Les villes de Kiviõli, de Kohtla-Järve, de Narva, de Narva-Jõesuu et de Sillamäe (voir la carte) sont toutes des villes du comté de Viru-Est (ou Ida-Virumaa). Les problèmes d'intégration sont particulièrement évidents dans les grandes villes de Viru-Est et de Harju, car la méconnaissance de l'estonien apparaît moins comme un handicap. Les individus sans citoyenneté estonienne habitent généralement dans les villes, alors que les citoyens estoniens constituent plus de 95% des habitants des zones rurales.  

Depuis 1989, le nombre des locuteurs parlant la langue officielle (l'estonien) a augmenté de façon significative, alors que seulement 15 % de la population russophone pouvait s'exprimer en estonien. En 2005, cette proportion avait augmenté à 42% des russophones qui pouvaient s'exprimer activement estonien (c'est-à-dire pouvoir communiquer en estonien «bien» ou «au niveau intermédiaire»). Il y a eu également une augmentation continue du nombre de locuteurs d'autres nationalités qui communiquent en estonien: 10 % disent communiquer en estonien seulement, 48 % en plusieurs langues et seulement 40% utilisent seulement la langue russe pour communiquer. En même temps, au cours des dernières années, le nombre de locuteurs dont la langue maternelle n'est pas l'estonien et qui considèrent que la connaissance de l'estonien est importante représente 84 % de la population adulte.

La situation peut varier d'une région à l'autre. En 2005, à Tallinn, 16% des russophones ne pouvaient pas parler estonien, tandis qu'à Narva ce nombre était de 62%, c'est-à-dire qu'il était quatre fois plus élevé.

1.3 L'intégration des minorités et la citoyenneté estonienne

Lors du recensement de 2011, l'Estonie comptait au 31 décembre quelque 1,2 million de personnes, dont 24% étaient composées de personnes d'origine étrangère : 12 % de celles-ci correspondaient à la première génération, 8 % à la seconde et 4 % à la troisième. Au sujet de l'usage de la langue estonienne, les statistiques révèlent que seulement 30 % de la population d’origine étrangère de première génération, dont l’âge moyen est de plus de 60 ans, maîtrise l’estonien, alors que ce taux est d’environ 60 % pour la seconde génération et la troisième.

    Pourcentage de la population Nombre
1 Estoniens ayant la citoyenneté estonienne 70 % 916 608 000
2 Russes ayant la citoyenneté estonienne 13 % 170 227 200
3 Russes ayant la citoyenneté russe 7 % 91 660 000
4 Autres groupes ethniques ayant une citoyenneté étrangère 1,5 % 19 641 600
5 Personnes ayant une citoyenneté indéterminée 9,5 % 124 396 800
  Total (2011) 100 % 1 309 440
Le recensement de 2011 révélait que 70 % des Estoniens (n° 1) possédaient la citoyenneté estonienne, contre 13 % pour les russophones (n° 2) qui représentent pourtant 23 % de la population totale. En ce qui a trait à la citoyenneté, le tableau indique que le taux de la population de citoyenneté indéterminée (n° 5) atteignait 9,5 % de la population totale, tandis que ce taux était encore à 12 % en 2000. Les personnes détenant la citoyenneté russe (n° 3) représentent pour leur part 7% de la population globale. Il faut aussi tenir compte du fait que les groupes 4 et 5 sont plus hétérogènes par rapport aux autres groupes.

Alors que les autres groupes reflètent une combinaison d'identité ethnique et de citoyenneté, dans un souci de clarté, l'analyse ne tient pas compte des identités ethniques des personnes ayant une citoyenneté indéterminée.

En somme, on peut considérer que 100 % des estonophones ont la citoyenneté estonienne, alors que ce taux serait de 56 % (23 % - 13 %) pour les russophones. Cependant, force est de reconnaître que les russophones de Tallinn, de Pärnu ou de Tartu, en particulier les jeunes, s'intègrent généralement bien dans la société estonienne et maîtrisent la langue officielle. Par contre, les russophones de Narva, de Sillamäe, de Jöhvi, villes situées dans des régions à fort peuplement russophone, se sentent complètement coupés du reste de l’Estonie; ils n'ont que rarement l'occasion de pratiquer leurs rudiments d'estonien. D'ailleurs, c’est dans le comté de Viru-Est (Ida-Virumaa) que se trouvent concentrés la plupart des problèmes liés à l'intégration en Estonie. De fait, la population de ces régions ne s’y sent ni vraiment estonienne ni vraiment russe. Pour les estonophones, les autres minorités ukrainiennes, biélorusses, finnoises, allemandes, etc., sont considérées à tort ou à raison comme des russophones. 

Les personnes ayant une citoyenneté indéterminée sont des «non-citoyens» (en estonien: mitte kodanikud; en russe: ne graždani). Les non-citoyens sont des résidents estoniens qui n'ont aucune citoyenneté : ce sont des apatrides. Ils détiennent généralement un «passeport gris» de non-citoyen émis par les autorités estoniennes, une fois que les passeports soviétiques n'ont plus été valides. Plus de 120 000 résidents apatrides... c'est beaucoup.

2 Le droit à l’identité ethnique et à l’autonomie culturelle

Les droits des minorités nationales sont abordés par la Constitution et de plusieurs lois estoniennes.

2.1 La Constitution

Ces droits sont d'abord garantis par la Constitution de 1992. Quatre articles méritent d’être soulignés: l’article 12 relatif à la non-discrimination, ainsi que les articles 49, 50 et 51 relatifs à l’identité ethnique et à l’autonomie culturelle. L'article 12 énonce que tous les Estoniens sont égaux devant la loi:
 

Article 12  

1) Tous sont égaux devant la loi.

2) Nul ne doit subir de discrimination fondée sur la nationalité, la race, la couleur, le sexe, la langue, l'origine, la religion, les idées politiques et autres, le statut économique ou social ou autres motifs.

L'article 49 de la Constitution reconnaît à tout Estonien le droit à l'identité ethnique sur laquelle repose le multilinguisme de l'Estonie: «Toute personne a le droit de préserver son appartenance ethnique.» De plus, l'article 50 introduit la notion d'«autonomie culturelle»:
 

Article 49

Toute personne a le droit de préserver son appartenance ethnique.

Article 50

Les minorités ethniques ont le droit, pour défendre leur culture nationale, de créer des organismes d'autonomie, conformément aux conditions et procédures fixées par la Loi sur l'autonomie culturelle des minorités nationales.

Ainsi, les minorités nationales ont le droit, dans l'intérêt de leur culture, de créer des institutions d'autonomie qui leur sont propres.

2.2 La Convention-cadre du Conseil de l'Europe

Cette convention européenne énonce les principes, notamment sous forme de dispositions-programme, que les États parties s'engagent à respecter. Ainsi, l’Estonie s'est engagée notamment, dans le domaine des libertés linguistiques:

- à permettre l'utilisation de la langue minoritaire en privé comme en public ainsi que devant les autorités administratives;
- à reconnaître le droit d'utiliser son nom exprimé dans la langue minoritaire;
- à reconnaître le droit de présenter à la vue du public des informations de caractère privé dans la langue minoritaire;
- à s'efforcer de présenter les indications topographiques dans la langue minoritaire.

La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales comporte, en outre, un mécanisme de contrôle de la mise en œuvre de ces dispositions, qui confie au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, assisté d'un comité consultatif, l'évaluation de la bonne application de la Convention.

2.3 La Loi sur l'autonomie culturelle des minorités nationales

Conformément à ces dispositions constitutionnelles, le gouvernement a adopté, en 1993, la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales, qui permet aux minorités nationales d'acquérir un statut appelé «autonomie culturelle». Il s’agit d'une loi-cadre destinée à doter les organismes des minorités nationales de moyens juridiques, culturels, éducatifs et financiers, afin de préserver leur identité ethnique.

Il faut chercher principalement dans la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales de 1993 pour lire d'autres dispositions en matière linguistique.  La loi essaie d'abord de fournir une certaine définition des minorités nationales (article 1er):

 
Article 1er

La présente loi considère comme minorités nationales les citoyens de l'Estonie qui :

a) résident sur le territoire de l'Estonie;
b) maintiennent des liens de longue date, fermes et durables avec l'Estonie;
c) sont distincts des Estoniens sur la base de leurs caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques;
d) sont motivés par le souci de préserver collectivement leurs traditions culturelles, leur religion ou leur langue constituant la base de leur identité commune.

Cette définition dans la loi estonienne reprend presque mot pour mot les principaux critères qui sont énoncés dans la Recommandation 1201 du Conseil de l'Europe:

Article 1er

Aux fins de cette Convention, l'expression « minorité nationale » désigne un groupe de personnes dans un État qui :

a) résident sur le territoire de cet État et en sont des citoyens;
b) entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet État ;
c) présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ;
d) sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet État ou d'une région de cet État;
e) sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.

Selon la Recommandation 1201, il faut satisfaire à cinq conditions pour que l'on puisse parler de «minorité nationale» (cf. les paragraphes a à e). Dans le cas de l'Estonie, on doit constater que la condition relative à la citoyenneté exclut les immigrants de l'époque soviétique et leurs descendants, qui n'ont pas encore reçu la citoyenneté estonienne. Quoi qu'il en soit, la portée de cette exclusion à l'égard des non-citoyens estoniens semble être atténuée par deux facteurs:

- Il faut dire que le nombre des non-citoyens estoniens diminue progressivement. Ainsi, entre 1992 et 2000, quelque 115 000 personnes ont obtenu leur citoyenneté et les non-citoyens représenteraient maintenant moins de 20 % de la population ;

- L'article 6 de la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales prévoit clairement que les non-citoyens («les étrangers», dans le texte) peuvent participer aux activités développées par les minorités nationales en vertu de la loi, même s'ils n'ont pas le droit de vote ni le droit de faire partie de la direction des organismes d'autonomie culturelle.

Article 6

Les étrangers résidant en Estonie peuvent participer aux activités des organismes culturels et éducatifs, ainsi qu'aux assemblées religieuses des minorités nationales, mais ils ne peuvent pas voter, être élus ou nommés à la direction des organismes d'autonomie culturelle.

Autrement dit, bien que cette loi soit conçue avant tout pour les citoyens estoniens, elle peut bénéficier également aux non-citoyens qui partagent la langue et la culture d'une minorité nationale. Cela étant dit, la loi estonienne énonce des droits individuels, non des droits collectifs. En effet, alors que la Recommandation 1201 parle d'«un groupe de personnes», la loi estonienne fait mention de «citoyens»!

L'article 51 de la Constitution de 1992 concerne les droits linguistiques dans les localités où au moins la moitié des résidants permanents appartiennent à une minorité ethnique:
 

Article 51

1)
Chacun a le droit de s'adresser à l'État ou à l'autorité des collectivités locales et à leur fonction publique en estonien et d'en recevoir des services en estonien.

2)
Dans les localités où au moins la moitié des résidants permanents appartiennent à une minorité ethnique, chacun a le droit de recevoir des services de l'État et des autorités des collectivités locales et à leur fonction publique dans la langue de cette minorité ethnique.

Bien que l'article 51,2 concerne en pratique les localités à majorité russophone situées au nord-est du pays, les langues des autres minorités linguistiques sont possibles, selon l'article 52,2 de la Constitution :
 

Article 52

1)
La langue officielle de l'État et des collectivités locales est l'estonien.

2)
Dans les localités où la langue de la majorité de la population est une autre que l'estonien, les autorités des collectivités locales peuvent employer la langue de la majorité des résidants permanents de cette localité pour la communication interne, selon la mesure et la conformité des procédures déterminées par la loi.

3) L'usage des langues étrangères, y compris les langues des minorités ethniques, par les autorités de l'État, les tribunaux et les enquêtes préliminaires est prévu par la loi.

Paradoxalement, la Loi sur la langue (2011) précise à l’article 5 que toute autre langue que l’estonien est considérée comme une «langue étrangère» :

Article 5

Langue étrangère et langue des minorités nationales

1) Toute autre langue que l'estonien et la langue des signes estonienne est une langue étrangère.

2) Une langue d'une minorité nationale est une langue étrangère que les citoyens estoniens appartenant à une minorité nationale ont historiquement utilisée comme leur langue maternelle en Estonie.

3) Pour les fins de la présente loi, toute personne appartenant à une minorité nationale est un citoyen estonien ayant des liens solides et durables à long terme avec l'Estonie et qui se différencie des Estoniens par la maîtrise de la langue.

Nous devons comprendre que, au sens de la loi, la langue d’une minorité nationale est également une langue «étrangère». Ainsi, le russe, l’ukrainien le biélorusse, le finnois, le tatar, le letton et le lituanien constituent en Estonie des langues étrangères, ce qui n'est pas le cas pour la langue des signes estonienne.

- L'autonomie culturelle

Quand on parle d'«autonomie culturelle», il y aurait lieu de définir ce qu'on entend par cette expression. Dans la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales (1993-2002), cette «autonomie culturelle» est définie à l'article 2:

Article 2

1) Pour les fins de la présente loi, l'autonomie culturelle pour les minorités nationales est définie comme le droit des individus appartenant à une minorité nationale de former une autogestion culturelle afin de concrétiser leurs droits culturels accordés par la Constitution.

2) L'autonomie culturelle d'une minorité nationale peut être reconnue pour des individus membres des minorités allemande, russe, suédoise et juives appartenant aux minorités nationales avec un effectif de plus de 3000 membres.

On peut comprendre qu'il s'agit là d'une forme d'organisation centralisée à l'intention des minorités, cette organisation étant dirigée par une instance représentative élue selon des modalités fixées par l'État et placée sous le contrôle de celui-ci. En vertu de la loi, les membres d'une minorité nationale ont le droit (art. 4):

a. de former et de soutenir des organismes culturels et éducatifs, ainsi que des congrégations religieuses;
b. de créer des organisations ethniques;
c. de pratiquer leurs traditions culturelles et leurs coutumes religieuses si cela ne met pas en danger l'ordre public, la santé et la morale; 
d. d'employer leur langue maternelle dans leurs communications dans les limites prescrites par la Loi sur la langue;
e. de diffuser des publications dans les langues ethniques;
f. de conclure des accords de coopération entre des organismes ethniques, culturels et éducatifs et des assemblées religieuses;
g. de faire circuler et d'échanger des informations dans leur langue maternelle.

Ce statut d'autonomie culturelle ne constitue aucunement une obligation, mais une possibilité. Pour acquérir ce statut, il faut qu'une minorité dresse un registre des membres de sa communauté prouvant que celle-ci compte au moins 3000 membres. Ce sont les associations culturelles d'une minorité donnée qui doivent assumer cette tâche après avoir préalablement obtenu du ministère de la Culture le droit de dresser cette «liste de nationalité» (en vertu du décret du 1er octobre 1996). Toute inscription d'un membre d'une nationalité doit se faire qu'avec son accord écrit et cette liste ne peut compter que des citoyens estoniens. La liste doit au préalable être soumise au ministère de l'Intérieur, qui vérifie les noms et les adresses. Elle sera ensuite officialisée par le ministère de la Culture.

- Le Conseil culturel

La Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales prévoit l'élection d'un Conseil culturel doit être l'instance représentative d'une communauté minoritaire. Le Conseil culturel peut comprendre entre 20 et 60 membres, élus pour trois ans. Ce Conseil culturel possède tous les pouvoirs pour promouvoir la langue et la culture d'une minorité. Il peut former des commissions culturelles dans les villes ou au plan régional, nommer des représentants culturels locaux et créer des «institutions d'autonomie culturelle». La loi prévoit quatre types d'institutions:

1) les établissements scolaires et préscolaires;
2) les organisations culturelles;
3) les entreprises liées à la culture et aux maisons d'édition;
4) les établissements sociaux. 

Les modalités de l'élection au Conseil culturel sont en grande partie fixées dans la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales. La liste électorale est constituée à partir du registre national (liste de nationalité). Pour la tenue des élections au Conseil culturel, il faut qu'au moins la moitié des personnes inscrites sur la liste du registre national acceptent d'être inscrites sur la liste électorale. L'élection est valide si le taux de participation est supérieur à 50 %.  Le Conseil culturel d'une minorité peut accorder des bourses et décerner des prix. Ses ressources proviennent des subventions de l'État et des collectivités locales, des cotisations et des dons faits par des entreprises, des organisations ou des personnes privées. Les dons en provenance de l'étranger sont autorisés.

Depuis l'adoption de la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales de 1993, on ne compte aucune minorité bénéficiant du statut d'autonomie culturelle. Une seule communauté a entrepris des démarches pour l'obtenir, les Finnois, mais elle ne dispose pas encore de ce statut. Même la minorité russophone ne considère pas nécessaire d'acquérir le statut d'autonomie culturelle! Quant aux autres minorités (allemande, suédoise, juives, etc.), elles ne sont pas assez nombreuses pour acquérir une autonomie culturelle, puisqu'il faut 3000 membres. Il reste les Ukrainiens et les Biélorusses, mais ils ne sont jamais suffisamment nombreux au même endroit. Étant donné que le statut d'autonomie culturelle ne semble même pas nécessaire pour la minorité russe, il l'est encore moins pour les autres petites minorités.

Il semble bien que les procédures administratives pour l'obtention dudit statut soient complexes et difficiles. Il faut dire aussi que la loi n'accorde aucun nouveau droit aux minorités nationales. La seule grande originalité de la Loi sur l’autonomie culturelle des minorités nationales pourrait bien n'être que strictement administrative, car elle consiste surtout à proposer une sorte d'organisme pour la préservation de la langue et de la culture des minorités nationales.

- Les partis politiques

Il existe de quatre à six partis politiques qui exercent une certaine influence sur la politique en Estonie. Parmi eux, il faut mentionner le Parti du centre d'Estonie ("Eesti Keskerakond" ou EK), un parti populiste qui peut être considéré comme un représentant des intérêts de la minorité russophone. Toutefois, il ne s'agit pas à proprement parler d'un «parti russe», mais plutôt d'un parti pour lequel la communauté russophone d'Estonie tend à voter plus massivement. En Estonie, le système électoral permet d'exprimer la préférence pour un candidat sur une liste. Or, celles du EK comptent généralement plusieurs candidats russophones. L'existence de listes déposées par des candidats russophones ne semble pas inciter les électeurs à se tourner vers celles-ci, car ces listes ne recueillent généralement que 1,48 % des suffrages, ce qui est trop peu pour pouvoir, par exemple, siéger à un conseil municipal (où 5 % sont nécessaires).

Un autre parti politique mérite d'être mentionné: le Parti russe d’Estonie ("Vene Erakond Eestis" ou VEE), un parti conservateur qui revendiquait le droit à l’autonomie culturelle des russophones, lequel laisserait aux parents la possibilité de donner à leurs enfants une éducation «classique russe». En janvier 2012, le Parti russe d'Estonie a fusionné avec le Parti social-démocrate ("Sotsiaal-demokraatlik Erakond").

En Estonie, les populations russophones, y compris les apatrides, qui ont le droit de vote aux élections municipales, ne font traditionnellement pas leur choix politique selon un critère national (ethnique), mais ils choisissent de faire confiance à un parti dans la mesure où il leur semble pouvoir répondre à leurs attentes. Le Parti du centre d'Estonie semble combler ces attentes pour les russophones en matière économique et sociale.

3 Les langues minoritaires face à la justice 

En matière de justice, les membres d’une minorité nationale ont le droit à certaines protections. Ainsi, l’article 21 de la Constitution précise que «quiconque est privé de sa liberté sera informé sur-le-champ, et dans une langue qu’il comprend, de la raison de son arrestation, ainsi que ses droits, et il pourra avertir sa famille de son arrestation»:
 

Article 21

1) Quiconque est privé de sa liberté sera informé immédiatement, et
dans une langue qu'il comprend, du motif de son arrestation et ses droits lui donneront l'occasion d'aviser sa famille de l'arrestation. Il sera également accordé sur-le-champ au contrevenant soupçonné l'occasion de choisir un conseiller juridique et de conférer avec lui. Le droit d'un contrevenant soupçonné pour aviser sa famille de l'arrestation peut seulement être limité dans tels cas(affaires) et procédures comme déterminés conformément à la loi, pour le but d'empêcher un acte criminel ou dans l'intérêt d'établir des faits dans une enquête criminelle.

2) On ne peut mettre aux arrêts personne pour plus de quarante huit heures sans permission spécifique par une cour. Une telle décision sera promptement faite connue à la personne en détention préventive, en une telle langue et la façon qu'il ou elle comprend.

Dans les cours de première instance ainsi que dans la procédure judiciaire préliminaire, il est possible d’obtenir un procès dans la langue d’une minorité nationale, si la personne accusée est membre d’une collectivité locale. Si toutes les parties à un procès ont accepté que tout se déroule en russe, par exemple, le juge pourra rendre sa sentence en russe en plus de l'estonien. Tel est le libellé de l'article 7 du Code de procédure civile:
 

Article 7

Langue de la procédure et présentation des requêtes

1)
La langue de la procédure civile est l'estonien. Avec le consentement de la cour et des parties dans une procédure, celle-ci la procédure peut se dérouler dans une autre langue si le tribunal et les parties à l'instance connaissent cette langue.

2) Toute partie à une instance et toute autre personne qui ne comprend pas la langue de la procédure ont le droit de présenter des requêtes, des déclarations et des témoignages, de comparaître en justice et de présenter des requêtes
au moyen d'un interprète ou d'un traducteur dans leur langue maternelle ou dans une langue qu'elle connaît.

3) Les parties à la procédure doivent transmettre leurs délibérations en estonien et les présenter comme des documents distincts. Si une procédure se déroule dans une autre langue, le tribunal peut présenter la délibération dans un document distinct en estonien ou dans la langue de la procédure.

4) Si une délibération présentée comme document distinct n'est pas présentée en estonien, une traduction en estonien doit être accordée à une partie à l'instance, à la demande de la partie. Une délibération présentée dans une autre langue peut être accordée à une partie à l'instance uniquement avec le consentement de cette partie.

5) Si une requête écrite ou un document d'appel ou de témoignage soumis au tribunal par une partie à l'instance n'est pas rédigé en estonien, le tribunal peut exiger une traduction certifiée conforme de la requête, du document d'appel ou du témoignage pour une date spécifiée. Si la traduction n'est pas soumise à la date prévue, le tribunal peut rejeter la requête ou le document. Un document dans une autre langue ne peut être accepté à une partie à l'instance qu'avec le consentement de cette partie.

En fait, la seule langue autre que l'estonien qui peut être employée durant tout un procès est le russe, bien que ce ne soit pas garanti. Dans les autres cas, toute autre langue demeure une langue de traduction, les juges n'étant jamais tenus de comprendre une autre langue que l'estonien.

Selon l'article 33 du Code de procédure civile, lorsqu'un document est présenté dans une langue étrangère, il faut le faire traduire:
 

Article 33

Documents en langue étrangère dans une procédure judiciaire

1) Si une pétition, une requête, une objection ou un appel présentés au tribunal par un participant à une procédure n'est pas fait en estonien, le tribunal exige que la personne qui présente ces documents fournisse une traduction en estonien à la date fixée. Si une preuve documentaire présentée au tribunal par un participant à une procédure n'est pas en estonien, le tribunal exige que la personne qui présente ces documents fournisse une traduction en estonien à la date fixée, à moins que la traduction de la preuve ne soit déraisonnable, compte tenu de son contenu ou de sa taille et des autres participants à la procédure qui ne s'opposeraient pas à accepter la preuve dans une autre langue.


Cependant, les parties à une procédure peuvent convenir d'une autre langue s'il y a accord:
 
Article 734

Langue de la procédure

1) Les parties peuvent convenir de la langue de la procédure d'arbitrage. En l'absence d'accord, la langue de l'instance est décidée par le tribunal arbitral.

2) Sauf par une disposition contraire des parties ou d'une décision d'un tribunal arbitral, les pétitions des parties, la décision du tribunal arbitral et les autres avis du tribunal arbitral doivent être présentés dans la langue convenue ou prescrite, ainsi que les sessions du tribunal arbitral.

3) Un tribunal arbitral peut exiger la remise de certificats écrits accompagnés d'une traduction dans la langue convenue entre les parties ou prescrite par le tribunal arbitral.

Le Code de procédure pénale oblige le juge à rendre sa sentence en estonien, mais si l'accusé ignore la langue de la cour, la sentence devra être traduite pour que ce dernier comprenne les motifs de sa culpabilité ou de son innocence:
 

Article 315

Prononcé de la sentence du tribunal et explication du droit d'appel

1) Un juge ou, selon le cas prévu au paragraphe 18.1 ou 18.3 du présent code, doit prononcer sa sentence au moment annoncé en vertu de l'article 304 du présent Code.

2) Si l'accusé ne maîtrise pas la langue de la procédure pénale, la sentence de la cour doit être interprétée ou traduite pour lui après le prononcé de la sentence.

Il ne faut pas se leurrer, les procès qui se déroulent uniquement en russe ont lieu principalement dans les villes de Tallinn, de Narva, de Kohtla-Järve, de Rakvere et de Tartu, là où les russophones sont majoritaires ou constituent une minorité importante.