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Histoire sociolinguistique
des États-Unis
(7) L'Amérique
multiculturelle
(De 1960 jusqu'à aujourd'hui) |
Avis: cette
page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien. |
Plan de l'article
1. L'immigration et les minorités
1.1 La diversité des minorités
1.2 Les minorités officielles
1.3 Les résultats de l'immigration
2 Les politiques de déségrégation
2.1 L'arrêt de la Cour suprême de 1954
2.2 La discrimination positive
2.3 La Loi sur les droits civils de 1964
2.4 L'émergence des lois sur le bilinguisme
2.5 L'intégration des immigrants
2.6 La fragilité des mesures de protection
3
Les lois sur l'enseignement bilingue
3.1 La Loi sur l'éducation bilingue de 1965
3.2 L'arrêt Lau c. Nichols de 1974
3.3 La loi de 2001 sur l'enseignement aux immigrants
3.4 Les spécialistes et l'enseignement bilingue
3.5 Les tentatives d'abolition du bilinguisme
4 Les droits linguistiques des Amérindiens
4.1 Les principales législations
4.2 Les difficultés dans l'application des lois
5 Les réformes en éducation
5.1 Les programmes fédéraux
5.2 Le combat contre la sous-scolarisation
5.3 Des résultats modestes
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6 La diversité culturelle
6.1 Les nouveaux arrivants et la langue anglaise
6.2 L'idéologie du "melting pot" et du saladier
6.3 Les réformes de l'administration Clinton
6.4 Le maintien des cultures distinctes
6.6 Les avantages de la diversité culturelle
7. Les opposants à la diversité
7.1 L'emprise traditionnelle des WASP suprémacistes dans la société américaine
7.2 La peur des WASP
7.3 Le repli sur soi de l'homme blanc
8
La question linguistique aux États-Unis
8.1 L'anglais comme critère de l'identité nationale
8.2 Le bilinguisme comme «problème»
8.3 Le rejet des autres langues
9 L'officialisation de l'anglais
9.1 Les divers projets de loi
9.2 Les motifs pour rendre l'anglais officiel
9.3 L'officialisation de l'anglais dans les États
10
Langues, minorités
et xénophobie
10.1 Les axes idéologiques sur les langues maternelles
10.2 Le holà sur les minorités
10.3 Le «péril latino»
10.4 Un vent de xénophobie
10.5 Un pays de plus en plus multiculturel
10.6 Une apocalypse appréhendée ?
10.7 Ce qu'il reste de la politique linguistique américaine |
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L’histoire du peuplement des États-Unis est
indissociable de celle de l’immigration. De la fondation de la première
colonie permanente à Jamestown en 1607, jusqu'à l’arrivée
de millions d’Italiens au début du XXe
siècle, l’histoire des États-Unis est celle d’un peuplement perpétuel. Ces
flux d'immigrants vers une «terre promise» ont assuré le prospérité des
États-Unis, avec une population estimée en 2017 à plus de 326 millions
d'habitants. Sur le piédestal de la Statue de la Liberté devant New York, on
trouve ce texte de la poétesse américaine Emma Lazarus (1849-1887), gravé
dans la pierre et qui évoque une Amérique accueillante et protectrice des
opprimés:
Give me your tired, your
poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tossed to me,
I lift my lamp beside the golden door! |
Envoyez-moi
vos fatigués, vos pauvres,
Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,
Les rebuts de vos rivages surpeuplés.
Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête
m'apporte,
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or. |
L'Amérique se considérait
alors comme un phare guidant les immigrants venus chercher un
nouveau départ dans le Nouveau Monde.
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Depuis l’arrivée des premiers
colons européens, au
XVIe siècle, plus de 50
millions d’immigrants se sont installés aux États-Unis. Jusqu’en 1940, la
grande majorité des immigrants venaient d’Europe. Relativement peu nombreux jusqu’aux
années 1830, ceux-ci sont arrivés massivement à partir de 1840-1850. D’abord
anglo-saxonne, l’immigration s’élargit, dans le dernier quart du
XIXe siècle, aux pays
de l’Europe méditerranéenne (surtout l'Italie) et de l’Europe centrale (les
Slaves). Plus de 23 millions d’immigrants ont afflué entre 1880 et 1920. Une
nouvelle forme d’immigration se développa après la Seconde Guerre mondiale :
il s'agissait surtout des réfugiés politiques de l’Europe de l’Est, des
Cubains anti-castristes à partir de 1960 et
des boat people indochinois après 1974 (Vietnamiens, Laotiens et
Cambodgiens).
Aujourd’hui, l’immigration provient
essentiellement des pays du tiers monde : d'abord des Latino-Américains
(surtout des Mexicains) et des Asiatiques (Coréens, Philippins,
etc.). Dans les années 1990, un nouveau courant migratoire s’est développé en
provenance des anciens pays de l’Europe communiste. Par ailleurs,
l’immigration clandestine est probablement devenue plus importante que
l’immigration légale. Elle a encore augmenté depuis 1990, en raison de la
crise économique que traverse l’Amérique latine, car plus de la moitié des
clandestins viennent du Mexique.
Cependant, le passé des États-Unis est
également jalonné de sursauts anti-immigration et marqué par une ambivalence
permanente des Américains sur le fait de rester un pays d’immigration. Julie
Greene, une historienne de l'Université du Maryland (College Park,
dans la banlieue de Washington), déclare ceci :
When you look at the whole history of the United States, one of
the most striking aspects of it is the ways in which the debate
over immigration has been racialized. |
[Lorsque vous
observez toute l’histoire des États-Unis, l’un des aspects les
plus frappants c’est la façon dont le débat sur l’immigration
s’est appuyé sur la race.] |
La Naturalization Act (Loi sur la naturalisation)
de 1790 visait à empêcher les Noirs de devenir des citoyens américains.
Une loi de 1798, l'Alien Act, ciblait les Français, une autre de
1875, la Page Act, interdisait l'entrée des travailleurs
asiatiques, alors qu’une réforme de 1924 s’en prenait aux Européens du
Sud et de l’Est, principalement des catholiques et des juifs.
À partir des années 1920, désireux de mettre un frein à
l’immigration, les États-Unis établirent un système de quotas. La crise économique des années
1930 n'a fait que renforcer cette tendance.
Un autre historien, Allan Lichtman, de l’American University de
Washington, confirme l'assertion de Mme Greene:
There was
tremendous anti-immigration sentiment throughout the 19th
century. At different points in American history, different
types of immigrants were considered threats to the United
States. |
[Il y a eu un
très fort sentiment anti-immigration tout au long du XIXe
siècle. À plusieurs moments de l’histoire américaine,
différents types d’immigrants ont été considérés comme des
menaces pour les États-Unis.] |
Par la suite, les États-Unis ont connu des relents
anti-immigration moins brutaux : par exemple, pendant la dépression des
années 1930 contre les Mexicains et, au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, pour limiter les réfugiés. En 1965, le système des quotas fut
supprimé afin d'encourager la venue d'immigrants qualifiés et le
regroupement familial avec le résultat que l’immigration légale a gonflé
annuellement jusqu’à un million de personnes, surtout en provenance de
l'Asie, pendant que l’immigration clandestine bondissait depuis le
Mexique (12 millions). Après les attentats du 11 septembre 2001, le
sentiment anti-immigration a repris de la vigueur, notamment en raison
de la peur des musulmans.
Aujourd'hui, la population américaine
constitue un pays de minorités. Cependant, les véritables minorités
nationales sont les autochtones (Amérindiens, Inuits et Aléoutes) et les
populations dont les territoires ont été achetés ou annexés, comme la
Louisiane, le Nouveau-Mexique, le Texas, la Californie, etc.
1.1 La diversité des minorités
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Lors du recensement de 2000, les
Noirs
comptaient plus de 34 millions de personnes. Pour pour un grand nombre de
Blancs américains, ils représentent la «mauvaise minorité» traditionnelle.
Depuis le milieu des années 1980, la «question noire» ne semble plus
être beaucoup d'actualité. Ce n'est pas dû au fait que les problèmes
spécifiques des Noirs auraient été résolus, mais c'est plutôt à cause de la montée
rapide des autres minorités de couleur.
- Les Hispaniques
Les minorités latinos, appelées
aussi Hispaniques ou
parfois plus
spécifiquement Chicanos pour
désigner uniquement les Américains d'origine mexicaine, représentent maintenant plus de
38 millions de personnes aux États-Unis. Juste entre 1990 et 2000, la minorité
hispanique a augmenté de 58 %, tandis que la croissance démographique générale
s'élevait seulement à 13,4 %. Les Hispaniques sont donc devenus la première
minorité du pays, dépassant de peu la communauté noire (34 millions).
Ils sont
concentrés dans l'ouest et le sud des États-Unis, dont la moitié au Texas et
en Californie, tout en progressant sensiblement dans les États de l'Illinois,
de New York et du New Jersey. Les Mexicains (Chicanos) forment le groupe le plus
important (58 %), mais leur proportion diminue au profit des immigrants de
l'Amérique latine. Par rapport à la majorité blanche, les Latinos ont choisi
de se définir comme une minorité non blanche. Le poids
des Latinos inquiète de plus en plus les White Anglo-Saxon Protestants
qui craignent de voir leur pays leur échapper ou plutôt de perdre leur
contrôle de leur pays en raison du raz-de-marée mexicain ou sud-américain!
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- Les Asiatiques
Les Asiatiques, qui n'atteignaient
pas le nombre de 1,5 million en 1960, dépassent maintenant les cinq millions, les
communautés les plus importantes étant les Vietnamiens et les Cambodgiens. Les
immigrants asiatiques se sont regroupés sur la côte ouest : ainsi, 70 % des
immigrants d'origine japonaise résident en Californie et à Hawaï, alors que
plus de la moitié des Chinois sont installés en Californie et à New York. Pour
beaucoup d'Américains, les Asiatiques sont devenus «la bonne minorité de
l'Amérique contemporaine», au contraire, semble-t-il, des Hispaniques et des
Noirs.
- Les projections démographiques
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Les projections indiquent pour 2050 un total de 420 millions d'Américains,
dont près de 105 millions de Latino-Américains, 60 millions d'Afro-Américains (ou
Noirs) et 35 millions d'Asiatiques. Dans moins de cinquante ans, les Blancs ne
formeraient plus que 53 % de la population américaine (voir le tableau plus
haut pour 2050). Les projections pour 2090 provenant du
gouvernement fédéral (Census Bureau Predictions) laissent entendre qu'en 2090
les «Blancs» (''Caucasian'') formeraient moins de 30 % de la population
américaine, les «autres» (''Other'') représenteraient alors plus de 70 %. Une catastrophe pour les partisans de l'idéologie WASP (White
Anglo-Saxon Protestants).
En somme, affirmer que les
États-Unis forment une nation unilingue anglaise semble relever du mythe plutôt que de la
réalité. C'est pourtant ce que prétendent les défenseurs de l'anglais aux
États-Unis qui rêvent encore d'une Amérique blanche, anglo-saxonne et
protestante, dont Donald Trump est le plus fidèle représentant. Or, les Blancs non
hispaniques formeront même moins de 50 % de la
population en 2043, selon des données du recensement de 2013.
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De plus, d'ici
2050, les minorités hispaniques, asiatiques et noires constitueront 54 % d’une
population qui aura atteint 439 millions. Ce sont les Hispaniques qui
connaîtront le taux de croissance le plus fort, atteignant 133 millions
d’individus d’ici 2050 et représentant le tiers de la croissance de l’ensemble
de la population de 2010 à 2050, en raison d’un taux élevé de naissances et de
l’immigration. Or, cette Amérique fait terriblement peur aux WASP qui craignent
de perdre leurs prérogatives.
En 2016, plus de la moitié des bébés nés sur le sol américain
appartenaient à des «minorités ethniques». À l’inverse, 80 % des personnes
décédées étaient «blanches». La diversité ethnique progressant à grand pas, les
Blancs deviendront minoritaires vers 2040. Dès lors, les besoins et les
revendications des communautés non blanches plus jeunes seront progressivement
différents de ceux des Blancs qui seront de plus en plus poussés vers la
retraite. Le problème deviendra plus aiguë lorsque les cotisations de non-Blancs
au travail vont devoir payer les prestations de retraite et les programmes
sociaux des Blancs. À l'inverse, ces derniers, de plus en plus vieux, seront
dans l'obligation d'accepter qu'une part importante de leurs impôts serve à
financer des dépenses pour l'éducation, lesquelles profiteront davantage à des
jeunes issus des «minorités». Bref, les Noirs, les Asiatiques et les
Hispaniques, devenus ensemble «majoritaires», ne dépendront plus des Blancs pour
leur bien-être économique puisque ce sera l'inverse qui se produira: les
minorités d'aujourd'hui seront devenues les majoritaires de demain. Les
États-Unis ne sortiront pas de cette phase sans passer par des réformes
profondes ou d'une violente secousse sociale.
Pour le moment, les suprémacistes blancs essaient de pallier
le processus de leur minorisation en réduisant le droit de vote des minorités
(noires, hispanophones et asiatiques), mais cet expédient ne fonctionnera pas
toujours. Dans dix ou vingt ans, avec notamment la montée des
Latinos, la société américaine deviendra
multiraciale. L’erreur des représentants du Parti républicain, comme de tous les
trumpistes, c'est de réduire leur parti en un «parti de Blancs».
1.2 Les minorités officielles
Depuis 1978, le gouvernement fédéral américain, dans sa
directive appelée la Federal Directive No. 15, reconnaît
officiellement quatre «minorités raciales et
ethniques» («racial and ethnic groups»):
1) Les
Amérindiens («American Indians») et
les Indigènes d'Alaska («Alaskan
Natives»)
Toute personne ayant des origines liées à l'un des peuples autochtones
d'Amérique du Nord et qui désire maintenir son identité culturelle par
l'affiliation tribale ou la reconnaissance communautaire.
2) Les
Asiatiques («Asians») et les insulaires
du Pacifique («Pacific Islanders»)
Toute personne ayant des origines liées à l'un des peuples de
l'Extrême-Orient, de l'Asie du Sud-Est, du sous-continent indien ou des îles
du Pacifique. Cette catégorie de citoyens comprend, par exemple, la Chine,
l'Inde, le Japon, la Corée, les Philippines et les Samoa.
3) Les
Noirs («Blacks»)
Toute personne ayant des origines liées à l'un des groupes de race noire
d'Afrique.
4) Les Hispaniques («Hispanics»)
Toute personne non blanche originaire du Mexique, de Porto Rico, de Cuba, de
l'Amérique centrale ou de l'Amérique du Sud, ou de toute autre culture
espagnole. Le terme Hispanic est celui qui est utilisé officiellement
par les autorités fédérales américaines (recensement, formulaires, etc.),
mais la communauté préfère celui de Latino qui fait moins européen.
Pour le gouvernement américain, les Hispaniques constituent un groupe
ethnique, ce qui signifie qu'il existe des «Hispaniques blancs» et des
«Hispaniques de couleur». Généralement, les Brésiliens lusophones et les
Haïtiens francophones sont considérés comme des Latinos au même titre que
les hispanophones.
Au début de l'année 2000, la
Federal
Directive No. 15 («Directive
fédérale no 15») a été révisée pour inclure cinq catégories sur les races
en scindant la seconde catégorie comme suit: d'une part, les Asiatiques,
d'autre part, les indigènes d'Hawaï (Native Hawaiians) et les autres
insulaires du Pacifique (Other Pacific Islanders). Il faut comprendre que
les Blancs sont des White ethnics,
une ethnie comme les autres.
Ces désignations officielles du
gouvernement fédéral américain se révèlent quelque peu arbitraires et
disparates. Ainsi, le terme Hispanic («Hispanique») renvoie à un critère
linguistique (comprenant les Brésiliens lusophones et les Haïtiens
francophones), alors que les termes Asian («Asiatique») et Pacific Islanders
(«insulaires du
Pacifique») correspondent à un critère géographique; quant au mot Black
(«Noir»),
il réfère à la couleur de la peau. Ce vocabulaire cache mal le malaise des
autorités face à la diversité des composantes ethniques de la population
américaine. En réalité, le caractère multiracial de la société américaine peut
se résumer à son aspect «triracial» WASP : les Blancs, les Noirs et les Hispaniques. Au
state actuel, les Indiens, peu nombreux, seraient intégrés par les mariages
mixtes, tout comme les Asiatiques. Les indices de fécondité des trois groupes
principaux apparaissait en 1999 comme révélateurs d'un certain clivage
socioculturel: 1,82 enfant par femme pour les Blancs non hispaniques,
2,09 pour les Noirs non hispaniques et 2,9 pour les Hispaniques.
1.3 Les résultats de
l'immigration
Le sociologue américain Herman Sullivan décrit cinq grands types en
matière d'immigration : l'assimilation, l'acculturation, la
domination, le bipartisme culturel et le rejet ségrégationniste.
- L'assimilation
C'est la solution jadis préconisée ouvertement par le
président Theodore Roosevelt. À l'époque, les immigrants venus massivement
d'Europe se sont fondus dans le creuset américain.
- L'acculturation
Il s'agit de l'assimilation partielle des valeurs culturelles
progressivement imposées par les White Anglo-Saxon Protestants (WASP), le
groupe dominant. Tout en s'assimilant linguistiquement, certaines communautés
ont voulu conservé des traits culturels qui leur sont propres. C'est le cas des
Cadiens de la Louisiane, des germanophones du Middle West, des Italiens du
Middle Atlantic, etc.
- La domination
C'est le terme courant («politically correct») pour désigner le
destin tragique des Amérindiens.
- Le bipartisme culturel
Cette expression sert à désigner les petites communautés qui
ont réussi à conserver les modes de vie qu'ils pratiquaient au
XVIIIe siècle. Les
exemples les plus connus concernent les mormons de Salt Lake City, les
francophones du Vermont et du Maine, les Amish des
États de Pennsylvanie, de l'Ohio et de l'Indiana ou les mennonites de la
Pennsylvanie et de l'Ohio.
- Le rejet ségrégationniste
C'est la tendance la plus courante depuis quelques décennies,
qui consiste pour une minorité à conserver ses valeurs culturelles tout en
s'intégrant à la société américaine. Pendant des décennies, la communauté noire
a pratiqué cette forme d'intégration. Aujourd'hui, les
Hispaniques (Latinos et
Chicanos) et les Asiatiques en sont les représentants les plus importants.
Cela étant dit, il n'existe pas aux États-Unis une politique
sociale officielle qui aurait pour objectif d'intégrer les immigrants ou de les
aider à s'intégrer dans le courant dominant («mainstream»). Il n'existe ni au
niveau fédéral ni dans les États de structures destinées à jouer un rôle dans
l'intégration ou l'immigration. Il n'existe pas au gouvernement fédéral
américain, par exemple, un «secrétaire d'État à l'Immigration». Historiquement,
l'État se tient loin de toute intervention en cette matière. Toute cette
approche du processus d'intégration relève exclusivement de la «société civile».
Au début des années 1960, les nouveaux
arrivants étaient dans 42 % des cas originaires de l'Europe, et 41 % arrivaient du
Canada, 8 % d'Amérique latine et 7 % d'Asie. Avec de nouvelles lois plus
permissives sur l'immigration, ces proportions allaient changer radicalement.
Les États-Unis constituent aujourd'hui le plus grand pays d'immigration de
notre temps, avec 40 % de l'immigration internationale.
Alors qu'auparavant les minorités semblaient se satisfaire de leur sort, à
partir des années 1960, elles se sont mises à revendiquer leurs droits. Ce
furent d'abord les Noirs, puis les Indiens suivis des Mexicains et des...
femmes.
2.1 L'arrêt de la Cour
suprême de 1954
Tout a débuté en 1951 dans une école publique de Little Rock, la capitale de
l'Arkansas. Le gouverneur de l'État avait tenté d'empêcher l'entrée de neuf
élèves noirs dans une école jusque-là réservée aux Blancs. Le scandale
éclata. La Cour suprême fut saisie de l'affaire et, s'appuyant sur le 12e
Amendement à la Constitution, donna raison aux revendications de la
communauté noire. La Cour dénonça la «ségrégation résidentielle» instaurée en
1948, ainsi que la ségrégation en matière de justice en 1950, sans oublier la
ségrégation dans les transports publics et la ségrégation scolaire. Les
enfants furent finalement admis, mais seulement après l'intervention du
gouvernement fédéral. Il est vrai qu'en 1954 quelque
55 % des Noirs vivaient dans la misère et que seuls 14 % des enfants noirs
terminaient leurs études secondaires.
Vainqueur de la campagne électorale de 1960,
le président John Kennedy, un
démocrate,
présenta devant le Congrès un ambitieux programme dans le domaine de
l'éducation et proposa d'atténuer les inégalités sociales les plus importantes
par des mesures visant à augmenter le salaire minimum garanti, à venir en aide aux personnes
âgées, à améliorer la sécurité sociale et l'accès à la santé, et à lutter contre
la discrimination raciale. Kennedy réussit à accélérer l’intégration raciale,
mais le Congrès républicain lui refusa presque tous les moyens financiers
nécessaires à l'accomplissement du programme social de sa «nouvelle frontière».
Kennedy crut bon de se lancer dans la course aux armements!
L'assassinat de Kennedy interrompit
momentanément la
mise en place de la politique de la «nouvelle frontière». On sait que John Kennedy
était d'avis que les
États-Unis sont «une nation faite de nations», mais il n'appuyait pas le
multiculturalisme, ni une «fédération de ghettos ethniques» qu'il craignait.
Il favorisait plutôt l'assimilation des immigrants.
2.2 La discrimination
positive
Le successeur de Kennedy,
Lyndon Johnson (1963-1969),
un autre démocrate, poursuivit avec plus de succès la politique de son
prédécesseur.
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Son gouvernement réussit à
améliorer la condition des plus démunis, celle des Noirs en particulier : aide médicale
aux personnes âgées, aide fédérale aux établissements d'enseignement et surtout
une loi sur les droits civils contre les pratiques de discrimination raciale.
Johnson entama une politique dite de discrimination positive (appelée
"affirmative action") afin de donner leur chance aux victimes de la
discrimination raciale ou sexuelle.
Entretemps, George C. Wallace, le
gouverneur de l'Alabama, clamait dans son discours inaugural de 1963 : "I say
segregation now, segregation tomorrow, segregation forever", ce
qui signifie «Je
le dis, la ségrégation maintenant, la ségrégation demain et la ségrégation pour
toujours!» À cette époque, George Wallace était la septième personnalité la plus
admirée des Américains, juste devant le pape Paul VI (1963-1978). |
Auparavant avaient éclaté de graves
émeutes dans les ghettos noirs du pays, et le Black Power avait ébranlé les
assises du
gouvernement fédéral. L'assassinat de Martin Luther King en 1968 allait
entraîner de nouvelles émeutes dans tout le pays.
Puis ce furent les Amérindiens qui
se mirent à lutter contre leur «autodestruction» et contre l'annihilation de
leur culture; ils exprimèrent leur indignation contre le traitement dont ils
faisaient l'objet dans les livres d'histoire et les manuels scolaires des écoles
primaires américaines. L'éducation traditionnelle des jeunes Américains était
dès lors
aussitôt remise en question. Comme à l'égard des Amérindiens et des femmes,
les écoles américaines avaient traditionnellement inculqué à des générations
d'enfants le patriotisme, mais aussi le mépris à l'endroit des autres nations, des
autres peuples et des autres races, en particulier les «méchants Indiens».
2.3 La Loi sur les
droits civils de 1964
Lorsque
John F.
Kennedy avait
obtenu l'investiture du Parti démocrate en 1960, il avait fait appel comme
colistier à
Lyndon Johnson, un sénateur du Texas et chef de la majorité démocrate au
Sénat. La disparition brutale du président Kennedy, le 22 novembre 1963,
conduisit le vice-président Johnson à prêter serment et à présider aux
décisions du pays.
Lyndon Johnson allait poursuivre la croisade
pour l'égalité et la justice sociale. Il s'évertua à faire abolir les
dernières dispositions de discrimination raciale et il obtint du Congrès l'acceptation d'un vote sur un vaste
programme de mesures sociales destinées à lutter contre la pauvreté, à favoriser
l’éducation et la formation des jeunes, et à étendre la sécurité sociale et
l’assistance médicale gratuite pour les personnes âgées. Les Noirs américains
continuèrent à réclamer une intégration plus réelle, non plus seulement par
la non-violence prônée par le leader noir Martin Luther King, mais également
par la violence avec les Black Panthers. La pauvreté continuait de frapper lourdement
les Noirs, les Hispaniques et les Indiens. Si du côté de la majorité blanche on était touché
par la pauvreté dans une proportion de 12 %, les minorités de couleur l'étaient
dans une proportion de 41 %.
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- Les mesures
de déségrégation
Après sa victoire électorale
éclatante de 1964, le président Johnson disposait de moyens pour faire adopter par
l'opinion américaine et le Congrès une grande partie des réformes annoncées, et
de promouvoir «une justice qui ne doit pas être influencée par la
couleur de la peau». Cette année-là, il fit
adopter en juillet la Loi sur les droits civils (Civil Rights Act).
Cette loi fédérale rendait illégale la discrimination en matière de
droit de vote et d'emploi dans les installations et les locaux
fréquentés par le public, ainsi que dans les écoles publiques. La loi
mettait en place des modalités d'application des mesures de
déségrégation. C'est l'une des lois les plus importantes à avoir été
adoptées aux États-Unis, car elle interdisait la discrimination pour des
motifs d'origine nationale ou raciale.
Avant de signer la Loi sur les droits civils
à la Maison-Blanche devant le pasteur Martin Luther King, le président
Lyndon Johnson avait déclaré au sujet de la discrimination raciale:
«Notre constitution, pierre de notre république, l'interdit. Les
principes de notre liberté l'interdisent. Et la loi que je signerai ce
soir l'interdit.» |
Le paragraphe 601 du Titre VI de la
Loi sur les droits civils
est représentatif des principes reliés à la non-discrimination:
TITRE VI
NON-DISCRIMINATION DANS LES PROGRAMMES D'AIDE FÉDÉRAUX
Paragraphe 601
[traduction]
Le présent
paragraphe expose le principe général que
nul aux États-Unis ne doit, sur la base de la race, de la
couleur ou de l'origine nationale, être empêché de participer ou
d'être discriminé dans le cadre d'un programme
ou d'une activité recevant une aide financière fédérale. |
- L'application des
lois
Par la suite, dans l'ensemble, les
ministères (secrétariats) du gouvernement et les organismes fédéraux adoptèrent des
réglementations concernant l'application du Titre VI, dont les dispositions se révélèrent un
puissant outil pour combattre les résistances des États en matière de
déségrégation scolaire. En outre, tout organisme social, hospitalier, etc.,
public ou privé, pouvait dorénavant être poursuivi en vertu du Titre VI dès lors qu'il
bénéficiait d'une subvention fédérale.
Même s'il ne s'agissait pas d'une loi
linguistique, la Cour suprême des États-Unis statua que le fait de ne
pas accorder un service à une personne qui ne parle ni ne lit, n'écrit
ou ne comprend l’anglais constituait une forme de discrimination liée à
l’origine ethnique. Dorénavant, il serait interdit de la part d'une
agence gouvernementale de défavoriser un citoyen américain en raison de son
origine ethnique ou linguistique. Par exemple, pour un hôpital, un poste de
police, un bureau de vote, une école publique, une bibliothèque municipale, une
cour de justice, etc., le fait de ne pas disposer d'interprète ou de formulaire,
de facture, de dépliant d'information, etc., en une autre langue que l'anglais
pourrait être discriminatoire si cette absence empêche un citoyen américain
d'exercer ses droits civils. La discrimination positive fit imposer aux
universités et aux
colleges de réserver des places aux minorités jusqu'alors défavorisées.
À partir des années 1970, les universités qui recevaient des fonds
fédéraux durent fixer des quotas d’admission favorables aux minorités, de même
qu’aux... femmes. Cependant, l'application de la
Loi sur les droits civils (Civil Rights Act)
suscita la résistance des «suprémacistes» blancs qui tentèrent de s'y opposer
par tous les moyens, y compris par le recours à la violence. D'ailleurs,
beaucoup d’universités ont par la suite délaissé cette politique prescrite par la
Cour suprême des États-Unis.
2.4 L'émergence des lois
sur le bilinguisme
En octobre 1965, Lyndon Johnson, dont le
bilan en matière de droit des minorités s'est révélé assez exceptionnel, apposa
sa signature sur une nouvelle loi sur l'immigration. Les quotas nationaux à
l'immigration furent supprimés, alors que le pays consentait à accueillir
annuellement quelque 290 000 immigrants, dont 120 000 en provenance de l'Amérique latine. La
priorité était désormais accordée à la réunification des familles, aux
qualifications professionnelles, aux victimes des persécutions raciales,
religieuses et politiques.
- Le droit de vote
La Loi sur les droits civils allait favoriser l'émergence des lois sur le
bilinguisme, surtout après l'arrêt Lau c. Nichols en 1974 de la Cour
suprême des États-Unis. Déjà en 1965, la
Loi sur le droit de vote (Voting
Rights Act of 1965) avait interdit la discrimination dans les procédures de
vote pour des motifs de race ou de couleur d'une personne. Quelques années après
la promulgation de cette loi, le Congrès a reconnu que les individus qui
parlaient des langues différentes de l'anglais —
surtout les Hispaniques, les Asiatiques et les autochtones —
avaient eu à subir des préjudices lors du processus électoral. C'est pourquoi,
en 1975, le Congrès a modifié la Loi sur le droit de vote pour étendre la
protection aux citoyens qui ne pouvaient pas lire ou parler suffisamment l'anglais
pour participer en toute connaissance de cause aux élections. La loi de 1975, adoptée par le
Congrès, obligea les États à imprimer les bulletins de vote «en langue étrangère»
si plus de 10 000 personnes ou plus de 5 % d'un groupe linguistique résidaient
dans une circonscription électorale, ce qui excluait néanmoins les plus petites
minorités. Voici le paragraphe 203 [ou 1973aa-1a à partir de 1975]
(qui devait expirer en 2007, mais a été
reconduit pour une période de vingt-cinq ans à partir du 27 juillet 2006) de la
Loi sur le droit de vote (Voting
Rights Act):
Paragraphe 203
[traduction]
Chaque fois qu'un État ou
une subdivision politique [visé par le
présent paragraphe] prévoit une inscription ou des avis de vote, des
formulaires, des instructions, de l'assistance ou d'autres documents
d'information touchant le processus électoral, incluant les bulletins de
vote,
les autorités doivent les fournir dans la langue du groupe minoritaire
concernée, ainsi qu'en anglais. |
Toute modification de la procédure en matière
électorale dut être assujettie à une autorisation fédérale pour les dix années à
venir.
- Les autres services
Par la suite, ce furent les permis de
conduire qu'il devint possible d'obtenir dans une autre langue que l'anglais,
puis les formulaires de déclaration sur le revenu disponibles en plusieurs
langues. Dans certains services publics, ce sera la traduction des informations
en espagnol, voire la possibilité de se faire naturaliser citoyen américain dans
une autre langue que l'anglais. L'usage de deux langues dans certains
emplois, qui auparavant n'étaient exercés qu'en anglais, a suscité
l'apparition de «primes au bilinguisme». Des milliers d'enseignants, de
policiers, d'infirmières et d'infirmiers, etc., perçoivent désormais de tels
primes. Par ailleurs, de nombreux services publics ont recours au
bilinguisme de leurs employés sans leur accorder pour autant des
compensations financières. N'oublions pas que les services bilingues ne sont
juridiquement ni interdits, ni encouragés, ni reconnus. Si un tel droit
était officiellement reconnu, il aurait pour effet de paralyser entièrement
le gouvernement. C'est ce qu'affirmait la Cour suprême de la Californie dans
un arrêt (Carmona c. Sheffield, 1973):
If [right] adopted
in as cosmopolitan a society as ours, enriched as it has been by
the immigration of persons from many lands with their
distinctive linguistic and cultural heritages, [a mandate to
provide bilingual services] would virtually cause the processes
of government to grind to a halt. The conduct of official
business, including the proceedings and enactments of Congress,
the Courts, and administrative agencies, would become all but
impossible. The application of Federal and State statues,
regulations, and proceedings would be called into serious
question. |
[S'il (le droit] était
adopté dans une société aussi cosmopolite que la nôtre, enrichie
comme elle l'a été par l'immigration de personnes de beaucoup de
pays avec leur héritage linguistique et culturel distincts, [un
mandat pour fournir des services bilingues], cela aurait pour
effet d'arrêter pratiquement le processus de gouvernement. La
conduite des affaires officielles, y compris les la procédure et
les législations du Congrès, les tribunaux et les organismes
administratifs deviendraient presque impossibles. L'application
des lois fédérales et des États, des règlements et des
procédures serait sérieusement remise en cause.] |
Dans les faits, les tribunaux admettent
généralement qu'un organisme gouvernemental viole le Titre VI de la Loi sur les droits civils
si la pratique réelle a comme conséquence d'écarter des services publics un
nombre substantiel de personnes ne parlant pas l'anglais.
- Les tests d'anglais
Différents tribunaux se sont aussi
prononcés sur la question des tests d'anglais pour l'obtention d'un emploi,
car de tels tests ont un effet pénalisant à l'encontre des candidats dont
l'anglais n'est pas la langue maternelle. Finalement, un tests d'anglais
sera considéré comme «discriminatoire», sauf si l'employeur peut démontrer
le «nécessité fonctionnelle» ("functional
necessity") entre la maîtrise de l'anglais et la performance dans
l'emploi ("necessary to safe and efficient job performance"), c'est-à-dire
que l'anglais est nécessaire dans le rendement pour un travail sécuritaire
et efficace, comme une opération chirurgicale dans une salle d'opération ou
au cours de manœuvres dangereuses sur une plate-forme pétrolière. Une cour
d'appel de la Californie (affaire Gutierrez c. Municipal Court, 1988)
a statué que l'accent peut servir de prétexte à la discrimination:
The mere
fact that an employee is bilingual does not eliminate the
relationship between his primary language and the culture that
is derived from his national origin. Although the individual may
learn English and become assimilated into American society, his
primary language remains an important link to his ethnic culture
and identity. […] Because language and accents are identifying
characteristics, rules which have a negative effect on
bilinguals, individuals with accents, or non-English speakers,
may be mere pretexts for intentional national origin
discrimination. |
[Le seul
fait qu'un employé soit bilingue n'élimine pas le rapport entre
sa langue maternelle et la culture qui découle de son origine
ethnique. Bien que l'individu puisse apprendre l'anglais et
s'assimiler à la société américaine, sa langue maternelle
demeure un lien important pour sa culture et son identité
ethniques. […] Puisque la langue et l'accent renvoient à des
caractéristiques d'identité, des règles qui ont un effet négatif
sur les bilingues, les individus ayant un accent ou les orateurs
non anglophones peuvent servir de simples prétextes pour
discriminer de façon intentionnelle sur l'origine ethnique.] |
D'ailleurs, la jurisprudence a statué que le fait de refuser un emploi
sur la base de l'accent d'un individu constituait également une discrimination. Toutefois, en 1990, la Cour suprême des États-Unis a refusé
de reconsidérer la décision d'un tribunal inférieur (Hawaï) sur la question
de l'accent d'un individu, dont un employeur avait refusé l'embauche.
- La discrimination
positive dans les universités
À la fin des années 1960, plusieurs
universités très sélectives introduisirent des critères raciaux et ethniques
dans leur procédure d'admission afin de corriger les inégalités issues du
passé ségrégationniste des États-Unis et d 'augmenter la part des étudiants
noirs, hispaniques et autochtones dans leurs effectifs. Le raisonnement sur
lequel se fondent ce genre de politique apparaît simple : il ne suffit pas
de reconnaître aux minorités les mêmes droits qu'à la majorité, encore
faut-il que ces minorités puissent effectivement exercer ces droits. On part
donc du principe de traitement égal à des individus inégaux ne fait que
renforcer les inégalités. C'est pourquoi il serait du devoir de l'État
d'intervenir afin de lutter contre la tendance naturelle de la société à
produire des inégalités et de la ségrégation.
Après quelques décennies de cette pratique de discrimination positive dans
les universités, il apparaît comme important de constater un accroissement
de la participation des minorités à l'enseignement supérieur. Ainsi, des
études publiées en 1998 révèleront que le pourcentage des étudiants Noirs
admis au sein des institutions autres que les "colleges" Noirs passeront de
1,8% en I960 à 4,2% en 1970, à 8,2% en 1980 et à 9% en 1994. Entre 1960
et1995, le pourcentage de Noirs âgés de 25 à 29 ans ayant reçu un diplôme de
"colleges" devait passer de 5,4% à 15,4%.
Par la suite, certains pays européens se sont inspirés de l'expérience
américaine en mettant en œuvre depuis le milieu des années 1980 des
politiques basées essentiellement sur des critères socio-économiques et
minoritairement sur des critères ethnico-raciaux.
Toutefois, en 2023, la Cour suprême des États-Unis, dominée par des juges
conservateurs, considèrera comme contraire à la Constitution la procédure
d'admission fondée sur la couleur de la peau ou sur l'origine ethnique des
candidats et des candidates.
2.5 L'intégration des
immigrants
Il n'en demeure pas moins que toutes ces mesures serviront au final à mieux
«intégrer» les immigrants, notamment les Latinos, mais elles auront aussi un effet pervers:
celui de susciter un vaste débat, pas toujours positif, sur le bilinguisme et le multilinguisme dans
tout le pays.
Des millions de personnes d’Amérique latine et d’Asie vont entrer dans le
pays, modifiant l'équilibre interne de la société.
Même si l'immigration de masse avait repris de plus belle,
elle n'atteignit pas réellement les objectifs visés. Si la Loi sur l'immigration
("Immigration
Act") réussit facilement à regrouper les familles, elle ne favorisa guère les
immigrants à cause des qualités professionnelles recherchées et elle ne tiendra pas
compte des réfugiés politiques et des demandeurs d'asile. Quelques années plus
tard, le président Jimmy Carter, aussitôt
entré en fonction, déclarait encore la guerre à la discrimination en ces termes:
«Aucun pauvre, aucun rural, aucun Noir ne devrait jamais souffrir d'être privé
d'instruction, d'emploi ou d'une simple justice.» Il aurait dit aux membres de
son cabinet: «Je veux qu'on enseigne l'anglais et non pas les cultures
ethniques.» Selon cette conception, l'anglais et la tradition anglo-saxonne
paraissent inconciliables avec d'autres formes culturelles. De toute façon, le
président Carter n'obtint jamais les crédits nécessaires pour mettre en œuvre
ses ambitions sociales.
Néanmoins, le révolution des droits
civils a instauré un nouvel environnement qui offrait aux nouveaux arrivants
le garantie d'une intégration plus facile, sinon un solide rempart contre
l'exclusion. En même temps, les minorités ethniques ont davantage pris
conscience de leur histoire. Le mouvement a amené de nombreuses universités
à créer des départements, par exemple, d'«Ethnic Studies», de «Chicano
Studies», d'«Asian Studies», d'«African Studies», d'«African-American
Studies», de «Native American Studies», etc.
2.6 La fragilité des
mesures de protection
Malgré une législation
antidiscriminatoire très élaborée, voire unique dans les pays occidentaux,
malgré les avancées considérables des minorités dans leurs droits, celles-ci
n'ont pratiquement pas gagné d'acquis sociaux équivalents, notamment dans le
domaine de la santé. En ce sens, les politiques sociales des États-Unis
ont continué de traîner de la patte.
Il faut dire que l'arrivée des présidents
républicains conservateurs —
Ronald Reagan, 1981-1989;
George Bush,
1989-1993; George W. Bush, 2001-2009
— , qui ont nommé des juges fédéraux
conservateurs durant une vingtaine d'années, a fait en sorte que les
minorités ont constamment perdu des plumes. Les tribunaux sont devenus moins
compatissants à l'égard de toute mesure de protection, tant sociale que
linguistique ou scolaire. Non seulement les droits civils ne prennent plus
d'expansion, mais ils ont tendance à être réduits. Les programmes sociaux sont
perçus comme des moyens de développer chez les bénéficiaires une mentalité
d'assistés sociaux. Les présidents Reagan, Bush père et Bush fils, n'ont lutté que
très mollement contre la discrimination et ont généralement pris position
contre l'affirmative action, c'est-à-dire des mesures dites de
«discrimination positive» adoptées en faveur des citoyens discriminés du
fait de leur sexe ou de leur origine ethnique ou linguistique.
De plus, dans plus de 45 États (sur 50),
les républicains proposent aujourd'hui des lois destinées à exclure les
électeurs non blancs, notamment les immigrants. C’est leur seul moyen
d’avoir une chance de gagner la présidence et le contrôle du Congrès dans
plusieurs États.
Sous la pression de personnalités
hispanophones, le Congrès américain finit par adopter quelques lois en matière
d'enseignement bilingue. À la fin des années 1960, les membres du Congrès ont
voulu tenir compte des besoins d’un nombre croissant d’élèves qui, du fait de
leur connaissance limitée, sinon inexistante en anglais, se trouvaient
perpétuellement en situation d’échec scolaire; ces élèves étaient en même temps
désavantagés par rapport aux enfants anglophones. On s'était rendu compte que
les élèves hispanophones abandonnaient massivement leurs études, alors que leur nombre augmentait par suite de l’exil des Cubains en
Floride, des Mexicains dans les États limitrophes du Mexique et de Portoricains
dans les États de New York et de la Nouvelle-Angleterre.
3.1 La Loi sur
l'éducation bilingue de 1965
|
Cette législation portant sur l'enseignement
bilingue faisait suite aux revendications des Noirs américains et de
l'adoption de la
Loi sur les droits civils (Civil Rights Act) de
1964. La loi la plus importante sur cette question fut sans contredit la
Bilingual Education Act
(Loi sur l'éducation bilingue) de 1965 instaurée sous la présidence de
Lyndon B. Johnson. La Bilingual
Education Act était la façon brève («titre court»)
d'appeler la loi de 1965 dont le nom était officiellement l’Elementary
and Secondary Education Act (Loi sur l'enseignement
primaire et secondaire) ou plus simplement l'ESEA. Cette loi de 1965 est
devenue la pièce centrale des efforts du président Johnson pour améliorer le sort
des pauvres au sein des minorités. Johnson, qui venait d'être élu en novembre
1964, bénéficiait d'un énorme poids politique; il fit adopter l'ESEA par la
Chambre des représentants avec peu de changements, puis il persuada le Sénat
de l'accepter sans modifications, le tout en 89 jours.
Finalement, c'est la
version de 1968 qui sera appliquée. La
Bilingual Education Act
constitua sûrement la plus grande victoire du mouvement latino, car c'est cette
loi qui connut les retentissements les plus importants, tant au plan
communautaire que national. La loi remettait en question le système d'éducation
américain! La version de 1968 constituait donc une loi «élargie« du
projet initial dans la mesure où elle touchait tous «les enfants dont la
maîtrise de l’anglais était limitée».
|
À l’origine, la proposition de loi
présentée
par le sénateur Ralph Yarborough du Texas ne concernait que les enfants
mexicains. Le sénateur Yarborough justifiait sa position du fait que les
autres groupes non anglophones étaient venus aux États-Unis de leur plein gré
et qu'ils avaient ainsi volontairement abandonné leur langue et leur culture,
tandis que les hispanophones du Sud-Ouest, originaires du Mexique, se sont fait imposer une culture qui
leur était étrangère, notamment après la
guerre avec le Mexique, qui s’acheva par la victoire des États-Unis et le
traité de Guadalupe-Hidalgo (2
février 1848).
- Les subventions
fédérales
En vertu de sa nouvelle politique d'ouverture à
l'égard des immigrants, l'administration fédérale américaine de Lyndon B. Johnson avait prévu des subventions
aux États dont les écoles désiraient offrir un enseignement bilingue.
Malgré la complexité du système éducatif américain, les États ont profité
d'énormes subventions fédérales à travers les dispositions du ESEA Act,
en vertu du Titre VII (428 millions de dollars par an exclusivement affectés
aux programmes «bilingues») ou du Titre I (8,6 milliards de dollars), dont 75
% pouvaient, de façon discrétionnaire, être affectés à des programmes impliquant
une autre langue que l’anglais. Sur quelque 3,5 millions d’élèves
bénéficiant de cet enseignement, 65 % seraient des hispanophones, les autres
se répartissant environ entre 150 et 300 autres langues, surtout des minorités
asiatiques, amérindiennes ou françaises (Louisiane, Maine). Selon des
statistiques de 1990, quelque 72 % des élèves dont les connaissances étaient
limitées en anglais (LEP) se trouvaient dans six États : la Californie, la
Floride, l’Illinois, le New Jersey, New York et le Texas.
- Un programme contre la
pauvreté
Pour bénéficier de l'enseignement
bilingue, un enfant devait en principe venir d'une famille dont les revenus
annuels ne
devaient pas excéder 3000 $, ce qui désignait avant tout les familles pauvres,
voire très pauvres.
On peut dire qu'il s'agissait d'une mesure sociale destinée à aider les
immigrants à très faible revenu (un euphémisme). En réalité, il faut comprendre que l'aide
fédérale à l'enseignement bilingue fut conçue comme un «programme de pauvreté», non comme une approche innovatrice dans l'enseignement des langues. La
dimension linguistique paraissait secondaire, et il n'était pas question de
favoriser au départ la langue maternelle des immigrants. Bien que présentée en
1965, la loi ne fut adoptée qu'en 1968 et appliquée pour la première fois en
1971 dans l'État du Massachusetts. Il faudra même attendre en 1974 pour que la loi
puisse s'étendre à l'ensemble du pays.
3.2 L'arrêt Lau c.
Nichols de 1974
Cette politique a donné lieu à de nombreux
procès de la part de citoyens, de groupes ou même d'États, qui n'acceptaient pas que le
gouvernement fédéral s'ingère dans le domaine de l'éducation et de la langue,
grâce à son pouvoir de dépenser. L'enseignement bilingue est devenue un enjeux,
sinon une bataille ("battle of bilingual education"). Finalement, de nombreux Américains ont dû se
résigner lorsque la Cour suprême des États-Unis a donné raison au gouvernement
fédéral. C'est que l'arrêt de la Cour suprême Lau c. Nichols de 1974
fut interprété comme recommandant le recours à la langue maternelle des enfants
en tant que langue d'enseignement. Selon la Cour suprême américaine, lorsque les enfants arrivent à l'école avec une
faible connaissance de l'anglais, sinon aucune, le choix qu'ils ont est celui
de «l'enseignement
dans le lavabo ou dans la piscine» ("sink or swim") et, en ce sens, ce
manque de choix constitue une violation de leurs droits civils. La Cour a suggéré que
des aménagements pourraient consister en des cours préparatoires d'anglais ou
en un enseignement bilingue dans lequel la langue minoritaire sert,
parallèlement à l'anglais, de langue d'enseignement durant les premières
années de la scolarité; cette deuxième solution a été adoptée par un certain
nombre d'administrations scolaires.
- Le droit à
l'éducation pour les minorités
|
Aux États-Unis, l'arrêt Lau c. Nichols demeure le
précédent le plus important quant aux droits en éducation chez les minorités
linguistiques, bien que la Cour suprême se soit fondée uniquement sur la loi (le Titre VI de la Loi sur les droits civils de 1964) plutôt que sur la
Constitution américaine. La question était de savoir si les administrateurs
scolaires pouvaient répondre à leurs obligations de d'offrir l'enseignement
avec des chances égales en traitant simplement tous les enfants de la même
manière ou s'ils devaient leur accorder une aide particulière afin de
connaître l'anglais. Cet arrêt de la plus haute cour des États-Unis a ouvert une nouvelle ère dans l'application
des droits civils fédéraux en vertu des «Lau Remedies» («les compensations Lau»).
L'arrêt de la Cour suprême fut rendu le 21 janvier 1974. |
- Les autres droits
Dans cet arrêt, la Cour a validé un certain nombre de
«droits linguistiques». Il s'agit du droit à des
bulletins de vote bilingues, du droit à l'enseignement bilingue, du droit de
recourir à un interprète dans un tribunal, du droit pour les bénéficiaires à
l'aide sociale d'obtenir des informations en espagnol (ou en d'autres langues) et du droit, dans des
cas particuliers, de parler sa langue maternelle à son lieu de travail. La Cour ne
s'est pas prononcée sur le statut des langues minoritaires, ce qui aurait
impliqué un usage officiel et protégé. Néanmoins, par la suite,
l'enseignement bilingue est devenu un droit des familles et une responsabilité
des États, car à partir de ce moment un district scolaire à
l'intérieur duquel habitait un minimum de vingt élèves appartenant à un même
groupe minoritaire fut obligé d'organiser un enseignement parallèle à leur
intention.
La
Loi sur l'éducation bilingue de
1965 a été modifiée de nombreuses fois, mais en 1994, sous la présidence de
Bill Clinton, elle fut appelée l'Improving
America's Schools Act (Loi améliorant les lois scolaires
d'Amérique), alors que le titre bref demeurait encore
Bilingual Education Act.
D'autres lois furent adoptées au Congrès, notamment la Loi d'urgence
d'assistance aux écoles (Emergency School Aid Act, 1972), la Loi
sur l'éducation aux autochtones (Indian Education Act, 1972) et le
Programme sur l'héritage ethnique (Ethnic Heritage Program, 1972).
Ces lois étaient toujours destinées aux enfants dont la connaissance de
l'anglais était limitée. Elles témoignaient du fait que les Hispaniques avaient
acquis vers la fin des années soixante-dix d'une visibilité sans précédent.
Mais ils allaient le payer par un ressac anglo-saxon, car ils incarnaient le «brown
peril», c'est-à-dire le «péril brun».
3.3 La loi de 2001 sur
l'enseignement aux immigrants
|
En fait, les lois sur l'éducation bilingue
ont fini par perdre de leur impact, surtout que la presse
américaine a toujours vilipendé ouvertement cette pratique. La Bilingual
Education Act ou l’Elementary
and Secondary Education Act (Loi sur l'enseignement primaire et
secondaire), devenue en 1994 l'Improving
America's Schools Act (Loi améliorant les lois scolaires
d'Amérique), a finalement été abrogée le 8 janvier 2002.
Le président
George W. Bush a signé et rebaptisé la
nouvelle loi scolaire sous le nom de
No Child Left Behind Act
of 2001 (traduction: la Loi du «aucun enfant laissé pour compte»)
ou NCLB. La nouvelle loi en vigueur dans tous les
États américains a supprimé toute allusion au bilinguisme, le mot «bilingual»
y étant désormais banni. La loi se fixait comme objectif de donner à
tous les élèves américains, d’ici 2014, un niveau satisfaisant en
lecture et en mathématiques; à plus court terme, l’objectif est
aussi que chaque classe ait «un enseignant hautement qualifié». |
Au nom de l’efficacité, la loi de 2001 imposait une
limitation de trois ans à la durée de la présence d'enfants dans les
«programmes bilingues» appelés maintenant des «programs of English language
development for limited English proficient children», c'est-à-dire des
programmes d'enseignement de l'anglais destinés aux enfants dont les
connaissances sont limitées dans cette langue. Pour de nombreux Américains, c’est aussi
le signe d’un début de changement de la politique linguistique fédérale pour
une politique résolument tournée vers le «tout-anglais».
Il faut surtout retenir que la No
Child Left Behind Act exige l'établissement des normes et
d'un système d'évaluation des progrès des élèves en anglais, de publier des «bulletins
scolaires» sur les écoles, de s'assurer que les enseignants soient hautement
qualifiés et d'intervenir lorsque les écoles sont «en danger» ou ne font pas
suffisamment de progrès scolaire en anglais. Néanmoins, les partis politiques,
que ce soit chez les démocrates ou les républicains, sont unanimes pour affirmer que la loi du «aucun enfant laissé pour compte» nécessiterait une
sérieuse révision.
3.4 Les spécialistes et
l'enseignement
bilingue
|
Pour les adeptes du pluralisme, la
création des programmes d'enseignement bilingue est une nécessité, car elle
résulte de l'échec de la politique d'assimilation. Le sociolinguiste
américain Joshua Fishman (1926-2015) fut l'un des
rares propagandistes du pluralisme linguistique et culturel. Ce savant
américain a écrit une trentaine d'ouvrages sur la sociologie du
langage, la planification ou l'aménagement linguistique,
l'enseignement bilingue, surtout en ce qui concerne les minorités
linguistiques, et les liens
entre langage et ethnicité. C'est l'un des plus crédibles
sociolinguistes américains, dont les ouvrages sont reconnus dans le
monde entier par les spécialistes. Fishman a fait en sorte que la
sociolinguistique et la sociologie du langage sont devenues des
domaines incontournables de la recherche linguistique.
Dans son livre
Reversing Language Shift (1991), c'est-à-dire «Renversement du
transfert linguistique», Fishman croit qu'il est fondamental
de préserver son identité d'origine, et que le rejet de sa culture et de
cette identité risquent d'entraîner l'étroitesse d'esprit et
l'intolérance. Pour Joshua Fishman, la diversité ethnique et linguistique
serait de loin préférable à l'homogénéité culturelle. Fishman fut
particulièrement attentif aux aspects concernant la fidélité à une
langue maternelle, sa préservation et sa planification (en anglais:
planning), ce qui ne signifie nullement qu'il ne soit pas
utile, voire nécessaire, d'apprendre une autre langue. |
L'enseignement bilingue aux États-Unis apparaît comme un
moyen nécessaire et efficace d'apprentissage dans de nombreuses écoles
fréquentées par les enfants des minorités.
L'enfant qui ignore l'anglais commence à comprendre ce qui se passe dans la
salle de classe ou bien il se sent complètement perdu. Si les difficultés
scolaires semblent trop lourdes à assumer, l'enfant non anglophone peut tout
laisser tomber et perdre intérêt dans ses études. Sans programme
d'éducation bilingue, beaucoup d'enfants perdraient un précieux temps à
acquérir les connaissances de base de l'anglais, sans comprendre le contenu
qu'on leur enseigne. Dans une classe d'enseignement bilingue, les enfants,
dont les connaissances en anglais sont limitées, apprennent les compétences
de base en lecture, en écriture et en mathématiques dans leur langue
maternelle, afin d'acquérir plus tard les habiletés nécessaires en anglais.
En 1962, les chercheurs canadiens
Elizabeth Peal
et Wallace Lambert
(psychologue) de l'Université McGill (Montréal) ont publié les résultats d'une étude
("The Relation of Bilingualism to Intelligence") comparant les
effets du bilinguisme sur l'intelligence des enfants bilingues et des
enfants unilingues. Ils ont constaté qu'il n'existait aucune preuve
indiquant un quelconque appauvrissement intellectuel chez les enfants
bilingues. En fait, les résultats de l'enseignement bilingue étaient soit
équivalents soit bien supérieurs à ceux des groupes unilingues. Au début des
années 1960, les deux chercheurs ont lancé la première expérience
d’immersion bilingue scolaire précoce; l'objectif était de favoriser
l'apprentissage du français chez les anglophones. Depuis cette expérience,
la formule a fait fureur dans différents pays: l'enseignement se donne pour
une partie dans la langue maternelle (25% ou 50% du temps, selon les
établissements scolaires) et pour une autre partie dans la langue seconde
(75% ou 50% du temps). Théoriquement, l’immersion débute en 3e année
d'enseignement dans la langue maternelle. L’objectif de base est que, en
sortant de la 6e année du primaire, les élèves aient atteint le même niveau
de compétence dans toutes les matières que leurs camarades unilingues tout
en ayant acquis une connaissance approfondie dans une autre langue que leur
langue maternelle. Selon Peal
et Lambert, les enfants bilingues posséderaient une flexibilité mentale
supérieure, une faculté d'abstraction accrue et plus indépendante des mots,
ce qui leur procurerait des avantages indéniables dans la construction des
concepts. En somme, cette recherche capitale démontre que les sujets
bilingues surclassent les unilingues à l'exécution de certaines tâches
cognitives; elle réfute aussi la croyance voulant que le bilinguisme cause
des déficits cognitifs.
Bref, un environnement bilingue et biculturel faciliterait le
développement de l'intelligence, notamment l'intelligence verbale. D'autres
études entreprises par Bain (1974), Cummins (1976) ainsi que Tunmer et
Myhill (1984) en sont arrivées à la même conclusion sur la flexibilité
cognitive supérieure des enfants bilingues. D'autres recherches ont aussi révélé
que, selon Jeff McQuillan et Lucy Tse (Bilingual Research Journal,
1996), 87 % des publications universitaires américaines réalisées entre 1984
et 1994 ont soutenu l'enseignement bilingue. Cependant, les articles publiés
dans les journaux sur ce sujet laissent croire que seulement 45 % des études
appuient l'enseignement bilingue.
Malgré ces études sérieuses et les
expériences positives de l'enseignement bilingue dans des pays comme la
Suisse, la Finlande, le Canada et l'Australie, beaucoup d'Américains doutent
encore des avantages de l'éducation bilingue. En réalité, ce sont surtout
les Blancs qui remettent en question ce type d'enseignement. Pour eux, cet
enseignement paraît d'autant plus inutile qu'ils n'en profitent guère, alors
qu'ils doivent assumer des coûts accrus pour un enseignement destiné à des
immigrants qui ignorent l'anglais. Pour eux, ce n'est pas un projet de
société.
3.5 Les tentatives d'abolition du
bilinguisme
Les organismes voués à l'unilinguisme anglais se sont repliés
sur une autre stratégie apparemment plus efficace. Il s'agit de susciter des
référendums locaux afin de limiter considérablement l'enseignement bilingue
dans les États.
La campagne d'English Only laisse
croire que la connaissance de l'anglais est un désastre pour 1,4 million
d'élèves et qu'elle suscite un climat de xénophobie dans la plupart des États.
Certains juristes prétendent même que l'enseignement public en une autre
langue que l'anglais constitue une violation des lois locales. Les écoles
publiques devraient donc supprimer tous les programmes d'enseignement
bilingues actuels, et ce, peu importe la langue maternelle des élèves. Dans le
pire des cas, ceux qui ne connaissent pas ou peu l'anglais devraient être
placés dans des classes d'immersion durant une courte période de transition
qui ne pourrait excéder un an.
Pour les partisans de
l'unilinguisme, tous les enfants fréquentant une école publique devraient
avoir le droit inaliénable de recevoir leur enseignement en anglais, à
l'exception de ceux qui, au secondaire, apprennent une langue étrangère.
À l'origine de la plupart des initiatives
contre le bilinguisme dans l'enseignement: Ron Unz
(né en 1961), un républicain
millionnaire de la Californie, qui voulait à tout prix éliminer tout
enseignement bilingue. M. Unz fit campagne dans plusieurs États, notamment en Californie,
en Arizona, au Colorado et au Massachusetts, sans oublier la ville de New York, afin de remplacer toute forme d'enseignement bilingue par
un programme d'immersion anglaise d'une durée d'un an pour tous les enfants fréquentant
l'école et parlant une autre langue maternelle que l'anglais. Les adversaires
de l'enseignement bilingue affirmaient que ceux qui reçoivent leur instruction en
espagnol ne possédaient qu'un anglais rudimentaire. Si cet anglais paraît
suffisant pour la vie courante et les métiers sans qualification, il ne
conviendrait pas pour faire ensuite des études plus poussées et accéder à des
emplois qualifiés, voire fréquenter l'université et accéder aux professions
intellectuelles. L'usage de l'espagnol enfermerait les enfants dans le milieu
immigré et les priverait de la chance de surmonter, faute d'apprendre en
classe un bon anglais, leur désavantage initial.
Ces initiatives ont généralement été
mentionnées dans les médias et dans le grand public sous les noms «Initiative
d'immersion anglaise», «Initiative pour l'anglais auprès des enfants» ou
«Initiative Unz». Si les citoyens de l'Arizona (Proposition 203)
en 2000 et de la
Californie (Proposition 227) en 1998 ont accepté par référendum de réduire
l'enseignement bilingue, les citoyens du Colorado ont rejeté en 2002 l'amendement 31
proposé, alors que les citoyens du Massachusetts ont en novembre 2002
également accepté de réduire l'enseignement bilingue dans leur État. Cependant, les lois adoptées ont été contestées devant les tribunaux,
car elles limitent le droit à la liberté d'expression des minorités
linguistiques. Certains intellectuels remettent en question cette stratégie
des initiatives populaires pour faire changer les choses. Bien que ce soit une
forme apparente de démocratie, il suffit qu'un groupe bien organisé, appuyé par
de solides moyens financiers, présente des projets ciblant un électorat
particulier pour atteindre son objectif, car la désaffection de l'électorat
immigrant renforce les groupes conservateurs. À ce jeu électoral, les WASP
(les suprémacistes blancs) sortent presque toujours gagnants (sauf au Colorado).
En somme, toutes ces manifestations anti-bilinguisme
témoignent d'une forte intolérance de la part d'un grand
nombre d'Américains envers la diversité linguistique. C'est manifestement le
point de vue de Mme Irma Rodriguez, avocate latino-américaine pour
l'association MALDEF (Mexican American Legal Defense and Educational Found :
«le
Fonds d’éducation et d’aide juridique
mexico-américain»), citée dans Hispanic Outlook
for Higher Education (le 10 novembre 1995):
L'une des valeurs qui
unissent notre pays est la liberté de parole pour dire ce que nous voulons
et dans la langue que nous voulons. Le mouvement pour faire de l'anglais
la langue officielle reflète l'humeur d'intolérance envers ceux qui ne
parlent pas l'anglais ou qui sont bilingues. |
Quoi qu'il en soit, la législation fédérale
continue de prévaloir sur les législations des États. Même si de nombreux
États ont proclamé l'anglais comme seule langue officielle, les dispositions
fédérales sur le bilinguisme l'emportent sur les lois locales. Selon
le département américain de l'Éducation, plus de 3,5 millions d’enfants dans
l’enseignement public sont classés dans la catégorie «maîtrise limitée en
anglais» (''limited English proficient''), dont 75 % de
latinos (Riley et
Pompa, 1998). En somme, les tentatives
destinées à supprimer le bilinguisme n'ont eu à peu près aucun effet autre
que strictement symbolique. Dans aucun État, les services bilingues ou
multilingues n'ont été supprimés.
|
À la fin des années 1980, la
politique américaine à l'égard des Amérindiens commença à changer. Certains
hommes politiques voulurent reconnaître les droits linguistiques des Amérindiens,
notamment les autochtones de l'Alaska, les indigènes d'Hawaï et les insulaires
du Pacifique. Mais, au cours de la présidence conservatrice de
Ronald Reagan,
il ne s'est rien passé. Il fallut attendre les présidences de
George Bush et de Bill Clinton,
et même de George W. Bush (en 2003).
Quelques lois furent adoptées: la Native American Languages Act of 1990
(ou Loi sur les langues amérindiennes de 1990), la Native American
Languages Act of 1992 (ou Loi sur les langues amérindiennes de 1992),
la Native American Languages Act Amendments Act of 2001 (ou Loi
de 2001 modifiant la Loi sur les langues amérindiennes) et la Southwest
Native American Language Revitalization Act of 2003 (ou Loi de
2003 sur la revitalisation des langues amérindiennes du Sud-Ouest).
|
Ces lois n'autorisaient aucun nouveau
programme pour les autochtones américains ni ne permettaient un financement
supplémentaire, mais elles proposaient des moyens incitatifs pour préserver les
langues amérindiennes en usage aux États-Unis. Ces dispositions législatives
fédérales concernent les droits linguistiques des «Indiens américains» (Americans
Indians), des autochtones d'Alaska (Alaska Natives), des autochtones
d'Hawaï (Native Hawaiians) et des insulaires du Pacifique (Pacific
Islanders), c'est-à-dire les autochtones vivant dans les possessions ou
territoires américains du Pacifique.
4.1 Les principales législations
La Native American
Languages Act of 1992 («Loi sur les langues amérindiennes de 1992») vise à accorder des programmes de subventions permettant d'assurer la survie
et la vitalité des langues amérindiennes. Les subventions ont pour buts de faciliter et
d'encourager le
transfert des habiletés langagières amérindiennes d'une génération à un autre,
de former des interprètes ou des traducteurs pour ces langues, de développer du
matériel pédagogique dans l'enseignement, de favoriser la production d'émissions
de radio et de télévision en langues amérindiennes, d'enregistrer, compiler et
analyser des témoignages oraux dans ces langues et enfin de permettre l'achat
d'équipements audiovisuels, d'ordinateurs et de logiciels destinés à produire des
documents dans des langues amérindiennes. Les subventions sont censées couvrir plus de 80
% des coûts des projets soumis pour la promotion des langues amérindiennes.
La loi de 2001 modifiant la Loi sur les langues amérindiennes prévoit
favoriser les écoles de survie en langues amérindiennes: les Native American
Language Survival Schools. Selon le paragraphe 2 de la loi, les objectifs sont notamment d'encourager et de soutenir le développement des écoles
de survie en langues amérindiennes, en tant que moyens
innovateurs de réparer les effets de discrimination passée contre les locuteurs
des langues amérindiennes et de soutenir la revitalisation de ces langues par
l'éducation en langues amérindiennes et par l'enseignement, en langues
amérindiennes, d'autres matières
scolaires, cela conformément avec la politique des États-Unis, telle qu'exprimée
dans la Loi sur les langues amérindiennes.
Article 2
Objectifs
Les objectifs de la présente
loi sont les suivantes:
(1) Encourager et soutenir le développement des écoles de survie en
langue amérindienne comme un moyen innovateur de réparer les effets
de la discrimination passée contre les locuteurs des langues amérindiennes et
de soutenir la revitalisation de ces langues par l'éducation et par l'instruction dans d'autres matières scolaires
soumises à l'emploi des langues amérindiennes comme un moyen
d'instruction compatible avec la politique des États-Unis telle
qu'exprimée dans la Loi sur les langues amérindiennes (25 U.S.C. 2901 et
suivants);
(2) Démontrer les effets positifs des écoles de survie des langues
amérindiennes d'après la réussite universitaire des étudiants amérindiens et leur
maîtrise en anglais standard;
(3) Encourager et soutenir la participation des familles dans leurs
efforts pédagogiques et culturels pour les écoles de survie des langues
amérindiennes;
(4) Encourager la communication, la coopération et l'échange éducatif
parmi les écoles de survie des langues amérindiennes et de leurs
administrateurs;
(5) Fournir le soutien dans les installations des écoles de survie des langues
amérindiens et des dotations;
(6) Fournir le soutien pour les refuges en langue amérindienne ou comme
une
partie des écoles de survie des langues amérindiennes ou comme
programmes distincts qui sont développés dans les écoles de survie plus
complètes des langues amérindiennes;
(7) Soutenir le développement des modèles nationaux et locaux, qui peuvent
être diffusés auprès du public et rendus disponibles à d'autres écoles comme les
méthodes exemplaires d'apprentissage aux étudiants amérindiens; et
(8) Développer un système de centre d'aide pour les écoles de survie
amérindiennes au niveau de l'université.
|
La loi prétend également
démontrer les effets positifs des écoles de survie en langues amérindiennes sur les
résultats scolaires d'élèves ou d'étudiants amérindiens, ainsi que leur maîtrise en
anglais standard.
En vertu des dispositions de la législation en vigueur, il est
prévu d'offrir l'instruction et d'assurer la protection aux enfants dans une
langue amérindienne pour un groupe d'au moins 10 enfants âgés de sept ans pour
un minimum de 700 heures annuellement. Le secrétaire à l'Éducation est autorisé à
fournir des fonds pour les organisations éducatives, les écoles et collèges en
langues amérindiennes, les administrations indiennes tribales (Indian
tribal governments) afin de faire fonctionner, répandre et augmenter le
nombre des
écoles de survie en langue amérindienne, partout aux États-Unis et dans leurs
territoires, pour des enfants amérindiens parlant ou non une langue
amérindienne. Toute école de survie en langue amérindienne peut bénéficier des
fonds prévus par la loi et doit accorder au moins 700 heures d'enseignement en
langue amérindienne par élève, pour un groupe d'au moins 15 personnes pour
lesquelles une école de survie en langue amérindienne est le lieu principal
d'enseignement.
4.2 Les difficultés dans
l'application des lois
Le problème principal lié à l'application de ces lois est qu'elles arrivent trop
tard, alors que de nombreuses langues autochtones (amérindiennes ou insulaires)
sont moribondes. D'ailleurs, la législation parle bien de «survie» (Native
American Language Survival School) et pas tellement de «promotion» ni de
«normalisation». On peut
aussi se demander s'il ne s'agit pas, encore une fois, d'une autre façon de mieux
enseigner l'anglais en tant que langue seconde en attendant qu'elle devienne la
première langue. En tous cas, ce n'est pas avec ce genre de loi qu'on fera
renaître, par exemple, la langue hawaïenne.
Lorsque le président George
Bush (père) bombarda l'Irak en 1991 dans le but, soutenait-il, de faire cesser l'occupation du
Koweït par les Irakiens, un groupe d'Indiens de l'Oregon fit circuler une lettre
ouverte, aussi amère qu'ironique:
Cher Président Bush,
Pourriez-vous nous aider à
libérer notre petite nation occupée? Une force étrangère occupe nos terres
pour s'emparer de nos formidables ressources naturelles. Ces étrangers ont
menti et mené contre nous une guerre bactériologique, tuant des milliers
de vieillards, d'enfants et de femmes. Après avoir envahi notre pays, ils
ont renversé les chefs et les autorités de nos gouvernements et les ont
remplacés par leur propre système de gouvernement qui, encore aujourd'hui,
contrôle notre mode de vie de bien des manières. Selon vos propres termes,
l'occupation et le renversement d'une petite nation [...] est une
occupation de trop. Sincèrement vôtre.
Un Indien
d'Amérique |
Confrontées au désespoir, à la colère ou à la désaffection de
certains segments de la population, dont les Indiens et les
Hispaniques, les
autorités américaines ont trouvé la solution: il suffit de construire de nouvelles prisons
pour enfermer plus de gens et exécuter davantage de prisonniers. La plupart des
détenus sont pauvres, non blancs et peu instruits. Compte tenu de leur
population, les Indiens et les Noirs sont très nombreux dans les prisons
américaines.
Depuis les années 1960, beaucoup d'Américains avertis ne
se sont pas gênés pour critiquer leur système d'éducation. Les études ont révélé
que les jeunes Américains n'atteignaient pas les normes
internationales en matière d'éducation.
Les présidents Kennedy et
Johnson avaient déjà attitré
l'attention sur
les déficiences du système d'éducation américain, compte tenu que la
population scolaire américaine est extrêmement contrastée et changeante,
notamment avec les hispanophones qui, par exemple, vont devenir la première
«minorité majoritaire» devant les Noirs. Si en 1970, le système
d’éducation américain était l'un des meilleurs parmi les pays de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques), il est devenu
aujourd’hui l'un des plus mauvais. Les écoles américaines sont tellement
sous-financées qu’elles manquent de matériel pédagogique élémentaire. Il est
vrai qu'aucun système d'éducation n'est parfait, mais les États-Unis ont
tragiquement sous-performé par rapport à d'autres pays développés. Les
Américains eux-mêmes dénoncent partout leur système d'éducation défaillant,
les regards pointant sur les méthodes «inefficaces», les élèves
«irrespectueux», les enseignants «surpayés», un financement fédéral
«négligeant», des programmes «dépassés», ainsi que d'autres objets de blâme
et de spéculation. Pour ce qui est du salaire des enseignants, ceux-ci gagnaient en 2017 proportionnellement 19 % de moins que les
autres professionnels du pays. Il n'est donc pas surprenant que les
enseignants américains ne soient pas respectés ni appréciés, tandis que la
profession est peu recherchée et souvent de courte durée.
5.1 Les programmes fédéraux
Au début de la décennie de 1980, l’enseignement primaire et
secondaire aux États-Unis souffrait de graves défauts : le niveau
d'instruction des élèves
paraissait plutôt mauvais et la violence faisait partie du quotidien. En 1981, le président nouvellement élu, le républicain
Ronald
Reagan, commanda une étude sur l’état des écoles américaines : il
s'ensuivit un rapport très alarmant (A nation at risk) sur les
défaillances du système d'éducation et la faiblesse des résultats des
élèves. Dans le but d'améliorer la situation, Reagan voulut abroger la
Bilingual Education Act
(ESEA), ainsi que d'autres programmes fédéraux
destinés aux enfants financièrement désavantagés. Il ne parvint pas à éliminer la plupart des grands programmes fédéraux,
mais il lui fut plus aisé de réduire les dépenses et les subventions à un point tel
que la plupart des programmes en éducation accusèrent par la suite beaucoup de retard.
Il se trouve que la législation et la
réglementation américaines n'avaient jamais précisé la façon dont on devait
enseigner aux enfants. L'accent fut mis sur la «responsabilité fiscale»,
c'est-à-dire le manque de responsabilisation de la part des administrations
locales dans la gestion des subventions fédérales. La législation fut modifiée
pour exiger de la part des États pour des niveaux bine déterminés de réussite scolaire.
Les administrations locales durent indiquer les écoles ayant besoin de
l'aide fédérale pour améliorer leurs taux de réussite scolaire.
5.2 Le combat contre la sous-scolarisation
En 1989, le président
George Bush (père) et les
gouverneurs des États se rencontrèrent dans un sommet sur l'éducation à Charlottesville en Virginie,
au cours duquel il fut décidé que les États-Unis devaient
exiger des normes nationales en matière d'éducation afin de relever le niveau
scolaire des jeunes Américains. Le président Bush (père) annonça en janvier 1991 une nouvelle
campagne concernant une réforme en profondeur de l'éducation. Il déclara:
«Dans le domaine de l'éducation, la révolution a d'ores et déjà commencé. Je
demande à tous nos compatriotes de se mobiliser pour la croisade la plus
importante pour nos enfants et pour nous-mêmes.»
Dans le programme de Bush (père) d'America 2000, quatre grands
objectifs étaient fixés pour combattre la sous-scolarisation au cours des dix
années qui suivirent :
Chaque enfant entrant à
l'école devra être prêt à lire; 90 % des adolescents devront sortir
diplômés d'une high school — ils n'étaient que 32 % en 1875;
chaque adulte devra «savoir lire, écrire, compter et avoir une formation
individuelle lui permettant de s'épanouir dans le cadre de l'économie du
pays». |
L'anglais, les mathématiques, les sciences, l'histoire et la
géographie constituaient les cinq disciplines prioritaires. L'introduction de
la géographie fut jugée importante, parce que 77 % des Américains ignoraient où
se trouvait l'Irak pendant la guerre du Golfe, comme ils ignorent où est
située la France. Quant à la promotion de
l'anglais, elle correspondait à une préoccupation constante devant la montée
des minorités non anglophones, notamment les Hispano-Américains de moins en
moins désireux de se fondre dans le melting pot.
5.3 Des résultats modestes
Les résultats concrets d'America 2000 se
sont révélés au demeurant modestes et les attentes, presque totalement irréalistes. En 2003, les
membres de la Commission en éducation du Congrès se trouvèrent dans l'obligation de
dresser ce constat : «Soixante-cinq pour cent des jeunes sortant des high schools
ne peuvent assimiler le contenu d'un article de journal; 55 % sont incapables
de remplir correctement un bon de commande, et 52 % d'analyser l'état de leur
compte en banque.» Il faut signaler que les moyens financiers n'avaient pas suivi.
En effet, le président Bush (père), l'artisan de la guerre du Golfe, n'avait
accordé
que 535 millions de dollars pour quelque 500 établissements d'enseignement
disséminés dans l'ensemble du pays, ce qui équivalait à 0,15 % des dépenses
militaires de l'année en cours.
- L'accès à l'éducation
Ces initiatives timides masquent les vrais problèmes en éducation
aux États-Unis, dont les inégalités dans le revenu et la maîtrise de la
langue anglaise. Ces inégalités ont des incidences
dans l'accès à l'éducation; et les inégalités d’accès à l’éduction ont
atteint des sommets inouïs aux États-Unis, car les enfants issus des milieux
les plus modestes ont un probabilité à peine supérieure à 20 % d’accéder aux
études supérieures, contre plus de 90 % pour les enfants issus des milieux
les plus favorisés. De plus, il faut préciser que les enfants d’origine
modeste, qui parviennent à se pratiquer un chemin vers les études, ne
fréquentent évidemment pas les mêmes universités que les enfants favorisés.
Par exemple, le revenu moyen des parents des étudiants fréquentant
l'Université de Harvard correspond
à celui des 2 % des Américains les plus aisés.
L’année 2004 a vu la commémoration de l’arrêt Brown c. le
Board of Education, par lequel la Cour suprême interdisait la
ségrégation raciale dans toutes les écoles américaines. Cette année-là, une
analyse a été publiée au sujet des résultats des élèves sur la base de
leur appartenance ethnique. Les compétences en lecture, notées sur une
échelle de 0 à 500 étaient en moyenne de 294 pour les Blancs, 270 pour les
Hispaniques, 263 pour les Noirs. Les résultats obtenus dans le privé étaient
sensiblement meilleurs : 307 pour les élèves du privé contre 285 pour ceux
du public. En mathématiques, les résultats étaient de 315 pour les Blancs,
293 pour les Hispaniques et 283 pour les Noirs. Là encore, le secteur privé
obtenait de meilleurs scores : 321 en moyenne contre 307 pour le public.
La lutte pour
l’égalité d’accès à l’éducation n’en demeure pas moins un enjeu majeur,
parce que cette question a l'avantage de mobiliser les minorités hispaniques
et noires bien plus que l'amélioration du revenu ou du salaire minimum.
- La maîtrise de la langue
Le second problème très important concerne la maîtrise de la langue qui conditionne la réussite scolaire et détermine la
capacité à suivre des études supérieures de qualité, lesquelles à leur tour ouvrent les
portes des métiers hautement qualifiés, encore très largement occupés par des
WASP (White Anglo-Saxon Protestant). Toute création d’entreprise exige une bonne connaissance du système et de
la langue et les immigrants qui maîtrisent mal l’anglais n’y parviennent que
lorsqu’ils sont soutenus par un réseau communautaire de solidarité dont les
membres sont bilingues.
De fait, tout entrepreneur qui cherche à décrocher des
marchés, à obtenir de l'aide ou à négocier avec d’autres entreprises a besoin de
l’anglais. Cette maîtrise est incontournable pour tout individu qui demeure aux
États-Unis.
- Les écoles à charte (charter
schools)
Les écoles dites «à charte» sont des écoles à financement
public, mais à gestion privée sous contrat ("charter"). En échange d’une
plus grande autonomie de fonctionnement (l’école n’est pas placée sous
l’autorité d'un «superintendant» et peut déterminer seule son programme),
l'école à charte (ou "charter school") s’engage à atteindre des
objectifs bien précis; la non-atteinte de ceux-ci au bout de trois à cinq ans
peut entraîner la révocation du contrat et la fermeture de l'école. Ces écoles
à charte n’ont pas à respecter les conditions de travail négociées
par les syndicats et les conseils scolaires.
En janvier 2017, le président Donald Trump a choisi comme
secrétaire à l'Éducation une milliardaire républicaine, Betsy DeVos,
laquelle a consacré sa carrière à la cause de la privatisation de
l'éducation; selon les démocrates, elle est la personne «la moins qualifiée dans
un gouvernement historiquement peu qualifié». Les critiques lui reprochent
de n'avoir aucune expérience en enseignement et déplorent que ces «écoles à charte»
sont là pour faire de l'argent en plus d'accaparer une part du financement
public sans que les résultats scolaires ne s'améliorent pour autant. Ces
écoles sont entièrement financées par le secteur public, mais avec
des fonds par élève amputés en général du quart.
Les principales critiques envers les «écoles à charte» sont qu’elles introduisent de l’instabilité dans le système scolaire, parce
que plusieurs ferment leurs portes pour des motifs financiers; elles privilégient aussi
les notes aux examens plutôt que d'offrir une instruction moderne. Comme
elles sont moins transparentes, elles risquent plus de détournements de
fonds, ce qui pourrait représenter 6,5 % des budgets, selon un rapport de
2015 du Centre pour la démocratie populaire et l’intégrité en éducation
("Center for Popular Democracy and Integrity in Education").
Pour Betsy DeVos, ces changements pourraient faire «avancer le royaume de
Dieu».
- Des réformes encore possibles?
Les deux principaux syndicats d’enseignants américains, soit
l’American Federation of Teachers et la National Education
Association ont recommandé les mesures suivantes pour tenter de corriger
les déficiences du système d'éducation américain :
- rendre l’enseignement préscolaire accessible à tous
sur le modèle du système français des maternelles ;
- réduire les effectifs dans les classes ;
- favoriser une meilleure formation des enseignants afin qu’ils soient tous
qualifiés dans la discipline enseignée, en leur adjoignant par exemple
des tuteurs ;
- rendre la profession plus attirante en augmentant les salaires et en
améliorant les conditions de travail dans les régions les plus
difficiles ;
- instaurer une politique de soutien concernant les enfants en situation
d'échec : cours de soutien, accueil pendant l’été, extension du
programme "Early Start" à davantage d’enfants défavorisés.
L'éducation fondamental semble déficiente à plus d'un titre, et
les conséquences semblent se poursuivre jusque dans l'enseignement supérieur. Selon
certaines études, les diplômés universitaires seraient incapables d’effectuer des
tâches simples telles qu'écrire correctement en anglais. Or, presque
les deux tiers des emplois dans les grandes entreprises américaines
requièrent de solides compétences en écriture. Bref, le système d'éducation
préparerait mal les étudiants au monde du travail.
L'un des problèmes des études universitaires aux États-Unis réside dans le
coût élevé d'une année scolaire. Selon l'université choisie
et le coût de la vie dans une localité donnée, le coût total se chiffre au
moins à 20 000 $ (ou 18 900 €) jusqu'à 45 000 $ (ou 42 5000 €), voire
davantage. Évidemment, peu de familles peuvent financer les études de leurs
enfants : il faut donc recourir aux bourses, aux emprunts et au travail
étudiant. Les jeunes arrivent très endettés à la fin de leurs études. Le
tarif du parcours universitaire a augmenté dix fois plus que le revenu moyen
des Américains.
La situation des jeunes (25-34 ans) aux études supérieures
n'est néanmoins pas catastrophique, car la participation financière des Américains est de 42 %,
comparativement à 38 % pour le Royaume-Uni, 41% pour la France, 55 % pour le
Japon et 56 % pour le Canada. Si le bilan n’est pas le meilleur au monde, il
est loin d’être médiocre. Dans les faits, les États-Unis demeurent dans le peloton
de tête des pays développés (devant la Suisse, le Canada, la Suède, la
Norvège, le Danemark, etc.) en matière d’effort financier consacré à la
formation et à l’enseignement supérieur.
- Priorité aux dépenses militaires
En 2004, le président
George W. Bush (le fils) annonça un nouveau programme ambitieux
: la conquête de la planète Mars et l'implantation de colonies américaines
sur cette planète vers 2018. Ce projet démontre une tendance courante dans
l'histoire américaine : les obsessions militaires prennent généralement
le pas sur les préoccupations sociales, notamment en éducation et en santé. Pour un
Franklin Roosevelt, un
Lyndon Johnson, un
Jimmy Carter, voire un
Bill Clinton et un
Barack Obama, il y a eu surtout des
présidents belliqueux comme James Monroe
(1817-1825), James Polk (1845-1849),
Abraham Lincoln (1861-1865),
Theodore Roosevelt (1901-1909),
Dwight Eisenhower (1953-1961),
Richard Nixon (1969-1974),
Ronald Reagan (1981-1989),
George Bush (1989-1993),
George W. Bush (2001-2009) et
Donald Trump.
En 2015, les États-Unis se situaient seulement au 25e
rang parmi 72 pays au monde en éducation (tous niveaux confondus), selon le classement PISA de
l'OCDE. Afin de faire face à une hausse des dépenses militaires de 54
milliards de dollars, soit environ 10 %, le président Trump prévoyait dans
son premier budget (2017) de réduire de 14 % les ressources financières dans
l'éducation publique. En vue d'y parvenir, il fallait éliminer les programmes
d’activités après les classes pour les élèves du primaire et du secondaire,
incluant les programmes de nutrition dans les milieux défavorisés; il fallait
abolir les programmes d'aide à l'éducation locale, y compris le NASA Education Service; pour finir, l'Institute of Museum
and Library Services (Institut des musées et des services de bibliothèques)
serait fermé. Malheureusement, lorsqu'il faut choisir d'augmenter le budget
des dépenses militaires, l'éducation ne fait plus le poids.
Il y a cinquante ans, les États-Unis étaient une source
d'inspiration pour les professionnels de l'éducation dans le monde entier.
Plus maintenant, en dépit de la présence de certaines universités
prestigieuses (Harvard, Princeton, Yale, Stanford, etc.)! Selon les experts,
ce n'est pas parce que les États-Unis auraient pris du retard, mais plutôt
par le fait que beaucoup d’autres pays auraient amélioré leurs performances en
la matière.
Après avoir caressé pendant près d’un siècle
le rêve du melting pot où fusionneraient toutes les langues, toutes les
races et toutes les cultures, l’Amérique s'est soudainement réveillée devant une
réalité qu'elle refusait de reconnaître: la société multiculturelle. La terre d’accueil des
White Anglo-Saxon Protestants (WASP) est aujourd'hui en train de se réduire comme une peau de
chagrin. En effet, les immigrants du XXIe
siècle ont les yeux bridés et mangent avec des baguettes, sont musulmans ou
bouddhistes, ou bien ils ont la peau basanée, mangent des tacos, parlent
l'espagnol et sont catholiques. Évidemment, d'autres scénarios sont possibles!
6.1 Les nouveaux arrivants
et la langue anglaise
Le recensement de 2000 révélait
qu'un Américain sur cinq ne parlait pas l’anglais couramment, contre un sur six
en 1990. Pour la première fois dans leur histoire, les États-Unis comptent
aujourd’hui une majorité d’immigrants ne parlant qu'une seule langue, qui n’est
pas l’anglais. Le flot d'écoliers non anglophones rend de plus en plus difficile
l'enseignement de l'anglais aux États-Unis. Selon Jeffery S. Passel, démographe
à l'Urban Institute (Washington, DC), les États-Unis connaîtraient aujourd'hui leur
plus grande vague d'écoliers non anglophones de toute leur histoire avec quelque
90 000 écoles publiques et plus de 11 millions d'enfants d'immigrants. Le
problème ne touche pas seulement le grand nombre d'élèves dans les écoles, mais
aussi le grand nombre de langues étrangères. En 2003,
K.C. McAlpin,
directeur (exécutif) de
ProEnglish, faisait la déclaration suivante:
Trying
to teach English to this large and ever growing number of school
children English is like trying to run on a treadmill that continues to
gain speed. We simply have to recognize that there are limits to the
numbers of new immigrants we can take if we are going to teach them all
English and help them achieve the American dream. |
[En essayant de faire
apprendre l'anglais à ce grand nombre toujours croissant d'écoliers, c'est comme tenter de courir sur un tapis roulant qui
continue à prendre de la vitesse. Nous devons simplement reconnaître
qu'il y a des limites au nombre des nouveaux immigrants que nous
pouvons accepter si nous voulons apprendre l'anglais à tous et les
aider à réaliser le rêve américain.] |
L'arrivée de tant d'immigrants entraîne des
responsabilités pour les dirigeants américains. Non seulement il faut être
capable d'accueillir les nouveaux arrivants, mais il faut aussi les intégrer
dans la société américaine. Or, le premier moyen consiste à leur faire apprendre
l'anglais, de façon progressive et sans créer de discrimination, ni les
culpabiliser s'ils ne maîtrisent pas l'anglais dès la première année de leur
arrivée.
Par ailleurs, le poids politique des
immigrants commence à faire peur aux Blancs, même si traditionnellement les
nouveaux arrivés
participent peu à la vie politique du pays! Il est vrai que, quand ils votent,
ils favorisent massivement les démocrates, comme c'est le cas de la plupart des
minorités. S'ils parlent l'espagnol et sont catholiques, ils résistent
plus que d'autres immigrants aux modèles de l'American way of life. Même la communauté noire s'inquiète du rôle grandissant des
Latinos et leur
reproche de se considérer comme «Blancs» et de lui voler des emplois; pourtant,
les Hispaniques, eux aussi, sont régulièrement victimes de discrimination.
6.2 L'idéologie du "melting
pot" et du saladier
Dans l'éventualité où l'immigration se
poursuivrait à son rythme actuel, les Blancs ne détiendront la majorité que dans
une proportion de 52 % d'ici 2050. Les hispanophones formeront le principal
groupe minoritaire (22 %) et ils seront suivis par les Afro-Américains (14 %) et
les Asiatiques (10 %). Bref, il n'est pas interdit de croire qu'un jour les
minorités formeraient la majorité! Verra-t-on même un jour un président latino,
comme on a vu un président noir?
|
Aux États-Unis, la prise de conscience de la
diversité culturelle s'est manifestée pourtant dès le milieu des années 1980.
Les exemples sont nombreux, surtout dans les écoles. Dans un high school
de Cambridge près de Boston, quelque 27000 élèves représentaient 63 nationalités
et parlaient 46 langues. Les 63 000 élèves de San Francisco provenaient
majoritairement du Mexique, de l'Inde, du Laos, des Philippines et parlaient 55
langues. Les 17 écoles de la ville de Sheboygan au Wisconsin devaient faire
apprendre l'anglais à des enfants qui parlaient 20 langues, incluant des
enfants de la Bosnie-Herzégovine et de l'Albanie, ainsi que des réfugiés
hmong de l'Asie du Sud-Est. Dans un article du Monde en date du 30 octobre 1992,
la journaliste française Annick Cojean cite un manuel d'histoire pour les classes américaines de troisième
année: |
|
Comme une salade, les
États-Unis sont faits de différents ingrédients de peuples et de
cultures. Bien qu'ils soient mélangés, ces ingrédients restent
distincts. Et, comme chaque composante dans un saladier comporte une
saveur particulière, chaque contribution culturelle ajoute à la variété
et à la diversité de la vie américaine. |
Plus précisément, le
melting pot,
dont la caractéristique est de fondre les divers éléments dans le creuset, est
en train de se muter en saladier (salad bowl) où chacun des éléments
conserve sa saveur particulière.
6.3 Les réformes de
l'administration Clinton
Ainsi, le visage des États-Unis est en passe
de se métamorphoser radicalement. Le président
Bill Clinton avertissait ainsi ses
compatriotes: «D'ici 30 ou 40 ans, aucune race ne dominera aux États-Unis. Et
nous ferions bien de nous faire à cette idée.» En bon démocrate libéral, Clinton
s'efforçait de prêcher la tolérance raciale et les vertus du multiculturalisme.
Voici un extrait de l'un de ses discours intitulé «Les États-Unis, terre de
diversité et d'espoir» (1999):
Les
États-Unis, terre de diversité et d'espoir
Bill Clinton
Parvenus à
l'aube du XXIe siècle, nous mesurons pleinement les défis
formidables et les fougueux espoirs que l'avenir nous réserve.
Au cours du prochain siècle, nous pourrons devenir la première
démocratie véritablement multiraciale et multiethnique au monde. Nos
écoles publiques n'ont jamais accueilli autant d'élèves, aux origines
d'une diversité encore inégalée : de fait, un écolier sur cinq est issu
d'une famille d'immigrants.
En Virginie par exemple, tout près de la
capitale de notre pays, de l'autre côté du Potomac qui arrose Washington,
le district scolaire du comté de Fairfax se targue de scolariser des
enfants issus de 180 groupes raciaux, nationaux et
ethniques et qui parlent à eux tous plus de 100 langues maternelles. Nous
devons veiller à ce que notre système éducatif nourrisse la créativité de
chacun de nos élèves, qu'il leur donne à tous les compétences et les
connaissances dont ils ont besoin pour réaliser leur potentiel et qu'il
leur offre la possibilité de réussir dans la vie et dans la carrière
qu'ils choisiront.
Le prochain siècle comportera sa part de défis et d'espoirs pour les
personnes du troisième âge aussi. Dans notre pays, leur nombre doublera
d'ici à l'an 2030 et, grâce aux progrès de la médecine, l'Américain moyen
qui vivra au milieu du XXIe siècle atteindra l'âge de 82 ans,
soit six ans de plus que l'espérance de vie d'aujourd'hui. Ces années
supplémentaires procurent certainement beaucoup de satisfaction, mais
elles compliquent les programmes fédéraux qui prodiguent une aide
financière et des soins médicaux aux personnes âgées. L'une des grandes
craintes de ceux parmi nous qui sont dans la fleur de l'âge — c'est-à-dire
la génération née dans l'après-guerre —, c'est qu'en vieillissant nous
constituerons un fardeau intolérable pour nos enfants à tel point que
ceux-ci auront du mal à élever nos petits-enfants. À l'approche du nouveau
millénaire, maintenant que nous jouissons d'une économie robuste et que
nous assistons aux premiers excédents budgétaires depuis les années 1960,
nous avons une occasion historique — et une obligation solennelle — de
veiller à ce que le régime de retraite et la caisse d'assurance-maladie
soient préservés pour le bien-être des futures générations, elles qui
vivront dans une société où les hommes et les femmes mèneront une vie plus
longue, plus active, plus productive.
Nous aurons beaucoup à faire au prochain siècle, tandis que nous nous
emploierons à devenir une nation respectueuse de nos différences, fière de
célébrer notre diversité et unie autour de valeurs communes.
Maintenant que le nouveau millénaire approche à grands pas, marquons
fièrement les étapes de cette évolution, réjouissons-nous des progrès
accomplis et montrons-nous déterminés à réaliser de plus grandes percées
encore dans les années à venir.
__________________________
Source:
Revue électronique de
l'Agence d'information des États-Unis, volume 4, numéro 2, juin 1999. |
|
Les présidents Lyndon Johnson (1963-1969)
et Bill Clinton (1993-2001)
se sont révélés les hommes politiques américains les plus ouverts en
matière de libertés et de droits à l'égard des minorités ethniques, raciales
et sexuelles. Sous l'administration Clinton, d'importantes réformes législatives
relatives à la sécurité sociale ont été proposées, puis adoptées par le
Congrès. Ce démocrate de fin de siècle savait que les recettes du passé ne
valaient plus rien et qu'il fallait recourir à de nouvelles formules. Mais
Bill Clinton n'a pas réussi à atteindre tous ses objectifs, notamment ceux qui
étaient reliés à ses projets de réformes
touchant l'assurance maladie. De plus, son mandat fut entaché d'un scandale
sexuel qui a terni sa réputation comme président.
En 1998, le Comité des conseillers
économiques pour l'initiative sur la question raciale (pour le président
Clinton) publiait un rapport intitulé Changing America: Indicators of
Social and Economic Well-Being by Race and Hispanic Origin («L'Amérique en
changement : les indicateurs du bien-être social et économique par la race et
l'origine hispanique»). Le rapport donnait un portrait assez complet de la
situation aux États-Unis. En voici quelques extraits en version française: |
L'Amérique en
changement:
les indicateurs du bien-être social et économique par la
race et l'origine hispanique
Plus on se rapproche du
siècle prochain, plus la population des États-Unis frappe par la
diversité de sa physionomie. Ces dernières années, les Latino-Américains
et les groupes raciaux minoritaires (c'est-à-dire, pour les besoins du
présent texte, les groupes raciaux et ethniques qui constituent moins de
50 % de la population et qui réunissent les Noirs d'origine non
latino-américaine, les Asiatiques et les Amérindiens) ont enregistré une
croissance démographique supérieure à celle de l'ensemble de la
population. En 1970, ces groupes représentaient à eux tous 16%
seulement de la population. En 1998, leur part atteignait 27%.
Dans l'hypothèse du maintien
des tendances actuelles, le Bureau du recensement prévoit qu'ils
constitueront près de la moitié de la population des États-Unis d'ici à
2050. Bien que manifestement imprécises, ces projections indiquent que
les États-Unis connaîtront une expansion considérable de la diversité
raciale et ethnique au cours du siècle prochain.
L'immigration est la clé
de cette évolution démographique. Elle a contribué à la croissance
rapide de la population asiatique et latino-américaine depuis les années
1960. En 1997, 38 % des Latino-Américains et 61 % des Asiatiques étaient
nés à l'étranger, contre 8 % de la population blanche, 6 % de la
population afro- américaine et 6 % des Amérindiens. L'accroissement du
nombre d'immigrants asiatiques et latino-américains observé ces
dernières dizaines d'années tient essentiellement à la modification de
la politique d'immigration. En particulier, la loi de 1965 mit fin au
système des quotas liés à l'origine nationale, dont l'existence
restreignait l'immigration en provenance de pays non européens. De même,
la loi de 1986 relative à la réforme et au contrôle de l'immigration
contribua à l'accroissement du nombre d'immigrants asiatiques et
latino-américains, dans la mesure où beaucoup de clandestins profitèrent
des nouvelles dispositions pour régulariser leur situation.
Parallèlement à la montée de l'immigration des Asiatiques et des
Latino-Américains, la croissance démographique s'est considérablement
ralentie dans l'ensemble des États-Unis, essentiellement à cause de la
baisse du taux de fécondité de la population, noire comme blanche,
d'origine non latino-américaine. Dès lors,
la part des Blancs non
originaires d'Amérique latine diminue depuis 1970, et celle des Noirs
n'a que légèrement augmenté.
La modification de l'identification raciale et ethnique a également
favorisé l'épanouissement de cette diversité. C'est dans la population
amérindienne que ces changements frappent le plus, car l'augmentation
enregistrée ces dernières années est trop forte pour qu'on l'explique
exclusivement par le recul du taux de mortalité, les naissances,
l'immigration et les améliorations au niveau du recensement.
On est donc
tenté de conclure que les personnes recensées sont plus susceptibles
qu'autrefois de se définir comme étant d'origine amérindienne.
Il faut noter que l'évolution de la composition ethnique et raciale de
la population à l'échelle nationale masque des différences d'une région
à une autre aussi bien qu'à l'intérieur même des régions. La
distribution géographique des groupes raciaux et ethniques a son
importance, parce qu'elle influence le potentiel d'interactions sociales
et économiques entre eux. Selon les projections faites par le Bureau du
recensement en 1995,
c'était l'Ouest qui comptait la plus forte
concentration de minorités (36 %), puis venaient le Sud (30 %), le Nord-Est (23 %) et le Centre (15 %).
Les Noirs d'origine non
latino-américaine sont les plus susceptibles de vivre dans le Sud,
tandis que les Asiatiques, les Latino-Américains et les Amérindiens ont
davantage tendance à s'installer dans l'Ouest.
D'autre part, la composition raciale varie selon que l'on se trouve en
plein cœur des régions métropolitaines, dans leurs proches banlieues ou
dans les zones non métropolitaines. On trouve généralement plus de
Latino-Américains, de Noirs et d'Asiatiques que de Blancs d'origine non
latino-américaine dans les centres des villes (en 1996 plus de la moitié
des Noirs et des Latino-Américains et près du quart des Asiatiques
vivaient dans un centre-ville, contre moins du quart des Blancs non
originaires d'Amérique latine). À titre de comparaison, plus de la
moitié des Blancs d'origine non latino-américaine, et 48 % des
Asiatiques, vivaient en banlieue en 1996. Les Amérindiens sont de loin
les plus susceptibles de s'installer loin des villes et des banlieues ;
en 1990, près de la moitié d'entre eux résidaient hors de zones
métropolitaines.
[...]
Un grand nombre de caractéristiques démographiques affectent les
conditions sociales et économiques des individus et elles expliquent en
partie les différences socio-économiques entre eux. Par exemple,
l'immigration a fait régresser le statut socio-économique relatif de la
population originaire d'Amérique latine dans la mesure où les immigrants
venus de cette partie du monde ont tendance à avoir un niveau
d'instruction et un revenu inférieurs à ceux de l'ensemble de la
population latino-américaine.
La structure des ménages et la répartition des individus par tranches
d'âge sont d'autres caractéristiques démographiques qui ont des effets
importants sur la condition sociale et économique. En particulier, la
croissance de la pauvreté des enfants est souvent associée à la
progression de la part des familles monoparentales. Par rapport à 1970,
la part de ces familles a augmenté dans tous les groupes mais elle est
surtout importante parmi les Afro-Américains (38 %), les Amérindiens (26
%) et les Latino-Américains (26 %). De même, la structure des ménages
est affectée par la condition économique ; par exemple, la tendance
accrue des personnes âgées à vivre de façon autonome est liée au
relèvement croissant de leur niveau de vie.
Les différences observées au niveau de la répartition des tranches d'âge
dans la population pourraient bien affecter le taux de croissance de ces
diverses tranches. On peut en dire autant des écarts constatés sur le
plan économique et social. Par exemple, c'est parmi les enfants que le
taux de pauvreté est le plus élevé, et parmi les jeunes adultes que le
taux de délinquance est le plus fort. En moyenne, la population blanche
d'origine non latino-américaine est considérablement plus âgée que
l'ensemble de la population. Seulement 24 % des personnes de ce groupe
ont moins de 18 ans, contre environ 30 % des Noirs d'origine non
latino-américaine et des Asiatiques et environ 35 % des Amérindiens et
des Latino-Américains. Les différences entre les groupes raciaux et
ethniques en matière de répartition des âges reflètent les écarts
enregistrés sur le plan du taux de mortalité, du taux d'immigration
nette et de l'âge des immigrants.
--------
Cet article est extrait du deuxième
chapitre du rapport intitulé
Changing America : Indicators of Social and Economic Well-Being by Race
and Hispanic Origin, publié en septembre 1998 par le Comité des
conseillers économiques pour l'initiative sur la question raciale. |
6.4
Le maintien
des cultures distinctesLes promoteurs les plus enthousiastes des
cultures distinctes et du bilinguisme font entendre leurs voix au sein des
organisations de défense des droits civils telles que la LULAC (League of
United Latin American Citizens: Ligue des citoyens latins unis d'Amérique)
et la MALDEF (Mexican American Legal Defense and Education Fund:
Fonds d’éducation et d’aide juridique
mexico-américaine).
- Une nation tolérante
Ceux qui préconisent le maintien de la
diversité culturelle aux États-Unis croient que leur pays constitue une nation
tolérante, une entité réellement multiculturelle dans laquelle toutes les
composantes ont des droits et apportent leur contribution à l'ensemble. La
diversité culturelle ouvrirait les marchés internationaux aux entreprises
américaines et contribuerait à leur développement international. Le président
démocrate Bill Clinton
l'avait observé en déclarant (le 4 février 1997) que la diversité constituait la
plus grande force du peuple américain:
My fellow Americans, we must never, ever
believe that our diversity is a weakness — it is our greatest strength.
Americans speak every language, know every county. People on every
continent can look to us and see the reflection of their own great
potential — and they always will, as long as we strive to give all of
our citizens, whatever their background, an opportunity to achieve their
own greatness. |
[Mes camarades américains, nous ne devons jamais, au
grand jamais, croire que notre diversité est une faiblesse; c'est notre
plus grande force. Les Américains parlent toutes les langues, connaissent
tous les pays. Les peuples de tous les continents peuvent nous regarder et
voir en nous le reflet de leur propre grand potentiel. Et ils le feront
toujours, aussi
longtemps que nous nous efforcerons de donner à tous de nos citoyens,
quelle que soit leur origine, l'occasion de réaliser leurs ambitions
personnelles.] |
Rappelons qu'en août 2000 le président
Clinton a signé un décret (EO 13166) intitulé
Improving access for people of
limited English proficiency («Décret améliorant l'accès aux services pour les personnes dont les compétences sont limitées
en anglais»). Ce décret obligeait toutes les agences
fédérales à s'adresser aux non-anglophones dans leur langue. La raison
invoquée était que les non-anglophones avaient droit aux mêmes services que
les anglophones.
- L'atout du bilinguisme
Les partisans du maintien des cultures
distinctes sont
également favorables aux politiques de bilinguisme instaurées par le
gouvernement fédéral au début des années 1970, notamment en matière
d'éducation et dans certains services publics (élections, tribunaux,
hôpitaux, etc.). Ils croient que le bilinguisme est un atout et que
l'enseignement bilingue favorise l'apprentissage de l'anglais. De nombreux
éducateurs et spécialistes de l'enseignement croient que l'enseignement
bilingue est la clé de la réussite pour alphabétiser les enfants dans leur
langue avant de passer à l'anglais.
Depuis les années 1960 et 1970,
l'enseignement bilingue fait l'objet d'un débat national. Aux yeux de
nombreux éducateurs, l'enseignement bilingue, c'est-à-dire
l'enseignement dans la langue maternelle de l'enfant et en anglais, doit
être nécessaire mais transitoire. La langue maternelle de l'enfant doit
être utilisée à des fins pédagogiques, en permettant à celui-ci d'acquérir des
compétences cognitives et d'éviter tout retard scolaire en
raison de sa faible maîtrise de l'anglais. Lorsque l'élève parvient à
maîtriser suffisamment l'anglais, l'enseignement de la langue maternelle
devrait prendre fin. En théorie, il est même souhaitable de continuer à
accorder une certaine attention au patrimoine et à la culture de
l'enfant, mais le but fondamental, du moins selon la législation
fédérale, est d'amener les élèves allophones à s'intégrer graduellement
dans des salles de classe entièrement en anglais. En d'autres termes,
les enfants doivent apprendre l'anglais tout en recevant leur
instruction en espagnol durant leurs études primaires. Bien que les
enseignants s'évertuent à démontrer que le but ultime de l’éducation
bilingue est l'apprentissage de l’anglais, beaucoup d'Américains croient
que c'est nuisible, car on favoriserait ainsi le «séparatisme ethnique».
Lorsqu'il était candidat à la présidence
des États-Unis, Barack Obama avait donné une certaine idée de ce qu'il
pensait de la question linguistique dans son pays. Il était un
partisan du «bilinguisme individuel». Le candidat Obama
s'était senti presque coupable en juillet 2008, à l'hôtel de ville de
Dayton (Ohio), du fait qu'il ignorait les langues étrangères: "I don't speak a foreign
language. It's embarrassing!" («Je ne parle pas de langue étrangère. C'est
gênant»). En mars 2006, il avait aussi déclaré: "I speak Indonesian and a
little Spanish." («Je parle indonésien et un peu l'espagnol»). Mais son point de vue sur la question
linguistique était plus précis au moment de sa déclaration du 9 juillet 2008 à Powder Spring en
Géorgie. Barack Obama considérait qu'il était nécessaire que les immigrants
apprennent l'anglais, mais qu'il était tout aussi utile que les Américains apprennent
aussi des
langues étrangères dès leur plus jeune âge. Le futur président faisait preuve
d'une grande ouverture d'esprit pour les autres cultures, ce qui est rare,
même chez les intellectuels américains:
You know, I don't understand when people are going
around worrying about, "We need to have English-only." They want to
pass a law, "We want English-only."
Now, I agree that immigrants should learn English. I agree with that.
But understand this. Instead of worrying about whether immigrants can
learn English -- they'll learn English -- you need to make sure your
child can speak Spanish. You should be thinking about, how can your
child become bilingual? We should have every child speaking more than
one language.
You know, it's embarrassing when Europeans come over here, they all
speak English, they speak French, they speak German. And then we go over
to Europe, and all we can say [is], "Merci beaucoup." Right?
You know, no, I'm serious about this. We should understand that our
young people, if you have a foreign language, that is a powerful tool to
get a job. You are so much more employable. You can be part of
international business. So we should be emphasizing foreign languages in
our schools from an early age, because children will actually learn a
foreign language easier when they're 5, or 6, or 7 than when they're 46,
like me. |
[Vous savez bien, je ne comprends
pas que les gens s'inquiètent au sujet de «Nous devons seulement
savoir l'anglais». Ils veulent faire adopter une loi du type «Nous voulons
seulement l'anglais».
Maintenant, j'admets que les immigrants devraient apprendre l'anglais.
Je suis d'accord avec cela. Mais comprenez ceci. Au lieu de vous
préoccuper de savoir si les immigrants peuvent apprendre l'anglais
—
ils l'apprendront —,
vous devez vous assurer que votre enfant puisse parler l'espagnol. Vous
devriez vous demander comment votre enfant peut devenir bilingue. Nous
devrions faire en sorte que chaque enfant apprenne plus d'une langue.
Vous le savez, c'gênant lorsque les Européens viennent ici, ils parlent tous
anglais, ils parlent français et ils parlent allemand. Et ensuite nous
allons en Europe et tout que nous pouvons dire, c'est «Merci beaucoup»,
n'est-ce pas ?
Vous le savez bien, non, je suis sérieux à ce sujet. Nous devons comprendre que
pour nos jeunes, connaître une langue étrangère constitue un puissant
outil pour obtenir un emploi. Vous êtes d'autant plus aptes d'être
embauchés. Vous pouvez participer aux affaires internationales. Donc, nous
devons mettre l'accent sur les langues étrangères dans nos écoles dès le
plus jeune âge, parce que les enfants apprennent en réalité une langue
étrangère plus facilement quand ils ont cinq, six ou sept ans que
lorsqu'ils ont 46 ans comme moi.] |
Évidemment, de nombreux Américains ont critiqué cette
prise de position du candidat Obama en faveur du multilinguisme, car ils craignaient d'être obligés d'apprendre
l'espagnol. Le président Obama avait compris que les compétences
linguistiques, surtout en espagnol mais aussi en d'autres langues,
peuvent être reconnues et valorisées par le marché hispanique, ce qui
encourage le bilinguisme. Bien que la langue des affaires reste
indéniablement l’anglais, y compris sur le plan international, rien
n’interdit aux Anglo-Américains d'apprendre l’espagnol afin
d'augmenter leurs possibilités d'avancement, tout comme le reste du
monde se met à l’anglais pour faire des affaires. Admettons cependant
que la
motivation des Américains pour apprendre une langue étrangère est
d’autant plus faible que l’anglais est en voie de s'imposer partout dans
le monde.
De fait, un sondage, qui a eu lieu il y a quelques
années, indiquait que 52,7% des Européens parlaient couramment à
la fois leur langue maternelle et une autre langue, alors qu'aux
États-Unis ce pourcentage atteignait seulement 9,3%. En juillet 2015, le "Pew Research Center" de Washington révélait que, si l'apprentissage d'une langue
étrangère était indispensable en Europe, il ne l'était pas aux États-Unis.
Qui plus est, l'étude d'une deuxième langue étrangère pendant au moins un an
est obligatoire dans plus de 20 pays européens. Dans la plupart de ces pays,
selon un rapport
d'Eurostat de 2012, les étudiants commencent à étudier leur première langue étrangère en tant
que matière scolaire obligatoire dès l'âge de 6 à 9 ans. Bien que la plupart
des pays européens exigent que les élèves apprennent l'anglais comme langue
étrangère, d'autres langues sont également enseignées, surtout le français
et l'allemand, mais aussi l'espagnol et le russe dans certaines parties du
continent.
Pendant ce temps, aux États-Unis, il n'existe pas d'exigences
nationales pour les langues étrangères, et ce, à quelque niveau
d'instruction que ce soit. Plusieurs États permettent à des districts
scolaires de définir certaines exigences linguistiques pour l'obtention du
diplôme d'études secondaires, mais les taux d'apprentissage demeurent très
bas en ce qui a trait à l'offre de cours en langue étrangère. En réalité,
peu d'Américains déclarent parler une autre langue que l'anglais, car selon
une enquête de 2006, seulement 25 % des adultes américains, dont 17 %
d'Hispaniques, reconnaissaient parler une autre langue. État donné que ce résultat
comprend les adultes issus de l'immigration, il ne reste que fort peu
d'Américains à parler une autre langue, probablement moins de 8 %.
Rares aujourd'hui sont les intellectuels libéraux
américains qui
voient dans le bilinguisme un quelconque avantage. Dans International
Dimensions of Bilingual Education, Gary Orfield
(né en 1941), alors professeur d'éducation et
de politique sociale à l'Université de Harvard, admet être l'un de ceux-là (1978):
Il semblerait qu'on soit
passé, sans débat national sérieux, d'une politique d'assimilation
poussée à une politique de séparation culturelle et linguistique. Je
crois qu'il y a une meilleure voie: il faut intégrer les enfants
hispaniques dans des écoles qui respectent leur tradition culturelle et
qui encouragent les autres enfants à étudier la langue et la littérature
espagnole dans un milieu bilingue naturel. |
Ce genre d'approche n'a jamais été vraiment
étudié aux États-Unis parce que les langues minoritaires sont en général très
dévalorisées. Un système d'éducation ouvert au pluralisme culturel et
linguistique heurte de front la grande majorité des Américains blancs, ce que
Gary Orfield appelle la Anglo-conformity, la conformité aux valeurs anglophones, pour qui toute
manifestation extérieure de pluralisme s'oppose à l'uniformité culturelle de
la Grande Nation américaine blanche et anglo-saxonne, ceux qu'on appelle les
WASP, les White Anglo-Saxon Protestant («les Anglo-Saxons protestants
blancs»).
Pourtant, Gary Orfield est convaincu
que l'éducation bilingue est également devenue essentielle en raison des
résultats relativement médiocres de tant d'enfants portoricains et
mexicains, et de leur taux d'abandon élevé dans les écoles. Les
enseignants en espagnol spécialisés en éducation bilingue soutiennent,
pour leur part, qu'il existe au moins cinq bonnes raisons pour
lesquelles beaucoup de jeunes hispanophones abandonnent leurs études:
1) Beaucoup d'élèves
hispanophones ont pris d'énormes retards scolaires parce qu'ils ne
savaient pas beaucoup d'anglais; une fois au secondaire, ils ont été
dépassés et se sont découragés.
2) Beaucoup d'élèves se sont plaints de l'attitude négative de
certains enseignants à l'égard des hispanophones, souvent en raison
de la couleur de leur peau, de leur accent et de leur mauvaise
maîtrise de l'anglais.
3) Du fait que de nombreux élèves n'entendent pas parler l'anglais à
la maison ou dans les quartiers où ils vivent, ils reçoivent peu
d'aide pour lire et écrire l'anglais.
4) À défaut de voir la pertinence ou les avantages économiques de
l'éducation complémentaire, ils ont quitté l'école pour trouver un
emploi peu rémunérateur dès qu'ils le pouvaient.
5) Enfin, il existerait chez les hispanophones un pourcentage
élevé d'enfants avec une mère monoparentale et d'enfants abandonnés
dans les bidonvilles hispaniques, ce qui crée un environnement
défavorable pour rester à l'école et apprendre l'anglais.
En pratique, un immigrant mexicain aurait
le choix entre deux modes d'intégration: ou bien il s'assimile dans le melting pot, ou bien il préserve sa langue et sa culture en recourant aux
programmes publics réservés aux minorités. Dans ce dernier cas, le «melting
pot» fait place au «saladier» (salad bowl). Bref, le bilinguisme
peut être perçu comme un avantage qu'il convient de cultiver tant pour l'individu
que pour la société. Dans ces conditions, l'enseignement bilingue, parce
qu'il est subventionné et imposé par le gouvernement fédéral, ne
représente-t-il pas une forme de reconnaissance officielle?
6.5 Les avantages de la diversité culturelle
|
Pour l'ancien président Bill Clinton, la diversité ethnique et
linguistique constituait un atout; il en était ainsi pour l'un de ses successeurs,
Barack Obama, le 44e président des
États-Unis. Dans son discours du 4 novembre 2008, au soir de sa victoire,
celui-ci pouvait affirmer que la devise des États-Unis — E pluribus unum
(du latin «Un seul à partir de plusieurs») —
s'était concrétisée au moment de son élection:
It’s the
answer spoken by young and old, rich and poor, Democrat and
Republican, black, white, Latino, Asian, Native American, gay,
straight, disabled and not disabled – Americans who sent a
message to the world that we have never been a collection of Red
States and Blue States: we are, and always will be, the United
States of America. |
[C'est la
réponse des riches et des pauvres, des démocrates et des
républicains, des Noirs, des Blancs, des Latinos, des
Asiatiques, des Américains d'origine, des homosexuels, des
hétérosexuels, des handicapés et des valides. Les Américains ont
adressé un message au monde – nous ne sommes pas un amalgame
d'États républicains ou démocrates ; nous sommes, et nous serons
toujours, les États-Unis d'Amérique.] |
C'était là un discours totalement différent de celui que les
Américains allaient devoir entendre le 20 janvier 2017, à
l'investiture du 45e président,
Donald Trump, qui préférera pourfendre toutes les minorités: ethniques,
linguistiques, sexuelles, religieuses, etc.
|
Barack Obama, le premier président
américain descendant d'une famille non WASP, d'origine négro-africaine par
surcroît, ne croyait pas que la diversité culturelle était une menace pour
l'unité nationale. À son premier discours, le 20 janvier 2009, comme
président des États-Unis, Barack Obama déclarait:
For we know that our patchwork
heritage is a strength, not a
weakness. We are a nation of
Christians and Muslims, Jews and
Hindus - and non-believers. We
are shaped by every language and
culture, drawn from every end of
this Earth; and because we have
tasted the bitter swill of civil
war and segregation, and emerged
from that dark chapter stronger
and more united, we cannot help
but believe that the old hatreds
shall someday pass; that the
lines of tribe shall soon
dissolve; that as the world
grows smaller, our common
humanity shall reveal itself;
and that America must play its
role in ushering in a new era of
peace.
|
[Nous
savons que notre héritage multiple est une force, pas une
faiblesse. Nous sommes une nation de chrétiens et de musulmans,
de juifs et d'hindous, et de non-croyants. Nous avons été formés
par chaque langue et chaque culture, venues de tous les coins de
la terre; et parce que nous avons goûté à l'amertume d'une guerre civile et de la ségrégation, et que nous avons émergé
de cette période sombre plus forts et plus unis, nous ne pouvons
pas nous empêcher de croire que les vieilles haines vont un jour
disparaître, que les frontières tribales vont se dissoudre, que
pendant que le monde devient plus petit, notre humanité commune
doit se
révéler; et cette Amérique doit jouer son rôle en donnant l'élan
d'une nouvelle ère de paix.] |
Cette élection présidentielle
pouvait laisser croire que l'idéologie du melting pot avait fait son
temps pour faire place à la diversité. Néanmoins, de nombreux
Américains n'arrivaient encore pas à croire qu'un Noir soit leur président;
ils ne pouvaient l'accepter. Ce sont eux qui accusèrent Obama d'être un étranger, un socialiste, un marxiste, un raciste, un
musulman, un sans-cœur qui débrancherait les personnes âgées, etc. Il y a aussi le fait que la légitimité
des présidents démocrates, par exemple
Franklin Roosevelt, Harry Truman,
Bill Clinton et Barack Obama, a régulièrement été remise en question par
les Américains ultraconservateurs qui les ont généralement accusés de
«complicité avec le communisme», une idéologie qui fait bien sourire
aujourd'hui. Mais certains analystes de la politique
américaine ne voient rien d'anormal dans le fait que les présidents
démocrates soulèvent des réactions excessives au sein d'une certaine
droite religieuse, sectaire et républicaine. En niant qu’Obama soit né
aux États-Unis, Donald Trump se positionnait comme celui qui pouvait
protéger les États-Unis en capitalisant sur les sentiments antimusulmans
de beaucoup de suprémacistes blancs en insinuant qu’Obama était un
musulman né à l’étranger.
Dans son ensemble, le peuple américain est
très conservateur, et beaucoup de citoyens sont même ultraconservateurs,
surtout parmi les hommes blancs peu instruits et de condition modeste.
Par exemple, dans les années 1960, plusieurs électeurs américains étaient très
préoccupés par la foi catholique de John F. Kennedy, car ils craignaient
qu'il prenne ses ordres directement du pape! Aujourd'hui, un candidat à
la présidence qui se présenterait comme athée ne gagnerait très probablement
pas l’investiture d’un grand parti pour la présidentielle ou même les
sénatoriales, car ce choix religieux constituerait un handicap politique majeur.
Les individus qui ne vient pas aux États-Unis, notamment les Européens
et les Canadiens, ne s'imaginent pas à quel point certains États du sud
des États-Unis sont des théocraties sans le nom. Les États-Unis, c'est
le pays qui a envoyé un homme sur la Lune, mais c'est également un pays
rétrograde dirigé par de petits ayatollahs chrétiens. C'est un pays à
l'avant-garde des sciences et de la technologie, mais également
ultraconservateur et fortement réticent au changement. Ainsi, les
États-Unis demeurent l’un des trois seuls pays au monde, avec le Liberia
et le Myanmar, qui n'utilisent pas le système métrique. Cette
obstination à employer un système de mesure suranné provoque bien des
confusions qui conduisent parfois à des échecs vexants.
Un sondage réalisé en 2014 par le Pew Research Center révèle que les
Américains seraient plus défavorables aux athées qu'à tous les autres groupes
religieux, y compris les musulmans. Même une orientation politique
fondée sur les notions de «collectivité»», de «coopération» et
d'«égalité sociale» serait très mal perçue, car elle serait associée à
du
«socialisme», une hérésie à combattre, comparable à la fameuse «Peur
rouge» ("Red Scare") désignant les dangers du communisme soviétique.
7 Les opposants à la diversité
|
La plupart des Américains
anglo-saxons (White
Anglo-Saxon
Protestants ou suprémacistes blancs) éprouvent de grandes réticences devant la diversité culturelle.
Ils souhaitent la bienvenue aux immigrants, mais à la condition
de laisser leur culture et leur langue derrière eux. C'est
une préoccupation constante au sein de la population anglo-saxonne qui craint que la pratique du bilinguisme nourrisse un
«séparatisme
ethnique» ("ethnic separatism") et un «nationalisme hispanique» ("Hispanic
nationalism"). Le maintien des cultures et des
langues est perçu comme une forme d'atteinte à l'intégrité de la nation
définie en tant qu'«anglo-saxonne» et linguistiquement «homogène». La
plupart des immigrants de toutes races et de toutes couleurs se sont
bien intégrés au sein de la société américaine jusqu'à ces dernières
décennies, mais les nouveaux arrivés latino-américains semblent
résister à cette intégration.
Or, tout membre d'une ethnie ou d'un pays autre
est accepté aux États-Unis, à la condition d'avoir adopté
les valeurs de la religion protestante et de la langue anglaise. La
«révolte ethnique» contre le melting pot est perçue comme un refus d'une culture commune et d'une
société unifiée. C'est pourquoi les lois sur
l'immigration adoptées par les administrations fédérales précédentes sont
maintenant considérées
comme de «dangereuses
passoires». Elles permettraient, par exemple, aux
Latinos de sauvegarder
leur religion (le catholicisme), leurs coutumes (les tacos) et leur langue (l'espagnol). |
C'est aussi une question de pouvoir de la
part des WASP ("White Anglo-Saxon
Protestants") qui espèrent
ainsi garder sous leur contrôle la religion et la langue des
communautés issues de l'immigration. Dans un discours à la nation américaine, l'ancien président
George W. Bush (fils) déclarait en mai 2006:
[...]
We must honor the great American tradition of the melting pot,
which has made us one nation out of many peoples. The success of our
country depends upon helping newcomers assimilate into our society, and
embrace our common identity as Americans. Americans are bound together
by our shared ideals, an appreciation of our history, respect for the
flag we fly, and
an ability to speak and write the English language.
English is also the key to unlocking the opportunity of America. English
allows newcomers
to go from picking crops to opening a grocery, from
cleaning offices to running offices, from a life of low-paying jobs to a
diploma, a career, and a home of their own.
When immigrants assimilate
and advance in our society, they realize their dreams, they renew our
spirit, and they add to the unity of America. [...] |
[...] Nous devons honorer la
grande tradition américaine du creuset, qui a fait de nous une
nation constituée de nombreux peuples. Le succès de notre pays
dépend de l'aide aux nouveaux venus pour qu'ils s'assimilent à
notre société et embrassent notre identité commune en tant
qu'Américains. Les Américains sont unis par des idéaux partagés,
une estime de leur histoire, un respect pour le drapeau que nous
faisons flotter et
la capacité de parler et d'écrire
l'anglais.
L'anglais est aussi la clef pour
accéder aux opportunités qu'offre l'Amérique. L'anglais permet
aux nouveaux venus de
passer de la cueillette agricole à l'ouverture d'une épicerie, du
ménage de
bureau à la gestion des employés, d'un emploi peu rémunéré à
l'accès à un diplôme, à une carrière et
à une maison bien à eux.
Quand les immigrants s'assimilent
et progressent dans notre société,
ils réalisent leurs rêves, renouvellent notre âme et ajoutent à
l'unité de l'Amérique. [...] |
L'Amérique dont parlait George
W. Bush se trouve évidemment à l'intérieur des frontières des États-Unis, donc ni au Canada, ni au Mexique,
ni nulle part ailleurs. Dans son discours à la
nation, l'ancien président américain manifestait son intention de signer un décret
créant une «mission» qui favoriserait chez les nouveaux arrivants
l'apprentissage de l'anglais, ainsi que la connaissance des institutions et de l'histoire des
États-Unis.
7.1 L'emprise traditionnelle
des WASP suprémacistes dans la société américaine
Ce sont surtout des Européens blancs dissidents, de
religion protestante et de langue anglaise, qui ont fondé la nation
américaine et lui ont donné sa langue, sa culture et ses valeurs
fondamentales, ainsi que ses idéaux politiques de liberté et d'égalité,
lesquels ont présidé à la création des institutions actuelles, le tout faisant partie
intégrante de l’identité américaine. Bien qu'il y ait certaines nuances
à apporter sur la diversité des courants protestants à l'époque de la
colonisation et sur la variété des cultures anglaise, écossaise,
galloise et
irlandaise, la prémisse demeure la même: ce sont traditionnellement les
White Anglo-Saxon
Protestants (WASP) qui sont à l'origine de l'histoire des États-Unis que l'on connaît
aujourd'hui et qu'on appelle les «suprémacistes».
|
Les WASP ou
White ethnics
ont toujours imposé leur langue, leur culture et leur mode de
vie; ils ont fait du protestantisme la «religion de référence» aux États-Unis.
Ainsi, le président Woodrow Wilson
(1913-1921), tout en étant un grand défenseur du «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes»,
croyait en même temps à la supériorité de la race blanche ("white supremacy").
Pour Wilson, ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne s'étendait pas à tous les peuples
du monde, mais uniquement aux peuples
colonisés par les Européens et aux peuples d'Europe de race blanche soumis à
l'Empire ottoman (Serbes, Croates, Monténégrins, Bosniaques, etc.), ce qui excluait
néanmoins les Noirs d'Afrique ou d'Amérique. Par voie de
conséquence, les Kurdes, pour prendre ce seul exemple,
n'entraient pas davantage dans cette catégorie.
Le président
Wilson ne considérait pas toutes les races comme
fondamentalement égales et il n'avait pas l'intention de les
rendre égales dans son pays au moyen d'une quelconque loi
fédérale.
D'ailleurs, sa
réticence à faire entrer les États-Unis en guerre découlait de sa crainte d'affaiblissement
de la race blanche ("the white race disclosed").
|
Selon les normes de
notre époque, Woodrow Wilson passerait aujourd'hui non seulement pour un
suprémaciste blanc, mais surtout pour un «raciste extrême» :
The white men of the South
were aroused by the mere instinct of self-preservation to rid
themselves, by fair means or foul, of the intolerable burden of
governments sustained by the votes of ignorant negroes and
conducted in the interest of adventurers.
Negro rule under unscrupulous adventurers had
been finally put an end to in the South, and the natural,
inevitable ascendancy of the whites, the responsible class,
established. |
[Les hommes blancs du Sud
ont été stimulés par le simple instinct de conservation à se
débarrasser par eux-mêmes, par des moyens justes ou condamnables,
du fardeau intolérable des gouvernements soutenus par les votes
de nègres ignorants et soumis aux intérêt des aventuriers.
La domination des nègres à l'époque des
aventuriers sans scrupules a été finalement supplantée dans le Sud
et l'ascendant naturel et inévitable des Blancs, la classe
responsable, a été instaurée.] |
En fait, le président Woodrow Wilson était un ségrégationniste assumé et,
en sa qualité de président de la Princeton University du New Jersey, l'un des
établissements
universitaires les plus prestigieux au monde (avec l'université Harvard et
l'université Yale), il a empêché les Noirs de
s'inscrire dans «son» établissement. Par la suite, il a imposé la ségrégation dans
les bureaux du gouvernement et a soutenu que les «hommes blancs civilisés» ("civilized
white men") ne pouvaient pas s'attendre à travailler avec des «hommes noirs
barbares» ("barbarous black men"). Le président Wilson ne faisait que
refléter une partie de ses concitoyens qui pensaient exactement comme lui.
7.2 La peur des WASP
À la suite de la
Première Guerre mondiale, les WASP américains n'ont jamais cessé de perdre leur prépondérance
démographique. Depuis, ils se sont laissé tenter par des lois sur
l'unilinguisme anglais et des lois discriminatoires, notamment en Californie, en
Arizona et en Alaska, où ils ont essayé d'interdire l'enseignement bilingue aux
enfants immigrés et aux autochtones. Devant la menace hispano-catholique et la
montée de l'islam dans le monde, les WASP, appelés maintenant les suprémacistes
blancs, craignent pour leur religion et leur
culture: certains brandissent la Bible qui devient le symbole de leur combat.
Pour le moment, les Mexicains constitueraient le plus grand danger pour
l'identité américaine en raison de leur nombre, de leur proximité, de leur
concentration régionale, de leur fertilité et de leur résistance non pas tant à
apprendre l'anglais qu'à l'idée de la perte éventuelle de l'espagnol. Dans un pays
encore contrôlé par les WASP, le caractère latin et méridional des Américano-Mexicains
fait craindre le pire! D'ailleurs, la société américaine semble de plus en plus friande de religion et
de fabulation «conspirationniste» ou ésotérique. En 2016, le candidat à
l'investiture républicaine pour la présidence des États-Unis,
Donald Trump, était
un parfait représentant des suprémacistes blancs.
Si le nationalisme blanc a pris de l'importance avec
l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, il a fallu attendre la campagne
présidentielle de Donald Trump pour légitimer les partisans de la
supériorité blanche avec leurs discours racistes. En misant sur les préjugés
racistes, xénophobes, voire bigots, de nombreux Américains, Donald Trump a
réussi à faire le plein de ceux qui s'opposent au multiculturalisme ou qui se
sentent comme des laissés-pour-compte de la mondialisation. Il s'est
présenté comme le champion d'une Amérique fondamentalement blanche et a
ainsi stimulé l'extrême droite américaine. Non seulement il a vilipendé les
immigrants mexicains comme des trafiquants de drogue et des violeurs, mais
il a rassuré les suprématistes en affirmant faussement que les
Afro-Américains étaient responsables de 80 % des meurtres de Blancs.
L'élection de Trump a rendu plus acceptable le nationalisme blanc comme
courant politique.
Les suprémacistes blancs réagissent agressivement, car ils ne voient
pas d'un bon œil cette Amérique moderne,
multiraciale et pas seulement blanche, mais aussi multiethnique et diverse sur les plans sociologique, idéologique,
religieux et
politique. Cette Amérique-là abrite des habitants qui sont de différentes religions ou même des
non-pratiquants, et non seulement des protestants, encore moins des
anglicans. Or, si depuis un siècle, les États-Unis sont devenus
le cœur de l’économie mondiale, pour ne pas dire son centre de gravité,
c’est précisément parce que certains Américains ont été à la fois ouverts sur
le monde et confiants envers l’avenir. Pour ne pas avoir à subir le
futur, ils ont choisi de le créer eux-mêmes, en attirant des
universitaires, des ingénieurs et des entrepreneurs du monde entier, et
en acceptant de voir disparaître des pans entiers de leur économie pour
mieux se consacrer à d’autres en devenir.
|
Cette nouvelle Amérique fait peur aux suprémacistes blancs (WASP), qui voient
poindre à l'horizon la fin de leurs pouvoirs traditionnels sur la société américaine. Le ressac des
suprémacistes s'est
notamment manifesté avec virulence à l'occasion des élections présidentielles
américaines de novembre 2016. On a alors beaucoup parlé de la «colère de
l’homme blanc», celui qu'on désigne par l'expression anglaise "angry white
man". C'est lui qui, du moins en partie, a élu
Donald Trump ce 8 novembre
2016. La métamorphose qui est en train de
modifier radicalement les États-Unis inquiète au plus haut point les White
Anglo-Saxon Protestants, car ils craignent de voir leur pays leur
échapper. C'est pourquoi un slogan tel que "Make America
White again" de
Donald Trump a fait fureur
auprès d'une certaine partie de la population.
En 2015, les politicologues Marisa Abrajano et Zoltan L.
Hajnal ont publié un livre intitulé White Backlash dans
lequel ils démontrent comment les Blancs ayant une opinion
négative des minorités et des immigrants ont tendance à voter
républicain; cette tendance incite beaucoup de vieux démocrates
blancs à se rallier aux républicains. |
Les partisans de Donald Trump ont adhéré apparemment à une tradition politique américaine
qui désavoue formellement le racisme tout en soutenant un
candidat qui propose un vaste programme de discrimination à
l'égard des immigrants et des minorités. Non seulement ces
partisans ne se considèrent pas comme racistes, mais ils se
perçoivent même comme antiracistes. Il n'est pas aisé d'expliquer cette colère de l’homme blanc que
personne n’a semblé voir venir, une colère qui a fait mentir les
sondages et toutes les analyses prédisant une victoire de la démocrate
Hilary Clinton. En fait,
il suffit parfois qu'un politicien dise aux gens ce qu'ils veulent
entendre, qu'il s'applique avec emphase à les conforter dans
leurs appréhensions et leurs peurs, notamment sur la religion,
la langue ou la nation, pour qu'il soit porté aux nues.
En conséquence, beaucoup d'Américains blancs en viennent à
se demander s'il
convient encore de sauvegarder les différences culturelles ou de chercher plutôt à
les réduire. Autrement dit, faut-il assimiler, c'est-à-dire angliciser les immigrants en
les brassant dans le melting pot ou devrait-on maintenir ces différences raciales et ethniques
afin de créer une société pluraliste? Ces deux points de vue ont
chacun leurs partisans. Une enquête menée en 1994 dans l'ensemble du
pays par le National Opinion Research Center (Centre national de recherches sur les opinions)
présentait la problématique de la façon suivante : «Certaines
personnes considèrent qu'il vaut mieux pour le pays que les divers
groupes ethniques et raciaux conservent leurs cultures respectives.
D'autres estiment qu'il vaut mieux que les groupes changent pour
mieux s'assimiler à l'ensemble de la société, dans l'esprit du
creuset.»
Il
était demandé aux répondants de se situer sur une échelle allant du «maintien
des cultures distinctes» (pluralisme) à la «fusion dans la société»
(assimilation). Grosso modo, un tiers des Américains s'est déclaré en faveur
du pluralisme, un tiers pour l'assimilation et le troisième tiers s'est placé
entre ces deux pôles.
7.3 Le repli sur soi de l'homme
blanc
|
Pendant la campagne présidentielle de
2016, le candidat républicain, Donald Trump, a constamment
misé sur un protectionnisme accru, sur le contrôle de l'immigration, sur
l'isolationnisme et sur la répression dans le but de revivifier son Amérique multiraciale
avec comme mot d'ordre: "Make America great again"
(MAGA),
qui rappelle la prétendue dignité perdue du peuple américain. En fait, l'élection de novembre 2016 à la présidence
américaine apparaît plutôt cohérente avec le mouvement de repli et la vague de
populisme qui soufflent sur l’Europe depuis quelque temps. Les Américains ont
ainsi vécu un «Brexit»
à leur manière: protectionnisme, discours anti-immigrants,
misogynie, peur, haine, catastrophisme, etc. Le
discours anti-immigration n’a pas laissé insensibles ceux qui
entendent défendre une Amérique perçue comme menacée de
disparition sous le poids démographique des minorités. |
Cette
préoccupation identitaire de la «suprématie blanche» est considérée comme
l’une des caractéristiques principales de l’élection de 2016. Les "Loyal White Knights" («fidèles
chevaliers blancs») du Ku Klux Klan veulent à tout prix rendre l’Amérique
sa
race blanche et chrétienne; et ils ne se sont pas gênés pour
réaffirmer leur haine du métissage, de l’homosexualité et de
l’avortement, et font du «séparatisme racial» la base de leur
programme, et ce, au nom de «la loi de Dieu» :
|
We
do not hate any group of people! However, we do hate
some things that certain groups are doing to our race
and our nation. We hate drugs, homosexuality, abortion
and race-mixing, because these things go against God's
law and they are destroying all white nations. But
rather than focus on hate, we try to focus on the love
of our race. We Love for our Lord and Savior and our
Country.
Our goal is to help restore America to a White Christian
nation, founded on God's word. This does not mean that
we want to see anything bad happen to the darker races
... we simply want to live separate from them ... As GOD
intended. It is a simple fact that whenever these races
try to integrate themselves into White society, that
society is damaged immensely ... perhaps even destroyed
altogether. |
[Nous ne détestons aucun groupe de
personnes!
Cependant, nous détestons certaines choses que certains
groupes font à notre race et à notre nation.
Nous détestons la drogue, l'homosexualité, l'avortement
et le mélange des races, parce que ces choses vont à
l'encontre de la loi de Dieu et elles détruisent toutes
les nations blanches.
Mais plutôt que de nous concentrer sur la haine, nous
essayons de nous concentrer sur l'amour de notre race.
Nous aimons notre Seigneur et notre Sauveur, et notre pays.
Notre but est d'aider à restaurer l'Amérique en une
nation chrétienne blanche, fondée sur la parole de Dieu.
Cela ne signifie pas que nous voulons voir quelque chose
de mauvais arriver aux races plus foncées... nous
voulons simplement vivre séparés d'eux... Comme DIEU l'a
voulu.
C'est un fait évident que chaque fois que ces races
essaient de s'intégrer dans la société blanche, celle-ci
est immensément endommagée... peut-être même détruite.] |
|
Des citoyens américains qui ont grandi avec des privilèges raciaux et
masculins, craignent que ces privilèges leur échappent. Il se sont
découvert un goût pour le vieux monde traditionnel fortement hiérarchisé et
ils ne veulent tout simplement pas renoncer aux privilèges de leur race, de
leur nation ou de leur sexe. Ils estiment, à tort ou à raison, que la
libéralisation et la mondialisation constituent un racket qui profite à une
minuscule élite aux dépens des masses. C'est pourquoi ils ont trouvé
en
Donald Trump
l’homme capable de les ramener à une époque qu'ils ne veulent pas voir disparaître.
Les Américains donc ont élu un homme de 70 ans qui leur a promis de restaurer
«l’Amérique d’avant» : celle d'avant l’Obamacare, celle des Chevrolet Cruze
"made in
USA", celle des Latinos qui n’avaient pas encore envahi le pays. C'est cette
Amérique-là que les suprémacistes d'aujourd'hui veulent faire revivre! Compte tenu de la présence d’un nombre croissant des
membres des minorités,
avec des Noirs et des femmes qui se retrouvent parfois dans des postes
influents, le monde des privilèges des Blancs a paru en péril. Il se
trouve que la
présidence de Barack Obama n'a fait que renforcer cette crainte et a
nourri la «peur de l’Autre»; la seule présence d'un président noir pour
beaucoup d'Américains paraissait déjà comme un
outrage. Dans ce même ordre d'idées, le fait d'élire une femme (Hillary
Clinton) à la
présidence aurait ajouté l’insulte à l’injure.
Elle semble bien révolue l'époque où
la puissance économique et militaire se combinait à la tolérance
intellectuelle et culturelle! L'Amérique d'aujourd'hui se retranche dans
l'intolérance, l'isolationnisme ou le repli sur soi! Certains y voient
déjà un signe du déclin de l'empire américain! Il faudrait sans doute se
souvenir que la grande civilisation arabo-musulmane avait été au plus haut
degré de son histoire lorsque, au VIIIe
siècle, elle s'était montrée tolérante, diverse, ouverte à tous les
courants de pensée qui préexistaient, avide de tous les savoirs. Par la
suite, fermé au monde extérieur, le monde arabo-musulman avait vécu marginalisé, à
l’écart de la société internationale; il avait cultivé des stéréotypes
hérités d’un passé révolu, non conforme aux réalités contemporaines. Les
États-Unis vont-ils l'imiter et devenir aussi vulnérables? Est-ce le début
du déclin de l'empire américain? Lorsque le déclin se produira, il sera lent, c'est
certain!
La
question linguistique aux États-Unis
Les questions linguistiques n'intéressent pas
nécessairement tous les dirigeants politiques, sauf quand des problèmes
de cet ordre surgissent et pourrissent le climat social et qu'ils se
transforment en enjeux politiques. Aux États-Unis, la question
linguistique est généralement circonscrite à certaines sphères telles
que la reconnaissance des langues minoritaires qui menacerait l'unité
nationale, l'officialisation de l'anglais comme langue unique, le contrôle de l'immigration,
l’identité et la citoyenneté américaines, l'enseignement bilingue,
etc. Sous la poussée de l’évolution démographique récente, les questions
d’intégration et d’assimilation se posent avec plus d'acuité. Alors que
la moitié des grandes villes américaines sont habitées par une majorité
de gens de couleur, les «accommodements» qui suffisaient auparavant ne
semblent plus convenir aujourd'hui.
8.1 L'anglais comme critère de
l'identité nationale
Entre le 4 avril et le 29 mai 2016, l'institut Pew de
Washington a interrogé 14 514 répondants au téléphone ou en personne dans 14
pays dans le but de savoir ce qui était nécessaire pour être un «vrai»
Américain, un «vrai» Canadien, un «vrai» Suédois, un «vrai» Français, etc.
Le "Pew Research Center" est un centre de recherche américain
qui fournit des statistiques et des informations sociales sous forme de
données démographiques, de sondage d'opinion, d'analyse de contenu, etc. Son siège
social est à Washington et ses activités sont financées par le Pew
Charitable Trusts. Les pays sondés étaient les suivants: les États-Unis,
le Canada, la Hongrie, la Grèce, l'Italie, la Pologne, l'Espagne, le Royaume-Uni,
la France,
les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suède, le Japon et l'Australie.
Avant la campagne présidentielle de novembre 2016, le
candidat Donald Trump a longtemps soutenu que Barack Obama n’était pas né aux
États-Unis; c'était pour lui un moyen d'attaquer la légitimité de son prédécesseur
en remettant en cause son «américanité». Pourtant, selon les données de
l'institut Pew, seulement 32 % des Américains croient qu’il est «très
important» d’être né aux États-Unis pour être un «bon Américain».
|
Pour les
personnes interrogées, la capacité de parler l’anglais apparaît comme un
facteur beaucoup plus pertinent. En effet, 70 % des Américains sondés ont
estimé que la maîtrise de la langue nationale est un élément
essentiel dans le sentiment d’appartenance. D'ailleurs, les
Américains ne sont pas les seuls à partager cette vision en la
matière. Les sondeurs ont en effet réalisé que, dans les 14 pays
sondés, la langue était l’élément qui tenait le plus à cœur aux
personnes interrogées. Le tableau
ci-contre montre que 84 % des citoyens des Pays-Bas considèrent
que leur langue officielle (le néerlandais) est un facteur
essentiel d'appartenance à leur pays. La proportion est de 81 %
en Hongrie (hongrois) et au Royaume-Unis (anglais), 79% en
Allemagne (allemand), 77% en France (français), 76 % en Grèce
(grec), 70 % au Japon (japonais), 69 % en Australie (anglais),
67 % en Pologne (polonais), 66 % en Suède (suédois), 62 % en
Espagne (espagnol), 59 % au Canada (anglais ou français), 59 %
en Italie (italien). Dans tous ces pays, on considère que,
pour être un vrai citoyen, il est important
de parler la langue officielle du pays.
La plupart des Américains considèrent que la connaissance de
l'anglais constitue un attribut important de la nationalité. Si
70 % des Américains affirment que, pour être vraiment américain, il est
très important de pouvoir parler anglais, 22 % croient que la
maîtrise de l'anglais est peu importante et
8 % sont d'avis que l'anglais n'est pas très important, sinon pas du tout.
L'âge peut jouer dans le choix des réponses.
Ainsi, parmi les personnes âgées de 50 ans et plus, 81% estiment que
la connaissance de l'anglais est «très importante». Les
Américains détenant un diplôme d'études secondaires (sinon
primaires)
affirment, dans une proportion de 79 %, que l'anglais est
«important», contre 59 % chez ceux qui ont un diplôme
universitaire.
De même, les protestants évangéliques blancs (84 %) sont beaucoup plus
sensibilisés à l'importance de l'anglais que les individus qui
n'appartiennent à aucune religion formelle (51%). Il n'y a
aucune
différence raciale ou ethnique sur l'importance
de parler anglais pour être un vrai Américain: 71 % des Blancs, 71 % des Noirs
et 70 % des Hispaniques conviennent que c'est
très important. |
- Le mépris des autres langues
De façon générale, les White ethnics ou suprémacistes méprisent les langues
étrangères, une attitude qui, pour de nombreux observateurs étrangers, proviendrait des politiques
linguistiques fondées depuis longtemps sur l'ethnocentrisme. Donald Trump se
révèle un fidèle représentant de la tradition nombriliste américaine selon
laquelle les autres nations sont considérées comme inférieures et toutes les
autres langues que l'anglais sont perçues comme de simples dialectes peu
dignes d'intérêt. En fait, la
«question linguistique» est souvent perçue aux États-Unis comme une «question religieuse», car la
Bible révélerait que, avant la construction de la tour de Babel (interprétée
comme «une punition de Dieu»),
le monde entier n'aurait parlé qu'une seule langue!
Certains estiment par conséquent que l'Amérique devrait revenir aux
sources de la Bible et à l'usage exclusif de l'anglais, ce qui traduirait le mieux l'héritage
culturel du peuple américain. N'oublions pas qu'un certain patriotisme américain
véhicule l'idée que l'Amérique (les États-Unis) est la nouvelle Terre promise
bénie par Dieu lui-même! Il y a même des Américains plus béotiens qui croient que Jésus-Christ parlait
l'anglais comme langue maternelle, à tout le moins comme langue seconde! Ils
ignorent qu'à cette époque les Juifs parlaient l'araméen. Et si Jésus-Christ
parlaient une langue seconde, ce ne pouvait être que le latin des Romains.
Les partisans de l'unilinguisme
anglais poursuivent leur campagne pour officialiser l'anglais, et ce, d'autant
plus qu'ils sont persuadés que la langue dominante du monde est elle-même menacée dans
son bastion le plus fort: les États-Unis. Voici quelques opinions couramment
répandues chez ces partisans (2006):
- ''English has always been
our ‘social glue,’ our most important ‘common bond,’ which has allowed
Americans of diverse back-grounds to understand each other and overcome
differences.' |
- [L'anglais a toujours été
notre «ciment social», notre plus important «lien commun» qui a permis
aux Américains de diverses souches de se comprendre et de surmonter les
différences.] |
- ''Today’s
immigrants refuse to learn English, unlike the good old
immigrants of yesteryear, and are discouraged from doing so by
government-sponsored bilingual programs.'' |
- [Les immigrants
d'aujourd'hui refusent d'apprendre l'anglais, à la différence
des bons vieux immigrants d'antan et sont découragés de le faire
par des programmes bilingues commandités par le gouvernement.] |
- ''Languages are
best learned in a situation that forces one to do so – where
there’s no escape from brutal necessity – unlike the situation
in a bilingual classroom.'' |
- [Les langues les
mieux apprises sont celles où quelqu'un est placé dans une
situation qui le force à les apprendre – là où il n'y a aucune
possibilité d'échapper à la brutale nécessité – à la différence
de la situation qui est celle d'une salle de classe bilingue.] |
- ''Ethnic leaders
are promoting bilingualism for selfish ends: to provide jobs for
their constituents and keep them dependent by discouraging them
from learning English." |
- [Les leaders
ethniques veulent promouvoir le bilinguisme à des fins égoïstes:
fournir des emplois à leurs propres membres et les tenir sous
leur dépendance en les décourageant d'apprendre l'anglais.]
|
- ''Language
diversity inevitably leads to language conflict, ethnic
hostility, and political separatism à la Québec.' |
- [La diversité des
langues entraîne inévitablement les conflits linguistiques, la
haine ethnique et le séparatisme politique à la Québec.]
|
L'anglais a toujours servi
de «ciment social» aux États-Unis. Aujourd'hui, les immigrants veulent apprendre l'anglais, mais ils
désirent aussi conserver leur langue maternelle, c'est la différence avec les
décennies antérieures. Quant à affirmer que la
diversité linguistique entraîne inévitablement des conflits linguistiques, la
haine ethnique et le séparatisme politique "à la Québec" (toujours en français
dans le texte), il vaut mieux ne
pas passer de commentaire, tant ce genre d'opinion reflète une ignorance des
réalités de ce monde.
- L'inutilité des
langues étrangères
Pour la plupart des Américains, il y aurait d'autres réformes
bien plus importantes à faire que d'apprendre des langues
étrangères tout à fait inutiles. Les propos de l'activiste
chrétienne, la très conservatrice et anti-féministe
Phyllis Schlafly,
présidente du mouvement pro-famille "Eagle
Forum", semblent assez
représentatifs de ce que pensent beaucoup d'Américains sur la question des
«langues secondes» ou des langues étrangères:
Americans are not backward hicks because we don't learn a second
language. We consider it a waste of time because English is fast
becoming the worldwide language and because the ability to speak English
is the litmus test of whether or not immigrants are assimilating into
the American culture. ("Obama
Rejects English Language Assimilation",
July 23, 2008) |
[Les
Américains ne sont pas des ignorants arriérés parce qu'ils n'apprennent
pas de langue seconde. Nous considérons que c'est une perte de temps
parce que l'anglais est devenu rapidement la langue mondiale et parce
que la capacité de parler l'anglais est le test décisif pour savoir si
les immigrants s'assimilent à la culture américaine. («Obama
rejette l'assimilation par l'anglais», 23 juillet 2008)] |
Selon l'organisme US English, sur la base d'un sondage
par téléphone du Rasmussen Reports (juillet 2008), seulement 13 % des
Américains trouveraient important d'apprendre une autre langue que
l'anglais. Le 9 juillet 2008, on pouvait lire ce commentaire de la
part d'un «journaliste» anonyme:
Barack
Obama continues to display his lack of intelligence when not
being guided by a teleprompter. It is true that children should
at least be offered the chance to learn Spanish in elementary
school. However when he insults Americans by saying that
Europeans speak English while Americans don’t know French or
Spanish, Obama does not understand one basic fact. |
[Obama continue d'afficher son
manque d'intelligence quand il n'est pas guidé par un
télésouffleur. Il est vrai que les enfants devraient au moins
avoir la chance d'apprendre l'espagnol à l'école primaire.
Toutefois, lorsqu'il insulte les Américains en disant que les
Européens parlent anglais, alors que les Américains ne
connaissent ni le français ni l'espagnol, Obama ne comprend pas
un fait fondamental.] |
Si l'on fait exception des récents
immigrants, les Américains n'éprouvent aucune motivation pour apprendre d'autres
langues, puisque le monde entier veut à tout prix apprendre l'anglo-américain! Pourquoi
les Américains dépenseraient-ils annuellement des milliards de dollars pour apprendre des langues inutiles,
que ce soit l'espagnol, le français, l'allemand ou le russe? De façon
générale, les Américains
ne veulent pas apprendre l'espagnol, encore moins les autres langues!
Les
Européens, eux, n'ont pas le choix: ils doivent apprendre l'anglais, mais les
Américains ont le choix d'en rester à l'anglais. C'est ce qui
explique en partie cette sorte de «mépris» de la part de la majorité des
Américains pour l'apprentissage des autres langues; ce mépris s'est
transposé dans les établissements d'enseignement supérieurs où la demande
pour
l'enseignement des langues étrangères demeure très faible.
Au cours de sa
présidence, Barack Obama
a manifesté une ouverture d'esprit peu
commune à l'égard des autres nations. Dans un discours au Caire, le 4 juin
2009, il avait prononcé quelques mots en arabe et cité le Coran trois fois
plutôt qu'une; il avait souligné le passé civilisateur de l'islam et les
blessures que le colonialisme occidental avait infligées aux musulmans. Il avait
aussi parlé de l'humiliation des Palestiniens condamnés à l'occupation
israélienne. Quoi qu'il en soit, ce discours marquait manifestement une nette rupture avec la rhétorique
américaine des dernières décennies. Quoi que certains de ses opposants en
pensent, le président Obama a fait faire beaucoup de progrès à son pays
dans le monde; l'image des États-Unis était en lambeaux lorsque
George W. Bush a quitté la
Maison-Blanche, en partie en raison de la guerre en Irak. Barak Obama a
montré pour sa part du respect pour les autres pays.
8.2 Le bilinguisme comme
«problème»
Quant aux lois sur l'éducation ou
l'enseignement bilingue,
elles constitueraient un non-sens dans un pays anglophone, alors que l'enseignement bilingue
est perçu comme légitimant et officialisant le statut de minorité
linguistique. Pour ceux qui ne croient pas aux bienfaits du bilinguisme, il serait temps de mettre fin à cette «pratique insensée» avec
l'argent des contribuables! Les adversaires de l'éducation bilingue justifient
leur point de vue en faisant allusion à l'expérience des anciens
immigrants italiens, polonais ou grecs, qui n'ont jamais eu à fréquenter des
écoles particulières pour apprendre l'anglais. Pour les partisans du
laisser-faire ou de la non-intervention, la connaissance d'une autre langue
que l'anglais mènerait à la marginalisation, l'exclusion sociale et
l'inadaptation scolaire. Ils considèrent que le maintien de la langue maternelle
des immigrants se fait obligatoirement aux dépens de l'anglais et que la
maîtrise de deux langues est non seulement difficile, mais carrément
impossible. D'ailleurs, l'accès aux occupations professionnelles qualifiées
demande toujours une bonne connaissance de l'anglais, alors que la maîtrise de
l'espagnol, ou de toute autre langue, ne garantit même pas des emplois de second
ordre.
Dans cette perspective, toute langue
minoritaire est inutile, dévalorisée, car elle est parlée par une minorité,
donc une groupe social et racial jugé inférieur et jouissant de peu de
considération — comprendre que l'espagnol des
Mexicains et des Portoricains est «impur», mais que le castillan (ainsi nommé en Espagne)
est «noble», et que l'anglais, «langue de l'univers», est nettement supérieur.
Dans cette logique, seul l'anglais fournit les clés de la réussite et du rêve
américain. Les autres langues, au contraire, ne peuvent que fermer des portes
et entraîner la ghettoïsation ethnique, y compris au Japon! De toute façon, beaucoup de dirigeants
américains croient que ce n'est pas à leur société de se transformer pour
intégrer les immigrants, mais à ces derniers de tout faire pour s'adapter à
leur société d'accueil. C'est probablement le cas dans la plupart des pays. Dans Language Loyalty in the U.S.
(1966), le sociolinguistique Joshua Fishman
(1926-2015) avait compris depuis longtemps le
discours conservateur de certains de ses compatriotes et les véritables enjeux de
l'idéologie dominante:
Les hispanophones ont
toujours été un problème pour les éducateurs. La plupart des enseignants anglophones connaissent mal la langue espagnole et encore moins la richesse
de la culture hispanique; à leur sens, il s'agit de mauvaises herbes
qu'on doit déraciner afin que l'anglais et «notre mode de vie» puissent
prospérer. |
En somme, toute langue étrangère aux États-Unis est
perçue comme un «problème», dont il faut se débarrasser. De façon générale, les tenants
de l'unilinguisme anglais, notamment dans les milieux politiques et
journalistiques, croient que la diversité des
langues, c'est-à-dire le multilinguisme, conduit inévitablement au conflit
linguistique, à la haine ethnique et au séparatisme politique à la Québec
(en français dans le texte),
allant jusqu'à la paranoïa de tout genre (groupe English Only) :
Language diversity
inevitably leads to language conflict, ethnic hostility, and political
separatism à la Québec (playing to paranoia of all stripes). |
[La diversité des langues
conduit inévitablement au conflit linguistique, à la haine ethnique et
au séparatisme politique à la Québec
(allant jusqu'à la paranoïa de tout genre).] |
Ces propos
provenant en 2006 du groupe English Only
témoignent de ce pensent beaucoup d'Américains pour lesquels il suffit de voir
ce qui se passe au Canada où il existe deux langues (l'anglais et le
français): le bilinguisme a entraîné un mouvement sécessionniste (le Québec).
Or, les Américains ne veulent pas que cette situation se reproduise dans leur
pays.
- Le prétendu destin malheureux
des «États bilingues»
Dans l'ensemble des quelque 195 États dans le
monde, seulement 29 sont linguistiquement homogènes dans une proportion de
90 %, ce qui signifie qu'environ 15 % des pays peuvent se prétendre
unilingues dans les faits. Dans l'ensemble des pays du monde,
47 d'entre eux se
sont déclarés officiellement bilingues (ou 24,1 %), contre 148 unilingues
(75,8 %). Pour beaucoup d'Américains, le bilinguisme des États ne constitue
guère un exemple à suivre, car il entraînerait la désunion et les conflits
ethniques.
|
Arthur Schlesinger
fut l'un des proches conseillers du président
John Kennedy, devenu
ensuite historien. M. Schlesinger n'est pas un citoyen
quelconque, c'est un intellectuel prolifique et sérieux. En
1991, il a publié petit ouvrage intitulé The Desuniting of America (ouvrage
paru en français sous le titre de L'Amérique balkanisée, une société
multiculturelle désunie) dans lequel il présente les difficultés soulevées
par l'arrivée des nouveaux groupes d'immigrants aux États-Unis. Pour lui, ce serait une sottise
pour les États-Unis d'accorder, par exemple, à l'espagnol quelque statut
officiel que ce soit. Schlesinger croit que le bilinguisme favorise la
ghettoïsation :
Le
bilinguisme institutionnalisé ferme des portes. Il
favorise la ghettoïsation volontaire et la
ghettoïsation favorise à son tour l'antagonisme
racial [...]. L'utilisation d'une autre langue que
l'anglais condamne les gens au statut de citoyens de
deuxième classe dans la société américaine. |
Selon cette idéologie, la ghettoïsation
entraînerait un communautarisme ou un Artikkel dans lequel
les cultures, plutôt que de se mélanger pour contribuer à
l'édification d'une nation viable et durable, se cloisonneraient
dans leur région ou leur quartier créant ainsi des enclaves
ethniques.
|
Dans la même veine, Arthur Schlesinger craint la
culture des ethnicités par crainte de désintégration :
La langue est l'un des liens
qui unissent un pays. J'ai terriblement peur de la fragmentation, de la
ghettoïsation de la culture américaine. Le nouveau culte des ethnicités a
un effet centrifuge dans une société qui n'a déjà que trop tendance à se
désintégrer. De plus, je ne pense pas que les qualités spécifiques de la
culture anglo-saxonne soient despotiques ou réductrices. Je pense au
contraire qu'elles sont libératrices. |
Le protection linguistique équivaudrait alors à
ce qu'on appelle aux États-Unis un "language apartheid", une
langue d'apartheid, c'est-à-dire une langue séparée. De ce fait, M.
Schlesinger croit que le «culte de
l'ethnicité» produit produit «une nation de minorités». Il parle de «tribalisation»
et de «tribalisme» pour désigner la reconnaissance éventuelle de communautés linguistiques
constituées et bénéficiant de droits spécifiques. Pour lui, le tribalisme met
les nations en morceaux:
Où que
l'on regarde, le tribalisme met les Nations en morceaux. L'Union
soviétique, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie ont été partagées. L'Inde,
l'Indonésie, l'Irlande, Israël, le Liban, le Sri Lanka, l'Afghanistan,
le Rwanda sont affectés par des troubles ethniques ou religieux. Des
tensions ethniques perturbent et divisent la Chine, l'Afrique du Sud, la
Roumanie, la Turquie, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, les Philippines,
l'Éthiopie, la Somalie, le Nigeria, le Liberia, l'Angola, le Soudan, le
Congo, la Guyane, Trinidad, et que sais-je encore... Même des nations
aussi stables et civilisées que la France, la Grande-Bretagne, la
Belgique et l'Espagne sont confrontées à des troubles ethniques et
raciaux qui s'intensifient. ''Le virus du tribalisme, dit The
Economist, risque de devenir le sida de la politique internationale:
resté inactif pendant des années, il se réveille et prospère jusqu'à
détruire des pays.'' |
M. Schlesinger faisait ainsi référence au bilinguisme du
Canada aux
prises avec un bilinguisme qui déchirerait ce pays :
Ce
pays est l'un des cinq plus riches pays du monde; aucun autre n'offre
autant d'espace et de potentialités, à un tel point que les pauvres du
monde entier se pressent à sa porte pour y entrer, et il est en train de
se déchirer... Si l'une des cinq grandes Nations développées de la terre
n'est pas capable de faire fonctionner un État fédéral multiethnique,
qui d'autre le pourra? |
Dans ces conditions, selon Arthur Schlesinger,
les
États-Unis ne doivent pas imiter tous ces malheureux pays qui se divisent en
«communautés ethniques et raciales» séparées :
Lorsqu'on voit des conflits ethniques déchirer et mettre en pièces une
Nation après une autre, on ne peut envisager favorablement les
propositions visant à diviser les États-Unis en communautés ethniques et
raciales séparées et immuables, dont la singularité par rapport aux
autres sera l'objet de l'enseignement qui leur sera donné. On peut se
demander alors si le centre tiendra et si le creuset ne laissera pas la
place à la tour de Babel. |
Au contraire, dans un monde déchiré par les
conflits ethniques, écrit Arthur Schlesinger, il est urgent que les États-Unis montrent par leur
exemple comment une société très différenciée peut rester unie tout en admettant, avec
une certaine amertume que, «l'homogénéité américaine» a disparu il y a plus d'un
siècle :
L'homogénéité américaine a
disparu il y a plus d'un siècle. Nous ne la retrouverons jamais [...] ».
En pratique, l'Amérique a été bien plus ouverte à certains qu'à
d'autres, mais elle est plus ouverte à tous aujourd'hui qu'elle ne
l'était autrefois, et il est vraisemblable qu'elle sera encore plus
ouverte dans l'avenir qu'elle ne l'est aujourd'hui. |
De fait, l'idée qu'il existe une culture
nord-américaine anglo-protestante homogène est aujourd'hui réfutée par les
historiens. Les circonstances qui ont permis jadis cette homogénéité ont
disparu, alors que la société américaine a profondément changé. Même si les
nouveaux
immigrants hispanophones conservent leur langue maternelle, les faits ont démontré que leurs
petits-enfants préfèrent néanmoins parler anglais plutôt qu'espagnol, ce qui
signifie que l'identité américaine contemporaine n'est pas uniquement un produit des WASP. En 1992, le président de l'organisme de pression
English
First déclarait:
Tragiquement, beaucoup d'immigrants refusent aujourd'hui d'apprendre
l'anglais! Ils ne deviennent jamais des membres productifs de la société
américaine. Ils restent enfoncés dans un ghetto linguistique et économique,
beaucoup vivant aux crochets du bien-être social et des travailleurs américains
coûtant des millions de dollars en taxes chaque année. (Language Loyalties:
A Sourcebook of the Official English Controversy) |
Dans la même veine,
Don Feder,
un commentateur («columnist») écrivait le 3 novembre 1995: «Le bilinguisme
favorise la désintégration nationale.» Aux yeux des Américains
unilingues, l'éducation bilingue est perçue comme un facteur d'éclatement
politique et de division culturelle. Dans ces conditions, les
Hispaniques sont tenus responsables de la balkanisation des États-Unis, comme
l'affirme le journaliste et historien Theodore White dans
The International
Journal of the Sociology of Language (1986):
Certains Hispaniques
demandent l'impossible: que les États-Unis se reconnaissent
officiellement comme une nation biculturelle bilingue; que tous les
enfants aient le droit d'apprendre leur langue d'origine aux frais de
l'État. Le bilinguisme est responsable du déchirement des communautés du
Canada jusqu'à la Bretagne, de la Belgique jusqu'à l'Inde. Il
n'encourage pas la tolérance, mais la division. |
- Le Canada-Québec
Le cas du Québec au sein du
Canada sert souvent de référence négative aux États-Unis.
Il a toujours été courant pour les Américains de caricaturer l'un de leurs
voisins, le Québec francophone, une société perçue comme archaïque et
exotique. On peut rappeler un
extrait de la Statement of Language Rights («Déclaration sur les droits
linguistiques» de la Linguistic Society of America
en date du 15 novembre 1995 :
Where linguistic
discord does arise, as in Quebec, Belgium, or Sri Lanka, it is
generally the result of majority attempts to disadvantage or
suppress a minority linguistic community, or it reflects
underlying racial or religious conflicts. Studies have shown
that multilingualism by itself is rarely an important cause of
civil discord. |
[Là où la discorde
linguistique surgit, comme à des divers degrés d'intensité en
Belgique, au Québec et au Sri Lanka, c'est généralement le
résultat d'une majorité qui tente de défavoriser ou de supprimer
une communauté linguistique minoritaire, ou c'est le reflet de
conflits raciaux ou religieux sous-jacents. Des études ont
démontré que le multilinguisme en lui-même est rarement une
cause importante de discorde civile.] |
Ce genre de propos peut prêter
à confusion: étant donné que la
référence est faite au sujet du Québec et non du Canada, nous devons
comprendre que la minorité «opprimée» est celle de langue anglaise du Québec,
non pas les Canadiens de langue française.
Autrement dit, ce
que la Linguistic Society of America a retenu, c'est que le bilinguisme
cause du tort à la langue majoritaire, l'anglais au Canada! Dans beaucoup de
journaux américains, le cas du Québec-Canada (mais aussi la Belgique) est
souvent cité comme un bel exemple de balkanisation, voire de libanisation, lorsque le bilinguisme s'introduit
«malheureusement» dans un pays. C'est un
mal que les États-Unis doivent dénoncer haut et fort!
Beaucoup d'Américains conservateurs,
notamment le journaliste Charles Krauthammer du
Times (2006), croient
que le bilinguisme canadien a engendré de nombreux problèmes, dont le
terrorisme, les menaces de séparation et un référendum qui est venu à un
cheveu de briser le Canada! Pour Paul Greenberg du
Sacramento Bee
(Californie, 2006), les langues officielles du «voisin du Nord» n'ont
engendré que «confusion» et «antipathie». Cette perception ne résulte guère
d'une démarche scientifique, car elle repose sur des préjugés et des parti pris contre toute
forme de bilinguisme. Dans les faits, on peut répliquer que l’expérience
du bilinguisme au Canada a prouvé le contraire: dans un État confronté
avec des peuples pratiquant des langues différentes, la reconnaissance
du droit d’employer des langues minoritaires consolide l’unité
nationale.
|
Pour la Linguistic
Society of America (LSA), il n'existerait que trois pays dans le monde (sur
46 États bilingues) où diverses communautés
linguistiques coexistent paisiblement: la Finlande (finnois et suédois), la
Suisse (allemand, français, italien et romanche) et Singapour (malais,
chinois, tamoul et anglais). Si la Finlande et la Suisse peuvent constituer
des modèles de paix linguistique. c'est que ces deux pays
pratiquent la séparation territoriale des langues quoique,
dans le cas du canton des Grisons, les conflits soient
fréquents, tandis qu'à Singapour les autorités font tout
pour évincer le malais, le chinois et le tamoul, suscitant
autant de conflits en puissance. De toute façon, on peut se
demander comment un organisme qui se prétend scientifique
comme la LSA peut-il avancer d'idée aussi simplistes.
|
Évidemment, ce point de vue est très réducteur et il y aurait fort à
parier que le gouvernement canadien aurait une contre-expertise à
développer en démontrant que son bilinguisme (strictement fédéral)
peut être aussi un élément pacificateur et rentable aux plans politique, social, culturel et économique. On pourrait aussi faire enquête auprès des
43
autres pays officiellement bilingues pour savoir ce qu'ils pensent!
- Une question
d'argent!
Voici un extrait d'un article de
Mauro E. Mujica (président de US
English) intitulé «Are we creating an American Quebec?». Cet article
est paru dans le Human Events du 11 juillet 2003 et décrit les
inconvénients du bilinguisme canadien et des «ilots
linguistiques» tels le Québec:
Are we creating an American Quebec?
Battles over language rage across the globe . However, since Canada is
so similar, it offers the most instructive warning for the United
States. While the policy of official multilingualism has led to disunity,
resentment and near secession, it is also very costly. Canada's dual-language requirement costs approximately $4 billion each year.
Canada has one-tenth the population of the United States and spent that
amount accommodating only two languages. A similar language policy would
cost the United States much more than $4 billion a year as we have a
greater population and many more languages to accommodate.
Unless the United States changes course, we are clearly on the road to a
Canadian style system of linguistic enclaves, wasteful government
expenses, language battles that fuel ethnic resentments and, in the long
run, serious ethnic and linguistic separatist movements. What is at
stake here is the unity of our nation. Creating an America- style Quebec
in the Southwest and other "linguistic islands" in other parts of the
United States will be a disaster far exceeding that of the Canadian
problem. We now have over eight percent of the population that cannot
speak English proficiently. What happens when that number turns to 25%
that cannot speak English at all? |
Allons-nous créer un Québec
américain?
[traduction] Les batailles linguistiques font rage à travers le globe. Cependant,
puisque le Canada nous est si semblable, il présente un avertissement
des plus instructifs pour les États-Unis. Non seulement la politique de
multilinguisme officiel a entraîné la désunion, le ressentiment et la
quasi-sécession, mais elle est également très coûteuse. Les exigences
d'application du
bilinguisme au Canada coûtent approximativement quatre milliards de
dollars par année. La population du Canada équivaut à un dixième de
celle des États-Unis et ce pays dépense une fortune pour accommoder seulement deux langues. Une
politique linguistique semblable aux États-Unis coûterait beaucoup plus
que quatre milliards par année, étant donné que nous avons une
population plus élevée et beaucoup plus de langues à accommoder.
À moins que les États-Unis ne changent de direction, nous nous
acheminons clairement vers la voie d'un système de style canadien d'enclaves
linguistiques, de dépenses gouvernementales dispendieuses, de batailles
linguistiques qui alimentent les ressentiments ethniques et, à long
terme, qui susciteront de sérieux mouvements ethniques et linguistiques
séparatistes. Ce qui est en jeu, c'est l'unité de notre nation. La
création d'une Amérique de style Québec dans le Sud-Ouest et d'autres
«îlots linguistiques» dans d'autres parties des États-Unis entraînera
un désastre bien pire que le problème canadien. Nous avons maintenant
plus de 8 % de la population qui ne peut pas parler l'anglais
couramment. Que se passera-t-il lorsque le nombre de ceux qui ne peuvent
pas parler l'anglais atteindra les 25 %? |
Ce point de vue très négatif du bilinguisme
institutionnel de la part de US English
est répandu partout aux États-Unis. En somme, les Américains ne
veulent pas que le modèle du bilinguisme canadien se transpose dans leur propre pays.
Ils considèrent aussi que le bilinguisme coûte trop cher. Les
commentateurs américains avancent toutes sortes d'hypothèses à ce sujet,
sans que l'on sache de quoi
exactement ils peuvent bien parler. Est-ce que les quatre milliards de dollars
dont fait mention US English comprennent les coûts de formation linguistique des fonctionnaires
fédéraux? la traduction des documents publics? les frais d'impression dans les
deux langues? les coûts des programmes des gouvernements
provinciaux, des universités et autres établissements d'enseignement? Et quoi
encore... Au gouvernement fédéral, une certaine compilation a été effectuée par
le Conseil du Trésor jusqu'en 1996-1997. En voici le résumé:
Pour l'année 1996-1997, les
dépenses occasionnées par l'offre de services dans les deux langues
officielles au sein des institutions fédérales (notamment au chapitre de la
formation linguistique, de la traduction, des primes au bilinguisme et
des frais d'administration) se sont élevées à quelque 260 millions de
dollars. Ceci revient à environ 0,20 $ par tranche de 100 $ consacrée
aux services offerts à la population, soit environ 0,03 $ par
jour par Canadien. |
Dans un rapport publié en 2009 et intitulé
Official Language Policies at the
Federal Level in Canada: Costs and Benefits in 2006, l'Institut Fraser du Canada,
réputé pour son penchant pour les politiques de droite, estimait que les
dépenses fédérales pour le bilinguisme se situaient annuellement entre 1,6 et 1,8
milliard de dollars, ce qui incluait des transferts aux provinces d'environ
200 millions. Ce coût représentait à peine plus d'un dixième de 1 % du PIB
en 2006-2007, année de référence des auteurs de l'étude, soit 55$ par
habitant concernant le coût du bilinguisme au Canada. Une
autre étude de l'Institut Fraser a
fait suite à la précédente en 2011: si l'on ajoute à ce total la somme de
1,6 milliard de dollars que le gouvernement fédéral consacre au bilinguisme,
les services bilingues coûtaient aux contribuables canadiens 2,4
milliards de dollars par an (contre 21 milliards pour les dépenses
militaires), soit 85 $ par personne.
|
On est bien loin des quatre milliards
hypothétiques gaspillées «en pure perte», selon U.S. English, alors que les sommes consacrées au bilinguisme ne représentent
à peine 0,5% des dépenses gouvernementales
annuelles. Autrement dit, si le coût du
bilinguisme en 2011 est de 85$ par citoyen par année et si cette «dépense» permet de maintenir la stabilité
politique du Canada, c'est, peut-on dire, un coût fort acceptable! C'est même un
très bon investissement pour assurer la paix sociale! Les États-Unis devraient
y penser deux fois! Pendant ce temps-là, les dépenses militaires des
États-Unis représentaient 3,7% du PIB américain et coûtaient en 2010 quelque
2230 $ US par citoyen; ce n'est pas évident que de telles
dépenses puissent aider à maintenir la paix sociale du pays. |
On pourrait aussi se demander combien, annuellement, les
armes à feu ont-elles causé de morts aux États-Unis par comparaison au
Canada? Depuis 1968, plus de 30 000 personnes sont décédées par une arme à
feu, chaque année en moyenne, aux États-Unis. Ce total annuel équivaut aux
pertes de l’armée américaine durant la guerre de Corée, aux débuts des
années 1950, alors que 36 000 soldats américains étaient tombés. Au Canada,
ce sont 1300 décès annuels, dont aucun en raison du bilinguisme!
8.3 Le rejet des autres langues
Le rejet du bilinguisme entraîne forcément le rejet des
autres langues. C'est ainsi que des organismes comme U.S.
English et
English First ont continuellement protesté contre le maintien de services
«en langue étrangère» par les agences fédérales. Ils s'offusquent encore plus
lorsqu'un élu s'exprime publiquement en espagnol. Le 5 mai 2001, jour de la
fête nationale des Mexicains, le président George W. Bush s'était adressé en
espagnol (qu'il appelait lui-même le mexicain ou "Mexican language") en public. Loin de
susciter l'admiration, il a dû essuyer les foudres de U.S.
English et de English First parce qu'il aurait fallu, en tant que
président des États-Unis, ne parler qu'en anglais à ses compatriotes. George Bush, le père, parlait, quant à lui, un très bon français, mais son
entourage l'a toujours soigneusement caché... comme une honte! Un président
américain ne doit parler qu'en anglais, peu importe la situation!
|
Pendant les élections à la présidence
américaine en novembre 2001, les partisans du démocrate
John Kerry tinrent comme un secret
d'État le fait que leur candidat parlait couramment l'allemand, le français
et l'espagnol. Son épouse, Teresa Heinz Kerry,
s'adressait aux délégués devant la Convention démocrate en français, en
italien, en espagnol, en portugais (sa langue maternelle) avant de passer à
l'anglais. Elle aurait dû se taire,
elle qui avait cinq langues dans sa poche! À
l'époque, John Kerry avait été critiqué pour son
«look trop français». En 2008, on a aussi accusé le
candidat démocrate Barack Obama
de «manquer d'intelligence» ("his lack of
intelligence") parce qu'il s'était adressé en espagnol
à Miami et avait préconisé l'apprentissage d'une
langue étrangère dans les écoles primaires américaines. En 2012, le candidat
républicain Mitt Romney, élevé dans le
strict respect de la foi mormone,
s'est fait accuser par ses opposants, notamment son rival Newt Gingrich
(un ancien président de la Chambre des représentants), de parler français, langue qu'il a
apprise à 19 ans à la suite d'un séjour de deux ans en France:
Massachusetts
moderate Mitt Romney - he'll say anything to win. Anything. And
just like John Kerry he speaks French, too. |
[Mitt Romney, le
modéré du Massachusetts, est prêt à dire n'importe quoi pour
gagner. N'importe quoi. Et, tout comme John Kerry, il parle
français.] |
|
Notons ces mots: "He'll say anything to win. And... he speaks French, too."
C'est «n'importe quoi» ("anything"). Aux États-Unis, il
ne s'agit pas là d'un compliment, mais d'une honte, comme s'il s'agissait de la peste!
On a accusé Mitt Romney de n'être pas assez conservateur
("not being conservative enough"), mais le pire c'est
qu'il parlait français! Un handicap ("a liability") dans
la vie politique américaine. Soulignons qu'à la même
époque la France avait refusé de participer à la
guerre en Irak aux côtés des États-Unis! Le
Daily Beast, un site Web d'information américain, a
mis en ligne un clip proposé par les opposants de
Romney. On pouvait y lire:
Mitt Romney
Stars in "The French Connection"
What's the
only thing worse for a Republican than being
called a moderate? Try being accused of
speaking French. Newt Gingrich hits the
former Massachusetts Gov. in the most
baffling spot: his language skills.
|
Mitt Romney,
une étoile de la «French Connection»
[Quoi de
pire pour un républicain que d'être comparé
à un modéré? Être accusé de parler français.
Newt Gingrich frappe l'ancien gouverneur du
Massachusetts à son point le plus déconcertant
: ses aptitudes linguistiques.] |
Ce n'était guère la première fois
que Mitt
Romney se faisait jouer un tour en raison de sa connaissance du français. Une
précédente vidéo montrait le républicain s’exprimer en
français dans un clip des Jeux olympiques
de Salt Lake City en 2002, avec des sous-titres
réécrits pour lui attribuer des idées «démocrates».
Aux États-Unis, la "French connection" est
très mal perçue chez les républicains.
Fait
cocasse, la femme du
président Trump, Melania Trump, est
polyglotte. D'origine slovène, elle parle non seulement le slovène et l'anglais, mais aussi
le serbe, le français et l'allemand. Il n'est guère surprenant que, dans
ses rares apparitions publiques, elle n'en a jamais fait
montre. Cela ne peut être le fait du hasard,
tant l'usage d'une autre langue de la part des
personnalités publiques est mal vu aux États-Unis.
Ce rejet de toute autre langue que l'anglais est surtout présent dans les
milieux conservateurs : si beaucoup d'Américains n'ont pas
encore oublié l'opposition de la France à la guerre en Irak,
la plupart ignorent que leur pays a obtenu son indépendance
grâce à l'implication militaire de la France de Louis
XVI (voir
le texte). Aux
États-Unis, il est de bon ton de considérer inapte un
Américain bilingue ou polyglotte, sauf s'il s'agit d'un
immigrant ou d'un descendant d'immigrant. Dans toute l'Europe, en Asie comme en
Afrique, toute personne bilingue
ou polyglotte est considérée de façon très positive, mais aux États-Unis c'est une tare!
L'une des premières offensives des White
Anglo-Saxon Protestants fut de proposer un amendement constitutionnel. En
1983, ce fut l'English Language Amendment, qui voulait faire de l'anglais la
langue officielle des États-Unis. Or, les procédures d'amendement
constitutionnel sont tellement complexes aux États-Unis qu'une telle mesure
avait peu de chance d'aboutir.
Il faut en effet le vote de chacune des deux Chambres à la majorité des
deux tiers, puis la ratification par les trois quarts des États de la
fédération; or, il suffit de 13 États, ne représentant que 5 % de la population,
pour empêcher toute modification susceptible d’être désirée par 95 % des
Américains.
9.1 Les divers projets de loi
La guerre linguistique
entreprise par US English et English Only a sûrement porté fruit, car en août 1996, la Chambre des
représentants a adopté (259 voix contre 169) un projet de loi faisant de
l’anglais la langue officielle du gouvernement fédéral des États-Unis. Le projet
de loi H.R. 123 portait le titre suivant:
The Bill
Emerson English Language Empowerment Act of 1996. Il était décrit par
ses instigateurs — dont Bill Emerson, un éminent
membre républicain du Congrès — comme un mécanisme de
défense de la société américaine contre l’assaut d’un dangereux
multiculturalisme.
Ce projet de loi, demeuré célèbre, pourrait être appelé en
français Loi de 1996 pour promouvoir la langue anglaise. Au paragraphe 161, le texte déclare que «la langue
officielle de l'administration fédérale est l’anglais». En vertu du paragraphe
162, les représentants du gouvernement fédéral auraient l’obligation de
préserver et de promouvoir le rôle de l’anglais comme langue officielle du
gouvernement fédéral. Une telle obligation devait créer des conditions qui
inciteraient davantage d'individus à apprendre la langue anglaise.
|
De plus, les représentants du gouvernement fédéral
devraient mener leurs activités officielles en anglais. Par ailleurs, le projet
énonçait que nul ne sera privé, directement ou indirectement, de services,
d'assistance ou de facilités fournis par le gouvernement fédéral uniquement
parce qu’une personne communique en anglais (paragraphe 163). Toute personne
aux États-Unis est autorisée à communiquer avec des représentants du
gouvernement fédéral en anglais, à en recevoir des informations ou à être
informée par des textes officiels en anglais. D’après le paragraphe 167,
rien dans la loi ne sera cependant interprété pour interdire à un membre du Congrès ou à
un fonctionnaire du gouvernement fédéral, durant l’exercice de ses fonctions,
de communiquer oralement avec une autre personne dans une langue autre que
l’anglais; pour discriminer tout individu ou limiter ses droits dans le
pays; et pour décourager ou empêcher l'emploi d’une langue autre que l’anglais
dans toute fonction non officielle.
Toutefois, le projet de loi n’a jamais
été adopté au Sénat; il n'est donc jamais entré en vigueur. «Penser que la
langue de Shakespeare a besoin d'un soutien officiel pour
survivre, a dit un membre du Congrès, est une insulte à
cette langue.» |
À l'époque de Shakespeare,
quatre millions de personnes parlaient l'anglais; il y en a aujourd'hui
presque un milliard (langue maternelle et langue seconde réunies).
Les partisans de l'unilinguisme ont abandonné, pendant quelques années, la
plupart des autres projets interventionnistes au plan fédéral, car ceux
qui ont été présentés n'ont jamais été menés à terme. On peut consulter quelques extraits
(en français et en anglais) de ce projet de loi de
1996 pour promouvoir la langue anglaise (The Bill
Emerson English Language Empowerment Act of 1996).
En mai 2005, un nouveau projet de loi pour
officialiser l'anglais aux États-Unis fut déposé à la Chambre des
représentants: la English Language Unity Act of 2005 («Loi sur l'unité
de la langue anglaise de 2005»). Ce projet de loi ne comptait que quelques
articles, dont voici les plus importants:
PARAGRAPHE 1 TITRE BREF
La présente loi peut être citée comme la ''Loi sur l'unité de la langue
anglaise'' de 2005.
PARAGRAPHE 2 CONSTATATIONS
Le Congrès considère et déclare ce qui suit :
(1) Les États-Unis sont constitués d'individus de diverses
origines ethniques, culturelles et linguistiques, et ils continuent de
bénéficier de
cette riche diversité.
(2) Dans toute l'histoire des États-Unis, le fil commun
obligatoire entre des individus
d'origines différentes a été la langue anglaise.
(3) Parmi les pouvoirs
dévolus aux États, il y a respectivement celui d'instaurer l'anglais
comme la langue officielle
des divers États et de promouvoir autrement l'anglais dans les
États, sous réserve des interdictions énumérées dans la Constitution
des États-Unis et dans les lois des divers États.
PARAGRAPHE 3 ANGLAIS COMME LANGUE OFFICIELLE DES ÉTATS-UNIS.
(a) En général, le titre 4 du Code des États-Unis est modifié par
l'adjonction à la fin du nouveau chapitre suivant :
` CHAPITRE 6 - LANGUE OFFICIELLE
` Paragr. 161. Langue officielle des États-Unis
` La langue officielle des États-Unis est l'anglais.
` Paragr. 162. Conservation et amélioration du rôle de la langue
officielle
` Les représentants du gouvernement fédéral ont une obligation
positive de préserver et d'accroître le rôle de l'anglais comme langue
officielle du gouvernement fédéral. Une telle obligation implique des
opportunités plus grandes pour encourager les particuliers à apprendre la
langue anglaise.
` Paragr. 163. Les fonctions officielles du gouvernement doivent être
tenues
en anglais
` (a) Fonctions officielles - Les fonctions officielles du
gouvernement des États-Unis sont tenues en anglais.
` (b) Portée - Pour les fins du présent paragraphe, le terme
''États-Unis'' désigne les divers États et le District fédéral de Columbia, et
le terme ''officielles'' réfère à toute fonction qui
(i) lie le gouvernement, (ii) est exigé conformément à la loi, sinon (iii)
est soumis à l'examen minutieux de la part de la presse ou du
public.
[...] |
C'est Steve King, un représentant républicain de
l'Iowa à la Chambre des représentants depuis 2003, qui a
présenté ce projet de loi dès 2003, mais il devait recevoir l'appui d'un
minimum de 100 membres du Congrès avant d'être recevable à la Chambre des
représentants. Pour les partisans du projet, il faudrait forcer
toutes les agences américaines du gouvernement fédéral à gérer leurs affaires
uniquement en
anglais. Présentement, dans tout le pays, des municipalités sont dans
l'obligation d'embaucher des policiers bilingues, des enseignants bilingues et
des travailleurs sociaux bilingues. La barrière de la langue serait devenue si énorme
que beaucoup de villes («cities») et de comtés («counties») n'ont eu d'autre choix que de recourir à des
employés supplémentaires parlant principalement l'espagnol. Dans cette
perspective, les États-Unis ne
devraient plus perpétuer un système coûteux et distinct qui offre des services
sociaux en 16 langues et des bulletins de vote en 28 langues. En adoptant ce
projet de loi, le Congrès aurait motivé les immigrants à apprendre l'anglais plus
rapidement. De plus, un sondage de Zogby International (Utica, État de New
York) démontrerait qu'en 2004
quelque 82% des Américains se déclaraient favorables à ce que l'anglais soit déclaré
langue officielle des États-Unis.
En 2002, une pétition a circulé
dans tous les États-Unis recueillant des millions de signatures. Elle témoignait
certainement du malaise des Américains blancs anglophones:
One God, One Nation, One Language
To:
U.S.Congress To Our American Government.
We, the people and the undersigned demand that our government, at
Federal, State, and Local levels, who we have been elected into office
insure us that there be no other language on our Federal, State, and
Local Documents than that of the English language. This recent
acceptance is at great cost to the tax payers of America for the cost of
printing such documents.
We are also offended that our country's utility providers are including
the Spanish language on our statements and on their automated telephone
message recorders.
We also demand that our license bureaus do not license drivers that do
not speak and read the English language. This is determined to be
placing fluent English speaking Americans in harms way on our streets
and highways. Example being: The state of Texas, which issues driver's
license to those that do not speak, nor able to read the English
language.
This acceptance of other languages in our country has done nothing but
promote confusion in our work places, hospitals, and for our Police
Officials throughout this land.
This acceptance of other languages has also kept English speaking
Americans from jobs and careers, which they are intitled to, simply
because they do not know the Spanish Language. We demand that this be
stopped.
We demand that this acceptance of foreign languages be discontinued in
every aspect of government at the Federal, State, and Local levels as
well as in our utility companies immediately.
We also demand that stricter requirements be placed on foreigners who
enter this country and want to remain, to learn the English language
within a reasonable amount of time.
Sincerely,
The Undersigned
|
Un Dieu, une Nation, une langue
Destinataires:
au Congrès des États-Unis
à notre gouvernement américain.
Nous, peuple et soussignés exigeons que notre gouvernement, au plan
fédéral, au plan de l'État et au plan local, à nous qui nous avons été
élus pour le service, qu'il nous assure qu'il n'y aura
aucune autre
langue dans les documents de l'administration du fédéral, des États et
au plan local que ceux de langue anglaise. Cette acceptation récente
coûte des sommes énormes aux contribuables américains pour les frais
d'impression de ces documents.
Nous sommes aussi offensés que les fournisseurs de services publics de
notre pays incluent
l'espagnol sur nos déclarations et sur leurs
répondeurs téléphoniques automatiques.
Nous exigeons aussi que nos bureaux de permis n'accordent pas de permis
aux conducteurs qui ne parlent ni ne lisent
l'anglais. Il est prévu de
placer les Américains qui parlent couramment l'anglais à l'abri du
danger sur nos rues et nos routes. L'exemple étant l'État du Texas, qui
émet les permis de conduire à ceux qui ne parlent pas ou sont incapables
de lire l'anglais.
Cette acceptation d'autres langues dans notre pays n'a rien fait d'autre
que promouvoir la confusion dans nos lieux de travail, nos hôpitaux et nos
services de police partout dans ce pays.
Cette acceptation d'autres langues a aussi tenu les Américains
anglophones loin des emplois et des carrières, dont ils sont exclus,
simplement parce qu'ils ne savent pas l'espagnol. Nous exigeons que cela
arrête.
Nous exigeons que cette
acceptation des langues étrangères soit
abandonnée sur-le-champ dans chaque aspect du gouvernement fédéral, au
plan de l'État et au plan local, ainsi que dans nos sociétés de service
public.
Nous exigeons aussi que des conditions plus strictes soient demandées aux
étrangers qui entrent dans ce pays et qui veulent y rester, pour
apprendre l'anglais dans un délai raisonnable.
Sincèrement,
Les Soussignés |
|
Cette idéologie du "One God, One Nation, One
Language", sinon la variante "One Flag, One Language, On Nation",
est très répandue aux États-Unis et, bien sûr, ailleurs dans
le monde, que ce soit avec le chinois, l'espagnol, le russe ou le
français. C'est une notion qui fait fureur depuis le début du XIXe siècle.
Dans le cas des États-Unis, le fait d'accepter d'autres langues
aurait comme conséquence de promouvoir la confusion dans les lieux de travail,
les hôpitaux et les services de police partout dans le pays.
Ainsi, l'usage d'autres langues aurait également tenu les Américains
anglophones à l'écart des emplois et des carrières parce qu'ils ignorent,
par exemple, l'espagnol.
Évidemment, il n'existe pas d'études qui prouveraient cette
affirmation, mais il suffit de le croire pour en concrétiser la
menace. Plus de 300 langues sont parlées aux États-Unis.
|
En même temps, la seule
pensée que les États-Unis aient besoin d'une protection législative pour
sauvegarder l'anglais dans le pays pourrait être interprétée comme un signe
étonnant d'un manque de confiance dans l'avenir de cette langue. En réalité,
toute campagne destinée à officialiser l'anglais aux États-Unis pourrait avoir
pour effet principal de créer un motif supplémentaire de tensions et de
mécontentements ethniques.
Ce n'est peut-être pas pour rien que les
deux principaux partis politiques fédéraux — le Parti démocrate et le Parti
républicain — ne semblent pas très enclins à adopter une loi sur
l'officialisation de l'anglais au niveau fédéral. Beaucoup de députés et de sénateurs craignent
de soulever leur part de l'électorat hispanophone et des autres communautés
immigrantes. Le seul fait de discuter de l'anglais comme langue officielle au
Congrès, et surtout au Sénat, est considéré comme une provocation à l'égard
des électeurs non anglophones et une source de conflits entre anglophones et non-anglophones.
Par prudence, il vaut mieux s'abstenir!
Cela étant dit, le débat linguistique a
rebondi en mai 2006. Le sénateur
James Inhofe,
membre du Parti républicain en poste depuis 1994, s'opposant à toute régularisation des immigrants clandestins,
a proposé un amendement à la Loi sur
la réforme complète de l'immigration (Comprehensive Immigration
Reform Act of 2006) précisant que, sauf par une loi particulière, nul n'a le
droit d'exiger que le
gouvernement américain ou ses représentants s'expriment dans une autre langue
que l'anglais:
The government of the United States shall preserve and enhance the role
of English as the national language of the USA. |
[Le
gouvernement des États-Unis doit préserver et accroître le rôle
de l'anglais comme langue nationale des États-Unis.] |
L'amendement a été adopté
par 63 sénateurs, contre 34. Non seulement le projet
de loi imposerait une bonne connaissance de l'anglais
pour acquérir la nationalité américaine, mais également pour obtenir un permis
de séjour permanent, bref pour «l'intégration patriotique des éventuels
citoyens des États-Unis» ("the patriotic integration of
prospective United States citizens").
Pour ne pas trop froisser les
esprits, les sénateurs ont adopté un second amendement proposé par
Ken Salazar,
sénateur démocrate du Colorado, qualifiant l’anglais de «langue commune et
unificatrice ("national and unifying language"), plutôt que de «langue
officielle». Afin de ne pas nier les lois actuelles, ces amendements épargnent
les dispositions concernant l'éducation bilingue et les bulletins de vote multilingues.
De plus, en employant l'expression de «langue nationale» plutôt que «langue
officielle», les sénateurs ont cru réduire l'impact de la valeur symbolique de
la proposition. La Chambre des représentants ne s'est pas encore prononcée sur
les amendements du Sénat concernant l'anglais aux États-Unis. Il était à
prévoir, comme cela s'est souvent produit dans le passé, que ce débat
n'aboutisse à aucun changement.
En avril 2008,
un sénateur de la droite républicaine de Géorgie, Paul Collins Broun
(né en 1946), a présenté un autre de ces nombreux projets de loi pour
officialiser l'anglais aux États-Unis; il est similaire à celui
que le sénateur James Inhofe avait présenté en 2006 (voir
le texte). L'objectif de Paul C. Broun était de retenir les fonds
fédéraux aux écoles qui permettent ou exigent de la part des
élèves de réciter le serment d'allégeance ou l'hymne national
dans une autre langue que l'anglais. En réalité, le sénateur
voulait encourager les nouveaux immigrants à adopter rapidement «la langue maternelle de
l'Amérique», l'anglais, parce que l'étude de cette langue l'anglais a toujours été et
continuera d'être une étape clé dans la réalisation du
rêve américain. Voici le texte complet du communiqué de
presse du sénateur Broun:
On Friday, I introduced the P.L.E.D.G.E Act of 2008, a
bill to withhold federal funds from schools that allow or
require students to recite the Pledge of Allegiance or
national anthem in a language other than English.
America's genius has always been assimilation, taking legal
immigrants and turning them into American citizens. Yet,
today students in states from Arizona to Wisconsin are being
forced to recite the Pledge of Allegiance and Star Spangled
Banner in Spanish and other languages in the name of “diversity.”
The key to assimilation, of course, is a shared language.
Large-scale immigration without effective assimilation
threatens social cohesion and America’s shared values. This debate is about preserving our culture and heritage and,
moreover, about bettering the odds of our nation’s newest
potential citizens achieving the American dream.
The ‘National Language Act of 2008’ will reduce costs to our
federal government and will encourage new, legal immigrants
to quickly adopt America’s native tongue. Learning English
has always been and will continue to be a key step in
achieving the American dream.”
Simply put, America has long enjoyed the benefits of a
diverse society, but our culture will cease to enjoy those
benefits if a common language is not adhered to.
As your U.S. Congressman, I will continue to fight for the
protection of our nation’s culture, as well as your Second
Amendment rights, and Energy Independence. |
Vendredi, j'ai présenté la loi PLEDGE de 2008, un projet de loi
destiné à retenir les fonds
fédéraux aux écoles qui permettent ou exigent de la part des
étudiants de réciter le serment d'allégeance ou l'hymne national
dans une autre langue que l'anglais.
L'esprit de l'Amérique a toujours été l'assimilation, en
prenant des immigrants légaux et en les transformant en
citoyens américains. Encore, aujourd'hui, des étudiants
dans les États de l'Arizona jusqu'au Wisconsin sont forcés de
réciter le serment d'allégeance et «La bannière étoilée» en espagnol et
en d'autres langues au nom de la
«diversité».
La clef de l'assimilation, bien sûr, est une langue
partagée. L'immigration à grande échelle sans assimilation
efficace menace la cohésion sociale et les valeurs partagées
de l'Amérique. Ce débat vise à préserver notre
culture et notre patrimoine et aussi d'accroître les
chances de nos concitoyens éventuels les nouveaux de réaliser le rêve américain.
La Loi sur
la langue nationale de 2008 réduira les dépenses de
notre gouvernement fédéral et encouragera les nouveaux
immigrants, les immigrants légaux, à adopter rapidement la
langue maternelle de l'Amérique. Apprendre l'anglais a toujours été et continuera d'être une
étape-clé dans la réalisation du rêve américain.
Tout simplement l'Amérique a longtemps
bénéficié
d'une société diversifiée, mais notre culture cessera de
bénéficier de
ces avantages si une langue commune n'est pas adoptée.
En tant
que membre de votre Congrès américain, je continuerai à me
battre pour la protection de notre culture nationale, ainsi
que pour vos droits au 2e
Amendement et à l'indépendance énergétique.
|
Évidemment, ce texte du sénateur Broun est révélateur de l'idéologie assimilatrice de nombreux
Américains. On peut lire le texte du projet de loi (en français)
en cliquant
ICI, s.v.p.
En 2015, un autre projet de loi a été
présenté par le républicain
Steven Arnold King à la Chambre des représentants
: "English Language Unity
Act of 2015" (Loi sur l'unité de la langue anglaise de 2015). Comme
les autres projets de loi présentés auparavant, le texte n'a jamais été adopté.
9.2 Les motifs pour
rendre l'anglais officiel
Les nombreuses tentatives répétées pour
faire de l'anglais la langue officielle des États-Unis ont échoué à maintes
reprises, bien que la question ne manque jamais de susciter un débat animé.
Les partisans de l'anglais officiel ont toujours présenté deux thèmes
distincts: l'un est rationnel et patriotique; l'autre, émotif et raciste. En
réalité, tout tourne autour de questions reliées au fardeau financier, à la
discrimination, au patriotisme et à l'unité du pays. Certains opposants à
tout projet de loi linguistique soutiennent que la législation linguistique
serait inconstitutionnelle, car cela limiterait la capacité du gouvernement
fédéral de communiquer avec tous ses citoyens. De plus, en restreignant les
employés fédéraux et les employés de l'État à communiquer avec les citoyens
dans une autre langue que l'anglais, une loi de ce genre violerait les
droits à la liberté d'expression.
La plupart des représentants du
peuple américain savent bien que l'anglais n'est pas une langue en danger aux
États-Unis. L'anglais n'a pas à
lutter pour son existence et n'a pas besoin d'être défendu vigoureusement, même
si l'espagnol gagne toujours du terrain dans le pays. Ceux qui s'opposent à
une législation linguistique affirment que le Congrès n'a pas besoin
d'adopter des lois pour enseigner aux nouveaux arrivants l'importance de
connaître l'anglais, puisque cette langue est déjà parlée par la majorité
des Américains; même sans statut de langue officielle proclamée, cela n'a
pas empêché l'anglais de devenir la langue dominante du pays. Les opposants
à la législation linguistique se demandent pourquoi il faudrait,
soudainement, une langue officielle, dans la mesure où les États-Unis ont
toujours
prospéré au cours de deux cents dernières années sans en avoir besoin. Les opposants
maintiennent que ce n'est pas une langue officielle qui doit unir les Américains, mais
bien les libertés et les valeurs dont bénéficient les
citoyens. En fait, les motifs pour adopter une législation linguistique sont
tout autre
que la simple protection d'une langue en danger.
Pour la plupart des partisans de
l'officialisation de l'anglais, faire de l'anglais la langue officielle
encouragerait davantage les nouveaux migrants à apprendre la langue du pays
L'objectif serait d'unir le peuple américain, tout en améliorant la vie des
immigrants et des habitants autochtones. C'est une question de patriotisme!
Il y a, bien sûr, l'argument économique.
L'officialisation de l'anglais permettrait d'économiser des milliards de
dollars dans les dépenses fédérales. Les partisans de cette idéologie font
valoir que les dépenses liées au bilinguisme, notamment pour les traducteurs
(administration, tribunaux, élections, santé, etc.) et l'enseignement
bilingue, sont tout à fait inutiles pour le gouvernement, sans compter les
coûts assumés par les États. Le problème, c'est de chiffrer ces coûts, ce
qui n'a jamais été fait de façon sérieuse. Quoi qu'il en soit, ce coût doit
être très minime par comparaison aux dépenses militaires, dont le coût en
2015 était près de 600 milliards de dollars, soit 43 % des dépenses
mondiales en la matière.
L'officialisation de l'anglais aurait
pour effet de décourager les immigrants à conserver leur langue maternelle.
Les partisans de l'officialisation soutiennent que le gouvernement ne
devrait jamais assumer la garantie que les citoyens non
anglophones puissent participer à la vie américaine en utilisant leur langue
maternelle. Bref, les accommodements que le gouvernement prévoit
décourageraient l'intégration des non-anglophones.
9.3 L'officialisation de
l'anglais dans les États
Devant la difficulté d'agir au plan
fédéral, les partisans de l'unilinguisme anglais ont
alors décidé d'intervenir dans chacun des États au moyen de la législation.
Différents organismes tels que US
English, English Only, English First et Save Our Schools
(SOS) ont entrepris un véritable combat politique pour promouvoir
l'unilinguisme officiel dans les États afin d'éviter d'ériger
une «Tower of Babel» («tour de Babel»)
en Amérique. La devise de la puissante organisation
US English, fondée
par le sénateur Samuel Ichiye Hayakawa et l'activite anti-immigrants John H. Tanton, est la suivante:
«L'Amérique: une seule
Nation, indivisible, enrichie de multiples cultures, unie par une seule
langue.» Plus tard, l'ex-sénateur Hayakawa,
devenu président honoraire de US English, déclarait dans une lettre au
New York Times (17 août 1988):
Le message envoyé à nos
politiciens doit être clair: nous ne voulons pas résider dans une «tour
de Babel»; reconnaître officiellement l'anglais comme langue du
gouvernement n'a rien de discriminatoire. |
L'objectif principal était de
faire proclamer l'anglais seule langue officielle dans les États afin que, par
la suite, ils puissent légiférer dans le domaine de la langue.
|
Des affiches circulent un
peu partout aux
États-Unis, comme celle de gauche, qui clament: "Don't build Babel tower
in America" («N'érigez pas de tour de Babel en Amérique»).
L'expression Tower of Babel est très courante aux États-Unis et
sert d'épouvantail pour contrer toute autre langue que l'anglais. La
diversité linguistique fait peur, car elle engendrerait la balkanisation
du pays! Pour
beaucoup d'Américains, la tour de Babel est perçue une punition de Dieu. La
Bible nous révélerait que, dans un monde parfait, tous les gens
parlaient une seule et même langue. En raison de l'orgueil des humains,
Dieu aurait jeté la confusion entre eux en multipliant les langues, ce qui
aurait mis fin à la construction de la tour de Babel. Évidemment, ce
n'est pas ainsi que s'est passée l'histoire des langues de l'humanité,
mais les partisans de l'idéologie créationniste le croient fermement. En Amérique, tous devraient parler l'anglais,
car c'est la langue commune et, en même temps, celle qui traduirait le mieux
l'héritage culturel du peuple américain. |
La tour de
Babel (Bible de Jérusalem)
Tout le
monde se servait d'une même langue et des mêmes mots.
Comme les hommes se déplaçaient à l'Orient, ils
trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s'y
établirent. Ils se dirent l'un à l'autre : «Allons!
Faisons des briques et cuisons-les au feu!» La brique
leur servit de pierre et le bitume leur servit de
mortier. Ils dirent : «Allons! Bâtissons-nous une ville
et une tour dont le sommet pénètre les cieux!
Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute
la terre!»
Dieu descendit pour voir la ville et la tour que les
hommes avaient bâties. Et Dieu dit : «Voici que tous
font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel
est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun
dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons!
Descendons! Et là, confondons leur langage pour qu'ils
ne s'entendent plus les uns les autres.» Dieu les
dispersa de là sur toute la face de la terre et ils
cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel,
car c'est là que Dieu confondit le langage de tous les
habitants de la terre et c'est là qu'il les dispersa sur
toute la face de la terre. |
|
À la fin de
2016, on comptait 29
États américains qui avaient adopté l'anglais comme langue
officielle:
|
Le seul État américain à avoir adopté deux langues officielles
est Hawaï en 1978 (l'anglais et l'hawaïen).
L'organisme English Plus reste l'un des
rares du genre à appuyer formellement le multilinguisme aux États-Unis. Jusqu'ici,
seuls les États
du Rhode Island (1992), du Nouveau-Mexique (1989), de l'Oregon
(1989), de Washington
(1989) et de l'Iowa (2002) ont opté pour la politique d'English Plus.
Finalement, l'adoption de lois imposant l'anglais comme langue
officielle dans plusieurs États s'est révélée une stratégie peu efficace, car
ces lois n'ont rien changé aux pratiques en vigueur. De plus, dans certains
États, les lois adoptées ont même été invalidées par les tribunaux, comme en
Arizona, en Californie et en Alaska ou elles sont contestées devant les tribunaux.
En général,
les tribunaux ont cassé les lois en
expliquant qu'elles brimaient la liberté d'expression des citoyens.
Évidemment, les tenants de l'unilinguisme anglais témoignent de leur hostilité
envers les nouveaux immigrants. Au même moment, les représentants des
communautés visées, surtout les Hispaniques et les Asiatiques, se sont lancés
dans une contre-offensive pour dénoncer publiquement l'idéologie raciste du
mouvement English Only.
9.4
L'anglais n'est pas en
danger!
Le sociolinguiste américain
Joshua Fishman (1926-2015),
l'une des plus hautes autorités en la matière, ne voyait aucun
danger pour l'avenir de l'anglais aux États-Unis, car il est parlé
par 82 % de la population comme langue maternelle et au total par 96 % de la
population, si l'on additionne ceux qui le
parlent comme langue seconde. Les résidents nés à l'étranger forment
aujourd'hui 10 % de la population américaine, contre 15 % à l'époque de
Theodore Roosevelt et de
Woodrow Wilson.
- L'anglais des
Hispaniques
Par
ailleurs, une enquête menée en 1996 a révélé que, sur cinq objectifs assignés
à l'enseignement, 51 % des parents hispaniques considéraient l'étude de
l'anglais comme prioritaire, contre seulement 11 % pour l'espagnol et 4 % pour
la culture hispanique; seulement 17 % des parents d'origine hispanique
souhaitaient que leurs enfants apprennent d'abord l'espagnol, mais 63 %
donnaient la première place à l'anglais. Pour Fishman, les campagnes menées par les
organismes tels que US English et English First ne
correspondraient qu'à la volonté de trouver des boucs émissaires pour les
graves problèmes sociaux que connaît le pays et dont les véritables causes ne
sont pas d'ordre linguistique.
De fait, dans une étude datant de 1989,
Calvin Veltman a démontré que 75 % des
immigrants hispaniques parlaient
l'anglais quinze ans après leur arrivée. L'éducation bilingue n'aurait aucun
effet de ralentissement chez les Hispaniques sur l'adoption de l'anglais dont
le statut n'est aucunement contesté. Pour le linguiste
James Crawford (Bilingual
Education: History, Politics, Theory and Practice, 1989), les Hispaniques
sont bien conscients qu'il leur faut apprendre l'anglais: «Ils ne deviendront
pas de ''meilleurs citoyens'' ni des ''Américains plus purs'' si l'on décrète
une langue officielle.» Pour Harry Reid,
le chef de file de l'opposition au Sénat, toute mesure destinée à restreindre
les droits des Hispaniques correspond à une action «raciste».
|
Environ six
Américains hispaniques adultes sur dix, soit 61 % de ce groupe, parlent anglais
(25 %) ou sont bilingues (36 %), selon une analyse nationale sur les
Hispaniques effectuée en 2013 par le Pew Research Center.
Les Hispaniques résidant aux États-Unis se répartissent en trois groupes
selon leur emploi de la langue:
25% utilisent principalement l'anglais,
36 % sont bilingues et 38 %
utilisent principalement l'espagnol.
Parmi ceux qui parlent anglais, 59 % sont bilingues.
Dans les faits, on peut admettre que la majorité des Hispaniques utilisent l'anglais ou sont bilingues. Les adultes latinos qui sont les enfants de parents
immigrants sont plus susceptibles d'être bilingues.
Jusqu'en 2012, les Latino-Américains issus de parents
d'immigrants (définis comme ceux nés hors des États-Unis ou ceux
nés à Porto Rico) représentaient environ la moitié (48 %) de
tous les Hispaniques nés aux États-Unis.
En réalité,
87% des immigrants hispaniques doivent apprendre l'anglais
pour gagner leur vie. En
même temps, 95% d'entre eux croient qu'il est important pour
les futures générations d'Hispaniques américains de parler
l'espagnol.
Le bilinguisme semble aussi être lié à l'âge des locuteurs.
Environ 42 % des Hispaniques âgés de 18 à 29 ans sont bilingues.
Cette proportion tombe à environ un tiers chez les Hispaniques âgés de 30 à 49
ans et de 50 à 64 ans, mais remonte à 40 % chez les 65 ans
et plus.
Dans l'ensemble, trois personnes sur quatre (73 %) âgés de 5 ans et plus
parlent l'espagnol dans leur foyer, y compris ceux qui sont
bilingues.
En raison du bilinguisme, l'espagnol était la
langue la plus parlée par les allophones aux États-Unis en 2013;
cette langue était utilisée par
35,8 millions d'Hispaniques, en plus de
2,6 millions par les non-hispanophones.
- L'avenir de l'espagnol
Étant donné les changements démographiques attendus, on peut
s'interroger sur
l'avenir de l'usage de l'espagnol chez les Hispaniques aux
États-Unis.
Selon les projections du Census Bureau, la part des Hispaniques qui
parlent seulement l'anglais à la maison passera de 26 % en 2013 à
34 % en 2020. Au cours de cette période, la proportion de ceux
qui parlent espagnol à la maison passera de 73 % à 66 %.
Comme un signe des temps, le «spanglish», une langue hybride
formée de
deux langues, semble de plus en plus utilisé chez les hispaniques âgés de
16 à 25 ans. Parmi ces jeunes Hispaniques, 70 % déclarent utiliser
le «spanglish», selon une analyse le Pew Research Center a faite en 2009. |
En somme, l'anglais n'est
certainement pas menacé par l'espagnol aux États-Unis. Il l'est encore moins par les autres langues.
L’élimination de la langue d’une culture étrangère a toujours
été une stratégie essentielle par tous les colonialistes dans le but
d'assimiler, de fragmenter et de finalement de contrôler les divers autres
peuples. Dès le début de l'histoire des États-Unis, les Amérindiens ont été
entraînés hors de leur tribus et placés dans des écoles anglaises où ils
n’avaient pas le droit de parler leur langue maternelle. La perte des
langues modernes autres que l'espagnol pour les enfants d'immigrants
témoigne qu’un élément de cette attitude assimilationniste existe toujours
dans les écoles américaines, même si ce n’est pas aussi évident
qu'auparavant. La perte de la langue d'origine dans les communautés
immigrantes aux États-Unis est un symptôme des multiples forces qui opèrent
simultanément, que ce soit l'influence du système, des médias, surtout
électroniques, des exigences en matière d’emploi, etc. Il existe aussi une
autre cause qui réside dans l’héritage provenant du colonialisme: de
nombreux peuples non blancs ont été amenés à penser que leur langue et leur
culture sont inférieures. Les communautés linguistiques non blanches aux
États-Unis sont confrontées à des préjugés systémiques tenaces dans presque
tous les aspects de leur interaction avec les autres Américains.
Pourtant, les White Ethnics américains ont peur ! Le discours officiel est parsemé
d'allusions à la «loyauté» envers la langue anglaise, une attitude qui doit
être commune
à tout citoyen américain. William Bennet, secrétaire
d'État à l'Éducation, affirmait
lors d'une entrevue au Miami Herald (25 novembre 1985): «Tous les
Américains doivent connaître la Constitution américaine et la Déclaration
d'indépendance en anglais. Ils doivent les lire et les comprendre en version
originale.» On n'est pas sans rappeler qu'on demande des exigences
similaires aux musulmans pour lire le Coran en arabe! Lorsqu'on est non
anglophone aux États-Unis, vouloir préserver sa langue et sa culture devient
un acte «anti-américain» et «antipatriotique», il ne faut pas l'oublier. Or, une telle attitude ouvre
toutes grandes les portes à la chasse aux sorcières linguistique.
Pourtant, il faut le répéter, l'anglais n'est vraiment pas menacé aux États-Unis!
Dans une perspective historique,
à l'instar de beaucoup d'Américains blancs,
le président Trump ne pouvait
promouvoir qu'une vision hégémonique des langues, notamment en ce qui concerne
le statut de
l'anglais. Il ne s'est pas exprimé souvent sur cette question qui ne
l'intéressait manifestement pas. Nous savons seulement que
l'anglais doit être pour lui
la seule langue officielle des États-Unis. Le 9 mars 2015, il déclarait sur
le réseau ABC ce qui suit à propos de la connaissance de l'espagnol:
Well, I think that when you
get right down to it, we're a nation that speaks English. I
think that, while we're in this nation, we should be speaking
English. Whether people like it or not, that's how we assimilate.
[...] I'm not just talking about Spanish.
I'm talking about from various parts of the world. That's how
they will become successful and do great. So I think it's more
appropriate to be speaking English. |
[Eh bien, je pense que, quant à y
être, nous sommes une nation qui parle anglais. Je
pense que, tant que nous faisons partie de cette nation, nous
devons parler anglais. Que cela plaise ou non, voilà
comment nous assimilons. [...]
Je ne parle pas seulement de
l'espagnol. Je parle aussi des différentes autres parties du
monde. Voilà comment ils vont réussir et devenir prospères. Je
pense donc qu'il est plus approprié de parler anglais.] |
Donald
Trump affirmait qu'il est plus approprié de parler anglais
et qu'il fallait assimiler les immigrants, non seulement ceux de
langue espagnole, mais aussi ceux de toutes les autres langues. Quoi qu'il en soit,
le véritable problème, ce n'est pas que les immigrants veulent faire fi
de l'anglais aux États-Unis,
car tout nouveau citoyen
américain désire l'apprendre; le vrai problème, c'est le mépris des autres langues!
Ce mépris s'est manifesté pour Donald
Trump lors des funérailles de l'ancien président de l'Afrique du Sud,
Nelson Mendela:
What a sad thing that the memory
of Nelson Mandela will be stained by the phony sign language moron
who is in every picture at [the] funeral!" |
[Que
c'est triste que le souvenir de Nelson Mandela soit entaché
par le faux idiome de la langue des signes qui apparaît dans
chaque image des funérailles!] |
Cela en dit long sur ce qu'il pouvait penser des
langues minoritaires.
10.1 Les axes
idéologiques sur les langues maternelles
Si nous résumons le débat portant sur le
bilinguisme et l'éducation bilingue aux États-Unis, nous constatons que la
question
semble se résumer autour de trois axes idéologiques: les langues maternelle
perçues comme un problème, les langues revendiquées comme un droit et les
langues comme capital social.
- Les langues
maternelles comme
un «problème»
La langue est perçue avant tout comme un
«problème» et constitue un obstacle à l'intégration des
immigrants. Dans cette perspective, la langue unit ou divise, ce qui signifie
que «unité politique» et «unité linguistique» vont de pair. La langue anglaise
est une condition essentielle de l'appartenance américaine. C'est pourquoi la
volonté des Hispaniques de conserver leur langue ressemble à un «manque de
loyauté» à l'égard du pays d'accueil. Le point de vue de Merrie Richun, un
partisan de la Proposition 63 en
Californie, résume bien cette idéologie:
Ces ingrats négligent la
langue anglaise parce qu'ils n'ont pas l'intention de s'intégrer à
l'Amérique majoritaire. Ils veulent gagner de l'argent et s'en aller. Et
pendant qu'ils sont chez nous, ils veulent reproduire les conditions et
les traditions du Mexique et établir un avant-poste latino aux
États-Unis. Olé! |
Or, si les Hispaniques veulent conserver
leur langue espagnole, ils n'en désirent pas moins parler aussi
l'anglais. Très peu refusent de s'intégrer à la société américaine, mais la
plupart des hispanophones préfèrent parler deux langues. Pour les partisans
d'un certain unilinguisme, il faudrait que les immigrants oublient
sur-le-champ leur langue maternelle en mettant le pied aux États-Unis.
- Les langues
maternelles revendiquées comme un droit
Rappelons que, durant deux siècles, la
législation linguistique n'a pas fait partie des pratiques américaines. La
langue anglaise s'est imposée de facto, en l'absence de toute loi. Ce
n'est qu'en 1923 que la Cour suprême des États-Unis, dans l'affaire Meyer c.
Nebraska, décida que l'anglais ne pouvait pas être imposé comme langue
d'enseignement dans les écoles privées. En 1940, la Nationality Act
obligea tout candidat à l'Immigration de «parler anglais». Les modifications
ultérieures (1950) précisèrent que les nouveaux immigrants avaient l'obligation
«de savoir lire et écrire l'anglais». Il fallut attendre la
Loi sur les droits civils
de 1964 avant que les premières législations puissent être
adoptées sur l'éducation bilingue. Depuis lors, deux tendances se sont
opposées: l'uniformité et la diversité. On sait que les forces de l'uniformité
ont pris le dessus sur celles de la diversité.
Pourtant, les représentants des communautés
hispaniques ne remettent pas en question la primauté et la légitimité de la
langue anglaise aux États-Unis. Ils revendiquent seulement le droit de
conserver en plus l'espagnol. Ils s'appuient particulièrement sur les
engagements internationaux pris par les États-Unis en matière linguistique: la
Charte des Nations unies, la Convention internationale sur l'élimination de
toute forme de discrimination raciale, sans oublier les
accords d'Helsinki
sur les droits linguistiques. Étant donné que la langue est un droit,
les groupes ethniques ont alors le droit de parler et de conserver leur langue et
leur culture d'origine. La perte de la langue maternelle fragmente les
communautés immigrantes, alors que la préservation de leurs langues les aide
à maintenir des communautés plus cohérentes et plus solides, et qui
paradoxalement accepteront plus facilement de s'intégrer au groupe
majoritaire parce que les membres de ces communautés auront plus confiance
en eux.
Dans un article de l'International
Journal of the Sociology of Language intitulé "The Question of an Official Language: Language Rights and the English Language Amendments", 1986), le
linguiste américain David
Marshall résume ce point de vue:
Il ne faut pas obliger les
gens à apprendre une langue. Il nous faut un changement des mentalités;
moins de préjugés et davantage de mobilité pour tous. La ratification
d'un amendement sur la langue anglaise ne va pas résoudre le problème;
elle va l'exacerber. |
En fait, il faut comprendre que les non-anglophones doivent
apprendre l'anglais, alors qu'il ne faut pas forcer les anglophones à parler
d'autres langues. Selon Marshall, l'avenir des États-Unis va
dépendre de ce changement des mentalités, celles des non-anglophones à l'égard
des anglophones qui, eux, ont la «bonne mentalité». Quoi qu'il arrive, l'évolution
démographique va accélérer ce processus à partir des années 2030. C'est là la
conception des représentants des minorités hispaniques et asiatiques, ainsi
que d'un certain nombre d'intellectuels anglo-américains libéraux.
- Les langues
maternelles perçues comme
capital social
Lorsque la langue est considérée comme un
capital social, il est du devoir de la société de préserver et de développer les
richesses culturelles de la nation. Ce point de vue est défendu par des
chercheurs, des éducateurs et des universitaires tant anglo-américains que
hispanophones.
Les promoteurs de cette idéologie, dont
l'organisme English Plus, remettent en cause tout le système
d'éducation américains qu'ils estiment médiocre.
Bien que les différents États du pays ne cessent
d'augmenter les sommes consacrées à l'éducation chaque
année (environ 3,5 % de plus), on remarque que le niveau moyen des connaissances
générales des jeunes Américains
se dégrade constamment. Il suffit de constater le
nombre d'illettrés (env. 25 millions) et d'analphabètes (jusqu'à 15 % dans les
États du Sud et du Nord-Est). En général, les analphabètes regroupent surtout
des Noirs et des Hispaniques, alors que les illettrés sont le lot des White
ethnics. Une étude de la National
Assessment of Educational Progress («Évaluation nationale du progrès en
éducation») démontrait en 1992 que 49 % des Hispaniques et 43 % des Noirs
n'avaient pas leur diplôme du high school, comparativement à 19 % chez
les Blancs.
Le problème fondamental en serait un
d'identité collective. Le président d'English Plus,
Osvaldo Soto,
déclarait en 1985:
L'anglais ne suffit pas. On
ne veut pas une société monolingue. Ce pays a été fondé sur la diversité
des langues et des cultures; nous voulons préserver cette diversité.
|
D'autres organismes se sont joints à
English Plus après le vote de la
Proposition 63 en Californie, notamment la Spanish American League
Against Discrimination, la League of United Latin American Citizens,
l'EPIC (English Plus Information Clearinghouse). Une écrivaine
latino, Gloria Anzaldua, explique ainsi son attitude à l'égard de la langue:
Si vous voulez vraiment me
blesser, dites du mal sur ma langue. L'identité ethnique est jumelée
avec l'identité linguistique. Je suis ma langue. Tant que je ne
suis pas libre d'écrire dans les deux langues, tant que je dois parler
anglais ou espagnol, alors que je préfère parler ''spanglish'', ma
langue restera illégitime. |
Dans son livre Borderlands: La Frontera
- The News Mestiza (1987), Mme Anzaldua associe au totalitarisme le
comportement de certains Américains qui nient la légitimité de sa propre langue
maternelle. Cette attitude de considérer la langue comme une capital social
est loin d'être comprise par l'ensemble de la population anglo-saxonne. Elle
n'est défendue que par ceux qui revendiquent une véritable politique axée sur
le pluralisme culturel et linguistique. Les tenants de cette idéologie croient
que tout recours à des moyens de pression juridiques pour préserver l'unité
nationale ne produirait que des effets contraires, car il n'est pas possible
d'étouffer impunément le sentiment d'attachement culturel et linguistique des communautés
hispanophones.
- Le
bilinguisme des immigrants
Il n'en demeure pas moins que la plupart des
Américains sont favorables au bilinguisme lorsqu'il concerne les immigrants
ou les Amérindiens. C'est un point de vue que
partage la
Linguistic Society of America (LSA) de Boston, fondée en 1924
pour faire
avancer l'étude scientifique du langage. Ses
quelque 7000 membres comptent parmi les plus grands experts sur les
langues aux États-Unis. Dans la Statement
of Language Rights («Déclaration sur les droits linguistiques», la LSA
déclarait le 15 novembre 1995 :
The challenges
of multilingualism are well known: incorporating linguistic
minorities into our economic life, teaching them English so they
can participate more fully in our society, and properly
educating their children. Unfortunately, in the process of
incorporating immigrants and their offspring into American life,
bilingualism is often wrongly regarded as a "handicap" or "language
barrier." Of course, inability to speak English often functions
as a language barrier in the United States. But to be bilingual
-- to speak both English and another language should be
encouraged, not stigmatized. There is no convincing evidence
that bilingualism by itself impedes cognitive or educational
development. On the contrary, there is evidence that it may
actually enhance certain types of intelligence. |
[Les défis du multilinguisme sont
bien connus : intégration des minorités linguistiques dans notre
vie économique, leur enseigner l'anglais afin qu'elles puissent
participer davantage à notre société et éduquer correctement
leurs enfants. Malheureusement, dans le processus d'intégration
des immigrants et de leurs descendants dans la vie américaine,
le bilinguisme est souvent considéré
à tort
comme un «handicap» ou une
«barrière linguistique». Bien sûr, l'incapacité de parler
anglais entraîne souvent une sorte de barrière linguistique aux
États-Unis. Mais le fait de devenir bilingue, donc parler
l'anglais et une autre langue, doit être encouragé, non pas être
stigmatisé. Il n'y a pas de preuve convaincante que le
bilinguisme en soi empêche le développement cognitif ou
éducatif. Au contraire, on constate qu'il peut en fait améliorer
certains types d'intelligence.] |
Il est clair que le bilinguisme constitue un atout pour les immigrants; il
serait difficile de remettre en question une telle déclaration. Le problème,
c'est que le bilinguisme dit «additif» ne vaudrait que pour les immigrants, pas
pour les autres Américains blancs anglophones. Toutefois, la
Linguistic Society of America (LSA) se distingue de l'opinion publique
américaine en affirmant que le multilinguisme des immigrants pourrait servir de
modèle pour d'autres Américains, tout en soulignant que l'inventaire national
concernant l'apprentissage des autres langues est notoirement mauvais:
Multilingualism also presents our nation with many benefits
and opportunities. For example, bilingual individuals can use their
language skills to promote our business interests abroad. Their
linguistic competence strengthens our foreign diplomatic missions and
national defense. And they can better teach the rest of us to speak
other languages. Moreover, people who speak a
language in addition to English provide a role model for other Americans.
Our national record on learning other languages is notoriously bad. A
knowledge of foreign languages is necessary not just for immediate
practical purposes, but also because it gives people the sense of
international community that America requires if it is to compete
successfully in a global economy. |
[Le multilinguisme présente aussi pour
notre pays de nombreux avantages et de nombreuses possibilités. Par
exemple, des individus bilingues peuvent utiliser leurs compétences
linguistiques pour promouvoir nos intérêts commerciaux à l'étranger.
Leur compétence linguistique renforce nos missions diplomatiques
étrangères et la Défense nationale. Et ils peuvent mieux apprendre au
reste d'entre nous à parler d'autres langues.
En outre, ceux qui parlent une autre
langue en plus de l'anglais présentent un modèle pour d'autres
Américains. Notre inventaire national concernant l'apprentissage des
autres langues est notoirement mauvais. Une connaissance des langues
étrangères est nécessaire non seulement pour des raisons pratiques
immédiates, mais aussi parce qu'elle donne aux gens le sens de la
communauté internationale que l'Amérique exige pour devenir compétitif
dans une économie mondialisée.] |
Il est rare qu'un organisme américain
considère le bilinguisme individuel comme un atout, voire un apport
économique. En ce sens, la Linguistic Society of America
va à l'encontre de l'opinion publique générale, ce qui ne signifie pas qu'elle a
tort.
10.2 Le holà sur les
minorités
Au cours de l'histoire récente, la présidence de
Bill Clinton
(1993-2001) avait pu redonner un nouveau souffle aux mesures de
protection. En effet, il s'est employé à faire adopter des
lois favorables aux minorités ethniques en combattant la discrimination,
notamment dans les domaines de l'emploi et du logement. Cependant, l'ancien
président a dû
tenir compte de l'opposition d'un Congrès républicain et d'une opinion
publique de moins en moins disposés envers les politiques d'ouverture
concernant les minorités. Afin de s'assurer un second mandat à la
présidence, Bill Clinton a fini par adopter une politique plus ambiguë, inspirée de l'idéologie
républicaine. Il était vraisemblable de penser que la présidence de
Barack Obama
puisse
favoriser une véritable ouverture sur toutes les questions
concernant les
droits des minorités aux États-Unis, mais qu'en même temps de formidables obstacles
puissent surgir et anéantir toute possibilité en ce sens; c'est ce qui
est arrivé. Durant les huit ans de sa présidence, il a dû affronter une
opposition partisane systématique de la part des républicains à la Chambre
des représentants et au Sénat. Non seulement le président Obama a dû mettre la pédale
douce sur la question des minorités, mais son successeur,
Donald Trump, allait y mettre un holà.
|
Beaucoup d'Américains ont cru voir les
conditions socio-économiques de plusieurs groupes minoritaires s'améliorer autour d'eux pendant que leurs
propres conditions se détérioraient ou stagnaient. Ils ont l'impression que les Noirs, les hispanophones,
les handicapés, les homosexuels et,
pour certains, les femmes, ont volé leur place dans la file d'attente du
«rêve américain». Or, selon une étude publiée en septembre 2014
par la Réserve fédérale (Fed), le revenu moyen de la population blanche,
propriétaire et diplômée, a augmenté entre 2010 et 2013, tandis que celui
des Noirs, des Hispaniques, des locataires et des «sans diplôme» a baissé au
cours de
la même période. Quant au revenu médian des Noirs et des
Hispaniques, il a chuté de 9 %, alors qu'il n'a baissé que de 1 % pour les
Blancs. En matière judiciaire, les Noirs américains représentent les deux
tiers des condamnés à mort, alors qu’ils ne comptent que pour 13 % de la
population des États-Unis. Le système pénal envoie en prison un jeune Noir
(20-34 ans) sur dix, mais seulement un jeune Blanc sur 104. On peut aussi
imaginer que tous ceux qui ne parlent pas l'anglais seront nécessairement
discriminés par la force des choses.
D'après le tableau ci-contre, ce sont les
Hispaniques et les Asiatiques qui devraient éprouver le plus de
difficultés, car ils connaissent moins l'anglais (39 % pour les
hispaniques et 54 % pour les Asiatiques). |
La
majorité des individus nés à l'étranger parlaient l'anglais
moins que «très bien», ce qui signifie «bien», «mal» ou «pas du
tout». Cependant, sous la présidence de
Donald Trump, les minorités n'avaient qu'à se tenir tranquilles. Bien
qu'elles aient chèrement acquis leurs
droits au cours des précédentes décennies, elles risquaient de toujours en perdre avec
cette administration
à Washington. Une partie de la société américaine est aujourd'hui
revancharde au sujet des droits acquis par les minorités, quelles qu'elles
soient, et il est apparu comme urgent pour ce président de répondre aux
besoins de la population blanche oubliée de l'Amérique.
Paradoxalement, alors que Donald Trump
pourfendait tous les candidats de l'establishment politique pendant sa campagne
électorale, il avait choisi pour former son administration de riches Américains
tous membres conservateurs de l'ordre établi, lesquels devraient remettre en
question les politiques progressistes de son prédécesseur. Les électeurs de Trump
étaient formés d'évangéliques traditionnels
et, à côté des gens très riches, des travailleurs gagnant 50 000 $ qui ne manquent de rien,
mais qui ont eu peur, peur pour leur revenus, peur pour leurs allocations
familiales, peur pour leurs impôts. Le point commun, c'est qu'ils étaient
massivement de race blanche et chrétiens!
10.3 Le «péril latino»
Devant la menace apparente du «péril latino», beaucoup
d'Américains blancs se posent en nouvelles victimes de
programmes bilingues qu'ils estiment injustes, donc illégitimes. Ils perçoivent l'attitude des
Hispaniques ou des Latinos comme une manifestation de leur
appartenance ethnique particulière, ce qui équivaut à une contestation du modèle
anglo-saxon blanc, sinon une véritable subversion. Le rejet du bilinguisme permet apparemment d'apaiser les craintes du
supposé «péril latino». Pourtant, aucun immigrant ne s'oppose à l'anglais, même
s'il souhaite en même temps maintenir sa langue maternelle. Pour la majorité
blanche, cette double identité ou double appartenance semble non viable et correspond à une sorte de
«coup de
poignard dans le dos».
- L'espagnol des enfants latinos
|
La figure de gauche montre la répartition
en pourcentage des élèves des écoles publiques américaines inscrits
de la
pré-maternelle jusqu'à la 12e année, selon la race ou l'origine ethnique.
Les années retenues sont l'automne 2001 (en jaune) et l'automne 2011
(en rouge) avec des projections pour l'année 2023 (en
vert). En 2001, pendant que les
Blancs fréquentaient l'école jusqu'à la 12e année dans une
proportion de 60%, la proportion n'était que de 17% pour les
Noirs et les Hispaniques. En 2011, les Blancs avaient baissé à
52%, contre 16% pour les Noirs et 24% pour les Hispaniques.
Les projections pour 2023 révèlent que les
enfants blancs seront déjà minoritaires dans les écoles avec 45% de
la population, contre 15% pour les Noirs et 30% pour les
Hispaniques; à cela s'ajouteront 5% pour les Asiatiques et 5%
pour les Amérindiens et les enfants appartenant à deux races.
Les minorités d'aujourd'hui forment 55% de la clientèle dans les
écoles.
|
On prévoit que le pourcentage d'élèves blancs sera inférieur à
50% à partir de 2014 et qu'il continuera de diminuer à mesure
que les effectifs des Hispaniques, des Asiatiques et des
Insulaires du Pacifique vont augmenter.
On prévoit que le nombre d'élèves des écoles publiques hispaniques passera
de 12,2 millions en 2012 à 15,6 millions, ce qui représente 30%
de l'effectif total en 2023.
Bien que les enfants des immigrants deviendront
majoritaires, le péril latino ne tient pas davantage la route, car,
comme nous le savons, l'espagnol n'est plus utilisé qu'à 1% des enfants à la troisième
génération.
- La langue espagnole
Les Américains pourraient
percevoir la langue espagnole de façon
positive s'ils étaient encouragés à la faire. Après tout, les
Latinos de Floride, du Texas et de la
Californie, qui ont déjà été des Espagnols, se sont fait spolier leur pays
par les forces d'occupation américaines. Ce sont les seuls citoyens à immigrer sur un territoire
qui a déjà été le leur, et qui porte encore les empreintes de leur culture et
de leur langue.
Comme l'affirmait en 1992 le célèbre écrivain mexicain
Carlos Fuentes dans
El Espejo Enterrado (paru en français sous le titre de Le Miroir
enterré en 1994):
Ce n'est pas le monde hispanique qui est arrivé aux États-Unis,
mais l'inverse. Et il y a peut-être une justice poétique dans le
fait que le monde hispanique revient aujourd'hui, dans le fait
qu'il recouvre une partie de son héritage ancestral dans
l'hémisphère occidental. |
Les White Ethnics pourraient même profiter du nombre élevé d'hispanophones dans leur
pays pour faire avancer l'enseignement de l'espagnol. Ils pourraient doter
les États-Unis d'un fort grand nombre d'Américains bilingues. Au contraire, ils
ne reconnaissent pas que l'enseignement bilingue pourrait être d'un quelconque avantage; ils ont
tendance à oublier également
la mauvaise qualité de leur système d'éducation, le taux élevé d'analphabètes
(15 millions) et d'illettrés en anglais (25 millions), sans compter la
maîtrise insuffisante des langues étrangères pour un si grand pays. À l'opposé, dans le Livre blanc sur la formation et l'éducation
publié en novembre 1995,
l'Union européenne recommandait à ses États membres d'assurer l'apprentissage,
dans toutes les écoles, d'au moins trois langues. Les États-Unis n'en sont
évidemment pas
rendus là! Néanmoins, il n'est pas interdit de penser qu'à plus long
terme certains États américains puissent devenir plus réceptifs et plus
ouverts sur le monde.
10.4 Un vent de xénophobie
Après l'élection de Barack
Obama en 2009, le pays a été témoin de la montée d'un mouvement de
propagande haineuse contre ce président noir élu,
contre l'immigration et contre les musulmans. La droite américaine est devenue un
mouvement extrémiste tirant à boulets rouges sur tous les «indésirables»,
notamment les immigrants mexicains et les musulmans, et n'hésitant pas à
citer la lettre de Thomas Jefferson
à William Smith, le 13 novembre 1787, dont un passage mentionne qu'il faut parfois rafraîchir
«l'arbre de la liberté» par «le
sang des patriotes et des tyrans»:
What
country ever existed a century and a half without a rebellion?
And what country can preserve it's liberties if their rulers are
not warned from time to time that their people preserve the
spirit of resistance? Let them take arms. The remedy is to set
them right as to facts, pardon and pacify them. What signify a
few lives lost in a century or two?
The tree of liberty must be
refreshed from time to time with the blood of patriots and
tyrants. It is it's natural manure. |
[Quel est le pays qui n'a jamais
existé en un siècle et demi sans rébellion? Et quel pays peut-il
préserver ses libertés si ses dirigeants ne sont pas
périodiquement avertis de l'esprit de résistance de leur peuple?
Laissez-le prendre les armes! La solution consiste à le rétablir
les faits, à lui pardonner et à le pacifier. Que signifient
quelques vies perdues en un siècle ou deux?
L'arbre de la liberté doit être
rafraîchi parfois par le sang des patriotes et des tyrans.
C'est son engrais naturel.] |
Mais la plupart des Américains conservateurs d'aujourd'hui semblent avoir oublié que Jefferson,
imbu des idées françaises du XVIIIe siècle, était un athée qui
avait réussi à imposer la séparation de l'Église et de l'État. Les
fédéralistes de l'époque l'attaquèrent sans relâche comme un «infidèle» qui
allait détruire les fondations chrétiennes de la nation, mais Thomas Jefferson
fut
quand même élu. Les
républicains ont accusé le Parti démocrate d'être devenu «une machine socialiste et laïcisante» ("a secular-socialist machine") et Barack Obama, le
président «le plus radical de l'histoire américaine» ("the most radical
president in American history"). Pourtant, par comparaison, Obama
était comme un agneau par rapport à Jefferson.
Cependant, ce qu'il y a de plus inquiétant, ce sont les propos hargneux,
racistes, homophobes et anti-gouvernementaux, les appels à la révolte, les
allusions aux armes à feu et aux attaques, le tout sur fond de mission
biblique et de sacrifice historique.
- L'expulsion des immigrants
Tout au cours de sa campagne à la présidence de 2016, Donald Trump
a fait de l'immigration l'un de ses thèmes favoris. Dans ses discours
pendant les primaires, il a qualifié
(sans nuance) les Mexicains venus aux
États-Unis de «criminels» et de «violeurs». Le geste le plus
symbolique était l’érection d’un mur de 1600 kilomètres qu’il a promis d'ordonner
le long de la frontière mexicaine pour arrêter l’immigration
illégale. Il désirait
aussi tripler le nombre d’agents chargés de l’immigration et comptait renvoyer
dans leur pays d'origine
les immigrants sans papiers, c'est-à-dire 5 ou 6,5 millions, sur les quelque
11 millions d’immigrés clandestins (en 2014). Pour compliquer le problème,
le candidat Trump s'était engagé à détenir tous les immigrants
sans papiers qui traversent la frontière «jusqu'à ce qu'ils
soient renvoyés chez eux».
Il prévoyait que l'expulsion
de tous ces travailleurs ferait avantager l'économie américaine de près de
6 %, soit 1,6 billion, c'est-à-dire plus de 1000
milliards de dollars d'ici 2035. Une
peine de prison fédérale d'au moins deux ans serait également imposée à tous
les immigrants clandestins expulsés qui reviendraient aux États-Unis.
|
Cette politique s'inscrit dans un fort courant
d'extrême droite aux États-Unis, qui préconise l'expulsion de
certaines catégories d'immigrants. Trump avait promis, alors
qu'il était candidat à la présidence, qu'il expulserait tous les immigrants
illégaux et tous les musulmans soupçonnés de terrorisme.
When I'm
elected, I will suspend immigration from areas of
the world where there is a proven history of
terrorism against the United States, Europe or our
allies, until we fully understand how to end these
threats. |
[Quand je serai élu,
je suspendrai l’immigration en provenance de régions
du monde ayant un passé avéré de terrorisme contre
les États-Unis, l’Europe ou nos alliés, jusqu’à ce
que l’on comprenne pleinement comment mettre fin à
ces menaces.] |
Un fois devenu président des
États-Unis, il a voulu limiter l’interdiction du territoire
américain aux ressortissants des «États et nations terroristes»,
tout en réclamant une «extrême vigilance» pour les musulmans
désirant entrer dans son pays.
|
En janvier 2017, Omar Jadwat, le directeur de l'ACLU
(American
Civil Liberties Union), l'Union américaine pour les libertés civiles,
déclarait que les intentions du président Trump relevaient d'une politique
raciale et ethnique :
President
Trump's fantasy of sealing the border with a wall is fueled by a
racial and ethnic bias that dishonors the American tradition of
protecting vulnerable migrants. |
[Le
fantasme du président Trump de fermer la frontière avec un mur
est alimenté par un parti pris racial et ethnique qui déshonore
la tradition américaine de protection des migrants vulnérables.] |
L'ACLU, qui dispose de plus de 300 avocats dans les 50
États, s'est dit prête à contester et à entraver la mise en œuvre des
propositions de Donald Trump. L'application du projet de déportation en masse du président Trump
impliquerait l'arrestation de plus de 15 000 personnes par jour, sept jours par semaine, 365 jours
par an, ce qui violerait les dispositions de l'Immigration
and Nationality Act (Loi sur l'immigration et la
nationalité), ainsi que les traités internationaux signés
par les États-Unis tels que la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
et la Convention relative au statut des réfugiés. Selon
ces conventions, tout immigrant devant faire l'objet d'une expulsion
doit comparaître devant un juge en matière d'immigration (avec un délai
d'attente de 635 jours) et faire valoir sa cause contre le renvoi, car
la Constitution américaine exige que la cour fédérale doit examiner la
légalité d'une mesure de renvoi. Bref, les avocats, les juristes, les
policiers, les gardiens de prison, etc., auraient du travail assuré
durant de longues années et entraîneraient des dépenses s'élevant à une
centaine de milliards de dollars.
- Le retrait de l'espagnol à la
Maison-Blanche
Après l'investiture de
Donald Trump en tant que
président américain, le retrait du contenu espagnol du site Web de la
Maison Blanche suscita la controverse. Interrogé à ce sujet, le
porte-parole du président, Sean Spicer, déclara que l'absence de la
version espagnole sur le site Web était due au fait que cette page était
«en construction» après l'arrivée du nouveau gouvernement. Bien sûr, le
retrait de cette section éveilla les soupçons des groupes de défense des
immigrants aux États-Unis, compte tenu de la rhétorique hostile que Trump avait utilisée pendant la campagne contre les Mexicains.
D'ailleurs, alors qu'il était toujours candidat à l'investiture
républicaine, Donald Trump avait attaqué son rival, Jeb Bush, pour le
fait qu'il avait parlé en espagnol lors de certaines de ses apparitions
publiques devant la presse. Par la suite, le président Trump relança le
débat sur la possibilité de faire de l'anglais la langue officielle des
États-Unis, mais cela ne s'est pas réalisé au cours de son mandat, ni
d'ailleurs au cours de l'histoire du pays.
Beaucoup d'hispanophones croient que, derrière le
soutien des membres du mouvement "English Only", se cache un sentiment
anti-immigrants, en particulier contre les citoyens d'origine
hispanique, première minorité du pays, ce qui a fait de l'espagnol la
deuxième langue la plus employée aux États-Unis, avec au moins 40
millions de locuteurs.
- Les «villes refuges»
Plus de 200 villes et 300 juridictions locales revendiquent le
statut de «sanctuaire», c'est-à-dire des refuges pour les immigrants. Cette appellation remonterait aux années 1980,
alors que
de nombreuses églises locales se sont mises à accueillir des réfugiés qui
fuyaient les conflits en Amérique centrale et qui ne pouvaient obtenir l'asile
aux États-Unis.
Les politiques d'une ville refuge sont définies de telle sorte que les gens qui y habitent ne soient pas
poursuivis pour la simple raison qu'ils sont des immigrants sans papiers. Ce
statut empêche les expulsions de clandestins, estimés à quelque 11 millions aux
États-Unis.
|
Le point commun à toutes ces villes et localités est
qu'elles refusent de coopérer avec les services de
l'immigration; certaines villes à tendance démocrate, comme New
York ou San Francisco, vont plus loin et refusent
tout échange d'informations avec les services de l'immigration. L'argument principal de
l'actuel gouvernement américain est qu'en ne coopérant pas
avec les services de l'immigration, les villes refuges
laissent des clandestins potentiellement dangereux en liberté.
Le président Trump a signé un décret demandant aux ministères de la
Justice et de la Sécurité de s'assurer que ces villes seront
dorénavant privées de tous les fonds qui peuvent légalement leur
être coupés. Les fonds fédéraux représentent parfois des sommes
colossales, par exemple 10,4 milliards de dollars rien que pour New
York, selon la chaîne américaine CNN. |
Outre la plupart des grandes métropoles américaines qui estiment qu'elles
n'existeraient pas sans l'immigration, des comtés et même des États entiers,
comme l'État de New York ou la Californie, revendiquent ce symbolique statut de
«sanctuaire» ou de «refuge». Évidemment, cette autre mesure anti-immigration a entraîné une
levée de boucliers chez les maires des villes concernées. Ils craignent que cette
directive encourage les policiers locaux à exercer les fonctions d'un agent
d'immigration.
- Le décret contre le "Black Crime"
Il a fallu créer un nouveau bureau des victimes de délits commis
par des étrangers «amovibles» ou «expulsables»,
l'Office for Victims of Crimes Committed by Removable Aliens.
Le décret présidentiel pour combattre le "Black crime" laisserait entendre que
seuls les immigrants commettent des crimes et méritent la honte publique, car il oblige dorénavant les «villes sanctuaires» à publier chaque semaine une
liste des crimes commis par des «étrangers» ("aliens"), un terme plus subtil que
le mot «immigrant». Voici quelques extraits du décret du 25 janvier 2017 ayant
pour titre "Executive Order Enhancing Public Safety in the
Interior of the United" («Décret
exécutif améliorant la sécurité publique à l'intérieur des
États-Unis») :
Section
9 b) To
better inform the public regarding the public safety threats
associated with sanctuary jurisdictions, the secretary shall
utilize the Declined Detainer Outcome Report or its equivalent
and, on a weekly basis, make public a comprehensive list of
criminal actions committed by aliens and any jurisdiction that
ignored or otherwise failed to honor any detainers with respect
to such aliens.
Section 10
c)
To protect our communities and
better facilitate the identification, detention, and removal of
criminal aliens within constitutional and statutory parameters,
the Secretary shall consolidate and revise any applicable forms
to more effectively communicate with recipient law enforcement
agencies.
Section 14
Privacy Act
Agencies shall, to the extent
consistent with applicable law, ensure that their privacy
policies exclude persons who are not United States citizens or
lawful permanent residents from the protections of the Privacy
Act regarding personally identifiable information. |
[Article
9 b) Pour
mieux informer le public au sujet des menaces pour la sécurité
publique associées aux juridictions sanctuaires, le secrétaire
d'État doit utiliser le Rapport sur les retards de détention ou
son équivalent, et publier chaque semaine une liste exhaustive
des actes criminels commis par des étrangers et dans toute
juridiction qui a ignoré ou omis autrement de respecter les
détenus à l'égard de ces étrangers.
Article 10
c)
Afin de protéger nos
communautés et de mieux faciliter l'identification, la détention
et l'éloignement des criminels étrangers dans les limites des
paramètres constitutionnels et statutaires, le secrétaire d'État
doit consolider et réviser les formulaires applicables afin de
communiquer plus efficacement avec les organismes chargés de
l'application des lois.
Article
14
Loi sur la protection des renseignements personnels
Les
agences doivent veiller, dans la mesure compatible avec la
législation applicable, à ce que leurs politiques en matière de
protection de la vie privée excluent les individus qui ne sont
ni citoyens des États-Unis ni résidents permanents légaux des
dispositions de la Loi sur la protection des renseignements
personnels.] |
Ce décret migratoire ne visait que les ressortissants de sept pays musulmans
(l'Irak, l'Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen) dans le
but de réduire les risques qu'un terroriste passe les mailles du filet. Le
décret a été largement condamné aux États-Unis et à l'étranger; de nombreux
fonctionnaires ont signifié leur intention de ne pas l'appliquer. L'opinion
américaine, elle aussi, y était défavorable. Selon un sondage CNN réalisé
entre le 31 janvier et le 2 février 2017, quelque 53 % des Américains contestaient
le décret limitant l'immigration, contre 47 % qui l'approuvaient. Selon un autre
sondage de CBS, environ 51 % s'y opposaient alors que 45 % l'approuvaient.
Le 29 janvier suivant, le décret présidentiel suspendant l'accueil des réfugiés
et des ressortissants de sept pays à majorité musulmane a été suspendu par un
juge fédéral en raison des dommages irréparables causés aux individus, aux
sociétés, aux universités et à l’État de Washington (qui conteste la validité de
l’interdiction). L’intérêt public, entre autres
considérations, a mené la Cour à confirmer la suspension du décret.
- Un second décret bloqué, puis débloqué
Le 6 mars 2017, Donald Trump a signé un nouveau décret interdisant pendant 90
jours l'entrée des États-Unis aux ressortissants de six pays musulmans : Iran,
Libye, Syrie, Somalie, Soudan et Yémen. Ce second décret a été modifié dans le
but de passer l’obstacle de la justice et d’éviter le tollé mondial de sa
première version.
Le 15 mars suivant, un juge fédéral américain a bloqué, pour l’ensemble des
États-Unis, la deuxième version du décret anti-immigration, ce
qui infligeait un nouveau revers judiciaire pour le président républicain. Le
magistrat Derrick Watson d'Hawaï a estimé dans son jugement que la suspension
temporaire du décret éviterait un «préjudice irréparable». Le juge a appuyé sa décision
en fonction de plusieurs déclarations de Donald Trump à l’égard des musulmans
pour conclure que le décret comporte «des preuves significatives et irréfutables
d’animosité religieuse».
L'État d'Hawaï avait déjà manifesté son intention de
contester le nouveau décret de l'administration Trump sur l'immigration. Hawaï a
estimé que le décret migratoire constituait une forme de discrimination sur la
base de la nationalité et qu’il empêchera ses citoyens de recevoir la visite de
proches vivant dans ces six pays. L'État a aussi fait valoir que l’interdiction
nuirait à son industrie touristique et à sa capacité de recruter des étudiants
et des travailleurs.
Les guerres menées par les États-Unis au cours des dernières décennies auraient
eu pour résultat de
créer un très grand nombre des réfugiés qui se promènent un peu partout dans le monde.
En limitant considérablement le nombre de réfugiés et en empêchant ceux qui
proviennent de six pays de se rendre aux États-Unis, le gouvernement américain
se trouve à se laver les mains d'un problème qu'il a contribué à créer tout en
sapant le système de droit international dont il est l'une des clés de voûte.
- La corde sensible du racisme
Rappelons que, au cours de sa campagne pour les primaires, Donald Trump avait
insulté les Mexicains, les musulmans et les femmes. Dans les faits, il s'est
montré nostalgique d’une certaine époque révolue de l’Amérique; il s'est
aussi révélé mal à l’aise avec la présence d’un Noir à la Maison-Blanche (Barack
Obama). De façon paradoxale, ce genre
de perception sur tout ce qui semble «étranger» et qu'on retrouve normalement dans des sociétés quelque peu
rétrogrades, pauvres et faibles, est véhiculée ici en Amérique du Nord dans une société
développée, riche et forte.
En fait, cette question touche une corde sensible pour bon nombre de concitoyens
de l'Oncle Sam: un Américain, c'est blanc et c'est religieux! Il faut le prendre comme acquis! Mais les faits contredisent
de plus en plus cette prétendue réalité.
|
Par voie de conséquence, des incidents racistes,
xénophobes et islamophobes se sont multipliés aux États-Unis
depuis la victoire de Donald Trump,
même au Canada, en Allemagne et aux Pays-Bas, pour ne nommer que
ces pays-là.
Des croix gammées et des slogans comme "Make America White Again"
sont apparus. Des jeunes gens des écoles secondaires se sont mis
à scander "White Power!" («Pouvoir blanc») ou "Build this wall"
(«Construisez ce mur!»). La minorité hispanique semble plus exposée
à des débordements racistes. Ainsi, dans la ville de Silver
Springs (Maryland), une église fréquentée par les
Latinos a été
maculée des inscriptions "Whites Only" («Blancs
seulement»).
De tels slogans témoignent d’une volonté commune de
préserver ou de restaurer une Amérique effrayée par le déclassement et
le déclin de la majorité blanche. Certaines associations des minorités
redoutent que cette élection présidentielle ait libéré de vieux démons
dans tout le pays. Un président xénophobe, c'est la légitimation suprême
pour les suprémacistes blancs!
". |
Dans une déclaration au Washington Times (11 mai
2017), le célèbre linguistique américain Noam Chomsky affirmait que
l'idéologie de la suprématie blanche était profondément enracinée aux
États-Unis:
White supremacy is very
deeply rooted in the United States. It ranks higher than
even South Africa. There’s no doubt there was a racist
motivation behind [Mr. Trump’s victory]. |
[La suprématie blanche est
très profondément enracinée aux États-Unis. Elle est même
supérieure à celle de l'Afrique du Sud. Il ne fait aucun
doute qu'il y avait une motivation raciste derrière [la
victoire de M. Trump]. |
Le ton employé par le président Trump à l'égard des
musulmans est empreint d'une brutalité qui n'apaisera certainement pas
un monde musulman mécontent d'être associé aux courants les plus
extrêmes de l'islam. Cette attitude, loin de réussir à «éradiquer» l'islam
radical, peut laisser croire à une augmentation des
tensions ethniques et religieuses non seulement au
Proche-Orient, mais
aussi sur le sol américain lui-même. Le procédé actuel est simple: il
s'agit d'exploiter l'insécurité identitaire des hommes blancs qui
regrettent la perte des privilèges dont ils bénéficiaient quand les
minorités et les femmes acceptaient leur domination en silence! Bref, le
président Trump a souvent déclaré qu’il est «la
personne la moins raciste» parmi toutes celles réunies avec lui dans un
même endroit. C'est une formule très désobligeante qui signifie que tout
le monde est raciste autour de lui, mais que lui l'est moins.
Lors de la campagne électorale de l'automne 2024, Donald
Trump n’a cessé de peindre en noir une «Amérique envahie et occupée» par
des immigrants. À coups de fausses informations incendiaires, racistes
et complotistes, il a traité d’«animaux» et de «terroristes» les
migrants d’Amérique latine ou d’Afrique venus «empoisonner le sang» des
États-Unis et faire grimper la criminalité. Alors que le recours à
l’armée contre d’éventuels désordres civils irait à contre-courant de
l’histoire politique des États-Unis, Trump a promis de réprimer «de très
mauvaises personnes [...] des personnes folles, des tarés d’extrême
gauche». En règle générale, Trump exprime une piètre opinion de tous les
Noirs et de tous les étrangers non blancs, ce qui se reflète
nécessairement dans son vocabulaire. Néanmoins, en septembre 2019, il a
pu affirmer: «Je suis la personne la moins raciste que vous
connaissiez.» Depuis des décennies, Trump n’a jamais abandonné cette
vieille tactique en jouant souvent sur les mots. Et ils ne savent même
pas l'anglais (9 octobre 2024):
They can’t even speak English.
They don’t even know what country they’re in, practically. |
Ils ne parlent
même pas anglais. Ils ne savent même pas dans quel pays ils
se trouvent, pratiquement. |
S'il parvient au pouvoir, Donald Trump promet
d'expulser jusqu'à 15 millions de Latinos. En même temps, le
candidat Trump de 2024 n'a pas perdu la pratique de tourner autour
du pot et de recourir à des mots orduriers. Le 19 octobre 2024, il
affirmait au sujet de Kamala Harris lors d'un passage en
Pennsylvanie:
So you have to tell Kamala
Harris that you’ve had enough. That you just can’t take
it anymore. We can’t stand you, you’re a shit vice
president! The worst! You’re the worst vice president.
Kamala, you’re fired! Get the hell out of here, you’re
fired! |
Alors vous
devez dire à Kamala Harris que vous en avez assez. Que
vous n'en pouvez plus. Nous ne pouvons plus vous
supporter, vous êtes une vice-présidente de merde ! La
pire ! Tu es la pire vice-présidente. Kamala, tu es
virée ! Sors d'ici, tu es virée ! |
Durant toute la campagne électorale, ce genre de
remarques grossières fut très fréquent et celles-ci sont
devenues des banalités. Dans les faits, lorsque Donald Trump est
à court de mots, à court d’idées, à court d’arguments pour se
défendre, il se met à traiter ses adversaires démocrates de
cinglés. Bref, cet ex-président et à nouveau candidat à la
présidence ne possède pas un vocabulaire très élaboré; lorsqu'il
manque de mots, et c'est fréquent, il recourt aux insultes. A
l’écouter, il aurait été le meilleur président que les
États-Unis aient jamais connu. Ce serait une erreur de traiter
Donald Trump d’idiot, mais il semble particulièrement doué pour
percevoir les faiblesses des autres et en tirer un profit
personnel, car il est manifestement prêt à tout pour arriver à
ses fins.
10.5 Un pays de plus
en plus multiculturel
De George Washington à George
W. Bush, tous les présidents américains furent d'origine anglo-saxonne
(parfois irlandaise) et de religion protestante, sauf John Kennedy qui était
catholique (et d'origine irlandaise), puis Barack Obama, un Noir (en fait,
un Métis).
Comme l'a écrit le politicologue américain
Andrew Hacker:
For
almost all of this nation's history, the major decisions have
been made by white Christian men. |
[Dans presque toute
l'histoire de cette nation, les grandes décisions ont été prises
par des hommes blancs chrétiens.] |
Les White Ethnics ont toujours été au pouvoir, à deux exceptions
près dans l'histoire américaine. Ils ont pu ainsi défendre leurs intérêts, sinon
les promouvoir avec efficacité. Aujourd'hui encore, ils continuent
d'exercer une influence disproportionnée sur les principales
institutions américaines, notamment politiques, commerciales,
financières, scolaires et culturelles. Il y a lieu de croire que les
intérêts des autres communautés, dont les minorités noires ou basanées
et les autochtones, ont été relégués souvent au second plan, bien que
les catholiques et les juifs aient réussi de fortes percées depuis les
années 1960.
|
Pourtant, les États-Unis sont devenus une
nation
multiculturelle, n'en déplaise aux White Anglo-Saxon Protestants ou
aux suprémacistes blancs qui
voient leur pays leur échapper peu à peu. D'ailleurs, d’après le Latino Survey réalisé
en 2012 par le Pew Hispanic Center, 86 % des Hispaniques et 92 % de tous les
Américains pensent que les États-Unis sont faits d’un mélange de plusieurs
cultures et non d’une culture principale anglo-protestante.
La figure
de gauche
montre que les Blancs ne comptaient plus que pour 53 % de la
population en 2013 (US Census 2013). Depuis 2000, le nombre d'«Asiatiques» et
d'«Hispaniques» a grimpé de plus de 40 %, sous l'effet de
l'immigration et d'une natalité plus forte; les Blancs
vieillissent et leur croissance démographique est inférieure à
celles des Américains de «profil nouveau», les "Colored". Ces tendances vont se
poursuivre avec le résultat que les Blancs seront minoritaires
vers 2040-2050. C'est là une tendance lourde, et elle ne
changera pas dans les prochaines décennies. Il est trop tard
maintenant pour inverser la tendance. |
|
La carte de
gauche
illustre la proportion de plus en plus réduite de la population
blanche dans les États américains. La progression des non-Blancs
(appelés "Colored": les «gens de couleur») semble augmenter au fur et à
mesure qu'on se dirige du nord vers le sud, à l'exception des
États de l'Alaska, de New York et du Delawere.
Par exemple, outre ces trois États, la
proportion de la population non blanche (les "Colored")
atteint plus de 30 % en Californie, au Nouveau-Mexique, en
Louisiane, au Mississipi, en Géorgie et en Caroline du Sud.
Dans plusieurs États, les "Colored" forment entre 20 % et 30
% de la population: le Nevada, l'Arizona, le Texas,
l'Oklahoma, l'Arkansas, l'Alabama, la Floride, la Caroline
du Sud, la Virginie, le New Jersey, le Connecticut et le
Massachusetts.
Les "Colored" constituent une minorité
en progression dans les États suivants: Washington, Oregon,
Utah, Colorado, Dakota du Sud, Nebraska, Kansas, Minnesota,
Wisconsin, Missouri, Michigan, Indiana, Ohio, Pennsylvanie,
et Tennessee.
Enfin, les États massivement blancs
sont minoritaires. Ce sont l'Idaho, le Montana, le Wyoming,
l'Iowa, le Kentucky, la Virginie occidentale, le Vermont, le
Maine et le New Hampshire.
L'ancien président Bill Clinton l'avait déjà dit en
1998. Plus on se rapproche du XXIe siècle, plus la population des États-Unis sera frappée par la
diversité. Ces dernières décennies, les Latino-Américains
et les groupes raciaux minoritaires (Noirs, Asiatiques et Amérindiens) ont enregistré une
croissance démographique supérieure à celle de l'ensemble de la
population. |
Dans l'hypothèse du maintien
des tendances actuelles, le Bureau du recensement (US Census) prévoit que
les minorités non blanches
constitueront près de la moitié de la population des États-Unis d'ici à
2050. Bien que manifestement imprécises, ces projections indiquent que
les États-Unis connaîtront une expansion considérable de la
diversité raciale et ethnique au cours du présent siècle.
|
Or, les White Ethnics, qui ont la
nostalgie d'une Amérique blanche ("Make America White Again"),
ou MAWA, ont toujours considéré les «gens de couleur» comme inférieurs et
non assimilables! Une victoire du démocrate John Kerry en
novembre 2001 —
défait par le républicain George W. Bush
—
aurait constitué aux États-Unis un événement
majeur. Non seulement John Kerry était catholique, polyglotte et
démocrate, mais il était marié à une immigrante d'origine
portugaise (née au Mozambique), elle aussi polyglotte. On
comprend que, pour de
nombreux Américains, la victoire du «Métis»
Barack Obama à la
présidence des États-Unis symbolisait l’avenir de la question
raciale dans leur pays. Quand Barack Obama est né, en 1961 à
Honolulu, les mariages mixtes étaient encore interdits dans 16
États américains. Il a été le premier Métis à la Maison-Blanche!
|
Après huit années de
conservatisme républicain, l'arrivée du démocrate
Barack Obama fut
considérée comme une bouffée de fraîcheur, même si la
droite américaine l'a accusé d'être un «socialiste extrémiste» et un
«marxiste», des mots «diaboliques» aux États-Unis. Le
3 juin 2008, à Saint Paul (Minnesota), Obama avait déclaré ce qui suit au
sujet de l'avenir de son pays :
America, this is our
moment. This is our time. Our time to turn the page on the
policies of the past. Our time to bring new energy and new ideas
to the challenges we face. Our time to offer a new direction for
the country we love! |
[Amérique, c'est
notre moment, c'est notre heure, le temps de tourner la page sur
les politiques du passé, le temps d'apporter une nouvelle
énergie et de nouvelles idées pour les difficultés auxquelles
nous faisons face, le temps d'offrir un nouveau cap au pays que
nous aimons.] |
Barack Obama fut plus subtil que ses
adversaires qui ont exploité la peur des électeurs devant ce Noir pas tout à
fait noir, dont le second prénom, Hussein, est d'origine «arabe». Son défi,
c'était d'incarner un espoir de changement. Les Noirs et les
Latinos se
souviennent aussi qu'ils ont généralement été mieux traités avec un
président démocrate. Mais les Américains qui s'identifient
comme républicains (ou «conservateurs» ou «de droite») sont deux fois
plus importants que ceux qui s'identifient comme démocrates (ou
«libéraux» ou «de gauche»). C'est pourquoi l'espoir devait se transformer en
désenchantement, car l'ancien président Obama a eu les mains liées par la Chambre
des représentants contrôlée par les républicains. Il n'a jamais pu faire
adopter ses politiques, sauf une modeste réforme de la santé, alors le
système de santé américaine est réputé pour ses coûts astronomiques et ses
millions de laissés-pour-compte. La présidence d'Obama n'a même
pas pu fermer la prison de Guantanamo (Cuba). Certes, il a permis
l'ascension d'une certaine élite noire, mais l'ensemble de la communauté
noire n'en a guère profité. On lui a reproché de ne pas avoir eu de "Black
Agenda" : comme ce président noir ne voulait pas être accusé de favoriser sa
communauté, il se serait totalement désintéressé de ce problème.
On peut même affirmer que,
depuis 1945, les États-Unis ont fait des pas de géants pour développer une
société multiraciale et multiculturelle. Toutefois, l'élection de Donald Trump a montré que cet engagement pour la diversité sociale et la justice
raciale peut être précaire et qu'il s'agit en somme d'un combat perpétuel
toujours à recommencer. Ce pays doit prendre des
mesures pour se transformer à la fois en une société plus juste et nécessairement
conforme à une société multiethnique. Le résultat espéré, c’est l'éventualité d’une société plus riche, plus vivante et plus forte, ajustée à
l’heure du monde actuel. Au contraire, le fait de décréter des états de
crise, de prédire le déclin et la fin de la civilisation anglo-saxonne, puis
de rejeter la diversité ethnique, c’est choisir une résistance inutile, car
c'est choisir l'illusion et la division. C'est certainement faire abstraction de la
réalité qui mise sur l’avenir et non plus sur le passé.
10.6 Une
apocalypse appréhendée ?
L'histoire des États-Unis
imprègne toute la société américaine et cette histoire est fondée depuis le
début sur l’esclavagisme et le racisme, ainsi que sur la violence armée et
l'opportunisme des aventuriers de l’argent. Tout cela a entraîné de lourdes séquelles après
des siècles de capitalisme débridé. C'est ainsi que des millions de citoyens
de la classe moyenne et des ultra-riches ont pu désigner un milliardaire
pour les représenter (Donald Trump). Cette sorte de culture politique a pour effet de
laisser des oligarques décider du sort de la vie de millions de personnes,
de nombreux peuples, sinon de celui de la planète. En réalité, la politique
américaine véhicule une certaine conception qu'on se fait de la vie publique
: une sorte de «guerre civile».
- Une
grandeur en déclin ?
Dans son discours
d'investiture, le 20 janvier 2017,
Donald Trump
n'avait pas hésité à casser du sucre sur son pays, sur ses prédécesseurs et
leurs politiques, parlant notamment de
«carnage américain» ("American carnage") et de pays peuplé «d'usines
rouillées comme des pierres tombales» ("rusted out factories scattered like
tombstones"). De son côté, l'influent journal
The Washington Post avait sévèrement critiqué cette fausse image d’un pays
appauvri et englué dans le crime:
Like his
alarmist speech to the Republican National Convention in July,
this one painted a false picture of an impoverished, crime-ridden
country that has been cheated and victimized by Washington
elites and grasping interests abroad. |
[Comme son
discours alarmiste à la Convention républicaine nationale en
juillet, celui-ci a peint une fausse image d’un pays appauvri,
infesté par le crime, qui a été trahi et martyrisé par les
élites de Washington et les intérêts cupides de l'étranger.] |
Une fois devenu président,
Donald Trump promit de redonner à l'Amérique sa grandeur d'antan, comme si
elle
l'avait déjà perdue! Néanmoins, en 2016, personne n’avait anticipé que cela
pouvait signifier la fin du leadership mondial américain, bien que la fin de l'empire américain ne
soit pas encore arrivée, loin de
là. La
puissance militaire américaine n'est contestée par personne, les meilleurs
jeunes cerveaux de la planète rêvent d'étudier dans les grandes et célèbres universités
américaines, les plus audacieuses innovations technologiques continuent de
venir des États-Unis, etc. On pouvait espérer que la
présidence de Donald Trump ne soit
pas l'Apocalypse appréhendée. L'ex-président Barack
Obama affirmait qu'il ne
fallait jamais croire au pire tant que le pire n'est pas survenu.
-
Les problèmes majeurs
Dans la seconde moitié de 2020, les États-Unis devaient affronter
simultanément trois problèmes majeurs: celle de la dictature du président chinois
(Xi Jinping), celle de la Covid-19 et celle du réveil des minorités
ethniques, raciales et religieuses. On connaît les solutions! Pour contrer la
dictature chinoise, il faudrait recourir aux jeux d'alliance qui ont prouvé
leur efficacité; pour ralentir
la propagation de la pandémie, il fallait en venir aux mesures de
confinement; pour parvenir à une véritable égalité entre les Américains, il faudrait combattre la
pauvreté et instruire les membres des minorités. Incapable d'appliquer l'une
de ces
solutions, le président Trump méprisait les alliés traditionnels de son pays au
profit des dirigeants des dictatures; il ne comprenait pas les mesures de
confinement et assimilait les revendications racistes anti-blanches à l'œuvre
«des émeutiers, des
pilleurs et des anarchistes» pour se poser en défenseur des Blancs qui le
soutenaient.
Ce faisant, le président isolait les États-Unis au plan
mondial et risquait de faire couler l'économie américaine. Selon le général
Paul Selva, ancien deuxième plus haut gradé de la Défense américaine, Donald Trump minait la sécurité nationale américaine par son attitude
méprisante, de sorte que «nos alliés ne nous font plus confiance ni ne nous
respectent, et que nos ennemis ne nous craignent plus» ("Thanks to his
disdainful attitude and his failures, our allies no longer trust or respect
us, and our enemies no longer fear us", 20 septembre 2020). Ces paroles
furent
appuyées par une liste de 489 experts en sécurité nationale, dont d’anciens
chefs militaires, des ambassadeurs et des responsables de la Maison-Blanche.
-
Les présidents incompétents et racistes
Parmi
les 44 précédents présidents des États-Unis, l'Histoire pourrait témoigner
d'une impressionnante collection de racistes — Abraham
Lincoln,
Andrew Johnson, Thomas Jefferson,
James Madison, Théodore Roosevelt, William Howard
Taft, Warren Harding,
Woodrow Wilson
—,
d'incompétents et de mal embouchés. Pourtant, tous ces
anciens présidents n'ont jamais réussi à détruire leur pays, même s'ils
l'ont affaibli temporairement.
Il est vrai qu'une certaine élite américaine
n'a pas encore appris que toute politique qui encourage la coexistence
linguistique réussit aussi à promouvoir un esprit de compréhension et de
tolérance. Au contraire, une politique qui prône le mépris pour la langue,
la culture et la religion d'une partie de ses citoyens risque de susciter la méfiance,
le népotisme, la corruption, le
sectarisme, la xénophobie et l'hostilité. De nombreux dirigeants
américains ne l'ont pas encore compris, trop obnubilés dans leur propres
croyances et leurs propres certitudes! S'il était peu probable que le
premier président noir (Barack Obama)
réussirait à renverser la vapeur en faveur de la coexistence, ce fut encore moins le cas avec
Donald Trump, pourfendeur des
minorités. Ce président ne prenait pas conscience qu'il mettait le feu aux
poudres partout où il passait avec ses politiques anti-immigration et
xénophobes. Par ailleurs, la crise de la Covid-19 fut même utilisée
par Donald Trump pour faire avancer sa guerre contre
les immigrants.
Pourtant, l'histoire est là pour nous enseigner
que l'une des manifestations classiques de l’idéologie fasciste
est de lier les immigrants aux maladies. Qu'il suffise de
rappeler les événements reliés à la «peste noire», à la «capote
anglaise», au «mal français», à la «grippe espagnole», à la «grippe
de Hong Kong», à la «maladie
polonaise», au «mongolisme», à la «grippe asiatique» et, plus
récemment, au «virus chinois», au «virus de Wuhan» (la capitale
de la province du Hubei en Chine), au «virus étranger» ou à la
«grippe de Kung» (en référence au kung-fu, art martial chinois
dans lequel les individus n'utilisent que leurs mains et leurs
pieds nus pour combattre»). Bref, c'est
toujours des autres que vient le Mal.
D'ailleurs, l'Organisation mondiale de la santé condamne la
pratique de nommer les maladies d'après la géographie ou
l'ethnie.
- Une Amérique radicalisée
Aujourd'hui, le Parti républicain privilégie
le culte de la personnalité en s'engageant dans une insurrection
permanente contre la démocratie américaine. Les militants de
Donald Trump se considèrent comme une petite armée de guerriers
luttant pour assurer la pérennité des États-Unis en tant qu’État
WASP (White Anglo-Saxon Protestant).
Ces combattants sont fascinés par la haine et le ressentiment
que leur inspire leur leader à l’égard de la classe
politique. Bref, le Parti républicain d’aujourd’hui, avec ou
sans Donald Trump, demeure une force antidémocratique composée de
nombreux élus radicalisés. D’ailleurs, au moment même où les
républicains s’entredéchiraient à Washington (en janvier 2023),
l’organisation américaine "Eurasia Group" faisait paraître son
Rapport sur les principaux risques de 2023 ("2023 Top
Risks Report) sur les plus importants risques géopolitiques
mondiaux pour la prochaine année.
Or, au septième rang, après
«le voyou russe» ("Rogue Russia"), la Chine de Xi Jinping
("Maximum Xi") et l'Iran ("Iran in a Corner"), on trouve «les
États divisés d’Amérique» ("Divided States of America"). Cette
radicalisation aux États-Unis provient à la fois d’une réaction
à une menace face à une société plus instruite, mondialisée,
libérale et diversifiée, et d’une volonté de défendre les
intérêts économiques et culturels de l’Amérique dite
traditionnelle, c'est-à-dire blanche, chrétienne, patriarcale,
non universitaire, rurale et conservatrice, essentiellement
anglophone.
Il est inutile de nier qu’il existe un
mouvement fasciste aux États-Unis. Environ 30 % de l’électorat
de Trump rejette l’ordre constitutionnel et penche en faveur de
la force et la violence. Tous ces Américains, dont la plupart
appuient le mouvement MAGA (Make America Great Again) jusqu’à ce
que mort s’ensuive, sont attachés à l’image des États-Unis comme
étant «une nation choisie par Dieu» ("a nation chosen by God").
Trump incarnerait la nation dans toute sa gloire: il serait un
sultan, un tsar, un être suprême, masculin et violent. Mais ce
Trump n'est pas un
réel politicien, c'est plutôt pour ses partisans un
prophète!
Selon les historiens, Donald Trump ne serait pas «le
pire président de l'histoire des États-Unis». Cependant, il est
classé parmi les cinq «pires président» sur 44 recensés :
William Henry Harrison
(40e),
Donald Trump (41e),
Franklin Pierce (42e),
Andrew Johnson (43e)
et James Buchanan (44e).
Pourtant, Donald Trump a pratiqué un mandat présidentiel
chaotique au cours duquel il a fait exploser les alliances avec
ses plus proches collaborateurs ainsi qu'avec les principaux
alliés de son pays, en plus de faire l’objet de deux procédures
de destitution. En 2024, Trump s'est porté à nouveau candidat à la
présidence. Comme en 2016, il ridiculise ses adversaires
politiques, il lance des énoncés faux et alarmistes à l’endroit
des immigrants qui arrivent aux États-Unis, il accuse le
président Joe Biden de
tous les maux, tout en promettant le retour éblouissant d’un
pays parfait qui n’a jamais existé. Au fil des ans, Donald Trump
est resté le même politicien hargneux, peu importe qu'il
affronte Hillary Clinton, Joe Biden ou Kamalas Harris. Il peut
prendre la parole pendant une heure et demie, proférer des
insultes, des divagations et des contradictions. Il poursuit ses
routinières tirades sur les immigrants qui arrivent à la
frontière mexicaine et qui seraient tous des criminels, des
meurtriers et des trafiquants de drogues. Au besoin, il ferait
déporter des millions d'immigrants! Évidemment, si Donald Trump revenait à la présidence, ce serait un
coup dur pour la démocratie américaine qui tourne déjà en spirale.
- Une société gangrenée
par les inégalités et le racisme
|
Aujourd'hui, la société américaine se caractérise par
son caractère pluriethnique et multiculturel et par un niveau de vie parmi
les plus élevés au monde, mais c'est aussi une société violente où règnent les
inégalités sociales, gangrenée par le racisme (voir la carte ci-contre), un pays où la démocratie est
viciée par des lobbies trop puissants, un pays où les excès de
l’individualisme ont compromis la moralité publique, un pays où des Églises
sectaires sont en pleine expansion. Avec seulement 5 % de la population mondiale, les États-Unis
possèdent la moitié des richesses de la planète. De plus, le pays semble
toujours affecté par d’importants clivages sociaux et ethniques, qui ne vont
pas disparaître au cours des prochaines décennies. Il y a malheureusement deux Amériques:
l’une idéalisée, qui finit par croire à ses mythes, celle qui a permis
l’élection de Barack Obama en 2008. L'autre, bien ancrée dans la dans la
réalité, celle où les inégalités et le racisme dissimulent les idéaux dont
les Américains se réclament. Pour le moment, l'égalité des droits et le rêve américain
restent l'apanage des White Ethnics ou des suprémacistes blancs. |
En
réalité, le rêve américain a toujours été de se sortir de sa misère en
faisant de l’argent. Tout le système économique du pays est organisé pour
que quelques-uns s’enrichissent aux dépens des autres, lesquels rêvent d’être à la
place de ceux qui profitent du système. C'est pourquoi le tiers monde existe aussi
aux États-Unis, notamment chez les Noirs, les
Hispaniques, les Amérindiens et les
immigrants.
Sous
l'administration d'Obama, les riches
ont continué comme auparavant à être de plus en plus riches, et les pauvres
de plus en plus pauvres. Pendant que 1 % de la population du pays possède
plus de 40 % de la richesse nationale, une sous-classe composée de 40
millions de personnes vit dans la plus grande pauvreté, sans compter que des
milliers d'enfants américains meurent de malnutrition ou de maladie à un
taux plus élevé que dans tout autre pays industrialisé. Qui plus est, une
vingtaine de personnes détiendraient la même richesse que les 50 % les moins
nantis du territoire américain. Les États-Unis abritent le plus gros
contingent d’«ultra-riches» dans le monde, avec quelque 75 000 individus qui
possèdent plus de 10 260 milliards de dollars, soit près des deux tiers du produit
intérieur brut américain.
Durant les primaires démocrates de 2016, le sénateur du
Vermont, Bernie Sanders, expliquait aux Américains ce qu'ils entendaient
rarement : cette terre de rêves et de possibilités est devenue la plus
inégalitaire parmi les «pays avancés» du monde. Par ailleurs, les taux de
criminalité atteignent des sommets, sans oublier les quelque 44 000 décès
en 2022 causés par les armes à feu. Enfin, c'est aux États-Unis que la
mortalité infantile est la plus élevée parmi les pays riches. Le
système de santé est tout à fait déplorable, car il n'est fait que pour les
riches!
C'est la
conclusion à laquelle arrivait Bernie Sanders : à quoi bon être la première puissance
économique mondiale si elle est aussi la plus inégalitaire, la plus
disloquée, la plus pauvre socialement? Par voie de conséquence, les
inégalités provoquent des tensions sociales, de l'exclusion, une baisse de
la confiance et un appauvrissement socio-économique. C'est une société où
règnent le suprémacisme, la racisation, l'exclusion mutuelle,
l'appropriation culturelle, l'individualisme à tout crin, les
plus forts s'accaparant tout, sans rien donner à leur propre
société. Même une loi sur la langue anglaise s'apparentrerait à du
socialisme! C'est d'ailleurs pour cette raison qu'aune loi
linguistique n'a pu être adoptée au Congrès américain. Ce modèle américain,
celui que dénonçait le sénateur Sanders, n'est probablement pas celui qu'on
souhaite voir partout dans le monde, bien que des millions de personnes non
américaines rêvent de faire partie de cette société.
En 2002, un commentateur politique républicain,
Kevin Phillips, publiait
Wealth and Democracy: A Political History of the American Rich (en français: Richesse et
démocratie, une histoire politique des riches Américains), un réquisitoire impitoyable contre la «dérive
ploutocratique». Selon Kevin Phillips, les États-Unis ne sortiront pas de cette
période qui encourage le développement d'une «aristocratie économique
héréditaire», sans passer par des réformes profondes ou d'une violente secousse
sociale. Afin de maintenir la prospérité de la classe moyenne américaine, il
semble qu'il faille importer de la main-d'œuvre à bon marché des pays plus
pauvres, notamment du Mexique.
- Le retour de Donald Trump à la
présidence
Ce retour en 2025 n'augure rien de bon
pour les minorités de ce pays; leurs membres n'ont qu'à bien se tenir, car
Trump a appris de son premier mandat. Il risque de mener des politiques plus
radicales que lors de son premier mandat et encore plus destructrices pour
les droits des minorités. D'ailleurs, il a annoncé une loi majeure sur
l’immigration avec des mesures beaucoup plus précises et inquiétantes que ne
pouvait l’être le fameux mur de 2016 qu’il voulait construire pour empêcher
les migrants d’arriver au x États-Unis. Il a dans sa mire tout un projet
d’expulsions massives des migrants illégaux avec la réquisition des forces
de l’ordre, le placement dans des camps, puis l’expulsion. Cela risque de
coûter quelque 80 milliards par année durant dix ans.
10.7 Ce qu'il reste de la politique
linguistique américaine
À proprement parler, les États-Unis n'ont jamais élaboré de
politique linguistique consciemment planifiée et à portée nationale. Pour
les parlementaires américains, le paradis du capitalisme, toute intervention
à caractère social, que ce soit sur la santé, la langue ou la culture, est
perçue comme du «socialisme». Or, les Américains éprouvent une forte
hostilité pour des doctrines vues comme étrangères aux traditions politiques
américaines. Il ne faut oublier que les Américains en général sont très
conservateurs et qu'ils ne sont pas prêts à abandonner les avantages du
capitalisme individuel. Et l'intervention législative sur la langue fait partie du
socialisme parce qu'elle fait penser aux politiques de l'Union soviétique, de
sorte que toute mesure législative est interprétée comme une menace pour les
libertés individuelles.
Pourtant, dans la période présente du XXIe siècle, le
gouvernement fédéral ne peut plus éviter totalement l'élaboration d'une
politique linguistique. On s'en tient au plus urgent, au plus
incontournable, c'est-à-dire tout ce qui concerne les immigrants, dont
essentiellement ce qui concerne l'enseignement des langues et l'accès aux élections. Le
département américain de l'Éducation a investi des milliards de dollars dans
ce qu'on peut appeler «l'éducation bilingue», principalement en terme
de «moyen de transition» destiné à remplacer les langues des enfants de minorités
par l'anglais. Au même moment, d'autres programmes fédéraux dépensaient des
milliards pour soutenir l'enseignement des langues dites «étrangères»,
c'est-à-dire pour enseigner à peu près ces mêmes langues aux anglophones.
Toutefois, aucune des deux approches n'a réussi à produire aux États-Unis de
réels individus
bilingues. Les enfants immigrants apprennent mal l'anglais, tandis
que les compétences des Américains dans les langues étrangères, pourtant jugées essentielles à la sécurité nationale et au commerce international, demeurent
des exceptions. Par ailleurs, pourquoi dépenser de l'argent pour le
bilinguisme quand la planète entière tentent par tous les moyens d'apprendre
l'anglais.
Au cours des années 1980, la population née à l'étranger a
augmenté de 40%, de 38 % pour le nombre des locuteurs de langues
minoritaires et de 37 % pour le nombre de résidents américains ayant des
difficultés avec l'anglais. Rien n'indique que ces tendances sont appelées à
s'inverser, à moins qu'il y ait de grandes restrictions concernant
l'immigration. L'impact social de ce mouvement semble tellement considérable
qu'on a généralement balayé le problème sous le tapis en adoptant la méthode
du tout-anglais. La question est de savoir quelle politique est-il
préférable d'adopter pour réagir aux changements démographiques dans le but
de servir l'intérêt national et à de préserver les traditions démocratiques
américaines?
- faut-il considérer les langues minoritaires comme une
menace et tenter d'en restreindre l'usage, en adoptant des mesures
coercitives pour forcer les immigrés à s'assimiler?
- faut-il considérer la diversité linguistique comme une source
perpétuelle de problèmes et y répondre par diverses stratégies non
coordonnées pour faire face aux barrières linguistiques?
- faut-il envisager cette diversité comme un atout en encourageant les
minorités linguistiques à conserver leurs connaissances linguistiques et
leur offrant de nombreuses possibilités d'apprendre l'anglais, tout
servant les États-Unis à faire face aux langues étrangères?
Il est vrai que la diversité linguistique est un phénomène
relativement récent
aux États-Unis, parce que les fondateurs de ce pays n'ont jamais eu à faire
face à une telle situation. Dans les faits, le gouvernement fédéral n'a
jamais senti le besoin de fournir des bulletins de vote bilingues, des
écoles bilingues, des publications et des services bilingues aux frais de
l’État, même si certains États fédérés l'ont fait, bien que jamais de façon
coordonnée. D'ailleurs, beaucoup d'enseignants croient que les politiques prévues pour l'enseignement
en langue maternelle ont pour effet de décourager les immigrants d’apprendre
l’anglais. Il est certain que sous la nouvelle administration de Donald
Trump (2025-2029), les sommes investies en éducation vont passer au hachoir.
Pourtant, dans les États, les élus américains n'ont pas
hésité à imposer des politiques linguistiques restrictives. Par exemple, la
Californie a réécrit sa constitution en 1879 pour supprimer les droits
linguistiques de l'espagnol. En 1897, la Pennsylvanie a fait de la maîtrise
de l’anglais une condition d’emploi dans ses bassins houillers, une manière
peu subtile d’exclure les Italiens et les Slaves. Les craintes en matière de
sécurité pendant la Première Guerre mondiale ont conduit à des interdictions
sans précédent de l'usage public de la langue allemande – dans les écoles,
dans la rue, pendant les services religieux et même au téléphone.
Toutes les mesures disponibles actuellement démontrent que
les nouveaux arrivants d'aujourd'hui apprennent l'anglais – et perdent leur
langue maternelle – plus rapidement que jamais. L'anglais était bien plus
«menacé» autrefois, mais il a plutôt bien survécu sans statut officiel. Tout
cela ne signifie pas que les États-Unis devraient s'abstenir d'une politique
linguistique cohérente. Jusqu'ici, les États-Unis ont connu des politiques
linguistiques souvent contradictoires et inadéquates pour faire face aux
changements, car il s'agit généralement de réponses ad hoc à des
besoins ponctuels ou à des pressions politiques passagères. Aucune agence fédérale
n'est chargée de coordonner les décisions, les ressources ou la recherche
dans ce domaine. Or, aujourd’hui plus que jamais, ce pays aurait besoin d’un
programme global pour gérer les ressources linguistiques et garantir les
droits linguistiques, tandis qu'une telle politique implique beaucoup plus
que la simple désignation d’une langue officielle.
Les Américains ne semblent pas avoir
compris que leur richesse actuelle, qui attire les immigrants du monde entier, va
aussi leur coûter leur culture, car les WASP, c'est-à-dire les suprémacistes blancs, vont
bientôt devenir minoritaires (dans moins de deux décennies). La question de
l'évolution de l'identité américaine va forcément se poser dans
des termes différents, mais la langue anglaise est là pour
rester, ce qui n'empêche pas que certains États soient tentés,
un jour, par le bilinguisme anglais-espagnol parce qu'ils ne
pourraient plus faire autrement avec la montée irréversible des
Latinos.
Malgré
de grandes faiblesses, les États-Unis continuent de
faire rêver des millions d'êtres humains. Ce grand pays demeure toujours le
«pays de Cocagne» par excellence, une sorte de paradis terrestre, une
contrée miraculeuse qui attire annuellement les immigrants par centaines de
milliers et qui accueille 40 % des migrations internationales. Quant au
peuple américain, malgré la
diversité de ses origines et sa fragmentation culturelle, malgré
aussi ses tares, il a montré qu'il peut être capable
d’une grande cohésion lorsqu'il est mobilisé par des enjeux majeurs
— ce qui semble de moins en moins fréquent —, et
il demeure en général satisfait de son pays et de son mode de
fonctionnement.
Néanmoins, les États-Unis sont apparemment en mode de transition avec comme
perspective que leur grandeur de jadis est en train de fondre au soleil. En
quelques années de présidence trumpiste, les États-Unis ont été confrontés à un
monde où leur leadership a pratiquement disparu pour donner carte blanche
aux régimes autocrates (Russie, Corée du Nord, Chine, etc.). Le successeur de Donald Trump,
Joe Biden, avait du pain sur la planche pour redorer le blason de son pays
dans le monde, et ce, d'autant plus qu'on assiste à l'effritement d'une
culture commune aux États-Unis. Or, un pays où les dirigeants ne sont plus
capables de gouverner au bénéfice du plus grande nombre est condamné au
déclin! C'est malheureusement la voie que semblent emprunter les États-Unis,
notamment avec le retour de Donald Trump à la présidence. L'objectif serait
de redonner aux États-Unis leur puissance de naguère avec le résultat
souhaité que tous les problèmes du pays s’évanouiront et le pays retrouvera
son prestige.
Cependant, le moyen envisagé est, entre
autres, le repli sur soi, rien pour aider à reconstruire la grandeur
américaine. Par
voie de conséquence, la nature ayant horreur du vide, le retrait américain
attise déjà la convoitise des grands rivaux des États-Unis que sont d'abord la Russie
et la Chine, c'est-à-dire des régimes qui sont tout, sauf démocratiques,
pour aspirer à devenir les nouveaux maîtres du monde. Effectivement, la Chine en profite pour redorer son
image
afin d’accroître
son influence dans le monde; progressivement, celle-ci gonfle manifestement ses
muscles, y compris en Afrique. De son côté, la Russie, après son
intervention en Syrie, est en train de tisser des liens durables avec le
monde arabe et dans tout le Moyen-Orient, y compris en Iran,
et fait tout pour revenir sur le devant de la scène mondiale. Bref, la Chine
et la Russie sont en train de mettre en place un nouvel ordre mondial sous
leur tutelle, un monde enfoncé dans une logique nocive sous l’influence des
"fake news" («fausses nouvelles»). Par conséquent, la langue
russe et la langue chinoise peuvent espérer un jour concurrencer l'anglais,
mais ce n'est pas pour demain.
Les États-Unis, de leur côté, vont devoir se remettre des dégâts
provoqués par l'administration Trump, mais il leur faudra du temps, quelques
décennies probablement. Les Américains ont toujours été capables de
surmonter les grandes crises avec résilience. Comme le dit un mot d’esprit
attribué à Winston Churchill: «Ils finissent toujours par faire la bonne
chose... après avoir épuisé toutes les alternatives.» En attendant,
plusieurs équilibres fragiles à travers le monde sont ébranlées et
changeront de mains grâce à l'incompétence de ce président américain et de
ses acolytes choisis pour leur loyauté et non pour leurs compétences. Il n'en demeure pas
moins que les États-Unis, malgré tous leurs torts et tous leurs défauts,
demeurent pour le moment le plus important symbole de la stabilité dans le monde libre.
Toutefois, ce pays constitue en même temps l'une des démocraties parmi les
plus dysfonctionnelles et les plus divisées du monde.
L'expression "Make America great again" (MAGA) risque de devenir un rêve du
passé!
Bien que la dominance américaine puisse régresser au plan
international, la langue anglaise n'en subira pas les conséquences,
certainement pas à court
terme, car le déclin d'une grande langue est plus lent que celui du peuple
qui la parle. Comme il est arrivé dans l'Histoire, une telle langue peut même survivre à la disparition de la nation qui l'a
transmise. Les États-Unis, qui ont jadis été fondés sur des principes
démocratiques, évoluent aujourd'hui vers un gouvernement autoritaire dirigé par les plus
riches, c'est-à-dire une ploutocratie. Ce nouveau système de dérive plus autoritaire pourrait ne plus protéger la liberté de parole, ni la vie
privée ni les droits des réfugiés et encore moins celle des minorités.
Dernière mise à jour:
14 nov. 2024