Canada

3.5) Loi fédérale sur la clarté

Loi de clarification

En 1998, la Cour suprême a considéré que, à la suite d’une décision claire de la population pour une sécession, les principes de démocratie qui fondent le Canada obligent le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces à négocier la sécession. À la suite du Renvoi relatif à la sécession du Québec, le Parlement canadien a adopté, le 29 juin 2000, la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec (voir le texte de loi). Cette loi, appelée plus simplement «Loi de clarification», précise les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait entreprendre une négociation sur la sécession d’une province canadienne, mais dans les faits la loi visait particulièrement le Québec.

1 Le recours à l'arbitraire

La loi fédérale sur la clarté, officiellement «Loi de clarification», était destinée à donner des armes au gouvernement fédéral dans l'éventualité d'un autre référendum québécois. Dès lors, c'est le gouvernement fédéral qui devait décider si la question est assez claire à son goût et si la majorité était suffisante pour qu'on y respecte l'issue:

Article 1er

1) Examen de la question par les Communes

Dans les trente jours suivant le dépôt à l’assemblée législative d’une province, ou toute autre communication officielle, par le gouvernement de cette province, du texte de la question qu’il entend soumettre à ses électeurs dans le cadre d’un référendum sur un projet de sécession de la province du Canada, la Chambre des communes examine la question et détermine, par résolution, si la question est claire.

Comme il n'y a pas de précision sur la clarté d'une question, ni les critères (50 %, 60 %, 66 %, etc.) pour une majorité suffisante, le gouvernement a beau jeu de décider unilatéralement et arbitrairement ce qu'est une question «claire» ou non et ce qu'est une «majorité suffisante»:

Article 2

2) Facteurs à considérer

Dans le cadre de l’examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu’elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes prend en considération :

a) l’importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de la proposition de sécession;

b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum;

c) tous autres facteurs ou circonstances qu’elle estime pertinents.

3) Avis à considérer

Dans le cadre de l’examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu’elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes tient compte de l’avis de tous les partis politiques représentés à l’assemblée législative de la province dont le gouvernement a proposé la tenue du référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat, des résolutions ou déclarations officielles des représentants des peuples autochtones du Canada, en particulier ceux de cette province, et de tout autre avis qu’elle estime pertinent.

Là aussi, il n'y a pas de limite fixée, même pas 50 % + un. C'est le gouvernement fédéral qui doit décider si le taux d'appui à la sécession est suffisamment élevé pour être reconnu. Toutes ces décisions seraient prises unilatéralement après le résultat référendaire. L'ambiguïté est certainement volontaire:  elle suggère que le seuil de 50 % +1 ne serait probablement pas suffisant, sans toutefois indiquer celui qui devrait être acceptable. Il s’agit là de la seule majorité qualifiée indéterminée au monde! Le gouvernement canadien veut être à la fois juge et partie. 

On peut deviner facilement ce qui s'en suivrait. La question référendaire risque de n'être jamais assez claire et l'appui à la sécession jamais assez élevé. À supposé qu'un résultat ait atteint 53%, il devient loisible d'exiger après coup qu'il fallait  55%, voire 60%. Dans les faits, c'est simplement une arnaque, car l'arbitraire devient trop facile à exploiter. Il n'existe pas de «règles du jeu» connues à l'avance que tous doivent respecter. Ainsi, le gouvernement fédéral peut changer les règles en cours de match!  Bref, cette loi sur la clarté crée un cadre juridique permettant au Canada anglais de décider du sort des Québécois.

L'Assemblée nationale du Québec a répliqué, le 7 décembre 2000, avec la Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. Cette loi prévoit notamment que seul le peuple québécois, par l'entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, a le droit de statuer sur la nature, l'étendue et les modalités de l'exercice de son droit à disposer de lui-même et qu'aucun autre parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l'autorité, la souveraineté et la légitimité de l'Assemblée nationale.

2 Le modèle anglo-écossais

Le 15 octobre 2012 est devenu une date marquante. Ce jour-là, Alex Salmond, premier ministre de l'Écosse, et David Cameron, premier ministre du Royaume-Uni, signèrent une entente historique, l'accord d’Édimbourg (AE), visant à fixer les différentes modalités entourant la tenue d’un référendum sur l’indépendance écossaise. Les deux gouvernements convenaient que le référendum devait correspondre aux exigences suivantes:

1. avoir une base juridique claire ;
2. être adopté par le Parlement écossais qui est responsable de déterminer le libellé exact de la question ; 
3. être mené de manière à susciter la confiance des parlements, des gouvernements et des personnes ;
4. offrir un essai juste et une expression décisive de l'opinion des gens en Écosse et un résultat que tout le monde respectera.

Les gouvernements ont convenus de promouvoir un décret en vertu de l'article 30 du Scotland Act 1998 dans le but de permettre une seule question de référendum sur l'indépendance écossaise, lequel devait se tenir avant la fin de 2014. Tant au Canada qu'au Royaume-Uni, la notion d’indivisibilité de l'État était remise en cause, afin de reconnaître explicitement le droit démocratique que possède une population sur un territoire défini de quitter un ordre juridique établi, et ce, que ce pacte soit une fédération (Canada) ou une forme de dévolution des pouvoirs (Royaume-Uni).

3 Les différences entre le Royaume-Uni et le Canada

Les différences sont énormes entre les deux pays. La première, c'est que l'accord d’Édimbourg reconnaît pour le pays qui sera divisé d'un résultat conduisant à la sécession. Cet accord ne laisse planer aucun doute sur la reconnaissance par le Royaume-Uni d’un résultat référendaire positif pour les indépendantistes écossais. Au contraire, la loi canadienne sur la clarification a délibérément opté pour l'ambiguïté, car le Parlement canadien n'est pas tenu de reconnaître le résultat référendaire. La loi canadienne refuse de définir les éléments nécessaires pour que le résultat soit considéré contraignant. D'une part, l'accord d’Édimbourg énonce clairement qu'à la suite d’un vote pour la sécession un processus de négociation sera entamé. D'autre part, la loi canadienne limite le plus possible l'obligation constitutionnelle de négocier du gouvernement fédéral, pourtant formulée par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Au Canada, le résultat du référendum pourrait ne pas être reconnu sur simple décision du Parlement fédéral. Or, l'accord d’Édimbourg ne laisse pas au Parlement du Royaume-Uni une telle latitude. Avec l’accord d’Édimbourg, les règles fixant les différentes modalités d’un référendum s'appliquent aussi bien au gouvernement de l’Écosse qu'à celui du Royaume-Uni. Au Canada, le gouvernement fédéral ne serait pas lié ni par le résultat du référendum ni par les lois québécoises. C'est ça l'arnaque au Canada!

***

L'accord d’Édimbourg apparaît comme une bonne leçon de démocratie pour le Canada. Dans une convention de nation à nation, deux États ont choisi d'encadrer ensemble le processus du référendum. À la suite du Renvoi relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral aurait pu tenter de conclure ce même type d’entente. Toutefois, au lieu de privilégier la négociation, et c'est ce que préconisait la Cour suprême, le gouvernement canadien a privilégié la stratégie de l’unilatéralisme et de l'affrontement. Contrairement au Royaume-Uni, le Canada a gravement manqué de maturité démocratique et a agit comme un gouvernement sur sa colonie.

Dernière mise à jour: 06 mars 2024

 

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3.1 La politique des langues officielles
 
3.2 Les droits linguistiques
des autochtones
3.3 Loi sur les langues officielles (2023)

3.4 La radio-télédiffusion
et les langues officielles

 
3.5 Loi de clarification
(Sécession d'une province)
La Constitution du Canada


 

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