Bulgarie

2) Données historiques

République de Bulgarie

1 Les débuts

Les ancêtres des Bulgares étaient des nomades qui habitaient entre l'Oural et la Mongolie; ils parlaient une langue turque. À partir de l'ère chrétienne, installés à la lisière de la Chine et de la Mongolie, les Turcs primitifs, appelés «Hiong-nou» par les Chinois de la dynastie han, cohabitaient en Mongolie avec les Mongols et les Toungouzes (ancêtres des Mandchous). Des hordes turques se lancèrent vers les steppes de l'Asie centrale pour y chercher fortune.

Au début du Ve siècle, les Turcs tabghatchs conquirent toute la Chine du Nord sur laquelle ils régnèrent de 426 à 534, et se convertirent au bouddhisme. Après avoir fondé un royaume en Russie méridionale et en Hongrie, les Turcs firent en 451 une première percée en Europe occidentale sous la direction d'Attila  (395-453), le roi des Huns. En 447, Attila avait étendu son empire de la mer Caspienne jusqu'en Gaule romaine, après avoir mis l'Europe à feu et à sang et pillé l'Italie du Nord. En 485, un historien arménien, Moïse de Corène, appelait «Vulgares» les ancêtres des Bulgares.

Les ancêtres des Bulgares s'installèrent au nord de la mer Noire, par vagues successives, entre le IIe siècle et le Ve siècle. Plusieurs de ces peuples portaient des noms iranophones (les Alains), mais il y avait également parmi eux des éléments turcophones (les Balkars du Caucase). Le premier Empire bulgare, sous la gouverne de Koubrat le Grand, s'étendait sur l'actuelle Ukraine.

2 Les influences turques

Au VIe siècle, des populations slaves et turcophones envahirent les Balkans, dont la région actuelle de la Bulgarie. Ces peuples migrateurs absorbèrent la plus grande partie des Thraces romanisés indigènes de la Mésie (région dans les actuelles Serbie, Bulgarie, Macédoine du Nord et Roumanie), dans un temps relativement court, soit un siècle ou deux. Les Besses Thraces hellénisés de la Thrace méridionale furent assimilés en trois siècles. Seules résistèrent des minorités valaques latinophones dans les montagnes grecques sur les côtes et albanaises près de l'Adriatique. Les envahisseurs turcophones adoptèrent la langue des Slaves conquis. En 865, sous le règne de Boris Ier (852-888), l'aristocratie bulgare, jusque-là tengriste adeptes d'une religion turco-mongole , se convertit au christianisme ainsi que ses sujets slaves, grecs et valaques et adopta le slavon comme langue usuelle, liturgique et officielle, à l'origine du bulgare actuel. Cela favorisa la fusion complète entre les Bulgares et les Slaves, qui a donné naissance au vieux bulgare.

Les textes slaves les plus anciens conservés jusqu’à aujourd’hui sont écrits en vieux bulgare et datent du Xe siècle. Cette ancienne langue fut codifiée par les prêtres grecs Cyrille et Méthode, à l'origine des alphabets dits «glagolitique» (< vieux slave glagoljati: «dire») et «cyrillique» (du nom de Cyrille) inspirés de l'alphabet grec, mais adaptés aux langues slaves.

2.1 La religion orthodoxe

L'introduction de la liturgie en slavon est due à Clément d'Okhrid et Nahoum d'Okhrid élèves des frères Cyrille et Méthode , envoyés par le tsar bulgare Boris Ier. C'est Clément d'Okhrid, évêque d'Ohrid, ville de l'actuelle Macédoine, qui donna une nouvelle écriture, appropriée à la langue bulgare, que l'on appela «cyrillique». Elle servit à créer les moyens d'expression qui permirent à la Bulgarie de s'associer à la civilisation européenne et d'y contribuer.

Au cours des siècles suivants, les populations de langue romane ou grecque, qui vivaient dans les Thraces latinophones ou hellénophones, finirent par se slaviser progressivement aussi, donnant naissance au peuple bulgare actuel. La langue bulgare a emprunté à d’autres langues; elle est à l’origine du slavon qui est toujours la langue de la liturgie de rite byzantin; elle sert encore aujourd’hui de langue liturgique à de nombreux chrétiens orthodoxes. Ce qu'on appelle le «slavon d'église» est aujourd'hui utilisé en Russie, en Ukraine et en Biélorussie. Il est également en usage dans les églises orthodoxes de Bulgarie, de Serbie, au Monténégro, en Macédoine et en Pologne, et parfois en République tchèque et en Slovaquie.

À partir du schisme chrétien de 1054, une frontière irréversible s'est dessinée progressivement à travers l'Europe entre, d'une part, le christianisme latin, d'autre part, le christianisme grec. Pendant que l'Église romaine conservait le latin, l'Église orthodoxe privilégiait le grec, puis le slavon.

2.2 La domination ottomane

Quelques siècles plus tard, le bulgare moyen s'est développé en couvrant la période du Second Empire bulgare au cours des XIIe et XVe siècles, ce qui marqua la consolidation de l'État et de la nation bulgares, ainsi qu'une période de prospérité pour le royaume de Bulgarie. La période du bulgare moderne commença par les «années sombres» de la domination ottomane qui a duré cinq siècles, soit de la conquête du deuxième État bulgare en 1396 jusqu'à la guerre russo-turque de 1877-1878.

- La Roumélie
 

Sous l'occupation ottomane, la Bulgarie perdit non seulement son indépendance, mais aussi son nom et sa capitale. En effet, les Ottomans désignèrent le pays par le terme «Roumélie» (en turc: Rumeli), ce qui signifie le «pays des Romains», car il avait été conquis chez des populations en partie christianisées par l'Empire romain d'Orient. La «Bulgarie» de cette époque, la Roumélie, comprenait non seulement la Bulgarie, mais aussi la Bosnie, le Kosovo, la Serbie, la Grèce, etc. 

Un système féodal strict y fut établi, afin de contrôler de près cette région proche d'Istanbul et donc stratégiquement essentielle. Les mosquées et les minarets se multiplièrent au fur et à mesure de la colonisation ottomane et de l'islamisation d'une partie des Slaves (Pomaques).

Au cours de cette longue période d'occupation, la langue bulgare s’est considérablement modifiée pour donner naissance au bulgare moderne (non littéraire) caractérisé comme une langue slave influencée par des apports turcs, essentiellement dans le vocabulaire, mais aussi dans certains éléments grammaticaux empruntés directement au turc ou à d'autres langues par l'intermédiaire de ce dernier. 


- La turquisation
Dans les villes, même dans les villages, lorsque des Bulgares demeuraient à proximité des communautés ottomanes turcophones, de nombreux citadins se mirent à parler le turc ottoman — l'osmanlıca basé sur l'écriture arabo-persane — langue de la classe dirigeante, tout en conservant leur propre langue maternelle. Par l'intermédiaire des individus bilingues, les mots turcs s'infiltrèrent dans la langue bulgare. La plupart des villes et des villages adoptèrent des appellations turques, que ce soit des noms de rues, de quartiers, de marchés, etc. Tout ce qui était lié à la vie administrative, commerciale et artisanale se faisait en turc. Beaucoup de mots turcs sont entrés dans le vocabulaire, en particulier dans les noms de la flore et de la faune. Il y avait aussi beaucoup de mots turcs pour désigner les vêtements, les meubles, les ustensiles, la nourriture, les plats, la vie agricole, etc. Il fut difficile d'éradiquer les mots turcs du vocabulaire parce qu'ils ont entièrement remplacé leurs équivalents bulgares. L'influence turque fut moins prononcée dans le Nord et dans l'Ouest, parce que les Turcs ottomans y furent moins nombreux.

C'est ce qui explique pourquoi certains linguistes bulgares estiment que les parties orientales et méridionales du pays ont été plus affectées par les emprunts turcs. Il convient de mentionner ici que tous ces emprunts turcs ne sont pas d'origine turque. Un grand nombre d'entre eux sont des mots arabes ou persans. Beaucoup de ces mots sont encore utilisés de nos jours. Entre les XVIe et XVIIIe siècles, il s'est formé une communauté musulmane de langue bulgare, les Pomaques.

- Les révoltes

Toutefois, l'occupation ottomane fut marquée par de nombreuses tentatives d'insurrection, surtout à partir du XVIIe, en raison des guerres entre l'Empire ottoman et l'Autriche-Hongrie. Avec le développement de l'économie et du commerce, ainsi que le déclin de la force militaire ottomane, une nouvelle génération de Bulgares surgit, tandis que, de façon permanente, se regroupèrent dans les montagnes des bandes de paysans insoumis, les haïdouks. En turc, le mot "haïdouk" signifie «hors-la-loi», «brigand» ou «scélérat», mais en Bulgarie et dans d'autres pays des Balkans ce terme est synonyme de «rebelle» ou d'«homme libre». Isolés dans leurs montagnes, les monastères deviennent de vrais foyers de résistance contre les Ottomans. De nombreux nationalistes y trouvèrent refuge. Malgré l'oppression physique, politique et religieuse de la part des Ottomans, les Bulgares réussirent à préserver leur conscience nationale. Dans les faits, le turc ottoman et le bulgare servaient de langues officielles.

3 L'influence occidentale (après 1878)

Une grande révolte bulgare éclata en avril 1876. Vouée à l'échec malgré plus de 30 000 morts, cette révolte provoqua une réaction très vive dans toute l'Europe et jusqu'aux États-Unis. Toutefois, en 1877-1878, l'Empire russe et la Roumanie menèrent à bien une nouvelle guerre contre les Ottomans, qui se terminera par la libération de la Bulgarie.

3.1 Le traité de San Stefano
 

À la suite du soulèvement bulgare et de la libération du pays, les Russes imposèrent à l'Empire ottoman le traité de San Stefano (mars 1878), qui ressuscitait la «Grande Bulgarie» à partir du lac d'Ohrid en Macédoine jusqu'à la mer Noire à l'est. Ce nouveau pays intégrait la quasi-totalité des bulgarophones d'Europe: elle comprenait, outre la principauté de la Bulgarie autonome (Mésie), la Roumélie orientale, la Macédoine (ou Roumélie occidentale) et une partie de la Thrace grecque. Les territoires annexés demeuraient vassaux de l'Empire ottoman, mais les dirigeants locaux étaient désignés par l'empire de Russie.

Quant au sultan de l'Empire ottoman, il s'engageait à garantir la sécurité de ses «sujets chrétiens orthodoxes» dont la Russie devait devenir la protectrice (comme les puissances occidentales étaient déjà les protectrices de nombreux «sujets ottomans» catholiques, protestants ou juifs).

Ce traité très favorable aux Bulgares ne put tenir longtemps, à peine quelques mois. Inquiétées par les victoires russes et le danger du panslavinisme, la Grande-Bretagne et l'Autriche-Hongrie contestèrent le traité de San Stefano.

3.2 Le traité de Berlin
 

Les grandes puissances européennes de l'époque, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, l'Autriche-Hongrie, la France, l'Allemagne et l'Italie, firent réviser le traité de San Stefano lors du congrès de Berlin de juillet 1878, grâce en partie à la médiation de Bismarck, chancelier du nouvel Empire allemand.

Aux termes du traité de Berlin, la superficie de la Bulgarie fut considérablement réduite en la partageant en deux : d'une part, la principauté de Bulgarie au nord, qui demeurait autonome, mais tributaire du sultan ottoman, et la Roumélie orientale au statut de province autonome avec un gouverneur chrétien désigné par Constantinople.

La province de Roumélie orientale fut amputée de la Macédoine, qui redevenait ottomane, de la mer Adriatique à la mer Égée. En somme, les régions peuplées de Bulgares de la partie méridionale des contreforts des Balkans devenaient autonomes à l'intérieur de l'Empire ottoman. Quant à la Thrace et à l'Albanie, elles demeuraient également ottomanes.

Au moment de l'assaut russe en 1877, dans les terres transformées plus tard en Bulgarie, la moitié des habitants étaient musulmans, dont 90% parlaient le turc. Ayant fui devant l'avancée des armées russes, les Turcs furent massacrés ou contraints de partir.


Afin de mettre en œuvre leur plan de «désislamisation» de la «nouvelle» Bulgarie, les forces d'occupation russes s'inspirèrent de la politique impériale établie de longue date consistant à expulser les musulmans — ou à les convertir de force au christianisme — et à détruire les «localités musulmanes» pour les reconstruire dans une «ville moderne», c'est-à-dire «chrétienne» et «progressiste» (occidentale). Dès 1878, les Turcs musulmans se retrouvèrent transformés en une minorité subordonnée à un État dirigé par les Bulgares orthodoxes. C'est pourquoi des centaines et des centaines de Turcs ottomans quittèrent la Bulgarie, en premier lieu les fonctionnaires et les propriétaires terriens. Dans les vingt années qui suivirent, quelque 100 000 Turcs ottomans préférèrent se réinstaller dans l'Empire ottoman plus au sud. Les communautés turques qui choisirent de rester en Bulgarie étaient concentrées dans les montagnes des Rhodopes dans le sud du pays, ainsi que dans la région nord-est. Jusqu'aux années 1920, les communautés turcophones furent traitées par les autorités bulgares avec tolérance et indulgence.

3.3 L'unification de la Bulgarie

Une constitution démocratique fut votée en Bulgarie; le prince Alexandre de Battenberg fut le premier souverain de la principauté de Bulgarie, sous le nom de Alexandre Ier de Bulgarie; il régna de 1879 à 1886. Le 18 septembre 1885, une rébellion et un coup d'État dans la province ottomane de Roumélie orientale, aidés par les Bulgares, virent le peuple proclamer l'union avec le nouvel État (1878) de la Bulgarie, en violation du traité de Berlin de 1878.
 

Cette union politique des deux territoires fut coordonnée par le Comité central révolutionnaire secret bulgare (BTCRC) et soutenue par le prince bulgare Alexandre Ier.

L'union de la principauté de Bulgarie et de la Roumélie orientale provoqua la désapprobation parmi les grandes puissances européennes, car elle modifiait l'équilibre des pouvoirs dans les Balkans instables à plusieurs reprises; elle risquait aussi de subir des représailles ottomanes et une intervention russe au nom de la Bulgarie. Mais les grandes puissances de l'Europe durent se résigner à cet affaiblissement ottoman. Bien que de nombreux turco-musulmans aient quitté le pays depuis 1878, la population bulgare a conservé sa diversité ethnique, religieuse et linguistique.

La paix qui a suivi permit le retour limité des réfugiés et des survivants musulmans, mais au tournant du XXe siècle, la part des musulmans dans la population bulgare avait chuté à un dixième. La révolution nationale d'homogénéisation religieuse et linguistique entraîna l'émigration forcée, l'expulsion ou plus rarement la conversion forcée des chrétiens non orthodoxes. De plus, les chrétiens non slaves, principalement ceux qui parlaient le grec et l'aroumain, furent fortement pressés d'acquérir le bulgare ou de partir.

Au cours des cinq siècles de domination ottomane, la population bulgare est devenue de plus en plus hétérogène, acquérant notamment d'importantes minorités musulmanes de langue turque et slave

4 La domination russe
 

Le 27 novembre 1919, le traité de Neuilly-sur-Seine fut signé par les Alliés et la Bulgarie alliée de l'Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. Ce traité bouleversait à nouveau les frontières du pays : non seulement la Bulgarie devait rendre les territoires acquis pendant la guerre, mais elle perdait aussi des régions qui étaient les siennes avant la guerre. Étant donné que la Bulgarie était du côté des perdants, elle dut payer des réparations de guerre aux Alliés, tandis que son armée se trouvait réduite à quelque 33 000 hommes. De nombreux réfugiés venant en grande partie de la Macédoine allaient causer par la suite de graves problèmes.

Après la victoire communiste en Bulgarie, les sentiments anti-turcs augmentèrent. C'est à cette époque que la Bulgarie commença à être envahie de mots russes devenus la principale source d'enrichissement de la terminologie dans les domaines de la science et de la technologie. Ainsi, le russe joua un rôle important dans le développement de la langue bulgare. D'autres langues slaves contribuèrent également au développement du bulgare dont le serbe, le polonais et le tchèque, puis l'allemand et les langues comme l'italien, le roumain, le portugais et le français.

Le traité de 1919 obligeait la Bulgarie à protéger ses minorités en abandonnant le principe de protection des minorités religieuses et en introduisant des dispositions antidiscriminatoires telles que la protection de la race, de la nationalité et de la langue.

4.1 Les mesures de protection

Les dispositions concernant la protection des minorités apparaissaient dans les articles 50, 53, 54 et 55 du traité de Neuilly-sur-Seine:
 

Article 50

La Bulgarie s'engage à accorder à tous les habitants de la Bulgarie pleine et entière protection de leur vie et de leur liberté sans distinction de naissance, de nationalité, de langue, de race ou de religion.

Tous les habitants de la Bulgarie auront droit au libre exercice, tant public que privé de toute foi, de religion ou de croyance, dont la pratique ne sera pas incompatible avec l'ordre public ou les bonnes mœurs.

Article 53

Tous les ressortissants bulgares seront égaux devant la loi et jouiront des mêmes droits civils et politiques sans distinction de race, de langue ou de religion.

La différence de religion, de croyance ou de confession ne devra nuire à aucun ressortissant bulgare en ce qui concerne la jouissance des droits civils et politiques, notamment pour l'admission aux emplois publics, aux fonctions et aux honneurs ou à l'exercice des différentes professions et industries.

Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage pour tout ressortissant bulgare
d'une langue quelconque soit dans les relations privées ou de commerce, soit en matière de religion, de presse ou de publications de toute nature, soit dans les réunions publiques.

Nonobstant l'établissement par le Gouvernement bulgare
d'une langue officielle, des facilités appropriées seront données aux ressortissants bulgares de langue autre que le bulgare, pour l'usage de leur langue, soit oralement, soit par écrit devant les tribunaux.

Article 54

Les ressortissants bulgares, appartenant
à des minorités ethniques, de religion ou de langue, jouiront du même traitement et des mêmes garanties en droit et en fait que les autres ressortissants bulgares. Ils auront notamment un droit égal à créer, diriger et contrôler à leurs frais des institutions charitables, religieuses ou sociales, des écoles et autres établissements d'éducation, avec le droit d'y faire librement usage de leur propre langue et d'y exercer librement leur religion.

Article 55

En matière d'enseignement public, le Gouvernement bulgare accordera dans les villes et districts où réside une proportion considérable de ressortissants bulgares de langue autre que la langue bulgare, des facilités appropriées pour assurer que dans les écoles primaires,
l'instruction sera donnée, dans leur propre langue, aux enfants de ces ressortissants bulgares. Cette stipulation n'empêchera pas le Gouvernement bulgare de rendre obligatoire l'enseignement de la langue bulgare dans lesdites écoles.

Dans les villes et districts, où réside une proportion considérable de ressortissants bulgares appartenant à des minorités ethniques, de religion ou de langue, ces minorités se verront assurer une part équitable dans le bénéfice et l'affectation des sommes, qui pourraient être attribuées sur les fonds publics par le budget de l'État, les budgets municipaux ou autres, dans un but d'éducation, de religion ou de charité.

4.2 La pression turque

Au cours de la partition et de l'effondrement de l'Empire ottoman, un État-nation turc était apparu en Anatolie en 1923. Par la suite, la défaite de la Bulgarie lors de la Première Guerre mondiale, les deux coups d'État, en 1923 et 1934, ainsi que l'influence de la révolution de Mustafa Kemal déclenchent une intensification des nationalismes bulgare et turc au cours des années 1930-1940. La minorité turcophone de Bulgarie en subit les contrecoups dans son évolution économique, sociale et culturelle en devenant une communauté repliée sur elle-même, distincte tant du reste de la population bulgare que de la nation turque kémaliste.

En Turquie, la sécularisation radicale et l'occidentalisation, associées au progrès et à la modernisation, entraînèrent le passage en 1928 de l'écriture arabo-persane à l'alphabet latin pour écrire ce qui allait devenir très tôt langue turque moderne. Se méfiant de la révolution nationale turque, Sofia voulut isoler les turcophones de Bulgarie de cette influence perçu comme «indésirable». Le gouvernement bulgare offrit même un refuge sûr aux conservateurs et aux dirigeants religieux musulmans qui s'en tenaient à l'osmanlica basé sur l'écriture arabe, tout en mettant des obstacles à l'usage des lettres latines pour écrire et publier en turc. Après le coup d'État autoritaire de 1934 à Sofia, le nouveau gouvernement bulgare interdit même l'usage de l'alphabet latin pour écrire le turc. Les musulmans de langue bulgare, les Pomaques, avaient été soumis à une conversion forcée en 1912-1913, furent aussi victimes d'un changement de nom dirigé par le gouvernement au début des années 1940.

4.3 L'instauration du régime communiste

La Bulgarie fut relativement peu touchée pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle passa sous régime communiste avec l'entrée de l'Armée rouge en septembre 1944. Toutefois, le Kremlin, se méfiant de l'élite du pays parce que Sofia avait changé son alliance du Troisième Reich à l'Union soviétique seulement après que l'Armée rouge soit entrée sur le territoire bulgare, imposa à Sofia en guise de «punition» un vaste système de droits pour les minorités linguistiques et religieuses vivant en Bulgarie. Cette décision stoppa les «avancées» homogénéisantes de la révolution nationale en cours. Les Turcs de Bulgarie furent les plus grands bénéficiaires de cette politique, qui s'est accompagnée du passage instantané des lettres arabes aux lettres latines pour l'écriture et la publication en turc. La Bulgarie fut proclamée «République populaire» en 1946.

- La domination soviétique

La suprématie de l'Union soviétique en Bulgarie avait déjà été assurée en 1944 par le partage de l'Europe centrale et orientale (ou Bloc de l'Est), conclu à Moscou entre Churchill et Staline. Alignée politiquement et économiquement sur l’Union soviétique, la Bulgarie adopta par la suite les méthodes d’épuration staliniennes; la population subit la terreur du stalinisme de 1948 à 1956. Après avoir accordé des droits aux minorités, les autorités communistes changèrent leur fusil d'épaule et créèrent des 1948 des programmes visant à leur assimilation, y compris des transferts de population vers des zones d'implantation ethnique bulgare. Forte d'environ 55 000 personnes avant la Seconde Guerre mondiale, la population juive diminua fortement par la suite. La plupart des Juifs de Bulgarie purent émigrer en Israël après la guerre, le tsar Boris III de Bulgarie s'étant illustré en étant le seul allié de l'Allemagne nazie à protéger sa population juive en s'opposant fermement à la politique anti-juive et de déportation de l'Allemagne.

Dans le but d'isoler les Turcs de Bulgarie communiste des influences jugées «indésirables» qui venaient de la Turquie capitaliste pro-américaine, l'Union soviétique dépêcha des spécialistes azéris pour normaliser le turc bulgare, conformément aux besoins idéologiques soviétiques. La Bulgarie communiste devint le deuxième plus grand centre d'édition en langue turque après la Turquie elle-même. En 1950-1951, plus de 154 000 Bulgares turcophones furent expulsés de la Bulgarie à cause de l'entrée de la Turquie aux côtés des Alliés pendant la guerre de Corée. Cependant, en raison de son très fort taux de natalité contrastant avec celui des Bulgares, la minorité turque continua à croître en proportion dans le pays. Malgré l'occupation russe, l'anglais entra progressivement dans le vocabulaire bulgare. Beaucoup de mots anglais furent introduits dans les domaines du sport, de la technologie, de la vie sociopolitique et de la navigation.

- La répression linguistique (1950-1989)

Avant la campagne d'assimilation de Todor Zhivkov, la politique officielle concernant l'usage de la langue turque avait varié. Avant 1958, l'enseignement en turc était disponible à tous les niveaux d'enseignement et les étudiants universitaires étaient formés pour donner des cours de turc dans les écoles turques. Après 1958, les disciplines de langue turque n'étaient enseignées qu'en bulgare et les écoles turques ont été fusionnées avec les écoles bulgares. En 1972, tous les cours de turc furent interdits, même au niveau primaire. L'assimilation signifiait que les Turcs ne pouvaient plus du tout enseigner et la langue turque était interdite, même à la maison. Des amendes étaient infligées pour avoir parlé turc en public.
 

La politique de répression linguistique dont il s’agit ici concerne la période dominée par les 40 ans de régime communiste, notamment celle des années 1980 qui a pris fin en 1989. La Bulgarie a été l’un des États les plus autoritaires du monde communiste quant à l’exercice des libertés de ses citoyens. Contrairement à ce qui se passait dans plusieurs démocraties populaires, il n'existait pratiquement aucun mouvement contestataire en Bulgarie. Le Parti communiste, seul détenteur du pouvoir, maintenait un contrôle étroit sur la vie politique et culturelle; et l'immobilisme du régime de Todor Jivkov s’est prolongé durant trente-cinq longues années de pouvoir. De plus, de tous les pays de l’Est, la Bulgarie était l’État qui entretenait les meilleurs rapports avec l'URSS, et c'est aussi celui dont le peuple est resté le plus longtemps russophile, avec les Biélorusses.

Dans ces conditions, on peut comprendre que la question de la minorité turque du pays, évaluée alors à plus de 900 000 personnes, était restée enlisée.  En effet, la minorité turque a gravement souffert de discriminations et de répressions sous le régime communiste. De plus, les quelque 500 ans d'occupation étrangère, c’est-à-dire ottomane, avaient amené la Bulgarie à se montrer très restrictive à l'égard de ses minorités nationales, particulièrement les Turcs et les Grecs.

Le point culminant de la répression a été atteint lors de la brutale «campagne de bulgarisation» ou de «rebulgarisation» de l’hiver de 1984-1985. Les problèmes au sujet de la minorité turque (environ 10% de la population) s'aggravèrent en raison des mesures d'assimilation forcée et des mesures d'expulsion vers la Turquie. De plus, non seulement les toponymes turcs ont-ils été interdits, mais également les patronymes des citoyens d’origine turque. Cela signifie que les Turcs ont été forcés d’adopter des patronymes bulgares (avec l’alphabet cyrillique), et ce, jusque sur les pierres tombales; il a fallu changer les noms turcs dans les cimetières. L'État avait aussi interdit tout affichage en une autre langue que le bulgare.  Évidemment, l'enseignement du turc disparut dans toutes les écoles bulgares. Une autre mesure consistait à interdire de parler le turc en public, y compris à l'école. Les Turcs rejetèrent violemment cette identité ethnique forcée qui englobait également la suppression des journaux, des radios et même des conversations en turc. Bien évidemment, cela entraîna des tensions frontalières avec la Turquie.

Au cours de l’année 1986-1987, le gouvernement de la Turquie, peu porté lui-même envers ses minorités (bulgares et grecques), accusa officiellement le gouvernement de la Bulgarie de réprimer sa minorité turque et de la contraindre à renoncer à la pratique de sa langue nationale. Enfin, au cours du printemps de 1989, la répression réussit à faire fuir plus de 350 000 Turcs bulgares vers la Turquie, ce qui précipita la chute de Todor Jivkov. D’ailleurs, depuis 1985, la population de la Bulgarie avait diminué considérablement et l’une des causes était attribuée à l’émigration des Turcs fuyant les exactions des autorités bulgares. À l'été de 1989, la Bulgarie connut le plus grand nettoyage ethnique d'Europe de la guerre froide, au cours duquel plus de 370 000 Turcs furent expulsés de force de la Bulgarie communiste vers la Turquie. 

-  La révolution de 1989

En même temps, la Bulgarie connut en 1989 l'une des révolutions les plus discrètes des pays de l'Est avec l'éviction de Todor Jivkov, 78 ans, trente-cinq ans de pouvoir, et son remplacement à la tête de l'État par un communiste réformateur, Petar Mladenov, qui mit fin au monopole du Parti communiste et à la campagne d'assimilation de la minorité turque; Mladenov devint le premier président de la république de Bulgarie en 1990. Très inspiré de la perestroïka («restructuration») soviétique, le processus de la démocratisation bulgare s'est néanmoins heurté à une poussée de fièvre nationaliste bulgare, faisant apparaître encore le problème de la minorité turque comme l'un des principaux dangers dans la transition politique vers l’économie de marché.

5 L'instauration de la démocratie

La restauration des droits des minorités a commencé avec l'effondrement du gouvernement communiste en novembre 1989. Les nouvelles autorités ont adopté une législation pour restituer la propriété de ceux qui avaient fui le pays et autoriser l'utilisation de noms musulmans et arabes. Dès janvier 1990, le nouveau gouvernement bulgare annonça qu’il prendrait tous les moyens pour redonner aux Turcs leurs droits linguistiques. Le pays fut aussitôt secoué par des manifestations anti-turques provoquées par la décision officielle de restituer leurs droits aux membres de cette minorité. Une loi fut même adoptée à cet effet le 5 mars 1990. Un parti politique, le Mouvement pour les droits et libertés (MDL), fut fondé par Ahmed Doğan, figure de proue de la résistance des turcophones bulgares.

5.1 Des améliorations pour les turcophones

Malgré la présence du MDL dans la politique bulgare et l’amélioration globale des droits des musulmans et des turcophones en Bulgarie, les campagnes d’assimilation forcée des décennies de 1970 et de 1980 laissèrent des traces; l'écart entre Bulgares «de souche» et la communauté turque demeura vivante, surtout dans les régions éloignées. En juillet 1990, Petar Mladenov fut contraint de démissionner après avoir été accusé d'avoir suggéré l'emploi de tanks contre une manifestation contre le gouvernement organisée en décembre 1989.

En novembre 1990, le vote d'une loi autorisant les turcophones à reprendre leurs noms, qu'ils avaient dû changer durant la «campagne de bulgarisation» menée par l'ancien régime de Todor Jivkov, provoqua encore des manifestations ultranationalistes. La nouvelle loi donnait à toute personne touchée par la campagne de changement de nom trois ans pour restaurer officiellement les noms d'origine et les noms des enfants nés après le changement de nom. Les terminaisons slaves en -ov, -ova, -ev ou -eva pouvaient désormais être supprimées si elles ne correspondaient pas au nom d'origine, inversant l'effet d'une campagne des années 1950 pour ajouter des terminaisons slaves à tous les noms non slaves. La loi était importante non seulement pour les turcophones, mais aussi pour les minorités roms/tsiganes et pomaques, qui avaient été contraintes de changer de nom en 1965 et 1972. La Bulgarie signa et ratifia en 1998 la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, un instrument juridique international considéré comme le plus contraignant dans ce domaine.

En 1993, la Bulgarie devint membre à part entière de la Francophonie. L’un des apports les plus remarquables de la Bulgarie est sans doute la création, en 1996, par l’Agence universitaire de la Francophonie et le gouvernement bulgare, de l’École supérieure de la Francophonie pour l’administration et le management (l’ESFAM); cet établissement a pour objectif de former des cadres de haut niveau, en français, pour l’administration et la gestion. En 1996, on comptait 98 lycées dans lesquels le français fait l’objet d’un enseignement intensif en français.

5.2 Le nationalisme slave

Une seconde vague de nationalisme suivit en mars 1991, pour protester contre la décision d'introduire des cours facultatifs de turc à l'école, à partir de septembre 1991. Finalement, le 12 juillet 1991, le Parlement a adopté une nouvelle constitution qui a fait de la Bulgarie une république parlementaire. Avec l'adhésion de la Bulgarie au Conseil de l'Europe en mai 1992, la protection des minorités nationales est devenue une question importante. Même si la convention qui garantit les droits des minorités fut retardée jusqu'en 1997, elle est entrée en vigueur.

En 1997, lorsque le gouvernement bulgare créa un important organisme consultatif sur les droits des minorités, le Conseil national sur les questions ethniques et démographiques, les Pomaques en furent exclus. D'ailleurs, la participation politique de ces derniers resta limitée partout au niveau local, car ils continuèrent également d'être touchés par le durcissement plus étendu des attitudes populaires envers les musulmans qui, avec les Roms et les migrants, furent généralement décrits comme des éléments antisociaux et antinationaux par les politiciens populistes.

En 2001, Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, ex-roi de Bulgarie (1943-1946), de retour dans son pays, devint premier ministre en adoptant une politique minimaliste axée sur une «nouvelle morale politique» et l'amélioration de la qualité de la vie. Bien que les relations avec la Turquie se soient améliorées, la question de la minorité turque resta brûlante dans l'actualité. Beaucoup de Bulgares virent encore d'un mauvais œil le nouveau rôle joué par les turcophones. 

L'Union nationale Ataka (en bulgare: Национално обединение Атака, abrégé en Ataka ou Атака) fut fondée en avril 2005 par le journaliste Volen Nikolov Siderov. Elle reprend la majeure partie de l'idéologie des Branniks (milices fascistes) de la Seconde Guerre mondiale, à l'exception de l'antisémitisme. Cette coalition fut constituée par le Mouvement national pour le salut de la patrie, le Parti patriotique national bulgare et l'Union des forces patriotiques et des militaires réservistes pour la défense. Ce parti s'est défini comme une «organisation patriotique et nationaliste» qui disait non «à la vente de la Bulgarie aux étrangers, à la tsiganisation de la Bulgarie et à la turquisation de la Bulgarie». Le parti s'opposa, entre autres, à la restitution aux Bulgares turcophones de leurs propriétés et de leurs noms d’origine. Ataka, qualifié de nationaliste par de nombreux observateurs, adopta la théorie française du «grand remplacement», dénonçant le déficit démographique de la société bulgare et le risque d'une «dé-bulgarisation» de cette dernière. Évidemment, le parti Ataka se montra très hostile à la Turquie, accusée de «visée impérialiste», et à l'Occident qui demandait le respect des minorités ethniques. De ce fait, Ataka devint un allié objectif des visées russes dans les Balkans.

Lors des élections législatives de 2005, la «coalition pour la Bulgarie», dirigée par le Parti socialiste (BSP) arriva en tête avec près de 34% des voix (82 sièges sur 240), devant le Mouvement national Siméon II (21,8% avec 53 sièges), suivi du Mouvement pour les droits et les libertés (14% avec 34 sièges). La surprise vint surtout de l'arrivée en quatrième position (9% des suffrages avec 21 sièges) d'une coalition ultranationaliste créée deux mois auparavant par Ataka, qui a su profiter de la faible participation des électeurs et vers laquelle est allé le vote contestataire. Cette coalition incarnait un nationalisme radical qui reprenait à son compte une partie de l'idéologie communiste à la fois anti-américaine, anti-européenne, anti-turque et anti-rom, tout en dénonçant la trop grande subordination de la Bulgarie à la communauté internationale.

5.3 L'admission dans l'Union européenne

Malgré tout, la Bulgarie rejoignit officiellement, avec la Roumanie, l'Union européenne le 1er janvier 2007. Avant son entrée dans l'Union européenne, la Bulgarie s'était engagée à respecter les droits de ses minorités nationales, ce qu'elle ne fait pas. En fait, pour l'Union européenne, il fallait relier la Grèce à l'Europe centrale et éviter que la Bulgarie ne tombe dans l'escarcelle russe, comme sa voisine la Serbie. Mais la Bulgarie, tout en acceptant les subventions européennes, ne cache pas vraiment son penchant pro-russe.

En mai 2007, les premières élections européennes furent marquées par une participation des Bulgares (29,2% en Bulgarie). Un nouveau parti vit le jour, le GERB (Citoyens pour un développement européen de la Bulgarie), un mouvement de centre droit. En septembre de la même année, Jean-Marie Le Pen (FLN) vint apporter son soutien au parti Ataka. Le Pen précisa qu’Ataka défendait en Bulgarie les mêmes valeurs et les mêmes principes que le Front national en France. Le GERB, nouvel acteur politique, s'imposa aux élections locales de 2011 et il devint le premier parti politique au pouvoir à arriver de nouveau en tête des élections parlementaires de 2013. Le parti souhaitait assurer le respect des libertés et des droits fondamentaux, lutter contre la corruption, renforcer l'autorité de l'État et de ses institutions. En 2011, un projet de Loi sur la langue bulgare a été proposé, mais il n'a pu être adopté. Au cours des débats sur la question, les députés se sont chamaillés sur la pureté de la langue, l'orthographe, le langage juridique et l'usage des étrangers.

Dirigée par Volen Siderov, la coalition Ataka incarne un nationalisme radical reprenant à son compte une partie de l'idéologie communiste – anti-américaine, anti-européenne, anti-turque, anti-rom – et dénonce la trop grande subordination de la Bulgarie à la communauté internationale.

Dernière révision: 16 février 2024

Bulgarie
 


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3) Politique linguistique
 
4) Bibliographie