, là où le déclin des francophones se fait le plus sentir. Ces établissements de haut calibre constituent des facteurs de développement économique, social et culturel; en vertu du libre choix, ils attirent un nombre important de francophones et d'allophones, qui apprennent à pratiquer leur future profession en anglais.

En 2023, le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec a annoncé de nouvelles exigences aux universités anglophones, des contraintes de tarif et des contraintes en francisation. Il s'agissait d'abord de faire passer de 9000$ à 12 000$ par année le tarif minimal des étudiants étrangers et de ceux qui viennent des autres provinces canadiennes, sauf pour l’université Bishop’s de Sherbrooke, qui sera pour sa part exemptée de cette hausse. De plus, le financement du gouvernement est conditionnel à l’atteinte des cibles en francisation. En réalité, le gouvernement québécois n'a jamais osé appliquer les critères d'admission aux écoles primaires et secondaires en anglais, ce qu'il aurait pu faire pour endiguer l'anglicisation des étudiants francophones et allophones.  

Dès 2025-2026, au moins 80 % des étudiants non québécois devront atteindre un niveau intermédiaire de français l’oral au terme de leurs études tel que déterminé par l’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français. D’une part, les universités visées seraient contraintes de réduire, par centaines et chaque année, le nombre de cours que les étudiants inscrits à leurs programmes devront compléter pour terminer leurs études, pour les remplacer par des cours de français. L’alternative serait de prolonger la durée des études d’environ une session.

Selon l’Université McGill, l’atteinte du Niveau 5 à l’oral exige la réussite de 18 crédits de cours de français, langue seconde. Ceci équivaut à plus d’une session universitaire à temps plein (15 crédits en temps normal), consacrée uniquement à des cours de français. Les universités McGill et Concordia devraient donc, chaque année, mettre à l’horaire une série de six cours de trois crédits de français langue seconde (Français I à VI, en quelque sorte). L’Échelle québécoise comporte trois stades : Débutant (niveaux 1 à 4); Intermédiaire (niveau 5 à 8); Avancé (niveaux 9 à 12). Québec exige le Niveau 5 plutôt que le Niveau 6, afin que les exigences soient «réalistes et atteignables». Aucune exigence à l’écrit n'est imposée. 

Bien sûr, les universités anglophones se sont opposées à ces exigences, invoquant le fait qu'ils perdront des étudiants en raison des frais de scolarité plus élevés et que les cours de français sont trop exigeants avec des «cibles inatteignables»; il faudrait aussi une réorganisation du corps professoral au détriment de la spécialisation universitaire. Bref, c'est la catastrophe annoncée! Ces objections sont de bonne guerre de la part d'établissements supérieurs qui ont toujours fait ce qu'ils voulaient sans jamais se soucier qu'ils faisaient partie du Québec dont ils ont toujours reçu un surfinancement en rapport avec la représentation de leurs étudiants dans la population québécoise. Il était certain que la moindre exigence allait être mal reçue par les autorités universitaires anglophones. 

On aurait intérêt à regarder du côté des universités estoniennes qui vivent les mêmes problèmes avec l'estonien face à l'anglais et au russe. La maîtrise d'un certain niveau de connaissance de la langue officielle dans les universités où l'on enseignement en anglais (ou en russe) est obligatoire, quitte à ajouter une année supplémentaire. De plus, le gouvernement peut obliger un établissement universitaire à employer l'estonien comme langue de travail, ce qui oblige les étudiants à communiquer dans la langue officielle avec le personnel administratif. Par comparaison, les exigences du Québec sont relativement modestes.

7 Les organismes linguistiques

La timidité des moyens de contrôle ainsi que l'absence de sanctions appropriées avaient rendu les lois précédentes (loi 63 de 1969 et loi 22 de 1974) presque inopérantes. Le législateur de 1977 en a tiré une leçon, puisque la Charte de la langue française prescrit et impose des sanctions. Au moment de l'adoption de la Charte, on a prévu la création de trois organismes chargés de l'application de la politique linguistique: l'Office de la langue française, la Commission de protection de la langue française, le Conseil de la langue française. Depuis la loi 104, Loi modifiant la Charte de la langue française de 2002, les fonctions originellement dévolues à l'Office de la langue française et à la Commission de protection de la langue française ont été regroupées au sein d'un nouvel organisme appelé Office québécois de la langue française. De plus, la version de 2022 de la Charte de la langue française a encore modifié le nom des organismes linguistiques. En date de 2022, les organismes linguistiques sont les suivants:

- la Commission de toponymie (art. 122-128)
- le ministère de la Langue française (art. 155-156.17)
- Francisation Québec (art. 156.23-156.26)
- l'Office québécois de la langue française (art. 157-184)
- le Commissaire à la langue française art. (185-204.15)

7.1 La Commission de toponymie

La Commission de toponymie (art. 122-128, Titre II) a été créée le 26 août 1977 en vertu de l'article 122 de la Charte de la langue française. Elle remplaçait alors la Commission de géographie du Québec, elle-même créée en 1912. La Commission de toponymie propose au gouvernement les critères de choix et les règles d’écriture de tous les noms de lieux:
 

Article 124

La Commission a compétence pour proposer au gouvernement les critères de choix et les règles d’écriture de tous les noms de lieux et pour attribuer en dernier ressort des noms aux lieux qui n’en ont pas encore aussi bien que pour approuver tout changement de nom de lieu.

Le gouvernement peut établir, par règlement, les critères de choix de noms de lieux, les règles d’écriture à respecter en matière de toponymie et la méthode à suivre pour dénommer des lieux et en faire approuver la dénomination.

Le Commission donne son avis à l'État concernant les changements toponymiques; elle est rattachée administrativement à l'Office québécois de la langue française.

7.2 L'Office québécois de la langue française (OQLF)

L'Office québécois de la langue française (art. 157-184, Titre III) a été institué en 1977. Il poursuit deux objectifs principaux: la terminologie et le respect de la Charte de la langue française. 

- Les travaux terminologiques

L'OQLF a été institué pour définir et conduire la politique québécoise en matière de recherche linguistique et de terminologie (art. 159):

Article 159

L’Office définit et conduit la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique et de terminologie. Il veille à la mise en œuvre des programmes de conformité de l’Administration ainsi que des mesures de francisation des entreprises incluant les services d’apprentissage du français au sein de ces dernières, le cas échéant, en collaboration avec Francisation Québec.

Il est également chargé d’assurer le respect de la présente loi, sous réserve des pouvoirs conférés au ministre ou au commissaire.

L'une des premières obligations de l'Office est de normaliser et de diffuser les termes et expressions qu'il approuve. Cette fonction terminologique correspond à celle qu'exerce en France l'Académie française lorsqu'elle impose des termes ou des expressions aux employés de l'État. Au Québec, l'Office québécois de la langue française peut rendre obligatoire l'usage des termes et expressions normalisés dans l'administration, dans l'affichage et dans certains documents utilisés par les industries; depuis 1983, cette disposition s'applique à l'administration et à l'enseignement.

Le travail de l'Office a suscité parfois des controverses au sujet de certains termes normalisés; p. ex. centre commercial, bœuf mariné ("smoked meat"), racinette ("root beer"), soda mousse ("cream soda"), mazout ("huile à chauffage"), parc de stationnement ("parking"), etc., mais en général les décisions de l'Office ne causent pas de «perturbations sociales».

Depuis 1974, l'Office a créé de nombreuses commissions de terminologie, qui ont accompli un travail gigantesque: publication de 125 lexiques spécialisés et constitution d'une banque de terminologie traitant aujourd'hui plus de trois millions de termes français-anglais et anglais-français, ce qui en fait la plus grande banque de données terminologique de toute la francophonie. Ces travaux sont d'une extrême importance parce qu'ils facilitent la francisation des entreprises, dont plus de 300 sont reliées par Internet à la Banque de terminologie du Québec (BTQ) sous le nom de Le Grand Dictionnaire terminologique

- Le respect de la loi

L'Office québécois de la langue française doit surveiller la situation linguistique au Québec, notamment dans certains secteurs telles la langue de travail, les exigences linguistiques à l'embauche, la langue des services publics, etc.:

Article 160

L’Office surveille l’évolution de la situation linguistique au Québec et en fait rapport au moins tous les cinq ans au ministre, notamment en ce qui a trait à l’usage et au statut de la langue française ainsi qu’aux comportements et attitudes des différents groupes linguistiques.

L’Office utilise, pour la surveillance de l’évolution de la situation linguistique au Québec, les indicateurs énumérés ci-dessous et présente leur variation dans ce rapport:

1° la langue de travail;
2° les exigences linguistiques à l’embauche;
3° la langue des services publics;
4° la langue de service dans les commerces;
5° les effectifs déterminés en vertu des articles 88.0.5 et 88.0.6 et les contingents déterminés en vertu des articles 88.0.10 et 88.0.11;
6° la fréquentation des cours de francisation, incluant les inscriptions, les niveaux de français atteints et les taux de réussite;
7° les substitutions linguistiques;
8° l’importance accordée aux orientations en matière de langue française dans la planification pluriannuelle de l’immigration.

Ce rapport compare notamment l’évolution de l’utilisation du français et de l’anglais au Québec et l’évolution de l’utilisation de ces langues dans le reste du Canada. À cette fin, l’Office tient compte des informations statistiques produites par l’Institut de la statistique du Québec.

L’Office détermine les indicateurs de l’usage du français dans la sphère publique par la population québécoise et les autres indicateurs de suivi utilisés pour produire ce rapport, à l’exception de ceux visés au deuxième alinéa, de concert avec le commissaire à la langue française.

Une autre des fonctions de l'Office consistait à définir la procédure de délivrance, de suspension ou d'annulation des certificats de francisation dans les entreprises (art. 165-184). Selon la Charte de la langue française, toutes les entreprises employant 50 personnes ou plus doivent posséder un certificat de francisation. Les entreprises de 25 à 49 personnes ont jusqu’au 1er juin 2025 pour s’inscrire à l’Office et entreprendre une démarche de francisation.

L'Office de la langue française accorde ou annule un certificat de francisation après avoir évalué le programme de francisation de l'entreprise, programme normalement destiné à généraliser l'utilisation du français au travail, à tous les échelons de l'entreprise.

7.3 Le ministère de la Langue française

Le ministère de la Langue française (art. 155-156.17) vise à favoriser l’établissement et le maintien de conditions porteuses d’avenir pour la langue française, en plus de favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine linguistique francophone du Québec. Le Ministère élabore et fait connaître les grandes orientations définissant l’aménagement linguistique au Québec, en plus de favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine linguistique francophone du Québec. Ce ministère a aussi pour mission de veiller à la cohérence de l’action de l’Administration et à sa conformité aux dispositions de la Charte de la langue française. Pour ce faire, il entretient des liens étroits avec les ministères et organismes du gouvernement québécois, de même qu’avec les organismes municipaux, et travaille en collaboration avec eux.

7.4 Francisation Québec

À l'article 156.23 de la Charte de la langue française, il est institué, au sein du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, une unité administrative appelée «Francisation Québec». Voici ce que l'article 156.24 énonce à ce sujet:
 

Article 156.24

Francisation Québec conduit et gère l’action gouvernementale en matière de francisation des personnes domiciliées au Québec qui ne sont pas assujetties à l’obligation de fréquentation scolaire en vertu de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3), des personnes qui envisagent de s’établir au Québec de même qu’en matière de francisation des personnes au sein d’entreprises.

À cet effet, Francisation Québec est l’unique point d’accès gouvernemental pour ces personnes désirant recevoir des services d’apprentissage du français.

Francisation Québec doit s’assurer de desservir l’ensemble du Québec et établit des bureaux afin d’assurer le droit aux services permettant de faire l’apprentissage du français, prévu au premier alinéa de l’article 6.1. Francisation Québec peut, lorsqu’un établissement offrant l’enseignement collégial ou universitaire met des locaux à sa disposition, y fournir ses services.
Les services d’apprentissage offerts par Francisation Québec sont fournis gratuitement à la personne qui les reçoit, à moins que Francisation Québec n’exige de cette personne le paiement de frais modiques.

Les fonctions de Francisation Québec sont les suivantes :
 

Article 156.25

Les fonctions de Francisation Québec consistent notamment à:

1° coordonner et offrir des services d’apprentissage du français en classe, en milieu de travail et en ligne;
2° déterminer les modalités d’inscription à ces services, de classement des personnes qui les reçoivent et d’évaluation de l’apprentissage du français ainsi que la reddition de comptes à l’égard de ces services rendus pour le compte de Francisation Québec;
3° élaborer, en collaboration avec l’Office, et mettre en place des services d’apprentissage du français dans les entreprises visées à l’article 149;
4° développer des programmes, du matériel et des outils pédagogiques pour faciliter l’apprentissage du français pour les personnes domiciliées au Québec qui ne sont pas assujetties à l’obligation de la fréquentation scolaire en vertu de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3);
5° favoriser, avec la collaboration du ministre responsable de l’application de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (chapitre S-4.1.1), la mise en place, par les prestataires de services de garde éducatifs à l’enfance visés par cette loi, d’activités visant l’apprentissage du français par les enfants;
6° développer et mettre en œuvre des programmes visant à donner la possibilité de participer en français à la société québécoise.

Des ressources en ligne libre d’accès qui contribuent à l’apprentissage du français sont aussi offertes par Francisation Québec.

7.5 Commissaire à la langue française

La Charte crée également le poste de Commissaire à la langue française (art. 185-204.15). L'article 189 énonce ainsi la principale fonction du commissaire:
 

Article 189

Le commissaire a pour fonction de surveiller le respect des droits fondamentaux conférés par la présente loi, l’exécution des obligations qu’elle impose aux personnes, aux entreprises et à l’Administration de même que la mise en œuvre de ses dispositions par le ministre, par l’Office ou par Francisation Québec.

Plus exactement, le Commissaire a les fonctions suivantes:

- surveiller le respect des droits fondamentaux et des obligations prévus à la Charte;
- vérifier la mise en œuvre de ses dispositions par l’Administration, notamment le ministère de la Langue française, l’Office québécois de la langue française et Francisation Québec, ainsi que les institutions parlementaires;
- suivre l’évolution de la situation linguistique du Québec, notamment de la connaissance, de l’apprentissage et de l’utilisation du français par les personnes immigrantes;
- recommander des mesures susceptibles de favoriser l’usage du français comme langue commune;
- réaliser des vérifications et des enquêtes sur toute matière relevant de ses fonctions et d’en faire rapport à l’Assemblée nationale;
- informer le public de toute question relative à la langue française.

Sur proposition du premier ministre et avec l’approbation des deux tiers de ses membres, c'est l’Assemblée nationale qui nomme le commissaire à la langue française; elle en détermine aussi la rémunération, les avantages sociaux et les autres conditions de travail.

8 Le français, langue commune

La refonte de la Charte de la langue française a apporté une nouvelle notion: le français comme langue commune de la nation québécoise:

Article 88.9

À titre de langue commune de la nation québécoise, le français est notamment:

1° la langue d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes leur permettant d’interagir, de s’épanouir au sein de la société québécoise et de participer à son développement;
2° la langue de la communication interculturelle qui permet à tous les Québécois de participer à la vie publique dans cette société;
3° la langue permettant l’adhésion et la contribution à la culture distincte de cette nation.

Article 88.10

La politique québécoise en matière d’immigration visée à l’article 3 de la Loi sur l’immigration au Québec (chapitre I-0.2.1) et à l’article 2 de la Loi sur le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (chapitre M-16.1) doit être conforme à l’objectif de faire du français la langue commune.

Article 88.11

Toute personne domiciliée au Québec qui n’est pas en mesure de communiquer en français est invitée à faire, dans la mesure de ses capacités, l’apprentissage du français pour l’utiliser comme langue commune afin de pouvoir interagir, s’épanouir au sein de la société québécoise et participer à son développement.

8.1 La modification unilatérale de la Constitution de 1867

Le gouvernement de François Legault a tenté un grand coup en modifiant unilatéralement la Constitution canadienne de 1867. Il s'agit de l'article 166 de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (2022):
 

LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867

Article 166


La Loi constitutionnelle de 1867 (30-31 Vict., ch. 3 (R.-U.); 1982,ch. 11 (R.-U.)) est modifiée par l’insertion, après l’article 90, de ce qui suit :

« CARACTÉRISTIQUES FONDAMENTALES DU QUÉBEC

« 90Q.1. Les Québécoises et les Québécois forment une nation.

« 90Q.2. Le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise. ».

Bien qu'il soit souvent affirmé que le français est la seule langue officielle du Québec, la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que le Québec et le Parlement fédéral sont tenus à des obligations de bilinguisme (législation et tribunaux); le Québec, comme toute province, est soumis à l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 en matière d'éducation. Cependant, l'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 énonce aussi ce qui suit:
 

Article 45

Modification par les législatures

Sous réserve de l’article 41, une législature a compétence exclusive pour modifier la Constitution de sa province.

8.2 La version anglaise de validation

Pour avoir le droit d'utiliser cet article 45 de la Constitution de 1982, il faut préalablement être une province canadienne, et ce, à la condition que cela ne touche aucune autre province. Cependant, selon les constitutionnalistes, la Constitution de 1867 a été promulguée uniquement en anglais. Par conséquent, seule la version anglaise de la modification constitutionnelle reconnaissant la nation québécoise a une quelconque valeur légale. La version officielle de la modification constitutionnelle sur les Québécois comme nation est donc la suivante:
 

Article 166

The Constitution Act, 1867 (30-31 Vict., c. 3 (UK); 1982,c. 11 (UK)) is amended by inserting, after section 90, what follows :

“FUNDAMENTAL CHARACTERISTICS OF QUEBEC

" 90Q.1. Quebecers form a nation.

“90Q.2. French shall be the only official language of Quebec. It is also the common language of the Quebec nation."
 

Cette modification constitutionnelle du Québec en anglais semble anachronique, mais c'est la conséquence du fait qu'aucun gouvernement canadien n'a entrepris un quelconque effort sérieux pour rendre officiellement bilingue la British North America Act, en dépit de l'exigence constitutionnelle de l'article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982.

9 La contre-offensive fédérale

En tant que membre de la fédération canadienne, le Québec doit composer avec un gouvernement fédéral qui perçoit sa province francophone comme une entité récalcitrante qu'il faut remettre à l'ordre. Le Canada est un pays de langue anglaise, tandis que le gouvernement fédéral est là pour semoncer le Québec lorsque son gouvernement adopte des mesures jugées trop «discriminatoires» pour protéger la langue de sa majorité locale. Autrement dit, le Québec n'est pas entièrement maître de sa politique linguistique : il risque de toujours se faire contester ses lois linguistiques. Le gouvernement fédéral, qui représente nécessairement la majorité anglo-canadienne, veille au grain pour assurer les droits des anglophones toujours menacés par les Québécois francophones prétenduement xénophobes.  

9.1 Les prescriptions constitutionnelles de 1867

Bien que la langue officielle soit uniquement le français, la Constitution canadienne soumet le Québec au bilinguisme au Parlement, dans les tribunaux et dans les établissements scolaires. Quant aux médias, ils relèvent de la juridiction du gouvernement fédéral.  

Finalement, la Charte de la langue française n'a pas supprimé le bilinguisme traditionnellement établi en faveur de l'anglais; elle ne pouvait pas légalement le faire. Ce statut de seule langue officielle du français est notamment d'ordre symbolique puisque, en vertu d’une disposition de la Constitution canadienne (art. 133 de 1867) prévalant sur les lois québécoises, l’anglais est au Québec sur un pied d’égalité avec le français dans les travaux parlementaires, la rédaction des lois et des règlements, ainsi que dans les tribunaux. Pour le reste, le Québec conserve certaines marges de manœuvre, à la condition qu'il n'en abuse pas.

9.2 La conception fédérale des droits linguistiques

La conception fédérale des droits linguistiques consiste à promouvoir une vision symétrique des langues officielles au Canada, vision selon laquelle les francophones et les anglophones sont considérés comme des groupes égaux. Cette idéologie de la symétrie laisse croire que les francophones du Québec constituent une majorité au Canada et que les deux groupes linguistiques, francophones et anglophones, sont numériquement égaux. Or, les francophones constituent la minorité du Canada puisqu'ils forment quelque 22% de la population canadienne et seulement 2% de l'ensemble nord-américain. Ainsi, le gouvernement fédéral ignore totalement que des droits égaux accordés à des groupes inégaux aboutiront forcément à des résultats inégaux.  

- La suprématie des droits individuels sur les droits collectifs

Dans sa politique linguistique, le gouvernement canadien a écarté toute protection de nature territoriale, y compris au Québec, afin de privilégier le bilinguisme institutionnel dans toutes les provinces canadiennes, un bilinguisme qui est rejeté partout, sauf au Nouveau-Brunswick. On accorde, surtout dans les provinces anglaises, des droits individuels aux francophones, alors qu'il faudrait leur consentir des droits collectifs. On n'a jamais voulu vraiment reconnaître de tels droits au Canada, à l'exception de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982. On croit que la démocratie est liée aux droits individuels et qu'elle est incompatible avec les droits collectifs qui auraient préséance sur les droits personnels.

Toute la législation fédérale accorde des droits personnels, alors qu'il faudrait aussi donner des droits à la langue elle-même, c'est-à-dire au français. C'est que seuls les droits collectifs et territoriaux permettent de protéger efficacement une langue. En réalité, le Canada refuse d'accorder des droits collectifs par crainte que ces droits ne soient utilisés à l'appui de visées sécessionnistes (surtout au Québec). Il subsiste une autre raison: la crainte que les droits collectifs ne réduisent ceux des anglophones du Québec, ce qui paraît inacceptable. Il y a pire: les droits collectifs pourraient réduire les droits pan-canadiens des anglophones qui entreraient au Québec.

Ainsi, ce ne sont pas la langue des «minorités canadiennes» qu'on reconnaît, car il n'existe pas de minorité canadiennes, mais uniquement des minorités provinciales. Les droits sont reconnus uniquement aux personnes appartenant à des minorités qui exercent leurs droits à titre individuel. Ce sont les individus qui ont des droits, pas la langue.

- Les effets pervers de la symétrie des droits

En inversant les rôles dévolus à la langue forte(l'anglais) et à la langue faible (le français), on réduit inévitablement toutes les mesures de protection à l'égard de la véritable minorité canadienne, celle parlant le français. Ce n'est pas un hasard si les francophones du Québec constituent une majorité fragile», il ne peut en être autrement, car ses pouvoirs peuvent toujours être contestés par les tribunaux et les lois fédérales. C'est le sort des «petites nations» non souveraines dont les lois peuvent être rejetées par la juridiction fédérale parce qu'elles n'ont pas le monopole de leurs décisions ou parce qu'elles sont jugées incompatibles avec les valeurs de la majorité nationale.

Grâce à l'action des tribunaux, la politique linguistique fédérale favorise d'interminables poursuites judiciaires, de telle sorte que les francophones du Québec doivent aller jusqu'à combattre les francophones du Canada anglais, tandis que le gouvernement québécois intervient pour réfuter les démonstrations des minorités francophones, et inversement. Les grands gagnants de ces confrontations sont les cabinets d'avocats anglophones payés avec l'argent des contribuables.

Afin de protéger les droits des Anglo-Québécois, le gouvernement fédéral accorde d'énormes subventions aux institutions et aux organismes anglo-québécois dont English Montreal School Board (la commission scolaire English-Montréal), Quebec Community Groups Network, etc., sans oublier les universités anglophones, surtout McGill University et Concordia University. Par exemple, English-Montréal se sert des dizaines de millions d'Ottawa pour combattre les lois du Québec en matière de langue, au lieu d'améliorer l'enseignement aux enfants anglophones. Cette institution, qui pratique le militantisme, est prête à aller jusqu'en Cour suprême du Canada pour faire annuler les lois «trop» favorables au français. Et ce n'est pas une question d'argent!

Par son action, le gouvernement fédéral pratique systématiquement une politique de confrontation avec le Québec. En voulant constamment protéger les Anglo-Québécois, il contribue à angliciser le Québec parce que l'anglais est la langue la plus forte. Au lieu de consacrer son énergie à combattre l’application de la Charte de la langue française au Québec, le gouvernement fédéral devrait faire preuve d'ouverture et s’associer au gouvernement du Québec afin de se doter d’une stratégie commune visant à renforcer la présence du français partout au Canada, y compris au Québec. Dans l'état actuel, le gouvernement fédéral pratique une politique de colonialisme qui dicte au Québec ce qu'il devrait faire pour sa minorité anglophone!

9.3 La politique refusée d'une asymétrie des droits

La réelle protection du Canada à l'égard de sa minorité linguistique de langue officielle consisterait à accorder une asymétrie des droits, autrement dit des droits inégaux et supérieurs pour compenser son inégalité numérique, le Québec francophone bénéficiant ainsi d'une protection particulière de la part du gouvernement fédéral. Or, de façon paradoxale, c'est la communauté anglophone qui, en tant que minorité au Québec, a droit à cette protection fédérale. La politique linguistique fédérale part du postulat que la communauté francophone du Québec est une majorité qui n'a pas besoin de protection et que la communauté anglophone est une minorité qu'il faut protéger.

Pourquoi faut-il constamment rappeler que les francophones du Québec sont minoritaires au Canada et en Amérique du Nord, et que la culture québécoise fait partie de cette diversité qui enrichit le monde, alors qu'elle est menacée par le rouleau compresseur anglo-américain? Rien n'y fait, il faut toujours protéger la langue anglaise au Québec comme si elle était menacée, afin de tenter de sauvegarder le français hors Québec, c'est le prix à payer pour le gouvernement fédéral. En réalité, ce qu'on comprend, c'est que le Canada anglais vise surtout à protéger sa langue! C'est là une attitude normale, bien que colonialiste, pour une majorité souveraine!

9.4 L'ADN des nations majoritaires

La véritable politique linguistique, qui ne changera pas de sitôt, c'est que les anglophones du Canada vont toujours vouloir protéger leur langue au Québec parce que c'est dans leur ADN de majoritaires. Ils n'accepteront jamais des restrictions venant de francophones minoritaires au sein d'un continent nord-américain massivement anglophone. Toute forteresse linguistique paraît inacceptable aux Anglo-Canadiens; elle doit être combattue sans relâche, que ce soit par la culpabilisation, l'intimidation ou le chantage, par le recours à des lois dissuasives ou coercitives, même appliquées rétroactivement, ou par des jugements prévisibles par les tribunaux, parce que cela ferait reculer l'anglais au Québec et entraînerait des restrictions incompatibles à la majorité anglo-canadienne. 

Les représentants du gouvernement fédéral trouvent toujours les mêmes justifications de leurs actes quand cela concerne le Québec. On accuse les Québécois d'un manque d'ouverture aux autres, de xénophobie, de fanatisme, d'exclusion, etc., parce que son appartenance à fédération canadienne n'est acceptée qu'à certaines conditions, dont celle de ne pas toucher à la langue anglaise. En fait, les dirigeants du Canada anglais n'ignorent pas vraiment les mesures réelles de protection à l'égard des minorités, car ils les appliquent quand il s'agit des Anglo-Québécois. 

Par voie de conséquence, l'ADN des majoritaires n'existe à peu près pas chez les francophones du Québec, du moins rarement. D'ailleurs, les politiciens en règle générale se sentent toujours mal à l'aise d'agir «comme s'ils étaient majoritaires» et, quand ils le font, ils vont se faire reprocher d'en faire trop ou d'y «aller un peu trop fort». Il y aura de fortes réactions culpabilisantes, et ce, autant chez les francophones que chez les anglophones québécois. L'aboutissement de cette stratégie, c'est que la victime se met à défendre son bourreau dans une sorte de rapport amour-haine.

En fait, les Québécois sont portés à ignorer que les politiques de leur gouvernement provincial seront toujours fragiles parce qu'elles sont sous haute surveillance de la part d'une communauté anglo-canadienne qui veille au grain. La légitimité d'une petite nation non souveraine sera toujours relative et vue comme suspecte par la majorité!

9.5 Le refus de la souveraineté linguistique et culturelle

Le gouvernement fédéral ne comprend pas — même s'il le comprenait, il ne changerait pas son approche — que le Québec doit être le seul juge et le seul responsable de sa culture et de sa langue, bien que ce soit inacceptable pour un anglophone, de quelque pays qu'il soit, l'anglais étant perçue comme une langue intouchable. Il faudrait qu'on laisse le Québec décider de ses projets, de ses orientations et de ses choix linguistiques et culturels, sans intervenir pour imposer une idéologie anglo-saxonne qui ne cadre pas avec des valeurs qui ne sont pas les siennes. Même la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (1975) est interprétée par des juges nommés par Ottawa pour uniformiser le contenu des droits d'un océan à l'autre, y compris au Québec. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 et l'interprétation que les juges en font deviennent la règle des droits.

Chaque fois que le Québec recourt à une mesure en faveur du français, des représentants du Canada anglais et des Anglo-Québécois, même des francophones, déchirent aussitôt leur chemise en signe de protestation contre ce qu'ils perçoivent comme des mesures autoritaires. Pour les nationalistes et/ou les souverainistes, ce genre de réaction des anglophones et de certains francophones démontre que les Québécois constituent un peuple assujetti à une juridiction disposant du quasi-monopole de la légitimité politique. En effet, pour quelle raison le gouvernement fédéral du Canada accepterait-il de perdre de ses pouvoirs ou de les partager, alors que rien ne le lui oblige. D'ailleurs, dans cette éventualité, le Québec pourrait prendre des décisions avec lesquelles Ottawa ne serait pas d'accord, contraires au multiculturalisme prôné au Canada anglais! Bref, le Québec peut faire ce qu'il veut, mais aux conditions et aux contraintes acceptées par le gouvernement fédéral. Cela signifie ne jamais toucher à la langue anglaise et consentir à vivre avec la concurrence de cette dernière aux conditions prescrites par un gouvernement hiérarchiquement et politiquement supérieur!  

Par conséquent, toute loi linguistique destinée à protéger le français sera toujours contestée! Les tribunaux seront toujours là pour faire entendre raison aux Franco-Québécois. Chaque fois que le Québec aura recours à la clause de dérogation de la Constitution de 1982 (art. 33) pour accorder la préséance aux parlementaires plutôt qu'aux juges, il devra essuyer la réprobation générale du Canada. On peut comprendre que, dans un monde idéal, les élus québécois préféreraient des lois incitatives qui ne feraient mal à personne et qui recevraient aussi de l’accord des anglophones majoritaires et minoritaires, tout en étant rentables au point de vue économique. C’est là réussir la quadrature du cercle!

La législation québécoise s’apparente à une politique de réhabilitation de la langue officielle longtemps privée de son statut de langue majoritaire. On en a aujourd’hui des exemples similaires avec les pays baltes (Etonie, Lettonie et Lituanie), mais aussi le cas dans le Tessin (Suisse), en Catalogne, au Pays basque, en Galice, etc. Une telle législation peut paraître restrictive pour la majorité linguistique d'un pays, ce qui ne lui enlève pas pour autant son caractère légitime. Tout dépend comment, par la suite, la majorité locale aménagera les droits de la minorité locale.

N'oublions pas que, si la Charte de la langue française fait du français la seule langue officielle au Québec, elle ne supprime pas le bilinguisme traditionnellement établi en faveur de l'anglais. Ce statut de seule langue officielle du français est principalement d'ordre symbolique puisque, en vertu d’une disposition de la Constitution canadienne de 1867 qui prévaut sur les lois québécoises, l’anglais est au Québec sur un pied d’égalité avec le français en tant que langue des lois, des règlements, des tribunaux et des travaux parlementaires. Pour le reste, le Québec conserve certaines marges de manœuvre.

Par ailleurs, il est malaisé de vouloir comparer, comme on le fait souvent, la France et le Québec. Sauf pour l’objet linguistique, c'est-à-dire la langue française elle-même, tout semble différent entre la France et le Québec. Dans le premier cas, on a affaire à un État souverain qui pratique une politique linguistique hégémonique depuis des siècles et dispose de puissants moyens financiers. De plus, la législation française impose non seulement l’usage d’une langue, le français, mais également le recours à une terminologie «officielle», ce qui signifie l’interdiction de mots étrangers pour lesquels il existe un équivalent validé par les commissions de terminologie. La loi française a surtout été adoptée pour contrer l'intrusion de la langue anglaise sur le territoire national et donner au gouvernement des moyens juridiques pour intervenir efficacement; la loi n'a jamais eu pour objectif de limiter l'usage des langues régionales de France. Enfin, les lois françaises, contrairement aux lois québécoises, catalanes, basques ou tessinoises, ne peuvent être contestées devant les tribunaux puisque la constitutionnalité des lois est toujours validée avant l’entrée en vigueur du texte.

À l'opposé, la loi québécoise de 1977 (Charte de la langue française) a été maintes fois contestée avec succès dans les tribunaux par des opposants, généralement des anglophones québécois et le gouvernement canadien. Pourtant, la loi québécoise visait avant tout à réparer les injustices économiques et sociales que la majorité francophone se devait de corriger, tout en préservant l'héritage propre à la minorité anglophone.

Alors que la loi française demeure une loi ordinaire, la loi québécoise a accédé au rang d'un «mythe» et s'est transformée en véritable cheval de bataille, tant pour beaucoup de francophones que d'anglophones. Le slogan «Ne touchez pas à la loi 101» est devenu un outil puissant pour rallier les francophones à se positionner devant ceux qu'ils considèrent comme  «la minorité la mieux traitée au monde», mais ce n'est apparemment pas une raison suffisante pour les anglophones pour rejeter toutes les réformes linguistiques. Il est vrai que les injustices passées subies par les francophones, qui ont entraîné avec raison l'élaboration des lois linguistiques, ont aujourd'hui à peu près complètement disparu, mais il sera toujours difficile pour le Québec de légiférer sur le français, une langue minoritaire au Canada et en Amérique du Nord. Et il sera toujours obligé de le faire contre vents et marées.

On peut consulter le texte complet de la Charte de la langue française (dans sa version de 2022).
 

N.B.: On peut aussi lire un article de Louis McComber sur la situation des langues au Nunavik et intitulé «Le Nunavik québécois, une percée francophone dans l'Arctique», en cliquant ICI s.v.p.
Dernière mise à jour: 29 juillet, 2024
 
 Québec  

(1) Présentation générale

 

(2) Données démolinguistiques
 

(3) Le problème de la dénatalité

 

(4) L'enjeu de l'immigration

 

(5) La politique linguistique

 

(6) Les modifications à la Charte de la langue française

 

(7) Les droits linguistiques de la minorité anglophone

 

(8) Les droits linguistiques
des autochtones

 

(9) Conclusion
 
(10) Bibliographie Charte de la langue française (2022) Évolution des frontières 1763-1927