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La Nouvelle-France (1534-1760)L'implantation du français
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La période de la Nouvelle-France au Canada s'étendit de 1534 à 1760. Jaloux des richesses que l'Espagne et le Portugal retiraient de leurs colonies, François 1er nomma Jacques Cartier à la tête d'une première expédition en 1534. Ce dernier devait découvrir de nouveaux territoires et fonder éventuellement un empire colonial. Bien que ces découvertes soient inestimables, les voyages de Cartier au Canada (1534, 1535-1536, 1541-1542) se soldèrent, au point de vue de la colonisation, par des échecs, car au début du XVIIe siècle aucun Français n'était encore installé sur le territoire de la Nouvelle-France. Bien que le navigateur français ait échoué à fonder un établissement au Canada, il donna à la France des droits sur le territoire. Au plan linguistique, les voyages de Cartier contribuèrent à fixer très tôt la toponymie de l'est du Canada: les noms de lieu sont, depuis cette époque, ou français ou amérindiens. Cartier aura eu le mérite d'établir les bases de la cartographie canadienne et d'avoir découvert le grand axe fluvial – le Saint-Laurent – grâce auquel la Nouvelle-France pourra recouvrir, pour un temps, les trois quarts du continent nord-américain. En Acadie, certains toponymes français à l'origine deviendront plus tard anglais (après le traité d'Utrecht de 1713). Il en fut ainsi en Louisiane. |
Au sens strict, Jacques Cartier n'est pas le découvreur du Canada actuel, puisqu'il n'a pas parcouru le Nouveau-Brunswick, ni la Nouvelle-Écosse ni l'île du Prince-Édouard. En fait, Cartier fut le découvreur de la vallée du Saint-Laurent; il appellera le fleuve «rivière du Canada». Lors de ses voyages dans la vallée du Saint-Laurent, Cartier avait rencontré ceux que les anthropologues désigneront par les «Iroquoiens du Saint-Laurent» (ou «Iroquoiens laurentiens»), notamment à Stadaconé (Québec) et à Hochelaga (Montréal). Rappelons que c'est à Jacques Cartier qu'on doit le nom de Canada au pays: en entendant le mot iroquoien kana:ta, qui signifie «ville» ou «village», il crut que le terme désignait le pays tout entier.
Samuel de Champlain fonda Québec en 1608, mais sur l'emplacement de Stadaconé il ne restait plus aucun des villages mentionnés par Cartier et, au lieu des Iroquoiens, il ne trouva que quelques rares bandes de chasseurs montagnais. C'est que, entre 1580 et 1590, les Iroquoiens avaient disparu en tant que peuples distincts, mais leurs descendants avaient rejoint divers groupes voisins, tant de langue iroquoienne que de langue algonquienne. Dès 1609, sur rapport de Champlain, Henri IV donna à la colonie le nom de Nouvelle-France. Champlain tenta d'établir des colons et devint lieutenant-gouverneur du territoire en 1612. Mais les succès se révélèrent minces puisqu'en 1627, lors de la création de la Compagnie de la Nouvelle-France (ou Compagnie des Cents Associés), on ne comptait encore qu'une centaine d'habitants dispersés en deux groupes, l'un à Québec, l'autre à Port-Royal (en Acadie, aujourd'hui la Nouvelle-Écosse). Durant ce premier siècle, le peuplement de la Nouvelle-France s'est vraiment révélé un échec.
Il faut dire que l'image de la Nouvelle-France qui circulait alors dans la mère patrie ne motivait en rien les Français à venir au Canada, ni en Louisiane, ni en Acadie. L'imagination populaire ne pouvait être attirée par un pays au climat sévère, exposé en plus à l'hostilité des «Sauvages» (comme on appelait les Amérindiens à l'époque), puis des Anglais de la Nouvelle-Angleterre. Entre 1635 et 1760, plus de 300 000 Français ont quitté la France pour les colonies, mais la plupart ont préféré les Antilles ou ce qu'on appelait alors les «Indes occidentales» (Martinique, Guadeloupe, Dominique, Sainte-Lucie, Saint-Domingue, Guyane, etc.). Par exemple, alors que 7000 émigrants français sont arrivés aux Antilles entre 1635 et 1642, seulement 2400 Français avaient choisi le Canada entre 1632 et 1644. Plus tard, entre 1749 et 1763, alors que le port de La Rochelle avait enregistré 98 départ annuels pour les Antilles, il n'y en a eu que 16 pour le Canada et 14 pour la Louisiane. Entre 1635 et 1760, plus de 300 000 Britanniques (Anglais, Écossais, Gallois et Irlandais) ont quitté la Grande-Bretagne pour la seule Amérique du Nord. Alors que les deux tiers des Français sont repartis en France après quelques années, plus de 90 % des colons anglais sont restés en Nouvelle-Angleterre!
Il aurait sans doute fallu une série de cataclysmes en France ou de vastes opérations de racolage manu militari étendues sur plusieurs années pour drainer un grand nombre d'émigrants vers la lointaine Nouvelle-France (Acadie, Canada et Louisiane). Si plusieurs mesures, surtout à partir de 1663, n'étaient venues redresser la situation, on n'aurait probablement jamais parlé de la Nouvelle-France par la suite.
Avant le traité d'Utrecht de 1713, la Nouvelle-France comprenait cinq territoires possédant chacune une administration propre: le Canada, l'Acadie, la Baie-d'Hudson, Terre-Neuve et la Louisiane (voir la carte de la Nouvelle-France avant 1713). En principe, chacune des administrations locales était subordonnée au gouverneur général de la Nouvelle-France (en même temps gouverneur du Canada), qui résidait à Québec. Mais, en raison des grandes distances géographiques et de la lenteur des communications, le gouverneur local, notamment en Louisiane, jouissait en fait d’une autorité propre. Remarquons que la frontière ouest de toutes ces colonies était ouverte sur le reste du continent.
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En 1627, le Canada, ne comptait encore qu'une centaine d'habitants. Il s'agissait d'un tout petit pays qui revendiquait, au surplus, une grande partie du territoire nord-américain: la Nouvelle-France. Il n'y avait pas de quoi impressionner face à la Nouvelle-Hollande, qui comptait déjà 10 000 habitants, et face aux colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre qui en avait 80 000. De plus, tout fonctionnait mal en Nouvelle-France, particulièrement au Canada, que ce soit sur le plan des institutions civiles, des autorités religieuses ou de l'économie. Jusqu'en 1660, la France parla d'abandonner les rives du Saint-Laurent. |
1.1 Les provinces françaises d'origine
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Néanmoins, entre 1627 et 1663, la population passa de 100 habitants à quelque
2500. En 35 ans, environ 1250 immigrants français vinrent augmenter la petite
population d'origine; la natalité doubla le contingent. Déjà à cette époque,
les immigrants venaient de la plupart des provinces de
France, soit de 29 sur
38. Les données qui suivent proviennent des études de Marcel Trudel; par contre, le tableau 1 «L'origine des immigrants français de 1608 à 1700») renvoie aux statistiques de Stanislas A. Lortie, qui portent sur tout le XVIIe siècle. Certaines provinces jouèrent un rôle prépondérant: la Normandie (282), l'Aunis (204), le Perche (142), Paris et l'Île-de-France (130), le Poitou (95), le Maine (65), la Saintonge (65), l'Anjou (61), etc. Selon les sources, les provinces pépinières demeurent fondamentalement les mêmes, mais la Bretagne, la Champagne et la Guyenne augmentèrent leur contingent après 1663. Il n'y a pas de réelle contradiction entre les deux sources, mais il nous a paru préférable de donner ici celles de Lortie parce qu'elles portent sur tout le siècle. |
En 1966, le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l'Université de Montréal s'est donné comme mandat de reconstituer exhaustivement la population du «Québec ancien», depuis le début de la colonisation française au XVIIe siècle. Couvrant l'ensemble des XVIIe et XVIIIe siècles, la base de données du PRDH contient ainsi «l'histoire nominative» des ancêtres québécois de tous les Canadiens français. La base de données porte sur 8527 immigrants fondateurs couvrant la période du Régime français. Une origine des provinces françaises peut être attribuée à 7656 d'entre eux, soit 89,8 %. Les immigrants français se répartissent de la façon suivante:
- le Nord-Ouest: 28,1 % - le Sud-Ouest: 10,5 % - le Nord: 3,4 % - les Alpes: 1 %
- le Centre-Ouest: 26,3 % - l'Est: 8,2 % - le Massif central: 2,9 %
- la région parisienne: 14,3 % - le Val de Loire: 3,9 % - le Midi: 1,3 %
Ces résultats démontrent que la majorité des immigrants provenaient des provinces suivantes: 14,5 % de la Normandie, 14,3 % de l'Île-de-France, 9,8 % du Poitou, 8,9 % de l'Aunis, 6 % de la Bretagne, 5,3 % de la Saintonge, 4,4 % de la Guyenne, etc. Bref, la grande majorité des immigrants français provenaient bien des provinces du Nord-Ouest, du Centre-Ouest, de l'Île-de-France et du Sud-Ouest. On sait aussi que de rares immigrants sont arrivés de la Belgique (48), de l'Allemagne (34), de la Suisse (23), de l'Italie (14) et de l'Irlande (10). On peut consulter le tableau 3 pour visualiser tous les résultats du PRDH.
Cela signifie que les immigrants avaient pour origine principale des régions côtières et des villes portuaires davantage tournées vers l'extérieur, ainsi que de la grande région parisienne. Ces régions comptaient naturellement de nombreux marins et pêcheurs. Les villes françaises engendrèrent cinq fois plus d'immigrants que les campagnes.
1.2 Les origines sociales
En 1663, les différents groupes sociaux représentés au Canada étaient répartis ainsi: 68 % de paysans et d'artisans, 26,3 % de fonctionnaires, de commerçants et de militaires, 3 % de nobles et 2,5 % d'ecclésiastiques. Mais pour tout le Régime français (jusqu'en 1760), la répartition est plutôt la suivante: 43 % d'artisans, 26 % de paysans, 14 % de «manouvriers» ou de manœuvres, 12 % de bourgeois (contre 8 % en France) et 3 % de nobles (contre 1,5 % en France). Les membres du clergé représentaient 3,7 % de l'ensemble.
Il est pertinent d'ajouter quelques mots sur l'âge des émigrants français. Les jeunes adultes, surtout célibataires, dominent nettement les contingents qui arrivaient au Canada. La répartition est la suivante sur 9710 recensés: 28,6 % avaient entre 20 et 24 ans, 22,8 % entre 25 et 29 ans, 15,6 % entre 15 et 19 ans, 12,3 % entre 30 et 34 ans. Suivaient ensuite les 35-39 ans (6,4 %) et les enfants en bas âge de 0 à 14 ans (6,1 %). Il restait peu de monde plus les plus de 40 ans (8,4 %), ce qui devait comprendre principalement des officiers, des marchands, des commerçants et des membres du clergé (dont les religieuses).
À partir de 1663, la Nouvelle-France connut une phase d'expansion décisive et les émigrants arrivèrent beaucoup plus nombreux. D'abord, Louis XIV décida l'envoi de tout un régiment, le Carignan-Salières, d'environ 1200 hommes (1665). Pour hâter le peuplement, l'État obligea les capitaines de navires marchands à transporter des colons et à instaurer le système seigneurial.
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Il faut aussi considérer que 30 % des hommes sont arrivés au Canada,
alors qu'ils faisaient partie de l'armée. De façon générale, le personnel militaire représente près du
quart de l'ensemble de l'émigration française. Au total, 13 076 militaires sont
passés au Canada pendant le Régime français, sans compter ceux qui se sont
installés en Acadie et à Louisbourg dans l'île du Cap-Breton. Sont exclus
également les militaires de la Louisiane. Les Compagnies franches de la Marine furent stationnées dans les villes de Québec, Montréal, Trois-Rivières et Louisbourg, ainsi que dans les forts de Frontenac, Niagara, Michilimackinac, Saint-Frédérick, Chambly, Beauséjour, Laprairie, Sault Saint-Louis, Lac-des-Deux-Montagnes et Détroit. De 1683 à 1760, les Compagnies franches de la Marine participèrent à tous les affrontements qui marquèrent l'histoire de la Nouvelle-France. Avec le temps, l'habillement des soldats s'est adapté, surtout l'hiver (tuque, mitaines, hachette, mocassins, etc.). En temps de paix, les soldats français étaient logés chez les habitants des villes ou des seigneuries avoisinantes. |
Rappelons que, dès 1669, tous les hommes âgés de 16 à 59 ans, devaient faire partie de la «milice canadienne», sous les ordres de capitaines, de lieutenants et d'enseignes. Les miliciens se réunissaient par compagnie une fois par mois pour leurs exercices militaires. Contrairement aux troupes régulières françaises – les «Compagnies franches de la Marine», appelées aussi «troupes de la colonie», «troupes de la Marine», troupes du «détachement de l'infanterie de la Marine», etc. –, la milice canadienne adopta aussitôt les techniques militaires amérindiennes par des raids en forêts et des descentes de rivières en canot. Les miliciens canadiens entreprenaient régulièrement des expéditions avec des tribus indiennes alliées afin de semer la terreur chez les fermiers de la Nouvelle-Angleterre. Leur «efficacité militaire» – leur brutalité – devint rapidement légendaire chez les Anglais qui craignaient autant les miliciens que les Amérindiens.
Au cours du Régime français, on a recensé 579 déportés, soit les deux tiers des prisonniers envoyés au Canada. Quelques-uns d'entre eux étaient des «fils de famille» (qu'on préférait voir déportés plutôt qu'emprisonnés), mais les autres étaient issus des classes populaires; c'étaient surtout des contrebandiers, des braconniers et des déserteurs. Certains autres furent des prisonniers anglais déportés par la France au Canada.
Dans cet ensemble, on ne compte pas les «coureurs des bois», qui faisaient la traite des fourrures. Chaque année, quelque 400 hommes devenaient coureurs des bois. Ils étaient fort mal perçus par le clergé, parce qu'ils vivaient dans le concubinage, l'adultère et la «débauche publique». Vivant parmi les autochtones, ils en adoptaient les moeurs. Bon nombre d'entre eux fondaient une seconde famille dans les forêts, car ils entretenaient des relations à demi-permanente avec des femmes amérindiennes. On appelait soit «Métis» soit «sangs-mêlés» les enfants de la traite des fourrures. Cela étant dit, la plupart des coureurs des bois apprenaient les langues amérindiennes et inculquaient également les rudiments du français aux autochtones. Tous les Métis étaient bilingues ou polyglottes. La langue véhiculaire entre Européens et Amérindiens devint rapidement le français dans la plus grande partie de l'Amérique du Nord. Les coureurs des bois fournissaient également un réservoir d'interprètes qu'on recherchait à travers tout le continent, bien que les gouverneurs de Québec préféraient généralement leurs officiers (souvent polyglottes) réputés plus honnêtes pour traduire les «harangues des Sauvages».
1.3 Les «filles du roy»
On ne fonde pas une colonie en envoyant des militaires et de jeunes hommes célibataires. Ils reviendront tous. Or, partout en Nouvelle-France, l'élément féminin de la population du Canada était trop minoritaire (376) par rapport à l'élément masculin (639). Une telle politique intensive de peuplement ne pouvait réussir que si elle s'appuyait sur une politique de mariages. Pour ce faire, il fallait des femmes.
- La politique de mariages
Entre 1665 et 1673,
le roi fit donc passer près de 900 filles au Canada pour procurer
des épouses aux colons, L'arrivée des premières «filles du roy» suscita
une certaine résistance dans la colonie où, semble-t-il, la décision
d'organiser des mariages fut au début mal perçue. Encore en 1670, l'intendant
Talon faisait allusion à la résistance de curés qui pouvaient hésiter à bénir
les mariage hâtifs:
Si le Roi fait passer d'autres filles ou femmes veuves de l'ancienne en la nouvelle France, il est bon de les faire accompagner d'un certificat de leur curé ou du juge du lieu de leur demeure qui fasse connaître qu'elles soient libres et en état d'être mariées, sans quoi les ecclésiastiques d'ici font difficulté de leur conférer ce sacrement, à la vérité ce n'est pas sans raison, deux ou trois doubles mariages s'étant ici reconnus, on pourrait prendre la même précaution pour les hommes veufs. Et cela devrait être du soin de ceux qui sont chargés des passagers. |
Devant ces difficultés, le ministre Colbert tentait de rassurer l'intendant Jean Talon à propos de la qualité des jeunes filles. Le 11 février 1671, il écrivit ce qui suit à Talon:
J'ai aussi donné ordre de vous envoyer des certificats des lieux où les dites filles seront prises, qui feront connaître qu'elles sont libres et en état de se marier sans difficulté.
- Les origines des émigrantes
Or, les futures épousées, généralement les «filles du roy», étaient des orphelines élevées par des religieuses aux frais du roi dans les grands couvents et les Maisons d'éducation de Paris, Dieppe, Honfleur et La Rochelle. On sait aujourd'hui que 23,9 % d'entre elles étaient originaires de l'Île-de-France, 19,4 % de l'Aunis, 14,9 % de la Normandie. Les autres provenaient surtout de la Bretagne, du Perche, du Poitou, de la Picardie, de la Saintonge, de la Champagne, de l'Anjou et de la Bourgogne.
Près de 90 % de ces filles à marier étaient issues de familles de petits fonctionnaires, de militaires, d'artisans et de paysans (en petit nombre); le reste provenait de la petite noblesse et de la bourgeoisie. Elles constituaient, pour l'époque, une sorte d'élite «sagement élevée» et «formée aux travaux d'une bonne ménagère», et elles étaient mieux instruites que la plupart de leurs contemporaines. Le problème avec les filles du roi vient du fait qu'elles paraissaient en général «assez délicates», «peu robustes», «élevées en vue du service des grandes dames». On pourrait dire que les émigrantes étaient concentrées dans des régions de grande culture, qui se trouvaient relativement à proximité de la capitale. De plus, les trois quarts des émigrantes venaient de centres urbains. En effet, près de 20 % d'entre elles étaient originaires de l'Île-de-France, dont une bonne partie de la Salpétrière (50 %), qui dépendait de l'Hôpital général créé par Louis XIV.
Le ministre Colbert recevait régulièrement des avis – dont ceux de l’intendant Jean Talon – pour qu'on envoie plutôt des «filles de village», «propres au travail comme les hommes». Dans les faits, on a dirigé vers le Canada des Françaises (plus de 70 %) issues des centres urbains, donc peu initiées aux travaux agricoles ni à la tenue d'une maison d'habitants. Dans les faits, on estime que les femmes de la Nouvelle-France comptaient 47,8 % d'artisanes, 18 % de paysannes, 15,5 % de manouvrières, 15,4 % de bourgeoises et 3,3 % de nobles.
De plus, pour favoriser les mariages et la natalité, on soumit à l'amende les hommes célibataires, on accorda des dots aux filles et des gratifications aux familles nombreuses. Avantagée par un taux extraordinaire de natalité (7,8 enfants par femme) et par une immigration abondante, le Canada vit se multiplier sa population; de 2500 habitants en 1663, elle passe à 20 000 en 1713 et à 55 000 en 1755.
Durant tout le Régime français, seulement 400 femmes sont arrivées au Canada, déjà mariées et accompagnant leur mari. Ces familles déjà constituées ont amené avec elles 528 enfants âgés de moins de 14 ans.
1.4 La qualité des émigrants
Par ailleurs, certains des contemporains de l'époque ont prétendu que les filles du roi étaient en réalité des «filles de joie» embarquées de force à bord de navires en partance pour le Canada. Or, à part quelques très rares exceptions, cette thèse s'est révélé fausse et non fondée. Déjà en 1639, le supérieur de la mission des jésuites au Canada réagit ainsi à ces rumeurs qui circulaient en France:
On nous a dit, lit-on dans la Relation des Jésuites de 1641, qu'il courait un bruit dans Paris, qu'on avait mené en Canada un vaisseau tout chargé de filles dont la vertu n'avait l'approbation d'aucun docteur : c'est un faux bruit, j'ai vu tous les vaisseaux, pas un n'était chargé de cette marchandise.
Quoi qu'il en soit, entre 1730 et 1750, l'éventail des immigrants s'élargit. Des colons du sud de la France sont venus s'installer, de même, répétons-le, des «fils de famille» qu'on exilait, beaucoup de contrebandiers du sel et des braconniers. On laissa des militaires s'établir pour de bon dans la colonie. On ferma même les yeux sur l'arrivée de huguenots (environ 500 au total) et de fugitifs venus des colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre (environ 1000), sans oublier un certain nombre d'esclaves noirs (environ 300).
Dans le contexte nord-américain de l'époque, les autorités françaises se méfiaient des huguenots parce qu'ils étaient protestants. Or, le voisinage des Anglais, également protestants, semblait représenter un trop grand risque en raison de la déloyauté éventuelle des colons protestants. Seuls quelque 500 huguenots arrivèrent au Canada, en principe sur une base provisoire à la condition de s'abstenir de toute manifestation religieuse publique, car seuls quelque 150 d'entre eux se sont effectivement installés en permanence dans le pays. Les autorités coloniales étaient conscients du rôle estimable des huguenots dans la vie économique du Canada, même si l'évêque de Québec souhaitait leur expulsion. À la fin du XVIIe siècle, on comptait dix fois plus de huguenots parlant français en Nouvelle-Angleterre que dans toute la Nouvelle-France (Canada, Acadie, Louisiane). En fait, plus de 200 000 huguenots français iront s'établir dans les colonies anglaises au sud du Canada. Le sort du Canada et de la Nouvelle-France aurait pu changer du tout au tout si ces Français s'étaient établis au nord plutôt qu'au sud, surtout que huguenots français étaient réputés pour être de fort bons marchands, négociants, armateurs et d'inestimables prêteurs.
1.5 Les autochtones
Quant aux autochtones, ils ne représentaient que 10 % de la population du territoire administré par les autorités françaises. Les Français qui s'installèrent sur les rives du Saint-Laurent ne délogèrent jamais les populations autochtones. Les Français au Canada, comme dans toute la Nouvelle-France (Acadie, Louisiane et région des Grands Lacs, c'est-à-dire le «Pays des Illinois» et le «Pays des Ohio»), furent plutôt exceptionnels (comme Européens!) dans la façon dont ils s'allièrent avec les Premières Nations.
Contrairement aux Espagnols et aux Portugais qui érigèrent leur empire sur la conquête, la sujétion et la servitude, contrairement aussi aux Américains qui massacrèrent les autochtones pour s'approprier leurs terres, les Français ne furent jamais assez puissants pour agir de cette façon. Au contraire, il comblèrent les autochtones de cadeaux (outils, armes et munitions, aliments, vêtements, ustensiles de cuisine, animaux, etc.) afin de bénéficier de leur collaboration dans la traite des fourrures et, après 1680, afin de recevoir leur appui militaire. Voilà pourquoi les Français ont pu développer une version disons «plus subtile» du colonialisme européen. Néanmoins, les Français ne perçurent jamais les autochtones comme des partenaires égaux, mais comme des subalternes indisciplinés avec lesquels il fallait savoir s'y prendre, de peur qu'ils oublient leurs «devoirs». Même s'ils vivaient au beau milieu de la colonie canadienne du roi de France, les autochtones ne reconnurent jamais la «souveraineté du roi de France» et conservèrent toujours leur autonomie.
Bien que, dans l'ensemble, les relations entre les autochtones et les Français, ainsi que les Canadiens, aient été pacifiques, elles furent néfastes pour les autochtones qui développèrent des maladies et des épidémies, ce qui décima une grande partie de leur population. Ainsi, les Hurons ont vu leur nombre réduit de moitié par des épidémies au cours des premières décennies de l'histoire de la Nouvelle-France.
C'est également ce qui explique le peu de considération des
autochtones à l'égard des Européens. Il suffit de lire les compte rendus des
missionnaires et des explorateurs. Pour les autochtones, les Français barbus
étaient des créatures physiquement inférieures, difformes, hirsutes et
moralement dépravées, qui répandaient la maladie sur leur passage et faisaient
fuir le gibier. Les symboles de la religion chrétienne tels que la croix, les
flammes de l'enfer, les foudres de Dieu, etc., les terrifiaient. C'est pourquoi
les autorités françaises avaient tendance à se servir des missionnaires, en tant
qu'agents de la politique de l'État, pour «civiliser» un peu plus les
«Sauvages». Le gouverneur de l'île Royale de 1718 à 1739, Joseph de Monbeton de
Brouillan, écrivait: «Il n'y a que ces hommes qui peuvent maîtriser les Sauvages
pour qu'ils obéissent à Dieu et au Roy.» Les Anglais adopteront plus tard cette
coutume française! L'un des moyens efficaces de s,allier les Indiens consistait
à leur vendre des mousquets et des fusils uniquement s'ils se convertissaient à
la religion chrétienne. Comme le faisait remarquer un observateur (voir Thwaites,
éd., vol. XXV: 27, 10) de l'époque:
L'emploi d'arquebuses, refusé aux Infidèles par Monsieur le Gouverneur et accordé aux néophytes chrétiens, est un puissant attrait pour les gagner: il semble que Notre Seigneur a l'intention de se servir de ce moyen afin de rendre le christianisme acceptable dans ces régions. |
Malgré tous les
efforts des missionnaires, les Amérindiens échappèrent néanmoins à leur emprise.
Au cours de toute l'histoire de la Nouvelle-France, l'évangélisation n'a produit
qu'un petit nombre de vocations religieuses chez les Amérindiennes, alors que
pas un seul Amérindien n'est devenu prêtre! Si l'on se fie
aux registres des
missions, par exemple ceux de Québec, Montréal, Tadoussac, etc., les autochtones
étaient baptisés selon des appellations amérindiennes, bien que des prénoms
européens vinrent remplacer graduellement les noms amérindiens. Les
missionnaires n'avaient pas en haute estime les autochtones. Voici le témoignage
d'un jésuite décrivant l'assemblée générale d'une tribu:
C'est une troupe de crasseux, assis sur leur derrière, accroupis comme des singes et ayant leurs genoux auprès de leurs oreilles, ou bien couchés différemment, le dos ou le ventre en l'air, qui tous, la pipe à la bouche, traitent des affaires d'État avec autant de sang-froid et de gravité que la junte d'Espagne ou le Conseil des Sages à Venise. |
On sait, par ailleurs, que les autochtones alliés des Français ont fait de nombreux prisonniers parmi les colons anglais et les ont mariés avec les gens de leurs propres villages. On estime à environ 1000 le nombre d'hommes, de femmes et d'enfants arrachés aux colonies anglaises et transplantés au Canada. Beaucoup ont fini par s'intégrer à la société canadienne.
Compte tenu de la situation de fragmentation linguistique qui prévalait en France sous l'Ancien Régime, on peut supposer que les émigrants français parlaient leur «patois» d'origine avant d'arriver au Canada. Selon cette hypothèse, les colons auraient pu apporter avec eux leur normand, leur picard, leur aunisien, leur poitevin, leur breton, etc., sauf pour ceux qui provenaient de Paris et de l'Île-de-France.
Cette question du «choc des patois» a soulevé déjà de nombreuses controverses, notamment en 1984 lorsque le linguiste Philippe Barbaud a publié une étude intitulé Le choc des patois en Nouvelle-France. Selon cet auteur, les colons français ont apporté avec eux leur patois local, soit le normand, le picard, l'aunisien, le poitevin, le breton, etc. Mais ce livre a attiré les foudres des historiens qui contestent cette étude uniquement spéculative, car elle ne reposerait sur aucun fait vérifiable.
2.1 Les français régionaux importés de France
Les émigrants français sont arrivés plus massivement à partir de 1663, alors que la population canadienne n'atteignait que 2500 habitants, puis est passée à 10 000 en 1681 et 15 000 en 1700. On sait cependant que les villes françaises ont engendré cinq fois plus d'immigrants que les campagnes. Or, les habitants des villes françaises parlaient à l'époque un français régional, pas les patois. Cela signifie que les deux tiers des émigrants connaissaient déjà le français à leur arrivée au Canada, aussi régional qu'il fût! On sait aussi que les villes portuaires d'embarquement, tels que Bordeaux, La Rochelle, Rouen ou Dieppe (d'où partirent la majorité des émigrants), constituaient des centres urbains très francisés (entre 80 % à 90 %) et que les patoisants qui venaient y vivre devenaient rapidement des semi-patoisants bilingues. Les historiens croient aussi que la connaissance du français a pu servir de critère de sélection des candidats à l'émigration pour le Canada.
Cela étant dit, on peut supposer que le tiers des émigrants ruraux arrivant au Canada ait pu conservé encore leur patois d'origine. En réalité, même les ruraux qui voulaient partir pour le Canada avaient probablement une certaine connaissance du français, car ils n'habitaient jamais très loin des centres urbains qui furent les plus grands réservoirs d'émigrants. Selon toute vraisemblance, les pionniers d'origine rurale étaient soit des francisants, soit des semi-francisants (ou semi-patoisants), soit de purs patoisants. Quoi qu'il en soit, la plupart des ruraux étaient tout de même en contact avec le français. Très rares devaient être les unilingues patoisants (une portion des émigrants ruraux qui comptaient pour le tiers des émigrants français).
De façon générale, les émigrants francisants comprenaient et parlaient l'une ou l'autre des variantes du français de l'Île-de-France ou d'une autre région importante. À part les nobles, les membres du clergé, les officiers militaires, les administrateurs et quelques grands négociants, les francisants ne parlaient pas la «langue du roy», mais un français populaire parsemé de provincialismes et d'expressions argotiques.
Les locuteurs semi-patoisants parlaient leur patois maternel, soit le normand, le poitevin, le bourguignon ou le lorrain, mais ils pouvaient comprendre assez bien l'une ou l'autre des diverses variétés du français; leur connaissance passive du français permettait donc une compréhension partielle. Quant aux patoisants, ils ignoraient totalement le français commun; lorsqu'on leur parlait en français, ils devaient recourir aux services d'un interprète. Les archives canadiennes ne révèlent qu'un seul cas connu de l'emploi d'un patois lors d'un procès qui a eu lieu dans les années 1660. Cela signifie que l'usage d'un tel patois pouvait être possible, sans que l'on en sache davantage.
2.2 Les causes de l'unification linguistique
Très tôt, le français s'est assuré la dominance en Nouvelle-France sans qu'aucune politique linguistique n'ait été élaborée ni même pensée; ce n'était pas dans les habitudes de l'époque. Néanmoins, un certain nombre de facteurs, indéniables, ont favorisé cette unification.
- Le français du roy
Le français était la langue de l'administration royale, celle des fonctionnaires, des officiers, des milices et de l'armée. Tous les documents étaient rédigés en français et les ordres étaient donnés en «français du roy» aux soldats, dont un bon nombre de mercenaires (allemands et suisses). C'était également la langue du clergé, premier ordre social de la colonie: les ecclésiastiques, hommes ou femmes, ne s'exprimaient qu'en français, à l'exception des missionnaires, qui évangélisaient les Amérindiens dans leur langue. Tous les marchands, commerçants et entrepreneurs français ne parlaient généralement que le français.
Dans les écoles, on enseignait la religion, les mathématiques, l'histoire, les sciences naturelles et le français, lequel, rappelons-le, n'était pas encore enseigné en France aux «petites gens». Bien que peu poussée, l’instruction en Nouvelle-France semble cependant d'un degré remarquable pour l'époque. En se fondant sur les greffes des notaires, on peut évaluer à 80 % la population de ceux et celles qui savaient lire et écrire le français, bien que fort mal il faut l'avouer. Cet enseignement primaire ouvert à tous les habitants, même dans les campagnes, constituait une première pour l'époque et a certes joué un rôle non négligeable dans le processus de francisation, surtout dans le développement de la norme parisienne.
On doit souligner aussi que l'arrivée des militaires au Canada fut certainement l'une des causes ayant favorisé la francisation du pays. Lorsque le régiment de Carignan-Salières débarqua à Québec à l'été de 1665, la colonie ne comptait que quelque 3200 habitants. Or, la venue subite de 1200 soldats et d'environ 80 officiers ne put qu'avoir un impact considérable sur le développement de la colonie, notamment en matière linguistique, car les communications dans l'armée royale se déroulaient exclusivement en français. Une fois la guerre finie avec les Iroquois en 1667, on estime que 30 officiers, 12 sergents et 404 soldats se prévalurent de l'offre du roi et se sont établis au Canada; plusieurs épousèrent des filles du roy et eurent une nombreuse progéniture. Entre 1683 et 1760, quelque 10 000 soldats et officiers des troupes de la Marine furent envoyés au Canada. Plus de la moitié des militaires sont retournés en France, mais les autres se sont établis au Canada.
Il convient d'ajouter aussi les immigrants de passage tels les artisans, les négociants, les marchands, ceux qui exerçaient des métiers spécialisés et les «manouvriers» en forte demande au Canada. Avec les militaires, tous ces immigrants n'étaient au Canada que de passage. Eux aussi sont certainement responsables en partie de l'uniformisation linguistique dans ce pays.
- L'étroitesse des zones habitées
Le problème également, c'est d'expliquer comment les francisés et les francisants majoritaires, les semi-patoisants et les patoisants minoritaires en sont venus rapidement à n'utiliser qu'une variété de français parlée au Canada. Tout se serait joué entre 1663 et 1700, soit une période de quarante ans. Il s'agit d'un délai trop court pour des changements linguistiques majeurs, sauf si la population concernée est de taille très réduite et est installée dans un environnement restreint. Or, c'était le cas au Canada! À cette époque, la population canadienne était concentrée dans trois centres: Québec (zone régionale de 120 km), Trois-Rivières (une zone d'à peine 30 km) et Montréal (une zone d'environ 80 km). On peut même parler de deux véritables pôles d'habitation, puisque Trois-Rivières ne constituait qu'un bourg de transition entre les deux villes.
Pour les historiens et les démographes, il est évident que le petit nombre des immigrants et l'étroitesse des zones habitées ont assuré rapidement une cohésion non seulement sociale et spirituelle, mais aussi linguistique. C'est pourquoi les patois n'ont laissé pas de traces dans le parler des Canadiens; ils sont disparus presque aussitôt arrivés. Les patoisants sont rapidement devenus bilingues (souvent au cours du long voyage sur le navire) parce que leurs patois n'ont pu être utilisés de façon suffisamment fonctionnelle, le français prenant toute la place.
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Bref, les quelques centaines de patoisants éventuels n'ont eu
aucune chance de perpétuer leur langue au Canada, et ce, d'autant plus
qu'ils provenaient de nombreuses provinces de France, dont les patois
étaient différents. Non seulement le combat était perdu d'avance, mais il
n'y a jamais eu de véritable «choc des patois». Ce n'est qu'après 1700 que les Canadiens se sont dispersés dans toute la vallée du Saint-Laurent. La langue qui s'est disséminée le long du Saint-Laurent, le français, était issue soit de Québec soit de Montréal. Les linguistes constatent encore aujourd'hui deux grandes zones dans le parler des Québécois: le Sud-Ouest avec Montréal comme pôle, le Nord-Est avec Québec comme pôle, Trois-Rivières constituant la zone de transition. |
- La langue des «filles du roy»
Ajoutons aussi que le «marché matrimonial» des habitants de la Nouvelle-France fut un terrain de conquête presque entièrement gagné au français au moment où s'ouvrit la décennie 1663-1673, marquée par l'arrivée massive de 900 filles du roi (ou «filles du Roy»). Au plan linguistique, les filles du roi ont joué un rôle non négligeable au Canada, car c'est également par ces femmes que s'est propagée la langue française.
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Les filles du roi n'ont pu qu'accélérer le processus d'assimilation des immigrants non francisants. En effet, quelque 80 % d'entre elles avaient déjà le français comme langue maternelle; parmi les Parisiennes (la moitié de l'effectif), certaines parlaient même le «français du roy», phénomène plutôt exceptionnel. Le reste du contingent féminin (environ 20 %) était formé probablement de semi-patoisantes (surtout des Normandes) et aussi des patoisantes (surtout de l'Aunis et de la Picardie) mais déjà familiarisées avec le français. L'action conjuguée des femmes francisées et francisantes de la première génération, ainsi que de leur progéniture, a sûrement hâté l'abandon définitif des patois au Canada vers les années 1680-1689. À partir de ce moment, la population canadienne a disposé d'une seule langue promue au rang de langue maternelle, qu'elle allait ensuite façonner à son image et à celle de l'Amérique. |
Il faut donc souligner que les anciens Canadiens ont constitué la première population francophone du monde à réaliser son unité linguistique, et cela, deux siècles avant la France, et sans véritable intervention étatique.
3 Le français parlé au Canada
Le français parlé au Canada par les anciens habitants ne pouvait pas être très différent de celui utilisé en France à la même époque. La «langue du roy» devait être identique des deux côtés de l'océan: les nobles et les fonctionnaires de la colonie parlaient la même variété de français. Quant au peuple, une fois l'unité linguistique réalisée, il utilisait la même variété de français que les classes populaires, qui ne correspondait vraiment ni au français parisien bi à celui d'aucune région de France en particulier.
3.1 Un français similaire à celui de la France
La variété parlée par les anciens Canadiens se caractérisait par une prononciation populaire influencée toutefois par les origines du français régional des habitants, une syntaxe simple apparentée à celle de Montaigne et de Marot, un vocabulaire légèrement archaïque, teinté de provincialismes, surtout de la Normandie et du sud-ouest de la France. Bref, rien qui puisse vraiment distinguer le «francophone» de la Nouvelle-France de celui de la mère patrie.
Le témoignage du contrôleur général de la Marine au Canada en 1698, le sieur Le Roy Bacqueville de La Potherie, est assez significatif à cet égard:
On y parle ici parfaitement bien sans mauvais accent. Quoiqu'il y ait un mélange de presque toutes les provinces de France, on ne saurait distinguer le parler d'aucune dans les canadiennes.
D'ailleurs, les témoignages des contemporains de l'époque sont unanimes sur cette question. En 1691, le père Chrestien Le Clercq disait qu'«un grand homme d'esprit» lui a appris que le Canada possède «un langage plus poli, une énonciation nette et pure, une prononciation sans accent». Le père Charlevoix est presque idyllique lorsqu'il écrivit: «Nulle part ailleurs, on ne parle plus purement notre langue. On ne remarque ici aucun accent.»
Un Suédois de passage au Canada en 1749, Pierre Kalm, fit rire
de lui par «les dames canadiennes, celles de Montréal surtout»,
à cause de ses «fautes de langage» et il s'en montra
fort choqué. Jean-Baptiste d'Aleyrac, un officier français
qui vécut au Canada de 1755 à 1760, déclara que les Canadiens parlaient «un français pareil au
nôtre»:
Tous les Canadiens parlent un français pareil au nôtre. Hormis quelques mots qui leur sont particuliers, empruntés d'ordinaire au langage des matelots, comme amarrer pour attacher, hâler pour tirer non seulement une corde mais quelque autre chose. Ils en ont forgé quelques-uns comme une tuque ou une fourole pour dire un bonnet de laine rouge... Ils disent une poche pour un sac, un mantelet pour un casaquin sans pli... une rafale pour un coup de vent, de pluie ou de neige; tanné au lieu d'ennuyé, chômer pour ne manquer de rien; la relevée pour l'après-midi; chance pour bonheur; miette pour moment; paré pour prêt à. L'expression la plus ordinaire est de valeur, pour signifier qu'une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse. |
Quant au marquis de Montcalm, il ne put s'empêcher de reconnaître en 1756 que «les paysans canadiens parlent très bien le français». Il ajoutait: «Comme sans doute ils sont plus accoutumés à aller par eau que par terre, ils emploient volontiers les expressions prises de la marine.»
Ces témoignages paraissent sans doute un peu trop élogieux pour ne pas être suspectés d'une certaine partialité. Non seulement ils n'attestent que des faits anecdotiques, mais on peut douter aussi de leur justesse à un usage général qui se serait étendu à toute la population. Cependant, il ne faut pas oublier que ces témoignages, même s'ils ne proviennent pas de spécialistes de la langue, concordent tous. C'est pourquoi, malgré ces réserves, ces témoignages demeurent précieux et utiles pour connaître la perception qu'on avait de l'état de la langue des anciens Canadiens.
On pourrait donc affirmer qu'on parlait en Nouvelle-France, notamment au Canada et en Acadie, une langue française qui n'avait rien à envier à celle de Paris ou des grandes villes françaises. On sait aussi que, à la fin du Régime français, les Français et les Canadiens avaient une prononciation et un accent assez identiques, mais que le vocabulaire commençait un peu à diverger. Le témoignage de l'officier Jean-Baptiste d'Aleyrac est le plus significatif à cet égard.
3.2 Les influences amérindiennes
Pour ce qui est des
influences amérindiennes sur la langue français des premiers Canadiens, elles
furent de peu d'importance, sauf en ce qui a trait à la toponymie. Parmi les
plus anciens amérindianismes, on peut relever achigan (poisson, 1656), atoca
(airelle canneberge, 1656), babiche (lanière de cuir cru, 1669), cacaoui
(canard, 1672), carcajou (mammifère, 1685), etc. Ces emprunts aux
langues amérindiennes se poursuivirent au cours du
XVIIIe
siècle,
mais ils demeurèrent toujours relativement modestes, ne dépassant guère une
vingtaine de termes; ces emprunts seront un peu plus nombreux au
XIXe
siècle et au début du
XXe siècle. Par contre, les colonisateurs
empruntèrent massivement à la toponymie amérindienne (plusieurs centaines de
mots à cette époque). Voici une description de la linguiste Marthe Faribault
à ce sujet:
Lors de son deuxième voyage (1535-1536), Jacques Cartier remonte pour la première fois le Saint-Laurent.
Il rencontre des Iroquoiens à Stadaconé («grande falaise» dans leur langue, aujourd'hui Québec) et nomme la région le «Royaume de Canada», du mot iroquoien
kanata qui signifie «village», tandis que la région de Montréal reçoit le nom de «Royaume
d'Hochelaga». |
De façon générale, les emprunts aux langues amérindiennes, que ce soit pour des mots ou des toponymes, proviennent presque tous des langues algonkines et concernent les mêmes champs sémantiques (faune, flore, coutumes locales). Les emprunts à la toponymie amérindienne seront encore plus massifs dans les siècles à venir au point où ils constitueront une part importante de la toponymie québécoise.
Dès leur arrivée, les Français tentèrent une politique d'«intégration» des Amérindiens au moyen du mariage, de la culture et de la langue française, sans succès. Dès 1618, Champlain avait dit aux Hurons: «Nos jeunes hommes marieront vos filles, et nous ne formerons plus qu'un peuple.» L'Église approuvait cette politique dans la mesure où les mariés s'étaient préalablement convertis au catholicisme! Plus tard, vers 1680, Versailles prévoira même des frais de 3000 livres, divisés en dots de 50 livres, pour chaque Indienne qui épousera un Français. Cette politique de mariages mixtes ne s'est jamais vraiment matérialisée au Canada, avec seulement 120 unions officielles. Dans les faits, il dut y avoir de nombreuses unions «à la façon du pays», c'est-à-dire sans mariage formel, ce qui était perçu par les missionnaires comme une forme de concubinage. Finalement, en 1735, les autorités coloniales édictèrent un décret exigeant le consentement du gouverneur pour tous les mariages mixtes!
Pourtant, les espoirs et les efforts pour assimiler les
Indiens furent grands, comme le laisse entendre une
lettre de Mère Marie de l'Incarnation, responsable de l'éducation des enfants,
en date de 1668:
Nous avons francisé plusieurs filles Sauvages, tant Huronnes qu'Algonquines, que nous avons ensuite mariées à des Français, qui font fort bon ménage. II y en a une, entre autres, qui sait lire et écrire en perfection, tant en sa langue huronne qu'en notre française; il n'y a personne qui la puisse distinguer ni se persuader qu'elle soit née Sauvage. [...] Sa majesté [...] désire que l'on francise ainsi peu à peu tous les Sauvages, afin d'en faire un peuple poli. L'on commence par les enfants. Mgr notre Prélat en a pris un grand nombre à cet effet, les révérends Pères en ont pris aussi en leur collège de Québec; tous sont vêtus à la française, et on leur apprend à lire et à écrire comme en France. Nous sommes chargées des filles, conformément à notre esprit [...]. |
Dès cette époque, les récollets et les jésuites avaient même mis sur pied un programme destiné à envoyer des enfants amérindiens en France pour qu'ils adoptent un bon niveau de français et, que, à leur retour, ils puissent exercer sur leurs compatriotes une influence suffisante qui les pousserait à adopter la culture française. Le programme fut vite mis au rancart en raison du «caractère pervers» des Indiens!
Le puissant ministre Colbert tenta bien de relancer un «programme de francisation» en 1668. Un tel programme de dit «civilisation» reposait sur l'éducation de jeunes enfants dans le cadre des pensionnats. Mais les écoles-pensionnats de la colonie se vidèrent rapidement de leurs élèves autochtones, qui ne purent s'adapter à des horaires strictes.
Néanmoins, en juillet 1673, le
gouverneur Frontenac, qui
n'avait pas oublié la préoccupation des autorités royales à propos de
l'assimilation des Amérindiens, s'adressait ainsi aux représentants des Cinq
Nations iroquoises à Cataracoui, dans le style habituellement «paternaliste» propre
aux
gouverneurs français:
Mes enfants, je suis consolé de vous voir arriver ici où j'ai fait allumer un feu pour vous voir pétuner [= «fumer du pétun» signifiant «tabac»] et vous parler. Ô que c'est bien fait, les enfants, d'avoir suivi les ordres et les commandements de votre père. Prenez donc courage, mes enfants, vous y entendrez sa parole qui vous est toute pleine de douceur et de paix. [...]. Je vous conjure avec toutes sortes d'instances de faire apprendre à vos enfants la langue française que les Robes-Noires peuvent leur enseigner, cela nous unirait davantage et nous aurions la satisfaction de nous entendre les uns les autres sans interprète. |
Toutefois, très tôt, les Français se rendirent compte du caractère utopique de cette entreprise d'assimilation. Les «Sauvages» se sont montrés très réfractaires à la francisation. «Ils ne se soucient guère d'apprendre nos langues», lit-on dans les Relations des jésuites. Les autorités françaises se rendirent compte que la francisation des Amérindiens, même pris «à la mamelle», était un mirage. L'intendant Jacques Raudot estimait en 1710 qu'il s'agissait là d'«un ouvrage de plusieurs siècles».
Ce sont donc les Français qui durent «se mettre à l'école des Sauvages» et apprendre leurs langues. Par exemple, le missionnaire Jean de Brébeuf s'exprimait couramment en huron à peine trois ans et demi après son arrivée. Les interprètes, qui avaient réussi à apprendre la langue des Amérindiens, étaient très considérés et très recherchés auprès des commerçants et des compagnies de la Nouvelle-France. À cette époque, plusieurs jeunes Français n'hésitaient pas à séjourner chez les Amérindiens pour devenir interprètes. Aux dires de mère Marie de l'Incarnation: «On fait plus facilement un Sauvage avec un Français qu'un Français avec un Sauvage.» Bref, les autochtones ne correspondaient guère à l'image que s'en faisaient beaucoup de Français: les «simples Sauvages» n'auraient été à l'état naturel qu'une pâte dans l'attente d'un modelage faite par une main civilisatrice!
Même les plus hautes autorités de la colonie, les gouverneurs en tête, durent s'adapter aux coutumes et valeurs des autochtones. Encore davantage que le comte de Frontenac, le gouverneur Louis-Hector de Callières (1698-1703) était passé maître dans l'art d'haranguer les «Sauvages», lui qui avait rencontré souvent les ambassadeurs des Cinq Nations iroquoises. C'est pourquoi il est pertinent de citer cette harangue prononcée par M. de Callières, le 4 août 1701, devant 1300 représentants iroquois venus signer la Grande Paix à Montréal:
Je rattifie donc aujourd'huy la paix que nous avons faite [...] voulant qu'il ne Soit plus parlé detous les coups faits pendant la guerre, et je me saisy de nouveau de toutes vos haches, et detous vos autres instruments de guerre, que je mets avec les miens dans une fosse sy profonde que personne ne puisse les reprendre pour troubler la tranquilité que je rétablis parmy mes Enfants, [...] je vous invite a fumer dans ce calumet de paix ou je commence le premier, et a manger de la viande et du bouillon que je vous fais preparer. |
Comme tous les gouverneurs français du Canada, Callières se donne le rôle du ''père'' qui parle à ses ''enfants'', tel le roi avec ses sujets. Mais, contrairement à Versailles, il a recours à plusieurs métaphores typiquement amérindiennes: la «fosse» dans laquelle les haches sont enterrées, le «bouillon» de la chaudière qu'on partage, le «calumet de paix» si vénéré par les Amérindiens, etc. Les propos du gouverneur étaient certes proclamés en français, mais de nombreux interprètes les traduisaient aussitôt pour les différentes nations indiennes. Ce type de discours imagé ne pouvait que plaire aux autochtones et il témoignait d'une certaine dose d'adaptation de la part du gouverneur. Par la suite, celui-ci et ses officiers rejoignirent les «Sauvages» dans leurs danses cérémonielles, tomahawk à la main, avec de grands cris et hurlements. En réalité, le gouverneur Callières ne faisait qu'imiter l'un des ses plus illustres prédécesseurs, le comte de Frontenac, lors d'une cérémonie similaire en 1690. Le père Charlevoix avait alors apprécié le comportement de Frontenac dansant avec le tomahawk en hurlant des cris de guerre: «Les Sauvages furent enchantés de ces manieres du Conte de Frontenac, & ne lui répondirent que par des acclamations.» De fait, les Français devinrent très habiles dans l'emploi du langage imagé des indigènes. Ils prenaient soin d'adapter leurs propositions à l'auditoire et de se servir de notions facilement compréhensibles pour chaque groupe, comme l'illustre cette autre harangue (rapportée par Pierre Margry dans Découvertes et établissements dans l'ouest et dans le sud de l'Amérique septentrionale, 1614-1754) destinée aux membres du clan sauteux des Cigognes:
Chaque matin, vous regarderez vers le soleil levant et vous verrez le feu de votre Père français se réfléchir vers vous, pour vous réchauffer, vous et votre peuple. Si vous avez des ennuis, vous, les Cigognes, devez vous élever dans les cieux et crier avec vos voix ''qui portent au loin'', et je vous entendrai. Le feu de votre Père français brûlera à jamais et réchauffera ses enfants. |
Pour les gouverneurs du Canada, la «politique indienne» avait préséance sur tout le reste, car sans leurs alliés indiens les colonies de la Nouvelle-France (Acadie, Canada, Louisiane) auraient été des coquilles vides appelées très tôt à disparaître. D'ailleurs, sous la pression d'Indiens mécontents, les gouverneurs allaient jusqu'à démettre de leurs fonctions les officiers à la source de ces mécontentements. D'ailleurs, les lois françaises ne s'appliquaient pas aux Amérindiens qui se percevaient comme des gens libres et souverains, non comme des «sujets français». Ils n'appréciaient guère d'être jetés dans les prisons françaises pour avoir enfreint des lois dont ils ignoraient tout, et qu'ils auraient encore moins acceptées s'ils les avaient connues. Un officier français, le chevalier Raymond de Nérac parle ainsi du prix à payer pour s'allier les «Sauvages»:
Il est incroyable la politique et les ménagements qu'il faut avoir pour les Sauvages, pour se les conserver fidèles. [...] C'est pourquoi toute l'attention que doit avoir un commandant pour servir utilement, c'est de s'attirer la confiance des Sauvages où il commande. Pour y parvenir, il faut qu'il soit affable, qu'il paraisse entrer dans leurs sentiments, qu'il soit généreux sans prodigalité, qu'il leur donne toujours quelque chose. |
Les autochtones ont donc toujours bénéficié d'un «statut particulier» en Nouvelle-France! Durant le Régime français, les voyageurs, les négociants et les soldats utilisèrent de façon systématique les «méthodes indiennes», tellement il paraissait important de conserver les alliances avec les autochtones. En réalité, il s'agissait d'une sorte de manipulation de la part des Français, et les Indiens le savaient, mais c'était une façon pour ces derniers de tirer profit de la situation. Ces «Sauvages» ont maintes fois démontré qu'ils pouvaient être aussi roublards que courageux!
En plus des langues, Français et Canadiens découvrirent aussi de nouvelles valeurs en côtoyant les autochtones. L'attrait de la «vie sauvage» et de l'esprit d'aventure donna naissance à un nouveau type de personnage: le «coureur des bois», qui adoptait la vie des Amérindiens. C'est grâce aux coureurs des bois que le français devint la langue des Métis et demeura la «langue de la fourrure» jusqu'au milieu du XIXe siècle. Mais cette vie d'aventure se faisait au détriment du développement social au Canada. C'est pourquoi l'Administration coloniale dut sévir et rendre des ordonnances contre les coureurs des bois. De l'avis de l'intendant Jean Talon: «Les petits enfants ne pensent qu'à devenir un jour coureur des bois.» C'est tout dire!
Par ailleurs, le Régime français avait adopté une étrange pratique, qui consistait à donner aux Amérindiens les enfants illégitimes nés d'une Blanche. À l'exemple des prisonniers qu'on allaitr chercher dans les colonies anglaises, ces enfants étaient alors élevés comme des Indiens et parlaient leurs langues.
5 La croissance démographique
Considérée en elle-même, la Nouvelle-France avait fait un progrès remarquable entre 1663 et 1754: l'Acadie française comptait 10 000 habitants, le Canada 55 000, la lointaine Louisiane 4000. La France contrôlait un immense territoire qui s'étendait du Labrador au lac Winnipeg jusqu'à la Nouvelle-Orléans et dont l'économie, assez florissante, était axée sur la fourrure et les sociétés d'État (l'armée, les forges de Saint-Maurice, les chantiers navals, la pêche). Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, le territoire qu'on appelait la Nouvelle-France couvrait une superficie considérable et s'étendait de la terre de Baffin au nord jusqu'au Mexique au sud et comprenait pratiquement la moitié du Canada et des États-Unis actuels. Mais la Nouvelle-France du milieu du XVIIIe siècle était déjà réduite par rapport à celle de 1712 (avant le traité d'Utrecht: voir la carte).
Après le traité d'Utrecht de 1713, la France avait perdu non seulement la Baie-d'Hudson, mais Terre-Neuve et le Labrador, puis l'Acadie (la Nouvelle-Écosse d'aujourd'hui). Il lui restait le Canada, une partie de l'Acadie (l'île Saint-Jean et l'île Royale, aujourd'hui respectivement l'île du Prince-Édouard et l'île du Cap-Breton) et la Grande Louisiane (voir la carte après 1713). Il faut dire que la France a généralement pris l'habitude d'annuler les pertes subies en Europe en renonçant à ses possessions en Amérique du Nord. Elle l'a fait en 1713 (traité d'Utrecht) et le refera en 1763 (traité de Paris), en préférant perdre le Canada au profit de la Grande-Bretagne et la Louisiane au profit de l'Espagne. Il ne restera alors que le minuscule archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Au total, plus de 27 000 émigrants se sont embarqués pour le Canada. De ce nombre, seulement 9000 sont restés. Cela signifie qu'au moins les deux tiers des immigrants du Canada retournaient en France ou quittaient la colonie pour les Antilles. La présence d'une clause de retour dans tous les contrat d'engagement signifiait bien que l'immigration définitive au Canada constituait davantage une exception qu'une pratique courante. C'était, entre autres, l'une des grandes différences entre les colonies de la Nouvelle-France et celles de la Nouvelle-Angleterre: alors que la plupart des émigrants français arrivaient en Amérique sur une base temporaire, les émigrants britanniques arrivaient en Nouvelle-Angleterre pour y rester.
On se rend compte aujourd'hui que la croissance démographique de la colonie canadienne dépendait moins de l'émigration française que de la croissance naturelle. Les Canadiens affichaient l'un des plus hauts taux de natalité jamais enregistrés. Alors qu'on dénombrait 40 naissances par mille habitants dans la France du XVIIe siècle, ce taux était de 55 au Canada (contre 10 aujourd'hui). Le taux élevé de fertilité des couples canadiens s'expliquait par le fait d'une meilleure alimentation, de mariages plus précoces et d'une espérance de vie plus longue. Dès 1740, le Canada d'origine française comptait plus de 50 000 habitants, dont 5000 à Québec et 3500 à Montréal. Québec restait la capitale politique, militaire et spirituelle de la colonie. Montréal jouait le rôle de centre névralgique de la traite des fourrures.
Juste avant la Conquête de 1760, la plupart des habitants étaient nés au Canada; ils n'étaient donc plus des immigrants, mais des Canadiens puisque le Canada était devenu leur patrie. Grâce à la protection de l'armée française, ces Canadiens formaient une collectivité relativement prospère, composée d'agriculteurs, d'artisans, de pêcheurs, de citadins et de commerçants, tous bien nourris et en bonne santé.
Cela étant dit, le terme de Canadiens pour désigner les habitants du pays ne fut à peu près jamais employé par les autorités françaises, du moins dans le discours officiel. Tout au plus, durant la guerre de Sept Ans, les miliciens canadiens commencèrent à se reconnaître en tant que «Canadiens» par opposition aux «François» (Français). La «canadianité» ne fut jamais prisée en Nouvelle-France. Il faudra la Conquête et le Régime britannique pour que l'appellation de Canadiens soit systématiquement employée.
Toutefois, en regard des colonies anglaises, le Canada se révélait peu de chose. La colonie menaçait constamment d'être étouffée par des territoires anglais au nord (la Baie-d'Hudson) et au sud (les Treize Colonies de la Nouvelle-Angleterre), lesquels opposaient une population globale d'un million d'habitants, sans compter une main-d'œuvre de plus de 300 000 esclaves.
Tout ce que nous pouvons dire de cette époque de la Nouvelle-France, c'est que la langue française s'est imposée aussitôt dans la colonie canadienne. Et ce français ressemblait grandement à celui qui était parlé en France, sans nécessairement être celui de la région parisienne, ni d'aucune autre région en particulier. Mais, déjà à la fin du Régime français, le vocabulaire commençait à diverger au point où certains voyageurs français pouvaient lui trouver une couleur «provinciale»», sans pouvoir déceler une seule province en particulier. En somme, le français du Canada se comparait à celui parlé en France, même s'il était fortement influencé par les divers français régionaux de France. Il n'était pas encore imprégné des influences anglaises.
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(1) La Nouvelle-France (1534-1760) |
(2) Le régime britannique (1760-1840) |
(3) L'Union et la Confédération (1840-1960) |
(4) La modernisation du Québec (1960-1981) |
(5) Réorientations et nouvelles stratégies (de 1982 à aujourd'hui) |
(6) Bibliographie |
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