USA drapeau à 20 étoiles
Drapeau des États-Unis
en 1818

Histoire sociolinguistique
des États-Unis

(5) L'Amérique anglocentrique

(1790-1865)

Avis: cette page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien.

Plan de l'article

1 La «supériorité» de la race blanche anglo-saxonne

1.1 Le peuple élu
1.2 La suprématie anglo-saxonne
2.3 Le vent de la xénophobie

2 Les exclus: les Noirs, les Indiens et les Chicanos

2.1 Les Noirs
2.2 Les Indiens
2.3 Les Californios
2.4 Les Asiatiques
3 La campagne abolitionniste

4 La guerre de Sécession (1861-1865)

4.1 Lincoln et l'esclavage
4.2 la guerre civile

5 La défaite du Sud et la discrimination raciale

5.1 La mainmise du Nord sur le pays
5.2 L'abolition de l'esclavage
5.3 L'infériorité sociale des Noirs

Au cours de la décennie 1790-1800, quelque 50 000 Européens émigrèrent vers les États-Unis. De 1800 à 1810, ce nombre passa à environ 70 000, puis à 114 000 entre 1810 et 1820. À partir de 1832, le rythme annuel fut de l'ordre de 60 000 pour atteindre les 100 000 en 1842 et passer à 400 000 au début des années cinquante et redescendre ensuite pour se situer entre 150 000 et 200 000. On compte cinq millions d'entrés entre1815 et 1860, dont 2,7 millions des îles Britanniques et 1,5 million d'Allemagne, des pays scandinaves et des Pays-Bas. Bref, ce sont des Européens, dont plus de la moitié provenait de la Grande-Bretagne, qui peuplèrent les États-Unis dans la première moitié du XIXe siècle.

1 La «supériorité» de la race blanche anglo-saxonne

Déjà à la fin du XVIIe siècle, beaucoup d'Américains étaient convaincus de la supériorité de la race blanche (appelée souvent «caucasienne») et anglo-saxonne sur le reste de l'humanité. On peut justement caractériser cette période comme celle de l'AMÉRIQUE ANGLOCENTRIQUE, c'est-à-dire une Amérique anglophone et d'origine européenne. Les États-Unis se présentaient alors essentiellement comme une Amérique anglo-saxonne, blanche, protestante et républicaine.

1.1 Le peuple élu

Il faut considérer qu'à cette époque la plupart des Américains croyaient que les Blancs étaient supérieurs aux non-Blancs; beaucoup voyaient la présence des Noirs aux États-Unis comme un fardeau terrible ("a terrible burden"). C'était dans la tradition de l'Histoire américaine. Ainsi, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis en fonction de 1801 à 1809, croyait que les Noirs étaient mentalement inférieurs aux Blancs, tout en étant convaincu que l'esclavage était une grande injustice. En 1801, il écrivait:

However our present interests may restrain us within our own limits, it is impossible not to look forward to distant times, when our rapid multiplication will expand itself beyond those limits and cover the whole northern, if not southern continent, with a people speaking the same language, governed in similar forms and by similar laws; nor can we contemplate with satisfaction either blot or mixture on that surface. [Toutefois, nos intérêts actuels peuvent nous contenir dans nos propres limites, il est impossible de ne pas attendre des temps lointains, quand notre multiplication rapide s’étendra au-delà de ces limites et couvrir tout le Nord, sinon le continent du Sud, avec un peuple parlant la même langue, gouverné par des formes similaires et par des lois semblables; et nous ne pouvons pas non plus envisager avec satisfaction la souillure ou le mélange dans cette contrée.]

Jefferson considérait les États-Unis comme le dernier avant-poste de la marche sans cesse croissante de la race anglo-saxonne, dont la partie saxonne avait pris naissance dans la Chersonèse cimbrienne au Danemark (Jutland) et dans le Schleswig-Holstein. Il pensait qu'il ne fallait pas souiller cette race ni la mélanger avec d'autres, au risque d'effacer les origines anglo-saxonnes du peuple américain. Jefferson croyait que les Blancs avaient un mandat clair:« Tout ce vaste continent est destiné à tomber sous le contrôle de la race anglo-saxonne, la race gouvernante et autogouvernante» ("This whole vast continent is destined to fall under the control of the Anglo-Saxon race, the governing and self-governing race”). Les Américains ont alors pris pour acquis que l'Amérique devait être peuplée d'Européens, sans métissage (appelé "amalgamation"), et que la civilisation américaine ne pourrait pas se perpétuer sans les Blancs. Cependant, depuis l'époque de Jefferson, la composition démographique a bien changé aux États-Unis. 

En 1844, un ouvrage dont le titre était Vestiges of the Natural History of Creation, parut à Londres sous un pseudonyme, Robert Chambers (1802-1871). C'était quinze ans avant la publication de L'Origine des espèces de Charles Darwin. Chambers soutenait que la branche «caucasienne» était la plus haute et la plus achevée de «l’arbre de l’évolution». Il concluait que les nègres au bas des Mongols et les Caucasiens au sommet. Il enseignait que «les différentes races de l'humanité, sont simplement... des étapes dans le développement du type le plus élevé ou caucasien» et que les Noirs étaient les moins développés et les Caucasiens, la race la plus élevée et la plus évoluée. La plupart des dessins des «singes-hommes» et des premiers humains montraient des traits prononcés de la négroïde. Son livre connut quatre éditions en sept mois et se vendit à 24 000 exemplaires, donc une quantité très élevée pour l’époque. De son côté, Darwin jugea très sévèrement l'ouvrage de Chambers, car il n'était basé sur aucune preuve scientifique.

Les Américains se considéraient alors comme «le plus dynamique et le plus énergique de ces peuples aryens» qui avaient envahi l’Occident en revivifiant l’Empire romain, et qui s’étaient répandus dans toute l’Europe jusqu’en Angleterre et avaient traversé l’Atlantique dans leur formidable marche vers l’ouest. En fait, les Américains étaient comme «un peuple élu» de Dieu, dont la destinée était de dominer l'Amérique et, éventuellement, le monde.

En 1914, George William Hunter publiait A Civic Biologie. Il concluait son livre ainsi sur la supériorité des Caucasiens, les Blancs civilisés d'Europe et d'Amérique:

The Races of Man.

At the present time there exist upon the earth five races or varieties of man, each very different from the other in instincts, social customs, and, to an extent, in structure. These are the Ethiopian or negro type, originating in Africa; the Malay or brown race, from the islands of the Pacific; the American Indian; the Mongolian or yellow race, including the natives of China, JapaIi, and the Eskimos; and finally, the highest type of all, the Caucasians, represented by the civilized white inhabitants of Europe and America.

[Les races humaines

À l'heure actuelle, il existe sur la terre cinq races ou variétés humaines, chacune très différente de l'autre dans les instincts, les coutumes sociales et, dans une certaine mesure, dans la structure. Ce sont le type éthiopien ou nègre, originaire d'Afrique; la race malaise ou brune des îles du Pacifique; l'Indien d'Amérique; la race mongole ou jaune, y compris les indigènes de la Chine, du Japon et les Esquimaux; enfin, le type le plus élevé de tous, les Caucasiens, représentés par les Blancs civilisés d'Europe et d'Amérique.]

Hunter croyait que dans le futur les races civilisées de l'homme extermineront et remplaceront presque partout les races sauvages. En même temps, les singes anthropomorphes, ceux ayant ou suggérant une forme ou une apparence humaines, seront sans doute exterminés. Ce livre fut tellement célèbre qu'il est devenu le manuel de science populaire que l'État du Tennessee a exigé des professeurs dans les écoles secondaire.

Abraham Lincoln considérait les Noirs des États-Unis comme une «présence gênante» ("a troublesome presence"). Il croyait à la supériorité de la race blanche sur la race noire (dans Speeches and Writings, 1832-1858):

I will say, then, that I am not nor ever have been in favor of making voters or jurors of negroes, nor of qualifying them to hold office, nor to intermarry with white people; and I will say in addition to this that there is a physical difference between the white and black races which I believe will for ever forbid the two races living together on terms of social and political equality. And inasmuch as they cannot so live, while they do remain together there must be a position of superior and inferior, and I as much as any other man am in favor of having the superior position assigned to the white race. [Je dirai donc que je ne suis pas et que je n'ai jamais été favorable à la mise sur pied d'électeurs ou de jurés composés de nègres, ni pour les former à exercer des fonctions, ni en faveur de les marier avec des Blancs; et je dirai en plus de ceci qu'il y a une différence physique entre la race blanche et la race noire qui, je crois, interdira à jamais aux deux races de vivre ensemble sur la base de l'égalité sociale et politique. Et dans la mesure où ils ne peuvent pas vivre ainsi, même s'ils coexistent, il faut qu'il y ait un statut de supériorité et d'infériorité, et moi-même, comme n'importe quel autre homme, je suis en faveur d'attribuer le statut de supériorité à la race blanche.]

En 1845, à la suite de l'annexion du Texas, John O'Sullivan, le rédacteur en chef de la Democratic Review, utilisa par la suite cette formule désormais célèbre, "Manifest Destiny" :

It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions. [C'est notre destinée manifeste que de se répandre sur le continent que la Providence lui a assigné afin de permettre le libre développement de notre population qui croît annuellement de plusieurs millions d'individus.]

En termes simples, cette "Manifest Destiny" laissait croire que les Américains étaient destinés par Dieu à gouverner le continent nord-américain. Le Congressional Globe du 11 février 1847 publiait la lettre d'un lecteur (M. Giles) du Maryland:

Nous devons marcher d'un océan à l'autre. [...] Nous devons progresser du Texas directement vers le Pacifique et ne nous arrêter que face à ses flots grondants. [...] C'est la destinée de la race blanche, la destinée de la race anglo-saxonne.

Comme on peut le constater, cette idéologie de la suprématie anglo-saxonne, avec toutes les transformations du paysage, de la culture et des croyances religieuses qui en découlent, a des racines profondes dans la culture américaine.

1.2 La suprématie anglo-saxonne

Un peu plus tard, un historien et sociologue français, Edmond Demolins (1852-1907), qui avait fondé en 1886 la revue La Science sociale, publiera en 1897 un livre qui obtint un succès international (traduit en huit langues: anglais, allemand, italien, russe, espagnol, polonais, japonais et arabe): À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons? Demolins établit une comparaison des systèmes d'éducation allemand, anglais et français. Selon le sociologue, les Anglais feraient preuve de «perspectives», car ils veulent développer très tôt l'indépendance de leurs enfants vis-à-vis de leurs parents en formant des adultes autonomes ayant une bonne estime d'eux-mêmes. Cette éducation préparerait donc les jeunes à créer des entreprises agricoles, industrielles et commerciales... alors qu'en Allemagne ou en France on ne rêverait que d'armée et de fonction publique!

La supériorité des Anglo-Saxons! Si on ne la proclame pas, on la subit et on la redoute; les craintes, les méfiances, et parfois les haines que soulève l'Anglais l'attestent assez haut.

Nous ne pouvons faire un pas à travers le monde, sans rencontrer l'Anglais. Nous ne pouvons jeter les yeux sur nos anciennes possessions, sans y voir flotter le pavillon anglais.

L'Anglo-Saxon nous a supplantés dans l'Amérique du Nord que nous occupions depuis le Canada jusqu'à la Louisiane, dans l'Inde, à Maurice, l'ancienne île de France, en Égypte. Il domine l'Amérique par le Canada et les États-Unis [...].

En 1890, plus de 125 000 Américains (sur une population de 63 millions) possédaient la moitié de la richesse nationale, une situation justifiée par le darwinisme social du philosophe britannique Herbert Spencer (1820-1903), ainsi que par la soi-disant supériorité de la «race anglo-saxonne» et, bien sûr, la  «volonté de Dieu». Il faut souligner que, même si l'esclavage demeurait l'apanage du Sud, le racisme était tout aussi étendu dans le Nord. Il faudra une longue guerre pour ébranler l'un et l'autre.

Stimulé par les inventions de la révolution industrielle, le Nord-Est, peuplé par la «race anglo-saxonne», connaissait un extraordinaire essor économique. Grâce au protectionnisme, les industries se développaient en Nouvelle-Angleterre (filature, tissage, etc.), multipliant les centres urbains. Les canaux et les voies ferrées produisirent un impact décisif sur l’évolution de villes comme Boston, New York, Philadelphie et Baltimore, qui purent accéder facilement aux produits et aux marchés de l’Ouest.

1.3 Le vent de la xénophobie

Une grande partie de la population américaine se laissa gagner par la xénophobie. En 1849, une vague d'immigration irlandaise provoqua une réaction de rejet de la part des Américains de souche (les «native born»), qui se méfiaient de ces nouveaux arrivants catholiques (des «papistes») peu familiers avec la démocratie; on les soupçonnait d'être de connivence avec le Vatican! Un mouvement nativiste se développa, à la fois anti-irlandais, anticatholique et partisan d'une sévère restriction de l'immigration. Cependant, les autorités n'adoptèrent aucune législation en ce sens avant 1888, lorsqu'une loi finit par limiter l'immigration chinoise. Évidemment, on peut se demander quelle place, dans un tel contexte, il restait aux minorités, c'est-à-dire les Noirs, les Indiens, les Mexicains (et autres hispanophones) et les Asiatiques!

Durant ce temps, les États du Sud, peuplés par la «race latine» (les descendants des Espagnols et des Français), s'étaient spécialisés dans la production du tabac et du coton. Ils avaient développé de vastes plantations en exploitant la main-d’œuvre servile noire, renforçant du même coup l’économie esclavagiste dont le Nord réclamait la suppression au nom de la démocratie américaine. Vivant essentiellement du commerce du coton, ces États étaient, pour leur part, favorables au libre-échange. Les divergences d’intérêts entre le Nord, industriel, protectionniste et abolitionniste, et le Sud, agricole, esclavagiste et libre-échangiste, allèrent en s’aggravant, notamment sur la question de l’esclavage. Or, supprimer l'esclavage signifiait non seulement le morcellement de la propriété, mais aussi la ruine matérielle des planteurs et l'effondrement de cette société qui leur paraissait préserver des valeurs de civilisation supérieures à celles des Yankees (les Blancs du Nord).

2 Les exclus: les Noirs, les Indiens et les Chicanos

Le recensement de 1860 dénombrait quelque 23,1 millions d'habitants aux États-Unis, dont près de quatre millions d'esclaves vivant dans les 15 États esclavagistes du Sud à côté de huit millions de Blancs (sur un total de 19 millions). Cependant, sur les huit millions de Blancs que comptaient les États esclavagistes, seulement 385 000 possédaient des esclaves, soit 4,8 % de la population. De plus, parmi ceux qui détenaient du cheptel humain, la moitié n'avait que cinq esclaves ou moins, mais 10 000 Blancs en avaient plus de 50 et 3000 d'entre eux, plus de 100.  Précisons que seulement 13 «barons du coton» possédaient plus de 500 esclaves. Au plan numérique, les planteurs formaient donc une petite minorité qui dominait toute la société américaine. Leur genre de vie constituait un modèle, alors que leur influence politique et économique était incontournable. En même temps, l'esclavage avait pris un essor imprévu: jamais il n'avait autant prospéré. La Grande-Bretagne avait aboli l'esclavage en 1833 dans ses colonies; la France avait fait de même en 1848. L'esclavage était partout en recul ailleurs dans le monde, sauf aux États-Unis où en se développant il était devenu encore plus inhumain.

2.1 Les Noirs

L'esclavage était autorisé dans le Sud (en vertu de la Constitution de l'Union), mais interdit dans tous les futurs États situés au-dessus du 36e parallèle. La proportion des esclaves variait d'un État à l'autre: près de 50 % en Caroline du Sud et dans le Mississippi, plus de 40 % en Louisiane, en Alabama, en Floride et en Géorgie, seulement 13 % dans le Maryland, 10 % dans le Missouri et quelque 1,5 % dans le Delaware. Il restait quelque 260 000 Noirs émancipés lors de la Révolution, vivant dans des conditions difficiles et disposant de droits limités. Contrairement à ce qui s'est passé dans les Antilles, les esclaves noirs américains n'ont pas développé de créole, sauf en Louisiane. Ils ont parlé anglais dès le début de leur installation dans les plantations. Les Noirs demeurèrent une minorité raciale, non une minorité linguistique comme les Indiens et les Mexicains.

La situation juridique des esclaves était à peu près la même partout dans le Sud. Non seulement ils ne pouvaient posséder de propriété, mais ils ne pouvaient ni se déplacer ni se marier sans l'autorisation du maître, ni apprendre à lire ou à écrire. Beaucoup de tribunaux de l'époque ont condamné des Blancs à de fortes amendes parce qu'ils avaient montré à des Noirs à lire et à écrire. En revanche, ceux qui, à l'occasion, furent accusés d'avoir mis à mort l'un de leurs esclaves ont tous été acquittés. 

2.2 Les Indiens

Pour ce qui était des Indiens, leur sort s'aggrava après l'indépendance. Considérés comme «sauvages», la Constitution les traita comme des nations étrangères, tenues hostiles par les dirigeants américains qui attribuèrent les relations avec les indigènes au secrétaire à la Guerre. Pour Thomas Jefferson, la situation paraissait très claire: «Vendez vos terres, adoptez l'économie agrairienne, défaites-vous de vos coutumes tribales, et vous pourrez devenir des citoyens américains.»

Ou bien les Indiens acceptaient de se «civiliser» après avoir cédé leurs terres, ou bien ils se fondaient dans la masse des citoyens américains. Les États-Unis avaient reçu de la Providence  la mission de conquérir le continent entier, donc de le mettre en valeur, afin de faire bénéficier l'ensemble des autochtones des «vertus de la civilisation». Évidemment, jamais la question des langues autochtones n'a même effleuré l'esprit des dirigeants américains.

Des politiques linguistiques restrictives furent rapidement adoptées. Ainsi, les Américains voulurent «civiliser» les Indiens. En 1868, La Indian Peace Commission (citée dans Report of the Commissioner of Indian Affairs, Government Printing Office, 1887) recommandait de pacifier les tribus des Grandes Plaines: 

In the difference of language to-day lies two-thirds of our trouble. […] Through sameness of language is produced sameness of sentiment, and thought. […] Schools should be established, which children should be required to attend; their barbarous dialects should be blotted out and the English language substituted. [Les deux tiers de nos ennuis proviennent aujourd'hui des différences linguistiques. [...] L'identité de la langue entraîne l'identité des sentiments et de la pensée. [...] Les écoles devraient être fondées, les enfants tenus de les fréquenter, de sorte que leurs dialectes barbares soient supprimés et remplacés par la langue anglaise.]

À partir des années 1880, un grand nombre d'enfants indiens furent forcés de fréquenter des écoles unilingues anglaises. Dans ces écoles, on imposait des punitions très sévères à l'encontre des élèves surpris à utiliser leur langue ancestrale. Une telle politique s'est poursuivie jusque dans les années 1960. Entre-temps, des mesures similaires furent appliquées pour assimiler les Portoricains, les Hawaïens et les Philippins.

Pour sa part, en 1901, le président Theodore Roosevelt n'avait pas une meilleure impression pour les Indiens qu'il n'en avait pour les Noirs:

I don’t go so far as to think that the only good Indians are the dead Indians, but I believe nine out of ten are, and I shouldn’t inquire too closely into the health of the tenth. [Je n'irais pas jusqu'à penser que les seuls bons Indiens sont les Indiens morts, mais je crois que neuf fois sur dix ils sont, et je ne devrais pas trop enquêter attentivement, à la charge du dixième.]

2.3 Les Californios

Rappelons qu'après 1848 les États-Unis prirent possession des territoires arrachés au Mexique. Les populations locales qui y vivaient — plus de 75 000 personnes — ne parlaient que l'espagnol ou une langue amérindienne (plus rarement). Fait à noter, l'article 9 du traité de Guadalupe-Hidalgo garantissait aux Mexicains le maintien de leurs propriétés et le respect de leur religion. Aucune disposition n'était prévue pour la langue espagnole. Toutefois, en assurant que les habitants du pays devaient continuer à bénéficier des mêmes droits et privilèges que sous leur ancien gouvernement, le traité sous-entendait qu'ils devaient être gouvernés comme ils l'étaient auparavant. C'est dans cet esprit que les lois ont continué durant quelque temps d'être traduites et imprimées en espagnol. Dès 1849, les Californios (Californiens) avaient inclus des dispositions dans leur constitution stipulant que toutes les lois devaient être publiées en espagnol. 

Mais les dispositions du traité de Guadalupe-Hidalgo furent vite oubliées par les nouveaux conquérants. Les Américains considérèrent l'imposition de la langue anglaise comme une nécessité primordiale: c'était un instrument de pouvoir sur ces populations. En 1855, l'anglais fut décrété la seule langue de l'instruction publique, ce qui excluait les Californios, ceux qu'on appelait aussi les Chicanos (aujourd'hui confondus avec les Hispaniques).

Dès 1858, le nouvel État de la Californie créait des écoles séparées pour les «races inférieures», afin d'éviter que les Californios et les Indiens s'intègrent dans le système d'éducation publique et contaminent les Blancs. Tous les nouveaux élèves mexicains furent envoyés dans les écoles séparées sous prétexte que leurs «déficiences linguistiques» les empêchaient de partager les mêmes écoles que ceux qui parlaient anglais. Un jeune journaliste chicano, Francisco Ramirez, écrivait en 1856 dans son journal El Clamor Pùblico:

Les Américains prétendent nous donner des leçons d'humanité et nous apporter la doctrine du salut afin que nous puissions nous gouverner nous-mêmes; ils disent respecter les lois et préserver l'ordre. Et pourtant, ils nous traitent plus mal que des esclaves.

En fait, le concept de ségrégation raciale fut étendu aux Californios. Ces écoles séparées furent maintenues jusque vers les années 1870. L'école publique anglaise devint ensuite le principal instrument d'américanisation et d'anglicisation des populations autochtones. Les Chicanos empruntèrent à l'anglais les termes de la réalité américaine pour lesquels ils ne connaissaient pas les équivalents dans leur langue. Par la suite, l'espagnol du sud-ouest des États-Unis fut inondé d'anglicismes provenant du contact des deux populations. Dans les écoles publiques, il était interdit de parler espagnol. Au besoin, l'interdiction était renforcée par des châtiments humiliants. Tout signe extérieur d'appartenance à la communauté mexicaine devint l'objet d'un profond mépris de la part des Anglos. C'est pourquoi de nombreux Chicanos en vinrent à vouloir nier leurs origines mexicaines en changeant de nom ou en prétendant ignorer l'espagnol. Mais ce n'était pas toujours aussi simple, comme l'a bien constaté le Latino Arturo Madrid-Barela. Il écrivait au sujet des Hispaniques des années 1920, dans un article de 1976 («Pochos: The Different Mexicans») paru dans la revue Aztlán :

Nous apprenions assidûment l'anglais en essayant d'éliminer nos ''accents'', nous enrichissions notre vocabulaire. Nous étions fiers du compliment ''vous parlez bien l'anglais'' sans oublier toutefois que ça voulait dire ''pour un Mexicain''. Du point de vue linguistique, nous n'étions plus mexicains, mais notre nouvelle langue ne nous rendait pas américains. Même si nous parlions comme les Américains, ils nous considéraient toujours comme des ''Meskins''.

Jusque dans les années soixante, les élèves hispanophones de la vallée du Rio Grande furent détenus après les heures de classe — ce fut l'ère de la Spanish detention — pour avoir parlé espagnol. 

2.4 Les Asiatiques

À ces exclus il faut ajouter les Asiatiques qui avaient commencé à immigrer aux États-Unis à partir du milieu du XIXe siècle. Afin de faire face aux besoins croissants des nouvelles agglomérations, les États-Unis firent appel aux travailleurs asiatiques. En 1852, quelque 20 000 Chinois débarquèrent à San Francisco. Quelques années plus tard, en 1858, le gouvernement américain fit venir 25 000 autres Asiatiques pour travailler à la construction du premier transcontinental ferroviaire. Ces Asiatiques ne furent pas considérés comme des citoyens américains, mais comme de simples travailleurs dont les droits demeurèrent aussi limités que ceux des Indiens.  Dès 1854, les Américains envisagèrent de renvoyer les Chinois chez eux; comme l'opération était estimée à sept millions de dollars et qu'il manquait de bateaux, on laissa tomber. Puis, en 1863, on interdit aux enfants chinois de fréquenter les écoles publiques.

En 1870, on imposa une taxe pouvant aller jusqu'à 5000 $ aux individus qui faisaient venir un Chinois dépourvu d'un certificat de bonne moralité. Sous la pression des politiciens de l'Ouest, le Congrès déposa en 1879 un projet de loi interdisant aux bateaux ayant plus de 15 Chinois à son bord d'accoster aux États-Unis, mais la loi ne fut pas appliquée, car le président Rutherford Hayes y apposa son veto, la loi se révélant contraire au traité de Burlingame. En vertu de ce traité signé le 28 juillet 1868 avec la Chine, les États-Unis s'étaient interdits de réglementer l’immigration des travailleurs chinois.

Toutefois, en 1880,  un nouveau traité avec la Chine autorisa les États-Unis à «réglementer, limiter ou suspendre» l'immigration chinoise, mais ne pouvait pas l'interdire totalement. En 1882, le Congrès vota la Chinese Exclusion Act ("Loi d'exclusion des Chinois"); le gouvernement pouvait ainsi suspendre l'immigration de ressortissants chinois, tandis que le Congrès prenait les mesures nécessaires pour sa mise en application rapide. La loi resta en vigueur pendant dix ans, avant d'être renouvelée, puis ensuite étendue aux Japonais. En 1885, l’entrée de travailleurs sous contrat, surtout les Chinois, fut prohibée, alors qu'en 1888 la législation américaine autorisa l’expulsion des «immigrants illégaux». Par la suite, tous les Asiatiques furent considérés comme des «Mongolians».

3 La campagne abolitionniste

De 1840 à 1865, le débat politique aux États-Unis fut entièrement dominé par la question de l’esclavage et resta le principal sujet de dissension entre les États du Nord et ceux du Sud. Le mouvement abolitionniste prit naissance essentiellement dans le Nord. Des sectes religieuses se multiplièrent et favorisèrent l'idéologie abolitionniste; la presse se fit aussi le défenseur du mouvement. On peut dire aussi que c'est l'expansion territoriale qui a entraîné la guerre de Sécession en ouvrant la porte aux antagonismes entre le Nord et le Sud. Les nouveaux territoires allaient-ils accepter les esclaves ou non? En réalité, l'accession de chaque nouveau territoire au statut d'État remettait en question le fragile équilibre entre États esclavagistes et États abolitionnistes.

Le Nord s’unifia progressivement dans la dénonciation de l’esclavage, toujours toléré par la Constitution de l'Union. À la fin du XVIIIe siècle, tous les États situés au nord du Maryland en exigèrent l’abolition. En 1808, le Congrès interdit toute nouvelle importation d’esclaves aux États-Unis. Le Sud, de son côté, luttant obstinément pour maintenir l’équilibre entre les États libres et les États esclavagistes, se lança dans une course au peuplement des régions de l’Ouest. Le gouvernement fédéral, soucieux de préserver l’Union, proposa des compromis. Le clivage s’accentua dans les années 1830, lorsqu’une mésentente opposa le Sud et le Nord sur l’autorisation de l’esclavage dans les nouveaux territoires de l’Ouest: Texas, Oregon, Californie, Nouveau-Mexique. Le Sud défendait fortement la candidature du Texas esclavagiste, le Nord s’y opposait. Le Texas entra finalement dans l’Union en décembre 1845 en tant qu’«État esclavagiste», sous la présidence de James K. Polk (1845-1849), successeur de Martin Van Buren (1837-1841), de William H. Harrison (1841) et de John Tyler (1841-1845). C'est que le Sud avait besoin de nouvelles terres pour étendre le «royaume du coton» dont la culture épuisait les sols; il cherchait à faire adopter par les nouveaux États des constitutions admettant l'esclavage. Mais l'introduction de l'esclavage dans ces États signifiait aussi l'éviction des fermiers libres, donc une concurrence pour l'économie du Nord.

La lutte entre le Nord et le Sud pour tolérer ou interdire l’esclavage dans les États nouvellement acquis s’amplifia sous les présidences de Zachary Taylor (1849-1850) et de Millard Fillmore (1850-1853). Elle aboutit, sous la présidence de Franklin Pierce (1853-1857), au compromis du Kansas-Nebraska (1854), stipulant que les nouveaux États se prononceraient eux-mêmes pour ou contre l’esclavage.

En 1858, le Parti républicain obtint, pour la première fois, le contrôle et la majorité de la Chambre des représentants. En 1860, la scission du Parti démocrate assura l’élection du candidat républicain Abraham Lincoln (1861-1865), anti-esclavagiste avoué, qui succédait au président James Buchanan (1857-1861). Ce fut le début d'une longue ère républicaine: les républicains allaient occuper la Maison-Blanche pendant quatre-vingts ans. Les figures les plus marquantes seront les présidents Lincoln, Grant, Teddy Roosevelt, Eisenhower, Nixon et Reagan. Les bastions électoraux traditionnels du parti seront la Nouvelle-Angleterre et le Centre-Ouest (MidWest). 

En résumé, les principales causes de la guerre de Sécession semblent avoir été les suivantes: le compromis de 1850, la Loi sur les esclaves fugitifs ("The Fugitive Slave Act of 1850" selon laquelle 322 fugitifs furent renvoyés à l'esclavage), la publication de La Case de l'Oncle Tom d'Harriet Stowe (1852), le décret Kansas-Nebraska (1854) du démocrate Stephen Douglas, la division du parti des Whigs entre un Parti démocrate et un Parti républicain, l'élection du président James Buchanan en 1856, un homme du Nord aux principes du Sud, puis la victoire aux élections de 1860 du candidat républicain anti-esclavagiste, Abraham Lincoln. La seule solution qui s’offrit au Sud parut alors la sécession.

4 La guerre de Sécession (1861-1865)

Mais cette sécession, ainsi que la création de la Confédération par les États du Sud, ne fut jamais reconnue par les États de l’Union, d'où l'expression de Civil War («guerre civile») employée par les Américains et non guerre de Sécession utilisée dans les ouvrages francophones.

4.1 Lincoln et l'esclavage

Lors de son discours inaugural, en mars 1861, Abraham Lincoln avait déclaré que la sécession était «illégale». Le Sud dénonça l'élection de Lincoln comme étant la victoire des abolitionnistes fanatiques. Pourtant Lincoln était partisan de la limitation de l'esclavage, mais non de sa suppression: «Nous ne devons pas nous occuper de l'esclavage dans les États où il existe, parce que la Constitution nous l'interdit, et que le bien-être général ne nous le demande pas.»

Néanmoins, le 4 février 1861, sept États sécessionnistes du Sud, la Caroline du Sud, la Géorgie, la Floride, l'Alabama, le Mississippi, la Louisiane et le Texas créèrent une nouvelle Confédération. Ces États formèrent un gouvernement provisoire et Jefferson Davis fut élu président de ladite Confédération. En avril, quatre nouveaux États esclavagistes rejoignirent la Confédération : la Virginie, l’Arkansas, la Caroline du Nord et le Tennessee. La guerre civile, généralement appelée "The Civil War", éclata le 12 avril 1861, avec l’attaque de Fort Sumter, à Charleston Harbor, par les confédérés. Cette guerre opposa les États-Unis d'Amérique («l'Union»), dirigés par Abraham Lincoln, et les États confédérés d'Amérique («la Confédération»), dirigés par Jefferson Davis et rassemblant onze États du Sud qui avaient fait sécession des États-Unis.

4.2 La guerre civile


Drapeau de l'Union de 1861

L'objectif de la guerre pour le Nord était de préserver l'Union, coûte que coûte. C'est l'objectif d'Abraham Lincoln: «Mon objectif essentiel dans ce conflit est de sauver l'Union. Ce n'est pas de sauver ou de détruire l'esclavage. Si je pouvais sauver l'Union sans libérer aucun esclave, je le ferais. Si je le pouvais en libérant tous les esclaves, je le ferais. Et si je le pouvais en en libérant quelques-uns sans toucher au sort des autres, je ferais cela aussi.» Dans le but de réintégrer les États sécessionnistes, Lincoln introduisit le service militaire pour pallier le déficit de volontaires et l’impôt sur le revenu. Sa contribution la plus connue restera la Proclamation d’émancipation libérant les esclaves dans tous les États de l’Union.

Drapeau sudiste des Confédérés
Drapeau de la Confédération de 1863

Comme par hasard, la guerre de Sécession a éclaté au moment d'une phase de baisse de la fécondité des populations anglo-saxonnes originelles! Avec une population de 22 millions d'habitants, le Nord disposait en 1861 d'un plus grand potentiel militaire. Le Sud ne comptait que neuf millions d'habitants, dont presque quatre millions étaient des esclaves noirs; et la loyauté de ces derniers envers la Confédération était douteuse. Même si, à l'origine, le Nord et le Sud s'appuyèrent sur le volontariat, la nécessité finit par forcer les deux camps à faire appel à la conscription. Avant la fin de la guerre, le Sud avait enrôlé environ 900 000 hommes et l'Union, deux millions, dont près de la moitié n'avait été recrutée que vers la fin du conflit. Cependant, malgré sa supériorité en hommes et en ressources, le Nord (les «tuniques bleues») ne partait pas nécessairement gagnant, car il lui fallait entraîner et équiper une force de combat massive à partir de volontaires inexpérimentés. Quant au Sud (les «tuniques grises»), il était doté d'une tradition militaire plus forte et disposait de beaucoup plus d'hommes expérimentés dans le maniement des armes.

La guerre s'étira sur quatre longues années. Massivement, les esclaves rejoignirent les lignes de l'Union et réclamèrent leur liberté. À la fin de la guerre, quelque 186 000 hommes noirs, généralement recrutés ou conscrits dans les États esclavagistes, s'étaient battus du côté de l'Union; dans le Sud, des Noirs s'étaient mis au service du Nord et avaient effectué des missions d’espionnage, de sabotage ou de guide. Quelque 200 000 Noirs furent recrutés dans l'armée du Nord et 38 000 furent tués au combat. L'éminent historien américain James McPherson affirme que «sans leur aide, le Nord n'aurait pas pu gagner la guerre aussi tôt et peut-être même ne l'aurait-il pas gagné du tout».

À la fin de la guerre, quelque 620 000 hommes avaient été tués et sûrement autant d'hommes avaient été blessés. Le Nord perdit au total 364 000 hommes (soit presque un soldat sur cinq) et le Sud en perdit 258 000 (soit presque un soldat sur quatre). Par la suite, plus d'hommes moururent d'épidémies et de maladies que sur le champ de bataille, le rapport étant de quatre pour un. Au total, on estime qu'un million d'hommes moururent de la guerre sur une population de dix millions, ce qui représente 10 % du total. En termes de destruction et de pertes humaines, la guerre de Sécession fut la plus coûteuse de l'histoire américaine.

5 La défaite du Sud et la discrimination raciale

Évidemment, la guerre de Sécession accrut l'autorité du gouvernement fédéral sur les États: c'était le premier gouvernement qui représentait dorénavant la souveraineté populaire. Le patriotisme à l'égard de l'Union deviendra une nouvelle religion et le président, son prophète, surtout après l'assassinat de Lincoln le 14 avril 1865. Cette mainmise du gouvernement fédéral entraînera, cent ans plus tard, des conséquences considérables dans les politiques linguistiques américaines. Mais à cette époque la question linguistique n'était pas encore trop préoccupante et ne nécessitait pas d'intervention particulière. Par contre, la question raciale n'était pas résolue, car elle se transformera en ségrégation durant un siècle. Vainqueurs, les Yankees se trouvaient devant trois rivaux à soumettre à la discrimination: les Sudistes, les Noirs et les Indiens.

5.1 La mainmise du Nord sur le pays

Rappelons que les Américains issus de la Nouvelle-Angleterre puritaine, égalitaire, démocratique, à prédominance urbaine et industrielle, avaient triomphé des planteurs du Sud, aristocratiques et ruraux. La direction du pays passa irrémédiablement au Nord parce que tous les représentants et fonctionnaires du Sud furent frappés d'incapacité politique.

Le 14e amendement à la Constitution, voté en 1866, avait éliminé les confédérés de toutes les activités politiques et administratives. Des aventuriers nordistes, les carpet-baggers, des profiteurs sans scrupules n'ayant d'autre fortune qu'une valise (d'où leur surnom «porteurs de valises»), en profitèrent pour prendre la tête des affaires publiques dans les États sudistes. Les carpet-baggers furent aussi surnommés scalawags («propres à rien»). La reconstruction du pays dut se faire dans un climat de haine et de ressentiment, qui laissa des traces profondes dans les mentalités. En somme, le pillage et la corruption s'étaient généralisés sous la présidence de Ulysses S. Grant (1869-1877). Au cours de cette même période, les employeurs importèrent de la main-d'œuvre étrangère afin de briser les grèves; ainsi, des milliers d'Italiens, ignorant à peu près tout des problèmes vécus aux États-Unis, vinrent remplacer des travailleurs en grève. En 1872, une loi d'amnistie releva de leur «incapacité» la plupart des Blancs du Sud. Après 1877, les États du Sud retrouvèrent leurs leaders politiques et reprirent en main leurs destinées.  

5.2 L'abolition de l'esclavage

Il restait aussi à régler la question des quatre millions de Noirs libérés. Le 1er février 1865, le Nord proposa le 13e amendement à la Constitution fédérale, qui abolissait l'esclavage et toute forme de servitude; mais l'amendement ne fut définitivement approuvé que le 18 décembre suivant. Le premier article énonce ce qui suit: «Il n'existera dans les États-Unis, et dans toute localité soumise à leur juridiction, ni esclavage, ni servitude involontaire, si ce n'est à titre de peine d'un crime dont l'individu aurait été dûment déclaré coupable.» Puis les 14e (1868) et 15e (1870) amendements furent adoptés, garantissant les droits civiques des Noirs ainsi que leur égalité devant la loi avec les Blancs.

Le Sud a donc dû accepter de reconnaître l'abolition de l'esclavage et admettre la primauté de la législation fédérale sur celle des États. Toutefois, si la condition des Noirs était changée, leur place dans la société américaine était loin d'être réglée en 1865. Des syndicats se formèrent afin d'améliorer les conditions de travail des ouvriers, dont la National Labor Union, la première fédération nationale de syndicats. Mais les travailleurs noirs furent refusés dans la National Labor Union; ils formèrent leurs propres syndicats et menèrent leurs propres grèves. À cette époque, les employeurs importaient de la main-d'oeuvre immigrée pour briser les grèves pendant que les troupes fédérales écrasaient sans pitié les ouvriers noirs qui, bien souvent, retrouvèrent un régime de servitude presque aussi terrible que l’esclavage auquel ils venaient d’échapper. Les Noirs réalisèrent qu'ils n'étaient pas en mesure d'imposer la concrétisation de l'égalité promise après la guerre de Sécession, et les travailleurs blancs, qu'ils n'étaient ni assez solidaires ni assez puissants pour combattre la coalition des forces du capital privé et du gouvernement.

Pour les Noirs, ils n'étaient pas au bout de leur peine: commençait la ségrégation raciale qui minerait les États-Unis durant près d'une siècle. La disparition de l'esclavage entraînera la discrimination raciale. 

5.3 L'infériorité sociale des Noirs

Près d'un siècle après la promulgation de la Constitution (1787), les Noirs émancipés portaient encore la marque de leur infériorité sociale. Thomas Roderick Dew (1802-1846), écrivain et riche planteur, décrivait la situation en ces termes: «L'Éthiopien ne peut quitter sa peau, ni le léopard ses taches.» Dans ces conditions, les Blancs sont égaux entre eux, car les sudistes sont les descendants des «cavaliers», les partisans de Charles Ier et les conquérants de l'Angleterre, tandis que les Yankees descendent des «têtes rondes». Le gouvernement fédéral créa le Bureau des affranchis (Freedmen's Bureau) afin de favoriser la fréquentation des écoles par les Noirs. Beaucoup attendirent avec impatience  — bien vainement que le gouvernement leur accorde «quarante acres et une mule» pour qu'ils puissent mener la vie d'agriculteurs indépendants. Certains Noirs se firent élire dans les assemblées législatives, surtout dans le Sud, mais en général ils ne purent obtenir plus de 15 % à 20 % des fonctions électives. De 1868 à 1877, seulement 6 % des représentants fédéraux des États du Sud furent des Noirs. Aucun Noir ne put devenir gouverneur.

Puis, contournant les lois sur l’égalité raciale, les sudistes blancs imposèrent aux Noirs une rigoureuse ségrégation. La quasi-totalité des Noirs perdit son droit de vote et la possibilité de se présenter aux élections; la ségrégation dans les écoles, les hôpitaux et les moyens de transport devint une habitude qui s'ancra fortement dans les mœurs.  À partir des années 1880, Blancs et Noirs vécurent de façon séparée, chaque communauté disposant de ses propres restaurants, hôtels, terrains de jeux, parcs pour enfants, écoles, églises, etc.  Autrement dit, les amendements à la Constitution des États-Unis restèrent lettre morte.

En 1896, la Cour suprême des États-Unis reconnut même la légalité de la ségrégation en Louisiane. En effet, dans l'arrêt Plessy c. Ferguson, la Cour suprême admit la constitutionnalité d'une loi de la Louisiane qui avait instauré la ségrégation raciale dans les chemins de fer. Selon la Cour, la ségrégation n'était pas discriminatoire si les deux races bénéficiaient des mêmes avantages, ce qui se résumait par la formule «séparé, mais égal» ("Separate but equal"). Lorsque la loi ne réussissait pas à maintenir les Noirs à leur place, la pression sociale des Blancs y parvenait très bien. Puis le Sud vit l'arrivée des société secrètes destinées à maintenir la ségrégation des Noirs. Quant au Nord, le sort des Noirs a vite lassé la population qui avait bien d'autres chats à fouetter.

Cette période qui se terminait allait entraîner la fin de l'Amérique anglo-centrique, celle axée sur l'immigration anglo-saxonne, incluant les Noirs puisque ces derniers n'ont utilisé, sauf exception, que la langue anglaise. La période qui va suivre est celle de l'industrialisation, qui devait avoir besoin d'une nouvelle main-d'œuvre blanche (pauvre), chinoise, européenne et féminine, rétribuée en fonction de la couleur, de la nationalité, du sexe et de la classe sociale. Ce sera le début du «melting pot» américain.

Dernière mise à jour: le 22 avril, 2024

 

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Histoire sociolinguistique des États-Unis

 

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(2) La colonisation européenne (3) La révolution américaine (1776-1783) (4) L'expansion territoriale (1803-1867) (5) L'Amérique anglocentrique
(1790-1865)
(6) L'Amérique eurocentrique
(1865-1960)
(7) L'Amérique multiculturelle
(1960 jusqu'à nos jours)
(8) La superpuissance
et l'expansion de l'anglais
(9) Bibliographie  

  

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