République d'Haïti |
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Haïti
Repiblik d'Ayiti |
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:
tous les sites portant sur Haïti et ressemblant au
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Capitale: Port-au-Prince
Population: 10,7 millions (2015)
Langues officielles: français et créole
Groupe majoritaire: créole (98 %)
Groupes minoritaires: français (1,5 %), espagnol, anglais, arabe,
chinois, etc.
Système politique: république unitaire
Articles constitutionnels (langue): art. 5, 24, 40, 211, 213 et 214 de la
Constitution de
1987 (modifiée).
Lois linguistiques:
Code
d’instruction criminelle (1962);
Décret sur la conservation foncière et l'enregistrement (1977);
Loi autorisant l'usage du créole dans les écoles comme langue d'enseignement et
objet d'enseignement (1979);
Décret organisant le système éducatif haïtien en vue d'offrir des chances égales
à tous et de refléter la culture haïtienne (1982);
Décret
sur le Code douanier (1987);
Décret portant révision du statut général de la Fonction publique (2005);
Décret sur l'impôt sur le revenu (2005);
Document de stratégie nationale pour la croissance et pour la réduction de la
pauvreté (2007);
Loi portant création de l'Académie du créole
haïtien (2014). |
Avis: cette
page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien. |
1 Situation générale
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Haïti est un État situé dans la partie
ouest
de l'île d'Haïti (ou île d'Hispaniola) qu'il partage avec la République Dominicaine
(partie est). C'est la seconde plus grande île des Grandes Antilles
après Cuba.
Haïti est donc limité à l'est par la
République Dominicaine, mais bordé de tous côtés par l'Atlantique et la mer des Caraïbes. Le pays occupe 36 % de la surface de l'île, soit 27 750 km² dans sa partie occidentale.
On constate aussi qu'Haïti est formé de deux péninsules séparées par le golfe de la
Gonâve.
Dans le golfe de la Gonâve se trouve l'île
de la Gonâve, la plus grande des îles
situées au large des côtes d'Haïti. Les autres îles sont (voir
la carte) l'île de la Tortue tout au nord
du pays (au large de Port-de-Paix), et l'île
à Vache, au sud-ouest (au large des Cayes). |
|
Haïti est divisé en
dix départements dirigés par un
délégué nommé par
le gouvernement: le Centre, le Nord, le Nord-Est, le Nord-Ouest, l'Artibonite,
les Nippes, l'Ouest, le Sud, le Sud-Est et la Grande-Anse. La capitale, Port-au-Prince, est de loin la ville la plus
importante du pays, avec 1,1 million d'habitants; elle est située au fond du golfe de
la Gonâve.
Les autres agglomérations, bien plus petites, sont Cap-Haïtien au nord, Les
Cayes au sud et Les Gonaïves au nord-ouest. Rappelons que l'île d'Haïti compte deux
États: à l'est, la République Dominicaine, à l'ouest, la république
d'Haïti. Notons qu'au cours de leur histoire ces deux États n'en ont
formé qu'un seul à trois reprises.
Haïti et la République Dominicaine ont en commun le
colonialisme européen et de nombreuses occupations américaines, des régimes
politiques corrompus à répétition, la religion catholique mêlée au vaudou, une
descendance métissée afro-européenne (plus africaine qu'européenne en Haïti),
de graves problèmes de santé publique, une sous-scolarisation et une faible
productivité agricole. |
Cependant, les difficultés d'Haïti sont considérablement
plus élevées que celles de la République Dominicaine, Haïti demeurant le pays le plus
pauvre des Amériques.
2 Données démolinguistiques
La population d'Haïti était estimée à 8,3 millions d'habitants en 2005.
Environ 74 % de la population vit en zone rurale. La quasi-totalité des
Haïtiens, soit 95 %, descendent des esclaves noirs, le reste de la population
étant constitué de Mulâtres (issus d'un métissage entre Africains et
Français). Aujourd'hui, on estime que presque 400 000 personnes
(environ 5 %) parlent le français; il s'agit d'abord
d'une petite élite de riches qui habitent soit la banlieue située sur les hauteurs
de Pétionville soit les principales villes de l'île (Jérémie, Cap-Haïtien,
Cayes, Jacmel, Gonaïves), et fréquentent de coûteux restaurants français,
ainsi qu'une petite classe moyenne plus scolarisée. Quant au créole, c'est
pratiquement toute la population d'Haïti qui le parle comme langue maternelle.
2.1 Le créole
Le créole haïtien fait partie des créole français parce que sa base
lexicale provient en grande partie du vocabulaire français, bien que
sa grammaire soit restée globalement d'origine africaine. Aujourd’hui, on distingue le
créole martiniquais, le créole guadeloupéen, le créole haïtien, le créole
dominicain, le créole saint-lucien, le créole réunionnais, le créole
guyanais, le créole seychellois, le créole mauricien, etc. La population créolophone
à base française est estimée à environ 10 millions de locuteurs, dont
sept millions en Haïti, environ un million à l'île Maurice, 600 000 à la Réunion,
380 000 à la Martinique, 425 000 à la Guadeloupe, 70 000 aux Seychelles,
etc.
Lorsque deux créolophones unilingues, d'origine
géographique proche (p. ex., Haïti et la Martinique ou la Guadeloupe), communiquent entre eux, il
arrive que l’accent,
l’intonation, un nombre plus ou moins important de termes inconnus, de même que
certains éléments grammaticaux et des tournures syntaxiques, peuvent entraver la
compréhension, surtout lorsque ces créolophones sont peu instruits. Néanmoins,
même si l'intercompréhension entre les créoles des Antilles (par ex., la
Martinique) et les créoles de
l'océan Indien (par ex., La Réunion) est très limitée, pour ne pas dire nulle, ces langues présentent des traits communs si
originaux et si spécifiques qu'on ne peut douter d'une origine commune: la
langue coloniale des XVIIe
et XVIIIe siècles. Évidemment, un créolophone à base de français voit sa
marge de compréhension rétrécir considérablement s’il parle à un créolophone à
base d’anglais; la compréhension risque de se limiter à des messages extrêmement
simples.
En Haïti, 80 % des habitants ne parlent que le créole. Par
conséquent, environ 18 % des Haïtiens parlent le créole et le français (à divers degrés). Certains
habitants viennent de la République Dominicaine et parlent l'espagnol ou
l'anglais. Il y a un tout petit nombre de travailleurs immigrants d'origine arabe et chinoise. Cela
étant dit, le créole demeure la langue qui permet à tous les Haïtiens de se
comprendre entre eux. C'est ce constat qi permettait au linguiste et grammairien haïtien Pradel Pompilus (1914-2000)
d'affirmer en 1973, dans Contribution à l’étude
comparée du créole et du français à partir du créole haïtien:
«Le français n’est pas notre langue
maternelle; la langue de notre vie affective, la langue de notre vie profonde,
la langue de notre vie pratique, pour la plupart d’entre nous, c’est le créole,
idiome à la fois très proche et très éloigné du français.» De fait, le créole
haïtien est une langue très vivante, qui possède une orthographe fixée depuis la
fin des années soixante-dix. De plus en plus d'écrivains en font un usage courant. Dans les
écoles, il existe des manuels en créole et les élèves subissent des examens en
créole.
Le créole parlé à Haïti n'est cependant pas
uniforme. On peut distinguer trois variantes dialectales : le créole du
Nord (incluant Cap-Haïtien), le créole du Centre, dont la capitale
Port-au-Prince, et le créole du Sud. La variante la mieux considérée est celle
de la capitale. Beaucoup d'Haïtiens parlent non seulement leur propre variété de
créole, mais aussi celle de Port-au-Prince pour des raisons pratiques. Néanmoins, l'intercompréhension
entre les trois grandes variétés de créole haïtien demeure relativement aisée,
malgré les différences phonétiques ou lexicales.
Le créole haïtien est parlé aussi en dehors d'Haïti par
les membres de la diaspora, notamment à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane
française, en Floride (Miami), à New York, au Québec (Montréal), en France, etc.
Sur le plan social, le créole haïtien n'est pas très valorisé,
car il est associé à une classe «inférieure». C'est le français, l'anglais ou
l'espagnol qui peuvent servir de langues de prestige. Voici à cet égard un texte
rédigé en 1978 par le ministre Joseph C. Bernard dont l'objectif était
d'éliminer l'élitisme dont souffraient les écoles haïtiennes:
On
assiste donc à une lutte contre [sic] les deux langues, lutte liée tout au
long de l'histoire d'Haïti à une sorte de lutte de classe : le
français, langue de la classe dominante qui fait tout pour dénigrer
et maintenir dans un état d'infériorité la langue du plus grand
nombre; le créole, langue unique des masses à qui on a fini par
faire croire qu'ils [sic] sont inférieurs à ceux qui parlent français. Il
s'est donc créé une idéologie diglossique tendant à consolider la
superposition entre les deux langues en conflit. L'école a été le
moyen le plus sûr pour asseoir cette idéologie. |
Durant plusieurs décennies, la direction
scolaire pouvait instaurer un «système de jetons» en guise de renforcement.
Au cours de la récréation, un enseignant donnait un jeton aux élèves qui
«s'oubliaient» en parlant créole et, après la récréation, ceux-ci étaient
punis. De même, au cours du XIXe siècle et
durant une partie du XXe,
les petits élèves bretons de France, qui étaient surpris à «parler breton»,
devaient porter un bonnet d'âne en guise de punition. Dans d'autres
régions de France, il y eut le sabot de bois à porter au cou, une ardoise à
porter au cou («Je parle breton») ou un objet quelconque destiné à faire exclure
de l'école toute autre langue que le français, quand ce n'était pas pour
attirer les moqueries sur l'élève qui n'appliquait pas le règlement du type
«Interdit de cracher par terre ou de parler breton». On trouvera
ICI (voir
le document) un petit texte (en créole et en français) du
Département haïtien de l'éducation qui, pour conter enfin ce préjugé, invitait l'école à valoriser le
créole.
Le créole a un écriture, mais elle n'a
pas été officialisée. De plus, seuls 9 % des Haïtiens savent écrire
correctement leur langue maternelle.
2.2 Le français
Quant au français, il demeure une langue seconde pour la
plupart des Haïtiens. Les individus les moins scolarisés ne l'apprendront à peu
près jamais; les plus instruits peuvent s'exprimer dans un français convenable, parfois
même excellent et proche du «français de France».
Les Haïtiens bilingues peuvent parler les deux langues en même temps,
c'est-à-dire en alternance, dans une même phrase. Ce phénomène est appelé
«alternance de code» ou «alternance codique», ou encore "code-switching" (de
l'anglais code-switching).
En général, il est rare qu'un
Haïtien ne puisse connaître un minimum de français, mais pour soutenir une
conversation dans cette langue il faut avoir été à l'école assez longtemps, au
moins tout le primaire et une partie du secondaire. Selon certaines estimations,
environ 10 % de la
population haïtienne, soit plus de 830 000 personnes, peuvent s'exprimer en français. On peut s'étonner que le français soit encore parlé
en Haïti, après
deux cents ans d'indépendance, mais ce serait oublier que le créole haïtien est à
base de français; cette langue, en raison de ses similitudes avec le créole, restera
toujours plus près de celui-ci que toute autre langue. Théoriquement du
moins, il apparaît plus facile pour un Haïtien d'apprendre le français que...
l'anglais. C'est un phénomène bien connu à l'île Maurice (océan Indien), alors
que les Mauriciens, presque tous créolophones (à base de français) veulent
apprendre le français d'abord, l'anglais ensuite. En réalité, tous les Haïtiens
s'identifient au créole, ensuite au français parce que c'est la langue du
pouvoir (politique, administratif, éducatif et culturel). Du fait que beaucoup
d'Haïtiens se sont installés en République Dominicaine et aux États-Unis, de
nombreux membres de la diaspora haïtienne parlent également l'espagnol ou
l'anglais.
Le français est aussi la langue maternelle de quelque 1600
Français et d'autant de Québécois vivant en Haïti, dont 90 % demeurant à Port-au-Prince.
2.3 L'anglais
Cette sorte d'opposition entre le français et
le créole est toutefois en train de changer devant les avancées de l'anglais. Alors
qu'autrefois, les Haïtiens instruits s'installaient à Paris, aujourd'hui les
Haïtiens de la diaspora se réfugient d'abord à New York et à Miami, puis à
Montréal (Québec). Les États-Unis accueillent de plus en plus d'Haïtiens qui
acquièrent l'anglais comme langue seconde, qu'ils transmettront à leurs enfants,
lesquels l'utiliseront éventuellement comme langue maternelle. La langue d'une bonne
partie de la diaspora haïtienne risque de changer à l'avantage de l'anglais.
Ceux qui retourneront à Haïti, après avoir séjourné des années aux États-Unis,
auront acquis une autre langue. Même le créole qu'ils parlent est maintenant
influencé par l'anglo-américain. L'anglais est devenu pour une partie de la
diaspora haïtienne la langue de la promotion sociale. Et cette
diaspora, qui regroupe plus de deux millions d'individus, peut devenir le
principal agent de la promotion de l'anglais.
Signe des temps: le chanteur
populaire Wyclef Jean, qui a fait carrière aux États-Unis, entendait se présenter
aux élections présidentielles haïtiennes de novembre 2010. Or, il ignorait le
français, sa langue maternelle étant l'anglais, et son créole, plus que
rudimentaire. S'il avait été élu, il aurait, disait-il, changé la Constitution
pour supprimer le statut du français comme langue officielle et le remplacer par
l'anglais. Bref, le «souverain» ne parlant pas la langue officielle, il la changeait tout
simplement. Au bon peuple de s'adapter. Il n'aurait pas été le premier à agir ainsi.
Lorsque Paul Kagame a pris le pouvoir au Rwanda en 2000, il a pris soin
d'ajouter l'anglais comme langue co-officielle de son pays à côté du kinyarwanda
et du français, car il ignorait le français, lui qui a vécu toute son enfance en
Ouganda, un pays officiellement de langue anglaise. Quant à Wyclef Jean, il
désirait
éliminer le français, pas seulement ajouter l'anglais. Il avait annoncé en anglais
qu'il gouvernerait en créole et en anglais, s'il était élu:
Je vais gouverner en créole et
en anglais. C'est très important d'avoir une personne capable de voyager
partout sur la planète et d'entretenir une conversation avec tout le
monde. Mais je m'assurerai d'avoir mon professeur de français avec moi. |
Wyclef Jean faisait montre d'une
belle naïveté, mais le rappeur populaire dut faire face à
un obstacle de taille: la Constitution haïtienne interdit à un individu ayant la
double nationalité de se porter candidat à une élection présidentielle. Une
telle candidature témoignait du peu de prestige de la classe politique
traditionnelle. Quoi qu'il en soit, le Conseil électoral provisoire a tranché et
a rejeté cette candidature, de même que celle de 15 autres.
Pour le moment, l'anglais ne remplacera pas le français en
Haïti même, mais il risque de lui livrer une solide concurrence, surtout si les
États-Unis maintiennent leur influence. Par exemple, les cours d'anglais de
l'Institut haïtiano-américain de Port-au-Prince sont très courus :
l’institut est fréquenté aujourd’hui par plus de 3100
étudiants par semaine et il est considéré comme le plus sûr moyen
d'obtenir un visa pour les États-Unis. Le campus
de l'Institut haïtiano-américain compte la plus grande
librairie en anglais d'Haïti et des salles pour l’organisation des activités
culturelles dans cette langue. Depuis les années 1980, de nombreuses écoles
privées, dont la langue d'enseignement est l'anglais, ont poussé comme des
champignons. Ces établissements n'attirent pas encore les classes populaires,
mais de plus en plus d'enfants de la classe moyenne les fréquentent.
3 Données historiques
À l'origine, l'île était peuplée
par les Arawaks (ou Taïnos) et les Caraïbes. Les premiers indigènes
avaient nommé leur île, selon le cas, Ayiti,
c'est-à-dire «Terre des hautes montagnes», Quisqueya
ou Bohio. Lorsque Christophe Colomb aperçut
cette île pour la première fois, l'île d'Ayiti comptait probablement quelques
centaines de milliers d'habitants. Christophe Colomb découvrit l'île en 1492 et la baptisa Española
(«l'Espagnole») que les cartographes confondront en Hispaniola
(«Petite Espagne»). L'île d'Hispaniola fut organisée en colonie par Bartolomeo Colomb —
le frère de Christophe — qui fonda, en 1496,
la Nueva Isabela (la «Nouvelle
Isabelle», du nom de la reine de
Castille), laquelle deviendra plus tard Santo Domingo
(Saint-Domingue, en français).
Les Espagnols soumirent les Arawaks et les
Caraïbes à des
travaux forcés afin de les faire extraire l'or des mines. En moins de vingt-cinq ans, les
populations autochtones de Santo Domingo furent complètement décimées. Les Espagnols firent
alors venir des Noirs d'Afrique pour remplacer les
autochtones. Originaires de diverses ethnies, les esclaves noirs
parlaient des langues africaines diverses. Durant tout le XVIe siècle,
Santo Domingo devint la métropole des colonies espagnoles du Nouveau Monde. Dès
que l'île commença à ne plus rapporter de l'or, elle suscita moins
d'intérêt pour les Espagnols. Vers 1545, ceux-ci concentrèrent leurs
efforts dans la partie orientale de l'île qui recelait de l’or en abondance.
3.1 La colonisation française
C'est alors que les Français manifestèrent de l'intérêt
envers la
partie occidentale de l'île. Déjà, des flibustiers et des boucaniers
français s'étaient établis sur l'île de la Tortue au nord et tentaient
périodiquement des incursions sur la «Grande Terre». En dépit des efforts
des Espagnols pour repousser les Français, ceux-ci finirent par occuper la
partie ouest de la «Grande Terre». Comme la France était alors plus riche et
politiquement bien plus puissante que l'Espagne, elle investit massivement
dans l'importation d'esclaves et le développement des plantations.
- L'esclavagisme
Sous l'impulsion du
ministre Colbert, la nouvelle colonie
française prit son essor. La première capitale, Le Cap (qui allait devenir
Cap-Haïtien), fut fondée en 1670 par les Français. Lors du
traité de Ryswick (1697),
l'Espagne reconnut à la France la possession de la partie occidentale de
l'île, qui devint alors la colonie de Saint-Domingue
(la future Haïti), tandis que l’Espagne
conservait la partie orientale qui était toujours appelée Hispaniola
(la future République Dominicaine). Dans la
partie française, Saint-Domingue, les Français continuèrent d'importer des esclaves noirs pour travailler
dans les plantations de canne à sucre. Ces derniers avaient développé une
langue particulière qui allait devenir le créole.
Afin de se protéger des Anglais, les Français
s'installèrent dans une baie et construisirent un hôpital. La capitaine de
vaisseau, de Saint-André, désigna l'endroit comme le «port au Prince» parce que
son navire, qui portait le nom de «Le Prince», y demeurait en rade. Mais la région
continua d'être appelée «Hôpital». C'est en 1749 que fut fondée par les Français
la ville de Port-au-Prince. En 1770, elle
remplaça la ville du Cap-Français comme capitale de la colonie. Pendant la
Révolution française, Port-au-Prince allait être rebaptisée «Port-Républicain»,
pour redevenir en 1804 la capitale du nouveau pays sous le nom de
«Port-au-Prince», qui sera imposé par l'empereur haïtien Jacques
Ier.
C'est au cours de la colonisation française que fut appliqué le fameux Code
noir, une ordonnance de Louis XIV destinée à réglementer le régime
de l’esclavage et précisant les devoirs des maîtres et des esclaves. Ce Code
noir, qui resta en vigueur dans toutes les Antilles, et en Guyane française
jusqu'en 1848 (date de l'abolition définitive de l'esclavage par la France),
fut rarement respecté. Bien que ce code ne traitât pas des questions de
langue, il dépouillait l’esclave de toute son identité. En effet, après le
baptême catholique obligatoire, l'Africain devenait un Nègre et
changeait de nom, abandonnant ses habitudes vestimentaires et sa langue, puis était
marqué au fer rouge et affecté au travail servile.
- Les Acadiens
En 1763,
les colonies britanniques de New York, de la Géorgie et de la
Pennsylvanie expédièrent une partie de «leurs» Acadiens vers Saint-Domingue afin
de s'en débarrasser, soit plus de 400 au total. En 1765, la colonie de la
Nouvelle-Écosse expédia 600 de «ses» Acadiens à Saint-Domingue. Enfin, seuls
quelque 220 Acadiens partirent de la France; ils s'étaient laissé convaincre par
les promesses du
ministre Choiseul.
En tout, plus de 1200 Acadiens furent expédiés
dans la colonie esclavagiste de Saint-Domingue. Certains contemporains de
l'époque évaluent même leur nombre à 3000 individus présents sur le sol de
Saint-Domingue.
Malheureusement,
Saint-Domingue se
révéla un tombeau pour la plupart des Acadiens.La moitié des 400 Acadiens de la Nouvelle-Angleterre trouvèrent la
mort en raison du climat tropical, des maladies (scorbut, variole, etc.), de la
malnutrition et des mauvais traitements. Il en fut de même pour les Acadiens de
la Nouvelle-Écosse et de la France. La population chuta de moitié en une seule
année. Le gouverneur de Saint-Domingue, Charles Henri Théodat (1764-1766), mit
enfin à contribution les Acadiens survivants en les faisant participer à des
travaux forcés pour la construction d'une forteresse. Dès 1765, la plupart des Acadiens demandèrent
aux autorités de quitter l'île. Certains réussirent à obtenir l'autorisation,
mais d'autres s'enfuirent par leurs propres moyens. Finalement, il ne resta que
quelques familles acadiennes dans l'île.
- La révolte des Noirs
La colonie de Saint-Domingue, qu'on appelait souvent «la
Saint-Domingue française», devint la colonie européenne la plus riche de tout
le Nouveau Monde. À la fin du XVIIIe siècle, la valeur des exportations de
Saint-Domingue (Haïti) dépassait même celle des États-Unis; cette prospérité
reposait sur les cultures commerciales de sucre et de café pratiquées dans de
grandes plantations employant près de 500 000 esclaves noirs, encadrés par
quelque 30 000 Blancs. En 1789, à la veille de la Révolution française, la colonie de
Saint-Domingue comptait plus de 700 000 esclaves, ce qui était un nombre
nettement élevé par rapport au nombre de Blancs (moins de 50 000); dans la
partie espagnole de l'île, on ne comptait que 30 000 esclaves. Les
idées de la Révolution française gagnèrent Saint-Domingue. D'abord, les «Grands
Blancs» envisagèrent l'indépendance de l'île; puis les «Petits Blancs»
revendiquèrent l'égalité avec les «Grands Blancs», tandis que les Noirs et
Mulâtres libres exigeaient l'égalité avec les «Petits Blancs».
La révolte des Noirs débuta dès 1791, alors que plus de 1000 Blancs furent
assassinés et les sucreries ainsi que les caféteries, saccagées. Sous la conduite de
leurs chefs — Toussaint Louverture (dit Toussaint Bréda), ensuite Jean-Jacques Dessalines, Henri
Christophe et Alexandre Pétion —, les Noirs menèrent une guerre de
libération. Craignant «de voir passer dans des mains ennemies la propriété de Saint-Domingue», le
représentant de la
Convention de Paris, le commissaire Santhonax, proclama la liberté des esclaves
le 29 août 1793 dans la Province du Nord, et le 4 septembre dans la
Province du Sud. Le 2 février 1794, la Convention
confirma cette déclaration et étendit l'abolition de l'esclavage à toutes les colonies françaises.
La
Convention déclare l'esclavage des nègres aboli dans toutes les
colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans
distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens
français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. |
En réalité, le décret ne devait être
appliqué qu'à la Guadeloupe, avant d'être abrogé par le premier consul
(Bonaparte) en 1802. Pendant ce temps,
dès qu'avait commencé la révolte des Noirs en 1791, les Acadiens, qui avaient survécu
jusque là, s'enfuirent en Louisiane ou aux États-Unis. Cette fois-ci, la Géorgie
les accueillit correctement — la France était devenue l'alliée des États-Unis —,
et ils purent s'installer à St. Mary's dans le comté de Camden. L'installation des Acadiens à Saint-Domingue
s'est révélée un cuisant échec.
- Toussaint
Louverture et Bonaparte
|
Toussaint Louverture, l'un des rares Noirs
à savoir lire et écrire, se
rallia au gouvernement français, et il fut nommé général de la République et gouverneur de l’île.
Mais la menace du rétablissement de l'esclavage par Bonaparte amena Toussaint Louverture à reprendre les armes contre la France.
En 1801, celui-ci prit même possession de la partie
espagnole de l'île qu'il
souhaitait rattacher à Saint-Domingue (Haïti).
Le 29 octobre 1801, Bonaparte fera publier un arrêté avec ces mots: «La
prise de possession de la partie espagnole faite par Toussaint Louverture
est nulle et non avenue» (art. 3). |
En 1802, Bonaparte envoya à Saint-Domingue son beau-frère —
celui-ci avait épousé Pauline Bonaparte —, le général
Charles Victor Emmanuel Leclerc (1772-1802), avec 35 000 hommes et 96
navires (dont 60 prêtés par la Hollande), ce qui constituait la plus grande force expéditionnaire de
l'histoire de France, avec l'ordre formel de «faire respecter la
souveraineté du peuple français». Toussaint Louverture pratiqua une
politique de la terre brûlée, une guerre d’usure, véritable guérilla
usant les troupes françaises qui ne tenaient que la côte. Après trois mois d'une sale campagne pleine d’atrocités,
Toussaint Louverture offrit sa reddition (le 2 mai 1802) au général Leclerc,
contre sa liberté et l'intégration de ses troupes dans l'armée française. Il fut
capturé par ruse le 7 juin et interné au château-fort de Joux, dans le Jura, avec son
fidèle serviteur Mars Plaisir. Pendant son incarcération, Toussaint Louverture
fit l'objet d'une étroite surveillance et ne pouvait communiquer qu'avec son
serviteur. Finalement, malade de froid, il fut trouvé mort le 7 avril 1803, assis
sur une chaise. Il fut enterré comme un obscur prisonnier dans une fosse commune
au cimetière du village de Saint-Pierre, près de la forteresse de Joux.
Le surnom
de Louverture (ou L'Ouverture) lui serait venu des «brèches» qu'il
ouvrait dans les rangs de ses ennemis (français, britanniques ou espagnols).
Conscient de sa valeur comme militaire, il n'avait pas hésité à envoyer à
Bonaparte
une lettre commençant par ces mots: «Du Premier des Noirs au
Premier des Blancs.» À Paris, on baptisera Toussaint «le Napoléon
noir». Durant son exil à Sainte-Hélène, Napoléon se
reprocha d'avoir été entraîné à soumettre la colonie de Saint-Domingue par la
force. Il admit qu'il aurait été préférable de se contenter de gouverner
Saint-Domingue «par l'intermédiaire de Toussaint»:
J'ai à me reprocher une
tentative sur la colonie de Saint-Domingue pendant le Consulat. C'était
une grande faute que d'avoir voulu la soumettre par la force. Je devais me
contenter de la gouverner par l'intermédiaire de Toussaint [...]. Je
n'avais fait que céder à l'opinion du Conseil d'État et à celle de ses
ministres, entraînés par les criailleries des colons, qui formaient à
Paris un gros parti et qui, de plus, étaient presque tous royalistes et
vendus à la cause anglaise. |
Voici ce que pensait le célèbre prisonnier de Sainte-Hélène
(Mémorial de Sainte-Hélène, chap. VI) de Toussaint Louverture:
Toussaint n'était pas un homme
sans mérite bien qu'il ne fût pas ce qu'on a essayé de peindre dans le
temps. Son caractère prêtait peu, il faut le dire, à inspirer une
véritable confiance; il était fier, astucieux; nous avons eu fort à nous
en plaindre; il fallut toujours s'en défier [...]. |
Le général Leclerc était décédé le 2 novembre 1802 de la
fièvre jaune. Avec l'aide des Britanniques et des Espagnols, la longue guerre de
libération de Saint-Domingue aboutit à la capitulation de l'armée française le
19 novembre 1803, décimée par la fièvre jaune. Dans cette guerre futile et inutile,
Bonaparte
avait perdu 35 000 soldats et 20 généraux. Le 30
avril 1803, il vendit toute la Grande Louisiane aux États-Unis,
parce qu'il
n'était plus en mesure de défendre la colonie, ses troupes ayant été complètement
anéanties.
Ainsi, s'il n'avait pas envoyé son armée périr en Haïti, il aurait
conservé à la France la Grande Louisiane qu'il aurait pu
alors défendre contre les
Américains.
- La déclaration de l'indépendance
L'indépendance de la colonie de Saint-Domingue fut proclamée le 1er janvier 1804
et celle-ci devint officiellement Haïti, la première république noire
libre. Voici la déclaration de l'Acte d'indépendance, rédigée en français:
Gonaïves, le 1er janvier
1804, an 1er de l'Indépendance
Aujourd'hui premier
janvier, mil huit cent quatre, le général en chef de l'armée indigène,
accompagné des généraux, chefs de l'armée, convoqués à l'effet de
prendre les mesures qui doivent tendre au bonheur du pays;
Après avoir fait connaître
aux généraux assemblés ses véritables intentions d'assurer à jamais
aux indigènes d'Haïti un gouvernement stable, objet de sa plus vive
sollicitude; ce qu'il a fait par un discours qui tend à faire connaître
aux puissances étrangères la résolution de rendre le pays indépendant,
et de jouir d'une liberté consacrée par le sang du peuple de cette île;
et, après avoir recueilli les avis, a demandé que chacun des généraux
assemblés prononçât le serment de renoncer à jamais à la France, de
mourir plutôt que de vivre sous sa domination et de combattre jusqu'au
dernier soupir pour l'indépendance.
Les généraux, pénétrés
de ces principes sacrés, après avoir donné d'une voix unanime leur adhésion
au projet bien manifesté d'indépendance, ont tous juré à la postérité,
à l'univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt
que de vivre sous sa domination.
Fait aux Gonaïves, le
1er janvier 1804, et le 1er jour de l'indépendance
d'Haïti
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L'appellation Haïti proviendrait d'un terme
amérindien ayiti, aïtij ou ahitij. Plusieurs auteurs
affirment qu'il s'agit d'un dérivé de l’arawak aetti signifiant
«pierre» et lui donnent comme définition «terre» ou «pays» qualifié de
«pierreux», «rocheux», «escarpé», c'est-à-dire «terre élevée» ou «terre de
hautes montagnes». Il semblait aller de soi que la langue officielle resterait
le français, en dépit du fait que seulement 2 % de la population parlait
cette langue. À l'époque, le français bénéficiait au plan international d'un
grand prestige. Son usage était considéré comme un moyen d’accès à la
civilisation et il fallait montrer au monde que «la première république
noire» n'était pas un pays «barbare», mais axée sur l'Occident et ses
valeurs. Il n'était donc pas question de verser dans l'idéologie
«nationaliste» (on dirait aujourd'hui «indigéniste») avec des valeurs africaines. La négritude allait venir plus
tard, après 1915. Au moment de l'indépendance, les Haïtiens devaient prouver
au monde des Blancs qu'ils étaient tout aussi intelligents qu'eux et que
leur éducation était aussi respectable que celle des «pays évolués».
3.2 L'indépendance effective
En Haïti, une période confuse
ne faisait que commencer quand on sait que, entre 1804 et 1957, quelque 24
chefs d'État sur 36 seront renversés ou assassinés. L'élite mulâtre
s'appropria les terres des colons français, reproduisant ainsi l'ordre colonial
avec quelques aménagements de circonstance. Or, les esclaves s'étaient révoltés pour avoir accès
à la terre et ils se croyaient propriétaires à la place des anciens maîtres.
L'élite ne l'a jamais perçu ainsi: les anciens esclaves devaient devenir des
travailleurs agricoles. Après une diminution démographique due à la période
révolutionnaire, Haïti comptait 380 000 citoyens en 1805.
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C'est Jean-Jacques Dessalines qui avait expulsé les derniers Français et
proclamé l’indépendance de Saint-Domingue devenu Haïti. Lors de son accession à
l'indépendance, Haïti était encore la partie la plus riche, la plus puissante
et la plus peuplée de l'île d'Hispaniola. Mais aucun pays n'appuya le nouvel
État noir, qui fut abandonné à son sort. La France ne
reconnaîtra Haïti qu'en 1838. Ce fut la seule «république de nègres» de tout
le XIXe siècle. Dessalines prit aussitôt le titre d’empereur en 1804 sous le nom de Jacques Ier.
Le français fut utilisé comme langue officielle de facto, et ce, même si la totalité de la
population noire parlait le créole. Seule l'élite
mulâtre et quelques Noirs instruits parlaient français. |
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Après l’assassinat de Dessalines, en 1806, le pays se
scinda en deux: au nord, un royaume dirigé par Henri Christophe (1767-1820), au sud une république gouvernée par un
Mulâtre, Alexandre Sabès, dit Pétion. En 1807, Henri Christophe, un ancien
esclave, se
proclama président et généralissime des forces de terre et de mer de
l'État d'Haïti. En 1811, il se fit couronné «roi d'Haïti», mais il
ne contrôla que le Nord, le fief traditionnel des factions noires
radicales. Malgré ses efforts pour promouvoir l'éducation et
codifier les lois (le «Code Henri» comme le «Code Napoléon), Henri
Ier fut un
roi peu populaire et son royaume entra constamment en conflit avec
le Sud républicain. C'est lui qui fit construire une
gigantesque forteresse (citadelle) dans le but de contrer une
éventuelle attaque européenne. De son côté, Alexandre Pétion (1770-1818), un
Mulâtre, fut en principe un partisan de la démocratie
constitutionnelle. En 1816, il se proclama «président à vie» et
suspendit la législature. Il décéda de la fièvre jaune en 1818; son
protégé, Jean-Pierre Boyer, lui succéda.
Les Haïtiens ne parvinrent à se maintenir que
dans la partie occidentale de l’île. Le traité de Paris de 1814
rattacha à nouveau Santo Domingo à l’Espagne. La dictature imposée
par l'Espagne provoqua, en décembre 1821, la révolte des Dominicains
qui proclamèrent à leur tour leur indépendance. |
En 1818, Jean-Pierre Boyer,
un Mulâtre, fut reconnu président sans opposition. En 1822, il
annexa la partie espagnole de l'île et gouverna toute l'île d'Haïti pendant
vingt-cinq ans. Son règne constitue jusqu'à ce jour le record de longévité d'un
président dans
ce pays. Les Haïtiens espéraient ainsi unifier l'île pour se protéger contre
les Français qui auraient pu revenir et mettre fin à l'indépendance. En 1825, le roi de France, Charles X, accepta de reconnaître
l'indépendance de la république d'Haïti moyennant une indemnité de 150
millions de francs-or. Le président J.-P. Boyer réussit à réduire la somme à 90 millions.
Pour honorer cette dette, il dut instaurer de lourds impôts, mais ses
mesures suscitèrent une hostilité populaire. En fait, il faudra plus de cent
ans à Haïti pour acquitter cette écrasante créance.
C'est sous la présidence
de Boyer que
furent émis en 1827 les premiers billets de banque, des «gourdes» (mot
originaire de l'espagnol gordo signifiant «gros» ou «gras»). Ce terme
référait au peso, une monnaie d'échange acceptée à l'époque dans toutes les
colonies françaises des Antilles. Puis l’antagonisme entre les Noirs d’Haïti, les
Créoles et les Métis hispanophones rendit le maintien de l'unité de l’île
pratiquement impossible. Une insurrection chassa en 1844 la garnison haïtienne de Saint-Domingue et
entraîna la proclamation de la «république de Santo Domingo» (partie orientale).
Les Dominicains ont toujours gardé de cette occupation haïtienne un souvenir
extrêmement douloureux. Pour eux, il s'agissait d'Africains qui avaient
voulu les asservir. En 1843, le président Boyer démissionna et se retira à la Jamaïque, puis
en France où il termina ses jours. Fragilisée par la menace d’une invasion haïtienne, la
nouvelle république de Santo Domingo demanda l'aide de l’Espagne qui annexa à nouveau le pays
(lequel
redeviendra définitivement indépendant en 1865 sous le nom de República
Dominicana ou République Dominicaine).
En 1849, Faustin Soulouque, un Noir, se proclama empereur (Faustin
Ier) d'Haïti et se lança dans une sévère répression contre les Mulâtres;
il régna en despote sur le pays pendant dix ans, avant d’être renversé, en 1859, par le
Mulâtre Nicolas Geffrard, qui restaura la République et gouverna le pays jusqu’en 1867.
À l'époque du gouvernement de Geffrard, la population haïtienne était estimée
à 900 000 habitants. Après avoir été mis au ban des nations, Haïti fut progressivement reconnu par la France, puis par le Saint-Siège et les États-Unis.
C'est à cette époque que commença
le débat sur l'enseignement du créole dans les écoles. L'article 29 de la
Constitution de 1843 et l'article 34 de la Constitution de 1867 précisaient
cette mesure : «Les langues usitées dans le pays seront enseignées dans les
écoles.» Le texte ne précisait pas de quelles langues il s'agissait, mais il
était évident que c'était le français et le créole. Cependant, cette disposition
sur les langues est demeurée sans sans effet, puisque le français
est toujours resté la langue officielle de facto et celle des gens instruits; le créole
était considéré comme un «patois» ou la «langue des analphabètes». Une Banque
nationale fut fondée en 1881. Il s'agissait d'une société anonyme française
ayant son siège social à Paris et son principal établissement à Port-au-Prince.
En 1910, la Banque nationale deviendra la Banque nationale de la république
d’Haïti. Vers 1900, les évaluations concernant la démographie varient entre 1,5
million et 2,5 millions d'habitants. On explique cette augmentation de la
population par le taux élevé de la fécondité et par l’immigration des Noirs en
provenance des États-Unis et des Caraïbes (Guadeloupe, Martinique, Grenade,
Jamaïque, etc.). Il y eut aussi des Blancs européens et américains qui, après
avoir épousé des Haïtiennes, s'étaient installés dans le pays. À cette époque,
90 % de la population haïtienne était rurale.
Haïti fut gouverné exclusivement par des Mulâtres
jusqu'en 1910, mais les Américains avaient commencé à prendre possession du pays
en construisant des voies ferrées et en expropriant les paysans sans titres de
propriété. Les luttes entre les diverses factions militaires reprirent de plus
belle. Haïti connut une période de grande instabilité: entre 1908 et 1915, il
y eut neuf présidents. À partir de 1911,
débuta une période de crise générale en Haïti. En 1910, la National City, une
banque américaine, acheta une part importante de la Banque de la république
d'Haïti.
3.3 L'occupation américaine
(1915-1934)
En raison de la Première Guerre mondiale et de ses
effets sur Haïti, qui allait toujours mal, Washington considéra qu'il valait
mieux occuper le pays. En réalité, les Américains voulaient défendre les
intérêts de la banque d'affaires américaine Kuhn, Loeb & Co. Le 28 juillet
1915, ils finirent par occuper militairement Haïti: ce fut fait
lorsque le président américain
Woodrow
Wilson envoya ses marines à Port-au-Prince. En 1918, tout le pays était en
état d’insurrection.
Washington mit en place un gouvernement soumis à ses volontés et s’engagea en contrepartie à fournir
à Haïti une aide politique et économique. L’administrateur américain résidant
à Port-au-Prince avait le pouvoir de veto sur toutes les décisions
gouvernementales d’Haïti. Les institutions locales continuaient à être
dirigées par les Haïtiens, sauf l'armée, les banques et les finances. C'est
pourquoi 40 % des recettes de l'État passaient sous le contrôle direct des
États-Unis. Au cours de cette période, les
Américains firent adopter trois lois restreignant la liberté de presse.
Les travaux de modernisation, dont la mise en place d’une infrastructure routière,
l'amélioration des techniques agricoles et le développement du réseau
téléphonique furent accélérés. Toutefois, cette marche forcée vers la modernité se
fit aux dépens des couches les plus défavorisées de la population. Les
Haïtiens manifestaient une forte hostilité envers l'occupant américain qui
n'hésitait pas, si la situation semblait l'exiger, à fusiller des
Haïtiens par centaines à la fois. À plusieurs reprises, les paysans
révolutionnaires, appelés les «cacos», se soulevèrent contre le gouvernement
et l'emprise des Américains sur le peuple. Malgré tout, les Américains
modernisèrent Haïti (téléphone, éclairage, ports, routes, etc.),
développèrent un système de santé publique avec hôpitaux et dispensaires,
firent cesser la corruption, stabilisèrent la monnaie nationale (la gourde),
firent augmenter le taux d'alphabétisation, améliorèrent l'enseignement
primaire axé sur la formation professionnelle, mais cette modernisation
imposée se fit aux dépens des institutions démocratiques, avec un Sénat
dissous et un parlement entièrement soumis. Par exemple, l’insurrection des
«cacos», qui se prolongea de 1916 à 1920, fut très durement réprimée par les
marines, sans avoir demandé l'avis du gouvernement haïtien. On estime que la
guérilla contre l'occupation américaine a fait au moins 15 000 morts. De
plus, près de 250 000 paysans quittèrent Haïti pour émigrer vers Cuba,
ensuite
en République Dominicaine. Puis le général Rafael Trujillo, dictateur de la
République Dominicaine, décida d'arrêter le mouvement migratoire en faisant
massacrer en 1937 plusieurs milliers d'Haïtiens à la frontière.
Peu de temps après le début
de l'occupation américaine, en 1918, les Haïtiens adoptèrent une
nouvelle constitution précisant formellement pour la première fois que le
français était la langue officielle du pays. L'article le stipulant se lisait
comme suit: «Le français est la langue officielle. Son emploi est
obligatoire en matière administrative et judiciaire.» Selon les observateurs
de l'époque, il semble bien que cette disposition ait été prévue pour éviter
que l'anglais ne remplace le français. Auparavant, il n'était jamais paru
nécessaire de préciser quelle était la langue officielle du pays, le
français étant considéré comme faisant partie du patrimoine national. Pour ce qui
était du
créole, aucune disposition n'était adoptée. Sous la présidence de
Franklin D.
Roosevelt, les États-Unis quittèrent Haïti
le 21 août 1934. La fin de l’occupation, ajoutée aux conséquences de la crise économique mondiale,
engendra le retour à l’instabilité et encouragea les velléités
dictatoriales des dirigeants locaux.
Au cours de cette période d'occupation, la culture et la
langue anglaises ont néanmoins laissé des traces dans le créole haïtien. Non seulement le
créole a emprunté des mots à l'anglais, mais les commerçants ont commencé à
apposer des affiches en anglais, pendant que les élites cherchaient à faire instruire
leurs enfants en français et en anglais. Plus tard, plus d'un million
d'Haïtiens se sont réfugiés au États-Unis, surtout en Floride, où ils ont appris
l'anglais. Cette langue est devenue en Haïti un nouvel instrument de promotion
sociale.
3.4 La dictature des Duvalier
Arrivé au pouvoir en août 1945, Dumarsais Estimé, un
militant de la cause noire, fut renversé en novembre 1949 par une junte militaire.
L'exercice effectif du pouvoir
resta entre les mains de l’armée jusqu’en septembre 1957, date à laquelle
François Duvalier,
dit «Papa Doc», un ancien membre du gouvernement d'Estimé, fut élu président
de la République, grâce au soutien des Noirs qui voyaient en lui le moyen de
mettre fin au «règne des Mulâtres».
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Dès le départ, François Duvalier imposa une politique répressive en
interdisant les partis d’opposition, en instaurant l’état de siège et en
exigeant du Parlement l’autorisation de gouverner par décrets (31
juillet 1958). Le 8 avril 1961, il prononça la dissolution du
Parlement.
Le régime s’appuya sur une milice paramilitaire, les Volontaires de la sécurité
nationale surnommés les «tontons macoutes». Avec cette garde prétorienne
personnelle, Duvalier neutralisa l’armée, sema la terreur dans tout le pays et
parvint à étouffer toute résistance. Profitant des rumeurs de complot, il
renforça la répression et, en 1964, se proclama «président à vie». Il
exerça jusqu'à sa mort une implacable dictature (on compta 2000
exécutions pour la seule année 1967).
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Durant toute sa vie, François Duvalier, un champion de la négritude, a rédigé
ses discours uniquement en français.
En janvier 1971, une modification de la Constitution permit à François
Duvalier de désigner son fils, Jean-Claude, comme successeur. À la mort (de façon naturelle) de Papa Doc, le 21 avril 1971,
Jean-Claude Duvalier, 19 ans (d’où son surnom de «Baby Doc»
ou «Bébé Doc»),
accéda à la présidence de la République. Amorçant une timide libéralisation du
régime, Jean-Claude Duvalier appliqua par la suite une dictature dont son père aurait été
fier. Puis son régime s'enfonça dans la corruption et l'incompétence. En
1986, un soulèvement populaire renversa le fils Duvalier qui partit se
réfugier dans le sud de la France pour dilapider l'argent volé à son peuple.
Il allait revenir au pays un quart de siècle plus tard, complètement
ruiné;il décédera le 4 octobre 2014.
Toutefois, la fin de la dictature des Duvalier n'a pas signifié la fin de
la répression. Une junte militaire dirigée par le général
Henri Namphy s'empara aussitôt du pouvoir. Un nouveau coup d'État remplaça la junte par le général
Prosper Avril qui dirigea le pays de 1988 à 1990.
Il fut acculé
à la démission en mars 1990, ce qui ouvrit à des élections sous contrôle
international.
2.5 Le retour à la démocratie
Madame Ertha Trouillot, membre de la Cour de cassation, exerça la
présidence d'un gouvernement civil de transition. Jean-Bertrand Aristide, un prêtre catholique qui s’était fait l’avocat des pauvres,
remporta la victoire en décembre 1990. Son accession à la présidence de la République
redonna un peu d'espoir au peuple haïtien, mais, en septembre 1991, il fut renversé par une
junte militaire dirigée par le général Raoul Cédras (1993); il se réfugia
alors aux États-Unis.
Après que la situation politique et économique se fut passablement
dégradée, les États-Unis décidèrent d'intervenir militairement. Les troupes américaines
débarquèrent en Haïti le 19 septembre 1994. Le 15 octobre 1994, le
président Aristide fut rétabli dans ses fonctions, qu'il laissa à René
Préval, élu à la présidence de la République en 1995. Le mandat
d'Aristide touchait à sa fin et la Constitution ne l’autorisait pas à en briguer un
second consécutivement.
Élu en décembre 1995, René Préval, ancien premier ministre d'Aristide, entra en
fonction en février 1996. Il
tenta en vain de remettre en état les infrastructures du pays. Le gouvernement haïtien
dut faire face à une opposition constituée de ses anciens alliés. Et ce ne fut qu'après deux années marquées de graves incidents (plusieurs assassinats
politiques) que le président René Préval et cinq partis d’opposition
parvinrent à un accord pour former un nouveau gouvernement.
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Des
élections législatives furent organisées pour le mois de mai 2000. En novembre de la
même année, Jean-Bertrand Aristide fut
proclamé vainqueur de l’élection présidentielle avec 93 % des voix, mais
avec seulement 5 % de participation. Compte tenu des irrégularités commises lors des élections, le
président Aristide (seconde manière) commença un mandat controversé. Le
scrutin, qui avait été marqué par de multiples malversations, plongea de nouveau
le pays dans une situation des plus confuses. Entretemps, le trafic de
drogue dépassait les records atteints sous la junte militaire. Quant à
la classe moyenne, elle n'a pas semblé apprécier l'ancien «petit curé».
Elle lui reprocha ses sermons, ses origines, son caractère
imprévisible et son emprise sur les masses. Ses adversaires
considéraient alors Aristide comme un dangereux démagogue, voire le champion
de la duplicité et du vol.
Enfin, «Titid» (sobriquet),
comme l'appelait le peuple, n'a jamais accepté les trois années volées lors de
son exil
forcé à Washington. Appréhendant une nouvelle tentative de putsch, il
glissa dans une dérive autoritaire, comme bien d'autres présidents avant lui!
À partir des élections de
2000, ce fut l'impasse entre le Lafanmi Lavalas, le parti du
président, et l'Organisation du peuple en lutte, qui contrôlait le
Parlement. C'est un véritable régime d'anarchie qui s'installa
une fois de plus en Haïti. |
Puis, le 29 avril 2004, Jean Bertrand Aristide finit
par démissionner de la présidence haïtienne, alors qu'arrivaient les
premiers marines américains, avant-garde d'une force internationale envoyée
par l'ONU pour ramener l'ordre dans la capitale, Port-au-Prince. Ces forces
comprenaient des troupes américaines, françaises, canadiennes et autres en
provenance des
Caraïbes. Peu après le départ d'Aristide, le président de la Cour de
cassation d'Haïti, Boniface Alexandre, annonça qu'il assurait l'intérim en
vertu de la Constitution. À l'issue de neuf jours d'un
dépouillement chaotique, René Préval
(sobriquet «Ti-René») fut finalement déclaré, le 16 février
2006, vainqueur de l'élection présidentielle d'Haïti, avec 51,5 % des voix. Le
jour de son investiture, le 14 mai suivant, le nouveau président déclarait en
créole: «Je promets de me dévouer à la Constitution, de respecter les lois haïtiennes et de protéger la souveraineté du pays.»
2.6 Un État faible
Malheureusement, Haïti est resté l'un des États les plus
pauvres du monde et une partie importante de sa population survit dans des
conditions extrêmement précaires. Le pays connaît un chômage officiel de 60 % et
affiche un
produit intérieur brut par habitant de 469 $ US (moins de 350 euros) par année, une espérance de
vie de moins de 50 ans pour les hommes et de 54 ans pour les femmes. Selon
l'indice de développement humain des Nations unies, Haïti se classe 150e
sur les 173 pays recensés (mais il y en a en réalité 194). Pourtant, le temps presse pour redresser ce pays,
car on estime que le nombre d'habitants pourrait atteindre les 20 millions en
2019. Or, 20 millions de personnes vivant dans un état de misère inacceptable, aux
portes des États-Unis, c'est une situation constituant une bombe à retardement qu'il faut désamorcer
au plus vite. C'est que, dans l'état actuel des choses, Haïti n'a pas de réel avenir,
ou il est sans
issue. Cet État est si pauvre et si démuni de ressources naturelles ainsi
qu'en
citoyens instruits ou formés qu'il apparaît très difficile de voir pointer
quelque progrès que ce soit à l'horizon. Il n'empêche que les Haïtiens aiment leur
pays. Ils sont encore galvanisés par leur histoire et leur statut de
«première république noire» du monde et obsédés par l'exploit de leur indépendance
arrachée à la France en 1804. Mais cette première historique ne les a jamais
rendus prospères ni jamais sortis de la misère.
Comme si ce n'était pas assez, Haïti est constamment aux
prises avec des catastrophes naturelles. Selon une étude menée en 2006 par la
Banque mondiale (Natural Disaster Hotspots : «Cartographie des
catastrophes naturelles»), Haïti est l’un des pays les plus vulnérables aux
catastrophes naturelles. Cette extrême vulnérabilité résulte, en plus d'un degré élevé de pauvreté, d’une infrastructure inadaptée,
d’un environnement dégradé et de l'inaction d’une série de gouvernements inefficaces
confrontés à de graves problèmes fiscaux et à la corruption endémique. La convergence de ces différents
facteurs amplifierait l’impact et les conséquences de toute catastrophe naturelle.
Autrement dit, les
Haïtiens, surtout la classe dirigeante, seraient aussi partie prenante de leurs
propres malheurs. On l'a vu en 2004 durant la saison des ouragans, au
cours de laquelle plus de 5000 Haïtiens sont morts à la suite du passage de la
tempête tropicale Jeanne. En 2008, ce furent la tempête tropicale Fay et les
ouragans Gustav, Hanna et Ike, qui ont causé d'importants dommages et entraîné
de nombreux décès. Mais le pire attendait les Haïtiens: le séisme
du 12 janvier 2010. Cette autre catastrophe naturelle qui a détruit presque tout le
pays, au premier chef la capitale Port-au-Prince, et occasionné plus de 250 000 morts, 300
000 blessés et au moins un million de déplacés. Le
pays en aura pour dix à quinze ans à s'en remettre, et ce, grâce à l'indispensable aide internationale!
Depuis le tremblement de terre, de nombreux habitants d'Haïti ont décidé de
bannir certains mots de leur vocabulaire, comme «béton», «effondrement»,
«séisme», «fissure», etc. On a trouvé des équivalents imagés tels que
«l'artiste» (en redessinant la ville), «le monsieur» (par crainte ou respect) ou
«cette chose-là» (en créole: "bagay la").
Tous ces événements ont mis en relief un État en pleine
déroute. En temps
normal, c'est-à-dire sans tremblement de terre, le gouvernement haïtien est de
toute façon techniquement en
faillite, avec le résultat que les employés de l'État sont régulièrement privés
de leur salaire, parfois durant des mois. Depuis longtemps, 80 % du budget de
l'État provient de l'aide internationale, le reste de la diaspora. Après le tremblement de terre, c'est l'ONU
qui s'est chargée de la sécurité du pays; c'est une puissance étrangère, les
États-Unis, qui a fait atterrir les avions à l'aéroport; ce sont les «amis de
Jésus» qui ont soigné les citoyens. Les ONG ont fini par prendre la relève
— il y en a eu plus de 900 qui ont été implantées dans le
pays, des plus grosses aux plus petites —, alors que le gouvernement haïtien
est demeuré invisible, dépassé
et impuissant. Le Parlement haïtien a même produit un rapport provisoire
condamnant l'incurie du gouvernement dans cette crise sans précédent.
L'homme le plus puissant en Haïti n'était pas le
président d'Haïti (René Préval, qui achevait son mandat), mais plutôt l'ambassadeur des États-Unis,
M. Kenneth H. Merten. À voir l'imposante ambassade,
évidemment demeurée intacte lors du séisme, et à constater l'omniprésence des troupes
américaines (plus de 16 000 soldats), il valait mieux comprendre qu'Haïti se
trouvait sous la
tutelle de Washington. Devant le mouvement de militarisation dont les États-Unis ont
pris la tête en Haïti, la communauté internationale a exprimé ses inquiétudes
parce que cette situation aurait pu se transformer en une nouvelle ingérence de
l'Amérique sur Haïti. Si tel était le cas, ce n'était surtout pas le moment de
s'en plaindre, car seuls les États-Unis possédaient les moyens de répondre à une
telle situation d'urgence. Le vrai motif des Américains, c'est qu'ils voulaient éviter que des dizaines de
milliers d'Haïtiens aillent se réfugier en Floride par la mer. D'où
l'importance de l'armada américaine! Le peuple
haïtien, par ailleurs, n'avait aucune confiance en son gouvernement; il
voyait bien que celui-ci ne décidait rien et, lorsqu'il s'y risquait, c'était
pour donner des contrats aux «ti zamis» (amis du régime).
Les parlementaires ont condamné la pratique du parti du président Préval d'utiliser des
candidats clairement identifiés dans des opérations de distribution de vivres.
La corruption, c'est tout ce que contrôle le gouvernement, celle-ci étant,
rappelons-le,
l'une des gangrènes qui rongent le pays depuis deux siècles. Le peuple en subit
les conséquences depuis ce temps-là.
2.7 Un avenir peu reluisant
Dans ces conditions,
continuer à aider Haïti comme on l'a fait jusqu'à présent, soit comme avant le
séisme du 12
janvier 2010, ce serait créer une autre génération de «miséreux». Depuis plusieurs
décennies, la communauté internationale pompe en vain de l'argent dans ce pays. C'est pourquoi il
faudrait dorénavant procéder autrement. Si la communauté internationale répétait les mêmes erreurs que
par le passé, Haïti aura encore besoin d'aide dans deux cents ans, et ce, avec
l'appui des élites du pays.
- Les hypothèses de travail
Au plan
politique, il faudrait, entre autres, faire entrer des «loups» (comprendre des «étrangers»)
dans la bergerie politique. Ayant depuis fort longtemps prouvé son incompétence,
sinon sa quasi-inutilité, l'État haïtien doit, pendant quelques années, être
étroitement surveillé et composé aussi d'Haïtiens de la diaspora et même
minoritairement de
non-Haïtiens (États-Unis, France, Canada, etc.), de façon à éviter la corruption
qui paralyserait tout et pomperait une grande partie des milliards
dans les poches des «ti zamis».
Il faudrait évidemment reconstruire les villes,
dont Port-au-Prince, avec un code du bâtiment dûment approuvé et avec des
centaines d'inspecteurs (internationaux) pour surveiller les chantiers. Il
faudrait aussi reconstruire les écoles et ensuite en donner un accès réel gratuit à
tous les enfants, sans exception, en abolissant les pots-de-vin pour les
admissions et les frais cachés hypocrites, en formant adéquatement les enseignants, en
les payant mieux et surtout régulièrement, et en construisant des routes praticables en tout temps; il faudrait
aussi que l'école fournisse dans les zones rurales un repas gratuit aux enfants à l'heure du midi,
sinon fournir un transport scolaire gratuit.
Il faudrait entreprendre la reforestation des sols et favoriser l'autosuffisance
alimentaire en prenant soin au préalable de former des agronomes et de mieux
éduquer les paysans, tout en leur fournissant une machinerie agricole adéquate.
Et sans aucun doute, il faudrait aussi des milliers d'autres interventions possibles!
Une fois que les nouveaux dirigeants haïtiens
se seraient approprié les
nouveaux codes d'éthique, ils pourraient poursuivre l'œuvre de reconstruction de
leur pays. Rappelons cependant que, lorsque les Américains occupaient
Haïti, ils avaient tenté sans succès de
supprimer la corruption; malheureusement, ils s'y sont mis eux aussi en
constatant que c'était la règle.
En 2011, Transparency International (ou
Transparence internationale), un organisme non gouvernemental
international d'origine allemande, a publié son
«Indice de perception de la corruption» (IPC):
Haïti est l'un des pays les plus
corrompus du monde (en 177e place sur
un total de 180
pays en 2008), venant juste avant l'Irak, le Birmanie et la Somalie, mais après
le Tchad, la Guinée, le Soudan et l'Afghanistan.
Évidemment, il s'agit de la classe politique, non du peuple
lui-même. Comment faudrait-il s'y prendre pour extirper la
corruption incrustée dans les mentalités de la bureaucratie en Haïti au point d'en faire quasiment
une «caractéristique culturelle»? Comment reconstruire un pays qui était déjà démoli avant le tremblement de terre, avec
une population traumatisée, extrêmement pauvre, sous-scolarisée et sans
direction politique! L'économie, la santé, l'éducation, les communications, le
logement, etc., tout est défaillant dans ce pays. Et les Haïtiens n'ont pas de
travail; la violence est partout. L'État haïtien demeure impuissant.
- La «république des ONG»
De fait, trois ans après le séisme de 2010, Haïti ne
s'est pas encore relevé. Peu d'édifices publics ont été reconstruits. Pire, la population a été aux
prises avec le choléra. Elle est aujourd'hui
désœuvrée, alors que plus de 1,5 million d'enfants ne sont pas scolarisés.
L'aide internationale prévue pour la reconstruction n'avance pratiquement pas,
car tout est bloqué en raison, notamment de l'inexistence des cadastres, la plupart étant
disparus au cours du séisme: on ne sait même plus à qui appartiennent les
terrains. Trente pour cent des fonctionnaires ont péri dans le tremblement de
terre de janvier 2010. Inquiète des risques de corruption et d'instabilité
politique, la communauté internationale est néanmoins responsable d'avoir
affaibli le gouvernement haïtien et d'avoir fait du pays une «république
des ONG» en créant des structures parallèles dans les domaines de l'éducation,
de la santé et
dans toutes sortes d'autres domaines que les Haïtiens eux-mêmes devraient assumer.
En janvier
2013, quelque 70 % des sommes promises à Haïti ont été versées, ce qui est déjà
exceptionnel, car dans la plupart des crises humanitaires les États déboursent
moins de 50 % de ce qu’ils ont promis, l'attention se déplaçant ailleurs. Des
9,5 milliards de dollars déboursés par la communauté internationale, seulement
579 millions ont passé par les mains du gouvernement haïtien et à peine 36
millions sont allés aux organisations non gouvernementales haïtiennes. Bref, les
organisations internationales se sont installées en Haïti et offrent des
services que le gouvernement haïtien devrait donner. Par le fait même, les ONG
se substituent à l’État ou créent un État parallèle.
Il faut aussi savoir que
l'aide humanitaire représente avant tout des «occasions d'affaires» pour les
entreprises des pays donateurs. Prenons l'exemple de l'ACDI, l'Agence canadienne
de développement international. Cette agence exige que les programmes qu'elle
finance aient «un contenu canadien». Pour l'ACDI, la participation
d'entreprises, d'organisations et de citoyens canadiens à des projets dans des
pays en développement aide à projeter «une image positive du Canada». Cette
approche permet de garder près de 90 % de l'aide publique dans l'économie du
Canada. Autrement dit, l'argent est dépensé au Canada, pas en Haïti. Et il ne faudrait pas
croire que l'ACDI constitue une exception. C'est devenu même une règle pour les
pays riches comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, etc.
Seuls les dons privés peuvent s'affranchir de cette contrainte. En réalité,
les projets financés par les contribuables des pays donateurs servent davantage
à dynamiser l'économie de ces pays et n'ont que peu de retombées économiques en
Haïti.
En somme, il
faudrait absolument changer les règles du jeu et s’assurer que l’argent circule
dans les mains haïtiennes et que les produits soient achetés localement plutôt
qu’importés de l’étranger. Dans le cas contraire, Haïti ne pourra pas accroître
sa propre capacité pour répondre aux besoins de sa population et se remettre sur
pied.
Les
quelques 10 000 ONG présentes en Haïti et les représentants des organisations
internationales font la pluie et le beau temps, pendant que les Haïtiens sont
exclus, ce qui crée un état de dépendance envers l'aide étrangère, ce qui
favorise aussi l'inertie et l'irresponsabilité. Au nom de la souveraineté nationale,
la communauté internationale fait comme si Haïti était un pays «normal», avec un
gouvernement en possession de ses moyens. On veut y consacrer des
milliards, mais sans programme, sans aucune direction, sans coordination, en s'en
remettant à un État exsangue qui doit répondre à des besoins immenses de la part
d'un peuple désespéré. Jusqu'ici, l'aide internationale n'a pas donné les
résultats escomptés. La question est aussi de savoir si la langue de travail de l'aide
internationale, l'anglais, ne contribue pas à évincer davantage la population
haïtienne. En somme, la mise en œuvre des projets d'aide internationale est
lente et plus de 300 000 sinistrés continuent de vivre dans le plus complet
dénuement, et ce, trois après le sinistre de 2010. Haïti serait devenu «le pays de tous les malheurs».
- Le «club des ex»
Alors que le pays
était paralysé par une impasse politique et des élections présidentielles qui
n'aboutissaient plus, l'ancien dictateur, Jean-Claude Duvalier, est revenu dans son pays
le 16 janvier 2011, ajoutant encore davantage à la confusion, et ce, pendant
qu'un autre ex-président
chassé du pouvoir, Jean-Bertrand Aristide, est arrivé dans son pays le 18 mars
2011, juste avant le second tour de scrutin des présidentielles. Depuis le départ de J.-C. Duvalier en
1986, malgré les espoirs qu'Aristide avait soulevés, malgré une tutelle
internationale toujours plus présente, rien ne semble avoir avancé en Haïti non
seulement dans
le domaine de la reconstruction, mais aussi aux plans de la démocratie, de la justice et de l'impunité.
L'ex-chanteur populaire
Joseph Michel Martelly, dit «Sweet
Micky» (ou «Micky le Doux» en français), voire «Tet Kalé» en créole («crâne
rasé»), a succédé à René Préval, le 14 mai 2011, après avoir remporté la
présidentielle avec 67,57 % des suffrages, loin devant sa rivale Mirlande
Manigat (31,74%). Le nouveau président d'Haïti, le 56e
président d'Haïti, a pris alors la tête de l’un des
pays les plus mal en point de la planète, avec une
administration amputée après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, sans
majorité au Parlement et en proie à l’instabilité liée aux retours récents des
ex-présidents en exil Jean-Bertrand Aristide et Jean-Claude Duvalier (décédé en
octobre 2014).
|
Dans son discours d’investiture du 14 mai
2011, Martelly a employé les langues
officielles de son pays, alors que traditionnellement seul le français était
utilisé dans de telles circonstances. Sur une trentaine de paragraphes, seul les
trois premiers furent exclusivement rédigés en français, mais tout le reste le
fut en créole, sauf pour certaines sections ponctuées d'expressions ou de mots
français. Sans la
moindre expérience politique, le nouveau président Martelly devait prouver aux Haïtiens et au reste du
monde qu'il avait les qualités nécessaires pour gouverner un pays dans des conditions
difficiles. Quoi qu'il arrive, il ne pouvait
faire pire que ses
prédécesseurs. Plus de huit mois après son élection, la présidence de Michel Martelly
était contesté dans son pays; beaucoup de députés
l'accusaient de «dérives dictatoriales». Au cours de plusieurs manifestations
publiques, le président Martelly a eu plusieurs échanges virulents avec des
citoyens en les apostrophant et les insultant publiquement. Pour
plusieurs, ce genre de situation paraît indigne de la part d'un chef
d'État, et ce, d'autant plus que ces attitudes peuvent provoquer des
incidents regrettables dont le pays pourrait faire l’économie. De
plus, le président a dû faire face à un pouvoir législatif
ouvertement hostile, ce qui lui compliquait la poursuite des
affaires. |
Depuis le mois de septembre
2012, le président Martelly a été confronté à un mouvement de contestation qui a
jeté des milliers de personnes dans la rue et qui ont dénoncé l'absence de
réaction du gouvernement face à la hausse des prix des produits de consommation.
Les Haïtiens se sont plaints que le président Martelly n'ait pas réussi à améliorer
leur sort, alors que leur pays figure parmi les plus pauvres au monde.
Plusieurs ont réclamé sa démission, un an seulement après son arrivée au
pouvoir.
- L'Académie du créole
haïtien
L'article 213 de la Constitution haïtienne
de 1987 a prévu une Académie
haïtienne afin de normaliser la langue créole et de permettre son
développement scientifique et harmonieux.
Article 213
Une Académie haïtienne est
instituée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement
scientifique et harmonieux.
Article 213.1
D'autres académies peuvent
être créées.
Article 214
Le titre de Membre de
l'Académie est purement honorifique.
Article 214.1
La loi détermine le mode,
l'organisation et le fonctionnement des académies. |
Un comité d’initiative a été formé. Il était
composé, entre autres, des représentants de l’Université d’État d’Haïti, du
ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, de la
Secrétairerie d’État pour l’alphabétisation, de la Faculté de linguistique
appliquée de l'Université d'État, de la Confédération nationale des vodouisants
haïtiens et la Société d’animation et de communication sociales. Puis le Sénat a
adopté cette loi sur la création de l'Académie le 10 décembre 2012 et la Chambre
des députés a fait de même le 23 avril 2013. Le président Michel Martelly avait fait objection
à la promulgation de la loi en raison de l'absence d’une version française, car
seule la version créole était disponible, un geste hautement symbolique de la
part du législateur. Mais l'attitude presque timorée du président haïtien avait
irrité les organismes
impliqués dans l'élaboration de la loi. Finalement, la
Loi portant création de l'Académie du créole
haïtien a été publiée dans
Le Moniteur, n° 65, le 7 avril 2014, soit plus d'un an après son adoption par le
Parlement.
Journal officiel de la
république d'Haïti, le 7 avril 2014
Par les présentes,
Le président de la République
ordonne que la Loi portant création de l'Académie du créole haïtien, votée
par le Sénat, le lundi 10 décembre 2012, et par la Chambre des députés, le
mardi 23 avril 2013, soit revêtue du sceau de la République, imprimée,
publiée et exécutée.
Donné au Palais national, à
Port-au-Prince, le 20 mars 2014, an 211e
de l'Indépendance.
Par le président
Michel Joseph Martelly |
C'est la première fois qu'une loi haïtienne
est rédigée et promulguée uniquement en créole, bien que l'avis de promulgation
dans Le Moniteur (Journal officiel) soit en français. Le Conseil des
académiciens de la langue créole devait être institué le 28 octobre 2014, lors
de la Journée internationale de la langue créole.
- La pauvreté endémique
Les faits concernant la pauvreté en Haïti
sont alarmants. En décembre 2012, l'Indice de développement humain (IDH) des
Nations unies classait Haïti au 158e rang sur
177 parmi les pays les moins avancés au monde. Environ les trois quarts des
Haïtiens sont pauvres et vivent avec moins de deux dollars par jour. La moitié
de la population n'a pas accès à l'eau potable. Un tiers des Haïtiens n'a pas
d'installations sanitaires. Seulement 10 % des Haïtiens reçoivent les services de
l'électricité; même les écoles publiques n'ont pas d'électricité. Quatre-vingt-quinze pour cent de l'emploi en Haïti demeure dans
l'économie souterraine, tandis que 80 % des entreprises dans les zones urbaines
ont des taux de chômage officiels oscillant entre 50% et 70%. Le peuple haïtien a été anesthésié depuis
plus de deux siècles. Il n'a jamais pu se prendre en main.
Serait-il possible que la république d'Haïti paie encore pour
avoir été le premier pays noir à se libérer du joug de l'esclavage et de la
colonisation? Depuis, Haïti souffre du chaos politique auquel les pays
occidentaux sont intimement liés et qui a conduit à un exode massif de son
élite. Malheureusement, les crises répétées en Haïti ne permettent pas de créer
les conditions nécessaires ni à la croissance économique ni à la consolidation
de la démocratie.
Le mandat du président Martelly prenait fin
le 7 février 2014. Quelques jours plus tard, le 14 février, la communauté
internationale saluait l’élection du président intérimaire d’Haïti, Jocelerme
Privert, tout en rappelant qu’elle ne constitue que la première étape dans la
résolution de la crise politique causée par le report sine die des
élections présidentielle et législatives.
- Un autre président incompétent
Le 28 novembre 2016, Jovenel Moïse,
candidat choisi par l’ex-chef de l’État Michel Martelly pour représenter le
Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), a remporté l'élection présidentielle haïtienne au
premier tour avec 55,6 % des voix. Né en 1968 à Trou-du-Nord, Moïse est un
entrepreneur et politicien haïtien, membre du (PHTK). Alors qu’il était en
campagne en 2015, le futur président Moïse a fait le tour du pays en promettant
mer et monde; il a cru avoir trouvé la formule miracle pour répondre aux besoins
de la population en mettant ensemble «le soleil, la terre, les rivières et les
hommes». Cependant, le président Moïse n'a pas
eu la faveur populaire bien longtemps. Après deux ans au pouvoir, cet ancien
homme d’affaires s'est montré incapable de livrer la marchandise. Au départ, la
communauté internationale avait promis 10 milliards à Haïti à la suite du séisme
qui a frappé le pays; on estime qu’à peine 5 % de cette somme a réellement été
versée.
À l'été 2018, l’annonce d’une hausse
soudaine du prix de l’essence provoqua une première vague de protestations, ce
qui força le gouvernement à revenir sur sa décision. Impuissant à renflouer
ses coffres en laissant monter le prix du carburant, le gouvernement reporta ses
velléités de taxation dans d'autres secteurs avec des conséquences quasi
catastrophiques pour la population. Ainsi, le prix des denrées les plus essentielles, comme
le riz, s'est emballé, l’inflation atteignit 15%, et la devise haïtienne
perdit 40% de sa valeur. En 2019, les représentants de la société
civile commencèrent à prendre leur distance du président Moïse. Toute la grogne du
pays se tourna contre celui-ci: il avait le choix de démissionner ou bien le pays se
dirigeait encore une fois vers une période de grande instabilité.
À l’aube de 2020, Haïti restait aux prises avec une grave
crise sociale. Le pays fut paralysé par des manifestations; les routes furent
obstruées par des barricades; des groupes armés semèrent la violence. L’insécurité
est devenue telle que 70 % des écoles furent fermées pendant une bonne partie
de l’automne de 2019. La colère de la rue
face à la corruption et à la rareté des produits de base comme le carburant
devint
telle que le pays se retrouva au bord de la guerre civile. En janvier 2020,
faute d'avoir approuvé une nouvelle loi électorale, l'Assemblée nationale fut
dissoute, sans être remplacée. Jovenel Moïse se mit alors à gouverner par
décrets. Les réalisations économiques du président Moïse se sont révélées
désastreuses, tandis que les services publics sont devenus dysfonctionnels.
Bref, ce président s'est révélé un incompétent notoire. En même temps, le pays
était déchiré par des guerres entre bandes criminelles rivales qui n'hésitaient
pas à rançonner la population, par ailleurs déjà très pauvre. Finalement, le 7
juillet 2021, Jovenel Moïse était assassiné par un groupe de commando, plongeant
encore davantage Haïti dans le chaos.
La situation en Haïti est devenue telle que les solutions
purement politiques sont devenues inefficaces. Il faudrait commencer par
nettoyer le pays de la racaille qui paralyse les Haïtiens. Étant donné que
l'État ne possède pas d'armée et que ses forces policières sont faibles, il
n'existe aucun moyen de jeter en prison les politiciens et les fonctionnaires
corrompus. De fait, la corruption
est devenue tellement monnaie courante que les Haïtiens ne cherchent même plus à
la combattre, car ils ont abandonné tout espoir de changement politique. Les
derniers évènements qui se sont déroulés en Haïti constituent les symptômes d’un
État incapable de gouverner. Si l'on savait déjà qu’Haïti était un État
défaillant, on assiste maintenant à la désintégration totale de l’État. En
effet, que ce soit la police, le système judiciaire, le Parlement, la fonction
publique, toutes ces institutions se sont écroulées et désintégrées. Les
dirigeants actuels ont perdu toute légitimité, ce qui augmente encore les
risques de chaos. Dans ces conditions, rien ne permet d'être optimiste.
4 Le statut du français
et du créole
La première reconnaissance linguistique officielle n'apparaît, rappelons-le, dans la législation haïtienne qu'en 1918, au cours de
l'occupation américaine. Il est probable que les Haïtiens ont
voulu ainsi manifester leur opposition à la menace que représentait
la langue de l'occupant (l'anglais). Voici le libellé de cet article
de la Constitution de 1918 (au moment de l'occupation américaine): «Le
français est la langue officielle. Son emploi est obligatoire en matière
administrative et judiciaire.» Comme on le voit, la Constitution ne faisait aucune allusion au créole. Les constitutions subséquentes
reprendront le même libellé.
Mais en 1964 une nouvelle constitution (art. 35) a fait pour la première
fois mention du créole:
Article 35
[abrogé]
Le français est la langue officielle. Son
emploi est obligatoire dans les services publics. Néanmoins, la loi
détermine les cas et conditions dans lesquels l'usage du créole
est permis et même recommandé pour la sauvegarde des intérêts
matériels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment
la langue française.
|
La Constitution du 24 août 1983 accordait (art. 62), quant à elle,
au créole le statut de langue co-nationale, avec le français:
Article 62
[abrogé]
Le français est la langue officielle. Son
emploi est obligatoire dans les services publics. Néanmoins, la loi
détermine les cas et conditions dans lesquels l'usage du créole
est permis et même recommandé pour la sauvegarde des intérêts
matériels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment
la langue française.
Les langues nationales sont le français et le créole. Le
français tient lieu de langue officielle de la république
d'Haïti.
|
C'est la Constitution de mars 1987 qui rendra co-officiels le français et le créole (art. 5), mais il n'y a jamais eu de
version créole officielle de la Constitution. Il a fallu une initiative de
la part d'un militant haïtien pour obtenir une «traduction» créole.
Nimewo
5 1)
Sèl lang ki simante tout Ayisyen ansanm, se lang kreyòl.
2)
Kreyòl ak franse, se lang ofisyèl Repiblik d'Ayiti. |
Article 5
[en vigueur] 1) Tous les Haïtiens sont unis par une langue
commune: le créole.
2)
Le créole et le français sont
les langues officielles de la République.
|
La république d'Haïti est donc juridiquement bilingue avec
le français et le créole comme langues officielles.
En vertu de cette proclamation, les deux langues devraient, en principe,
être employées dans tous les organismes de l'État. En réalité, le
bilinguisme d'Haïti relève plus du symbole, puisque la Constitution a été
rédigée uniquement en français. On le sait, toute version créole du texte constitutionnel ne relève que
d'initiatives personnelles de la part de traducteurs bénévoles ou de bonne
volonté.
L'article 213 de la Constitution a prévu une Académie
haïtienne afin de normaliser la langue créole et de permettre son
développement scientifique:
Nimewo
213
Yo mete yon Akademi Ayisyen pou li fikse lang kreyòl la e pou li fè l kapab devlope anfòm, ann òd epi selon prensip
lasyans. |
Article 213
[en vigueur]
Une Académie haïtienne est instituée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux. |
Cette académie n'a vu le jour qu'en 2014. Par contre,
il existe depuis longtemps une académie haïtienne de police, une académie haïtienne des sciences
et des arts, mais aucune académie haïtienne de la langue créole. Il faut comprendre que le bilinguisme institutionnel d'Haïti est
fondamentalement différent de celui institué, par exemple, au Canada,
lequel compte deux groupes linguistiques principaux, les anglophones et les
francophones. Haïti,
pour sa part, ne comprend qu'un seul peuple, qui parle le créole, car
le français est une langue héritée
du colonialisme et n'est parlé que par ceux qui ont fréquenté l'école assez
longtemps. Au Canada, les deux langues officielles sont des langues
maternelles parlées par la grande majorité des habitants.
La situation d'Haïti se compare davantage à celle du Burundi et
du
Rwanda;
dans ces deux pays, le français est co-officiel, mais la population
parle le kirundi (Burundi) ou le kinyarwanda (Rwanda).
On peut consulter des extraits de la Constitution
haïtienne, sous sa forme bilingue français-créole,
en
cliquant ICI. Notons
que la traduction créole est de Pòl
Dejan (Paul Dejean; il ne s'agit nullement d'une version officielle.
5 La législation haïtienne
La législation est pratiquement muette en ce qui concerne l'emploi
des langues en Haïti. En fait, à part l'article 5 de la
Constitution
de 1987, les textes juridiques portant quelque peu sur cette question
sont surtout contenus dans le Code rural et le Code du travail hérités
du régime
Duvalier. Ces codes sont aujourd'hui désuets et incompréhensibles
pour la très grande majorité de la population. En fait, la «législation linguistique» la plus importante
concerne le domaine de l'éducation et la justice: le
Code
d’instruction criminelle (1962), le
Décret sur la conservation foncière et l'enregistrement (1977), la
Loi autorisant l'usage du créole dans les écoles comme langue d'enseignement et
objet d'enseignement (1979), le
Décret organisant le système éducatif haïtien en vue d'offrir des chances égales
à tous et de refléter la culture haïtienne (1982), le
Décret
sur le Code douanier (1987), le
Décret portant révision du statut général de la Fonction publique (2005), le
Décret sur l'impôt sur le revenu (2005) et le
Document de stratégie nationale pour la croissance et pour la réduction de la
pauvreté (2007).Le programme pédagogique diffusé par le ministère
de l'Éducation nationale (1987-1988) définissait les rôles
respectifs du créole et du français dans la formation fondamentale
des enfants et leur place dans le système scolaire (niveau primaire).
La fonction instrumentale du créole, première langue nationale,
dans le processus d'apprentissage est de jouer «un rôle d'intégration
sociale et culturelle»; il constitue également «la base sociolinguistique
de l'unité nationale». Quant au français, il devient la
seconde «langue nationale» des Haïtiens: «Sa place privilégiée
dans le programme de l'École fondamentale au même titre que
le créole vise à l'instauration d'un bilinguisme équilibré».
L'enseignement du français doit permettre notamment l'acquisition
des connaissances scientifiques et l'accès à la culture universelle.
6 La politique linguistique
Les pratiques administratives héritées de la France
ont toujours favorisé le français aux dépens du créole.
C'est pourquoi le français est demeuré la langue prestigieuse, le créole, la langue
du peuple. On peut se demander si les dispositions constitutionnelles en matière
de langue ont permis une extension de l'usage du créole à des fins officielles.
6.1 La législation et la justice
Au Parlement haïtien, le français et le créole sont
effectivement utilisées par les députés, mais le français
demeure très nettement prédominant; il arrive parfois qu'un
même parlementaire emploie les deux langues alternativement. Les
textes de lois sont presque tous rédigés et promulgués exclusivement
en français; néanmoins, certains d'entre eux peuvent très
exceptionnellement être traduits en créole. Rappelons, une fois de plus, qu'il n'existe même pas
de version officielle de la Constitution en créole. Diverses considérations politiques interviennent
de sorte que le créole n'obtient presque aucune place dans les documents
juridiques. Il faut aussi remarquer que, le pays étant demeuré très démuni
économiquement, un organisme
officiel de traduction relevant de l'État — du type au Canada d'un «Bureau de
la traduction» (ou «Translation Bureau») — ne semble pas constituer une priorité en
Haïti.
En ce qui a trait aux tribunaux, les délibérations peuvent
se dérouler en créole, mais les procès-verbaux ne
paraissent qu'en français; hors de la capitale, les juges utilisent
en priorité le créole. Précisons que les articles 24.2 et 24.3 de la Constitution traitent des
arrestations et des détentions. Selon l'article 24.3 (par. a), il faut
qu'on exprime formellement, en créole et en français, les motifs de l'arrestation ou de la détention:
Nimewo 24-2
Yo pa gen dwa arete pèsonn ni yo pa gen dwa fèmen pèsonn moun nan prizon san se pa ak manda yon otorite
ekri, selon pouvwa lalwa ba li, sòf si yo ta bare moun nan, nan men.
Nimewo 24-3
Men sa ki nesesè, pou yo gen dwa sèvi ak manda sa a:
a) Rezon ki fè yo arete yon moun, oubyen rezon ki fè yo fèmen yon moun nan
prizon, se pou manda a esplike sa klè, ni an kreyòl, ni an franse. Manda a dwe deklare
tou, ki sa lalwa di sou jan yo dwe pini zak yo repwoche moun nan.
[...] |
Article 24.2
L'arrestation et la détention, sauf en cas de flagrant délit, n'auront lieu que sur un mandat écrit d'un fonctionnaire légalement compétent.
Article 24.3:
Pour que ce mandat puisse être exécuté, il faut:
a) Qu'il exprime formellement en créole et en français le ou les motifs de l'arrestation ou de la détention et la disposition de loi qui punit le fait imputé; [...] |
Mentionnons aussi le
Code d’instruction criminelle (1962)
qui, dans son article 332, prévoit le recours à un interprète lorsque les
justiciables ne parlent pas la même langue:
Article
332
Dans le cas ou l'accusé, les témoins ou l'un d'eux ne
parleraient pas la même langue ou le même idiome, le doyen du
tribunal criminel nommera d'office, à peine de nullité, un
interprète âgé de vingt-et-un ans au moins, et lui fera, sous la
même peine, prêter serment de traduire fidèlement les discours à
transmettre entre ceux qui parlent des langages différents.
L'accusé et le commissaire du
gouvernement pourront récuser l'interprète, en motivant leur
récusation. |
6.2 Les services publics
Dans les services publics, le français est la première langue
utilisée tant par les fonctionnaires que par le citoyen à
la condition que ce dernier connaisse le français; une fois établie,
la communication peut se poursuivre uniquement en créole. Un créolophone
unilingue se fait toujours servir dans sa langue maternelle, mais
la plupart des documents écrits ne sont rédigés qu'en
français. Certaines missives ou communiqués d'extrême
importance peuvent néanmoins être traduits en créole.
L'article 78 du
Décret sur la conservation foncière et l'enregistrement (1977) mentionne que
tous les documents en langue étrangère devant être déposés au registre
foncier doivent être accompagnés d'une traduction, mais le texte ne précise
pas dans quelle langue. On peut croire qu'il s'agit du français:
Article 78
Aucun notaire, greffier, huissier ou autre officier public ne pourra
faire ou rédiger un acte, en vertu d'un acte sous signature privée
ou d'un acte passé en pays étrangers, en faire note ou mention,
l'annexer à ses minutes, le recevoir en dépôt, ni en délivrer
extrait, copie, expédition ou collation si cet acte n'a été
préalablement enregistré, sous peine de dix gourdes d'amende et de
répondre personnellement du droit. Sont exceptés :
1. Les
traductions des actes rédigés en langue étrangère
qui devront toujours être présentées à
l'enregistrement en même temps que lesdits actes. Le sceau de
l'enregistrement sera apposé tant sur l'acte original que sur la
traduction.
|
L'article 166 du
Décret
sur le Code douanier (1987) précise, pour sa part, que c'est le français:
Article 166 (modifié comme suit
par le décret du 13 septembre 1990)
La déclaration sera dactylographiée
en langue française, sans rature,
ni surcharge. Elle comprendra tous les colis à être portés sur
le connaissement d'exportation et devra être accompagnée des
pièces suivantes pour être recevable :
- Le permis d'exportation, délivré
par le ministère du Commerce et de l'Industrie;
- L'attestation d'exportation, visée par la Banque de la
république d'Haïti;
- Et toutes les autres pièces et informations que la douane
jugera bon d'exiger, soit pour son contrôle, soit en
conformité avec d'autres lois, règlements ou circulaires en
vigueur.
|
Il en est ainsi à l'article 89 du
Décret portant révision du statut général de la Fonction publique (2005):
Article 89
Les fonctionnaires sont regroupés en quatre catégories d'emplois
désignées par ordre décroissant
à
partir des quatre premières lettres de l'alphabet français.
Il s'agit des corps de catégories A, B, C et D. |
Toutefois, l'article 44 du
Décret sur l'impôt sur le revenu (2005) accepte que les documents soient
rédigés en français ou en créole:
Article 44
Dans un délai n'excédant pas les quatre-vingt-dix (90) jours qui
suivront la date de clôture de leur année financière, les
contribuables visés à l'article 43, sont tenus de faire
parvenir, à l'office de la Direction générale des impôts (DGI)
le plus proche du lieu de leur établissement, leurs états
financiers en conformité avec les principes comptables
généralement reconnus par l'État Haïtien, figurés dans le Plan
comptable national et selon les normes internationales de
comptabilité. Ces états financiers comprennent : le bilan,
l'état des revenus et dépenses, l'état de l'évolution de la
situation financière, les notes et autres annexes aux états
financiers, incluant le relevé des immobilisations,
amortissements et provisions ainsi que celui des comptes
relatifs aux opérations en portefeuille extérieur, le tout
exprimé en gourde haïtienne en indiquant le taux de conversion,
s'il y a lieu. Toutes ces pièces
devront être rédigées en français ou en créole.
Ces états financiers seront accompagnés des déclarations
récapitulatives prévues à l'article 7 du présent Décret.
|
Il ne faut pas croire l'État haïtien est devenu subitement
bilingue, il s'agit uniquement d'une façon pour le gouvernement d'espérer
que les contribuables paient plus facilement leur impôt en créole qu'en
français. Évidemment, il n'en est rien. Peu de contribuables sont
suffisamment solvables au point de payer un quelconque impôt.
6.3 L'école
En principe, l'État dispense gratuitement l'instruction à tous les degrés dans
les écoles publiques dites nationales. Celles-ci comptent des écoles
primaires rurales et des écoles primaires urbaines, puis des
écoles professionnelles, des écoles secondaires, des lycées et des collèges et
enfin des écoles supérieures (universités). L'instruction primaire est
théoriquement obligatoire.
- L'éducation primaire : le français et le créole
Dans les six années du primaire, le français et le créole
constituent les deux langues d'enseignement à égalité,
théoriquement du moins. L'enseignement du créole en Haïti trouve son fondement
juridique dans la loi du 18 septembre 1979. Cette loi importante autorisait
l'usage du créole comme langue écrite et parlée dans l'enseignement.
Les enfants reçoivent leur enseignement
tantôt en français, tantôt en créole. Il s'agit
d'un enseignement bilingue, mais les pratiques scolaires ne semblent pas
uniformes. Selon les villes, les villages, les quartiers ou les enseignants
eux-mêmes,
la langue d'enseignement peut être presque exclusivement le français
ou presque exclusivement le créole. Ainsi, dans la capitale, l'enseignement
se fait surtout en français; dans les petites villes et les villages
de province, il se fait en créole; dans les écoles des milieux
favorisés de la capitale, on n'enseigne qu'en français. Dans toutes les écoles, les manuels scolaires
sont presque tous rédigés en français, à l'exception
des grammaires du créole. Au secondaire, le français bénéficie de sept ou huit
heures d'enseignement, contre une seule pour le créole.
En tout état de cause, le bilinguisme français-créole n'est pas ce qu'on appelle un
«bilinguisme équilibré», au contraire. Alors que le créole est une langue à
usage oral et informel, le français reste la langue destinée aux usages formels
et à l’écriture. C'est ce que les linguistes appellent une diglossie. Ce
contexte est décrit ainsi par le linguiste Vernet Luxana: «La diglossie est un néologisme qui désigne la
coexistence dans une même communauté de deux variétés de langue génétiquement
apparentées dont l’une baptisée "variété haute" et l’autre "variété basse". Ces
deux variétés de langue entretiennent des relations hiérarchiques et assument
des fonctions spécialisées et des domaines d’emploi différents» (voir la
bibliographie, p. 47).
- Les écoles privées
Il existe en Haïti de nombreuses écoles privées, lesquelles appliquent
les programmes d'études arrêtés par le secrétaire d'État de l'Instruction
publique. Ces écoles bénéficient d'un grand prestige, mais elles sont parfois
très chères pour une famille haïtienne. Les droits de scolarité varient énormément
selon qu'il s'agit d'une petite école rurale ou d'une imposante école privée
de Port-au-Prince. Dans une école réputée,
le coût annuel est d'un
peu plus de 800 dollars US
(env. 580 euros). Or, le salaire annuel moyen pour les femmes est 1146 $ US (ou
835 euros) et de 2195 $ US
(1600 euros) pour les hommes. Avec deux enfants à l'école privée, une famille
est vite acculée à la ruine. D'après
l’UNICEF, la moitié des enfants en âge d’aller à l’école
fréquentaient des écoles
privées avant le tremblement de terre. Souvent, les parents envoient leurs
enfants dans ces écoles parce qu’il n’y a pas assez de places dans les
établissements publics. La corruption étant ce qu'elle est, il faut souvent payer
quelqu’un travaillant dans une école publique pour faire admettre son enfant.
Or, les pots-de-vin peuvent coûter plus cher que les droits de scolarité dans une
école privée.
C'est
ce qui explique qu'environ 90 % des écoles primaires sont des écoles privées
(plus de 10 000), donc non soutenues financièrement
par l’État haïtien.
Parmi ces écoles, 33 % sont de confession protestante, 29 % sont laïques, 24 % de
confession catholique et 12 % sont autres (indéterminées). Dans la plupart des
pays du monde, l'éducation est considérée comme un service public dont l'État assume
la responsabilité. Mais en Haïti ce sont les entreprises privées qui dominent de
plus en plus le monde de l'enseignement. L'État occupe un rôle secondaire dans
l'éducation et sa gestion. Il ne prend que
faiblement en charge les frais reliés à ce domaine, puisque les coûts sont
acquittés, selon le Fonds d'assistance économique et sociale (FAES),
à 85 % par les familles. La participation de l'État est minoritaire même dans la
formation et la rémunération des enseignants.
- Les
problèmes du système d'éducationSelon le Bilan commun de pays
pour Haïti, une étude publiée en 2000 par
les Nations unies et le gouvernement haïtien, un tiers des enfants d'âge
scolaire n'avait pas accès à l'école. Qui plus est, seule une faible minorité
d'enfants devrait demeurer à l'école au moins quatre années consécutives. Quant aux
installations, la majorité des écoles sont improvisées dans des bâtiments qui
n'ont pas été conçus à cette fin. Avant le séisme du 12 janvier 2010, à peine 21 % d'entre elles disposent de l'électricité et
42 % bénéficient de l'eau courante. Depuis le séisme, quelque 4000
établissements d'enseignement ont été détruits uniquement à Port-au-Prince. Les
classes ont repris dans des abris temporaires, généralement des tentes. De plus,
il faut faire disparaître des montagnes de débris avant d'installer les tentes.
Il faut aussi prévoir des latrines, un approvisionnement en eau potable, etc.
Dans sa grande sagesse, la communauté internationale a décidé qu'il fallait
construire rapidement des écoles pour renvoyer les élèves sur les bancs d'école.
On a donc construit ici et là des écoles avec des toits de tôle en plein soleil
! Quand on sait que le changement dans un pays comme Haïti ne peut se faire que
par l'éducation, on reste perplexe.
Plus de 70 % de la population est analphabète et 500 00 enfants ne vont pas
aller à l'école, faute de moyens. Par comparaison, le Nicaragua est tout aussi
pauvre, mais il compte beaucoup moins d'analphabètes. L'État haïtien ne débourse
que 13 % des montants associés à l'éducation, le reste étant assumé par les
parents. Si l'école en Haïti est obligatoire,
elle n'est pas vraiment gratuite, et de moins en moins publique. La qualité
variable de l'enseignement, les problèmes de malnutrition, les piètres
conditions matérielles, l'analphabétisme des parents (au moins de 70 %),
l'absence de bibliothèques publiques ou scolaires, l'éloignement des écoles et
l'absence d'électricité dans les foyers sont d'autant d'éléments responsables du
taux de scolarisation peu élevé.
Or, l'élite haïtienne a toujours considéré que
l'éducation, comme les soins de santé, était un privilège réservé à une
minorité, non un droit pour tous. La plupart des Haïtiens voudraient bien
s'instruire, mais ils ne le peuvent tout simplement pas. Bon nombre d'entre eux
ont honte d'être analphabètes, mais s'instruire dans ce pays ne dépend
apparemment pas uniquement de soi, avec un système aussi pourri.
Comme l'État n'a aucun moyen pour prendre des dispositions permettant à tous
de s'instruire, il est acculé à un réel cul-de-sac. Sur 1000 élèves inscrits au
primaire, 900 abandonneront l'école avant la fin de leurs études. Les causes
sont multiples et pas toutes d'ordre pédagogique: infrastructures inexistantes
ou désuètes, programmes mal adaptés, enseignants mal formés, distances à
parcourir trop longues dans les zones rurales, chemins impraticables par mauvais
temps, absence d'électricité dans les écoles et à la maison, manque
d'équipements scolaires adéquats, pénurie de manuels, sous-alimentation de
plusieurs élèves, etc. Le proverbe Ventre affamé n'a pas d'oreilles
traduit bien ce qui se passe dans ce pays; il correspond à la maxime créole
Sak vid pa kanpe («sac vide pas campé debout») ou encore Celui qui n'est
pas nourri ne tient pas sur ses pieds.
En 2012, l'État haïtien a réussi à introduire l’éducation gratuite au niveau
primaire; quelque 1,27 million d’enfants fréquenteraient maintenant l’école
publique sans frais. Haïti compte cinq millions d'enfants d'âge
scolaire. L'ambition du Président Martelly serait que, à la fin de son mandat,
tous les enfants haïtiens aillent gratuitement à l’école. La scolarisation
universelle et gratuite prônée par le pouvoir est liée à plusieurs autres
aspects tels la formation des professeurs, la construction d’écoles et
l’amélioration de la qualité de l’éducation. Or, ces objectifs sont loin d'être
atteints. Néanmoins, l'État aurait distribué plus de 974 000 kits scolaires pour
l’année scolaire 2012-2013. Plus de 230 autobus assureraient le transport des
élèves dans les dix départements; vingt autres devraient être ajoutés. De plus,
l'État assureraient la formation de plus de 11 000 nouveaux professeurs. Si l'on
fait fi des polémiques soulevées par la méthode du président haïtien, il demeure
légitime de s'interroger sur les objectifs et le contenu de son programme
d’éducation universelle, notamment sur les conditions du succès et l’efficacité
de ce programme de scolarisation de masse, un an après sa mise en œuvre.
N'oublions pas que ce programme est mis en œuvre en l’absence de tout
cadre législatif et réglementaire, notamment en ce qui a trait à la collecte et
l’affectation des fonds. Pour les partis d'opposition, cette
politique du président Martelly serait un leurre. Il faudrait expliquer comment
l'État haïtien va s'y prendre pour envoyer cinq millions d'enfants à l'école
avec des revenus en perpétuel déficit. Haïti demeure l'un des pays ayant les
plus faibles taux de scolarisation au monde. En effet, le taux d'analphabétisme
s’élève à 37,9 %. Seulement 50 % des enfants d'âge scolaire sont inscrits à
l’école. De plus, à cause du redoublement fréquent, 50 % des enfants qui
fréquentent l’école sont plus âgés que l’âge prévu pour leur classe.
Il n'en demeure pas moins qu'au moins 20 % des écoles ont
l'électricité, 39 % disposent d'eau potable et 15 % possèdent une bibliothèque.
L’intervention de l’État haïtien dans le domaine de la construction d’écoles a
toujours été insuffisante.
- L'enseignement du créole
En 1979, alors que Jean-Claude Duvalier, dit «Bébé Doc», était
président d'Haïti, le gouvernement trouva un(e) coupable pour expliquer le
problème lié à l'analphabétisme révoltant dans le pays: la langue française. Dès
lors, le créole fut perçu comme le remède inespéré pour remédier à la situation.
Il fallait «déchouquer le français» (l'«extirper» ou le «déraciner») de la tête des futurs
alphabétisés en créole haïtien. Ce fut la célèbre «réforme Bernard», du nom du
ministre Joseph C. Bernard qui voulait éliminer l'élitisme dont souffraient les
écoles haïtiennes. Le premier objectif de la réforme de 1979 était d'éradiquer
l'analphabétisme. L'article 1er de la
loi du 18
septembre 1979 stipulait:
Article 1er
L'usage du créole, en tant que langue commune parlée
par les 90 % de la population haïtienne, est permis dans les écoles
comme instrument et objet d'enseignement.
|
Afin de réduire les réticences à l'enseignement du créole, le ministre
Bernard précisait: «Dispenser l'enseignement en créole ne signifie pas renoncer
au français. Les deux langues sont enseignées en même temps: le créole comme
langue maternelle et le français enfin abordé comme langue étrangère.»
Le second texte de loi, en date du 30 mars 1982, ayant trait au créole comme
langue d'enseignement est le
Décret organisant le système éducatif haïtien en
vue d'offrir des chances égales à tous et de refléter la culture haïtienne.
Ce décret de Jean-Claude Duvalier définit les objectifs généraux de l'éducation, les dispositions
communes et les dispositions particulières aux différentes structures
d'enseignement et de formation. Le chapitre IV porte sur l'usage des langues
dans l'enseignement fondamental. Les articles 29, 30 et 31 concernent la langue
d'enseignement:
Article 29 Le créole est
langue d'enseignement et langue enseignée
tout au long de l'école fondamentale.
Le français est
langue enseignée
tout au long de l'école fondamentale et langue d'enseignement à
partir de la 6e
année.
Article 30
En 5e année de l'enseignement fondamental,
l'enseignement
du français est renforcé
en vue de son utilisation comme langue
d'enseignement en 6e année.
Article 31
Un plan d'étude fixe de façon précise l'articulation pédagogique
pour chaque cycle et chaque année en rapport avec les dispositions
des articles 34 et 35.
Dans tous les cas, à partir de la 6e
année, le volume horaire réservé,
soit au français,
soit au créole,
dans le plan d'étude d'enseignement, ne peut être inférieur à 25
% de l'horaire hebdomadaire. Dans tous les cas, à partir de la 6e
année, le volume horaire réservé, soit au français,
soit au créole,
dans le plan d'étude d'enseignement, ne peut être inférieur à 25
% de l'horaire hebdomadaire. |
Quant à l'article 35, il est particulièrement important, car il limite
l'application du décret. Il se lit comme suit:
Article 35
Les dispositions du présent décret entreront en application dès sa
publication et au fur et à mesure de l'implantation de la réforme. |
L'introduction du créole devait être l'enjeu principal de la réforme en
éducation. Mais l'État haïtien n'introduisit le créole comme langue
d'enseignement et comme discipline qu'en 1982 par un décret ministériel, puis
comme langue officielle, à côté du français, dans la Constitution de 1987. La
réforme de 1979 peut être présentée sommairement par le tableau
suivant:
Niveau |
Objectifs |
Premier cycle
Quatre ans: 6 à 9 ans |
Alphabétisation
dans la langue créole. |
Deuxième cycle
Deux ans: 10 à 11 ans |
Orientation et
approfondissement des expériences.
Initiation à la langue française (orale et écrite). |
Troisième cycle
Trois ans: 12 à 14 ans |
Approfondissement
du français et initiation aux langues vivantes étrangères.
Orientation: filière classique et filière technique/professionnelle. |
Au cours du premier cycle du primaire (quatre ans), l'élève
reçoit en principe, si l'horaire est respecté, 752 heures d'enseignement du français
et 763 heures d'enseignement du créole. Au total, 1515 heures devraient
être consacrées à l'enseignement des deux langues.
|
C'est depuis cette époque que le créole est devenu obligatoire dans les
quatre premières années du primaire. Évidemment, ce n'est pas le statut de la langue
française qui était responsable de la mauvaise qualité du système d'éducation,
mais bien l'État haïtien. Dans les trente années qui ont suivi la réforme, le taux d'analphabétisme est
demeuré stable. En 2001, le président Aristide annonça une nouvelle
campagne d'alphabétisation, mais elle ne vit jamais le jour. Le
livre Le créole haïtien de poche de l'éditeur Assimil n'est
pas utilisé dans les écoles, mais la seule parution de l'ouvrage témoigne de la
vitalité de cette langue. Dans la même collection, il existe aussi
Le créole guadeloupéen, Le créole martiniquais, Le créole
guyanais, Le créole cap-verdien, Le créole mauricien, Le créole
réunionnais, sans oublier Le créole sans peine.
Malgré les mesures prises par le
gouvernement, la pratique qui régissait l'inégalité des chances pour l'accès à
l'école n'a jamais changé. Les élites haïtiennes ont toujours utilisé l'école
comme instrument de reproduction des inégalités sociales. Le fait d'enseigner le créole dans les écoles n'a
donc pas modifié la situation.
Au lieu d'alphabétiser un petit nombre d'enfants, il suffisait maintenant de
dispenser un enseignement à un plus grand nombre de façon à sélectionner parmi
les meilleurs élèves pour continuer à renforcer la classe de l'élite. C'est à se demander
si les divers gouvernements qui se sont succédé n'ont jamais désiré
autre chose que de maintenir leur peuple dans un état permanent d'ignorance. |
Quoi qu'il en soit, après la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, la réforme
de l'éducation fut
mise en quarantaine pour être appliquée de nouveau en 1992, avant d'être généralisée à
partir de 1995. En réalité, la plupart des écoles n'avaient pas appliqué la
réforme de 1979 au moment du départ de Duvalier (1986). Les élites avaient fui les «écoles
Jean-Claude», qui appliquaient la réforme, en raison de l'introduction du créole
dans l'enseignement. De leur côté, la plupart des familles des classes
populaires ont cru que ladite réforme constituait une façon pour les élites de les
enfermer dans une sorte de «ghetto créole» afin de réduire toute possibilité de
promotion sociale à leurs enfants. Encore en 2000, il était possible d'entendre
un enseignant dire à ses élèves: «Parlez en français ou taisez-vous.» Plus
encore: «Vous n'avez pas honte de parler en créole?» Et encore aujourd'hui, le
créole est interdit dans certaines écoles privées.
En Haïti, le fait de ne parler que le créole est un signe d'appartenance à une classe sociale
«inférieure», mais pourvoir aussi s'exprimer en français est synonyme d'appartenance à
un statut social «supérieur». Tous les Haïtiens aspirent à parler le français, non
pas pour répudier leur créole, mais pour devenir bilingues (créole-français), sinon
trilingues (plus l'anglais ou l'espagnol), et accéder ainsi à des postes ou à
des emplois mieux
rémunérés.
- Les enseignants
Depuis le tremblement de terre, la moitié des écoles du pays (de 10 000 à 12
000) ont été détruites ou sont réputées dangereuses. Il faut aussi souligner la
situation
des enseignants, qui n'est pas nouvelle.
Avant le 12 janvier 2010, il y avait environ 20 000 enseignants
dans les écoles publiques du pays, dont 7000 à Port-au-Prince. Nous savons
maintenant que 38 000 élèves et 1300 enseignants sont décédés lors du séisme.
Chose certaine, il y aura pénurie, tant dans les
écoles publiques que privées. Près de 70 %
des enseignants détiennent un niveau de scolarité inférieur au brevet d'études
primaires (équivalant à la 4e secondaire). Dans
l'ensemble, la formation des enseignants du secteur privé est meilleure que
celle observée dans le secteur public; et ceux qui enseignent dans les milieux urbains sont
mieux préparés que ceux qui enseignent dans les écoles rurales. En général,
les enseignants ne sont pas formés pour instruire les enfants en créole et ne
peuvent que difficilement l'écrire; dans les zones rurales, beaucoup
d'enseignants maîtrisent mal le français.
Signalons aussi que le salaire des
enseignants est généralement bas (entre 150 $ et 200 $US, soit 110 à 145 euros
par mois au primaire), insuffisant (ce qui correspond au salaire national moyen)
et souvent payé en retard (trois mois, six
mois, jusqu'à un an), ce qui n'aide guère à attirer les candidats qualifiés. Les
enseignants du secteur public reçoivent un salaire supérieur à ceux du
secteur privé; par contre, ces derniers sont payés régulièrement. On constate
que de nombreux enseignants travaillent à la fois dans le public et le
privé, de façon à profiter des avantages des deux systèmes, une meilleure
rémunération dans l'un et une rémunération régulière dans l'autre, ce qui
engendre des problèmes de non-disponibilité, c'est-à-dire d'absences périodiques
des professeurs dans les écoles.
La formation inadéquate des enseignants ainsi que la modicité et
l’irrégularité des salaires représentent des problèmes importants dans le
système scolaire haïtien. Le recrutement des enseignants manquent aussi de
rigueur, ce qui occasionne une formation relativement faible du personnel
enseignant. En effet, au niveau primaire, seuls 15 % des maîtres possèdent les
qualifications des enseignants de base (y compris les diplômes universitaires),
et près de 25 % n'ont jamais fréquenté l'école secondaire. Grosso modo, 75 % des
enseignants n’ont eu de formation adéquate.
- Les études supérieures
En ce qui a trait aux études supérieures, l'article 211
de la Constitution précise que le fonctionnement de tout établissement doit être soumis à l'approbation technique du Conseil de l'Université
d'État et à une participation majoritaire haïtienne au niveau du corps professoral ainsi qu'à l'obligation d'enseigner
«en langue officielle du pays» (sans en mentionner aucune d'elles):
Atik
211
Anvan pou inivèsite ak lekòl siperyè prive konsmanse mache nan peyi
a, fòk yo jwenn pèmisyon pou sa nan men konsèy inivèsite deta a. Men
lòt kondisyon toujou: se Ayisyen ki dwe Ayisyen. Pi fò kou yo,
dwe fèt nan lang ofisyèl peyi a.
Atik 211-1
Sa yo moutre ni nan inivèsite, ni nan lekòl siperyè prive ni nan
lekòl siperyè Leta, dwe soti dakò ak sa peyi a bezwen pou li vanse
nan bon wout pwogrè. |
Article 211
L'autorisation de fonctionner des
universités et des écoles Supérieures privées est subordonnée à
l'approbation technique du Conseil de l'Université d'état, à une
participation majoritaire haïtienne au niveau du Capital et du Corps
Professoral ainsi qu'à l'obligation d'enseigner notamment en
langue officielle du pays.
Article 211.1
Les universités et
écoles supérieures privées ou publiques dispensent un enseignement
académique et pratique adapté à l'évolution et aux besoins du
développement national. |
Dans les faits, la langue officielle dont il s'agit ici
est le français, pas le créole, l'autre langue officielle. Manifestement, les
rédacteurs de la Constitution n'ont pas vu l'incohérence de cette
disposition. Seuls 1,2 % des Haïtiens peuvent s’engager dans des études supérieures.
L'Université d'État d'Haïti (UEH) est la seule institution nationale
publique d'enseignement supérieur dans le pays. Elle ne dispense que des diplômes de baccalauréat. La
plupart des professeurs d'université sont formés dans des universités
étrangères (surtout en France, au Québec ou aux États-Unis).
Dans tout le territoire, cette université rassemblait, avant le séisme du 12
janvier 2010, plus de 20 000 étudiants, 1500 enseignants et 800 agents et cadres
administratifs. La région métropolitaine demeure le siège de l'administration
centrale et de onze unités d'enseignement et de recherche. Le Cap-Haïtien
héberge l'unique faculté de l'UEH en province, alors que six autres villes sont
dotées d'une école de droit. L'Université ne survit que grâce à des partenaires
étrangers, dont l'ACDI, l'Université Laval (Québec) et l'Université de Montréal.
Les étudiants sont admis à la suite d'un concours: ils sont sélectionnés «au
mérite». Depuis le séisme, le tiers des étudiants n'est jamais revenu à
l'université. La plupart des locaux de l'université ont été détruits par le
tremblement de terre du 12 janvier 2010. On a ménagé des abris temporaires
(tentes).
Jusqu'en 1986, l’Université d'État d'Haïti demeurait la seule université du
pays. Depuis une trentaine d'années, de nombreuses institutions privées se sont
autoproclamées «universités» à Port-au-Prince, dans le but de répondre à la
demande croissante des bacheliers. Dans ces conditions, il devient difficile de
parler d'«éducation nationale», car le gouvernement n’a jamais encore réussi à
centraliser ni à planifier l'enseignement supérieur.
En 2012, le
système universitaire comptait seulement 50 000 étudiants pour un
pays de huit millions d’habitants, ce qui représente 1 % des Haïtiens âgés de 18
à 24 ans.
Par ailleurs, devant l'inefficacité de l'État haïtien, qui
demeure incapable de soutenir et de coordonner les universités toutes
sous-financées, celles-ci ont élaboré diverses formes de partenariats avec des
établissements d'enseignement supérieur situés en France, au Canada ou aux
États-Unis. Ces partenariats consistent essentiellement à envoyer des
étudiants haïtiens boursiers, pendant quelques années, dans les pays du Nord.
Faute de ne pouvoir former adéquatement des étudiants à Haïti,
cette forme d'«externalisation» des services d'enseignement supérieur à
l'étranger est apparue comme une solution pratique et apparemment peu coûteuse.
Le problème, c'est que cette «politique de coopération» entraîne l’émigration de
85 % des diplômés haïtiens qui, après la fin de leur séjour à l'étranger, ne
reviennent pas en Haïti.
6.4 Les médias
L'article 40 de la Constitution porte sur la question des médias, ou plutôt de
la publicité. L'État s'engage à diffuser à la fois en français et en
créole les informations relevant de la vie de l'État:
Nimewo
40 Leta dwe sèvi ak radyo, ak jounal, ak televizyon pou li gaye bon enfòmasyon, an kreyòl ak an
franse, sou tou sa ki an rapò ak vi peyi a. Anwetan sa ki ta yon danje pou peyi a, Leta dwe bay enfòmasyon sou
lwa, sou dekrè ak sou regleman li mete deyò. Menm jan tou, pou antant,
kontra, ak papye li siyen ak lòt peyi. |
Article 40 Obligation est faite à l'État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale. |
Dans les médias, le créole est la langue la plus utilisée
à la radio. C'est l'un des rares domaines où la progression
du créole a connu un véritable succès. Dans les années
soixante, la presque totalité des stations de radio diffusaient
en français. La situation s'est complètement inversée.
Parmi la cinquantaine de stations radiophoniques — les stations de radio
haïtiennes sont
généralement petites et de faible rayon de diffusion, mais elles sont très
nombreuses —, la plupart ne diffusent qu'en créole, même dans
la capitale, Port-au-Prince. Si la majorité des stations portent un nom français (parfois en
créole), c'est le créole qui domine les ondes:
Radyo Atlantik (Cap-Haitien),
Radio 4VEH (Cap-Haïtien: français-anglais), Radio Nirvana (Cap-Haïtien),
Radio Lumière (Cap-Haïtien), Radio Gamma (Fort-Liberté), Radio Vénus
FM (Cap-Haïtien), Radio Télé Paradis (Cap-Haïtien), Radio Vision 2000
(Cap-Haitien), Radio Sans Souci FM (Cap-Haïtien), Radio Papillon (Gonaïves),
Radio Media 89 (Saint-Marc), Radio Centrale (Liancourt), Radio Jupiter Plus
(Liancourt), Radio Provinciale (Gonaïves), RTC-Radio Télé-Caleb (Saint-Marc),
Radyo LeveKanpe (Hinche), Radio Super Gemini (Saint-Marc), Radio Delta
Stereo (Saint-Marc), Radio Sonic Plus (Saint-Marc), Radio Télé-Express (Jacmel),
Radio Vision 2000 (Jacmel), Radio Négritude (Jacmel),
Radio Hispaniola (Jacmel), Radio Shekina (Les Cayes), Radio Vibration (Les
Cayes), Radio Macaya (Les Cayes), Kiskeya|on
FM (Port-au-Prince), Radyo Ginen (Port-au-Prince), Radio-Métropole
(Port-au-Prince), Radio Lakansyèl (Port-au-Prince), Voix de l'Espérance
(Port-au-Prince), Radio One ( Pétionville), Radyo Timoun (Port-au-Prince),
Radio Nouvelle Génération (Port-au-Prince), Mégastar (Port-au-Prince), Radio Soleil (Port-au-Prince), Radio Balade
(Port-de-Paix), etc.
Aucune station de radio n'est unilingue française, mais
certaines diffusent en français et en espagnol (Radio-Métropole), d'autres
en français et en anglais (Radio Lumière FM). Il est possible aussi de
syntoniser des stations internationales au moyen de satellites: Radio-France
Internationale (RFI), Radio-Canada, La Voix de l'Amérique, Radio-Havana,
etc.
Quant à la télévision, c'est le français et
l'anglais qui dominent,
et le créole est bon dernier. Voici les principales stations de
télévision:
Canal 11 4VTKT (Port-au-Prince), Galaxy 2 (Jacmel), PVS Antenne
16 (Port-au-Prince), Télé Caraïbes (Port-au-Prince), Télé Eclair
(Port-au-Prince), Télé Express Continentale (Jacmel), Télé Haïti
(Port-au-Prince), Télé Ginen (Port-au-Prince), Télé Métropole
(Port-au-Prince), Télé Smart (Hinche), Télé Soleil (Port-au-Prince), Télé
Timoun (Tabarre), Télé Voix du Bonheur (Port-de-Paix), Télédiffusion
Jacmélienne (Jacmel), Télémax (Port-au-Prince), Télévision Nationale
(Port-au-Prince), Trans-América (Gonaïves), TV Magik (Jacmel), TVA (Gonaïves).
Il existe en Haïti une prédominance de l'anglais, laquelle s'explique par le fait que la majorité des chaînes
de télévision privées diffusent des émissions américaines. En Haïti, du fait que
la plupart des villages n'ont pas d'électricité, la télévision ne constitue
guère un moyen de communication très utilisé par la
majorité de la population. Par contre, la radio, qui fonctionne ordinairement avec des piles,
demeure un instrument privilégié de communication pour les masses.
La presse écrite est très majoritairement en langue française.
Les quotidiens tels que Le Matin et Le Nouvelliste ne paraissent
qu'en français. Parmi les revues, hebdomadaires et mensuels (Haïti en
Marche, Haïti Observateur, Haïti Progrès, Le Messager du
Nord-Ouest, Le Moniteur, L'Union, etc.), quelques rares journaux
sont publiés en créole. Citons, entre autres, Jounal Libèté, Boukan, Bon Nouvèl, Solèy Leve, etc.
Quelques périodiques consacrent régulièrement au créole
une ou deux pages. Un périodique paraît en anglais, le Haitian Times.
6.5 L'affichage
|
La liberté complète d'expression et d'usage règne
dans le domaine de l'affichage en Haïti. Les pratiques sont réparties
de façon fonctionnelle. L'affichage des édifices gouvernementaux
ne paraît qu'en français. Les édifices et organismes
municipaux portent des inscriptions unilingues françaises dans la
capitale (Port-au-Prince) et parfois bilingues (français-créole)
dans les villes de provinces. La monnaie, les timbres, la toponymie et
la signalisation routière sont également en français.
La diversité est très grande en ce qui concerne l'affichage
commercial. Les grands magasins et les grandes entreprises de la capitale
affichent seulement en français, les moyennes entreprises en français
et en créole, les petites en créole. Les entreprises d'import-export
et toutes les entreprises faisant du commerce international utilisent l'anglais
et le français, de même que les boutiques pour touristes; c'est
donc dire que le trilinguisme est relativement fréquent en Haïti,
particulièrement dans la capitale. Cependant, on peut aussi trouver des affiches
unilingues anglaises à Port-au-Prince.
Photo: Whereislarry.com (http://www.whereislarry.com/haiti.htm). |
7 La loi sur l'Académie du créole haïtien
L'article 213 de la
Constitution haïtienne
de 1987 avait prévu la création d'une Académie
haïtienne afin de normaliser la langue créole et de permettre son
développement scientifique et harmonieux. Ce n'est qu'en décembre 2012 que le
Sénat a adopté la Loi portant création de
l'Académie du créole haïtien, puis la Chambre des députés a fait de même
en avril 2013. Après avoir fait objection durant un an en raison de
l'absence d’une version française de la loi, le président Michel Martelly a
finalement signé le 20 mars 2014 l'avis de promulgation de la loi dans le
journal officiel Le Moniteur. Cette loi risque de modifier
considérablement la politique linguistique du gouvernement d'Haïti.
L'article 6 de la Loi portant
création de l'Académie du créole haïtien en donne ici les obligations
concernant l'État haïtien:
Article 6
(traduction) L'Académie du créole haïtien
remplira toutes les fonctions suivantes :
a) Prendre toutes les dispositions pour
que toutes les institutions publiques et privées fonctionnent dans la langue créole selon les
principes, les règles et le développement de la langue créole;
b) Prendre toutes les dispositions pour encourager les institutions et
les individus qui écrivent la langue créole à suivre les règles
de la langue;
c) Prendre toutes les dispositions pour aider la population haïtienne
à obtenir tous les services nécessaires dans la langue créole;
d) Prendre toutes les mesures pour soutenir et encourager
la
fonction publique — que ce soit le pouvoir exécutif, le pouvoir
législatif ou le pouvoir
judiciaire — à respecter les dispositions linguistiques de la
Constitution. e) Servir de référence
pour la langue créole en ce qui concerne la standardisation de la
langue, que ce soit en Haïti ou dans les autres pays où
vivent des Haïtiens;
f) Faire tout ce qui est nécessaire pour
que Haïti soit un chef de
file mondial pour les créolophones.
|
Ce genre de dispositions devrait changer complètement la
donne de la politique linguistique en Haïti, car toute la fonction publique
devra pouvoir fonctionner en créole non seulement à l'oral (ce qui est déjà
le cas), mais aussi à l'écrit. Une fois constituée, l’Académie du
créole haïtien devra s'organiser pour que tous les fonctionnaires de l'État
reçoivent une formation dans la langue créole dans un délai de trois ans,
ainsi que faire en sorte que toutes les lois du pays soient traduites en
créole dans un délai ne dépassant pas trois mois, que le Parlement adopte
toutes les lois à la fois en créole et en français dans un délai de six mois
et que l'État prenne des dispositions en vue de permettre à ses employés et
à son administration de pouvoir fonctionner en créole, tant à l'oral qu'à
l'écrit. Le problème n'est pas l'emploi du créole à l'oral, mais à l'écrit.
L'article 12 de la Loi portant
création de l'Académie du créole haïtien comporte aussi des contraintes
concernant la politique linguistique sur le créole lui-même, notamment en
matière de dictionnaire, de syntaxe, de terminologie, de glossaire, de
phonologie et d'orthographe :
Article 12
Dans la réalisation de sa mission, l'Académie du créole haïtien doit :
a) Assurer la reconnaissance publique des résultats des
recherches et de tout travail effectué sur la langue créole, qu'il
s'agisse d'inventaires, de dictionnaires, d'études sur la syntaxe,
de
terminologie, de lexique, de phonologie, de règles d'orthographe et tout
instrument pertinent sur la langue créole;
b) Émettre des recommandations sur des enquêtes et des travaux à
exécuter
sur la langue créole, par exemple des inventaires, des dictionnaires, des
recherches
sur la syntaxe, la terminologie, le lexique, la phonologie, les
règles d'orthographe et tout autres outils important pour la langue;
c) Offrir des conseils et servir de référence sur les
questions touchant la langue créole;
d) Formuler des recommandations sur le bon usage de la langue créole et sur les travaux à
poursuivre pour que la langue créole continue d'être au service de
la population haïtienne en matière de
découverte, de création et de production orale et écrite;
e) Prendre les décisions nécessaires sur les questions concernant la mission
de l'Académie du créole haïtien. |
Au final, pour exister, cette académie devra bénéficier d'un
budget suffisant afin de mener à bien sa mission décrite à l'article 11 de
la Loi portant création de l'Académie du créole
haïtien, dont notamment :
- faire tout le nécessaire pour
promouvoir la production en langue créole;
- encourager les expériences du peuple haïtien en matière de recherche,
de
création, de production en créole, à l'oral comme à l'écrit;
- faire tout le nécessaire pour assurer un grand prestige et un très
haut rayonnement du créole auprès du peuple haïtien et
à d'autres populations dans le monde;
- faire en sorte que les institutions de l'État appliquent la
Constitution en publiant tous les documents officiels dans la langue créole;
- favoriser les travaux sur l'élaboration d'outils tels que
des grammaires, des dictionnaires et des glossaires dans tous les
domaines;
- encourager et proposer des travaux de recherche de haute valeur
sur la langue créole;
- intervenir pour que les institutions régionales utilisent la langue
créole à des fins d'intégration de la population créolophone.
Encore une fois, l'Académie ne pourra remplir sa mission
qu'avec l'aide d'un budget substantiel, ce qui n'est pas acquis.
Manifestement, l'État haïtien n'a pas d'argent pour une question aussi
triviale que... la langue. Pour nombre d'Haïtiens, l'entretien et les coûts
d'une académie de la langue créole ne constituerait guère une priorité. Il
est probable que l'État haïtien n'aura pas les ressources
financières pour mettre en œuvre l'Académie du créole haïtien, c'est-à-dire
entretenir un édifice avec du personnel administratif, une bibliothèque, des
traducteurs, des juristes, etc. Dans les conditions actuelles de l'économie
haïtienne, l'État ne pourrait pas se permettre de dépenser une seule gourde pour cette
entreprise au demeurant légitime.
Haïti est un État officiellement bilingue. Ce bilinguisme
est toutefois encore très inégal, sinon déséquilibré
dans certains rôles sociopolitiques. Malgré son statut de
langue officielle, le créole n'apparaît pas davantage comme
un idiome prestigieux. Il est même difficile de parler de diglossie pour Haïti dans
la mesure où la répartition inégale des langues n'est
pas assurée par l'ensemble de la société. Celle-ci n'est pas une société bilingue (moins de 10
%), mais l'État l'est, de même qu'une petite élite.
Autrement dit, Haïti est un pays juridiquement bilingue, mais socialement
unilingue. Il s'agit d'un bilinguisme qui favorise indûment le
français aux dépens du créole, langue de l'immense
majorité de la population. Au sein de l'État, le bilinguisme
reste non seulement déséquilibré, mais symbolique. Rappelons qu'il n'existe
même pas de version officielle de la Constitution en créole. Bref, Haïti, comme bien d'autres pays d'Afrique
francophone, est resté à un stade colonial dans sa politique linguistique, mais avec cette différence que
tout le pays parle une même langue, le créole.
Haïti pourrait cependant se doter d'une véritable
politique linguistique, qui reconnaîtrait une place réelle au créole tout en menant parallèlement
«le combat» de la Francophonie. Pour ce faire, la politique linguistique
haïtienne devrait viser un bilinguisme équilibré, ainsi que la réconciliation
des différentes forces sociopolitiques nationales. À l'heure actuelle, la
politique linguistique haïtienne ne concorde pas avec la Constitution qui a
formellement reconnu le créole comme l'une des deux langues officielles d'Haïti.
Ce n'est donc pas un «pays bilingue» puisque seule une fraction de la population
peut l'être, c'est-à-dire environ 10 % des Haïtiens. Non seulement il y a trop
d'unilingues créolophones, mais l'État ne pratique pas lui-même une véritable
dualité linguistique. Il est vrai que le bilinguisme réel entraînerait des coûts
élevés pour un pays aussi pauvre. C'est pourquoi les dispositions de la
Loi portant création de l'Académie du créole
haïtien de 2014 peuvent prendre des années avant d'atteindre les effets
escomptés.
Avant
toute chose, il faudra quand même régler à tout prix la plus grande difficulté : le fait que plus
de 70 % de la
population haïtienne, parlant et comprenant uniquement le créole, soit analphabète.
Le pays éprouvera toujours de graves problèmes tant qu'il n'aura pas trouvé une
solution à cette grande inégalité sociale.
Il faut tout de même admettre que, face à la pauvreté endémique qui ronge le pays, les questions
linguistiques ne font pas le poids. Comment pourrait-il en être autrement? Une
fois le pain et le beurre acquis, on peut passer à autre chose. Et l'État
d'Haïti n'est pas rendu là.
Dernière révision
en date du
21 sept. 2024
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