Histoire du français au Québec
Section 2

[Union Flag of 1801]

Le Régime britannique 
(1760-1840)

Une majorité française
menacée 


1 La guerre de la Conquête (1756-1760)

C'est au printemps de 1756 que débuta en Europe la guerre de Sept Ans (1756-1763). La plupart des grandes puissances européennes de l'époque étaient impliquées dans cette guerre qui opposait, d'un côté, la Prusse, la Grande-Bretagne et le Hanovre, et de l'autre, l’Autriche, la Saxe, la France, la Russie, la Suède et l’Espagne. Certains historiens parlent aussi d'une sorte «Première Guerre mondiale», car le conflit couvrait le monde entier, de l'Europe aux Indes, des Antilles aux Philippines et de l'Amérique du Nord à l'Asie. Ainsi, le conflit aux Indes opposait la France à la Grande-Bretagne, alors que celui en Amérique du Nord opposait la Couronne anglaise et ses colonies de la Nouvelle-Angleterre aux Français et à leurs alliés amérindiens. Cependant, pour l'Amérique du Nord, on parle davantage de guerre de la Conquête (1756-1760) qui, tout en coïncidant avec la guerre de Sept Ans (1756-1763), se termina trois ans avant la guerre en Europe.

Or, la guerre de la Conquête, qui porte plusieurs noms, a eu des conséquences déterminantes en Amérique du Nord. Si on utilise généralement en français les appellations de guerre de la Conquête (War of the Conquest) et de guerre de Sept Ans (Seven Years’ War), on emploie plus souvent en anglais les termes French and Indian War («guerre contre les Français et les Indiens» ou «Guerre franco-indienne»), Seven Years’ War (guerre de Sept Ans), ou encore War for Empire («guerre pour l'Empire»), parfois British Conquest («Conquête britannique»).  Mais les deux appellations les plus significatives sont dans aucun doute guerre de la Conquête pour les francophones du Canada et French and Indian War pour les anglophones pour qui cette dernière témoigne de l'imbrication des alliances franco-indiennes.

Au cours de la guerre de Conquête, les armées britanniques du jeune major général James Wolfe assiégèrent Québec et taillèrent en pièces les troupes franco-canadiennes du général de Montcalm (un Français), lors de la bataille des Plaines d'Abraham du 13 septembre 1759. L'année suivante, Montréal tombait à son tour aux mains des troupes anglaises du général Jeffrey Amherst (le successeur de Wolf) qui avait prévenu les défenseurs français qu'il était prêt à tout: «Je suis venu prendre le Canada et je ne me contenterai de rien de moins.» S'il voulait éviter un bain de sang et la dévastation de la région, le marquis Pierre de Rigaud de Vaudreuil, le gouverneur (un Canadien), n'avait pas le choix. Le 8 septembre 1760, sans avoir livré bataille, le gouverneur de Vaudreuil se résolut à signer la capitulation du Canada, de l'Acadie et des postes de l'Ouest aussi éloignés que le «pays des Illinois». Exaspéré d'une si longue lutte, le général Amherst refusa «fort incivilement» aux troupes françaises les honneurs de la guerre. Le 18 octobre, Vaudreuil partit de Québec sur un navire britannique et débarqua à Brest le 28 novembre.

 


Louis-Joseph de Montcalm


Pierre de Rigaud de Vaudreuil


James Wolfe

En acceptant la capitulation, les successeurs de Wolfe avaient garanti les droits civils et religieux, ainsi que les propriétés des Canadiens. Dès 1760, la Nouvelle-France était passée sous administration britannique, sauf la Louisiane qui deviendra espagnole en 1763 lors du traité de Paris. Le général  Amherst nomma James Murray gouverneur militaire provisoire de Québec.

Le roi Louis XV rendit Vaudreuil personnellement responsable d'avoir capitulé «sans les honneurs de la guerre», ce qui était considéré à l'époque comme une «infamie». Enfermé à la Bastille, l'ex-gouverneur du Canada fut finalement disculpé, après un interminable procès, de toute accusation, le 10 décembre 1763, par le tribunal du Châtelet qui jugea l'«Affaire du Canada». L'empire français au Canada était définitivement terminé. Finalement, Louis XV permit alors à Vaudreuil de recevoir la grand-croix de l’Ordre de Saint-Louis.

Les capitulations de Québec et de Montréal furent rédigées en français, ainsi que le traité de Paris de 1763. Donc, le document officiel qui a fait du Canada une colonie britannique a été rédigé en français. Voici ce qu'on peut lire dans un article séparé (art. 2) au sujet de la langue:

Article séparé 2

Il a été convenu et arrêté que la Langue Françoise, employée dans tous les Exemplaires du présent Traité, ne formera point un Exemple, qui puisse être allégué, ni tiré à conséquence, ni porter préjudice, en aucune Manière, à aucune des Puissances Contractantes; Et que l'on se conformera, à l'avenir, à ce qui a été observé, et doit être observé, à l'égard, et de la Part, des Puissances, qui sont en usage, et en Possession, de donner, et de recevoir, des Exemplaires, de semblables Traités, en une autre Langue que la Françoise.

On peut lire le texte complet (dans sa version originale) du traité de Paris de 1763 en cliquant ICI.

La Conquête anglaise au Canada entraîna non seulement une rupture politique, mais aussi une rupture économique, sociale et, comme il se doit, linguistique. Le Canada, en devenant une colonie britannique, se vit décapité de sa classe dirigeante française en transférant le pouvoir politique et économique aux conquérants anglais. On assista à la réduction de l'univers économique des Canadiens français qui, pour survivre, se replièrent sur l'agriculture, l'artisanat et le petit commerce.

Les Canadiens qui restèrent durent apprendre à vivre dans une Amérique britannique. La société canadienne-française développa des réflexes de survivance axés sur la défense de sa religion, de sa langue et de ses droits. Toute l'histoire des Canadiens français sera marquée par cette trilogie religion + langue + loi: la religion catholique, la langue française et les lois civiles françaises.

La Conquête anglaise marqua le début de la «traversée du désert» qui entamait le processus de détérioration du statut de la langue française au Canada. Malgré les visées assimilatrices des conquérants, les francophones survécurent grâce à leur opiniâtreté, à leur isolement, à leur surnatalité et... aux erreurs de leurs maîtres. Mais il faut retenir surtout que, à partir de cette période, l’histoire de la langue française au Canada devint le reflet d'une langue dominée.

1 Le régime militaire (1760-1763): le statu quo provisoire

La défaite française sur les plaines d'Abraham en septembre 1759 entraîna, on le sait, la prise de Québec, suivie de la capitulation de Montréal (1760) par le gouverneur de Vaudreuil. Pendant que se poursuivait l'occupation militaire du Canada, le général anglais Jeffrey Amherst, successeur de Wolfe, procéda à l'organisation d'un régime administratif provisoire, car, tant que la guerre continuait en Europe, le sort du pays demeurait incertain. Amherst fut le premier gouverneur sous l'occupation militaire au Canada, de 1760 à 1763.

Dès la capitulation de Québec en 1759, quelque 1200 marins et officiers de la marine marchande quittèrent Québec, sans compter un certain nombre d'administrateurs, de civils et de négociants français. Après la capitulation générale de Montréal de 1760, plus de 2560 officiers et soldats, accompagnés de leur suite, s'embarquèrent pour la France sur quelque 22 navires. Toute la noblesse française quitta le pays; mais la noblesse canadienne resta. Entre 1754 et 1770, plus de 4000 Canadiens de naissance ou établis par mariage allaient quitter le Canada, ce qui représentait 5,7 % de la population (sur 70 000). Ces Canadiens allaient se disperser dans l'ensemble du royaume de France et dans les colonies. 

En 1761, les francophones formaient 99,7 % de la population; le poids du nombre interdisait aux Anglais de pratiquer une politique colonisatrice trop radicale. Le nombre d'anglophones n'était en effet pas très élevé, il ne dépassait pas les 600 en 1765. Pragmatique, le conquérant adopta le statu quo. Étant donné que le peuple ne pouvait obéir aux ordres que s'il les comprenait, les autorités anglaises émirent leurs ordonnances en français et permirent aux Canadiens d'occuper de nombreux postes dans l'administration et la justice. L'Administration de la nouvelle colonie, la Province of Quebec à l'époque le mot «province», tant en Angleterre qu'en France, désignait une «colonie» , s'organisa donc en français. Les actes notariés continuèrent d'être rédigés en français, de même que les registres de l'état civil tenus par les curés. Cependant, la connaissance de la langue anglaise apparaissait dorénavant comme très utile pour assurer la promotion sociale et économique; l'élite canadienne se mit lentement à l'apprentissage de la nouvelle langue. De cette courte période, il y a donc peu à dire dans la mesure où une sorte de statu quo se perpétuait. 

À partir de cette époque, le terme de «Canadiens» (ou Canadians) désigna les descendants des colons français qui se sont établis en Nouvelle-France et qui ont continué à parler français, par opposition aux «Britanniques» (ou British) ou aux «Anglais», les nouveaux occupants et les nouveaux immigrants.

2 Le carcan de la Proclamation royale (1763-1774)

Par le traité de Paris de 1763, qui mit fin à la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la France et la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France devint officiellement une possession britannique. De son empire en Amérique du Nord, la France ne conservait que les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve, ainsi que la lointaine Louisiane, qui allait devenir espagnole. La Grande-Bretagne, pour sa part, contrôlait un immense territoire couvrant la Terre de Rupert, la baie d'Hudson, la province de Québec, l'île de Terre-Neuve, l'île du Cap-Breton et l'Acadie (Nouvelle-Écosse), l'île du Prince-Édouard, la Nouveau-Brunswick, toute la Nouvelle-Angleterre et la Floride prise aux Espagnols (voir la carte du Canada après le traité de Paris de 1763).  

L'Angleterre assura aux habitants qui décidaient de rester au pays le droit de conserver leurs propriétés et de pratiquer leur religion catholique «en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne».

2.1 La Proclamation royale

La Proclamation royale du 7 octobre 1763 délimita les frontières de la nouvelle colonie en la réduisant à la zone habitée, c'est-à-dire la vallée du Saint-Laurent, désormais connue sous le nom de Province of Quebec. Le reste de la colonie était désormais considéré comme un «territoire indien», du moins temporairement, c'est-à-dire jusqu'en 1774.
 

Le premier gouverneur anglais de la province, James Murray (qui parlait français), dut mettre en application la politique du gouvernement britannique: faire du Québec une nouvelle colonie en favorisant l'immigration anglaise et l'assimilation des francophones, en implantant la religion officielle de l'État — l'anglicanisme — et en instaurant de nouvelles structures politiques et administratives conformes à la tradition britannique. La proclamation prévoyait que le gouverneur devrait convoquer une assemblée générale des représentants du peuple, quand les circonstances le permettraient. Cette convocation ne vint jamais.

Dès 1764, James Murray établit les premières institutions judiciaires et décréta que dorénavant on jugera «toutes les causes civiles et criminelles conformément aux lois d'Angleterre et aux ordonnances de cette province». De plus, tout employé de l'État dut prêter le «serment du test», lequel comportait une abjuration de la foi catholique et la non-reconnaissance de l'autorité du pape. Ces mesures vinrent à écarter presque automatiquement tous les Canadiens français (à l'exception de quelques huguenots, donc protestants, restés au pays) des fonctions publiques telles que fonctionnaire, greffier, avocat, apothicaire, capitaine, lieutenant, sergent, etc.

Cependant, il fut généralement impossible d'appliquer à la lettre les lois civiles anglaises et  les gouverneurs Murray et Carleton durent faire preuve de tolérance. Ils laissèrent la hiérarchie catholique exercer ses fonctions, dispensèrent du serment du test les Canadiens dont ils avaient besoin pur les charges publiques et tolérèrent qu'on plaidât en français en recourant aux lois civiles d'avant la Conquête. Commentant cette situation, André Vachon écrit dans son Histoire du notariat canadien (Québec, 1962):

 

L'on assista alors à ce spectacle insolite d'une population française de 70 000 âmes gouvernée par des conseillers de langue anglaise, représentants de quelque deux cent marchands et fonctionnaires anglais installés aux pays: d'une population française jugée suivant des lois dont elle ignorait le premier mot, et par des juges qui ne comprenaient pas les parties, pas plus que celles-ci ne comprenaient les juges; les jurés mêmes, aussi de langue anglaise, n'entendait rien aux témoignages des parties de langue française. De tout cela ne pouvait résulter qu'incertitudes, confusion et quiproquos.

Devant ce fait, les Canadiens français boudèrent systématiquement les tribunaux et la fonction publique, laissant toute la place aux Anglais qui remplacèrent rapidement les cadres francophones dans les domaines de l’information, du commerce, de l’économie, de l’industrie et de l’administration. Dans la revue Langue française (no 31, déc. 1976, Paris, Larousse, p. 6-7), le linguiste québécois Jean-Claude Corbeil écrivait ce qui suit:

L'Angleterre, par ses représentants, dirige l'économie du pays, exige que le commerce se fasse par l'intermédiaire de sociétés installées soit dans les colonies anglaises du littoral atlantique, soit en Angleterre même. Les commerçants français, ou bien ont quitté le pays, ou sont ruinés par la défaite. Ceux qui persistent ne connaissent pas et ne sont pas connus des sociétés anglaises, ou encore n'obtiennent pas crédit de ces sociétés. Les commerçants des colonies américaines envahissent le Québec et s'y comportent comme en territoire conquis.

C'est donc l'anglais qui, après 1763, servit naturellement de langue véhiculaire porteuse de la «civilisation universelle». Dans les faits, l'anglais ne remplaça pas toujours le français, mais il le relégua certainement dans un rôle de second ordre. Propriétaires de leurs terres, les Canadiens se replièrent alors sur l'agriculture pour s'assurer le minimum vital: la nourriture et le logement.

2.2 Une voie sans issue

La Proclamation royale de 1763 se révéla vite un véritable carcan pour la nouvelle colonie anglaise. Même le commerce des fourrures – le secteur le plus dynamique de l'économie — périclita parce qu'on ne pouvait plus s'approvisionner dans le réservoir pelletier des Grands Lacs et celui du Nord. L'instauration des lois civiles anglaises menaçait la langue française et minait le fondement de la société canadienne-française. La prestation du serment du test avait exclu les Canadiens de l'Administration publique et les avait soumis à l'arbitraire d'une minorité protestante et anglophone. De plus, le fait de ne pas reconnaître l'autorité du pape rendait impossible la nomination d'un successeur à l'évêque de Québec (décédé en 1760) et, par voie de conséquence, vouait à l'extinction le clergé catholique, qui ne pouvait plus ordonner de nouveaux prêtres.

Cependant, l'immigration anglaise demeura trop faible, les Britanniques ne furent pas assez nombreux (500 familles) dans la colonie pour assimiler rapidement les Canadiens. De plus, l'agitation grandissante des colonies anglo-américaines força le gouverneur Murray, et plus tard le gouverneur Carleton, à pratiquer une politique conciliante à l'égard des francophones et à rechercher leur appui malgré l'indignation de la population anglaise nouvellement arrivée dans la «province».

3 Le bref compromis de l'Acte de Québec (1774)

Devant les difficultés de faire fonctionner la colonie avec leurs lois et leur langue, les Anglais finirent par se plier aux circonstances et battirent en retraite. L'Acte de Québec, promulgué en 1774, rendit la domination anglaise plus tolérable pour les Canadiens.  Pour le gouvernement britannique ait pu assimiler les Canadiens de langue française, il lui aurait fallu compter sur une forte immigrations anglaise. Les habitants de la Nouvelle-Angleterre n'avait pas afflué comme prévu. Il est vrai que 7000 loyalistes étaient arrivés en Nouvelle-Écosse pour prendre les terres involontairement abandonnées par les Acadiens, mais après une décennie le nombre d'immigrants anglophones au Québec se limitait à quelques centaines. Pendant ce temps, les francophones continuaient de se reproduire allègrement, ce qui incitait les anglophones à s'assimiler aux francophones, surtout que les premiers épousaient des filles de famille canadienne-française. Complètement désabusé, le gouverneur Guy Carleton reconnut que, à moins d'une catastrophe, le Canada serait français «jusqu'à la fin des temps». Malgré ses nouveaux maîtres britanniques, le Canada avait conservé son visage français.

Londres approuva l'Acte de Québec dans le but de conserver la fidélité de la population francophone du Québec tout au long du conflit avec les Treize Colonies américaines.

La population française du Canada se montra, pour sa part, relativement satisfaite de la nouvelle Constitution promulguée dans l'Acte de Québec, car celui-ci agrandissait considérablement le territoire de la «province», qui s'étendit dès lors du Labrador à la région des Grands Lacs. La nouvelle loi constitutionnelle abolissait en outre le serment du test, autorisait le clergé catholique à percevoir la dîme et rétablissait les lois civiles françaises. De plus, l'Acte de Québec reconnut comme légal le vieux régime seigneurial en usage en Nouvelle-France. Bref, cette loi était comme une reconnaissance du caractère distinct des canadiens français au sein de l'Empire britannique. Par le fait même, la loi refusait aux anglophones des privilèges auxquels ils croyaient avoir droit en tant que sujets britanniques.

Bien que l'Acte de Québec, comme c'était la coutume à l'époque, demeurât silencieux au sujet de la langue, il assurait implicitement au français un usage presque officiel en rétablissant les lois civiles françaises. En tout cas, c'est principalement à partir d'un texte juridique ambigu que s'autoriseront, dans les régimes ultérieurs, les défenseurs de la langue pour justifier les droits acquis du français au Canada (section VIII):
 

Il est aussi Établi, par la susdite autorité, que tous les sujets Canadiens de Sa Majesté en ladite province de Québec (les Ordres religieux et Communautés seulement exceptés) pourront aussi tenir leurs propriétés et possessions, et en jouir, ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent, et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au parlement de la Grande-Bretagne: et que dans toutes affaires en litige, qui concerneront leurs propriétés et leurs droits de citoyens, ils auront recours aux lois du Canada, comme les maximes sur lesquelles elles doivent être décidées: et que tous procès qui seront à l'avenir intentés dans aucune des cours de justice, qui seront constituées dans ladite province, par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, y seront juges, eu égard à telles propriétés et à tels droits, en conséquence desdites lois et coutumes du Canada, jusqu'à ce qu'elles soient changées ou altérées par quelques ordonnances qui seront passées à l'avenir dans ladite province par le Gouverneur, Lieutenant-Gouverneur, ou Commandant en chef, de l'avis et consentement du Conseil législatif qui y sera constitué de la manière ci-après mentionnée. 

Le 1er mai 1775, on inaugura à Montréal un buste de George III pour souligner la mise en vigueur de l'Acte de Québec. La foule des Montréalais constata avec surprise que le buste portait l'inscription «Voilà le pape du Canada et le sot Anglois» (sic). On croit que des marchands anglo-protestants avaient été à l'origine de cet acte de vandalisme.

4 La Révolution américaine (1775-1783) et ses conséquences au Canada

Dans l'Amérique du Nord britannique, la Révolution américaine eut des conséquences importantes tant sur l'Acte de Québec de 1774 que sur l'Acte constitutionnel de 1791. Par la suite, l'Indépendance des treize Colonies anglaises entraînera non seulement une modification des frontières canado-américaines, qui furent considérablement réduites, mais la population du Canada changea radicalement en raison de l'arrivée de dizaines de milliers de loyalistes américains. Par ailleurs, ces bouleversements entraîneront la création d'une autre «province» ou colonie britannique, le Nouveau-Brunswick, et la séparation de la province de Québec en deux colonies distinctes: le Haut-Canada (l'Ontario) à l'ouest et le Bas-Canada à l'est (le Québec).

4.1 L'opposition des Treize Colonies

De fait, l'Acte de Québec (voir le texte original) souleva une vive opposition des marchands anglais et de tous les habitants des colonies américaines de la Nouvelle-Angleterre (les Treize Colonies), qui protestèrent contre la reconnaissance du catholicisme et des lois civiles françaises dans cette partie de l'Empire britannique; de plus, les colonies américaines n'acceptaient pas l'élargissement des frontières de la Province of Quebec de 1774, qui les privaient de l'accès aux Grands Lacs pour la traite des fourrures. Ils furent donc profondément révoltés de constater que le gouvernement britannique concédait des droits à un peuple — les «papistes canadiens» — qu'ils combattaient depuis 150 ans. En réalité, enfin débarrassés du rival français «qui ne laissait pas un moment de repos» (d'après Benjamin Franklin), les colons américains refusaient l'intervention de la Métropole, qui les empêchait de protéger leurs intérêts commerciaux et de jouir pleinement des libertés qu'ils croyaient enfin acquises.

De plus, Londres avait décidé d'imposer certaines taxes à ses colonies américaines. Il est vrai que, pour conquérir le Canada et assurer la sécurité de la Nouvelle-Angleterre, la Métropole avait déboursé de grandes sommes d'argent (80 millions de livres) et s'était même endettée, sans compter les lourdes pertes humaines. Il apparaissait normal que les colonies américaines contribuent à défrayer les dépenses encourues pour leurs bénéfices.  C'est pourquoi les Treize Colonies perçurent l'Acte de Québec comme une manoeuvre dirigée contre elles.

À l'automne (du 5 septembre au 26 octobre) de 1774, la majorité des députés des colonies américaines (à l'exception de la Georgie) tinrent un Congrès. Ils adressèrent alors leurs griefs au roi George III. Mais ils adressèrent aussi aux Canadiens une lettre officielle dans laquelle ils les pressaient de s'unir à eux. Ils voulaient «éclairer leur ignorance et leur apprendre les bienfaits de la liberté». Ils plaignaient le peuple canadien «non seulement lésé mais outragé»; ils dénonçaient l'Acte de Québec comme «une leurre et une perfidie». Comblée par l'Acte de Québec, l'élite canadienne-française contribua même à repousser les Américains; très peu de Canadiens sympathisèrent avec les rebelles. Seuls quelques Français s'enrôlèrent dans les milices américaines.

4.2 La guerre de l'Indépendance

 

Un second Congrès eut lieu en mai 1775: la situation s'envenima et l'état de guerre fut déclaré, tandis que George Washington se vit confier le commandement de l'armée des Treize Colonies. Dans ces conditions, l'Acte de Québec de 1774 connut une existence très éphémère en raison de la guerre d'Indépendance (1774-1783) qui éclata. La province de Québec fut alors envahie par les Américains (Benedict Arnold, Richard Montgomery, James Livingston, etc.) et perdit définitivement la partie sud des Grands Lacs. Ce sera l'une des clauses du traité de Versailles de 1783, alors que la frontière des nouveaux États américains devait suivre dorénavant le sud des lacs Ontario, Érié, Huron et Supérieur; la province de Québec perdit ainsi ses meilleurs postes de traite et une partie de sa population (alors francophone) passa à la république voisine. Les nombreux conflits entre l'Angleterre et les Treize Colonies (américaines) amenèrent la déclaration d'Indépendance du 4 juillet 1776. 

Dès 1777, le marquis de La Fayette (1757-1834) avait pris une part active à la guerre de l'Indépendance américaine aux côtés des insurgés (rebelles); il contribua même à la victoire décisive de Yorktown (6-19 octobre 1781), où la reddition britannique fut une étape décisive pour l'indépendance des Treize Colonies. Lafayette avait auparavant équipé à ses frais un vaisseau de guerre et était venu à Philadelphie offrir ses «services désintéressés». Très lié avec Benjamin Franklin, il fut également le compagnon de campagne de George Washington. Convaincu qu'il était possible de rallier les Canadiens, Lafayette proposa à George Washington d'envahir la «province de Québec» sous les auspices de la France (celle-ci avait massé des troupes aux États-Unis d'environ 8000 hommes, afin de soutenir les Américains contre les Britanniques); mais Washington, qui craignait de redonner à la jeune république américaine un voisin gênant, n'acquiesça pas au projet. Soulignons que l'effort militaire de la France a été plus grand pour aider les États-Unis à conquérir leur indépendance que pour permettre au Canada de demeurer français. Frédéric de Prusse avait vu juste sur les intentions de la France, comme  en témoigne cette lettre (extrait) adressée à son ambassadeur à Paris:

On se trompe fort en admettant qu'il est de la politique de la France de ne point se mêler de la guerre des colonies. Son premier intérêt demande toujours d'affaiblir la puissance britannique partout où elle peut, et rien n'y saurait contribuer plus promptement que de lui faire perdre ses colonies en Amérique. Peut-être même serait-ce le moment de reconquérir le Canada. L'occasion est si favorable qu'elle n'a été ne le sera peut-être dans trois siècles.

4.3 L'arrivée des loyalistes

En 1787, l'Union fédérale des États-Unis voyait le jour, alors que les colonies américaines acceptaient de renoncer à une partie considérable de leur autonomie locale pour fondre les Treize Colonies indépendantes en une seule, ce qui donnait naissance à un État central puissant pouvant tenir tête à l'Angleterre.

Avec l'indépendance américaine, de très nombreux loyalistes quittèrent les Treize Colonies, devenues les États-Unis, car il n'y avait plus de place pour eux. Plus de 100 000 loyalistes quittèrent alors les États-Unis pour la Grande-Bretagne et les autres colonies britanniques. Dès 1783, plus de 40 000 étaient partis en exil pour la province de Québec (env. 7000) et la Nouvelle-Écosse (35 600). La plupart des loyalistes s'établirent en Nouvelle-Écosse (qui incluait avant 1784 le territoire du Nouveau-Brunswick actuel et l'île du Cap-Breton), ce qui représentait 80,4 % du total des réfugiés. Dans la province de Québec, seuls 18 % y trouvèrent refuge.  La Nouvelle-Écosse vit sa population doubler d'un seul coup, alors que la province de Québec accueillait pour la première fois un bon contingents d'anglophones. Les nouveaux réfugiés allaient changer à jamais les structures politiques de ce qui deviendra plus tard le Canada.

Les 7000 loyalistes qui émigrèrent au Québec ne voulurent pas s'installer le long de la vallée du Saint-Laurent, car les francophones y vivaient majoritairement et occupaient presque toutes les terres disponibles. De plus, ces loyalistes refusèrent d'être soumis aux lois civiles françaises et au régime seigneurial de la province. Ils réclamèrent l’octroi de «terres de la Couronne», libres de toutes redevances et soumises au droit anglais. C'est pourquoi le gouvernement colonial ouvrit des nouvelles concessions dans l'Ouest (régions à l'ouest de l'Outaouais, ce qu'on appelait auparavant «le pays d'en haut») de telle sorte aussi qu'ils puissent vivre à l'écart des lois civiles françaises. Les loyalistes et les autres anglophones exercèrent de plus en plus de pressions afin que le gouvernement de Londres consente à réformer l'administration de la colonie en leur faveur. Il faudra attendre en 1791 pour voir le Québec divisé entre le Bas-Canada à l'est et le Haut-Canada à l'ouest.

5 La période troublée de 1791-1840

L'afflux des loyalistes dans la province de Québec obligea les autorités britanniques à trouver des solutions de compromis: les Anglais furent régis par des lois anglaises pendant que les Canadiens français conservèrent les lois françaises. Dans l'espoir de mettre fin aux luttes entre francophones et anglophones, le secrétaire d'État aux colonies (le Colonial Office), lord Grenville, présenta au Parlement britannique un projet de loi qui divisait la  province selon un clivage ethnique et créait deux colonies distinctes: le Bas-Canada (le Québec) et le Haut-Canada (l'Ontario). Ainsi, en créant un enclave réservée aux loyalistes, les fidèles sujets de Sa Majesté britannique n'auraient plus à souffrir des revendications de la majorité française et catholique. C'était aussi une façon pour le gouvernement britannique d'amadouer les Canadiens français à sa cause, car la menace d'une guerre avec les États-Unis demeurait toujours présente; elle éclatera en 1812.

La loi constitutionnelle, votée par le Parlement britannique en 1791, sépara la province de Québec deux colonies distinctes: le Bas-Canada et le Haut-Canada. Le Bas-Canada (le Québec) comptait alors environ 140 000 francophones et 10 000 anglophones, tandis que le Haut-Canada (aujourd'hui l'Ontario) ne comptait que 10 000 loyalistes anglophones. 

La nouvelle Constitution marqua l'avènement du parlementarisme; chacun des deux Canada possédait son Assemblée législative, son Conseil législatif, son Conseil exécutif (créé en 1792) et son lieutenant-gouverneur (Alured Clarke). Au sommet de la hiérarchie, Londres avait nommé un gouverneur général qui disposait d'une autorité absolue sur les deux Canada: il pouvait opposer son veto aux lois adoptées par chacune des assemblées législatives. Quant aux conseils, ils pouvaient disposer de budgets et contrôler les dépenses du gouvernement sans rendre de comptes aux élus; de ce fait, le rôle du Conseil consistait à rendre les lois adoptées par l'Assemblée compatibles avec les intérêts britanniques et ceux des marchands anglais du Bas-Canada (Québec).

5.1 Une démocratie de façade

Seuls les loyalistes du Haut-Canada demeurèrent satisfaits de la nouvelle loi constitutionnelle parce qu'ils n'étaient plus soumis aux lois françaises et contrôlaient leurs institutions politiques. La minorité anglophone du Bas-Canada (Québec), bien qu'elle disposât de la majorité au Conseil exécutif et au Conseil législatif, accepta mal d'être mise en minorité à l'Assemblée législative, où elle ne comptait que 15 députés sur 50. Les anglophones furent insultés d'être abandonnés à une majorité de papistes paysans et à une petite bourgeoisie de notaires, d'avocats et de curés. Quant aux francophones, ils ne tardèrent pas à comprendre les mécanismes de cette «démocratie de façade»: les députés étaient élus par la population, mais ils n'avaient pas de pouvoir réel au sein du gouvernement formé et contrôlé par la minorité anglophone. N'oublions pas que le Conseil législatif, entièrement composé d'hommes nommés par le gouverneur (en général des marchands et des fonctionnaires britanniques, parfois des francophones soumis) conservait un droit de veto sur tous les projets de lois présentés par l'Assemblée. Il finira par bloquer systématiquement toutes les initiatives des élus de l'Assemblée qui refusera d'adopter les budgets, ce qui paralysera l'État.

Dans ces conditions, il était normal que toute cette période de 1791-1840 connaisse des conflits permanents entre francophones et anglophones, conflits qui dégénéreront en lutte armée lors de la rébellion de 1837. Les gouverneurs anglais durent régulièrement suspendre l'Assemblée et déclencher de nouvelles élections afin d'assujettir les élus francophones. Peine perdue, à chaque fois, les Canadiens reprenaient le pouvoir et continuaient le combat de plus bel. En 1836, l'Assemblée décida de suspendre indéfiniment ses travaux jusqu'à ce que Londres ne lui aura pas donné un Conseil législatif élu. Or, Londres refusa le principe du «gouvernement responsable» réclamé. Il n'était pas possible que le gouvernement britannique accepte qu'une population d'origine française et catholique (vaincue par surcroît) prenne le contrôle des institutions d'une colonie de Sa Majesté britannique. Depuis plusieurs années, le journal The Montreal Gazette avertissait ses lecteurs que l'ambition des Canadiens français était de fonder a French Canadian domination and a French Canadian nationality in America [...], a french Republic in the hearth of British american province. On présentait les marchands anglais du Bas-Canada comme une classe opprimée par une majorité sourde et aveugle à ses propres intérêts.  

5.2 La langue, source d'affrontements

La question de la langue fut l'objet des premiers affrontements entre francophones et anglophones. Comme l'Acte de Québec (1774), la Constitution de 1791 ne faisait pas allusion à la langue. Dès la première séance de la première législature du Bas-Canada (le 17 décembre 1792), le débat s'engagea aussitôt sur la question de la langue. Députés francophones et anglophones se chamaillèrent au sujet du choix du président de l'Assemblée; la majorité francophone proposa la candidature de Jean-Antoine Panet, qui parlait peu l'anglais, alors que la minorité anglophone lui opposait celles de William Grant, de James McGill et de Jacob Jordan, en faisant valoir qu'il était nécessaire que le président parlât parfaitement la langue du souverain. Jean-Antoine Panet finit par être élu au grand mécontentement des anglophones par 28 voix contre 18. Le 20 décembre 1792, Panet se présenta devant le lieutenant-gouverneur de la province (Alured Clarke) en lui déclarant: «Je supplie Votre Excellence de considérer que je ne puis m'exprimer que dans la langue primitive de mon pays natal, et d'accepter la traduction en anglais de ce que j'aurai l'honneur de lui dire.» 

Pour le premier ministre britannique, William Pitt (comte de Chatham), il paraissait extrêmement désirable que les Canadiens et les Britanniques du Bas-Canada fussent unis et induits universellement à préférer les lois et les institutions anglaises. «Avec le temps, croyait-il, les Canadiens adopteront peut-être les lois anglaises par conviction. Ce sera l'expérience qui devra enseigner aux Canadiens que les lois anglaises sont les meilleures.» Quant à la langue, les députés britanniques l'ignorèrent. Ils connaissaient probablement la forme de bilinguisme qui s'était installée dans l'Administration locale, notamment dans les tribunaux et les journaux. Que le président de la Chambre du Bas-Canada soit un francophone et qu'il connaisse mal la «langue de l'Empire» ne semblait pas un obstacle considérable, mais la question de la langue était soulevée et le vrai débat restait à venir. 

La tenue des procès-verbaux de la Chambre ramena la question dès le 27 décembre de la même année. Le député William Grant proposa la langue anglaise avec traduction «dans la langue française pour l'usage de ceux qui le désirent», alors que le député Louis-Joseph Papineau défendit l'usage du bilinguisme. Le 14 janvier 1793, on convint de présenter les motions en anglais et en français, mais rien ne fut décidé au sujet de la langue des textes de lois. Le député Pierre-Amable de Bonne (qui deviendra plus tard un fidèle membre du Conseil législatif à la solde des Britanniques) proposa deux registres «dans l'un desquels les procédés de la Chambre et les motions seront écrits en langue française, avec la traduction des motions originairement faites en langue anglaise», et l'inverse pour l'autre registre. Le député John Richardson précisa: «Afin de préserver cette unité de langue légale indispensablement nécessaire dans l'Empire [...], l'anglais sera considéré le texte légal.» Après trois jours de débats, la Chambre accepta que les textes de lois soient «mis dans les deux langues», étant entendu que chacun des députés pouvait présenter une motion dans la langue de son choix, laquelle serait traduite pour être «considérée dans la langue de la loi à laquelle ledit bill aura rapport». Bref, les Canadiens désiraient l'unilinguisme français, mais les Anglais refusaient de reconnaître le français comme langue officielle.

Cela signifiait en français pour les lois qui correspondaient aux lois civiles et en anglais pour celles qui se référaient aux lois en matière criminelle ou à la religion protestante. Le gouverneur, lord Dorchester, donna son accord pour les deux langues «pourvu que tout bill soit passé en anglais». Cette disposition n'a pas eu l'heur de plaire aux autorités. En septembre de la même année (1793), le gouvernement britannique décréta que l'anglais devait être la seule langue officielle du Parlement, le français n'étant reconnu que comme langue de traduction. La langue française demeura donc, durant cette période, sans garantie constitutionnelle ni valeur juridique, bien qu'elle continuât à être employée dans les débats, les procès-verbaux et la rédaction des lois (comme langue traduite). De 1793 jusqu'en 1840, ce sera la pratique jusqu'à l'adoption de la Loi d'Union (Union Act) de 1840, qui fera de l'anglais la seule langue officielle.

5.3 Une lutte pour le pouvoir

Les premières années d'application de la Loi constitutionnelle de 1791 correspondirent à une période économique relativement prospère. Le Bas-Canada exportait facilement ses excédents agricoles vers la Grande-Bretagne pendant que le commerce des fourrures et l'exploitation forestière connaissaient un essor considérable. Cependant, ce ne sont pas les Canadiens français qui profitèrent le plus des entreprises commerciales. Les marchands anglais contrôlaient 90 % de l'économie du Bas-Canada: ils dirigeaient le commerce du bois, comme ils monopolisaient le commerce de la fourrure. 

Les députés anglais tentèrent de faire adopter à l'Assemblée des lois favorables au commerce (qu'ils contrôlaient), mais l'opposition de la majorité francophone finit par excéder la minorité anglophone, qui aspirait à l'union des deux Canada dans l'espoir de récupérer totalement le pouvoir politique. Les intérêts économiques divergents entre les deux groupes linguistiques s'accentuèrent davantage au tournant du XIXe siècle et se transformèrent en conflits idéologiques qui contribuèrent à détériorer encore le climat sociopolitique. En 1810, le gouverneur Craig fit parvenir une dépêche au gouvernement britannique dans laquelle il proposait une série de mesures destinées à rétablir l'harmonie au Bas-Canada: la «nécessité d'angliciser la province», le «recours à l'immigration américaine massive pour submerger les Canadiens français», l'obligation de posséder «des propriétés foncières importantes» pour être éligibles à l'Assemblée et surtout «l'union du Haut et du Bas-Canada pour une anglicisation plus certaine et plus prompte». Voici un autre extrait de la dépêche du gouverneur Craig:

 

Depuis nombre d'années, la proportion des représentants anglais n'a guère atteint un quart du nombre total de l'Assemblée et, à l'heure qu'il est sur cinquante membres qui représentent le Bas-Canada, dix seulement sont Anglais. On peut dire que cette branche du gouvernement est exclusivement entre les mains de paysans illettrés sous la direction de quelques-uns de leurs compatriotes, dont l'importance personnelle, en opposition aux intérêts du pays en général, dépend de la continuation du présent système vicieux. [...]

Les pétitionnaires de Votre Majesté ne peuvent omettre de noter l'étendue excessive des droits politiques qui ont été conférés à cette population, au détriment de ses co-sujets d'origine britannique; et ces droits politiques, en même temps que le sentiment de sa croissance en force, ont déjà eu pour effet de faire naître dans l'imagination de plusieurs le rêve de l'existence d'une nation distincte, sous le nom de «nation canadienne». [...]

Les habitants français du Bas-Canada aujourd'hui divisés de leurs co-sujets par leurs particularités et leurs préjugés nationaux, et évidemment animés de l'intention de devenir, grâce au présent état de choses, un peuple distinct, seraient graduellement assimilés à la population britannique et avec elle fondus en un peuple de caractère et de sentiment britanniques.

Déjà, à cette époque, on parlait de «nation distincte» et de «peuple distinct», un notion qu'on reprendra dans la décennie 1990 dans l'expression «société distincte». Dès 1836, un mouvement s'est même dessiné en faveur de la partition de l'île de Montréal et du comté de Vaudreuil (situé à la frontière ouest), afin de les rattacher au Haut-Canada anglais. Devant le tollé des anglophones des Townshippers (Cantons de l'Est) et de la ville de Québec, le mouvement n'eut pas de suite. 

6 L'éveil du nationalisme francophone

Le début du XIXe siècle fut marqué par l'éveil du sentiment nationaliste, qui s'inscrivait dans les mouvements internationaux de libération nationale, notamment en Europe et en Amérique du Sud. En effet, entre 1804 et 1830, accédèrent à l'indépendance la Serbie, la Grèce, la Belgique, le Brésil, la Bolivie et l'Uruguay. Dans le Bas-Canada, ce mouvement prit la forme de luttes parlementaires. Les années 1805-1810 semblèrent capitales à cet égard. James Henry Craig, qui gouvernait le pays à ce moment, raconte que les Canadiens français ne cessaient de parler de la «nation canadienne» et de ses libertés: «Il semble que ce soit leur désir d'être considérés comme une nation séparée; la nation canadienne est chez eux une expression habituelle.» Il s'agissait là d'une attitude nouvelle. Le gouverneur Craig écrivait en 1810 à propose des Canadiens français:

Je veux dire que par la langue, la religion, l'attachement et les coutumes, [ce peuple] est complètement français, qu'il ne nous est pas attaché par aucun autre lien que par un gouvernement commun; et que, au contraire, il nourrit à notre égard des sentiments de méfiance [...], des sentiments de haine [...]. La ligne de démarcation entre nous est complète.

De son côté, le journal Le Canadien écrivait dans son édition du 21 mai 1831:

Il n'y a pas, que nous sachions, de peuple français en cette province, mais un peuple canadien, un peuple religieux et moral, un peuple loyal et amoureux de la liberté en même temps, et capable d'en jouir; ce peuple n'est ni Français, ni Anglais, ni Écossais, ni Irlandais, ni Yanké, il est Canadien. 

Cette époque fut caractérisée par les conflits entre le gouverneur, appuyé par les marchands anglais, et la majorité parlementaire francophone: querelles religieuses, velléités d'assimilation, crises parlementaires, guerre des «subsides», problèmes d'immigration, projet d'union politique, etc. 

6.1 Les écoles

La première question à faire l'objet d'une lutte nationale fut la Loi de l'Institution royale. Le but de cette loi était de soumettre le système d'éducation au contrôle des autorités religieuses anglicanes anglaises par la création d'écoles gouvernementales, publiques et gratuites. Cette mesure, due à l'initiative de l'évêque anglican de Québec (Jacob Mountain) et de l'administrateur du Bas-Canada (Robert Shores Milnes), demeura sans effet. Il faut dire que la hiérarchie catholique craignait comme la peste la création des écoles d'État gratuites, car elle avait en tête la hantise de l'assimilation, comme le laissaient croire ces propos de Hugh Finlay, membre du Conseil législatif en 1789:

 

Que les maîtres d'école soient anglais si nous voulons faire des Anglais de ces Canadiens [...]. Nous pourrions angliciser complètement le peuple par l'introduction de la langue anglaise. Cela se fera par des écoles gratuites.

La population francophone refusa simplement d'envoyer ses enfants dans les écoles du gouvernement et, à l'occasion, n'hésitant même pas à les brûler. Ainsi, en 1790, les Canadiens français ne possédaient qu'une quarantaine d'écoles pour quelque 160 000 habitants, soit une moyenne d'une école pour 4000 habitants, tandis que les Anglais en avaient 17 pour 10 000 habitants, soit une pour moins de 600 habitants. Quant au taux d'alphabétisation, il descendit jusqu'à 13 % en 1779 et 4 % en 1810, pour se relever lentement (entre 1820 et 1850) jusqu'à 27 % vers 1850. Les francophones prenaient ainsi un retard qu'ils ne combleront qu'au XXe siècle, alors que le taux d'alphabétisation atteindra les 75 %, ce qui était considéré comme une «alphabétisation générale». Ce retard dramatique au point de vue scolaire est, selon plusieurs historiens, surtout dû au refus opposé par le clergé aux systèmes scolaires proposés par le gouvernement britannique. 

La plupart des enseignants étaient des laïcs, car il n'y avait pas eu de nouvelles communautés religieuses enseignants depuis la Conquête. La situation changera du tout au tout après l'Union de 1840 avec l'arrivée de communautés françaises et la fondation de communautés canadiennes. Peu à peu, les membres du clergé, tant chez les hommes que chez les femmes deviendront majoritaires dans les écoles, sauf au primaire où les laïcs resteront plus nombreux.

6.2 Les partis politiques

Dans le domaine politique, les députés francophones devirent de plus en plus agressifs et se regroupèrent dans un parti politique, le Parti canadien, tandis que les anglophones se rassemblèrent dans le Tory Party. Chaque groupe posséda son propre journal: Le Canadien (Parti canadien) et le Quebec Mercury (Tory Party) s'invectivèrent à qui mieux mieux. Les antagonismes s'accrurent entre francophones et anglophones, les débats s'envenimèrent. Le 27 octobre 1806, le Quebec Mercury attaquait les Canadiens en ces termes:

 

Cette province est déjà beaucoup trop française pour une colonie anglaise. La défranciser autant que possible, si je peux me servir de cette expression, doit être notre premier but. 

Les Anglais réclamaient l'union des deux Canadas et parlaient ouvertement d'assimilation pendant que les Canadiens dénonçaient le favoritisme, la corruption et l'arbitraire du gouverneur ainsi que des Conseils. Les francophones exigeaient un Conseil législatif élu, le contrôle des dépenses gouvernementales, le maintien du régime seigneurial et menaçaient même de s'annexer aux États-Unis. Le gouverneur Craig tenta quelques coups de force et réussit à dissoudre arbitrairement certaines Chambres d'assemblée. Francophones et anglophones s'installèrent pendant plusieurs années dans une intransigeance opiniâtre qui eut pour effet de paralyser totalement l'État. Lorsque les députés Louis-Joseph Papineau et Robert Nelson commencèrent à galvaniser le peuple excédé par la crise économique, l'inflation, le chômage, les épidémies de choléra, les mauvaises récoltes et le pourrissement politique, le conflit était mûr pour l'affrontement armé.

6.3    Les journaux

Fait significatif, dès le début du Régime britannique, les journaux furent bilingues. Le premier journal, fondé en juin 1764, s'appelait La Gazette de Québec / The Quebec Gazette (voir l'exemple du 24 juillet 1788). Sur les neufs titres créés entre 1764 et 1806, huit furent bilingues, la seule exception demeurant La Gazette littéraire lancée en 1778 par Fleury Mesplet (1734-1794). Bien souvent, le texte anglais apparaissait en premier, le texte français en traduction en second; ou bien le texte anglais occupait la colonne de gauche, traditionnellement privilégiée, le français prenant celle de droite. Quoi qu'il en soit, la plupart de sujets étaient puisées à même les journaux étrangers, presque exclusivement d'origine britannique ou américaine. Dans ces conditions, la version française était obligatoirement une traduction. On devine l'arrivée massive de la terminologie anglaise dans les journaux de l'époque. Cette pratique du bilinguisme dans les journaux se perpétuera jusqu'au début du XIXe siècle.  

6.4 Lord Durham et la politique d'assimilation

La révolte des Patriotes éclata à l'automne de 1837. L'armée britannique intervint aussitôt et écrasa rapidement la rébellion en répandant la terreur, pillant et brûlant plusieurs villages, pendant que le clergé catholique prêchait la loyauté, la soumission et la résignation. Cette lettre pastorale, datée du 24 octobre 1837, de Mgr Jean-Jacques Lartigue, alors évêque de Montréal, est révélatrice de cette attitude:

 

Que tout le monde, dit saint Paul aux Romains, soit soumis aux puissances qui viennent de Dieu. Et c'est lui qui a établi toutes celles qui existent. Celui donc qui s'oppose aux puissances résiste à l'ordre de Dieu. Et ceux qui résistent acquièrent pour eux-mêmes la damnation. Le prince est le ministre de Dieu pour procurer le bien. Et comme ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive, il est aussi son ministre pour punir le mal. Il vous est donc nécessaire de lui être soumis non seulement par crainte du châtiment, mais aussi par un devoir de conscience. [...] Et vous devez voir à présent que nous ne pouvions, sans blesser nos devoirs et sans mettre en danger notre propre salut, omettre d'éclairer votre conscience d'un pas si glissant.

Dépêché d'urgence par Londres, Lord Durham débarqua à Québec en ayant pour mission d'enquêter et de faire rapport sur la situation au Canada. Durham considéra que les différences ethniques et linguistiques étaient à l'origine des difficultés dans le Bas-Canada et que laisser subsister ces différences ne ferait qu'aggraver la situation. Aussi, préconisa-t-il une série de mesures assimilatrices. On aura intérêt à lire à ce sujet quelques-unes des recommandations de lord Durham reproduites dans le texte ci-joint. D'après Durham, le fait de mettre les francophones dans un état de subordination politique et démographique devait permettre de les angliciser et d'assurer une majorité anglaise, donc loyale à Sa Majesté britannique. D'où la nécessité de peupler rapidement le Bas-Canada de «loyaux sujets de Sa Majesté» et d'unir les deux Canada, voire de former ultérieurement une fédération de toutes les colonies britanniques de l'Amérique du Nord dans laquelle les Canadiens de langue française seraient définitivement mis en état de sujétion.

L'échec de la rébellion de 1837-1838 entraîna des conséquences déterminantes pour le développement de la société canadienne-française. Profondément déçus et humiliés, les habitants se replièrent davantage sur eux-mêmes et se résignèrent à leur sort. Pendant plus d'un siècle, ils se retranchèrent dans la soumission, la religion, l'agriculture et le conservatisme.

7 L'état de la langue française sous le Régime anglais

Dans le domaine de la langue elle-même, il y a peu à dire sinon qu'après la Conquête le français du Canada ne subit plus de dirigisme de la part de ses élites puisque celles-ci avaient regagné la France. 

Le français d'Amérique commença alors à évoluer dans un sens différent de celui d’Europe. Certains particularismes phonétiques et lexicaux, apportés par les colons des XVIIe et XVIIIe siècles, et qui avaient tout de même survécu malgré l'implantation du français commun, réapparurent, libres désormais de toute entrave.

C'est alors que la langue des Canadiens français s'imprégna de fortes influences normandes et poitevines, en raison de l'important apport démographique de ces deux provinces de France; parallèlement, son caractère populaire s'accentua alors que les emprunts à l'anglais commencèrent à l'envahir. Par ailleurs, les Canadiens ne purent connaître les nombreuses transformations linguistiques qui ont lieu en France après la révolution de 1789; on sait que celle-ci entraîna la montée de nouvelles classes sociales, qui introduisirent peu à peu leurs normes. Les francophones ne se plièrent pas aux nouveaux usages parce qu'ils ne les connaissaient pas.

7.1 Un français différencié

Aussi, il n'est pas surprenant de constater que, avant la fin du XVIIIe siècle, les différences entre le français de France et celui du Canada étaient déjà assez prononcées. Lorsqu'on lit les témoignages relatifs à l'époque du régime britannique, il n'est plus question de «pureté» de la langue chez les Canadiens français. Les appréciations devinrent de plus en plus négatives après la Conquête et, au début du XIXe siècle, les opinions changèrent de tout au tout.

En 1803, Constantin-François de Volney (1757-1820), un voyageur français venu au Canada, écrivait: «Le langage des Canadiens de ces endroits n'est pas un patois comme on me l'avait dit, mais un français passable, mêlé de beaucoup de locutions de soldats.» Quelques hommes de lettres canadiens se mirent à rédiger des glossaires sur les mots «vulgaires» ou «bizarres», les «locutions vicieuses» et les anglicismes employés par les gens du peuple. À titre d'exemple, en 1810, le premier maire de Montréal, Jacques Viger, un nationaliste engagé auprès de Louis-Joseph Papineau, entreprit la rédaction d'une œuvre qu'il ne publia jamais, mais dont le titre en est très significatif: Néologie canadienne ou Dictionnaire des mots créés en Canada et maintenant en vogue, des mots dont la prononciation et l'orthographe sont différents de la prononciation et orthographe française, quoique employés dans une acceptation semblable ou contraire, et des mots étrangers qui se sont glissés dans notre langue.

7.2 Un français déjà anglicisé

Dans le journal L'Aurore du 17 juillet 1817, un lecteur, qui signait «Un Québécois», s'indignait des corruptions langagières et des anglicismes utilisés dans la langue parlée des Canadiens: 
 

Les anglicismes et surtout les barbarismes sont déjà si fréquents qu'en vérité je crains fort que bientôt nous ne parlions plus la langue française, mais un jargon semblable à celui des îles Jersey et Guernesey.

Voyageant en Amérique, le Français Alexis de Tocqueville (1805-1859) vint passer quelques jours au Bas-Canada en août 1831. Il fut particulièrement frappé par l'influence de la langue anglaise dans la vie des Canadiens. Après avoir lu le seul journal francophone, Le Canadien, il écrivit: «En général, le style de ce journal est commun, mêlé d'anglicismes et de tournures étrangères.» Ayant assisté à une plaidoirie dans un tribunal de Québec, il fit en 1831 cet étrange commentaire (Voyages en Sicile et aux États-Unis):
[...] L'avocat de la défense se levait avec indignation et plaidait sa cause en français, son adversaire lui répondait en anglais. On s'échauffait de part et d'autre dans les deux langues sans se comprendre sans doute parfaitement. L'Anglais s'efforçait de temps en temps d'exprimer ses idées en français pour suivre de plus près son adversaire; ainsi faisant parfois celui-ci. Le juge s'efforçait tantôt en anglais, tantôt en français, de remettre de l'ordre. Et l'huissier criait: Silence! en donnant alternativement à ce mot la prononciation anglaise et française. [...]

Les avocats que je vis là et qu'on dit les meilleurs au Québec ne firent preuve de talent ni dans le fond des choses ni dans la manière de dire. Ils manquent particulièrement de distinction, parlent français avec l'accent normand des classes moyennes. Leur style est vulgaire et mêlé d'étrangetés et de locutions anglaises. Ils disent qu'un homme est chargé de dix louis. — Entrez dans la boîte, cirent-ils au témoin pour lui indiquer de se placer dans le banc o`il doit déposer. L'ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d'incohérent, de burlesque même.  [...]

L'ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d'incohérent, de burlesque même. Le fond de l'impression qu'il faisait naître était cependant triste. Je n'ai jamais été plus convaincu qu'en sortant de là que le plus grand et plus irrémédiable malheur pour un peuple c'est d'être conquis.

Il remarqua également que les Anglais et les Canadiens formaient deux sociétés distinctes au Canada et il est frappé par l'omniprésence de l'anglais dans l'affichage à Montréal:

Les villes, et en particulier Montréal (nous n'avons pas encore vu Québec), ont une ressemblance frappante avec nos villes de province. Le fond de population et l'immense majorité est partout française. Mais il est facile de voir que les Français sont le peuple vaincu. Les classes riches appartiennent pour la plupart à la race anglaise. Bien que le français soit la langue presque universellement parlée, la plupart des journaux, les affiches, et jusqu'aux enseignes des marchands français sont en anglais. Les entreprises commerciales sont presque toutes en leurs mains. C'est véritablement la classe dirigeante au Canada.
Pour ce qui est de Québec, Tocqueville écrivait encore: «Toute la population ouvrière de Québec est française. On n'entend parler que du français dans les rues. Cependant, toutes les enseignes sont anglaises.» Malgré la sympathie qu'il affichait à l'endroit des Canadiens, de Tocqueville croyait qu'ils étaient voués inéluctablement à devenir minoritaires dans une Amérique du Nord massivement anglaise. «Ce sera une goutte d'eau dans l'océan», prédisait-il au sujet des Canadiens français. Soulignons aussi que l'analphabétisme des Canadiens caractérise cette période. Les projets de créations d'écoles, généralement teintées de visées assimilatrices, se heurtèrent à l'opposition du clergé catholique.

Bref, près d'une décennie avant Lord Durham, de Tocqueville (1805-1859) et beaucoup d'autres étaient convaincus de la disparition prochaine des Canadiens français. Néanmoins, contre toute attente, les Canadiens du Bas-Canada survécurent. Ce fut l'histoire du siècle et demi suivant.
 

Dernière mise à jour: 09 août, 2006

 


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(4) La modernisation du Québec (1960-1981)
(5) Réorientations et nouvelles stratégies (de 1982 à aujourd'hui)
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