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3.1)
La politique des langues officielles du gouvernement fédéral |
Plan de l'article
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Contrairement à des pays comme la France, la Suède ou la Norvège, qui ne possèdent qu'un seul gouvernement — ce sont des États dits «unitaires» —, le Canada constitue une fédération de 10 provinces et de trois territoires. Le Canada compte 14 gouvernements, c'est-à-dire un gouvernement central ou fédéral, dix gouvernements provinciaux et trois gouvernements territoriaux avec chacun son exécutif, son parlement, sa fonction publique et ses institutions particulières. Certains champs de compétence appartiennent en propre au gouvernement fédéral, d'autres sont exclusifs aux gouvernements provinciaux, d'autres enfin sont partagés par les deux paliers de gouvernement.
1.1 La (Con)fédération canadienne
Depuis 1867, on a souvent appelé le Canada, dans sa dénomination longue, la Confédération canadienne. Or, le Canada de 1867 avait plutôt choisi l'appellation officielle de Dominion du Canada en parlant de l'«Union fédérale», mais le terme de «Dominion» a fini par tomber en désuétude parce que, à l'origine, un «dominion» est un territoire qui peut gérer lui-même ses finances, son commerce, sa politique intérieure, sauf quelques «règles éthiques de base» imposées par l'Empire britannique, mais pas sa politique internationale. Quant au mot confédération, il s'est perpétué jusqu'à nos jours pour désigner le pays, bien que ce mot n'ait aucune valeur officielle ni juridique: on ne le retrouve même pas dans la Constitution canadienne de 1867 ni dans celle de 1982.
En voulant simplifier, on pourrait énoncer que le Dominion du Canada fut formé le 1er juillet 1867 par la confédération de quatre colonies ou provinces (Ontario, Québec, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick) de l'Amérique du Nord britannique afin de former une Union fédérale, c'est-à-dire une fédération. L'ambiguïté provient du fait que deux colonies — l'Ontario ou Haut-Canada ou Canada-Ouest et le Québec ou Bas-Canada ou Canada-Est — tenaient pour acquis qu'il s'agissait d'une confédération (bien que ces colonies ne soient pas souveraines, mais indépendantes les unes des autres), alors que les autres colonies considéraient que c'était une fédération. Le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec) ont cru participer en 1841 (sous l'Union) à la création d'une véritable confédération du fait qu'elles étaient indépendantes l'une de l'autre, ce qui était un fait. Pour les autres provinces qui, après 1867, ont été constituées par le pouvoir central, c'était une fédération. Bref, les provinces et territoires qui se sont ajoutés après 1867 ont joint une fédération, non une confédération qui n'a jamais existé ni au Canada ni en Amérique du Nord. Les fondateurs du Canada de 1867, quelque 36 notables agissant comme négociateurs, ont été appelés les «Pères de la Confédération», alors qu'on aurait tendance aujourd'hui à les qualifier de «fondateurs du Canada».
Pour les contemporains de 1867, le préfixe «con-» dans le mot confédération se voulait aussi une façon de se distinguer de la fédération américaine en croyant que le Canada était un renforcement du principe fédératif. Autrement dit, les termes de fédération et de confédération étaient souvent employés comme synonymes, car à cette époque personne ne faisait une réelle différence d'ordre sémantique, notamment entre un État souverain et un État non souverain. On faisait plutôt la différence entre différentes colonies britanniques assujetties à Londres, mais indépendantes les unes des autres.
De nos jours, lorsqu'on parle de «confédération» en faisant référence au Canada — l'expression «Confédération canadienne» est restée dans l'imaginaire collectif pour désigner une époque —, il faut savoir que le mot «confédération» conserve ainsi le sens de «fédération».
1.2 La fédération canadienne
Dans les faits, le Canada actuel constitue bel et bien une fédération, et pas du tout une «confédération». Ce dernier terme désigne aujourd'hui une union de plusieurs États indépendants ayant délégué par traité certaines compétences à une administration ou un gouvernement central. C'est ainsi qu'on parle de la Confédération helvétique, devenue depuis 1999 la Confédération suisse, parce que les cantons ont conservé leur souveraineté politique; mais là encore la Suisse tend à devenir une fédération. Quant au terme de fédération, il renvoie à une union de plusieurs États associés formant un seul État fédéral tout en conservant deux niveaux de gouvernement. Dans une fédération, seul l'État central demeure souverain politiquement; les États fédérés ne le sont plus, ce qui n'exclut pas une souveraineté limitée à certains domaines particuliers. Outre le Canada, les États suivants sont des fédérations: l’Allemagne, l’Autriche, la Russie, les États-Unis, l'Inde, l'Australie, le Brésil, le Mexique, l'Afrique du Sud, soit environ 25 pays dans le monde. Évidemment, il existe différents types de fédérations, de sorte que, par exemple, le fédéralisme appliqué au Pakistan n'a presque rien de commun avec celui en usage du Canada. D'autres États ne sont pas des fédérations, mais fonctionnent comme une fédération (Espagne et Royaume-Uni) parce qu'ils ne sont plus des États unitaires. En général, un État fédéral tire son origine d'un accord entre d'anciens États indépendants ou d'anciennes colonies différentes, à la condition d'accorder une grande autonomie aux entités fédérées.
Les principales confédérations politiques existantes sont l'Organisation des Nations unies, l'Union européenne, le Commonwealth of Nations, la Confédération suisse et, à un degré moindre, le Royaume de Belgique.
1.3 Les compétences respectives des gouvernements
Relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral des domaines comme la défense, la monnaie, la navigation, les aéroports, les poids et mesures, les brevets d'invention, le recensement, les postes, les Amérindiens et les réserves, les pénitenciers, la constitution en corporation des banques, les relations internationales, la radiotélévision, etc. De plus, le gouvernement central peut exercer des pouvoirs dans des domaines non prévus dans la Constitution; c'est ce que l'on appelle les «pouvoirs résiduels» qui, au Canada, sont automatiquement attribués au gouvernement fédéral. Dans d'autres pays, par exemple en Suisse et aux États-Unis, les pouvoirs résiduels sont accordés aux cantons ou aux États membres, non au gouvernement fédéral (central). Cela dit, les provinces ont aussi des pouvoirs résiduels dans leurs champs de juridiction.
Pour comprendre le système judiciaire canadien, il faut savoir qu'une grande partie du droit pénal est constituée du droit criminel proprement dit, lequel se trouve dans le Code criminel canadien; celui-ci est exclusivement de juridiction fédérale. Le droit pénal est l'ensemble des dispositions prévoyant les comportements illégaux, que l'on appelle infractions, ainsi que les peines (amendes ou emprisonnement). Ce code traite des délits tels que le meurtre, l'enlèvement, la fraude, le vol, les agressions sexuelles et voies de fait, etc. Le droit pénal comprend aussi les règlements provinciaux et municipaux. Selon le système canadien, ce sont les provinces qui ont le pouvoir et l'initiative d'intenter des poursuites pour des infractions au Code criminel canadien, ce qui n'aide pas à rendre simple la compréhension du système judiciaire au pays. Nous verrons que le Code criminel prévoit des aménagements en matière de langues; il n'en est pas ainsi pour les codes civils relevant exclusivement des provinces.
Parmi les pouvoirs attribués aux provinces canadiennes, mentionnons les richesses naturelles (les mines, les minéraux, le gaz naturel, le pétrole, etc.), les droits de propriété, l'éducation, l'administration des hôpitaux, les services sociaux, les institutions municipales, les relations de travail, etc. Relève également des compétences provinciales le droit civil, qui constitue le droit commun, c'est-à-dire l'ensemble des règles générales d'un système juridique. Il réglemente l'ensemble des activités quotidiennes du citoyen, de la naissance à la mort. Au Québec, la plupart des règles de droit civil sont contenues dans le Code civil (2700 articles). Une affaire dite civile serait, par exemple, un divorce, une injonction, la question des relations de travail, la propriété, la vente, la question des successions, etc. Compte tenu des compétences en matière de droit pénal (ou criminel) et de droit civil au Canada, nous verrons plus loin comment les droits des minorités de langue officielle en matière de justice diffèrent selon qu'il s'agisse du droit civil ou du droit pénal.
1.4 Les conflits de juridiction et la double compétence
Contrairement à un pays comme la Belgique ou la Suisse où les conflits de compétence sont quasi inexistants entre les différents paliers de gouvernement, plusieurs domaines relèvent d'une double juridiction au Canada. Ainsi, la culture, l'agriculture, la justice, la langue, les biens de consommation, etc., relèvent à la fois de la juridiction du gouvernement fédéral et de celle des gouvernements provinciaux. Lors d'un arrêt rendu en 1988, la Cour suprême du Canada a alors affirmé: «La langue n’est pas une matière législative indépendante, elle est “accessoire” à l’exercice de la compétence relative à une catégorie de sujets attribués au Parlement ou aux assemblées législatives provinciales par la Loi constitutionnelle de 1867. » Il faut donc comprendre que le pouvoir de légiférer dans le domaine linguistique appartient aux deux paliers de gouvernement, en vertu des compétences législatives que leur attribue la Constitution.
Étant donné que certains pouvoirs sont partagés entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, les chevauchements entre les deux paliers de gouvernement sont très courants au Canada et ils sont considérés comme «normaux». Les possibilités de court-circuitage sont d'autant plus fréquentes que le gouvernement fédéral peut intervenir directement ou indirectement dans les champs de juridiction provinciaux par son pouvoir de dépenser. Bref, par son pouvoir de dépenser, le fédéral se mêle de tout et les champs de compétence partagés avec les provinces sont d’éternelles sources de conflits. Précisons aussi que les sources de financement dont dispose le gouvernement fédéral lui permettent de réglementer, pour ne prendre que ces exemples, plusieurs services sociaux (assurance-chômage, caisses de retraite), certains domaines de l'éducation (enseignement professionnel, universités) et les municipalités.
Inévitablement, des conflits surgissent à l'occasion entre une loi fédérale et une loi provinciale. La loi fédérale a tendance à avoir la préséance, mais il ne s'agit pas d'une règle absolue. Néanmoins, dans le domaine particulier de la langue, les faits démontrent que les provinces voient souvent casser une partie de leur législation linguistique; c'est une situation que n'a pratiquement jamais connue le gouvernement fédéral.
Puisque le domaine de l'emploi des langues est une compétence qui relève à la fois du gouvernement fédéral et des provinces, les problèmes sont relativement fréquents. Ainsi, toute province peut légiférer sur la langue des raisons sociales, mais uniquement lorsqu'il s'agit d'entreprises constituées en vertu d'une loi provinciale, non en vertu d'une loi fédérale. Par exemple, une banque à charte fédérale n'est pas soumise à une législation linguistique provinciale portant sur les raisons sociales; par contre, une loi provinciale peut obliger une telle banque à utiliser le français comme langue de travail parce que les relations de travail relèvent des provinces. Néanmoins, une province ne peut régir la langue de travail des entreprises relevant de la compétence exclusive du gouvernement du Canada: l'Administration publique fédérale, le transport aérien, la navigation, les cours de justice fédérales, etc. Pour le reste, les provinces peuvent adopter les lois qu'elles désirent, sous réserve des dispositions constitutionnelles qui garantissent certains droits aux minorités linguistiques au Canada. D'ailleurs, les provinces ont adopté des régimes linguistiques fort variés (voir les régimes linguistiques dans les provinces et territoires).
La question linguistique reste un thème dominant dans l'histoire canadienne. En effet, dès l'arrivée des Britanniques en 1763, la langue a été l'objet de conflits qui n'ont pas toujours favorisé la cohésion nationale. Les conflits se sont transposés sur le plan constitutionnel et législatif. Tel qu'il est conçu, le système fédéral canadien encourage les chevauchements de juridiction, alors que le concept d'égalité des langues engendre des effets pervers et démontre que les hommes politiques canadiens ignorent souvent les véritables mesures de protection linguistique. Il est préférable de faire un petit tour d'horizon dans l'histoire canadienne avant de poursuivre.
2.1 La Proclamation royale de 1763
La question linguistique a joué un rôle important dans l'histoire canadienne dès 1763, c'est-à-dire au moment où le traité de Paris cédait officiellement le Canada à la Grande-Bretagne. La même année, la Proclamation royale (du 7 octobre 1763) conférait toute latitude au premier gouverneur anglais, James Murray, pour faire de la «province de Québec» une véritable colonie britannique en favorisant l'immigration anglaise et l'assimilation des francophones, en implantant la religion officielle de l'État (l'anglicanisme) et en instaurant de nouvelles structures politiques et administratives conformes à la tradition britannique.
Dès 1764, James Murray établit les premières institutions judiciaires et décréta que dorénavant on jugera «toutes les causes civiles et criminelles conformément aux lois d'Angleterre et aux ordonnances de cette province». De plus, tout employé de l'État dut prêter le «serment du test», lequel comportait une abjuration de la foi catholique et la non-reconnaissance de l'autorité du pape. Ces mesures vinrent à écarter presque automatiquement tous les Canadiens français des fonctions publiques. C'est donc l'anglais qui, après 1763, servit naturellement de langue véhiculaire porteuse de la «civilisation universelle». Dans les faits, l'anglais ne remplaça pas toujours le français, mais il le relégua pour longtemps dans un rôle de second ordre.
2.2 L'Acte de Québec (1774)
Or, devant l'impossibilité de faire fonctionner la colonie avec les lois anglaises et la langue anglaise plus de 98 % de la population ne parlait que le français, le Parlement britannique finit par battre en retraite en promulguant l'Acte de Québec (Quebec Act) de 1774, lequel rendait plus acceptable la conquête anglaise au Canada. Comme c'était souvent la coutume à l'époque, aucune disposition ne concernait la langue, mais cette loi britannique assurait implicitement au français un usage presque officiel en rétablissant les lois civiles françaises. En tout cas, c'est principalement à partir d'un texte juridique ambigu que s'autoriseront, dans les régimes ultérieurs, les défenseurs de la langue pour justifier les droits acquis du français au Canada (art. 8):
Article 8 Il est aussi Établi par la susdite autorité, que tous les sujets Canadiens de Sa Majesté en ladite province de Québec; (les Ordres religieux et Communautés seulement exceptés) pourront aussi tenir leurs propriétés et possessions, et en jouir, ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent, et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au parlement de la Grande-Bretagne [...]. en jouir, ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent, et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au parlement de la Grande-Bretagne [...]. |
Tout au cours de l'histoire, il fallut démontrer que l'usage de la langue française faisait partie des «usages et coutumes» garantis par la Constitution. Évidemment, il aurait été plus simple de mentionner que le français faisait partie de ces «usages et coutumes», ce qui aurait évité bien des ambiguïtés et des confusions. Au cours du siècle suivant, de nombreux détracteurs du français affirmeront justement que le français ne faisait pas partie de «usages et coutumes» garantis par la Constitution.
2.3 La Loi constitutionnelle de 1791
Toutefois, le mécontentement de la population anglophone conduisit à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1791 et partagea le Canada en deux territoires (voir la carte du Haut-Canada et du Bas-Canada): le Haut-Canada (l'Ontario), dont la population ne dépassait pas 10 000 habitants, et le Bas-Canada (le Québec), dont la population atteignait 150 000 habitants (à 93 % francophones). Comme l'Acte de Québec (1774), la Loi constitutionnelle de 1791 ne faisait pas allusion à la langue. L'Assemblée législative du Haut-Canada (l'Ontario) écarta progressivement l'usage du français et l'abolit même définitivement en 1839. Malgré des débats acrimonieux, l'Assemblée du Bas-Canada (le Québec) poursuivit, seule, la tradition du bilinguisme à la Législature ainsi que dans l'administration et la justice.
Pour le premier ministre britannique, William Pitt (comte de Chatham), il paraissait extrêmement désirable que les Canadiens et les Britanniques du Bas-Canada fussent unis et induits universellement à préférer les lois et les institutions anglaises: «Avec le temps, les Canadiens adopteront peut-être les lois anglaises par conviction. Ce sera l'expérience qui devra enseigner aux Canadiens que les lois anglaises sont les meilleures.» Déjà que William Pitt était toujours en guerre contre Napoléon et la France. «La France pour nous est seulement dangereuse comme puissance maritime et commerciale», disait-il.
2.4 La Loi d'Union (1840)
Après les émeutes de 1837-1838 au Québec, la Constitution de 1791 fut suspendue et remplacée par la Loi d'Union (Union Act) de 1840, qui réunissait les deux provinces du Haut-Canada et du Bas-Canada, afin de rendre minoritaires les francophones et hâter leur assimilation; en 1840, la population anglophone était devenue numériquement prépondérante au Canada. L'article 41 de la nouvelle loi impériale abolissait le français comme langue de la législature et décrétait l'anglais seule langue officielle:
Article 41 Et qu'il soit statué, que depuis et après la Réunion desdites deux Provinces, tous Brefs, Proclamations, Instruments pour mander et convoquer le Conseil Législatif et l'Assemblée législative de la Province du Canada, et pour les proroger et les dissoudre, et tous les Brefs pour les élections et tous Brefs et Instruments publics quelconques ayant rapport au Conseil législatif et à l'Assemblée législative ou à aucun de ces corps, et tous Rapports à tels Brefs et Instruments, et tous journaux, entrées et procédés écrits ou imprimés, de toute nature, du Conseil législatif et de l'Assemblée législative, et d'aucun de ces corps respectivement, et tous procédés écrits ou imprimés et Rapports de Comités dudit Conseil législatif et de ladite Assemblée législative, respectivement, ne seront que dans la langue Anglaise: Pourvu toujours, que la présente disposition ne s'entendra pas pour empêcher que des copies traduites d'aucuns tels documents ne soient faites, mais aucune telle copie ne sera gardée parmi les Records [comprendre «archives» ou «registres»] du Conseil législatif ou de l'Assemblée législative, ni ne sera censée avoir en aucun cas l'authenticité d'un Record original. |
C'est la première fois depuis la Conquête que l'Angleterre proscrivait l'usage du français dans un texte constitutionnel, ce qui démontrait éloquemment la nouvelle volonté assimilatrice du gouvernement britannique. Le français ne devenait qu'une langue traduite, sans valeur juridique.
Cependant, l’usage du français dans les débats parlementaires n’était pas formellement interdit. Devant le tollé de protestations et la quasi-impossibilité de faire fonctionner l'appareil de l'État, le Parlement britannique abrogea, en 1848, l'article 41 (par la Loi sur l'usage de la langue anglaise à la Législature du Canada) et ce fut le retour au bilinguisme de fait qui avait cours avant la Loi de l'Union. À compter de 1849, le texte officiel de toutes les lois fut adopté à la fois en anglais et en français; dans les débats parlementaires toutefois, les députés qui s'exprimèrent en français furent «condamnés» à n'être compris que de leurs collègues francophones. C'est ainsi que la tradition d'un certain bilinguisme législatif, judiciaire et administratif s'est poursuivie jusqu'à la création de la Confédération (ou Fédération) canadienne en 1867.
2.5 La Loi constitutionnelle de 1867 et ses effets
Il importe de rappeler que, en vertu de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (anciennement appelée «Acte de l'Amérique du Nord britannique» jusqu'en 1982), seul le Québec parmi les quatre provinces canadiennes se voyait imposer le bilinguisme à sa législature et dans les tribunaux, alors que l'oncomptait une importante minorité francophone dans chacune des trois autres provinces. La politique linguistique du gouvernement fédéral consista à pratiquer un bilinguisme restrictif au Parlement fédéral et à ne jamais intervenir contre les lois anti-françaises adoptées par les provinces tout en s'assurant que le bilinguisme législatif et judiciaire était scrupuleusement respecté au Québec. Fait significatif: la Loi constitutionnelle de 1867 ayant été adoptée uniquement en anglais, c'est en cette langue que la Constitution de 1867 bénéficie d'un statut officiel, la version française, une traduction, n'étant qu'officieuse. Encore aujourd'hui, seule la version anglaise peut être invoquée devant les tribunaux. La seule mesure «positive» en faveur du français adoptée au XIXe siècle correspond à une loi de 1888, qui accordait une prime de 50 $ par année aux fonctionnaires capables de s'exprimer «dans une langue seconde». L'article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoyait la rédaction et le dépôt pour adoption d'une version française officielle. Bien que cette version française ait été rédigée, elle n'a jamais été adoptée, car il aurait fallu une modification constitutionnelle.
En Ontario, on a même interdit l'enseignement du français dès 1880, puis en 1885 on récidiva en 1912 avec le fameux Règlement 17; en 1897, la province imposa même sans problèmes l'unilinguisme anglais dans les tribunaux. Au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, le français ne sera pas reconnu pendant plus d'un siècle; c'est seulement en 1969 que le Nouveau-Brunswick adopta une loi sur les langues officielles (Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick). Entre 1870 et 1949, six autres provinces entrèrent dans la fédération canadienne. Créé en 1870, le Manitoba adopta en 1890 une loi (Official Language Act) faisant de l'anglais la seule langue officielle des lois et de la justice malgré l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, une loi constitutionnelle qui prescrivait l'usage des deux langues; la langue d'enseignement restait l'anglais. Ce n'est qu'en 1979 que la Cour suprême du Canada abrogea l'Official Language Act de 1890 et remettait en vigueur l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.
Quant à l'Alberta et à la Saskatchewan, érigées en province en 1905 à partir des Territoires du Nord-Ouest, elles abrogèrent unilatéralement l'article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, qui reconnaissait officiellement l'usage du français et de l'anglais au parlement et dans les tribunaux. À la suite d'un jugement de la Cour suprême du Canada en février 1988, qui statuait que l'article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest demeurait encore en vigueur, la Saskatchewan (par la loi 2) et l'Alberta (par la loi 60) durent adopter de nouvelles dispositions qui, à toutes fins utiles, ravalaient l'une des deux langues officielles au rang de ce qu'est toujours une «langue autochtone» dans le monde des Blancs.
La Colombie-Britannique fit son entrée dans la fédération en 1871, l'Île-du-Prince-Édouard en 1873 et Terre-Neuve en 1949; aucune de ces provinces n'a légiféré à l'époque en matière de langue et aucune n'a, par conséquent, reconnu le français sur son territoire; elles ont préféré laisser évoluer le rapport des forces en présence en faveur de l'anglais.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral n'a jamais empêché les provinces anglaises d'adopter depuis la Confédération — en fait la fédération de 1867 — des lois anti-françaises. Il ne s'est jamais servi de ses pouvoirs, qui lui avaient été conférés par la Constitution, pour bloquer les décisions déplorables des différents gouvernements provinciaux à l'égard de la minorité francophone. Il a laissé le Manitoba, l'Alberta et la Saskatchewan abolir officiellement l'usage du français; il a laissé l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse supprimer les droits scolaires des francophones. En réalité, il est demeuré sourd à toutes les revendications franco-canadiennes. Volontairement, le gouvernement fédéral a fait montre de bien peu de détermination pour assurer un minimum de services en français dans sa propre administration et il a plutôt limité ses services en français à la seule province de Québec. Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir la politique fédérale de non-intervention se transformer en politique de bilinguisme officiel.
Voilà, en résumé, l'histoire des droits linguistiques au Canada; elle explique les luttes séculaires des francophones qui ont dû se défendre pour conserver leur identité en Amérique du Nord. S'il est vrai que le passé est garant de l'avenir, il amorce une esquisse du Canada à venir en matière de protection linguistique. Mais la situation a le mérite d'avoir évolué à la fin du XXe siècle et au XXIe siècle.
Si l'on fait exception de la Loi constitutionnelle de 1867 adoptée par le Parlement britannique, la première loi canadienne à caractère linguistique date de 1938. Malgré l'opposition des ministres anglophones et du premier ministre canadien Mackenzie King, le député Wilfrid Lacroix du Québec réussit à faire adopter en 1938 une loi qui avait pour but «de faire en sorte qu'un employé faisant déjà partie du service civil dans une province et ne parlant pas français ne puisse être transféré [muté] dans la province de Québec». Par la suite, toutes les initiatives en faveur du français se perdirent dans l'indifférence générale.
3.1 La Commission Laurendeau-Dunton
Il fallut attendre en 1962 la formation de la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (dite «Commission Glassco») pour que soit discutée la question du bilinguisme dans l'organisation gouvernementale. Puis ce fut surtout la création de la célèbre Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (dite «Commission Laurendeau-Dunton») qui, de 1963 à 1968, permit au gouvernement fédéral d'entrevoir de façon systématique et à long terme une politique linguistique. Comme exprimé dans le mandat de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, l'enjeu fondamental se lisait ainsi: «Recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d'après le principe de l'égalité entre les deux peuples fondateurs.» Dans son rapport paru en 1967, la Commission Laurendeau-Dunton faisait longuement état des différences constatées entre le Québec et les autres provinces canadiennes. Elle concluait à l'existence de deux sociétés distinctes, dont l'une était formée par le Québec:
Ignorer cette réalité dans notre rapport ne serait pas seulement une grave erreur. Ce serait aussi risquer que le Québec refuse de nous écouter et ce serait en même temps priver le Canada anglais de la chance de prendre conscience d'un élément particulièrement grave de la situation actuelle du pays. |
En même temps, la Commission allait proposer au gouvernement fédéral d'adopter une politique de bilinguisme institutionnel pour l'État, car ce n'est pas aux Canadiens d'être bilingues, mais l'État: «Si chacun devient complètement bilingue dans un pays bilingue, l'une des langues sera superflue.» Les partisans du bilinguisme espéraient aussi que les Québécois seraient amenés à considérer le Canada comme «leur nation», et non plus seulement le Québec. En 1968, le premier ministre Pierre Elliot Trudeau déclarait que si les droits des minorités linguistiques étaient appliqués au Canada, la «nation franco-canadienne» s'étendrait alors d'un océan à l'autre. Il faut dire aussi que l'existence de deux langues officielles pourrait également devenir l'un des caractères distinctifs du Canada par rapport aux États-Unis.
3.2 L'idéologie du multilinguisme
Toutefois, les principales recommandations de la Commission Laurendeau-Dunton furent à peu près ignorées par le gouvernement fédéral, pourtant largement dominé par des Québécois francophones (penser aux «trois colombes»: Pierre Elliot Trudeau, Jean Marchand et Gérard Pelletier). Complètement obnubilés par leurs préjugés anti-nationalistes (anti-québécois, diront certains), ces francophones fédéraux ont préféré laisser tomber la notion des «peuples fondateurs» pour favoriser «le bilinguisme et le multiculturalisme», malheureusement sans en préciser les bases communautaires. Quelques décennies plus tard, il est possible de constater les effets pervers de cette politique de la diversité culturelle prônée alors par P.-E. Trudeau. Il est aujourd'hui de plus en plus évident que la mosaïque canadienne se fracture et que les groupes ethniques ont tendance à pratiquer l'auto-ségrégation. Ainsi, en 1981, on ne comptait au Canada que six enclaves ethniques, contre 254 en 2001 avec le résultat que beaucoup de Canadiens ont maintenant peur de fixer leurs propres limites et de présenter leur culture.
Après le multiculturalisme, le gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau a adopté une législation sur les langues officielles accompagnée d'une notion de services dans la langue minoritaire au sein des organismes et des institutions relevant de la juridiction fédérale. Le multiculturalisme était probablement, à l'époque, une façon détournée pour le gouvernement fédéral de faire passer le bilinguisme dans l'Ouest.
3.3 La Loi sur les langues officielles (version 1969)
En 1969, le Parlement canadien promulgua pour la première fois la Loi sur les langues officielles, qui conférait un statut co-officiel à l'anglais et au français, mais seulement pour les organismes et institutions relevant de la juridiction fédérale. Cette loi, aujourd'hui abrogée et remplacée, devenait la première loi à caractère proprement linguistique adoptée par le Parlement fédéral. Sa grande innovation résidait dans le fait qu'elle instaurait le bilinguisme officiel au gouvernement fédéral du Canada. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles de 1969 se lisait comme suit:
Article 2 L'anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du parlement et du gouvernement du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. |
- Les dispositions importantes
La loi décrétait aussi (art. 8) que «dans l'interprétation d'un texte législatif, les versions officielles font pareillement autorité». Dans le domaine de la justice, la loi venait compléter les dispositions de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en prescrivant que les jugements des cours fédérales soient émis dans les deux langues (art. 5) et que des services d'interprétation soient disponibles dans ces causes. Toutefois, là où la Loi sur les langues officielles innovait vraiment, c'est dans le fait que, à l'article 9, on exigeait des ministères, départements ou autres organismes du gouvernement fédéral, comme les sociétés d'État, de veiller à ce que le «public puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles». En fait, la loi engageait non seulement le Parlement et la justice, mais aussi toute l'administration fédérale.
Quant aux articles 12 à 15 de la Loi sur les langues officielles de 1969, ils étaient consacrés à la création et à l'administration de «districts bilingues» dans les cas où moins de 10 % de la population concernée avait pour langue maternelle l'une des langues officielles (art. 13). Enfin, les articles 19 à 34 de la loi concernaient le rôle du commissaire aux langues officielles; celui-ci devait faire respecter la loi et recevoir les plaintes des citoyens. Pour ce qui est des districts bilingues, il n'ont jamais vu le jour. On a tenté d'abord de déclarer tout le Québec «district bilingue»; devant l'indignation et les protestations du Québec, le gouvernement fédéral a cru prudent de reculer. Puis le concept a été carrément oublié.
- Les effets
Cette politique nationale des deux langues fut difficile d'application et ne modifia guère la réalité quotidienne des citoyens canadiens. Elle a surtout eu comme avantage de garantir des services en français aux minorités hors Québec, forçant un certain nombre de fonctionnaires fédéraux à apprendre le français. Mais les résultats ne furent jamais très concluants. D'ailleurs, tous les commissaires aux langues officielles nommés par le gouvernement fédéral déplorèrent successivement la lenteur, sinon le refus, de respecter la loi. Il n'est pas surprenant qu'on ait senti le besoin d'adopter une nouvelle loi en 1988.
En 1988, sous l'initiative du premier ministre Brian Mulroney, le Parlement canadien adopta une nouvelle loi sur les langues officielles, ce qui a eu pour effet d'abroger la Loi sur les langues officielles de 1969. La Loi sur les langues officielles de 1988 (aujourd'hui
remplacée par la version de 2023) compte 111 articles qui, évidemment, reprenait le contenu de la loi de 1969, mais en allant plus loin dans la pratique du bilinguisme institutionnel. Selon les termes mêmes de l'article 2, la loi avait pour objet les trois points suivants:
Article 2 a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions; b) d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais; c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles. |
4.1 Les principes fondamentaux
Les Parties I et II (articles 4 à 13) traitent du bilinguisme obligatoire (les deux langues officielles) au Parlement ainsi que dans tous les actes législatifs et documents émanant d'une institution fédérale; font exception les ordonnances et actes des Territoires du Nord-Ouest (dont fait partie aujourd'hui le Nunavut) et du Yukon, les documents relatifs à l'administration d'une bande indienne (art. 7.3). Le bilinguisme s'étend également aux traités internationaux et à toute convention intervenue entre le Canada et tout autre État. De plus, tous les textes imprimés, publiés ou déposés par une institution fédérale doivent paraître simultanément dans les deux langues officielles, les deux versions ayant également force de loi ou même valeur (art. 13).
La Partie III (art. 14 à 20) de la Loi sur les langues officielles concerne l'administration de la justice. La loi rend non seulement les tribunaux fédéraux bilingues, mais elle les oblige à veiller à ce que tout citoyen puisse être entendu dans la langue officielle de son choix et à offrir, si besoin est, des services d'interprétation simultanée d'une langue officielle à l'autre. L'article 16 de la Loi sur les langues officielles de 1988 va plus loin que la loi de 1969 parce qu'elle oblige les juges à comprendre l'anglais ou le français sans l'aide d'un interprète. Cependant, les juges de la Cour suprême du Canada et ceux de la Cour canadienne de l'impôt ne sont pas soumis au bilinguisme institutionnel, même si les accusés peuvent utiliser la langue de leur choix.
La Partie IV (articles 21 à 33) de la Loi sur les langues officielles de 1988 innove dans la mesure où il est précisé, à l'article 21, que le public a le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut pour tous les bureaux administratifs, qu'ils soient situés dans la région de la Capitale nationale ou ailleurs, y compris à l'étranger si l'une des langues officielles fait «l'objet d'une demande importante». L'offre active des services bilingues comprend aussi bien la langue orale que la langue écrite. C'est par l'adoption d'un règlement que le gouvernement décidera des circonstances dans lesquelles il y a demande importante.
La Partie V de la Loi sur les langues officielles traite de la langue de travail de l'administration fédérale. Selon l'article 34, le français et l'anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Les employés ont donc le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles. Ce droit est cependant soumis à certaines restrictions: il faut notamment que le milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles (art. 35). Autrement dit, il faut qu'il y ait une demande de services bilingues pour que le personnel puisse aussi fonctionner avec deux langues de travail. Le nom des régions désignées bilingues est publié par le gouvernement qui peut, par règlement, inscrire ou radier l'une ou l'autre de ces régions. L'article 39 (partie VI) de la loi précise aussi que le gouvernement fédéral s'engage à veiller à ce que les Canadiens, tant anglophones que francophones, aient des chances égales d'emploi et d'avancement dans les institutions fédérales.
La Partie VII de la Loi sur les langues officielles a suscité beaucoup de controverses en ce qui a trait à la promotion du français et de l'anglais par le gouvernement fédéral. Selon l'article 43, le secrétaire d'État du Canada peut prendre toutes les mesures qu'il estime indiquées pour promouvoir le caractère bilingue du Canada; par exemple, pour encourager les gouvernements provinciaux ou les administrations municipales, les entreprises, les organisations patronales et syndicales, à favoriser l'usage des deux langues officielles.
Particulièrement au Québec, certains y ont vu là un moyen pour le fédéral de bilinguiser les municipalités, les entreprises ou toute autre organisation québécoise. Mais les dangers appréhendés ne se sont pas produits.
La Partie IX (art. 49 à 75) de la Loi sur les langues officielles précise le rôle du commissaire aux langues officielles du Canada. Celui-ci doit prendre toute mesure visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles. Il doit également faire respecter l'esprit de la loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration et la promotion du français et de l'anglais au Canada. Le commissaire aux langues officielles procède à des enquêtes, reçoit les plaintes, donne des avis, remet un rapport annuel et fait des propositions au gouvernement.
Les autres articles de la Loi sur les langues officielles concernent les modifications au Code criminel canadien (art. 94 à 96) en matière de langues, l'emploi des langues dans la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest (art. 97) et la Loi sur le Yukon (art. 98), la Loi sur l'accès à l'information (art. 99 à 101), la Loi sur la protection des renseignements personnels (art. 102), la Loi sur les textes réglementaires (art. 3 et 6) ainsi que diverses dispositions transitoires.
Certes, la Loi sur les langues officielles de 1988 constitue une grande amélioration comparativement à la loi de 1969. Sur le plan théorique, c'est une loi-modèle, une loi très égalitariste, soucieuse de la dualité linguistique et des droits des citoyens en matière de langue. Cependant, la plupart des clauses concernant les services offerts sont demeurées inopérantes pendant trois ans, car le règlement prévu dans la loi ne fut adopté que le 16 décembre 1991.
4.2 Les modifications projetées Par ailleurs, un projet de loi S-3, présenté à la Chambre des communes en 2005, aurait obligé le gouvernement fédéral et ses agences à respecter la Loi sur les langues officielles et permis aux communautés minoritaires de poursuivre le gouvernement et ses agences devant les tribunaux quand l'une d'elles y contrevient, ce qui était impossible à faire jusqu'à présent. Ce projet de loi comptait trois éléments importants.
1) Le gouvernement fédéral s'engagerait à favoriser l'épanouissement des minorités francophone et anglophone du Canada, et à favoriser leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société.
2) Le ministère du Patrimoine canadien pourrait prendre les mesures nécessaires pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
3) Toute personne qui saisit le commissaire aux langues officielles d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondés sur l'article 91, peut formuler un recours devant les tribunaux pour le régime de la présente partie.
L'objectif de ce projet de loi était de renforcer le caractère exécutoire des obligations qui incombent au gouvernement du Canada en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Malheureusement, le gouvernement canadien ne reconnaissait pas le caractère exécutoire de ses obligations en vertu de l'article 41 de la loi. Finalement, le projet de loi S-3, la Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), a obtenu la sanction royale le 24 novembre 2005. Les nouveaux articles de la Loi sur les langues officielles, suite à l’adoption du projet de loi S-3, sont les suivants (les modifications apparaissent en caractères gras et en rouge):
Article 41 (1988)
1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. 2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en œuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces. 3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le commissariat à l'éthique, fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur impose. Article 77 1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie. |
L’adoption de ce projet de loi a pour effet de modifier la Partie VII de la Loi sur les langues officielles et sa portée. Ces modifications renforcent les dispositions de l’article 41 en obligeant le gouvernement de prendre des «mesures positives» pour atteindre ces objectifs. En second lieu, ces modifications permettent au gouverneur en conseil de fixer, par règlement, les modalités d’exécution de la Partie VII. Enfin, ces modifications rendent la Partie VII «justiciable» sous l’article 77 de la loi; en d’autres termes, des recours juridiques seront possibles en cas de violation des engagements énoncés dans cette Partie de la loi.
4.3 L'unilinguisme des juges anglophones de la Cour suprême
Le 31 mars 2010, un projet de loi (C-232) fut adopté de justesse (140 POUR et 137 CONTRE) par la Chambre des communes, de sorte que tous les juges nommés à la Cour suprême auraient pu dorénavant être capables de comprendre le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète :
Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême (compréhension des langues officielles) [Non adopté] 1. L’article 5 de la Loi sur la Cour suprême devient le paragraphe 5(1) et est modifié par adjonction de ce qui suit : Conditions de nomination 2) En outre, les juges sont choisis parmi les personnes visées au paragraphe 1, qui comprennent le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète. |
Cependant, le projet de loi fut bloqué au Sénat par le Parti conservateur de Stephen Harper. Les opposants au projet de loi considéraient que les juges ont le droit constitutionnel d'utiliser la langue de leur choix (selon l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867). D'autres estimaient que ce projet de loi, s'il était adopté, privilégierait les aptitudes linguistiques au détriment des connaissances juridiques et judiciaires.
Pour les partisans du projet de loi C-232, c'est surtout une question de respect des deux communautés linguistiques officielles du pays. Mais ce projet de loi serait également important pour le message qu'il envoie au reste du pays: le bilinguisme est une valeur capitale au Canada, et le plus haut tribunal du pays doit en être le reflet. Selon le promoteur du projet de loi, le député néo-démocrate Yvon Godin: «Une fois adopté par le Sénat, cette loi marquera une étape importante dans l’histoire des langues officielles au Canada.» Pour sa part, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a tenu à réitérer son soutien au projet de loi C-232. Quoi qu'il en soit, le député Yvon Godin s'est juré de présenter son projet de loi jusqu'à ce qu'il soit adopté.
En 2006, le premier ministre Harper avait nommé à la Cour suprême le juge manitobain Marshall Rothstein, un anglophone unilingue; celui-ci avait alors juré d'apprendre le français. Cinq ans plus tard, sa promesse de devenir bilingue était encore à l'état de vœu pieux. En novembre 2011, le premier ministre nommait un autre anglophone unilingue, Michael Moldaver, pour siéger à la Cour suprême du Canada. Cette nomination fit encore couler beaucoup d'encre, particulièrement chez bon nombre de francophones qui ne comprennent pas pourquoi le bilinguisme ne constitue pas une compétence fondamentale pour occuper une fonction si vitale au pays. Même les partis d'opposition, dont le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique, ont approuvé la candidature du juge Moldaver.
En 2013, le gouvernement de Stephan Harper avait nommé un unilingue anglophone Michael Ferguson au poste de vérificateur général du Canada. Cette nomination fut aussitôt dénoncée par les partis d'opposition. Le Nouveau Parti démocratique présenta alors le projet de loi (C-419). S'il avait d'abord défendu cette nomination, le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait par la suite laissé savoir qu'il allait appuyer le projet de loi néo-démocrate, mais qu'il voulait en modifier certains points. C'est ainsi que les députés conservateurs majoritaires ont fait retirer l'exigence du bilinguisme lorsqu'un poste est pourvu par intérim. Ils ont également complètement abrogé le préambule qui statuait notamment que le français et l'anglais «jouissent d'un statut et de droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement». Le préambule notait aussi que les personnes nommées par la Chambre ou le Sénat «doivent avoir la capacité de communiquer avec les parlementaires dans les deux langues officielles». Les députés conservateurs ont avancé qu'on n'avait nul besoin «d'alourdir» le projet de loi avec un tel préambule. La Loi concernant les compétences linguistiques (2013), concentrée sur dix agents du Parlement, est toutefois loin de couvrir l'ensemble des milliers de nominations du gouvernement.
La loi de 1988 avait besoin d'être réexaminée et réadaptée. La première version présentée au Parlement fédéral eut lieu le 22 novembre 2021. Finalement, le projet de loi C-13 a reçu la sanction royale le 20 juin 2023, soit après pris 35 ans à se matérialiser. Le gouvernement canadien voulait ainsi une loi mieux adaptée à la réalité linguistique des années 2020. Le problème, si c'en est un, c'est qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle loi, mais de la loi de 1988 modifiée dans un certain nombre d'articles.
5.1 Les divers chapitres de la loi
Le Préambule, bien qu'il ne fasse pas partie de la loi, mais peut servir à l'interpréter, reconnaît l'importance de remédier au déclin du poids démographique des minorités francophones, notamment en assurant le rétablissement et l’accroissement de celui-ci; l’importance de l’immigration francophone pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones, ainsi que la diversité des régimes linguistiques provinciaux et territoriaux, notamment le bilinguisme dans les législatures du Québec, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, y compris le fait que le français est la langue officielle du Québec.
Les Parties I et II (articles 4 à 13) traitent du bilinguisme obligatoire (les deux langues officielles) au Parlement ainsi que dans tous les actes législatifs et documents émanant d'une institution fédérale; font exception les ordonnances et actes du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, les documents relatifs à l'administration d'une bande indienne (art. 7.3). Le bilinguisme s'étend également aux traités internationaux et à toute convention intervenue entre le Canada et tout autre État. De plus, tous les textes imprimés, publiés ou déposés par une institution fédérale doivent paraître simultanément dans les deux langues officielles, les deux versions ayant également force de loi ou même valeur (art. 13).
La Partie III (articles 14 à 20) concerne l'administration de la justice. La loi rend non seulement les tribunaux fédéraux bilingues, mais elle les oblige à veiller à ce que tout citoyen puisse être entendu dans la langue officielle de son choix et à offrir, si besoin est, des services d'interprétation simultanée d'une langue officielle à l'autre. L'article 16 oblige les juges à comprendre l'anglais ou le français sans l'aide d'un interprète. Cependant, selon l'art. 17, les juges de la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt peuvent être exemptés du bilinguisme sous réserve de l'agrément du gouverneur en conseil, même si les accusés peuvent employer la langue de leur choix.
La Partie IV (articles 21 à 33) précise à l'article 21 que le public a le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut pour tous les bureaux administratifs, tant au Canada qu'à l'étranger, notamment le Commissariat aux langues officielles, le Bureau du directeur général des élections, le Commissariat à l’intégrité du secteur public, le Bureau du vérificateur général, le Commissariat à l’information, le Commissariat à la protection de la vie privée et le Commissariat au lobbying. L'offre active des services bilingues comprend aussi bien la langue orale que la langue écrite. L'article 29 énonce que tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d’une institution fédérale doivent être dans les deux langues officielles, ou placés ensemble de façon que les textes de chaque langue soient également en évidence.
La Partie V (articles 33.3 à 38) traite de la langue de travail de l'administration fédérale. Selon l'article 34, le français et l'anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Les employés ont donc le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles; les sous-ministres ou de sous-ministres délégués d’un ministère mentionné sont tenus, lors de leur nomination de suivre une formation linguistique afin d’avoir la capacité de parler et de comprendre clairement les deux langues officielles. Ce droit d'employer la langue de son choix au travail est cependant soumis à certaines restrictions: il faut notamment que le milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles (art. 35). Autrement dit, il faut qu'il y ait une demande de services bilingues pour que le personnel puisse aussi fonctionner avec deux langues de travail. Le nom des régions désignées bilingues est publié par le gouvernement qui peut, par règlement, inscrire ou radier l'une ou l'autre de ces régions.
La Partie VI (articles 39 et 40) précise aussi que le gouvernement fédéral s'engage à veiller à ce que les Canadiens, tant d’expression française que d’expression anglaise, aient des chances égales d'emploi et d'avancement dans les institutions fédérales, mais cet article n’a pas pour effet de porter atteinte au mode de sélection fondé sur le mérite.
La Partie VII (articles 41 à 45.1) concerne l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada, en prenant en compte que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais, s’engage à protéger et à promouvoir le français, et ce, dans chaque province (art. 41). La loi reconnaît à l'article 42.1 que la Société Radio-Canada contribue par ses activités à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à la protection et la promotion des deux langues officielles. Quant à l'article 45.1, il reconnaît l’importance de la collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux dans la mise en œuvre de cette promotion en fonction de la diversité des régimes linguistiques provinciaux et territoriaux, tout en maintenant le bilinguisme des parlements du Québec, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick, ainsi que le fait que la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec.
La Partie VIII (articles 46 à 48) est consacrée aux attributions et aux obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles. Non seulement celui-ci est lié au bilinguisme institutionnel, mais il doit déposer devant le Parlement un rapport sur l’exercice des attributions qui lui sont conférées.
La Partie IX (articles 49 à 75) précise le rôle du commissaire aux langues officielles du Canada. Celui-ci doit prendre toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la loi et l’intention du législateur en ce qui concerne l’administration des institutions fédérales (art. 56). Le commissaire entreprend des enquêtes, instruit les plaintes reçues, d’assigner des témoins et de les contraindre à comparaître devant lui, faire les recommandations, communiquer ses conclusions, prendre toute mesure qu’il juge indiquée pour remédier à la contravention ou à la violation, déposer son rapport annuel au Parlement.
La Partie X (articles 76 à 81) porte sur le recours judiciaire. Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte peut former un recours devant la Cour fédérale (art. 77) qui, si elle estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la loi, peut accorder la réparation.
La Partie XI (articles 82 à 93.1) contient des dispositions générales, alors que les Parties XII-XIII-XIV porte sur des dispositions transitoires, des abrogations et l'entrée en vigueur de la loi.
Il faut aussi retenir que l'essentiel de l'égalité des langues est maintenu dans la version de 2023. La réalité voudrait que le Québec bénéficie d'une protection particulière de la part du gouvernement fédéral en tant que minorité canadienne, mais ce n'est pas le cas. La version de 2023 de la Loi sur les langues officielles accorde encore droits égaux à des groupes inégaux, ce qui aboutit forcément à des résultats inégalitaires.
5.2 Les nouveautés de la version de 2023
Il faut distinguer le Préambule des articles de la loi, parce que le Préambule de fait pas partie de la loi, mais il peut au moins contribuer à interpréter les articles qui suivent.
- Le Préambule
Dans le Préambule, le texte reconnaît que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord et qu'il faut remédier au déclin du poids démographique des minorités francophones, que l’immigration francophone peut favoriser l’épanouissement des minorités francophones, que les régimes linguistiques provinciaux et territoriaux peuvent contribuer à la progression des langues minoritaires, que la Constitution accorde à chacun le droit d’employer le français ou l’anglais dans les débats des chambres de la Législature du Québec, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick, que la Charte de la langue française du Québec rend le français la langue officielle du Québec. Bref, le texte ne fait que reconnaître des faits que tout le monde connaît, à moins d'être de mauvaise foi.
- Les nouvelles dispositions
Les dispositions les plus novatrices concernent les articles 2 et 3.1.
L'article 2 précise que la loi a pour objet (alinéa b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones en vue de les protéger, tout en tenant compte du fait qu’elles ont des besoins différents; en (b.1) de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais, en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais et qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux qui contribuent à cette progression dans la société canadienne, notamment la Charte de la langue française du Québec qui dispose que le français est la langue officielle du Québec; (en b.2) de favoriser l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré.
Ce genre de disposition n'apporte pas de réels droits linguistiques, mais permet à des juges d'interpréter des notions telles que «favoriser la progression de statut et d'usage» des deux langues en fonction du français «en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord». De beaux débats en perspective! Comment la progression de statut et d'usage des deux langues se concrétisera dans les faits? Comment mesurer cette progression de statut? Ce n'est pas un droit, mais une mesure qui relève davantage de l'espérance que de la garantie d'un droit.
De plus, la loi énonce que la diversité des régimes linguistiques provinciaux et territoriaux contribue à cette progression vers l'égalité de statut (art. 45.1). Le fait de reconnaître et de constater les différentes réalités linguistiques dans les provinces, ainsi que le statut minoritaire de la langue française en Amérique du Nord, n'ajoute aucun droit linguistique. C'est simplement une façon de féliciter certaines provinces anglophones pour leurs politiques prétendument favorables au français, ce qui permet d'inscrire en douce la Charte québécoise de la langue française qui proclame le français comme langue officielle dans cette province dont l'avenir serait «assuré». C'est une vision très optimiste de la réalité linguistique du Canada et de l'Amérique de Nord, car les faits révèlent que cette prétendue «diversité» cache plutôt une disparité qui a dans le passé réduit les droits accordés aux francophones, tandis qu'au Québec même l'avenir du français n'est pas et ne sera jamais assuré, parce que les francophones constitueront toujours une majorité fragile dans un Canada anglais au sein d'une Amérique anglaise.
Quant au nouvel article 3.1 sur les droits linguistiques, il précise bien comment doit être «interprétée» la loi, notamment en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais et que la minorité anglophone du Québec et les minorités francophones des autres provinces et des territoires ont des besoins différents. Rien n'interdit à un tribunal de favoriser l'anglais au Québec de «façon large et libérale» en tenant compte aussi du caractère égalitaire du statut des langues au Canada. De toute façon, étant donné que les droits ne sont pas précisés et qu'ils doivent être interprétés, l'avenir est assuré pour une pléiade d'avocats et de procureurs. On peut voir ces dispositions comme des avancées, mais c'est l'avenir qui en précisera la portée.
Les parties I et II (art. 1-13) sur la législation ne comportent aucune nouveauté, sauf celle d'inclure les supports électroniques dans le bilinguisme des textes législatifs et réglementaires.
Partie III: (art. 14-20) similaire à 1988 pour la justice, sauf l'article 16.1 qui oblige les personnes soumettant leur candidature en vue d’une nomination à titre de juges d’une cour supérieure de devoir indiquer leur niveau de compétence dans les deux langues officielles. Article 16.1oblige le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale d'offrir la formation linguistique nécessaire aux juges des cours supérieures. L'article 17 qui la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt n'oblige toujours pas les juges à être bilingues, même si les justiciables et les témoins peuvent s'exprimer dans l'une des deux langues officielles, exercer, pour leur propre fonctionnement, le pouvoir visé au paragraphe (1), sous réserve de l'agrément du gouverneur en conseil.
Partie IV: (art. 21-33) similaire à 1988 pour les communications avec le public et prestation des services.
Partie V: (art. 33.3-38) similaire à 1988 pour la langue de travail, avec un ajout sur la définition d'«employé», soit la personne qui exerce pour l’employeur des activités qui visent principalement à permettre à la personne d’acquérir des connaissances ou de l’expérience et la personne placée par une agence de placement temporaire.
L'article 33.2 est pertinent, car il oblige toute personne nommée à un poste de
sous-ministre ou de sous-ministre délégué de suivre une formation linguistique
afin d’avoir la capacité de parler et de comprendre clairement les deux langues
officielles. La loi ne prévoit pas de sanction lorsqu'une personne refuserait de
se conformer à ce genre de prescription. L'article 34 reconnaît que les
fonctionnaires ont le droit de travailler en français, mais ils sont tenus de
faire affaire à des fournisseurs unilingues anglais malgré les nombreuses
plaintes à ce sujet.
Partie VI: (art. 39-40) similaire à 1988 en ce qui concerne la participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise
Partie VII: (art. 41-45.5) quelques changements à l'article 41 pour des «activités de dialogue et de consultation (par. 9.1), la publication sur Internet (par. 10.1), les publications facultatives (par. 10.2) et interdites (par. 10.3). Une nouveauté pour le français à l'article 41.1 qui énonce que, lors de l’élaboration d’une stratégie d’aliénation d’un immeuble fédéral ou d’un bien réel fédéral excédentaire, les ministères ainsi que les institutions fédérales doivent prendre en compte les besoins et les priorités des minorités francophones ou anglophones de la province. À l'article 42.1, la loi reconnaît que la Société Radio-Canada doit contribuer par ses activités à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à la protection et la promotion des deux langues officielles. On aurait aimé voir des dispositions contraignantes et coercitives!
Partie VIII: (art. 46-48) similaire en totalité au sujet des attributions et obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles.
Partie IX: (art. 49-75) quelques modifications concernant le commissaire aux langues officielles, notamment sur les modes substitutifs de règlements différents pour régler des plaintes (art. 62.1.1), les publications (art. 63.1), les accords de conformité (art. 64.1)
Partie X: certaines modifications d'ordre technique sont apportées sur les recours judiciaires.
Partie XI: similaire à la loi de 1988, mais aucune de ces dispositions n'accorde de nouveaux droits.
- Un résumé
En fait, la version de 2023 de la Loi sur les langues officielles ne change pas radicalement la portée des droits linguistiques. Elle ajoute des éléments d'interprétation dont les effets et la portée réelle apparaîtront dans plusieurs années, le temps que les tribunaux décident de leur sort. Il ne faut pas oublier que le statut d'égalité juridique et la symétrie des droits entre anglophones et francophones sont toujours présents dans l'ensemble de la loi. Il aurait fallu des mesures asymétriques et compensatoires à l'avantage du groupe minoritaire francophone afin de compenser la fragilité de celui-ci.
Depuis les années 1980, tous les rapports des commissaires aux langues officielles ont souligné que, malgré les lois, les francophones doivent attendre plus longtemps que les anglophones pour obtenir des services en français de la part du gouvernement fédéral. Autrement dit, surtout en fonction de leur localisation, les services publics fédéraux ne sont pas disponibles et pas nécessairement de qualité équivalente dans les deux langues officielles. Le législateur aurait pu en profiter pour rendre obligatoire la maîtrise des deux langues officielles chez les représentants du pays tels le gouverneur-général, le juge en chef de la Cour suprême et d'autres magistrats importants, les sous-ministres, les présidents ou présidentes des organismes fédéraux, etc., incluant les lieutenants gouverneurs des provinces puisque c'est le gouvernement fédéral qui les nomme.
L'article 38 de la Loi sur les langues officielles traite des «régions désignées» pour offrir des services bilingues. Il s'agit d'une mesure qui s'approche d'une territorialité, mais un gouvernement peut radier l’une ou l’autre des régions du Canada désignées dans le but d'économiser, alors que ces mêmes dites «régions désignées» ne seront probablement pas tenues en compte ni par une province ni par une municipalité.
Quant à Radio-Canada, s'il est vrai, tel qu'il est mentionné à l'article 42.1, que cette société peut et doit contribuer à l’épanouissement des minorités francophones dans tout le Canada, il est aussi possible qu'un gouvernement en réduise les allocations de sorte que les services offerts deviennent de moindre qualité, surtout dans les régions périphériques. On aurait aimé lire que le gouvernement s'engage à ne jamais diminuer les allocations ni à les geler, mais plutôt à suivre l'inflation, car toute diminution chez les francophones entraîne des conséquences beaucoup plus négatives que pour les anglophones.
Par ailleurs, la Loi sur les langues officielles ne s'applique pas au poste de gouverneur général ni au poste de lieutenant-gouverneur provincial avec le résultat que le gouvernement fédéral peut nommer de façon arbitraire des personnes unilingues anglaises à ces fonctions symboliques, et c'est ce qu'il a fait en nommant Mary Simon (gouverneure générale) et Brenda Murphy (lieutenante gouverneure) au Nouveau-Brunswick, province officiellement bilingue. De plus l'exigence du bilinguisme pour les diplomates canadiens à l'étrangers ne serait en vigueur qu'en 2026, alors que le Canada est officiellement bilingue depuis 1969. Depuis cette date, de nombreux anglophones unilingues ont occupé des postes qui ne répondaient pas aux exigences du bilinguisme; on comptait sur leur promesse d'apprendre le français une fois en poste, ce qu'ils n'ont jamais pu faire, à de rarissimes exceptions. Ces accrocs au bilinguisme institutionnel sont le reflet d'une idéologie ou le français est une langue de seconde zone et où l'indifférence à l'égard des francophones est perçue comme une pratique normale. Que le chef d'État dans un État bilingue soit unilingue est forcément incongru, et ce, d'autant plus que ce genre de nomination est parfaitement conscient et méprisant pour les minorités de langue officielle.
Dans sa facture actuelle, la Loi sur les langues officielles (version 2023) ne permet pas vraiment d’assurer la pérennité du français en Amérique du Nord, au mieux limiter son érosion. L'absence de règles d'application et l’imprécision qui en découlent vont continuer à nuire considérablement aux minorités linguistiques du Canada. La loi est encore composée de formulations persuasives et incitatives, qui s'apparentent à de bons vœux pieux, car on n'y retrouve pas de formulations contraignantes et coercitives, lesquelles ordonneraient non seulement aux institutions fédérales d’en appliquer les principes, mais impliqueraient également des corrections et des sanctions.
Dans un Rapport de 1991, le commissaire aux langues officielles du Canada affirmait que le bilinguisme fédéral était «une réussite nationale». Les progrès avaient en effet été réels, mais ils ne pouvaient pas masquer une certaine réalité. Il y a parfois loin de la coupe aux lèvres! En effet, dans un Rapport de 1998, le commissaire lançait un cri d'alarme en disant qu'il était «temps de renverser la vapeur» et de faire cesser l'affaiblissement graduel des droits linguistiques et des pouvoirs du gouvernement fédéral dans le domaine des langues officielles. Le 24 septembre 2020, à l'occasion du discours du Trône, la gouverneure générale du Canada constatait le déclin alarmant de la langue française au Québec et au Canada; elle énonçait une série de graves inquiétudes quant au sort de celle-ci pour l'avenir.
En même temps, il suffit d'examiner les 68 000 témoignages recueillis dès 1991 par la Commission Spicer (du nom de Keith Spicer, le tout premier commissaire fédéral aux langues officielles), pour se rendre compte que les Canadiens en avaient déjà ras le bol du bilinguisme officiel et des coûts qu'il représentait. Un sondage réalisé en 1992 révélait que, selon 64 % des Canadiens, la politique de bilinguisme officiel du gouvernement fédéral avait lamentablement échoué; seulement 26 % des Canadiens y voyaient un succès. Le bilinguisme canadien est «un mythe» à l’extérieur du Québec, qui est la seule province à y adhérer. Un sondage Léger paru en juin 2024 révélait que plus de quatre Canadiens sur dix (43%) pensent que le Canada bilingue est positif, tandis qu’un tiers (34%) est indifférent et 18 % pensent que c’est négatif. Les Québécois (70%) sont plus «enclins» à penser que le bilinguisme au Canada est une chose positive lorsque comparés avec le reste du Canada (35%). Si la moitié des Canadiens (52%) — alors que les Québécois ont fait hausser la moyenne canadienne avec 70%) pensent qu’il est important que le Canada demeure «un pays officiellement bilingue», 42% pensent que ce n’est pas important. Les différences d’opinions entre les Québécois et les répondants du reste du Canada sont significatives, car 83% des Québécois pensent qu’il est important que le Canada reste bilingue, alors que seulement 43% des répondants du reste du Canada partagent ce point de vue.
Pendant que le Canada anglais encourage les immigrants à conserver leur identité et à favoriser leur enclave culturel, le Québec privilégie l'intégration à la culture québécoise et rejette le multiculturalisme. Même le journal anglophone The Montreal Gazette s'amuse à dépeindre les Québécois francophones comme des nazis ou des membres du KKK, tandis que des journalistes de l'Ontario traitent les Québécois de racistes ou de traîtres, que la loi 101 est une abomination, tout cela parce que certains anglophones ne parlent pas le français ou n'ont pas l'intention de l'apprendre. Pour eux, la politique fédérale du bilinguisme constitue «une source d'irritation». Manifestement, le Canada anglais ne comprend généralement pas pourquoi le Québec pourrait avoir une culture différente que celle qu'il préconise, ce qui lui paraît inacceptable, alors que les Québécois considèrent que c'est humiliant de demander d'être servi dans sa langue chez soi ! Il ne faut pas oublier que la politique linguistique du Canada promeut notamment le multiculturalisme, le bilinguisme institutionnel et l’égalité des provinces, ce qui porte atteinte aux pouvoirs de l’Assemblée nationale québécoise en matière linguistique tout en niant l’existence de la nation québécoise.
6.1 L'impossible bilinguisme individuel
La politique de bilinguisme officiel n'a pas eu comme conséquence de favoriser le bilinguisme chez les citoyens canadiens, parce que c'était une politique impossible à appliquer à l'ensemble du pays. D'abord, le Parlement fédéral ne peut pas légalement légiférer en matière d'éducation, une juridiction provinciale, pour imposer une quelconque forme d'apprentissage des langues, y compris les langues officielles. Ensuite, les pouvoirs du Parlement fédéral s'arrêtent aux institutions qu'il contrôle, les organismes fédéraux. De plus, si l'on fait exception du Québec et du Nouveau-Brunswick, il n'y aurait pas suffisamment de francophones dans les autres provinces pour justifier l'implantation du bilinguisme à l'ensemble d'une population.
- La ferveur du bilinguisme à la baisse
Si au début le bilinguisme était perçu presque comme une véritable religion au sein de la classe politique fédérale, il n'en est plus ainsi après quelques décennies. Non seulement aucune province canadienne n'est devenue officiellement bilingue (à l'exception du seul Nouveau-Brunswick), mais certains politiciens fédéraux commencent à vouloir réviser à la baisse cette politique du bilinguisme. Le mouvement est déjà amorcé depuis un certain temps, mais parfois l'exemple vient de haut.
Ainsi, alors qu'il était chef de l'opposition au Parlement fédéral, M. Stephen Harper estimait que «le Canada est moins bilingue aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été depuis sa fondation». Il critiquait en ces termes cette politique: «En tant que religion, le bilinguisme est le dieu qui a échoué. Cela n'a pas entraîné une plus grande justice, n'a pas aidé l'unité du pays et a coûté des millions aux contribuables.»
La critique était sévère et elle n'était pas tout à fait exacte. Il est vrai qu'en tant que «religion» la politique du bilinguisme avait échoué. Il est vrai également que beaucoup d'anglophones croyaient que cette politique consistait à promouvoir le français au Canada anglais, alors que les francophones du Québec estimaient qu'elle était tout à fait inutile, même dans leur propre province. En réalité, la politique du bilinguisme canadien n'a jamais eu comme objectif de rendre tous les Canadiens bilingues!
- Une politique des services
Avec un tel principe trop répandu et tout à fait erroné — le bilinguisme individuel obligatoire —, beaucoup ont conclu que la politique du bilinguisme avait échoué, puisque les Canadiens ne sont pas devenus tous bilingues, bien au contraire. Mais le véritable objectif de cette politique était de garantir que les francophones du pays recevraient des services dans leur langue et qu'ils n'étaient pas obligés de savoir l'anglais pour recevoir ces services. Quoi qu'il en soit, cette politique ne concerne que les institutions du gouvernement fédéral, elle n'oblige en rien les provinces, les municipalités, les entreprises privées, commerciales comme caritatives, à se bilinguiser.
Dans le contexte canadien et nord-américain, la langue française est perçue comme une langue «utile», sans la reconnaître comme essentielle. Dans les faits, le bilinguisme institutionnel avantage toujours l’anglais, mais rarement, voire jamais le français à l’extérieur du Québec. Comme il arrive souvent dans des cas similaires, la réalité est nuancée: la politique linguistique du gouvernement fédéral comporte à la fois des réussites et des échecs.
6.2 Les réussites de la politique linguistique
Si le gouvernement fédéral voulait assurer une visibilité du français au Canada, il a réussi dans la mesure où celle-ci était inexistante jusque dans les années 1970. Sur le plan des principes, les francophones du Canada ont certainement accompli un exploit peu commun. En effet, ils ont réussi à placer, même au plan constitutionnel, la langue du quart de la population sur un pied d'égalité avec la langue majoritaire parlée par les deux tiers, voire les trois quarts du pays. De là à ce que cela se concrétise dans la réalité, c'est autre chose.
- La langue seconde des élites
En raison des politiques linguistiques du gouvernement fédéral, aidées il est vrai par un Québec vivant un moment donné une période de forte affirmation collective, le français est devenu la première langue seconde des élites du pays, reléguant à l'arrière-plan des langues d'usage plus répandues, notamment dans l'ouest du Canada (p. ex., l'italien, le chinois, l'ukrainien, l'allemand, etc.). De fait, dans toutes les grandes villes, les enfants anglophones des classes sociales instruites veulent fréquenter des écoles offrant des cours d'immersion en français. Pour une certaine catégorie de la classe dirigeante du Canada anglais, le français est devenu non seulement un atout précieux, mais aussi une nécessité pour accéder à des postes importants, que ce soit dans la fonction publique ou dans les grandes sociétés privées, bien que ce désir du bilinguisme ne soit pas répandu dans tout le Canada, mais uniquement chez une certaine élite.
- Les progrès réels
Dans le domaine du bilinguisme institutionnel, les progrès sont importants, surtout au Parlement fédéral, même si beaucoup de ministres et de députés francophones continuent à s'exprimer seulement en anglais. L'administration fédérale s'est bilinguisée considérablement par comparaison aux années 1950. Dans la capitale nationale, il est maintenant presque normal pour un francophone de se faire servir dans sa langue dans la quasi-totalité des ministères. La situation est moins évidente en dehors de la capitale où les services bilingues ne sont souvent qualifiés de «passables» à «nuls». Néanmoins, il faudrait être aveugle pour ne pas reconnaître un progrès certain du bilinguisme dans l'appareil fédéral; quand on part de zéro, les avancées paraissent toujours considérables. De même, les plaintes des fonctionnaires anglophones contre l'obligation du bilinguisme prouvent bien l'existence formelle du critère linguistique dans la grille d'évaluation de la fonction publique fédérale.
En fait, l'une des réelles réussites du gouvernement fédéral
est concrétisée dans les panneaux d'affichage. La moindre escale dans un aéroport de Terre-Neuve ou du Yukon permet d'en observer les manifestations. Que ce soit dans les ministères ou les organismes fédéraux, les inscriptions sont systématiquement bilingues.
Il reste souvent à déterminer si les inscriptions en anglais doivent être au-dessus de celles en français ou l'inverse, ou à gauche plutôt qu'à droite. Si, dans certains bureaux ou édifices, les inscriptions bilingues ne sont pas problématiques, il arrive qu'elles soulèvent la controverse si au Canada anglais le français est placé au dessus; c'est l'inverse au Québec. Évidemment, il est plus facile d'appliquer ce genre de réglementation dans des panneaux ou des tableaux que d'exiger du personnel bilingue. À la rigueur, une affiche bilingue peut causer de l'irritation chez certains dinosaures récalcitrants, rarement de l'urticaire. |
- Une avancée pour les francophones hors Québec
Pour les francophones hors Québec, la Loi sur les langues officielles (version de 1988) leur a permis de revendiquer des droits longtemps bafoués. La législation fédérale leur a donné également de nouvelles armes pour obtenir et pour promouvoir les droits linguistiques (fédéraux) dans leur province. Depuis l’adoption de cette importante loi fédérale, les minorités francophones ont réussi à obtenir justice devant les tribunaux, après de nombreux combats, il est vrai. Ils ont généralement gagné leurs causes, sinon la plupart du temps. Pour les minorités francophones hors Québec, la loi fédérale (ainsi que l’article 23 de la Charte des droits) est souvent la seule loi qui puisse les défendre contre l’attitude négative et assimilatrice de leur gouvernement provincial. Dans tous les cas, la plupart des minorités francophones du Canada peuvent, en principe, communiquer en français avec l’administration fédérale, parfois avec des retards ou des délais.
- Les effets d'entraînement
De plus, compte tenu de l'importance du pouvoir fédéral, les lois linguistiques et la Charte canadienne des droits de 1982 au sein de la fédération canadienne ont eu des effets d'entraînement déterminants dans certaines provinces. Le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et aussi le Québec sont devenus bilingues dans les faits. Dans toutes les provinces, les parlements ont adopté des lois non linguistiques (plus de 200) contenant des dispositions linguistiques, généralement en faveur du français dans les procédures judiciaires, les élections, les mariages, l’adoption des enfants, la sécurité et la santé au travail, les services sociaux, l’état civil, etc. Toutes ces mesures démontrent que, même si les francophones du Canada n’ont pas le contrôle total de leurs lois (sauf au Québec, et encore!), ils peuvent néanmoins exercer des pressions qui peuvent leur être favorables.
Alors qu'elle était méprisée il y a une vingtaine d'années, la langue française n'est plus qualifiée de "French dialect", de là à être devenue une langue de prestige d'un océan à l'autre, des nuances s'imposeraient. Il s'agit là néanmoins d'une victoire considérable de la part des francophones du Canada.
- La paix linguistique
Par ailleurs, cette politique du bilinguisme a fait disparaître certaines injustices et certaines iniquités à l'égard des francophones. Elle a certes coûté des millions aux contribuables canadiens (voir le texte, s.v.p.), mais elle a aussi permis d'éviter l'éclatement du pays et de maintenir un climat de paix sociale qui ferait l'envie de bien d'autres pays. Ce n'est pas rien! C'est pourquoi le Canada a acquis dans le monde une réputation enviable pour avoir fait progresser les intérêts de ses minorités linguistiques. En effet, la politique canadienne du bilinguisme est souvent citée en modèle dans de nombreux pays, surtout en Europe, et ce, malgré ses échecs importants et souvent ignorés, bien qu'aux États-Unis cette même politique soit décriée et vilipendée.
6.3 Les échecs de la politique fédérale
Évidemment, la politique fédérale a apporté son lot d'échecs prévisibles, notamment en ce qui concerne le principe de l'égalité des langues qui ne vaut que partiellement au gouvernement canadien depuis les années 1970 et dans la seule province du Nouveau-Brunswick.
- La persistance de l'unilinguisme institutionnel
Partout ailleurs, y compris au Québec, c'est même le concept de l'inégalité des langues qui prévaut, du moins de façon symbolique, car neuf provinces sont demeurées juridiquement unilingues. Les élites politiques canadiennes acceptent, il est vrai, le bilinguisme institutionnel au sein des organismes communs, mais il n'est pas question d'étendre ce caractère bilingue aux organismes provinciaux ou municipaux, bien que le Québec accepte plus le bilinguisme comme un phénomène normal à un point tel que de nombreux Québécois croient que leur province est officiellement bilingue, mêmes chez des députés de l'Assemblée nationale. Comme quoi les institutions canadiennes sont ignorées par les citoyens!
Pour la plupart des Canadiens, le bilinguisme a atteint sa vitesse de croisière et il ne doit pas aller plus loin: il reste limité au Parlement et aux institutions qui relèvent du gouvernement fédéral; il en est de même au Nouveau-Brunswick où le bilinguisme est confiné aux seuls organismes du gouvernement provincial, incluant depuis 2002 les municipalités et les hôpitaux. Même que le premier ministre et le lieutenant-gouverneur de cette province officiellement bilingue peuvent être de parfaits unilingues anglais! Cela fait partie des subtilités du bilinguisme au Canada.
En somme, la législation fédérale n’a pas eu les effets escomptés dans les mentalités en ce qui a trait aux deux «grandes majorités linguistiques», dont l'une, les francophones du Québec, est une majorité fragile. En effet, les gains de la minorité francophone irritent encore une partie de la majorité anglophone qui n'accepte pas facilement le principe de l'égalité juridique des langues au Canada, sauf symboliquement, et laissent indifférents les francophones du Québec. En ce sens, c’est un échec de taille, car la politique fédérale d’égalité linguistique n’a guère mobilisé les Canadiens. Pourtant, cette politique demeure positive et pourrait, répétons-le, servir de modèle dans de nombreux pays bilingues à la condition de ne pas être trop exigeants sur les applications des dispositions législatives.
- Le critère du nombre comme justification
En réalité, la plupart des provinces trouvent toutes sortes de raisons pour que l'égalité souhaitée ne se réalise pas, dont la fameuse expression «si le nombre le justifie». Pour les provinces anglaises, il vaut mieux partir du principe que le nombre ne le justifie pas pour accorder des droits, y compris en matière scolaire. Il suffit d'attendre le verdict des tribunaux avant de se conformer au minimum. Il faut toujours tenir compte que la législation canadienne n'accorde des droits qu'aux individus selon le principe des droits personnels, jamais des droits à la langue elle-même, ce qui correspondrait à des droits collectifs, une horreur au Canada anglais et aux politiciens anglophones.
Ce droit à la «langue de son choix» est difficile à réaliser partout dans la mesure où, le nombre ne le justifiant pas toujours, les offres actives en français (ou en anglais dans certaines régions du Québec) demeurent souvent déficientes, sinon inexistantes. Il est plus facile d'étendre ce droit sur le plan des symboles (p. ex. l'affichage bilingue pour les édifices fédéraux, la monnaie, les timbres poste) que dans les services réels à la population. C’est que la composition géographique et démographique du Canada dénie ce «Canada bilingue d'un océan à l'autre». De plus, le principe du «nombre le justifie» prête à diverses interprétations: ce peut être une seule personne comme 20 ou 50, selon les circonstances ou la province, ou selon le jugement des tribunaux.
- La langue de travail
Du côté de la langue de travail des fonctionnaires, les progrès se sont révélés modestes. Malgré les 40 ans de bilinguisme officiel pratiqué dans la fonction publique fédérale, l'environnement de travail des ministères et des organismes fédéraux demeure massivement anglophone, ce qui est normal. Les fonctionnaires francophones dressent un constat d'échec de la Loi sur les langues officielles (1988) qui consacrait l'usage du français et de l'anglais comme langues de travail dans les institutions fédérales. Les réunions de travail ont, dans les faits, toujours eu lieu en anglais, même si la majorité des participants est francophone.
Les communications à l'extérieur du Québec se font presque uniquement en anglais, sauf avec la France si les deux interlocuteurs sont francophones. Selon l'Institut professionnel de la fonction publique fédérale du Canada (IPFP), les fonctionnaires francophones ne peuvent communiquer dans la langue de leur choix que dans une proportion de 43%. La loi fédérale prévoit des mécanismes pour permettre aux fonctionnaires de déposer des plaintes, mais peu de fonctionnaires osent y recourir de peur qu'un tel geste nuise à leur carrière. De plus, le rapport du commissaire aux langues officielles révélait déjà en 1997 que plus de 40% du personnel de la haute fonction publique fédérale n’avait pas encore réussi à se bilinguiser. Or, en 1988, le gouvernement avait fait la promesse solennelle que tous les grands mandarins pourraient s’exprimer dans les deux langues officielles. Enfin, encore en 2007, certains ministères fédéraux fixaient les exigences linguistiques de certains postes en fonction de la disponibilité du personnel bilingue dans la région, plutôt qu'en fonction des besoins réels du travail à accomplir. Devant une pénurie de personnel bilingue, que peut-on opposer?
- Les régions désignées bilingues
Les institutions fédérales doivent favoriser un milieu de travail propice à l'emploi des deux langues officielles dans les régions désignées bilingues en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Ce statut suppose que les cadres communiquent efficacement dans les deux langues officielles avec les employés de l'institution et qu'ils exercent un leadership pour créer un milieu de travail bilingue.
D'ailleurs, les modifications législatives de 2023 ont précisé les responsabilités des gestionnaires et des superviseurs à cet égard. En tant que fonctionnaire fédéral, un employé a le droit de travailler dans la langue officielle de son choix lorsque son poste d’attache se trouve dans une région désignée bilingue, c’est-à-dire les régions suivantes:
Concrètement, cela signifie qu'un fonctionnaire a le droit :
En plus de veiller à ce que ces droits soient respectés, les institutions fédérales doivent aussi s’assurer que le milieu de travail est véritablement propice à l’usage du français et de l’anglais. |
- Un droit constamment menacé
Après que Stephen Harper soit devenu premier ministre du Canada, la situation du bilinguisme s'est encore détériorée. Dans son rapport de mai 2007, le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, dénonçait l'abolition du Comité des langues officielles, les compressions budgétaires et l'inaction du gouvernement
fédéral au cours de l'année 2006. Le rapport démontrait qu'au Canada le bilinguisme n'était pas un réflexe naturel, mais un droit qu'il fallait sans cesse revendiquer et qui
était et continue d'être constamment menacé. De plus, il n'existait aucun moyen à la disposition des citoyens qui souhaitaient exprimer leurs doléances, le gouvernement Harper ayant aboli le programme de contestation judiciaire qui permettait aux membres des minorités de porter plainte lorsque leurs droits n'étaient pas respectés. M. Fraser notait d'autres problèmes tels que les manquements dans la fonction publique et le non-respect de la Loi sur les langues officielles
(1988) dans plusieurs institutions fédérales:
Certaines institutions font preuve de minimalisme dans leur communication avec le public et en matière de langue de travail. Ces institutions font ainsi fi de l’esprit et de la lettre de la loi qui sont d’assurer le respect du français et de l’anglais, leur égalité de statut et l’égalité des droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales. Au sein de ces institutions, on semble être plus soucieux de maintenir des commodités administratives et d’éviter les précédents que d’offrir des services adéquats au public ou aux employés des régions bilingues. |
- La non-obligation des résultats
C'est pourquoi les commissaires aux langues officielles ont toujours recommandé que le gouvernement impose une obligation des résultats. Pour ce faire, il fallait remettre en vigueur le programme de contestation judiciaire et pénaliser les récalcitrants. Dans son rapport de 2010, M. Graham Fraser déplorait l’approche de laisser-faire du gouvernement fédéral, surtout en ce qui concerne la langue de travail des fonctionnaires, lesquels communiquent en anglais, la plupart du temps. Les fonctionnaires francophones ont toujours de la difficulté à travailler en français et à obtenir des réunions bilingues. Or, d'après la Loi sur les langues officielles de 1988, les employés du gouvernement fédéral avaient le droit de travailler en français ou en anglais. Le commissaire a constaté qu'en 2010 seulement 67% des francophones disaient se sentir à l’aise d’intervenir en français dans les réunions.
Constatant le recul constant du français au pays et le peu d’améliorations apportées au cours des années, des députés fédéraux des trois partis d’opposition affirmèrent que le commissaire aux langues officielles devrait avoir un pouvoir de sanction pour donner des dents à la Loi sur les langues officielles, ce qu’elle n’a jamais eu.
6.4 Une langue d'accommodement
En septembre 1969, il y a donc plus de 50 ans, le français devenait l'une des deux langues officielles du pays. L’objectif de la Loi sur les langues officielles de 1969, comme d'ailleurs la loi de 1988 qui lui a succédé, était de consacrer l’égalité de statut du français et de l’anglais dans les institutions fédérales, mais aussi devant les tribunaux et dans la société canadienne. Certes, les deux lois sur les langues officielles ont eu des impacts bénéfiques pour les communautés francophones du Canada, surtout chez les minorités francophones du Canada anglais, car elles leur ont permis de revendiquer et d’obtenir un appui institutionnel pour leur développement. Ces lois ont aussi créé des conditions pour l’insertion dans la Constitution canadienne de droits linguistiques qui ont tout changé pour ces communautés, notamment le droit à recevoir leur éducation en français.
Toutefois, un demi-siècle plus tard, la place du français dans l’espace public et commercial est en recul partout au Canada, y compris au Québec. Des Canadiens dans diverses régions remettent en question la légitimité du français comme langue officielle du pays, dont les arguments concernant le coût du bilinguisme. Mentionnons, entre autres, les ratés de la présence du français aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010, l’absence de service en français qui heurtent continuellement les francophones lorsqu’ils passent à la sécurité ou aux douanes dans un aéroport, les traductions inadéquates présentes dans les sites fédéraux, les juges unilingues anglais dans les cours fédérales, y compris à la Cour suprême. Dans ces conditions, on se demande si le français est davantage une «langue d’accommodement» plutôt qu’une langue officielle. De plus, de nouveaux enjeux incitent aujourd’hui à devoir réviser cette législation. Pensons au rôle du numérique et des nouvelles technologies de l’information au sein des institutions gouvernementales, sans oublier les défis démographiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
En fait, la législation sur les langues officielles, c'est aussi l'histoire de cinq décennies d’obligations, au mieux mal comprises et mal respectées, au pire un manque de volonté politique de faire respecter l’égalité des deux langues officielles. Tous les rapports des commissaires aux langues officielles qui se sont succédé en sont arrivés au même constat: stagnation, manque de cohérence et inefficacité dans l'application de la loi. Après un demi-siècle à répéter les mêmes lacunes, les mêmes erreurs, les mêmes problèmes, il faudrait en venir à la conclusion que la loi de 1988 était est devenue une coquille vide, car le problème fondamental réside dans la loi elle-même. Quant à la version de 2023 de la Loi sur les langues officielles, elle ne change pas radicalement les lacunes, car elle ne corrige que certaines dispositions administratives et oriente son interprétation pour les tribunaux, sans ajouter de nouveaux droits.
7 Les problèmes structurels de la politique linguistique canadienne
Les Canadiens n'ont pas la même perception du bilinguisme selon qu'ils parlent français ou anglais, ou selon qu'ils demeurent dans l'est ou dans l'ouest du Canada. D'après un sondage commandé par Patrimoine canadien en septembre 2006, les citoyens du Canada étaient profondément divisés quant à leur opinion sur l’importance du bilinguisme officiel au pays. Si 85 % des francophones considéraient que «la dualité linguistique au Canada est une source d’enrichissement culturel», seuls 57 % des anglophones le croyaient. De 2016 à 2021, Statistique Canada a observé une baisse de la proportion de Québécois qui avaient le français comme langue maternelle (de 77,1 % à 74,8 %), comme langue parlée de façon prédominante à la maison (de 79,0 % à 77,5 %) et comme première langue officielle parlée (de 83,7 % à 82,2 %). |
7.1 La vision symétrique d'égalité des langues
La conception fédérale des droits linguistiques a tendance à promouvoir une vision symétrique des langues officielles, vision selon laquelle les francophones et les anglophones sont considérés comme des groupes égaux. Cette conception théorique des droits linguistiques distingue, d'une part, des
«Canadiens d'expression française, concentrés au Québec mais présents dans le reste du Canada» et, d'autre part, des
«Canadiens d'expression anglaise, concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec». Il s'agit d'un dualisme
symétrique qui laisse croire que le Canada compte deux majorités au sein desquelles on distingue des minorités qu'il est nécessaire de protéger. L'application de ce principe apparemment généreux consiste à prendre des moyens pour protéger uniquement les minorités francophones des provinces anglaises ainsi que la minorité anglophone du Québec.
Cette idéologie de la symétrie laisse croire que les francophones du Québec constituent une majorité au Canada et que les deux groupes linguistiques, francophones et anglophones, sont égaux. Or, les francophones constituent la minorité du Canada puisqu'ils forment quelque 22 % de la population canadienne et 2 % de l'ensemble nord-américain. De ce fait, les francophones du Québec ne sont pas numériquement égaux aux anglophones du Canada anglais; les francophones hors Québec ne sont pas égaux aux Anglo-Québécois. Forcément, les résultats seront inégaux en bout de ligne. Évidemment, ce concept des deux majorités égales permet de mieux faire accepter le bilinguisme fédéral dans les provinces anglaises.
Depuis plusieurs décennies, tous les gouvernements fédéraux ont défendu cette fiction symétrique des droits linguistiques, alors que les défis des minorités francophones et anglophone sont fondamentalement différents. Les anglophones du Québec ont bâti de grandes institutions sur lesquelles ils peuvent toujours compter; ils peuvent vivre complètement en anglais dans leur province, car c'est celle de tout le continent; ils peuvent même vivre toute leur vie sans savoir un mot de français s'ils résident à Montréal ou dans la périphérie immédiate. Par contre, tout francophone hors Québec se doit d'être bilingue et de maîtriser l'anglais, sinon il lui sera impossible de bénéficier d'une vie décente!
- Une majorité francophone fragile
Avec une telle idéologie, on oublie que c'est le français qui est menacé partout au Canada, non l'anglais au Québec. La réelle protection consiste en une asymétrie des droits, le Québec francophone bénéficiant d'une protection particulière de la part du gouvernement fédéral. Or, de façon paradoxale, c'est la communauté anglophone qui, en tant que minorité au Québec, a droit à cette protection fédérale. La politique linguistique fédérale part du postulat que la communauté francophone du Québec est une majorité, qui n'a pas besoin de protection, et que la communauté anglophone est une minorité qu'il faut protéger. Ainsi, la minorité (au Québec) devient majorité et la majorité (les anglophones) devient minorité.
D'ailleurs, l'Organisation des Nations unies n'a jamais accepté cette interprétation de la «protection canadienne»: les francophones, où qu'ils soient au Canada, constituent la véritable minorité linguistique du pays. Le principal effet du bilinguisme symétrique est d'assurer aux anglophones de pouvoir vivre au Québec de façon convenable sans avoir à parler un mot de français, y compris «bonjour», tandis que les Québécois francophones ne se sentent pas plus sécurisés à l'extérieur de leur province. Bref, on a maintenu le «pouvoir anglophone» au sein d'une majorité fragile! Tellement fragile que, lorsque cette prétendue majorité francophone tente de corriger certaines lacunes, le Canada anglais se soulève d'un bloc pour accuser le Québec d'intolérance, d'exclusion, sinon d'anglocide, tout en ignorant la suppression des droits des francophones en Ontario, au Manitoba ou au Nouveau-Brunswick.
Il est illusoire de poursuivre cette idéologie dominante à propos de la symétrie des langues minoritaires au Canada, laquelle consiste à laisser croire que l’anglais est aussi menacé au Québec que le français l’est ailleurs au Canada. Tout le monde sait que ce n'est pas le cas, même les anglophones du Québec. Sauf qu'avec l'appui inconditionnel du Canada anglais, ils peuvent aisément s'opposer à toute réforme jusqu'à réclamer le bilinguisme officiel.
- Une politique de confrontation
Cette situation qui consiste à protéger une fausse minorité anglo-québécoise a toujours favorisé la confrontation parce que les Franco-Québécois et les Anglo-Québécois se réclament à la fois des droits majoritaires et minoritaires, et ce, avec tous les court-circuitages qu'une telle ambiguïté favorise. On ne semble pas avoir compris que la vraie majorité anglo-canadienne n'a pas besoin de droits linguistiques, puisqu'elle détient les pouvoirs législatif et exécutif, voire judiciaire. Par son idéologie égalitariste et symétrique, le gouvernement fédéral du Canada se trompe de cible: la majorité anglophone devient une minorité au Québec et la minorité francophone du Canada devient une majorité. En inversant les rôles dévolus à la langue dominante et à la langue dominée, on réduit inévitablement toutes les mesures de protection à l'égard de la véritable minorité canadienne, celle parlant le français. Ce n'est pas un hasard si les francophones du Québec constituent une majorité fragile, il ne peut en être autrement, car ses pouvoirs peuvent toujours être à la merci d'être contestés par les tribunaux et les lois fédérales. C'est le sort des «petites nations» non souveraines dont les actes politiques peuvent toujours être contestés par une autre juridiction parce qu'elles n'ont pas le monopole de leurs décisions.
Bref, la stricte symétrie entraîne des effets pervers:
1° Elle favorise d'interminables poursuites judiciaires, de telle sorte que les francophones du Québec doivent aller jusqu'à combattre les francophones du Canada anglais, tandis que le gouvernement québécois intervient pour réfuter les démonstrations des minorités francophones, et inversement. Les grands gagnants de ces confrontations sont les cabinets d'avocats anglophones payés avec l'argent des contribuables.
2° Le gouvernement fédéral accorde d'énormes subventions aux institutions et aux organismes anglo-québécois dont l'English Montreal School Board, le Quebec Community Groups Network et, auparavant, Alliance Quebec (1982-2005), sans parler des universités anglophones (McGill University et Concordia University). En vertu de la Loi sur les langues officielles de 1988, le gouvernement fédéral a dépensé, entre 1978 et 2022, plus de 3,4 milliards, dont deux milliards pour assurer la vitalité de l'anglais au Québec. De son côté, l'English Montreal School Board s'est servie de ses dizaines de millions pour combattre les lois du Québec en matière de langue, au lieu d'améliorer l'enseignement aux enfants anglophones. Cette institution, qui pratique le militantisme avec l'argent fédéral, est prête à aller jusqu'à la Cour suprême du Canada pour faire annuler les lois «trop» favorables au français. Dans les faits, c'est comme si l'English Montreal School Board était devenue un «cheval de Troie» canadien en territoire québécois.
La politique fédérale pratique davantage une politique de confrontation qu'une politique de protection! En voulant protéger les Anglo-Québécois, elle contribue à angliciser le Québec parce que c'est la langue la plus forte. Par l'immigration, cette politique favorise l'apprentissage de l'anglais aux immigrants, ce qui a pour effet de minoriser les francophones, y compris au plan politique. De ce fait, il n'est pas certain que la protection du français y ait gagné quelque chose, bien au contraire. Au lieu de consacrer son énergie à combattre l’application de la Charte de la langue française au Québec, le gouvernement fédéral pourrait faire preuve d'ouverture et s’associer au gouvernement du Québec afin de se doter d’une stratégie visant à renforcer la présence du français partout au Canada, y compris au Québec. Dans l'état actuel, le gouvernement fédéral pratique une politique de colonialisme qui dicte au Québec ce qu'il devrait faire pour sa minorité anglophone! Au lieu de vivre côte à côte, francophones et anglophones vivent dos à dos!
7.2 Droits individuels contre droits collectifs
La politique linguistique fédérale se trompe sur les techniques de protection employées. On accorde, surtout dans les provinces anglaises, des droits individuels aux francophones, alors qu'il faudrait leur consentir des droits collectifs. On n'a jamais voulu vraiment reconnaître de tels droits au Canada, à l'exception de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982. On croit que la démocratie est liée aux droits individuels et qu'elle est incompatible avec les droits collectifs.
Toute la législation fédérale accorde des droits aux individus, alors qu'il faudrait aussi donner des droits à la langue elle-même, c'est-à-dire au français. C'est que seuls les droits collectifs et territoriaux permettent de protéger efficacement une langue. Dans la mesure où les «régions désignées» ne valent que pour les services du gouvernement fédéral, elles ne correspondent qu'à une protection limitée, car elles ne sont pas prises en considération ni par les provinces ni par les municipalités. Il faudrait une politique englobant à la fois le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les municipalités. C'est même impensable au Canada!
Or, le gouvernement canadien croit que l'unité du pays passe obligatoirement par la propagation du bilinguisme institutionnel dans chacune des provinces. En réalité, le Canada refuse d'accorder des droits collectifs par crainte que ces droits ne soient utilisés à l'appui de menées sécessionnistes (surtout au Québec). Il subsiste une autre raison: la crainte que les droits collectifs ne réduisent ceux des anglophones du Québec ou, pire, ceux de l'Ontario ou ailleurs, ce qui paraît inacceptable. Ainsi, ce ne sont pas la langue des minorités qu'on reconnaît, mais uniquement les personnes appartenant à des minorités qui exercent leurs droits à titre individuel. Ce sont les individus qui ont des droits, pas la langue.
Dans sa politique linguistique, le gouvernement canadien a écarté toute orientation de nature territoriale, y compris au Québec, pour privilégier le bilinguisme institutionnel dans toutes les provinces canadiennes, un bilinguisme qui est rejeté partout, sauf au Nouveau-Brunswick. Au Canada, on ignore totalement l'efficacité des mesures de protection basées sur la territorialité ou on les rejette du revers de la main de peur que ce soit trop efficace! C'est une décision politique arrêtée depuis les années 1960. Le prétexte, c'était qu'on avait peur de créer des prétendus ghettos francophones! La réalité était tout autre: on ne voulait pas toucher aux droits des anglophones!
Or, le Canada aurait intérêt à voir ce qui se passe ailleurs, en Finlande par exemple, qui demeure un modèle digne d'intérêt à plus d'un titre, car ce pays a adopté une politique mariant à la fois les politiques basées sur les droits personnels et les droits territoriaux en misant sur les municipalités. Au Canada, alors que ce serait possible dans certaines provinces, on n'y pense même pas pour la même raison: par peur de voir réduire les droits des anglophones ou de devoir partager les droits linguistiques là où les francophones pourraient utiliser à leur avantage les rapports de force. En fait, les juridictions autonomes et distinctes font en sorte que les mesures adoptées par un gouvernement, que celui-ci soit fédéral ou provincial, ne sont même pas pris en compte par un autre. Cela explique en partie pourquoi toute protection territoriale est impensable au Canada. On ne veut pas d'harmonisation des politiques linguistiques. Encore une fois, ce genre de mesure est de toute façon écarté dans ce pays, car il fait peur par son efficacité; des mesures qui pourraient désavantager des anglophones unilingues.
- Des résultats inégalitaires
Cette politique d'uniformité des statuts linguistiques au Canada peut entraîner des résultats contraires dans les provinces anglophones et au Québec. On semble ignorer que des droits égaux accordés à des groupes inégaux aboutiront forcément à des résultats inégaux. Dans les provinces anglaises, la langue de la majorité n'est pas menacée; le Québec demeure un cas spécial, car même la langue de sa majorité est menacée. Dans l'état actuel des choses, les mesures de protection accordées aux minorités francophones des provinces anglaises se révèlent souvent préjudiciables au français au Québec lorsqu'on les applique à la minorité anglophone de cette province.
De la même façon, appliquer des critères restrictifs tant aux anglophones du Québec qu'aux minorités francophones hors Québec entraînerait des effets destructeurs pour ces dernières. On semble ne pas avoir compris que le français doit être protégé partout au Canada, y compris au Québec. La mise en œuvre d'une politique d'égalité théorique peut provoquer l'affaiblissement du français au Québec, sans pour autant entraîner une amélioration sensible du sort des francophones hors Québec. Il faudrait savoir que la justice distributive pour les langues ne passe pas par l'uniformité des statuts, mais au contraire par la diversité juridique de ces statuts et des mesures asymétriques à l'avantage de la langue minoritaire au plan national. Or, il semble que le Canada anglais refusera toujours de reconnaître au Québec un statut particulier, car cela signifierait une perte de contrôle pour le Canada anglais.
Il faut certes féliciter les initiatives du gouvernement fédéral dans ses efforts réels pour promouvoir le fait français au Canada, mais il faut également le mettre en garde contre les «effets pervers» de sa politique linguistique fondée sur une règle stricte d'égalité à des groupes inégaux. La Loi sur les langues officielles de 2023 ne va pas plus loin que la version précédente de 1988 à ce sujet. On peut y lire des dispositions déclaratives sur la nécessité de protéger le français qui est menacé, mais il s'agit de la même vision égalitariste préjudiciable pour le français au Canada. On y lit les mêmes dispositions pour la minorité anglaise du Québec. Si l'on se fie aux résultats du passé, on constate que la Loi sur les langues officielles de 2023 va encore assurer la pleine protection de cette «minorité» aux dépens des francophones parce que les langues sont des vases communicants.
- Des minorités provinciales, sans minorité canadienne
Pour le gouvernement canadien, seule prévaut la politique du dualisme linguistique d'un océan à l'autre pour chacune des provinces. Au point de vue juridique, il n'existe pas de minorité canadienne, mais seulement des minorités linguistiques provinciales (selon la Cour suprême du Canada) sur lesquelles le gouvernement fédéral n'exerce aucune juridiction, si ce n'est par la Constitution canadienne. Aussi paradoxal que ce soit, les minorités francophones (hors Québec) sont mieux protégées théoriquement par le gouvernement le plus éloigné du citoyen, c'est-à-dire le gouvernement fédéral. Au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'administration locale, par exemple le gouvernement provincial ou l'administration municipale, les mesures de protection deviennent quasi inexistantes, notamment à Terre-Neuve, en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Au Manitoba, en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Édouard, c'est le minimum juridiquement obligatoire dans les droits scolaires et dans les services publics.
- L'autonomie indésirable
Dans les faits, le Québec et ses aspirations identitaires n'intéressent guère le gouvernement fédéral, sauf quand ça va mal. Les nombreux refus de ce dernier reflètent non seulement des points de vue différents, mais également une grande indifférence, y compris sur les questions linguistiques parce que le Canada anglais n'a pas de problème à ce sujet. Depuis que François Legault est devenu premier ministre du Québec, le 18 octobre 2018, il a tenté à plusieurs reprises, mais sans succès, d'obtenir des gains auprès du premier ministre du Canada (Justin Trudeau), notamment en matière d'immigration. Les refus furent multiples et constants parce que le gouvernement fédéral, jaloux de ses prérogatives, veut garder le contrôle sur ses frontières et sur sa province autonomiste. De toute façon, le Canada anglais ne veut pas d'une autonomie pour le Québec, car cela se traduirait par des pouvoirs élargis qu'il n'aurait pas!
Pourquoi faut-il constamment rappeler que les francophones du Québec sont minoritaires au Canada et en Amérique du Nord, et que la culture québécoise fait partie de cette diversité qui enrichit le monde, alors qu'elle est menacée par le rouleau compresseur anglo-américain? Rien n'y fait, il faut toujours protéger la langue anglaise au Québec comme si elle était menacée, afin de tenter de sauvegarder le français hors Québec, c'est le prix à payer. En réalité, ce qu'on comprend, c'est que le Canada anglais vise surtout à protéger sa langue! C'est là une attitude normale, bien que colonialiste, pour une majorité souveraine!
D'ailleurs, l'adoption de la Loi de clarification en 2000 en est un exemple probant de manque de confiance envers les partenaires provinciaux. Cette loi, appelée plus familièrement «loi sur la clarté», précise les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait entreprendre une négociation sur la sécession d’une province, mais dans les faits la loi vise particulièrement le Québec, seule province majoritairement francophone. La Loi de clarification a opté pour l'ambiguïté, car elle ne prévoit pas définir les éléments nécessaires pour que le résultat référendaire soit contraignant. Au contraire, le Parlement canadien ne serait pas tenu de reconnaître le résultat référendaire puisque c'est le Parlement fédéral qui, après coup, déciderait unilatéralement s'il y a lieu de le reconnaître. Le Québec a répliqué en décembre 2000 par la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec. Encore une fois, le Canada est constamment en confrontation avec les provinces pour la préservation, voire l'expansion de ses propres pouvoirs, et les appliquer de force au Québec.
7.3 Le monde de la protection idéale
Dans un monde idéal, le gouvernement canadien ne devrait même pas promouvoir l’anglais au Québec. Il faudrait éviter que l'anglais fasse tache d'huile dans cette province francophone et qu'il se propage aux dépens du français. C'est l'une ou l'autre possibilité, et non pas croire en une illusoire harmonie parce que les groupes ne sont pas égaux au Canada et que les langues deviennent des vases communicants. Quant l'une avance, l'autre recule ou l'inverse en raison de la disproportion des groupes linguistiques au Canada! Actuellement, dans tous les recensements nationaux, la proportion des francophones recule dans toutes les provinces, y compris au Québec où pas moins de 81 des quelque 100 municipalités les plus importantes du Québec ont enregistré un recul de la part du français comme première langue officielle parlée entre 2016 et 2021.
- La souveraineté linguistique et culturelle
Le gouvernement fédéral ne comprends pas — même s'il le comprenait, il ne changerait pas son approche — que le Québec doit être le seul juge et le seul responsable de sa culture et de sa langue, bien que ce soit inacceptable pour un anglophone. Il faudrait qu'on laisse le Québec décider de ses projets, de ses orientations et de ses choix linguistiques et culturels, sans intervenir pour imposer une idéologie anglo-saxonne qui ne cadre pas avec des valeurs qui ne sont pas les siennes. Même la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (1975) est interprétée par des juges nommés par Ottawa pour uniformiser le contenu des droits d'un océan à l'autre, y compris au Québec. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 et l'interprétation que les juges en font deviennent la règle des droits.
Pour aller plus loin, le Québec devrait être doté de la pleine souveraineté culturelle et linguistique, ce qui inclut l'immigration. Cela signifie que la Cour suprême du Canada (composée de trois juges du Québec sur neuf) ne devrait même pas être habilitée à rendre des arrêts sur les problèmes linguistiques au Québec dans le but de renverser les décisions des juges québécois et les lois du Parlement québécois au profit des anglophones du Canada et de leurs valeurs; seule une cour suprême du Québec devrait intervenir. Le Québec devrait être l'unique maître d'œuvre de sa politique linguistique pour faire vivre sa population minoritaire au Canada en français! Bref, la Cour suprême du Canada ne devrait pas avoir juridiction au Québec sur la culture et la langue! Mieux, la Constitution canadienne ne devrait pas s'appliquer au Québec en matière de langue et de culture. Encore au XXIe siècle, le Canada anglais agit comme empire colonial qui dicte au Québec les vraies valeurs qu'il devrait adopter, celles du multiculturalisme et du multilinguisme à l'exemple des autres provinces anglo-canadiennes.
Or, cette attitude d'une juridiction disposant d'un quasi-monopole de la légitimité politique est tout à fait normale dans une fédération! Pour quelle raison le gouvernement fédéral du Canada accepterait-il de perdre de ses pouvoirs ou de les partager volontairement, alors que rien de lui oblige. De plus, le Québec pourrait prendre des décisions avec lesquelles Ottawa ne serait pas d'accord! Bref, le Québec peut faire ce qu'il veut, mais aux conditions et aux contraintes acceptées par le gouvernement fédéral. Cela signifie ne jamais toucher à la langue anglaise et consentir à vivre avec la concurrence de cette dernière aux conditions prescrites par un autre gouvernement!
- Les conséquences d'être une majorité faible
Nombreux sont les députés et les fonctionnaires fédéraux, même parmi les francophones, qui ne comprennent absolument pas ou ne veulent pas comprendre les conséquences problématiques chez une majorité fragile comme les francophones du Québec. Tout ce beau monde est même prêt à monter aux barricades pour la moindre restriction de l'anglais au Québec et surtout pour la «trop» grande protection pour le français, alors que ces mêmes «militants» pour l'anglais demeurent muets quand les provinces anglaises abolissent des services en français dans le reste du Canada. Ils en sont encore à promouvoir l'anglais comme la vache sacrée au Canada, incluant le Québec, comme si cette langue était en danger imminent de disparition. C'est le monde à l'envers en matière de protection, mais dans le monde de la politique cette attitude est tout à fait normale! En dernière analyse, comme c'est le cas dans des situations similaires (Catalogne, pays de Galles, Corse, province de Bolzano, etc.), ce n'est pas le Québec qui détient le gros bout du bâton, mais le gouvernement central !
En matière de protection linguistique, il ne devrait y avoir aucune réserve ni restriction de la part du Canada anglais dans la sauvegarde du français au Canada. Le Canada anglais devrait au contraire prendre tous les moyens pour protéger sa minorité canadienne de langue française, incluant le Québec, au lieu de s'acharner sans répit à la combattre depuis près de deux siècles, et ce, pour protéger l'anglais au Québec, dont c'est objectif réel en définitive. Cette situation démontre que tous les gouvernements de la fédération canadienne ignorent totalement les mesures de protection efficaces à l'égard des minorités; ou bien ils en sont conscients, mais ils les écartent de peur de perdre des pouvoirs dont ils ont la possession exclusive.
- L'ADN des majoritaires
La vérité, c'est que les anglophones du Canada vont toujours vouloir protéger leur langue au Québec parce que c'est dans leur ADN de majoritaires. Ils n'accepteront jamais des restrictions venant de francophones minoritaires au sein d'un continent nord-américain massivement anglophone. Toute forteresse linguistique leur paraît inacceptable et doit être combattue à tout prix, que ce soit par la culpabilisation ou le chantage, par le recours à des lois dissuasives ou coercitives, même appliquées rétroactivement, ou par des jugements prévisibles par les tribunaux.
Les représentants du gouvernement fédéral trouvent toujours les mêmes justifications de leurs actes quand cela concerne le Québec, dont celles de l'ouverture aux autres, de l'inclusion, de la protection des minorités, etc., pendant que l'ouverture envers le Québec est toujours mal vue, que son inclusion dans la fédération n'est valable qu'à certaines conditions et que la protection ne vaut que pour les anglophones du Québec. Décidément, les dirigeants du Canada n'ignorent pas vraiment les mesures réelles de protection à l'égard des minorités, car ils les appliquent quand il s'agit des Anglo-Québécois.
Par voie de conséquence, l'ADN des majoritaires n'existe à peu près pas chez les francophones du Québec. D'ailleurs, les militants et les politiciens les moindrement nationalistes se sentent toujours mal à l'aise de faire «comme s'ils étaient majoritaires», car ils savent qu'il y aura de fortes réactions culpabilisantes, et ce, autant chez les francophones que chez les anglophones. L'aboutissement de cette stratégie, c'est que la victime se met à défendre son bourreau dans une sorte de rapport amour-haine. En fait, les Québécois sont portés à ignorer que les politiques de leur gouvernement provincial seront toujours fragiles parce qu'elles sont sous haute surveillance de la part d'une communauté anglo-canadienne qui veille au grain. La légitimité d'une petite nation non souveraine sera toujours relative et vue comme suspecte par la majorité nationale!
- Les solutions
Les solutions ne sont pas légion, mais elles existent et elles sont toutes politiques.
1) Le statut quo: les Québécois risquent de devoir livrer des combats à perpétuité, des combats toujours inégaux dans lesquels ils vont en sortir presque obligatoirement perdants. C'est le sort de tous les majorités locales ou des petites nations qui doivent composer avec un gouvernement central plus fort.
2) La solution suisse: le Québec deviendrait un territoire unilingue français selon le principe de la territorialité, ce qui se révèle très différent du bilinguisme administratif appliqué actuellement au Canada par le gouvernement fédéral; selon ce principe, l'administration fédérale n'utiliserait que la langue française au Québec. Ainsi, un anglophone ne pourrait exiger un service en anglais que par un bureau fédéral à Ottawa (pas à Montréal, par exemple), bien qu'il puisse envoyer ses enfants dans une école anglaise avec l'apprentissage obligatoire du français.
3) Une province autonome: les Québécois pourraient élaborer toutes les politiques linguistiques qu'ils désirent, sans se faire taper sur les droits à la moindre «trop» grande protection de leur langue française. Il y a cependant un obstacle majeur: la ténacité inébranlable du gouvernement fédéral à ne jamais vouloir céder le moindre de ses pouvoirs. Il en demeure pas moins que ce pourrait être une solution acceptable d'accorder à la seule province francophone du pays un statut particulier du type «province autonome», avec les pouvoirs d'un quasi-État souverain en matière de langue, de culture et d'immigration.
4) Une confédération canadienne: il s'agit d'une variante de la solution précédente qui aurait le mérite de créer un véritable État souverain dans lequel le Québec partagerait les responsabilités, par exemple, en matière de défense, de monnaie et de certains domaines législatifs qu'il consentirait non par la force, mais volontairement. Dans cette solution similaire à celle de l'Union européenne, le Québec et le Canada formeraient deux pays dans une «Union canadienne» avec certaines responsabilités communes. Ce n'est pas demain la veille que le Canada anglais accepterait ce genre d'entente «de nation à nation» avec le Québec; il est prêt à le faire avec les autochtones, mais pas avec les Québécois. C'est une formule qui s'apparente avec celle d'un «État associé» comme il en existe à Porto Rico et en Finlande avec la province d’Åland.
5) L'indépendance politique: étant donné que le principal frein à la protection du français est d'ordre politique, en devenant un État souverain, l'indépendance politique réglerait le problème, à la condition que, au moment d'un éventuel traité de sécession, les Québécois ne seraient pas soumis à des obligations équivalentes à celles dans lesquelles ils sont contraints aujourd'hui.
Quand on sait que le Canada anglais n'est même pas prêt à reconnaître dans la Constitution le Québec comme une société distincte, on doit admettre que le statut de cette province est coulé dans le béton et qu'il n'a aucune chance d'être modifié. Étant donné que les solutions 2, 3 et 4 ne sont guère à la portée de main parce que le rapport de force du Québec face au gouvernement fédéral est quasi nul et qu'il faudrait modifier la Constitution canadienne (alors que c'est quasi impossible), les Québécois doivent accepter sans rechigner les contraintes du Canada anglais et adopter la perpétuelle politique des lamentations. C'est dans la nature de la fédération canadienne actuelle, comme pour tout État central (sauf exception), de ne rien céder de ses pouvoirs à moins d'y être obligé.
Quant aux Québécois, beaucoup vont même se sentir «coupables» de «trop» protéger leur langue française. D'ailleurs, on va leur faire comprendre qu'ils y vont probablement «un peu fort» et qu'ils doivent assurer les droits des anglophones, parce que c'est là le véritable enjeu pour le Canada anglais au moyen de la culpabilisation politique. On se demande bien pourquoi les Québécois ne font pas de même à l'égard du Canada anglais. Le pauvre Québec limité dans son expansion par le gros méchant Canada anglais!
Finalement, les Québécois vont devoir continuer à vivre dans l'ambiguïté pour longtemps, en croyant qu'ils sont majoritaires, alors que c'est leur statut de minoritaires qui prime pour le Canada anglais. De plus, contre toute logique, beaucoup de Québécois ne voient aucun inconvénient à accorder leur vote à un parti indépendantiste (au fédéral comme au provincial), alors qu'ils sont contre l'indépendance du Québec! L'échec de l'accord du lac Meech en 1987, qui incarnait un Québec plus autonome au sein de la fédération canadienne, devrait rappeler que le Canada anglais ne veut pas de cette autonomie pour le Québec, surtout si la différence se traduisait par des pouvoirs élargis.
7.4 La situation des francophones hors Québec
Non seulement les francophones du Québec ne sont pas au bout de leur peine, mais leur situation ne se compare même pas à celle des «francophones hors Québec», selon l'expression consacrée au Canada. Depuis le début de la création du Canada en 1867, les provinces anglaises ont tout fait pour interdire l'enseignement du français, ce qui a contribué avec succès à la diminution des populations francophones dans tout le reste du pays. Il suffit de rappeler l’histoire de Louis Riel et des Métis dans l’Ouest, qui furent violemment réprimés, ainsi que l'épisode funeste du fameux règlement 17 en Ontario, au début du XXe siècle. On pourrait multiplier les exemples du genre dans toutes les provinces anglaises.
- Les provinces récalcitrantes
Cette politique d'assimilation généralement encouragée a perduré jusqu'à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, dont l'article 23 devait assurer un enseignement du français aux minorités provinciales dans toutes les écoles des provinces anglaises. Cependant, sauf au Nouveau-Brunswick, la plupart des provinces se sont trainé les pieds pendant au moins une décennie, voire deux, avant d'offrir des écoles à leurs «ayants droit». Il a fallu l'intervention à grands frais des tribunaux, y compris la Cour suprême, pour forcer certaines provinces à respecter cet article 23 de la Constitution canadienne. Après quatre décennies, notamment dans l'Ouest canadien, les autorités locales ont encore tendance à accorder des infrastructures scolaires de moindre qualité aux francophones, par exemple des écoles sans gymnase, sans cafétéria ou sans bibliothèque, ou éloignées d'un centre-ville. Malgré tout, les francophones ont réussi à force de multiples combats judiciaires et financiers à se doter de nombreuses institutions, surtout des écoles. Pour sa part, le gouvernement fédéral a octroyé des milliards pour la promotion du français hors Québec.
- La minorisation persistante des francophones
Pourtant, le français, l'une des deux langues officielles du
Canada, continue de décliner depuis une soixantaine d’années dans les
provinces anglaises, même au Québec. En 1971, les francophones hors Québec représentaient
6,0 % de la population canadienne, puis graduellement cette proportion était
tombée à 3,3 % en 2021:
1971 | 1981 | 1991 | 2001 | 2011 | 2021 |
6,0 % | 4,9 % | 4,6 % | 4,2 % | 3,7 % | 3,3 % |
En 1971, la proportion de tous les francophones au Canada, y compris le Québec, était de 27,2 %. Le poids du français s'est donc amoindri au Canada puisque la proportion des Canadiens pour qui il s'agit de la première langue officielle parlée a en fait diminué en passant de 22,2 % en 2016 à 21,4 % en 2021. De plus, le Québec n'y échappe pas dans la mesure où si le nombre de locuteurs employant le français y a augmenté, passant de 6,4 millions à 6,5 millions, leur poids démographique, lui, a diminué en passant de 79 % à 77,5 %. Bref, la proportion des francophones au Québec diminue également, quoique de façon moindre.
- Les taux d'assimilation des francophones
Quant au taux d'assimilation des
francophones hors Québec, il est extrêmement élevé (selon les données de
2021), bien que moindre au Nouveau-Brunswick:
Province | Taux d'assimilation | Province | Taux d'assimilation |
Nouveau-Brunswick | 12 % | Île-du-Prince-Édouard | 55 % |
Nunavut | 33 % | Manitoba | 58 % |
Yukon | 40% | Alberta | 63 % |
Territoire du Nord-Ouest | 44 % | Terre-Neuve-et-Labrador | 64 % |
Ontario | 44 % | Colombie-Britannique | 68 % |
Nouvelle-Écosse | 54 % | Saskatchewan | 74 % |
Des campus francophones hors Québec ferment leurs portes les uns après les autres, pendant que d'autres «militants» doivent lutter pour survivre face à des gouvernements provinciaux souvent hostiles, comme c'est le cas en Alberta, en Saskatchewan et en Ontario, pour ne nommer que ces seules provinces. Même les francophones du Québec et du Nouveau-Brunswick, qui bénéficient d'une protection linguistique beaucoup plus importante, accusent des reculs significatifs. Les données statistiques de 2021 démontrent, par exemple, que la proportion des locuteurs, dont la première langue parlée est le français, a chuté dans la plupart des régions du Québec, cette baisse étant plus marquée dans le Nord-du-Québec (-3,6 points de pourcentage), à Laval (-3 %), à Montréal (-2,4 %) et en Outaouais (-2,4 %). De plus, l'immigration, qui augmente partout au pays, profite à la langue anglaise, ce qui mène à une perte du poids du Québec dans la fédération.
Dans les faits, le relèvement du statut du français par le Canada fédéral n'a pas modifié le sort des minorités francophones du pays. Si l’on fait exception des francophones du Québec et du Nouveau-Brunswick, toutes les minorités francophones du Canada continuent de subir l'assimilation dans des proportions jugées «dramatiques», allant de 33% à 75%, selon les provinces; au plan local, c'est-à-dire dans certaines municipalités, ce taux dépasse les 90%. Il s'agit là d'un échec cuisant, même si d'année en année les fonctionnaires fédéraux se défendent en affirmant que la Loi sur les langues officielles (1988) n'avait pas pour objectif de freiner l'assimilation des minorités, mais de leur donner des droits, des droits individuels pas toujours faciles à faire respecter.
- Les lacunes récurrentes du bilinguisme
Dans son rapport d'octobre 2000, la commissaire aux langues officielles, Mme Dyane Adam, qualifiait alors d'«inacceptable» et d'inquiétante la situation d'ensemble du bilinguisme officiel au Canada:
Il est inacceptable, après trois décennies et en dépit de nombreuses interventions des commissaires successifs, que nous devions, année après année, relever autant de lacunes récurrentes dans les bureaux fédéraux désignés pour offrir les services dans les deux langues officielles et dénoncer les inerties persistantes des institutions fédérales. |
La commissaire avait reproché l'«attitude passive, sinon défensive» des institutions fédérales à ce chapitre. Elle constatait aussi que les dirigeants fédéraux demeuraient «muets et timides», notamment face à la décision du gouvernement ontarien de faire d'Ottawa une capitale unilingue anglaise. Elle affirmait que le gouvernement canadien «manquait de volonté ferme» à l'égard de la pleine mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles (1988). Le rapport ne mentionnait pas que 85% des plaintes provenaient des francophones et que 35% d'entre elles étaient issues de la capitale nationale. Plus
précisément, on ne fait mention ici que des politiques du gouvernement fédéral,
alors que certaines politiques provinciales peuvent être carrément hostiles aux
minorités francophones. Dans son Rapport annuel 2023-2024, le
commissaire aux langues officielles, M. Raymond Théberge, écrivait ces mots,
trente-cinq ans plus tard:
Je dois noter que, même si la loi a
déjà 54 ans au compteur, d’importants problèmes de
conformité persistent. En fait, le plein respect des droits et des
obligations linguistiques se fait attendre à plusieurs égards. Les plaintes
reçues par le Commissariat au fil des ans et les enquêtes qu’il a menées
attestent que plusieurs institutions fédérales ne prennent pas leurs obligations
linguistiques au sérieux. [...] |
En conclusion, on peut affirmer que la fédération canadienne se montre tout à fait incapable de protéger efficacement ses minorités francophones, et ce, en dépit des lois linguistiques et des prescriptions constitutionnelles. Si le Canada avait toujours protégé ses francophones depuis 1867, on en verrait les résultats aujourd'hui avec au moins une certaine stabilité dans la proportion du nombre des francophones par rapport à celui des anglophones. Or, si l'on se fie uniquement aux résultats actuels, il faut admettre que la fédération canadienne en est arrivée à un même constat que si elle avait adopté des politiques linguistiques assimilatrices qu'on trouve dans de grands pays tels les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Espagne, etc. La politique d'assimilation aurait été programmée depuis les quatre ou cinq dernières décennies qu'on serait arrivé presque au même résultat. Sans compter que chacune des lois linguistiques adoptées par le Québec a été systématiquement contestée par l'État fédéral et elles le seront encore dès qu'elles seront perçues comme allant «trop loin», comme c'est le cas avec la Loi sur la laïcité de l'État (n° 21) et la Loi sur la langue officielle et commune du Québec (n° 96).
- Les mauvais moyens de protection
Autrement dit, le Canada ne fait pas mieux que les autres pays assimilateurs, en dépit de réels efforts pour tenter de sauvegarder la présence française au pays. Il faut croire que les moyens pour atteindre cet objectif ne sont pas vraiment les bons. L'un des moyens entrepris consiste à accorder uniquement des droits personnels, alors qu'il faudrait miser le plus possible sur des droits collectifs et des droits territoriaux, y compris dans les provinces, dans les villes ou les districts, ce que le Canada anglais n'a jamais voulu faire. Probablement parce que de tels droits seraient «trop efficaces» au goût des majorités anglophones qui devraient se partager les mêmes droits!
Le régime canadien a fait en sorte qu'il deviendra bientôt impossible de vivre en français dans les provinces à l'ouest du Québec et à l'est du Nouveau-Brunswick. Il reste aux Québécois et, si possible, aux Acadiens de faire en sorte que ce scénario ne se répète pas chez eux. Mais ce ne sera pas facile!
8 Le coût du bilinguisme au Canada
Les Canadiens s'interrogent souvent sur le coût du bilinguisme dans leur pays. Est-ce que les millions dépensés à ce sujet valent le coût? Qu'est-ce qu'on entend par «coût»? S'agit-il de traduction des documents publics? des frais d'impression dans les deux langues? de la formation linguistique des fonctionnaires? Quoi encore? Des coûts des programmes des gouvernements provinciaux? des universités? des autres établissements d'enseignement? 8.1 Les dépenses dues au bilinguisme Dans un rapport publié en 2009 et intitulé Official Language Policies at the Federal Level in Canada: Costs and Benefits in 2006, l'Institut Fraser du Canada, réputé pour son penchant pour les politiques de droite, estimait que les dépenses fédérales pour le bilinguisme se situaient entre 1,6 et 1,8 milliard de dollars, ce qui incluait des transferts aux provinces d'environ 200 millions. Ce coût représentait à peine plus d'un dixième de 1 % du PIB en 2006-2007, année de référence des auteurs de l'étude, soit 55 $ par habitant annuellement. Une autre étude de l'Institut Fraser (voir le texte, s.v.p.) a fait suite à la précédente en 2011: si l'on ajoute à ce total la somme de 1,5 milliard de dollars que le gouvernement fédéral consacre au bilinguisme, les services bilingues coûtaient 2,4 milliards de dollars par an, soit 85 $ annuellement par personne, aux contribuables canadiens.
8.2 Les effets positifs
En réalité, les sommes consacrées au bilinguisme ne représentaient à peine plus d'un dixième de 1 % du PIB en 2006-2007, ce qui correspond en réalité à une bien maigre dépense, soit 0,5 % des dépenses gouvernementales annuelles. Autrement dit, si le coût du bilinguisme en 2011 était de 85 $ par citoyen par année et si cette «dépense» permet de maintenir la stabilité politique du Canada, c'est, peut-on dire, un coût fort acceptable! C'est même un très bon investissement pour maintenir la paix sociale! Pendant ce temps, les seules dépenses militaires du Canada s'élevaient en 2009 à plus de 21 milliards de dollars, soit 740 $ par habitant. Vaut-il mieux dépenser 740 $ par habitant pour la guerre ou 85 $ pour la paix? Il est inutile de répondre à ce qui va de soi.
Lorsqu'on compare le coût annuel pour les provinces pour assurer des services dans la langue de leur minorité, on constate que c'est l'Ontario qui dépense le plus, soit 620 millions d dollars, pour ses services bilingues, ce qui correspond à 1275 $ par francophone. Le Québec dépense 50 millions et 88 $ par anglophone, mais Terre-Neuve, avec seulement 3,4 millions de dollars, dépense 1780 $ par francophone.
Province (2011) | Minorité | Coût en millions de dollars/année | Coût par membre de la minorité |
Québec | anglophone | 50 millions | 88 $ |
Ontario | francophone | 620 millions | 1275 $ |
Nouveau-Brunswick | francophone | 85 millions | 357 $ |
Alberta | francophone | 33 millions | 534 $ |
Colombie-Britannique | francophone | 23 millions | 426 $ |
Nouvelle-Écosse | francophone | 18 millions | 540 $ |
Manitoba | francophone | 16 millions | 410 $ |
Saskatchewan | francophone | 9,6 millions | 640 $ |
Île-du-Prince-Édouard | francophone | 5,1 millions | 946 $ |
Terre-Neuve | francophone | 3,4 millions | 1780 $ |
Gouvernement fédéral | francophone | 1 500 millions | 85 $ |
Bref, c'est au Québec et au gouvernement fédéral que le coût par individu minoritaire coûte le moins cher (respectivement 88 $ et 85 $). Pour un gouvernement provincial, ces sommes ne représentent qu'une infime portion de son budget annuel.
Dans beaucoup de journaux américains, le modèle Canada-Québec (mais aussi la Belgique) est souvent cité comme un bel exemple de balkanisation, voire de libanisation, lorsque le bilinguisme s'introduit dans un pays. Les Américains ne veulent pas que le modèle du bilinguisme canadien se transpose dans leur propre pays. Si les Canadiens tentent, de façon inégale il est vrai, de protéger leurs minorités de langue officielle (l’anglais au Québec et le français ailleurs), les Américains ont élaboré des mesures transitoires qui consistent faire patienter les minorités, en attendant de les assimiler la société anglo-américaine. Le Canada veut protéger ses minorités historiques, les États-Unis les ignorent, mais ce faisant le Canada bénéficie d'une paix linguistique qui peut servir de modèle, bien qu'imparfait, à d'autres pays.
Certes, le gouvernement fédéral du Canada a fait de grands progrès en matière de politique linguistique, surtout depuis les années 1960. Quand on part de très loin, le moindre effort de redressement devint une réforme considérable. Ce gouvernement est devenu un acteur majeur dans ce domaine au Canada. Il est aussi devenu le principal défenseur des droits linguistiques des minorités, sauf pour les francophones du Québec, considérés comme une majorité qui n'a pas besoin de protection.
Il semble que la politique de bilinguisme égalitaire n'ait pas fait tache d'huile au Canada, sauf au Nouveau-Brunswick. Si l'on fait exception du Québec, de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, les gouvernements provinciaux n'ont accordé que des droits limités ou n'ont reconnu que les droits prescrits par la Cour suprême du Canada. Dans certains cas, les provinces, après l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, n'ont même pas respecté le minimum formel prévu dans les dispositions constitutionnelles. Il a fallu près de vingt-cinq ans de contestations judiciaires et d'arrêtés de la part de la Cour suprême du Canada pour faire respecter la Constitution canadienne dans certaines provinces récalcitrantes; c'était vingt-cinq ans de gagné! Il en est résulté des politiques linguistiques contradictoires et concurrentielles, parfois carrément réactionnaires. Aujourd'hui, toutes les provinces récalcitrantes ont fini par ramer dans le sens du courant en accordant le minimum prévu par la Constitution (l’article 23 de la Charte des droits et libertés).
Néanmoins, il y a encore énormément d'efforts à faire pour parvenir à une véritable égalité à l'extérieur du Québec, sans parler des autres provinces. Au plan politique, la francophonie canadienne a subi des revers en Ontario, avec les coupes de l’administration Ford au Commissariat aux services en français et à l’Université de l’Ontario français; au Nouveau-Brunswick, le climat institutionnel et social aurait dégénéré suivant l’élection d’un gouvernement de coalition chevillé par un parti voué à combattre le bilinguisme. Les efforts du gouvernement canadien risquent de ne plus porter fruit, car les limites dans la protection linguistique sont atteintes dans le cadre de la protection juridique actuelle.
C'est la fédération elle-même qui n'a pas été conçue pour le respect des minorités de langue officielle! En juin 2018, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de réviser la Loi sur les langues officielles (1988), qui avait grand besoin d'être modernisée, car elle n’avait pas atteint tous les objectifs des législateurs, surtout à l’heure où les minorités francophones sont victimes d’attaques frontales dans certaines provinces. La version de 2023 de la Loi sur les langues officielles n'apporte malheureusement que des modifications mineures qui ne changeront pas la dynamique des droits égaux accordés à des groupes inégaux, car c'est la même politique linguistique qui prévaut. Le développement de nouveaux champs d’activité, l'arrivée de nouveaux modes d’action et l'instauration de nouveaux outils technologiques de communication auraient dû favoriser un changement de paradigme. Rien n'a bougé!
En fait, il faudrait de nouvelles négociations constitutionnelles pour aller plus loin et parvenir à plus de justice, mais beaucoup de Canadiens affirment en avoir ras le bol de ces négociations qui n'aboutissent jamais à rien. De toute façon, il est devenu aujourd'hui presque impossible de modifier la Constitution du Canada, sans d'interminables magouilles politiques inacceptables dans un pays démocratique. À long terme, si le Canada se montre toujours incapable de trouver une solution à ce problème, il laisse de grandes possibilités au cancer qui le ronge de se généraliser. Dans les faits, il faudra sans doute attendre plusieurs décennies avant de s'attaquer au problème.
Finalement, Il faut comprendre qu'une majorité linguistique n'est jamais prête d'elle-même à partager sa prédominance avec une langue minoritaire. Elle cherchera toujours à ne perdre aucun acquis et à perpétuer ses avantages que lui procure sa supériorité démographique qui lui donne les pleins pouvoirs. Si la minorité se montre incapable de lui tenir tête, elle ne pourra arrêter son propre déclin.
Dernière mise à jour: 09 nov. 2024
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