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Réorientations et nouvelles stratégies De 1982 à nos jours |
En moins de 25 ans, l'État du Québec s'était restructuré, développé et modernisé en profondeur. L'éducation à tous les niveaux couvrit l'ensemble du territoire, des institutions de santé furent implantées dans tous les centres importants, les sociétés d'État se multiplièrent, tous les grands services publics (police, routes, énergies, administration locale) furent assurés partout. À défaut d'être indépendant, l'État du Québec est devenu une province française, entraînant dans une nouvelle révolution culturelle une transformation marquée du milieu des affaires et de l'industrie, milieu jusque-là traditionnellement anglophone et rébarbatif à la langue de la majorité. De plus, le Québec a même favorisé le développement du bilinguisme au sein de l'État fédéral.
Pareille réussite aurait dû normalement devenir une source
de fierté et d'assurance pour l'avenir. Au contraire, la désillusion,
l'essoufflement et le doute ont suivi. Une nouvelle ère s'est amorcée:
elle ne sera plus centrée sur l'État, outil et moteur du
développement collectif. La Révolution tranquille terminée,
le Québec ne peut plus rien ajouter à son État à
moins qu'une éventuelle et virtuellement impossible révision
constitutionnelle ne lui accorde de nouveaux pouvoirs. Le nationalisme
québécois axé sur l'indépendance n'a pas réussi
à s'imposer (après deux référendums), pas plus
d'ailleurs que le nationalisme canadien n'a pu susciter un sentiment d'identification
au sein de la population francophone.
Signe des temps, les leaders charismatiques tels que Pierre-Elliot Trudeau ou René Lévesque (aujourd'hui tous deux décédés) ont laissé la place à des leaders plus conciliants, des super-prudents qui ne s'embarrassent pas des drames, des rendez-vous historiques, des grands projets collectifs et des «appels à la foi». Après des années de lutte, le Québec s'est essoufflé et semble maintenant s'installer pour quelque temps dans une période de transition. |
Le 20 décembre 1979, le gouvernement nationaliste du Parti québécois fit connaître à l'Assemblée nationale le contenu de la question référendaire portant sur la souveraineté-association. Le gouvernement estimait avoir besoin de plus de pouvoirs que ne lui en donnait la Constitution canadienne; c'est pourquoi il proposait aux Québécois la «souveraineté politique assortie d'une association économique avec le Canada», c'est-à-dire une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des «deux peuples fondateurs».
De son côté, le premier ministre fédéral de l'époque, le francophone Pierre Elliot Trudeau, avait promis un changement constitutionnel si le Québec votait NON. Au soir du 20 mai 1980, le NON l'emportait avec 59,6 % alors que le OUI n'obtenait que 40,4 %. L'issue du référendum décidait évidemment du sort de la souveraineté-association, mais affaiblissait aussi le pouvoir du Québec de négocier avec Ottawa (gouvernement fédéral).
Paradoxalement, il est possible que le gouvernement péquiste ait lui-même affaibli la cause de la souveraineté en exploitant presque «trop vigoureusement» les pouvoirs de l'Assemblée nationale, comme dans le cas de la loi 101 (Charte de la langue française), où le Québec prouvait en quelque sorte les «vertus du fédéralisme canadien», à l'intérieur duquel il paraissait possible de satisfaire l'un des besoins essentiels des francophones: une plus grande sécurité linguistique.
Donnant suite à sa promesse, le premier ministre du Canada, Pierre Elliot Trudeau, convoqua, en juin 1980, les 10 premiers ministres provinciaux pour entamer des négociations constitutionnelles. Celles-ci aboutirent à l'impasse entre le fédéral et les provinces: le premier ministre canadien annonça qu'il procéderait au rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne. Le Manitoba, Terre-Neuve et le Québec en appelèrent à la Cour suprême, qui se prononça (28 avril 1981) sur la validité de ce rapatriement unilatéral; celui-ci fut déclaré «légal» bien que «le procédé en lui-même enfreigne le principe du fédéralisme».
Au cours d'une réunion, dans un hôtel d'Ottawa, qui dura toute une nuit et dont le Québec fut exclu, un accord intervint entre le gouvernement fédéral et les neuf autres premiers ministres provinciaux. Le gouvernement du Québec refusa de signer l'accord constitutionnel qui limitait les pouvoirs de son Assemblée nationale en matière d'éducation et de langue. La Loi constitutionnelle de 1982 fut promulguée le 17 avril sans le consentement du Québec et fut ainsi imposée par la partie la plus forte, les Anglo-Canadiens. C'était, en quelque sorte, une espèce de revanche de la part des anglophones du Canada au refus du Québec de signer la charte de Victoria en 1971.
Or, la Loi constitutionnelle de 1982 est venue changer radicalement la situation politique au Canada et marqua la fin d'une époque pour le Québec et le début d'une autre pour le Canada anglais. Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec avait progressivement bâti un État en pleine expansion qui aspirait à étendre ses pouvoirs; au lieu de s'accroître, ces pouvoirs se trouvaient maintenant diminués. Ce fut en quelque sorte un curieux retour de l'histoire: un gouvernement fédéral à majorité de langue anglaise qui, avec l'appui de neuf provinces de langue anglaise, demande à un parlement étranger de langue anglaise (Londres) de réduire, sans son consentement, les compétences du seul gouvernement de langue française en Amérique du Nord!
2.1 La Charte canadienne des droits etlibertés
Le choix de la langue d'enseignement sur le territoire du Québec, une question qui avait soulevé des controverses depuis une vingtaine d'années, recevait une contre-solution imposée par Ottawa et neuf gouvernements provinciaux anglophones, dont l'histoire témoigne qu'ils ne s'étaient jamais souciés d'accorder à leurs minorités francophones des droits que la loi 101 avait consentis à la minorité anglophone du Québec. La Loi constitutionnelle de 1982, dont fait partie aussi la Charte canadienne des droits et libertés, ayant nécessairement préséance sur la Charte de la langue française, le Québec ne pouvait plus imposer aux citoyens canadiens venus d'autres provinces une langue d'enseignement autre que la leur.
Spécialement conçu pour neutraliser la Charte de la langue française, le paragraphe 23.2 de la Charte canadienne des droits et libertés empêchait ainsi le Québec de se doter d'une protection efficace de type territorial et rétablissait le caractère bilingue de la société québécoise. Désormais, les frontières linguistiques du Québec étaient de nouveau perméables à l'afflux des citoyens anglophones des autres provinces. On craignait alors que les citoyens anglophones canadiens pourraient continuer à grossir la population scolaire anglaise du Québec d'un nombre variant entre 5000 et 20 000 élèves par année. Certains ont parlé «d'opération sabotage» de la part du gouvernement fédéral à l'endroit du Québec, car la nouvelle Constitution canadienne pourrait priver la majorité francophone d'un apport normal de nouveaux francophones par le truchement des transferts linguistiques interprovinciaux.
Soulignons qu'entre 1971 et 1981 les Anglo-Canadiens ont recruté plus d'un million et demi de nouveaux anglophones par voie d'assimilation linguistique, dont 115 000 recrutés au Québec même; au cours de cette période, l'anglicisation a infligé aux Franco-Canadiens une perte nette d'un quart de million. Bref, il semble que seuls les anglophones aient le «droit d'assimiler les citoyens du Canada».
En réalité, par cette opération qui visait à court-circuiter rétroactivement la loi 101, l'objectif du gouvernement fédéral et des neuf provinces anglaises n'a jamais été de protéger la langue française au Québec, mais de protéger plutôt la langue anglaise en imposant un caractère bilingue à la société québécoise tout en sachant très bien que le bilinguisme avait dans le passé avantagé les anglophones aux dépens des francophones. La nouvelle Constitution de 1982 n'avait pas apparemment pas plus pour objectif la protection du français dans les provinces anglaises puisqu'on n'a pas voulu imposer le bilinguisme à l'Ontario, où survit la plus importante minorité française du Canada: 479 285 (recensement 1991) francophones.
2.2 Les francophones hors Québec
Néanmoins, dans les vingt ans qui suivirent, après d'innombrables luttes et procès dans tout le Canada anglais, les francophones de ces provinces ont réussi à tirer à leur avantage les dispositions linguistiques de l'article 23 de la Charte des droits et libertés relativement à l'accès dans les écoles des minorités de langue officielle. Ce sont les décisions des tribunaux, surtout la Cour suprême du Canada, qui ont imposé aux provinces récalcitrantes — toutes au départ, à l'exception du Nouveau-Brunswick — le respect des droits linguistiques des francophones en matière d'accès à l'école dans leur langue et en matière de gestion scolaire.
À l'origine, les dispositions constitutionnelles du Canada en matière de langues ne pouvaient certainement pas être considérées comme le fruit d'un compromis entre deux communautés linguistiques, mais plutôt comme une mesure unilatérale décidée par la majorité anglaise du Canada. Par la suite, les tribunaux ont interprété ces mêmes dispositions en développant une vision beaucoup plus élargie des droits linguistiques à l'intention des minorités francophones, droits que les premiers ministres anglophones n'avaient pas prévus, notamment en matière de gestion scolaire. Il faut dire que la première attitude de la plupart des provinces anglaises (hormis le Nouveau-Brunswick) fut de refuser d'appliquer les droits reconnus en matière d'accès à l'école dans la langue de la minorité, quitte à se faire poursuivre devant les tribunaux. Puis ce fut le tour du droit à la gestion scolaire reconnue par la Cour suprême du Canada. Après d'interminables procès et de très longs délais, les minorités francophones ont obtenu, dans tout le Canada, le droit d'envoyer leurs enfants dans des écoles françaises et le droit de gérer ces mêmes écoles au moyen d'un conseil scolaire propre. Quant au Québec, les craintes en matière d'accès aux écoles anglaises ne se sont pas vraiment matérialisées.
Depuis 1982, on sait maintenant qu'il est devenu impossible de modifier la Constitution canadienne par consentement unanime des deux grandes communautés linguistiques. Toute modification constitutionnelle à dix impliquera dorénavant des possibilités de chantage de la part de certaines provinces qui voudront tirer à leur avantage leur éventuellement ralliement.
La Charte de la langue française avait stimulé la fierté et donné satisfaction au plus grand nombre, au Québec. L'entente constitutionnelle de novembre 1981, prélude à la Loi constitutionnelle de 1982, est venue changer cet ordre des choses. Dans les mois et les années qui ont suivi l'entente, on a vu monter l'indignation, l'humiliation, la désillusion, puis l'impuissance, la déroute et le recul. Ces attitudes ont d'abord gagné le gouvernement du Québec pour se transmettre par la suite à la population.
L'amertume de la défaite se manifesta au sein du gouvernement péquiste par l'indignation verbale: «un coup de poignard dans le dos», «la nuit des longs couteaux», «une trahison honteuse», du «banditisme», «du mépris à l'égard du Québec». Au soir du 4 décembre 1981, s'ouvrit un tumultueux congrès du Parti québécois, le parti nationaliste québécois; révoltés, les délégués votèrent une résolution par laquelle ils rejetaient la souveraineté-association en faveur de l'indépendance pure et simple. On assista ensuite à une longue série de volte-face idéologiques: on passa tour à tour de l'indépendance au «beau risque» du fédéralisme, jusqu'à l'éclatement du parti après l'élection fédérale qui porta au pouvoir le premier ministre canadien Brian Mulroney (originaire du Québec) et le Parti conservateur du Canada. La démission du chef charismatique René Lévesque, la campagne au leadership du Parti québécois et la victoire du Parti libéral du Québec marquèrent la fin du courant indépendantiste comme force susceptible de mobiliser les énergies.
Brisé par la double défaite du référendum et du rapatriement de la Constitution, le gouvernement du Parti québécois demeura impuissant face aux coups qui continuaient de l'assaillir. À deux reprises, il se contenta d'encaisser les coups portés à la Charte de la langue française: d'abord en juillet 1984, lorsque la Cour suprême a invalidé l'article 73 de la loi 101 qui n'accordait l'accès à l'école anglaise qu'aux enfants dont les parents avaient fait leurs études en anglais au Québec; puis en décembre 1984, lorsque la Cour supérieure du Québec a invalidé l'article 58 de la loi 101 interdisant l'affichage dans une autre langue que le français en raison de la liberté d'expression consacrée dans Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
L'impuissance manifestée par le gouvernement après ce dernier jugement de cour paraît particulièrement inquiétante parce que les deux Chartes sont sous sa juridiction exclusive. Cette attitude de laisser-faire a affaibli la cause de la francisation et a laissé planer le doute sur la légitimité de cette francisation.
Un autre événement mérite d'être souligné: la fondation d'Alliance Québec en mai 1982. Alliance Québec est une association vouée à la défense des droits des anglophones; dès le lendemain de l'entente constitutionnelle, la combativité au Québec a changé de camp: ce sont les anglophones qui occupent maintenant l'avant-scène du «front linguistique» et qui accusent les francophones d'intolérance afin que ceux-ci se montrent plus conciliants, voire prêts à certains compromis dont, par exemple, un retour au bilinguisme.
La position d'Alliance Québec
est apparue clairement. D'une part, l'association demandait pour la communauté
anglophone la garantie de ses services sociaux et de ses institutions scolaires
– ce qui était acquis –, d'autre part, elle exigeait non seulement des
modifications substantielles au chapitre de la langue de l'affichage, mais la
disparition de la Commission de la protection de la langue française, le libre
choix à l’école et un retour au bilinguisme généralisé, c'est-à-dire l'égalité
officielle entre les deux langues et non plus le statut juridique différencié.
Pour concrétiser ces demandes, il faudrait rien de moins que d’abroger la
Charte de la langue française et modifier la Loi constitutionnelle de
1982. En fait, les anglophones «purs et durs» se battent pour le retour à
l'ancienne liberté, celle d'avant la loi 22 (Loi sur la langue officielle
de 1974), autrement dit, celle «du renard dans le poulailler». Il est tout à
fait improbable qu'un gouvernement québécois recule à ce point et abandonne ce
qui reste, selon certains francophones, des «lambeaux» de la Charte de la
langue française. Pourtant, la réalité nord-américaine démontre que
l'anglais n'a jamais eu besoin de ce statut pour survivre au Québec; mais le
français, en revanche, a tout à perdre.
Progressivement, le groupe d'Alliance Québec a perdu beaucoup de sa crédibilité et la plupart des Anglo-Québécois d'aujourd'hui en ont «honte», à l'exemple de certains francophones avec la Société Saint-Jean-Baptiste. Aujourd'hui, le groupe de pression Alliance Québec ne regroupe plus que les anglophones les plus irréductibles à la loi 101. On constate aussi qu'une majorité d'anglophones semble reconnaître la nécessité de protéger le français et de réglementer l'accès à l'école anglaise malgré leur répugnance instinctive pour l'aspect symbolique de la Charte de la langue française. Beaucoup d'anglophones reconnaissent également que cette loi n'est pas responsable pour tous les maux que leur communauté a vécus depuis l'entrée en vigueur de la Charte.
L'ambiguïté et l'inaction ont aussi gagné le nouveau gouvernement provincial de Robert Bourassa (revenu au pouvoir après la défaite du Parti québécois).
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Pourtant, ce gouvernement libéral avait
déjà perdu des plumes en 1974 avec une législation linguistique équivoque:
la loi 22 (Loi sur la langue officielle). On aurait pu espérer que,
fort de cette expérience, il miserait sur la clarté et la
fermeté. Au contraire, le gouvernement Bourassa deuxième manière laissa, lui aussi, traîner les problèmes. Ainsi, le gouvernement regarda se multiplier les accrocs à la loi 101 en matière d'affichage bilingue ou unilingue anglais sans intervenir, il n'intenta plus de poursuites contre les contrevenants et passa l'éponge sur la présence des fameux enfants «illégaux» à l'école anglaise. Le laisser-faire du gouvernement sema le doute sur l'utilité de poursuivre la francisation au Québec. Nombreux furent les Québécois, francophones et anglophones, qui s'attendaient à ce que l'on modifie «à la baisse» la politique linguistique. Pendant ce temps, la situation se transforma graduellement et l'on assista à un phénomène nouveau: le recul du français à Montréal, particulièrement sur le plan de l'affichage et en milieu de travail. |
Cet immobilisme de la part du gouvernement québécois reflétait une méconnaissance flagrante de la problématique de la langue au Québec. C'est une situation qui risquait de faire resurgir les vieux démons linguistiques. Les francophones se montrèrent tolérants et crurent qu'ils n'avaient plus besoin de protection maintenant que le français paraissait acquis.
La fin de la décennie quatre-vingt vit apparaître une série de réajustements de la part des gouvernements québécois successifs. En 1987, le pays a entrepris une autre série de rondes constitutionnelles, puis ce fut les rebondissements de la fameuse loi 178.
6.1 La loi 178 et laffichage commercial
L'affichage unilingue français décrété par la Charte de la langue française (1977) dans les articles 58, 59 et 60 a fait l'objet d'une bataille judiciaire particulièrement ardue. Dans un premier jugement rendu le 28 décembre 1984, la Cour supérieure du Québec a invalidé les articles interdisant l'affichage unilingue en soutenant que la loi violait la liberté d'expression consacrée dans la Charte québécoise des droits. On peut lire ici les articles 58 et 59 de la Charte de la langue française.
Le gouvernement du Québec en a appelé de la décision de la Cour supérieure, mais dans un jugement rendu le 15 décembre 1988 la Cour suprême du Canada a, pour sa part, confirmé le jugement de la cour du Québec. Selon le plus haut tribunal du pays, le Québec avait le droit d'imposer l'usage du français, mais ne pouvait interdire l'anglais: comme les chartes des droits, tant canadienne (Constitution de 1982) que québécoise, garantissaient la liberté d'expression, il était jugé anticonstitutionnel de limiter cette liberté dexpression, y compris dans le discours commercial.
La loi 178 ou Loi modifiant la Charte de la langue française a été adoptée (1988) en catastrophe au lendemain de la décision de la Cour suprême du pays afin de rendre la Charte de la langue française conforme au jugement de cette cour. Le Québec ne pouvait donc plus interdire langlais, sauf sil se prévalait de larticle 33 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet article appelé «clause nonobstant» ou «clause dérogatoire» permet de déroger à la Constitution canadienne. Cela signifie que le gouvernement dune province peut se soustraire à certaines dispositions de la Charte des droits et libertés en invoquant cette clause dérogatoire pour une durée nexcédant pas cinq ans. Le gouvernement Bourassa, cédant à la pression des nationalistes québécois, voulut conserver lunilinguisme français, mais dut alors recourir à la fameuse clause dérogatoire de la Constitution canadienne.
Il nest pas surprenant que la loi 178 ou Loi modifiant la Charte de la langue française aie été condamnée dans tout le Canada anglais parce que le Québec supprimait alors des libertés individuelles – la liberté d’expression – accordée aux anglophones. Un comité des Nations unies a même donné raison aux anglophones à ce sujet tout en précisant que la communauté anglo-québécoise ne pouvait être considérée comme une «minorité» puisqu’elle fait partie de la «majorité canadienne».
La loi 178 sera la dernière manifestation importante en matière d’intervention linguistique avant l’an 2000. De toute façon, elle ne pouvait avoir qu'une durée de vie de cinq ans (en vertu de la clause dérogatoire de la Constitution canadienne). Cette loi n'est évidemment plus en vigueur depuis le 18 juin 1993, puisqu'elle n'a jamais été reconduite par le gouvernement du Québec. Elle fut remplacée avant de devenir caduque par la loi 86.
6.2 La loi 86 et le retour au bilinguisme
La loi 86 ou Loi modifiant la Charte de la langue française a été adoptée le 17 juin 1993 et sanctionnée le 18 juin 1993. Elle remplaçait la loi 178 (sur l'unilinguisme français) qui, adoptée grâce à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés, était devenue caduque. La nouvelle loi 86 illustre le revirement du gouvernement québécois en matière de langue, car elle correspond à une «loi de normalisation».
En effet, afin de se conformer aux jugements de cour, la loi 86 élimine définitivement le recours à la clause dérogatoire de la Constitution en permettant l'affichage bilingue et en ninterdisant plus l'anglais. Dans les faits, la loi 86 permet l'affichage bilingue avec prédominance du français, mais elle vise surtout à rendre la Charte de la langue française en tous points conforme aux prescriptions de la Loi constitutionnelle de 1982 et à toutes les décisions de la Cour suprême du Canada. C'est en ce sens qu'on peut parler d'une «loi de normalisation».
C'est pourquoi certains articles de la Charte de la langue française ont été modifiés en conséquence: «clause Québec» éliminée de la loi 101 et remplacée par la «clause Canada», élargissement de l'accès à l'école anglaise, réduction des contraintes relatives à la francisation des entreprises, réduction des pouvoirs et du rôle de l'Office de la langue française, suppression de la Commission de protection de la langue française, etc.
En réalité, avec la loi 86, le gouvernement Bourassa retrouvait une sorte d’«équilibre». Cette loi se voulait un retour du balancier après la loi 178 qui, pour un gouvernement libéral, paraissait trop radicale. Le gouvernement avait cédé à l’époque aux revendications des groupes nationalistes qui y étaient allés d’importantes manifestations à Montréal. D’ailleurs, en 1988, cette loi 178 avait créé tout un choc dans la communauté anglophone, non seulement au Québec mais dans tout le Canada anglais. Mais, grâce à la loi 86, le gouvernement «se débarrassait» de la fameuse clause dérogatoire si controversée – qui demeure acceptable dans la mesure où le Québec ne s’en sert pas contre sa minorité anglophone – et retrouvait temporairement une sorte de «paix linguistique». Néanmoins, on voit mal comment un gouvernement provincial, quel qu'il soit, va pouvoir dorénavant utiliser la «clause dérogatoire» sans en payer un prix politique élevé. En ce sens, la loi 86 est bel et bien une «loi de normalisation».
6.3 La loi 40 modifiant la Charte de la
langue française
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C'est pourquoi l'impression laissée dans le public fut que, lorsque la Charte de la langue française est attaquée devant les tribunaux, elle devait forcément succomber parce qu'elle était «mauvaise». Cependant, en juin 1996, le nouveau gouvernement du Parti québécois dirigé, cette fois, par Lucien Bouchard a présenté un projet de loi à lAssemblée nationale destiné à modifier encore une fois la Charte de la langue française. Cest la loi 40 ou Loi modifiant la Charte de la langue française. Si lon fait exception de la renaissance de la Commission de protection de la langue française, on constatera que le gouvernement nationaliste de Lucien Bouchard en est resté à lesprit des dispositions de la loi 86. Larticle 58 de la loi 101 relatif à lunilinguisme français dans laffichage semble avoir été définitivement mis au rancart. |
En fait, nimporte quel gouvernement du Québec pourrait légalement revenir à lunilinguisme français dans laffichage commercial sil avait recours à la clause dérogatoire de la Constitution, mais il semble que le prix à payer soit devenu trop coûteux au plan politique. Le premier ministre Bourassa a goûté à la médecine anglo-canadienne, lui qui a vu couler laccord constitutionnel du lac Meech pour cette raison, lui qui a subi les décisions irrévocables de la Cour suprême du Canada, lui qui sest vu condamné publiquement par les Nations unies, lui qui a dû être lobjet de propos humiliants de la part de tous les médias anglophones de lAmérique du Nord venus à la rescousse de la «pauvre minorité» anglophone opprimée par des «fanatiques» québécois.
En réalité, le gouvernement de Lucien Bouchard avait à faire face à de graves difficultés sur les marchés financiers internationaux. Il ne voulut pas miner davantage la «réputation du Québec» en suspendant les droits de sa minorité anglophone. Ainsi, le gouvernement navait quà baliser davantage les pouvoirs des inspecteurs de la Commission de protection de la langue française, lesquels nauraient accès quaux endroits publics et aux heures daffaires des commerces. La loi a augmenté aussi les amendes maximales pour les contraventions à la Charte de la langue française. Ce relatif adoucissement de la politique linguistique pourrait donc être le prix à payer pour améliorer limage négative du Québec dont il nest pas le seul responsable dans lopinion publique internationale.
Grosso modo, ces mesures législatives représentent en quelque sorte des concessions consenties aux anglophones, un peu comme une reconnaissance du fait qu'ils font partie de la collectivité québécoise, tout en maintenant les objectifs principaux de la loi visant à assurer le caractère français du Québec.
À partir de 1987, eurent lieu au Canada une série de rondes constitutionnelles destinées à réparer l«erreur» de 1982 alors que le Québec avait été exclu de la Loi constitutionnelle de 1992. Ce fut laccord du lac Meech de 1987, les propositions de 1991-1992, lentente de Charlottetown de 1992 et Lentente de Calgary de 1997.
7.1 Laccord du lac Meech
Le 3 juin 1987, un accord entre les 11 premiers ministres (fédéral et provinciaux) est conclu: ce fut l'accord du lac Meech. Selon les termes de cet accord, le Parlement fédéral et toutes les provinces avaient le rôle de protéger la dualité canadienne, c'est-à-dire les «Canadiens d'expression française, concentrés au Québec mais présents dans le reste du Canada» et les «Canadiens d'expression anglaise concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec»; ce qui liait nécessairement la population du Québec au bilinguisme canadien (comme d'ailleurs au multiculturalisme).
Quant à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec, ils avaient «le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise», ce qui ne liait ni le gouvernement fédéral ni aucune province à l'exception du Québec.
Or, l'accord du lac Meech ne fut pas ratifié par toutes les provinces, parce que le Manitoba et Terre-Neuve ne l'ont pas fait adopter par leur législature respective dans les délais prescrits par la Loi constitutionnelle de 1982. Même si personne ne savait vraiment ce que signifiait le concept de «société distincte», le Canada anglais a craint que le Québec se serve de cette éventuelle disposition constitutionnelle pour «brimer» les droits inaliénables des Anglo-Québécois en voulant trop se protéger.
Par ailleurs, certains ont affirmé et ils n'ont pas tort que laccord du lac Meech a été torpillé en représailles à ladoption de la loi 178 par le gouvernement du Québec. Autrement dit, le Canada anglais n'a pas accepté que le Québec protège sa langue au point de déroger à la Constitution canadienne. Le plus insolite, c'est que le Québec n'a jamais demandé cette clause dérogatoire, mais il s'en est apparemment servi «contre» sa minorité anglophone.
7.2 Les propositions constitutionnelles de 1991-1992
En 1991, le gouvernement fédéral fit connaître ses propres propositions constitutionnelles. Cette fois-ci, le concept de «société distincte» fut défini – et forcément limité – comme «une majorité d'expression française; une culture unique en son genre; une tradition de droit civil». De plus, le gouvernement du Canada proposa d'insérer à l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867 une «clause Canada» qui prévoyait notamment «la reconnaissance de la responsabilité des gouvernements de préserver les deux majorités et minorités linguistiques du Canada», ainsi que «la contribution de peuples d'origines culturelles et ethniques diverses à l'édification d'un Canada fort». On en revient toujours à la promotion de la dualité canadienne dans chacune des provinces et à celle du multiculturalisme.
Les réformes constitutionnelles prirent une nouvelle ampleur en 1992. Ce fut d'abord la publication du Rapport Beaudoin-Dobbie qui reprit l'essentiel des propositions fédérales précédentes (société distincte, dualité canadienne, multiculturalisme), mais en y ajoutant des éléments nouveaux, particulièrement en ce qui a trait aux autochtones et au Sénat canadien.
Pour la première fois, le Canada reconnaissait aux autochtones «le droit inhérent de se gouverner selon leurs propres lois, coutumes et traditions afin de protéger leurs langues et leurs cultures diverses». Quant au Sénat, on introduisit la notion de la double majorité en vertu de laquelle «les mesures relatives à la langue ou à la culture des collectivités francophones devraient être approuvées par la majorité des sénateurs et par la majorité des sénateurs francophones».
7.3 Lentente constitutionnelle de Charlottetown
Puis, ce fut l'entente constitutionnelle de Charlottetown du 28 août 1992. Le Québec obtint notamment trois juges à la Cour suprême, la clause de société distincte (limitée à la langue, la culture et le droit civil), la garantie de 25 % des sièges à la Chambre des communes, la double majorité linguistique au Sénat (pour l'ensemble des sénateurs francophones du Canada), un droit de veto (à l'instar des autres provinces) sur toutes modifications aux institutions centrales. De plus, la «clause Canada», celle qui devait servir à interpréter tout la Constitution, est revenue.
Dans un paragraphe (1), elle précisait les caractéristiques fondamentales du Canada dont les suivantes semblent particulièrement pertinentes à notre propos:
c) le fait que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, comprenant notamment une majorité d'expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil;
d) l'attachement [en anglais: commitment] des Canadiens et de leurs gouvernements à l'épanouissement et au développement des communautés minoritaires de langue officielle dans tout le pays; [...]
h) le fait que la société canadienne confirme le principe de l'égalité des provinces dans le respect de leur diversité;
Par ailleurs, un paragraphe no 2 venait préciser le rôle du gouvernement du Québec envers la société distincte: «La législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte.» Encore une fois, le Québec s'est trouvé coincé entre deux clauses conflictuelles: le concept de la société distincte et celle de la dualité canadienne. L'entente prévoyait également une réforme du Sénat où toutes les provinces obtenaient le même nombre de sénateurs (soit huit).
Quoi qu'il en soit, l'entente de Charlottetown fut rejetée lors du référendum canadien du 26 octobre 1992. En effet, non seulement le Québec, mais la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique ont majoritairement voté NON; à l'échelle du pays, 55 % des Canadiens ont refusé l'entente constitutionnelle proposée par le gouvernement fédéral de Brian Mulroney, les premiers ministres provinciaux (incluant le Québec) et les leaders autochtones.
En somme, les tentatives de modifier la Constitution canadienne en tenant compte des «deux peuples fondateurs» auront toutes échoué. Le fragile consensus proposé par la classe politique canadienne a été perçu comme un «compromis inacceptable» par une majorité de Canadiens. Le Québec, dune part, n'a accepté ni les concessions de son premier ministre (Robert Bourassa) ni les gains des autres provinces, alors que le Canada anglais, dautre part, a refusé au Québec le concept de société distincte et les outils de protection qui l'accompagnaient. Le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, démissionna l'année suivante pour des raisons de santé; il devait décéder en 1996.
7.4 Lentente de Calgary de 1997
En 1997, les neuf premiers ministres provinciaux du Canada anglais se sont réunis à Calgary, sans le Québec, afin de proposer un «cadre de discussion sur lunité canadienne»: ce fut lentente de Calgary. Si lon fait exception des voeux pieux du type «la diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareilles dans le monde», les premiers ministres anglophones ont déclaré que tous les Canadiens étaient «égaux» et que «toutes les provinces» étaient également «égales». Doù la mise en garde suivante (art. 6):
Si une future modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces.
Malgré tout, le Canada anglais était prêt à reconnaître certaines spécificités au Québec (art. 5):
Dans ce régime fédéral, où le respect pour la diversité et l'égalité est un fondement de l'unité, le caractère unique de la société québécoise, constituée notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil, est fondamental pour le bien-être du Canada. Par conséquent, l'assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement.
On est revenu à la case de départ avec tous les problèmes qui demeurent, dont la société distincte, la réforme du Sénat, les autochtones, la question des chevauchements de juridiction et du partage des pouvoirs. L'histoire est là pour démontrer que le Canada anglais ne s'est jamais résigné à ce que le Québec se protège «trop» sur le plan linguistique. De plus, le Canada anglais n'acceptera jamais que le Québec dispose de droits collectifs que les autres provinces n'auront pas obtenus et, au surplus, que ces droits aient préséance sur les droits individuels affirmés dans la Charte des droits et libertés, une charte que le Canada anglais a adoptée sans le Québec. Si ce nétait que du Canada anglais, le statut particulier pour le Québec serait une notion nulle et non avenue.
Ainsi, toute éventuelle modification constitutionnelle avec laccord du Québec nest certainement pas pour demain, car tout modification constitutionnelle venant du Québec, si elle demeure théoriquement possible, est désormais, dans les faits, tout à fait impossible. D'ailleurs, la déclaration de Calgary nintéressait déjà plus personne un an plus tard, ni au Québec ni au Canada anglais. Ça, cest lun des aspects les moins glorieux de lhistoire canadienne!
8 Des états généraux sur la langue française
En 1998, le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, proposait à ses militants péquistes la tenue d'«états généraux sur la langue française». Il déclarait à cette occasion: «C'est un devoir particulier au Québec que de vérifier où nous en sommes par rapport à la langue. Il est évident que les études existantes mentionnent que le milieu francophone n'a pas la force d'attraction qu'il devrait avoir par rapport aux immigrants et que l'avenir du français est hypothétique.» Lucien Bouchard désirait à ce moment-là réduire la «pression» au sein de son parti et satisfaire les revendications der ses militants : par exemple, le retour à l'unilinguisme français dans l'affichage et la fermeture du réseau collégial anglophone aux francophones et aux allophones. Sous la présidence d'un ancien leader syndicaliste, Gérald Larose, la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec reçut le mandat suivant:
1) préciser et analyser les plus importants facteurs qui influencent la situation et l'avenir de la langue française au Québec en fonction de l'évolution des principaux indicateurs, en particulier celui du taux de transferts linguistiques, et à partir de consultations publiques à travers le Québec;
2) procéder à l'examen d'une refonte globale de la Charte de la langue française comprenant notamment les hypothèses d'une révision des dispositions relatives à l'affichage public et de l'extension de l'application du chapitre sur la langue d'enseignement l'enseignement collégial;3) dégager des perspectives et des priorités d'action pour l'avenir de la langue française au Québec; présenter des recommandations au gouvernement du Québec visant à assurer l'usage, le rayonnement et la qualité de la langue française au Québec.
Afin d'orienter la réflexion sur des sujets précis, la commission a tenu, en janvier, février et mars 2001, un certain nombre de journées thématiques sous forme de colloques publics durant lesquels spécialistes et chercheurs ont partagé leurs opinions et leurs connaissances. Le rapport fut remis au gouvernement de Bernard Landry (Lucien Bouchard ayant démissionné en janvier 2001) en septembre 2001. À partir des recommandations du rapport Larose, le gouvernement du Québec a décidé pour une approche en douceur. Certaines recommandations, assez controversées, comme la «constitutionnalisation» de la Charte de la langue et la création d'une «citoyenneté québécoise», semblent avoir été repoussées par Québec. |
Au printemps de 2002, le gouvernement devrait déposer une série d'amendements à la Charte de la langue française dans le but de fusionner en un seul «Conseil québécois de la langue française», les quatre organismes créés par la loi de 1977 (l'Office, le Conseil de la langue française et la Commission de protection de la langue française, de même que la Commission de toponymie). Compte tenu des délais prévisibles sur un projet de loi aussi important, il est peu probable que ces changements soient effectifs avant 2003. En réalité, les décisions prises par Québec paraissent sans aucune mesure avec les revendications des militants péquistes de Montréal en 1998 lorsque Lucien Bouchard avait songé aux états généraux sur la langue française.
Dans la suite des modifications proposées par le rapport Larose, le gouvernement Landry opte pour une augmentation relativement importante du temps consacré à l'apprentissage du français au secondaire. De 150 heures par année, actuellement, les élèves du secondaire verront le temps consacré à leur langue maternelle augmenter du tiers, à 200 heures. Le ministre de l'Éducation a aussi indiqué que la maîtrise du français deviendrait une condition obligatoire pour l'obtention d'un diplôme universitaire. Les futurs enseignants, quelle que soit leur discipline, devront réussir un examen de français. La commission Larose préconisait un examen unique pour l'ensemble du Québec, mais le ministre de l'Éducation a convenu que les universités pourraient y aller de leurs propres tests. Enfin, une autre mesure importante découlant des états généraux sur la langue française consistera en un meilleur enseignement de... l'anglais. Il est vrai que beaucoup de parents francophones souhaitent depuis longtemps une amélioration de l'enseignement de l'anglais langue seconde. C'est pourquoi le ministère de l'Éducation insistera auprès des commissions (conseils) scolaires pour la multiplication des programmes d'anglais intensifs en 5e et en 6e années. Déjà, 9 % des écoles proposent ces programmes dans lesquels l'anglais occupe à lui seul quelques mois de l'année scolaire, les autres matières sont concentrées sur le reste de l'année. Enfin, un vieux problème sera réglé: on colmatera la brèche de la loi offrant possibilité pour les parents francophones et allophones d'envoyer leurs enfants au réseau scolaire anglophone en les inscrivant momentanément à l'école anglaise non subventionnée.
En somme, le gouvernement se contente d'«ajustements» avec comme toile de fond une ouverture des marchés commerciaux, ce qui ne pouvait être prévue il y a 25 ans au moment de l'adoption de la Charte. Pour l'ex-président Larose, il y a lieu de s'interroger sur le report des propositions plus «structurantes» telles que la citoyenneté et l'introduction dans la Charte des droits linguistiques: «Je comprends si le gouvernement trouve ces positions délicates à l'approche d'une élection et que c'est partie remise.»
Pour la suite, le nouveau gouvernement libéral de Jean Charest semble poursuivre la politique du gouvernement précédent, c'est-à-dire ne pas faire de vagues et ne pas toucher à la Charte de la langue française. Au Canada anglais, l’arrivée au pouvoir de Jean Charest a été interprétée comme «la fin du problème québécois». On verra bien, mais ce premier ministre reste, comme les autres avant lui, un Québécois, il ne faudrait pas l'oublier.
9 La langue des Québécois francophones
Depuis le début des années soixante-dix, le français du Québec a beaucoup évolué dans le sens dune certaine standardisation. Dans la langue parlée, les prononciations les plus stigmatisées, celles qui sont les plus éloignées du français dit standard, ont commencé à régresser. Le vocabulaire du Québécois moyen sest considérablement enrichi et les anglicismes ont aussi diminué. Néanmoins, les études menées par deux professeurs de lUniversité de Sherbrooke, Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière, montrent que la perception qu'ont les Québécois de leur langue révèle un bilan assez négatif:
Le dossier est noir et continue d'être noirci, de façon cyclique, par certains journalistes et par une partie de notre élite. La piètre qualité de notre langue est un «problème de société», clament ces derniers!
Il semble que le français écrit et parlé au Québec ne corresponde pas toujours à un français de qualité. De nombreuses plaintes s'élèvent quant à la formation insuffisante des nouveaux diplômés à ce sujet. Dailleurs, plusieurs d'entre eux éprouvent de grandes difficultés à s'exprimer de façon claire, que ce soit par écrit ou oralement. Il en est ainsi pour beaucoup de personnes déjà actives sur le marché du travail. Cette lacune est actuellement ressentie par les intéressés eux-mêmes, qui la perçoivent souvent comme un véritable handicap dans le cheminement de leur carrière. On peut donc croire à un consensus social sur la nécessité d'améliorer le français parlé et écrit du Québec. Le français des Québécois s'est adapté à leur réalité nord-américaine et il exprime parfaitement leur monde, leurs valeurs, souvent différentes de celles des Français.
Pour les linguistes Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière, le français québécois est une «variété nationale de français». On observe dans ce français régionalisé non seulement des mots de niveaux de langue familier et populaire, des anglicismes et des emplois critiqués, mais également un niveau standard, qu'on appelle le français québécois standard et qui sert de modèle, de norme, à l'oral comme à l'écrit, pour tous les Québécois et Québécoises. Bref, même si les Québécois ont cessé de considérer leur français comme un «jargon inintelligible», si leur français n'est plus une «catastrophe», il ne constitue pas encore, du moins à leurs yeux, un «succès». Dans l'ensemble, on pourrait dire que ce français se situe à mi-chemin sur une échelle comprenant les deux extrêmes «mauvais» et «excellent». Il est vrai que, par rapport à au chemin parcouru, le français québécois s'est rapproché du français dit international. Contrairement à ce qui sest passé depuis la Conquête anglaise, il est certain que, dans les années à venir, le français québécois ne pourra plus évoluer en vase clos.
Toute l'histoire de la langue française du Québec montre un incessant combat pour assurer la survie du peuple francophone de la seule province française du Canada. La langue et le peuple sont tellement imbriqués lun dans lautre quil est impossible de parler des Québécois sans parler de leur langue. Depuis la Conquête britannique, on peut dire quun décalage, sinon un fossé, a toujours existé entre le français du Québec et le français de France. Ce décalage sest amplifié au cours du siècle suivant la Conquête au point où les anglicismes ont fini par creuser un véritable fossé entre les deux variétés de français. Toutefois, il semble bien que cet écart soit définitivement arrêté pour amorcer un certain rapprochement. Pour les Français, le parler québécois, au demeurant «charmant» avec son «joli accent», est souvent perçu comme «exotique» mais pas mauvais. Pour les Québécois, il est souvent considéré comme allant de «correct» à «mauvais», mais auxquels ils s'identifient sans nul doute.
Laugmentation de la scolarisation a sûrement été lun des causes majeures de la standardisation du français, mais ce ne fut pas la seule. Le développement des médias électroniques et celui des communications internationales ont aussi contribué à rétrécir les écarts entre le français du Québec et le français de France. Mais il a fallu compter surtout sur la mainmise de lÉtat québécois dans le développement de lidentité collective et sur la progression économique des francophones dans les activités industrielles et commerciales. Non seulement les Canadiens français de 1960 sont devenus en l'an 2000 des Québécois nés pour autre chose que pour «un petit pain», mais ils réclament maintenant leur juste part du gâteau.
Quant aux batailles linguistiques sur le plan politique, celles-ci ne semblent plus aussi nécessaires qu'auparavant. Si l'objectif des francophones du Québec était de rendre le Québec aussi français que l'Ontario était anglais, les résultats semblent maintenant assez positifs dans la mesure où le Québec était tellement assujetti à l'anglais et au monde anglo-saxon. Les résultats les plus manifestes concernent sans nul doute la scolarisation en français des immigrants, la francisation du monde du travail et de l'affichage commercial, sans compter la bilinguisation des organismes fédéraux. Les progrès depuis quarante ans ont été très considérables à tel point qu'on peut affirmer que le français n'est plus en péril au Québec. Au contraire, il se porte plus fort qu'il ne l'a jamais été. Cette force du français au Québec est pour plusieurs analystes l'une des principales raisons pour lesquelles le mouvement souverainiste s'affaiblit depuis quelques années. Certes, les sentiments nationalistes constitueront toujours un facteur important, surtout en période de crise, mais pour le moment la confiance des Québécois à l'égard de leur langue n'a cessé de croître. Paradoxalement, au fur et à mesure que la langue française s'affirme, le mouvement souverainiste perd de ses appuis.
Toutefois, malgré les lois linguistiques et les succès indéniables du français au Québec, la majorité francophone n'est pas encore au bout de sa peine. Les problèmes liés à la dénatalité et à l'immigration constituent des défis de taille, et ils n'ont rien à voir avec les «Anglais»! Le défi démographique est plus grave que les questions d'ordre économique et constitutionnel. Si la société francophone du Québec refuse d'y faire face, elle aura perdu dans quelques décennies le «caractère distinct» qui a contribué à sa survie au Canada. Comme les droits constitutionnels résident en partie dans le poids démographiques qu'ils représentent au Canada, les francophones risquent de revivre avant longtemps les conflits linguistiques. Lorsque les Québécois commenceront à représenter moins de 20 % de la population canadienne, le rapport de force diminuera encore entre francophones et anglophones (à la faveur de ces derniers), tant au Canada qu'au Québec. Dans le cadre de l'actuelle fédération canadienne, les conflits sont là pour durer et la marmite linguistique risque de renverser au cours des prochaines décennies. Même si la langue française se portait bien, son statut, lui, sera vraisemblablement réévalué... à la baisse par la majorité anglophone du Canada. Toutefois, si le Canada et le Québec restent un foyer de tensions linguistiques, rien n'est comparable au mur qui sépare francophones de Bruxelles et Flamands en Belgique. Par comparaison, les rapports entre francophones et anglophones au Canada semblent un «véritable jardin de roses».
Cela dit, on peut croire, à la
lecture de l'histoire du français au Québec, que la langue française, dans le
contexte géographique canadien et nord-américain, aura toujours besoin d’être
soutenue par des mesures particulières, politiquement interventionnistes,
parfois coûteuses, et pouvant entraîner aussi des bénéfices dans la mesure où
le français devient de plus en plus utile, indispensable et rentable sur le
plan économique. Quoi qu’il en soit, le Québec continuera inévitablement
d’évoluer dans un environnement continental fortement marqué par la présence
de l’anglais. Ce constat fait partie du destin du Québec et il vaut mieux
apprendre à composer avec cette réalité que de la nier.
D’ailleurs,
le Québec n’a-t-il pas réussi jusqu’ici à échapper à l’assimilation
britannique, à l’annexion américaine et à la domination anglo-canadienne?
L'histoire nous enseigne que les Québécois ont franchi bien des obstacles,
qu’ils continuent toujours de vivre en français, qu’ils sont devenus «eux-mêmes»
et qu’ils sont disposés à partager leur patrimoine avec tous les citoyens du
Québec. Cette appropriation du passé et du présent laisse croire que le Québec
peut se tourner vers l’avenir pour construire une nouvelle société dans le
partage d’une langue commune, le français.
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(1) La Nouvelle-France (1534-1760) |
(2) Le régime britannique (1760-1840) |
(3) L'Union et la Confédération (1840-1960) |
(4) La modernisation du Québec (1960-1981) |
(5) Réorientations et nouvelles stratégies (de 1982 à aujourd'hui) |
(6) Bibliographie |
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