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L'île de Chypre
2)
Données historiques |
1 Une île maintes fois reconquise
Des fouilles archéologiques ont permis de déceler la présence dans
l'île d'une première civilisation dès le néolithique. En raison de sa position
stratégique sur la Méditerranée, Chypre fut donc, dès le début du IIIe millénaire
avant notre ère, un important carrefour commercial. La culture grecque fut introduite à
Chypre par les Achéens qui dominèrent l'île au deuxième millénaire avant notre
ère.
1.1 La présence
grecque
À partir du Ier millénaire, surtout vers -770, les Grecs, qui étaient d'excellents navigateurs,
commencèrent à installer des colonies autour de la Méditerranée. De façon progressive, ils fondèrent des cités grecques en Italie, en Sicile, au
sud de la Gaule, en Espagne, à l'île de Chypre, en Asie Mineure et autour du
Pont-Euxin (aujourd'hui la mer Noire). Par conséquent, l'île de Chypre abrite
depuis fort longtemps une population grécophone.
Par la suite,
Chypre devint rapidement la cible d'invasions étrangères. Les Égyptiens
occupèrent une partie de l'île vers 1400 (avant notre ère). Au cours des siècles
suivants, lîle vécut sous la domination des Assyriens (VIIIe), des Égyptiens (vers -550), des Perses
(-525) jusquà sa conquête par Alexandre le Grand en
-333, qui en fit encore une île grécophone. Lors du partage de lempire dAlexandre en
-323,
Chypre échut au général Ptolémée désigné «satrape d'Égypte»; l'île entière resta une possession
gréco-égyptienne de langue grecque jusquà la
conquête romaine de -58.
1.2 L'Empire
romain/byzantin (45-1191)
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Lîle de Chypre devint
une province romaine avec la Cilicie, puis elle se christianisa à partir de 45
de notre ère; devenus romains, les Chypriotes commencèrent à se
latiniser, car contrairement à tous les peuples de l'Empire romain d'Orient romain
les Chypriotes accordèrent une place croissante au latin.
Les Romains construisirent des cités dans lesquelles
vivaient des esclaves, des agriculteurs, des travailleurs et d'un
petit nombre de riches citoyens romains qui appuyaient sans retenue
l'autorité de Rome. Dès la fin du 1er
siècle, les Chypriotes prêtèrent serment de fidélité à l'empereur.
Cependant, au point de vue culturel, Chypre
appartenait au monde grec. Cette province romaine faisait partie des
régions de l'Empire dans lesquelles les Romains communiquaient
normalement en grec avec leurs administrés (voir la carte
ci-contre). Les
documents officiels, d'abord rédigés en latin, étaient
systématiquement traduits en grec dans les provinces dites
hellénophones, dont Chypre faisait partie. Le latin devint ainsi à cette époque une
langue administrative, le grec une langue culturelle. Ce fut une
période de bilinguisme diglossique, donc réparti selon les
fonctions et les nécessités de la communication.
La situation du bilinguisme gréco-latin fut la
base de nombreux emprunts du latin au grec. D'ailleurs, l'influence
du grec sur le latin fut immense, car de nombreux auteurs
ont fourni des exemples d'interférences grecques en latin. |
Cependant, même si le grec se portait bien dans
un empire latinisé, les invasions germaniques et la disparition de
l'Empire romain
d'Occident portèrent
un coup mortel à l'étude du grec dans toutes les contrées où la
langue n'était pas celle du peuple.
En 395, à la mort de l'empereur Théodose,
l'empire fut partagé en deux parce qu'il paraissait trop vaste pour être
gouverné adéquatement. L'Empire romain d'Occident disparut le 4
septembre 476, lorsque le roi Odoacre déposa l'empereur Romulus Augustule. Pour
les contemporains de l'époque, l'Empire romain continuait d'exister grâce à
l'empire d'Orient. En 395,
l'Empire romain d'Orient privilégia
le grec comme langue officielle. Chypre
devint le siège dune Église autocéphale orthodoxe puissante
en 431; les habitants se hellénisèrent
rapidement, car le grec étant la langue officielle de lEmpire byzantin.
Dès le Ve
siècle, l'Empire romain d'Orient constituait un État multiethnique intégré
culturellement au monde grec. Non seulement la Grèce et l'île de Chypre
parlaient le grec, mais la péninsule anatolienne (l'Asie Mineure) abritait
un grand nombre de locuteurs hellénophones, tandis que la culture et la
langue grecques représentaient alors le monde moderne. L'élite byzantine
parlait le grec, ainsi que les Grecs, les Chypriotes et certains Romains
instruits.
1.3 Les tutelles
arabe, franque et vénitienne
Au VIIe siècle, les Arabes accélérèrent
leurs aspirations à la domination de l'Europe. Le calife de Syrie, Moavia (Muawiya) ou Abū Abd Ar-Raḥmān Muʿāwiya ibn Abī Sufyān
(602-680), s'en prit à
la souveraineté des Byzantins et décida d'occuper Chypre pour en
faire une base navale arabe dans le but d'attaquer ensuite les territoires
byzantins d'Asie centrale. L'île fut conquise en 649, suivie des îles de Rhodes et de
Kos en 654, la marine byzantine subissant alors de lourdes défaites. Une fois
installé à Chypre, Moavia exigea des habitants de se rendre et d'embrasser
l'islam. Devant le refus des Chypriotes, le calife syrien parcourut
l'île en détruisant, en pillant, en capturant et en massacrant ses
prisonniers. En 653, il entreprit de détruire les églises
chrétiennes et de massacrer les habitants; les rescapés durent se réfugier
dans les montagnes et les forêts.
- La co-administration arabo-byzantine (688-1191)
Plutôt que de tenter chacune de conquérir
l’île, les deux puissances rivales, Byzance et le califat arabe, décidèrent
en 688 de signer un traité de co-administration de l'île de Chypre. Le traité
signé par l'empereur Justinien II et le calife Abd al-Malik fit en sorte
que, durant les 300 années qui suivirent, Chypre fut dirigée conjointement
par les Arabes (sur le plan politique, fiscal et militaire) et par les
Byzantins (sur les plans religieux et administratif), malgré les luttes
constantes entre les deux parties sur le continent.
Les
Chypriotes grecs subirent alors l’influence de la langue arabe.
Cette période de co-administration (un condominium) s'étendit jusqu'en 965,
quand l'empereur byzantin Nicéphore Phocas reconquit l'île.
Peu de temps après eut lieu le schisme de 1054 (voir
le texte), la rupture survenue entre l’Église de Rome (l'Occident)
et l’Église de Constantinople (l'Orient).
- Un royaume franc
(1192-1489)
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Le roi Richard Ier
d'Angleterre, dit «Cœur de Lion» (1157-1199) pour les Francs, conquit Chypre
en 1191 et la pilla pour ensuite transférer le contrôle politique de l'île
aux Templiers. Ceux-ci taxèrent les habitants de façon tellement
insupportable qu'ils provoquèrent une révolte chypriote vite réprimée. Les
Templiers durent quitter l'île l'année suivante. Après cette brève période
de pillages, le roi Richard
vendit Chypre à Guy de Lusignan (1159-1194), un chevalier poitevin vassal de
Richard Ier et roi déchu de Jérusalem.
De Lusignan s'installa à Chypre en 1192 en amenant avec lui un grand nombre de
Francs qui avaient perdu leurs fiefs en Palestine lors de la Troisième
Croisade, soit 300 chevaliers et 200 écuyers; il leur distribua des
domaines aux dépens des populations locales qui devinrent des serfs au
service des seigneurs francs.
Chypre devint ainsi un royaume franc. Aussi
bien de la part des Byzantins (Frángoi) que
des Turcs et des Arabes (Franghi), le terme de Franc vient du
nom donné en Orient aux Occidentaux en référence à l'Empire franc de
Charlemagne. Autrement dit, un État franc, c'était un État latin
gouverné par des seigneurs catholiques d'Occident (quelle que soit leur
origine : française, anglaise, italienne, espagnole ou catalane), par
opposition aux États grecs gouvernés par des seigneurs orthodoxes
(quelle que soit leur origine : byzantine, bulgare, serbe, valaque, etc.).
Ces États latins d'Orient constituaient la première possession d'outre-mer
des Européens. La plupart des Francs installés à Chypre avaient comme langue
maternelle le parler local des
anciennes
provinces françaises de l'époque: le poitevin, le saintongeais, le
charentais, etc. Mais ces nobles étaient néanmoins en contact avec le
français qui était la langue véhiculaire en France et celle du roi. |
Les Lusignan régnèrent longtemps sur l'île, soit de 1192 à
1489. C'est au cours de cette période que les Chypriotes grecs empruntèrent
des mots de l'ancien français. En même temps, les relations entre les
orthodoxes grecs et les catholiques francs se détériorèrent constamment.
Les églises orthodoxes furent fermées, l’Église orthodoxe autocéphale fut
subordonnée à l’Église catholique, et l’archevêque et les évêques orthodoxes
furent poussés à l’exil. Contrairement aux Byzantins qui employaient le grec, les Francs utilisaient
le latin comme langue liturgique. L'occupation franque à Chypre signifiait
l'imposition de la hiérarchie catholique, en échange de la poursuite de la
reconnaissance papale du royaume latin de Chypre; les mesures prises furent
des concessions de terres et l'imposition de la taxe sur la dîme. Cette
époque était caractérisée par la richesse, l'opulence et le luxe pour les étrangers
francs par opposition à la pauvreté et à la misère des locaux chypriotes
réduits à l'esclavage, ainsi que par les disputes, les intrigues, les
passions, les complots et les meurtres entre les nobles. En somme,
la période des Lusignan à Chypre ne fut pas vraiment une époque exemplaire
de justice, ni de coexistence religieuse pacifique, ni d’intégration entre
les élites franques et les populations chypriotes.
- La période
vénitienne (1489-1571)
Finalement, le royaume de Chypre perdit
son indépendance sous forme de protectorat génois pendant une courte
période. Puis
la république de Venise détrôna en 1489 la dernière reine de Chypre,
Catherine Corner italianisé en Catherine Cornaro
(1454-1510). La période vénitienne à Chypre s'étendit jusqu'en 1571, soit
durant 82 ans.
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L’administration vénitienne fut marquée par une reprise en main
de Chypre qui demeura toujours fortement menacée par les Ottomans. Venise relança les
constructions publiques, avec principalement la réalisation de puissantes
fortifications, mais aussi des travaux sur les édifices religieux
importants, entre autres, la reconstruction de la cathédrale grecque de
Nicosie. Bien que soutenue par la liturgie orthodoxe, la langue grecque des
Chypriotes, qui avait dû souffrir de la concurrence du latin par les Francs,
subit une autre concurrence, celle du vénitien,
une langue italo-romane.
Ainsi, loin de s'institutionnaliser, le grec laissa peu à peu la place au
vénitien qui était la langue officielle de la république de Venise. La
plupart des documents administratifs furent rédigés dans cette langue, y compris
les institutions placées sous l'autorité de l'évêque orthodoxe grec. Dans les faits,
cela signifiait que les Chypriotes autochtones parlaient le grec entre eux,
mais employaient le vénitien pour communiquer avec l'administration.
Même si le clergé orthodoxe était soumis à l'archevêque catholique
de Nicosie, il n'y eut pas de véritables frictions de
sorte que de nombreux Grecs intégrèrent le clergé latin. Il en fut
ainsi pour la noblesse chypriote, quelques familles grecques se
joignant aux nobles latins. |
Ajoutons aussi que de riches familles originaires de Nicosie ou de
Famagouste quittèrent leur île et, ayant pris soin de transférer une partie
de leur fortune à Venise, vinrent s'installer en Vénétie pour former une
petite communauté chypriote. Cependant, la population paysanne de Chypre dût
subir un pouvoir autocratique et militaire de la part des gouverneurs
vénitiens dans les domaines exécutif, législatif et judiciaire. De plus, les
expropriations de terres au profit de l’élite étrangère persistèrent pendant
que les Chypriotes durent s'assujettir aux travaux forcés. La répression
religieuse persista et l'éducation du peuple ne fut jamais un objectif de la
part des Vénitiens. Bref, les conditions de vie des Chypriotes ne
s’améliorèrent pas, elles furent même aggravées par la corruption de
l’élite et la misère des locaux au profit de la puissance coloniale.
En même temps, la présence vénitienne sur
l'île dut faire face aux raids des Ottomans qui faisaient des incursions sur
l'île pour s'emparer des Chypriotes et les vendre comme esclaves. Craignant
la propagation des Ottomans, les Vénitiens fortifièrent Famagouste, Nicosie
et Kyrenia, mais les autres villes restèrent sans défenses fortifiées. Pour augmenter
la population, Venise encouragea la venue d'immigrants de ses autres
colonies ainsi que d'autres étrangers, entre autres, des Slaves, des Albanais et des
Syriens de rite chrétien. De 1490 à 1570, la population passa de 100 000 à
180 000 habitants.
Depuis les années 1530, l'île de Chypre demeurait un
royaume sous contrôle de la république de Venise, mais sous tutelle de
l'Empire ottoman: la République devait en effet, depuis 1489, payer un tribut annuel de 8000 ducats
(vers 1800, un ducat valait environ 16 €, soit plus ou moins 128 000
€/année) pour occuper cette «colonie». Toutefois, en raison de
la mauvaise gouvernance et de la corruption des autorités vénitiennes, l'île
de Chypre était devenue un repaire des pirates et des corsaires génois,
maltais et catalans, ce qui fut perçu comme une menace grandissante par le
sultan ottoman Sélim II (1524-1574).
2 L'Empire ottoman (1571-1878)
La période ottomane de Chypre allait
s'étendre de 1571 à 1878, soit plus de 300 ans. Cette période de domination
ottomane devait succéder à l'occupation vénitienne et précéder la domination
britannique.
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Le 1er juillet
1570, le sultan Sélim II fit débarquer une flotte de 360 galères avec 50 000
hommes à Larnaka (Chypre). Les Ottomans s'emparèrent peu après de Nicosie où ils
massacrèrent plus de 20 000 personnes. À ce moment-là, Chypre comptait plus
de 180 000 habitants, dont 90 000 serfs et 50 000 paysans libres. Les
Chypriotes grecs ne se montrent guère empressés pour défendre les intérêts
de l'occupant vénitien. 2.1
L'organisation ottomane
L'Empire
ottoman (voir les cartes) exploita et organisa l'île de la même façon qu'elle le faisait dans
la
Grèce ottomane, mais les nouveaux maîtres allaient entraîner des changements
sociaux importants. Les riches chrétiens se virent confisqués leurs
propriétés, notamment les Vénitiens, les Génois, les Maronites et
les Arméniens; les récalcitrants furent réduits en esclavage. De
nombreux soldats ottomans reçurent un domaine foncier ("timar") pour leur entretien et formèrent le
noyau d'une communauté musulmane qui devait s'accroître par les conversions
subséquentes.
La division de la population par la religion demeura la
même, mais la loi islamique y fut appliquée : les chrétiens et les juifs
purent pratiquer leur religion, mais contrairement aux musulmans ils furent
soumis au "haraç", un double impôt foncier ainsi qu'au "devchirmé", l'enlèvement des enfants destinés à devenir
des janissaires. |
En raison des pressions politiques et
religieuses, beaucoup de Grecs plus pauvres passèrent à l'islam et à la
langue turque dans le but de ne plus payer de lourds impôts. Ils furent
surnommés les "Linobambakis"
(du grec lino «lin» et vamvaki «coton», c'est-à-dire en lin ou
en coton? pour désigner les crypto-chrétiens, autrement dit des musulmans peu convaincus
soupçonnés de pratiquer leur ancienne religion en secret).
Lors de la conscription annuelle, ces derniers étaient, comme tous les
musulmans, mobilisés dans l'armée ottomane.
2.2 La province
ottomane
Contrairement aux Francs et au Vénitiens,
les Ottomans voulurent gagner la confiance des Chypriotes; ils en firent une
«province» ottomane, non pas une «colonie». Ils se montrèrent donc très tolérants
en matière de religion. La liberté religieuse des orthodoxes fut acceptée et le statut de l’Église orthodoxe fut réaffirmé, mais cette
tolérance ottomane se révéla moindre à l'égard des
catholiques vénitiens que pour la communauté orthodoxe grecque.
L’Empire ottoman fit
immigrer des Turcs, au nombre d’environ 20 000, dont descendent la plupart
des Chypriotes turcs d’avant 1974.
Afin d'éviter les ghettos, les Ottomans répartirent
les immigrants sur l'ensemble du territoire. Avec le temps, de nombreux
villages abritèrent des populations mixtes composées de Chypriotes grecs et
de Turcs. Les noms turcs furent uniquement alloués aux nouvelles
agglomérations après 1572, mais les dénominations grecques déjà existantes
ne furent pas remplacées. Bien sûr, un régime préférentiel fut appliqué à la
la minorité turque qui accapara les emplois de
la police et de l’administration publique. Progressivement, le turc prit le
pas sur le grec.
2.3 Les langues
grecque et turque
À partir de 1583, les écoles chypriotes
grecques se développèrent, les Ottomans acceptant les instituteurs
orthodoxes venus de la Grèce ou du reste de l’Empire; les écoles grecques
purent recevoir une aide de la part de l'État à partir de 1839; la première
école orthodoxe pour les filles fut fondées à Nicosie en 1859. Chacune des
communautés grecque et turque fut en mesure de recevoir son instruction
primaire dans sa langue maternelle au sein d'un système d'éducation
accordant une grande autonomie aux représentants religieux. Pendant trois
siècles, les conditions politiques à Chypre furent telles qu'elles ont
néanmoins favorisé l'importance de l'éducation pour la préservation de la
langue grecque et le sentiment identitaire. Jamais les grécophones ne se
sentirent en danger de perdre leur langue. Il apparaît évident que le
maintien d'écoles unilingues, tant grecques que turques, a permis la
sauvegarde de ces langues tout au long de l'ère ottomane.
Au fil des années, si la
langue des grécophones subit l’influence du latin byzantin, du vénitien et
du turc, celle des turcophones subit l’influence du grec et du latin
byzantin.
Ainsi, contrairement à un grand nombre d’idées reçues,
les relations intercommunautaires entre les Chypriotes grecs et les
Chypriotes turcs furent en général pacifiques.
Plus tard, les Grecs et les Turcs s’engageront même dans une lutte commune
pour se libérer de l’Empire ottoman.
Les Ottomans conservèrent
l'île jusqu'en 1878, date à laquelle ils la cédèrent à la Grande-Bretagne en échange
de son soutien diplomatique pendant la guerre russo-turque de 1877 et contre le versement
dune redevance à la Turquie.
3 Le régime britannique (1878-1960)
L'île de Chypre fut
administrée par l'Empire
britannique, de 1878 à 1914 en
tant que «protectorat
britannique», puis par
l'instauration d'un régime
militaire de 1914 à 1925 et
enfin comme «colonie de la
Couronne» de 1925 à 1960.
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Durant
toute cette période,
Chypre vit ses aspirations à
l’indépendance et au
rattachement à la Grèce durement
réprimées. Les Britanniques
imposèrent leurs lois, leur
système judiciaire, leur
administration publique, leur
culture, leur langue et leur
mode de vie. C'était une
colonie anglaise qui poursuivait
une politique éprouvée
qui consistait à
«diviser pour régner».
Pour les Britanniques,
l’intérêt stratégique de
l’île devait primer et,
pour administrer les
populations grecque et
turque, il valait mieux jouer les deux
principales communautés
l’une contre l’autre, et en
surprotégeant la minorité
turcophone déjà loyale aux
Ottomans.
Or, la
majorité grecque croyait que le
régime colonial britannique
était provisoire et qu’il
préparait l’Énosis,
c’est-à-dire le rattachement de
Chypre à la Grèce. |
Évidemment, les Grecs furent profondément déçus
lorsqu'ils comprirent que les
Britanniques allaient perpétuer le régime
préférentiel appliqué aux Turcs.
Les Britanniques comptaient
limiter les revendications des
Chypriotes grecs en s’appuyant
sur la minorité parce qu'elle le
considérait comme plus «loyale»,
comme c'était le cas avec les
Ottomans.
3.1 Les mouvements en
faveur de l'Énosis et du Taksim
En 1931, les Chypriotes grecs se soulevèrent contre les Britanniques, la
maison du gouverneur fut incendiée et la Constitution suspendue. Le mouvement en faveur
de l'Énosis (enosis: «union» en grec) reprit de l'ampleur. C'est
au cours de cette période que commença la stigmatisation communautaire : les
Chypriotes grecs (nationalistes) perçurent les Chypriotes turcs comme des
collaborateurs des Britanniques, pendant que ces derniers se mirent à se méfier
des Chypriotes grecs considérés comme des éventuels «terroristes». Après
la Deuxième Guerre mondiale, l'Église orthodoxe et l'EOKA (Ethnikí
Orgánosis Kypríon Agonistón =
Organisation
nationale des combattants chypriotes) menèrent à la fois des mouvements contre les
Britanniques et favorables à l'Énosis; la branche guérilla
de l'EOKA entreprit des attaques contre des soldats et des établissements
britanniques.
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Sous l'égide de l'évêque de Chypre,
Mgr Makarios III (1913-1977), les Chypriotes
de langue grecque réclamèrent le départ des Britanniques et, consultés par la
hiérarchie ecclésiastique (en janvier 1950), ils se prononcèrent à près de 96% en
faveur de l'union avec la Grèce.
Alors que la majorité grecque (80%) souhaitait un éventuel rattachement à
la Grèce (mouvement Énosis), la minorité turque s'inquiétait de cette
perspective et s'orienta vers le Taksim
(la partition), donc un projet partitionniste pour Chypre. Les années
1955-1957 virent donc l’émergence de deux représentations totalement opposées de
l’avenir de l’île.
En 1958, le fossé se creusa de façon irréversible entre les
Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs à l’occasion d’affrontements
intercommunautaires d’une très grande violence. Les Chypriotes grecs isolés
dans les villages et les quartiers turcophones durent quitter précipitamment
leurs demeures, tandis que les Chypriotes turcs se mirent à fuir leurs
villages isolés en zone grecque. Nettement dépassés par l’escalade des
conflits intercommunautaires, les soldats britanniques installèrent une
ligne de démarcation entre les quartiers grecs et le quartier turc de
Nicosie. La partition ethnique venait de commencer! |
Il faut mentionner que, pendant l'occupation britannique
(1878–1960), l'anglais fut la seule langue officielle, laquelle a continué
d'être employée de facto dans le domaine de la justice jusqu'en 1996.
3.2 Le Traité de garantie (1960)
Les négociations sur la question chypriote marquées
par les intérêts rivaux de la Grande-Bretagne, de la Grèce et de la Turquie aboutirent
aux accords de Zurich (1959), lesquels prévoyaient lindépendance de lîle (1960)
sous la forme dune république présidentielle gréco-turque. Le
Traité de garantie fut signé entre
le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce, le 16 août 1960 à Nicosie, sas
l'intervention des représentants chypriotes.
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Par cet accord, le
Royaume-Uni officialisait l'indépendance conditionnelle de l'île de Chypre
qui eut lieu le même jour, et l'abandon de toute prétention territoriale
future. Les trois États devenaient garants de l'équilibre constitutionnel de
la nouvelle république de Chypre. Le traité accordait notamment un droit
d'intervention militaire, sous certaines conditions, aux trois puissances
garantes, pour rétablir l'ordre constitutionnel si celui-ci venait à être
modifié.
Le Royaume-Uni se réservait aussi deux
zones de souveraineté: Akrotiri et Dhekelia, qui sont des territoires
britanniques d'outre-mer dans l'île de Chypre. Ces zones, qui comprennent
des bases et des installations militaires britanniques, ainsi que d'autres
terres, ont été conservées par les Britanniques en vertu du traité
d'indépendance de 1960, signé par le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie,
ainsi que des représentants des communautés chypriotes grecque et turque.
Ces territoires jouent aujourd'hui un rôle important en tant que station de
renseignement et constituent une partie stratégique
essentielle du réseau britannique de collecte et de surveillance des
communications en Méditerranée et au Proche-Orient.
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4 Lindépendance et
la question turque
Le 13 août 1960, la
Grande-Bretagne accorda l’indépendance à Chypre, mais celle-ci était assortie
d’une constitution qui se voulait un compromis entre la position grecque
favorable à l’Énosis, le rattachement à la mère-patrie, et la position
turque favorable au Taksim, la partition de l’île entre une zone grecque
et une zone turque.
4.1 Un pays
bicommunautaire
La Constitution créait ainsi un État bicommunautaire où les
Chypriotes turcs étaient reconnus comme une communauté «politique», et non pas
comme une minorité ethnique, le tout avec des droits particuliers qui furent
perçus par les Grecs comme dépassant injustement leur proportion démographique
(18,3%) par rapport à la majorité grecque (77%) : par exemple, 15 sièges sur 35 au
Parlement, 30% des emplois dans la fonction publique, 40 % des emplois dans
l’armée. Les 18 % de chypriotes turcs se trouvaient donc à être représentés par
30 % des députés à la Chambre des représentants; il s'agissait d'une force
numérique leur permettant de bloquer toute décision qui relève du Parlement,
notamment le vote du budget. De plus, les Chypriotes turcs étaient présents au sein du
gouvernement par des membres de leur communauté, c’est-à-dire par le
vice-président, qui possédait un droit de veto sur toutes les questions
importantes, et par trois ministres sur un total de 10 ministres au gouvernement
chypriote. Le pouvoir judiciaire fut aussi soumis
au communautarisme. Les articles 152 à 154 de la
Constitution prévoyaient
que tout justiciable pouvait être jugé par des magistrats de sa propre
communauté. En cas de litige entre un chypriote grec et un turc, il devait
être réglé par un tribunal mixte composé d’un juge grec et d’un juge turc.
C'est
justement cet égalitarisme imposé aux deux communautés allaient susciter le
nationalisme ethnique: les Grecs parce que les concessions paraissaient trop
grandes, les Turcs parce qu'elles semblaient trop restrictives.
Mais ce sont davantage les Grecs qui
furent les plus déçus de la Constitution qui leur avait été imposée.
La Constitution de 1960, appuyée par le
Traité de garantie et le Traité
d’alliance avec les trois puissances impliquées ─ le Royaume-Uni, la Grèce
et la Turquie ─, consistait dans les faits à créer deux États-nations
au sein d’une même structure politique.
De plus, les traités avaient force de constitution en insérant les
Annexes I et II de la Constitution chypriote. Mgr Makarios fut élu président
de la république de Chypre en décembre 1959 et prit ses fonctions le 16 août
1960. Il fut réélu en 1968 et en 1973, il resta en fonctions jusqu'à sa mort
en 1977, à l'exception d'une courte période en 1974, alors qu'il fut déposé
par un coup d'État militaire soutenu par la junte au pouvoir en Grèce.
4.2 Le début des
affrontements
Les affrontements entre
les deux communautés de l'île éclatèrent en décembre 1963, après que le
président Makarios eut cherché à réduire le pouvoir législatif des
représentants des Chypriotes turcs. Les Turcs se retirèrent du gouvernement
en janvier 1964 et demandèrent la partition de l'île.
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Les hostilités reprirent rapidement, entraînant des interventions de la
Grèce et de la Turquie qui incitèrent l'Organisation des Nations unies (ONU)
à dépêcher des troupes. Des crises graves (1963, 1974) furent suivies de
négociations qui traînèrent en longueur. Profitant de la «politique de la
chaise vide» décidée en janvier 1964 par les représentants chypriotes turcs,
les Chypriotes grecs s'empressèrent d'adopter des lois pour rééquilibrer les
pouvoirs au prorata démographique de la population.
De leur côté, les
Chypriotes turcs s'enfoncèrent dans l'idéologie du Taksim, la
partition de l’île entre une zone grecque et une zone turque. Par
conséquent, la Constitution de 1960 qui créait un État bi-communautaire
n'avait plus sa raison d'être, puisque les Chypriotes turcs n'étaient plus
présents au sein du gouvernement. |
Le 21 avril 1967, un groupe d'officiers militaires de
droite prit le pouvoir en Grèce au moyen d'un coup d'État. La junte
militaire des colonels stoppa toute tentative de réforme et renforça le conservatisme des
traditionalistes. Il n'est donc guère surprenant que la junte grecque
qui gouvernait la Grèce ait intensifié sa politique d’expulsion et
d’extermination des Chypriotes turcs commencée plusieurs années
auparavant. On se peut rappeler cette devise des colonels :
«Il n’y a pas de place sur cette
île pour quiconque ne pense et ne se sent pas constamment grec.» Bref,
ces premières années de l’indépendance de la république de Chypre virent
s’accentuer le séparatisme turc, ce dernier étant avant tout la conséquence
d’un nettoyage ethnique orchestré de loin par le gouvernement grec. Il faut
bien comprendre que la détérioration des relations entre les communautés
grecque et turque de Chypre reflétait les tensions entre la Grèce et la
Turquie.
4.3 La partition de l'île
et le nettoyage ethnique
Malgré l'intervention des
forces des Nations unies pour maintenir la paix, les tensions restèrent très
fortes et les coups d’État se succédèrent jusqu’en 1974. Profitant de la
chute de la junte militaire en Grèce, la Turquie, jugeant les
intérêts de la communauté turque menacés, intervint militairement et, en deux jours,
occupa toute la partie nord de l’île.
Au total, ce furent quelque 40 000 soldats turcs, équipés de 200 chars,
d'avions et de navires, et 20 000 miliciens chypriotes turcs qui affrontèrent
12 000 Chypriotes grecs équipés de seulement 35 chars. Les forces armées
turques ne rencontrèrent qu'une faible résistance dispersée et désorganisée
de l'armée des chypriotes grecques. Le 23 juillet 1974, un premier
cessez-le-feu fut signé.
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L’opération éclair, qui avait pour conséquence d’éviter un génocide
des Chypriotes turcs, se
termina le 30 juillet 1974 par l’instauration d’une «zone de
sécurité» sous le contrôle de l’ONU le long de la «ligne verte»,
laquelle séparait les deux communautés, l’armée turque
contrôlant près de 37% de l’île.
La «ligne
verte» fut appelée «ligne Attila»
(du nom du commandant des
forces doccupation turque en 1974: Attila Sav), laquelle divise Chypre
dest (à partir de la ville de Pyrgos) en ouest (jusquà la ville de
Famagouste) en passant par Nicosie, la capitale, coupée en deux. Cette «ligne
Attila», longue de 180 kilomètres, a été érigée par les Turcs
pour matérialiser la partition du pays.
Cette opération militaire
entraîna plus de 15 000 civils morts ou blessés, auxquels
s'ajoutèrent 1493 Chypriotes grecs et 502 Chypriotes turcs
disparus, sans compter les 278 corps enterrés, retrouvés et
identifiés plus tard. De
nombreuses personnes furent
portées disparues: 2700 Chypriotes grecs et 240 Chypriotes
turcs.
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De plus,
l’invasion de Chypre par l’armée turque
entraîna un second nettoyage ethnique, cette fois-ci aux dépens de la
majorité grecque. Tous les Chypriotes grecs qui vivaient dans la zone
turque durent se réfugier dans la zone grecque: plus de 200 000 furent
déplacés de force vers le sud, dans des camps construits dans l'urgence. En
même temps, quelque 60 000 Chypriotes turcs quittèrent la zone grecque pour
se réfugier dans l'autre zone, laissant les deux parties de l'île presque
entièrement «ethniquement nettoyées». Les réfugiés allaient mettre plus
d'une décennie pour se reloger et s'intégrer dans la partie sud de
l'île. Bref, à la fin 1975, soit par les effets du «nettoyage ethnique»,
soit par les effets de la partition, il n’y avait plus que des Turcs à
Chypre du Nord et que des Grecs à Chypre du Sud, l’armée turque ayant
interdit tout retour des Grecs dans «sa» zone. Rappelons qu'en 1974 l'île
ne comptait que 640 000 habitants, ce qui signifie que les déplacements et
les morts ont touché une partie importante de la population chypriote.
En janvier 1977, Mgr Makarios III,
président de l’entité grecque et Rauf Denkash, président de l’entité turque,
les chefs historiques des deux communautés chypriotes, étaient parvenus à un
accord de principe pour instaurer un État fédéral. Toutefois, Mgr Makarios
décéda en avril de la même année sans avoir finalisé cet posibilité. Ce fut
une occasion unique de régler le problème chypriote, mais elle fut ratée.
5 La partition en deux États
Le 13 février 1975, un
État chypriote turc fut proclamé dans le secteur turc, puis en 1983 cet État
autoproclamé devint la «République turque de Chypre du Nord (RTCN), car seule
la Turquie a reconnu le nouveau «pays». Depuis 1975, la république de Chypre
n'exerce plus aucun contrôle sur la zone turque, la partition des
populations insulaires étant consommée par la mise en place de la «Ligne
verte», gardée par les Casques Bleus des Nations unies. Des deux côtés, les
personnes déplacées et expulsées par le «nettoyage ethnique» et la partition
ont perdu tous leurs biens.
La ville de Nicosie, appelée en grec Lefkosia (Λευκωσία)
et en turc Lefkoşa, d'après le nom de son fondateur Lefkon, fils de
Ptolémée, est la seule capitale européenne à être, de jure pour
la zone grecque et de facto pour la zone turque, la capitale de deux
États et à être partagée militairement par une force d'interposition : l'UNFICYP
(United Nations Peacekeeping Force in Cyprus ou Force des Nations unies
chargée du maintien de la paix à Chypre)
placée sur la zone tampon.
De son côté, l'ancienne puissance
coloniale, la Grande-Bretagne, conserve deux importantes implantations
militaires avec accès à la mer : l’une près de Larnaka, à Dekhelia, l’autre
à Akrotiri, où se trouve l’unique base de la Royal Air Force en
Méditerranée. Celle-ci joue un rôle essentiel pour participer aux opérations
dans la région : en Irak (2003-2008) et contre Daech (depuis 2014).
5.1 Le changement
démographique
Depuis lors, la situation
est nettement différente selon qu'on soit grec ou turc. Dans la zone
grecque, la république de Chypre gère les biens abandonnés par les
Chypriotes turcs en fidéicommis, sous l’égide du ministère de l’Intérieur,
ce qui signifie qu'à tout moment leur rétrocession est possible à leurs
véritables propriétaires. Dans la zone turque, la République turque de
Chypre du Nord (RTCN) a distribué tous les biens laissés vacants par les
Grecs, d'une part, aux Chypriotes turcs, d'autre part, aux colons
nouvellement arrivés d’Anatolie. Cette situation constitue, sans nul doute,
l’élément le plus compliqué de la résolution de la question chypriote.
Au déplacement de la population à la suite de la partition
de l'île s'ajoute une immigration importante de populations turques depuis
1975, ce qui modifie en profondeur l'identité culturelle de la partie nord
de l'île et l'émigration de Chypriotes grecs, principalement vers la Grèce,
la Turquie et le Royaume-Uni, pour des raisons culturelles et historiques,
puis vers l'Amérique du Nord, l'Australie, l'Afrique ou d'autres pays
européens.
Depuis les années 1990, la présence russe
s’est accrue en Chypre du Sud, avec plus de 11 000 personnes. Les nouveaux
riches de l’ère post-soviétique semblent apprécier la combinaison de la
culture orthodoxe avec un environnement fiscal favorable, une température
douce et agréable, ainsi que l’octroi aisé de la nationalité chypriote;
depuis 2013, le gouvernement chypriote facilite cette acquisition en échange
du placement de la fortune de ces Russes dans les banques locales. De plus,
l’influente communauté juive d’origine russe installée en Israël entretient
des relations d’affaires avec ces ex-compatriotes. Par le fait même, la
mafia russe qui y a vu des facilités intéressantes s'est installée à demeure
dans l'île.
5.2 La langue et la religion
Le grec et le turc sont les langues officielles de la
république de Chypre en vertu de l'article 3 de la
Constitution de 1960,
mais le turc n'est plus utilisé. À Chypre du Nord, la langue officielle est
le turc. Dans toute l'île, l'anglais relativement parlé par toute la
population comme langue seconde sert à remplacer «l'autre» langue. La communauté chypriote grecque adhère à
l'Église orthodoxe grecque autocéphale de Chypre, tandis que la communauté
chypriote turque adhère à l'islam. Les groupes religieux arméniens,
maronites et latins (environ 9000 personnes au total) ont choisi,
conformément à la constitution de 1960, d'appartenir à la communauté
chypriote grecque.
Les deux parties de l’île possèdent des
institutions politiques distinctes. Elles bénéficient toutes deux d’un régime
démocratique, mais la zone turque subit depuis le début les avatars de
l’autoritarisme caractéristique des pouvoirs turcs successifs. Des élections
pluralistes sont régulièrement organisées dans les deux entités, tandis que
la question de la réunification de l'île revient à chaque fois et occupe une
place non négligeable.
5.3 La prospérité
économique grecque
En 2004, la république de Chypre devint un État membre de
l'Union européenne. Les Chypriotes turcs du
Nord furent également considérés comme des citoyens de l'Union européenne,
mais dans les faits les lois de l'Union européenne sont restées suspendues,
ce qui empêcha les Chypriotes turcs de profiter des avantages d'une adhésion
à part entière à l'UE. Chypre a intégré la zone euro le 1er
janvier 2008, sauf pour la partie turque. La ville de Nicosie au sud
est considérée comme la 5e ville la plus
riche du monde au point de vue du revenu par habitant, soit plus de 25 000
€
ou près de 30 000 $US. Non
seulement la république de Chypre est membre de l'ONU depuis le 20 septembre
1960, mais elle fait partie du Commonwealth, de l’Union européenne depuis
2004, de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) et de l’Organisation internationale de la
Francophonie (OIF). En
septembre 2006, lors du Sommet de Bucarest, Chypre est devenu un membre
associé de l'Organisation
internationale de la Francophonie. Selon le rapport 2004-2005 du Haut
Conseil de la Francophonie, il y a près de 50 000 étudiants qui apprennent le
français dans le système scolaire chypriote, en tant que langue étrangère. C'est
un nombre important par rapport à une population de 850 000 habitants.
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La république de Chypre a adhéré à
l'Union européenne le 1er mai 2004 en tant
qu'île divisée de facto. L'UE voudrait mettre fin à l'isolement de la
communauté chypriote turque et à faciliter la réunification de Chypre en
favorisant le développement économique de la communauté chypriote turque.
Cependant, la législation de l'UE dans la partie nord de l'île,
rappelons-le, fut suspendue. Le Conseil
de l'Europe constate «que la question chypriote n'a pas encore pu faire
l'objet d'un règlement global». L'article 1er
du Protocole n° 10 de l'accord d'adhésion du 16 avril 2003 précise que «l'application de l'acquis est suspendue dans les
zones de la république de Chypre où le gouvernement de la république de
Chypre n'exerce pas un contrôle effectif».
Si, de par la législation (de
jure), c'est l'ensemble du territoire de l'île qui adhère à l'Union avec
la république de Chypre, qui est la seule internationalement reconnue, dans
les faits (de facto), avec la clause de suspension de l'acquis, ce
n'est que la partie de l'île où le gouvernement de la république de Chypre
exerce un contrôle effectif qui a joint l'Union. |
Les Chypriotes grecs font partie des
populations les plus prospères de la région méditerranéenne, et la zone
grecque a bénéficié d'un haut niveau de développement économique, en
particulier de la part de l'industrie du tourisme. Dans la partie turque, le
niveau de vie serait trois fois plus bas que dans la partie grecque. D'après
les statistiques du ministère des Affaires étrangères de la République
turque de Chypre nord (RTCN), le PIB par habitant ne dépasse pas 4500 euros
dans la zone turque trois fois moins que dans la partie grecque, le plus
riche des candidats à l'Union européenne. La partie grecque est aussi
ouverte sur le monde que la partie turque est fermée. Pendant que la monnaie
de la république de Chypre est l'euro, celle de la République turque de
Chypre du Nord est la livre chypriote (CYP); alors que les Chypriotes grecs
bénéficient du tourisme qui constitue l'un des piliers de leur prospérité,
les Chypriotes turcs forment une union monétaire avec la Turquie, ce qui les
laisse dépendant d'Ankara. Au nord, 80% des touristes sont des Turcs
d'Anatolie; les touristes non turcs sont obligés de transiter par la Turquie
s'ils veulent passer plus de quelques heures en zone turque à Chypre. Bref,
pendant que Chypre du Sud s'enrichit, Chypre du Nord s'appauvrit en raison
de l'embargo international et de sa dépendance de la Turquie qui doit
subventionner sa «colonie» à coup de centaines de millions par année.
Environ 30 000 Chypriotes turcs passent quotidiennement la ligne de
démarcation à Nicosie pour se rendre en zone grecque afin d'y travailler.
5.4 Les difficultés de la réunification
En 2002, un nouveau gouvernement chypriote turc favorisa la
réunification de l'île. Des restrictions pour le passage de la
«ligne verte» furent assouplies; les communautés vivant dans l'une ou
l'autre des deux zones purent maintenir des contacts plus réguliers et
visiter des sites religieux situés dans d'autres parties de l'île. En
avril 2004, les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs participèrent à
des référendums simultanés mais séparés sur l'adhésion de Chypre à
l'Union européenne. Alors que 64,9% des Chypriotes turcs acceptèrent le
plan de paix proposé par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, une
écrasante majorité de 75,8% des Chypriotes grecs rejetèrent le plan des
Nations unies. Comme l’a écrit Kofi Annan dans une lettre au
Conseil de sécurité: «Ce n’est pas seulement un plan qui a été rejeté,
c’est la solution fédérale elle-même.»
- L'Union
européenne
Depuis, la république de Chypre, membre de
l'Union européenne, n'exerce son autorité que sur la partie sud où vivent les
Chypriotes grecs. Plusieurs séries de négociations eurent lieu ces dernières
décennies pour tenter de rapprocher les points de vue des deux communautés. Les
tentatives se sont toujours révélé sans résultat. En 2017, les négociations de
Crans-Montana, du 28 juin au 7 juillet, se sont aussi conclues sans accord,
alors que ces pourparlers sous l'égide de l'ONU avaient été présentés comme la
meilleure chance pour trouver une solution. Comme il fallait s'y attendre, les deux parties se sont
renvoyé la responsabilité de l'échec. Le porte-parole de la délégation
chypriote-grecque, d'une part, a pointé du doigt l'insistance de la partie
turque à maintenir le
Traité de garantie, l'intervention turque à Chypre et la
présence illégale des troupes turques sur l'île. Le premier ministre turc,
d'autre part, a condamné l'absence d'attitude constructive du camp adverse. De
son côté, la diplomatie américaine s'est déclarée déçue, le département d'État
assurant dans un communiqué que les États-Unis continueraient de soutenir les
efforts en vue d'une réunification de l'île.
- Les conditions
de la réunification
Bien que dans les deux communautés
une majorité semble favorable à la réunification, la plupart des
habitants de l’île ne souhaitent pas la réaliser à n’importe quel prix.
La communauté turque tient à limiter les restitutions et les
indemnisations des biens grecs expropriés en 1974, alors que la
communauté grecque répugne à octroyer la citoyenneté chypriote aux
colons turcs venus d’Anatolie (au nombre d'au moins 93 000). En
conséquence, les négociations entre les deux parties n’ont, jusqu’à ce
jour, jamais abouti et les divers plans proposés par la communauté
internationale ont tous été rejetés. Lorsque les Turcs ont envahi le
nord de l'île, ils ont apparemment voulu protéger les Chypriotes turcs
de confession musulmane contre les exactions des Chypriotes grecs de
confession orthodoxe. Ils ont poussé leur opération jusqu’à pratiquer un
nettoyage ethnique où des milliers de Chypriotes grecs furent expulsés
ou massacrés. Ces événements ont laissé des blessures tellement
profondes entre les deux communautés qu'elles apparaissent
insurmontables.
Depuis longtemps, les Chypriotes grecs souhaitent une
solution solidement ancrée dans les valeurs et les structures
européennes; les Chypriotes turcs désirent faire partie de l’Union
européenne, et non de la Turquie, même s’ils maintiennent qu’en dernier
ressort la protection de leur petite communauté incombe à Ankara. En
réalité, la création d’un État turc chypriote dans le cadre de l’Union
européenne ne serait pas un cadeau fait à l’une ou l'autre des parties.
L’Europe hésite à l’idée d’accueillir en son sein un nouvel État, petit,
de langue turque et de religion musulmane.
Pour parvenir à un accord, les Chypriotes grecs devraient
accepter une égalité politique au moyen d'un gouvernement fédéral bi-communautaire et bi-territorial. De leur côté, les Chypriotes turcs
devraient faire d'importantes concessions: accepter de retirer les 30 000
soldats turcs, renoncer à prolonger le
Traité de garantie de 1960,
offrir des compensations pour les propriétés expropriées, reculer la ligne de
front afin de ne plus occuper que 29 % du territoire au maximum, contre
37 % actuellement.
- Le coût de la
réunification
Il reste aussi à évaluer le coût
d'une éventuelle réunification des deux parties de l'île. Le ministère
chypriote des Finances l'évalue à 30 milliards d'euros, dont 17
milliards pour la seule indemnisation destinée aux propriétaires grecs
dépossédés. Il faudrait envisager de demander une aide financière de
l'Union européenne étalée sur une période transitoire de cinq à dix ans.
Or, toutes les parties portent une part de responsabilité dans le gel
du conflit. Le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie doivent aussi faire leur part
en abandonnant le Traité de
garantie de 1960 et en laissant tous les Chypriotes adopter leur
propre constitution.
Les tentatives de
résoudre le conflit en cours à Chypre au cours des quatre dernières
décennies sont marquées par un trait commun: la négation systématique de
la
présence de la plupart des groupes minoritaires sur l'île (Grecs ou
Turcs, Arméniens, Maronites, Kurdes, etc.). Toutes les
minorités, quelles qu'elles soient, ont été marginalisées et réduites au
silence. Le nationalisme des Chypriotes grecs et turcs a eu pour effet
de faire porter une attention exclusive sur les conflits communautaires et
d'annihiler les droits des autres petites communautés linguistiques.
En réalité, il est fort probable que la situation actuelle d'une
île en deux États fasse l'affaire des deux grandes communautés.
Dernière mise à jour:
16 févr. 2024
Chypre
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