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Constitution du Canada
2.4)
Les
effets de l'article 23
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ll faut comprendre que non seulement les droits constitutionnels en matière d'enseignement dans la langue de la minorité peuvent être perdus, mais qu'ils sont éventuellement limités par le paragraphe 23.3 de la Charte des droits et libertés. En effet, le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes 23.1 et 23.2 de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province s'exerce partout dans la province «où le nombre des enfants [...] est suffisant» (voir les alinéas 23.3a et 23.3b). La pratique du «là où le nombre le justifie» a d'ailleurs permis à plusieurs provinces de déroger aux obligations de la Constitution canadienne.
3.1 Au Québec
Au Québec, cette restriction quant au nombre d'élève
ne s'applique pas. En vertu de la Charte de la langue française,
tout enfant admissible à l'enseignement en anglais a le droit de
recevoir un enseignement en anglais, et ce, peu importe le nombre des enfants;
même s'il est le seul écolier anglophone dans son village,
il peut exercer son droit, quitte à ce que les frais de transport
soient payés par le gouvernement. Bref, la loi provinciale québécoise
protège davantage la minorité anglophone que la Charte canadienne.
Il en est de même en Ontario et au Nouveau-Brunswick: tout enfant
d'un parent qualifié en vertu de l'article 23 de la Charte canadienne
peut avoir accès à l'instruction dans la langue de la minorité
si ce parent l'exige.
3.2 La clause du «là où le nombre le justifie»
Dans le reste du Canada anglais, le fait que les droits constitutionnels
soient limités «là où le nombre le justifie»
et qu'ils peuvent être perdus pour les générations
suivantes réduit considérablement la portée réelle
de la Charte canadienne.
Une étude du démographe Michel Paillé analyse la situation
des écoliers, francophones et anglophones, ayant droit à l'enseignement dans
une langue minoritaire dans chacune des provinces canadiennes. Cette étude établit
combien d'enfants ont acquis un droit constitutionnel et combien s'en prévalent
ou peuvent s'en prévaloir dans les faits. Or, d'après le
tableau 3 (d'après Michel Paillé), sur les 272 000 jeunes «ayants droit»
de 6 à 17 ans recensés en 1986 et dont au moins un des parents est de langue
maternelle française, seulement 137 000 ont été éduqués en français, soit 50
%. Il est déplorable, pour ne pas dire catastrophique, de constater que 10 %
et moins des «ayants droit» francophones sont scolarisés en français dans les
provinces de Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan, de Terre-Neuve
et des territoires.
La situation est un peu plus satisfaisante dans les provinces de l'Île-du-Prince-Édouard
(21,8 %), du Manitoba (29,4 %) et de la Nouvelle-Écosse (34,8 %).
La fréquentation des écoles françaises est nettement
supérieure en Ontario (57,1 %) et surtout au Nouveau-Brunswick où
80,4 % des francophones de cette province fréquentent les écoles
de leur groupe linguistique. Étant donné que, en moyenne,
50 % des francophones hors Québec ne se prévalent pas ou
ne peuvent pas se prévaloir de leurs droits constitutionnels,
cela signifie que les jours du français sont comptés à
l'extérieur du Québec.
À l'opposé, 96,7 % des jeunes anglophones du Québec
s'inscrivent dans les écoles de leur groupe linguistique. En 1986,
leur nombre était de 117 539 sur une possibilité de 121 513.
Bref, la situation des Anglo-Québécois ne se compare pas
à celle des autres groupes minoritaires.
On peut se demander pourquoi les francophones se prévalent si
peu de leurs droits constitutionnels. Plusieurs hypothèses permettent
d'expliquer une telle anomalie, mais l'attitude des gouvernements provinciaux
demeure certainement l'une des plus vraisemblables. Les minorités
ont tendance à ne plus utiliser leur langue lorsqu'elles sentent
que celle-ci n'est pas valorisée socialement. Il n'est pas si simple
de faire appliquer la Charte canadienne, car ce sont les tribunaux qui
doivent interpréter les textes constitutionnels. La politique du
«là où le nombre le justifie» a permis toutes
sortes de stratégies pour éviter de donner aux francophones
hors Québec les écoles auxquelles ils ont droit. Les faits
ont démontré qu'il est plus avantageux pour une province
de ne pas mettre en oeuvre les garanties constitutionnelles, quitte à
attendre les poursuites judiciaires et l'interprétation qu'en feront
les tribunaux par la suite quant à l'étendue des droits linguistiques
accordés à la minorité. C'est notamment le cas de
l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et, dans une moindre mesure,
de l'Ontario dans la gestion des écoles.
On comprend mieux pourquoi, à l'exception du Nouveau-Brunswick
et de l'Ontario, un bon nombre d'élèves francophones hors
Québec en est réduit à suivre ses cours dans le
cadre des programmes d'immersion destinés avant tout aux anglophones.
Bien que cela soit interdit par la Constitution et la Cour suprême
du Canada, c'est une autre façon qu'ont trouvée certaines
provinces anglaises pour contourner la Charte des droits et libertés.
Ces programmes d'immersion aident particulièrement les anglophones
de niveau socio-économique aisé ou moyen à devenir
bilingues, tout en dépannant les francophones. Il est évident
que de telles pratiques où le français est enseigné
comme langue seconde ne sauraient convenir aux besoins spécifiques
des francophones. On s'interroge ensuite sur les raisons qui incitent la
moitié des francophones hors Québec à angliciser leurs
enfants!
3.3 La gestion des écoles par les minorités
Enfin, il reste le problème du droit de gestion par la minorité
de ses établissements scolaires. La Constitution canadienne ne traite
pas directement de cette question, mais la jurisprudence a établi
que la Charte garantit ce droit de gestion et que, sans celui-ci, tout
l'article 23 risque de perdre sa force et son caractère réparateur.
Si l'on fait exception du Québec et du Nouveau-Brunswick, la plupart
des conseils scolaires dans tout le Canada français, on emploie
le terme de conseil scolaire pour désigner ce que l'on appelle
au Québec une commission scolaire sont encore contrôlés
par la majorité anglaise. La situation s'est améliorée
en Ontario où existent, depuis 1997, plusieurs conseils scolaires
francophones, mais les pratiques dans les autres provinces laissent encore
à désirer. Dans de nombreux cas, on en est resté,
au mieux, à des compromis boiteux, par exemple des conseils consultatifs
ou d'autres organismes dénués de tout pouvoir décisionnel.
L'absence d'une véritable reconnaissance juridique et d'une valorisation
sociale minimale du français à l'égard des francophones
de la part des provinces ainsi que le refus d'appliquer les dispositions
de la Charte des droits et libertés ont fait en sorte que
la portée réelle de cette Charte est relativement limitée.
Cela dit, même si la Charte ne produit que peu d'effets concrets
dans les politiques linguistiques des provinces, elle demeure avec la Loi
sur les langues officielles la pièce maîtresse de toute
la politique linguistique du gouvernement fédéral.
Dernière mise à jour:
31 août 2024
1.
Les dispositions
constitutionnelles
(textes sur les langues)
2.
Présentation
préliminaire
3.
Les lois
constitutionnelles
de 1867 et de 1982
4.
Les effets de l'article 23
de la Charte canadienne
5.
L'impossible réforme constitutionnelle
Les politiques linguistiques
du gouvernement fédéral