Les majorités linguistiques fragiles 3. Le bilinguisme obligatoire des États non souverains |
La grande caractéristique des majorités locales dotées de pouvoirs législatifs ou administratifs importants, c'est qu'elles sont aussi une minorité à l'échelle d'un pays. C'est forcément un statut ambigu, car il existe une hiérarchie politique. L'État non souverain, qu'on l'appelle «province», «région autonome», «communauté autonome», etc., abrite une une majorité ethnolinguistique régionale devant subir la concurrence d’une autre langue majoritaire à l’échelle nationale.
Certains disposent d’un pouvoir politique relativement suffisant pour tenter de tenir tête à la langue nationale concurrente. C’est le cas du Québec (français), de la Galice (galicien), du Panjab indien (panjabi), de la province italienne de Bolzano (allemand), mais c’est de moins en moins possible pour Hong Kong (cantonais) et le Cap-Occidental sud-africain (xhosa), et ce n’est plus du tout le cas pour la province néerlandaise de la Frise (frison) et les régions anglophones camerounaises ou le Tibet (tibétain), bien que ces régions soient des majorités locales en état d’obsolescence programmée. |
Dès qu’une langue en situation de concurrence est incapable de prendre de l’expansion, elle est en processus de régression, car ce sont des vases communicants. Dans tous les États non souverains, la dynamique fait que la majorité qui contrôle le pays va toujours protéger sa langue aux dépens des communautés locales plus vulnérables. Autrement dit, la majorité nationale impose un carcan juridique à une majorité locale qui se voit imposer la langue nationale. De fait, tous les États non souverains sont assujettis aux lois qui s'appliquent à l'ensemble du pays et qui peuvent contrecarrer ou annuler les lois locales. De façon générale, la proportion des majorités locales tend à régresser face au rouleau compresseur de la majorité nationale. Entre deux majorités qui s'opposent, la plus forte a des chances de l'emporter.
États de cette catégorie: Frise néerlandaise, Tibet, Provinces anglophones du Cameroun, Hong Kong, Cap-Occidental, Province de Bolzano, Galice, Panjab, Québec.
Le Royaume des Pays-Bas (17,8 millions d'habitants) est constitué de douze provinces, de quatre États constitutifs (Pays-Bas, Aruba, Curaçao et Sint Maarten) et de trois municipalités à statut particulier (Bonaire, Saba et Saint-Eustache). Parmi les 12 provinces des Pays-Bas, l'une d'elles se caractérise par une langue locale majoritaire : la Frise, officiellement appelée Fryslân, peuplée par la minorité autochtone du pays, les Frisons. Les locuteurs du frison, une langue germanique demeurée assez proche de l’anglais, ne comptent que pour 4% de la population des Pays-Bas, mais pour 72% de la province de la Frise, soit 480 000 personnes sur une population d’environ 660 000 habitants. Sur 23 municipalités, les Frisons sont majoritaires dans 14 d'entre elles.
Comparativement aux provinces du Canada ou des États des États-Unis, les provinces néerlandaises ne disposent pas de pouvoirs très étendus, bien que chacune d'entre elles bénéficie d'une assemblée provinciale; il s’agit de pouvoirs quasi administratifs qui assurent la liaison entre l’État central et les municipalités. En fait, l’essentiel des pouvoirs juridiques, politiques et financiers est exercé par le gouvernement central, et non par les administrations provinciales, dont la mission première est d'appliquer les politiques du gouvernement central. En ce sens, les Pays-Bas ne forment pas une fédération, sauf pour les Pays-Bas caribéens. |
- Le Parlement frison
Au Parlement frison, le Conseil provincial ainsi que les parlementaires s’expriment en frison et en néerlandais, mais les lois et règlements locaux ne sont rédigés dans les deux langues que depuis 2015. Bien que le frison soit co-officiel avec le néerlandais dans toute la province, aucun élu n'est tenu de maîtriser la langue frisonne, mais obligatoirement le néerlandais. On recommande aux parlementaires néerlandophones d'apprendre au moins passivement le frison, mais tout repose sur la bonne volonté des individus. Une hiérarchie s'est établie: le néerlandais est obligatoire partout, tandis que le frison est optionnel.
Le nom officiel de la Frise est celui donné en frison: Fryslân plutôt que celui en néerlandais (Friesland), un symbole gagné de haute lutte. Dans les faits, la plupart des parlementaires s'expriment en néerlandais parce que les textes de loi sont dans cette langue. Le frison est néanmoins protégé par la Loi sur l'emploi de la langue frisonne (2013), une loi adoptée par le Parlement néerlandais.
- Les tribunaux
La Loi sur l'emploi de la langue frisonne autorise tout justiciable résidant dans la province de la Frise de recourir au frison dans un palais de justice. Cela signifie aussi que si un juge ne comprend pas le frison il doit recourir à un interprète dont le coût est assumé par l'État. Dans tous les cas où un document doit être approuvé par un juge, l'acte final en frison peut être dressé et inscrit dans les registres publics à la condition qu'il soit accompagné d'une déclaration d'un traducteur de frison assermenté témoignant que l'acte est une traduction fidèle du document approuvé par le tribunal. Toutefois, les juges néerlandophones n'apprennent jamais le frison et, comme ils peuvent venir des autres provinces, la plupart des procès «bilingues» doivent se dérouler en néerlandais avec des interprètes.
Cependant, le fait de faire appel à un interprète peut signifier que le procès sera ajourné et que, dans les affaires civiles, le tribunal peut également décider que la rémunération de l'interprète est à la charge de la personne assistée d'un interprète. Finalement, le réseau actuel d'interprètes frisons est vulnérable en raison du nombre peu élevé de traducteurs. En matière commerciale, les procès se déroulent généralement en anglais. Tout compte fait, il y a davantage de procès en anglais sans interprète qu'en frison avec interprète.
- Les services administratifs
Le néerlandais reste aussi la langue des services publics partout au pays. Tous les citoyens néerlandais sont assurés de recevoir des services en néerlandais. À l’égard du frison, le gouvernement néerlandais n'a manifesté jusqu'à récemment qu'une certaine tolérance, sans plus, car il n’a jamais pris de mesures significatives pour garantir l'usage du frison dans l'administration locale, surtout en ce qui concerne la langue écrite.
Aujourd'hui, la loi autorise l'emploi du frison dans la province de la Frise à la condition que l'emploi du frison n'entraîne pas un fardeau trop lourd pour l'administration centrale ou qu'une partie demande que le néerlandais soit employé, ce qui disqualifie alors le frison. De plus, plusieurs municipalités frisonnes sont exemptées d'adopter une politique linguistique concernant l'emploi du frison. Les Frisons ont le droit de s’adresser dans leur langue, oralement ou par écrit, auprès des autorités provinciales et municipales, mais ils ne peuvent exiger formellement une réponse dans cette langue. Légalement, seule la connaissance passive du frison est exigée de la part des fonctionnaires. Si ces derniers échouent au texte, ils sont simplement invités à suivre des cours sans compromettre pour autant leur poste. Bref, les communautés néerlandophones placées en situation minoritaire bénéficient de beaucoup plus de droits que les communautés frisonnes majoritaires.
- L'éducation
Dans les jardins d'enfants, les enfants sont libres d'employer leur langue maternelle dans la mesure où le personnel parle cette langue, sinon c'est le néerlandais qui prévaut. Dans les écoles primaires, le frison peut être une langue d'enseignement, mais en ce cas il doit être employé en même temps que le néerlandais. C'est donc le bilinguisme intégral, tant pour les frisonophones que pour les néerlandophones, au grand mécontentement de ces derniers. Sur 500 écoles, près de 400 considèrent que le frison est inutile comme langue d'enseignement, puisque la plupart des écoles, environ 80 %, emploient le frison comme matière d'enseignement pour des périodes totalisant entre 10% à 30% du temps d'enseignement. En moyenne, les écoles primaires consacrent environ 40 minutes par semaine au frison. De nombreuses écoles intègrent aujourd'hui des cours d'anglais, ce qui réduit le temps consacré au frison.
Au secondaire, le frison est proposé dans une proportion de 25% du temps dans toutes les écoles, mais environ 5% de tous les élèves sont inscrits à au moins une heure par semaine de cours de cette langue (durant une année ou deux). Les deux tiers des écoles secondaires font apprendre le frison pendant une heure par semaine.
- Les médias
La quasi-totalité des stations de radio et des chaînes de télévision diffuse uniquement en néerlandais. Mais la radio Omrop Fryslân diffuse environ 70 heures d'émissions exclusivement en frison, chaque semaine, et quelques heures à la télévision sur sa propre chaîne (deux heures par jour). Le néerlandais n'est employé que si la personne interviewée ne parle pas frison. Le nombre d'auditeurs dépend des émissions: beaucoup de gens écoutent les prévisions météorologiques; ils sont moins nombreux à écouter les émissions religieuses. Plus de 50 minutes en frison sont aussi diffusées à la télévision chaque semaine sur une chaîne publique hollandaise, 20 minutes étant destinées aux écoles.
En ce qui a trait aux journaux, à part quelques journaux en anglais, ils sont tous en néerlandais, ce qui comprend ceux de la province de la Frise. Il n'existe pas de quotidiens en frison, mais un mensuel entièrement rédigé en frison.
- Résumé
Les Pays-Bas ont fini par adopter un régime accordant plus de droits aux Frisons résidant dans la province de la Frise que pour toutes les autres minorités réunies en territoire européen. Bien que le gouvernement néerlandais ait cédé aux pressions, il a conservé le plein contrôle d'une politique linguistique propre à la Frise. Avec un pouvoir provincial restreint et de faibles ressources financières attribuées au gouvernement local, les tentatives d'une politique linguistique adéquate sont forcément limitées. Pour le gouvernement néerlandais, la question frisonne demeure d'une importance plutôt secondaire et elle n’est pas considérée comme d’un grand intérêt national. Si l’on compare la situation des Frisons à celle d’autres pays européens, on pourrait dire qu’ils bénéficient par chance d'un gouvernement central non répressif malgré son indifférence. Pour plusieurs observateurs, le frison est une langue agonisante dont les locuteurs luttent non pas pour sa survie, mais pour sa valeur identitaire.
Le Tibet est l'une des cinq régions autonomes de la République populaire de Chine.
Le statut de Région autonome s'applique aux régions comptant historiquement d'importantes minorités nationales. En principe, une région autonome est une division territoriale de niveau provincial dans laquelle une part importante de la population appartient à une minorité ethnique bénéficiant officiellement d'une plus grande autonomie que les provinces ordinaires. Ainsi, le Tibet jouit d'une certaine indépendance financière, économique et administrative, et possède son propre gouvernement local ayant le pouvoir d'adopter des réglementations concernent l’éducation, la santé, l’agriculture, l’aide sociale
et la langue.
En 2020, le Tibet comptait 3,6 millions d'habitants, dont 90% de Tibétains. En réalité, la Chine compte 6,0 millions de Tibétains, mais près de la moitié des Tibétains chinois vivent dans d'autres provinces du pays. Les langues officielles au Tibet sont le tibétain et le mandarin (en chinois officiel : le putonghua). La population du Tibet ne compte que pour 0,4 % de la population chinoise (1,4 milliard). |
- L'Assemblée populaire locale
Les délégués à l'Assemblée populaire de la région autonome du Tibet ont le droit d'employer le tibétain ou le mandarin. Ils ont aussi le droit de rédiger des réglementations en tibétain en plus du putonghua. C'est ainsi que l'Assemblée a pu adopter le Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine (1987-2002). La plupart des représentants locaux sont majoritairement des Tibétains, que ce soit dans les départements, les districts, les cantons, les municipalités, etc., car peu de sinophones sont prêts à aller vivre dans ces contrées de haute altitude. Selon les autorités chinoises, le putonghua et le tibétain doivent être employées parallèlement dans les résolutions, les textes de lois et les règlements adoptés par les assemblées populaires aux différents échelons de la région autonome ainsi que dans les documents officiels et les annonces des gouvernements aux différents échelons de la région et des départements administratifs. Évidemment, plus les échelons administratifs sont élevés, moins la langue tibétaine est employée.
- Les tribunaux
Les tribunaux populaires locaux constituent des organismes habilités à employer des langues minoritaires en Chine comme le tibétain. Officiellement, la procédure judiciaire peut se dérouler en tibétain ou dans une autre langue minoritaire. Cela signifie que, dans les régions autonomes, les procès peuvent être bilingues. La plupart des responsables principaux des parquets et des tribunaux sont tibétains, mais la connaissance du mandarin demeure indispensable.
Dans les faits, les juges ne sont pas tenus de savoir le tibétain, mais peuvent recourir à la traduction. C'est le principe du droit de parler sa langue maternelle, qui n'implique pas nécessairement celui d'être compris dans cette langue. En fait, le tibétain est considéré comme une langue étrangère dans la région autonome. Pendant 70 ans de domination chinoise au Tibet, les autorités tibétaines locales, sous la pression du gouvernement central, ont tenté de siniser progressivement le Tibet et les Tibétains, malgré les protections constitutionnelles de la langue locale, et bien que le Tibet soit qualifié de «région autonome».
- Les services publics
La loi énonce clairement que, dans le recrutement des fonctionnaires et des travailleurs de nationalité chinoise, il faut privilégier des candidats bilingues maîtrisant à la fois la langue nationale commune et la langue tibétaine. En réalité, il est plus facile d'employer le tibétain dans les symboles administratifs (formulaires, en-têtes, etc.) que dans les communications officielles réelles, car il n'est pas aisé d'employer le tibétain dans les bureaux administratifs.
Bien que le tibétain soit décrété «première langue» en usage dans tous les bureaux administratifs tibétains et les réunions publiques ainsi que pour la correspondance officielle, c'est le mandarin qui sert partout de langue de travail. Autrement dit, le mandarin est beaucoup plus officiel que le tibétain! Dans toutes les administrations gouvernementales (bureaux, banques, postes, stations d’autobus, etc.), la plupart des documents ne sont rédigés aujourd'hui qu'en mandarin, non plus en tibétain. Il en est ainsi des noms des localités (toponymes) qui, de façon progressive, perdent leur dénomination tibétaine pour une appellation chinoise. Dans les librairies, les volumes en tibétain ne représentent plus que 5% à 10% des livres vendus. Dans les faits, les rapports administratifs du gouvernement, particulièrement à un niveau plus élevé, sont généralement rédigés uniquement en mandarin. Presque tous les logiciels employés au Tibet dans les bureaux sont formatés pour lire uniquement le mandarin. Il en résulte que de façon progressive les Tibétains, même instruits, perdent la capacité d'écrire dans leur propre langue.
De plus, le fait de nommer des Tibétains d'origine à des instances administratives ne signifie pas que la langue tibétaine va être employée. Certains croient que la politique d'assimilation en douce pratiquée par Pékin entraîne une dévalorisation sociale liée à l'usage du tibétain. C'est ce qui expliquerait que beaucoup de dirigeants tibétains hésiteraient avant de prendre la défense de leur propre langue, car ils pourraient être accusés de rébellion ou de terrorisme. Bref, il ne suffit pas d'être tibétain pour parler le tibétain, il faut aussi en avoir l'autorisation.
- L'éducation
La Constitution chinoise garantit les droits linguistiques des minorités en matière d'éducation, dont l’enseignement en tibétain dans les écoles primaires. Il existe en principe trois types d'écoles au Tibet: des écoles unilingues chinoises, des écoles bilingues et des écoles unilingues tibétaines. Les écoles où toutes les matières sont offertes seulement en mandarin sont destinées tant aux Chinois qu'aux Tibétains. En général, ces écoles sont situées dans des centres urbains et disposent des meilleurs équipements et des fournitures scolaires adéquates, ainsi que d'un personnel enseignant relativement qualifié. Il y a aussi des écoles bilingues dans lesquelles le tibétain standard est enseigné aux enfants dont la langue maternelle est le mandarin ou un tibétain dialectal local. Il existe aussi des écoles dans lesquelles l'enseignement est entièrement en tibétain, alors que le mandarin est une langue seconde. Dans ce cas, il s'agit toujours de petites écoles d'un village éloigné, disposant de peu de moyens et d'un personnel plus ou moins qualifié.
Cependant, le climat politique étant devenu de plus en plus répressif, les autorités chinoises considèrent désormais que même les initiatives locales de promotion de la langue tibétaine constituent des «activités séparatistes». Or, les faits démontrent que, dans la région autonome, les autorités locales ont adopté des mesures destinées à faire pression sur les écoles pour qu’elles adoptent l’enseignement en mandarin. D'une part, l'État chinois a élaboré des principes généraux en matière de protection linguistique, d'autre part, il a aussi mis en vigueur un enseignement de la langue nationale à tous les citoyens du pays.
En réalité, l'usage du tibétain en éducation fait face à de sérieux problèmes, car plus de 40% des enseignants sont des Chinois ne connaissant pas un traître mot de tibétain, alors que la loi les oblige à être bilingues. De plus, il est plus important d'inculquer la fidélité à l'État chinois que de sauvegarder l'identité tibétaine. L'objectif principal semble être de siniser la population tibétaine et de l'endoctriner par des dogmes idéologiques et politiques, au moyen d'un sempiternel discours portant sur «l'amour de la patrie». Non seulement le tibétain est de moins en moins enseigné, mais le mandarin (putonghua) continue d'être la principale langue d'enseignement dans les écoles primaires. Les écoles sont devenues des «incubateurs» pour propager l'idéologie communiste; elles servent à former de futurs sinophones dociles qui agiront comme des leaders dans leur communauté afin de consolider le contrôle chinois sur le Tibet à des fins patriotiques.
- Les médias
Selon Pékin, le tibétain est largement employé dans les médias et dans les publications. En fait, la plupart des journaux, livres et périodiques distribués au Tibet sont en mandarin, non en tibétain. On comptait il y a quelques années plus de 400 magazines en vente en mandarin, mais un seul en tibétain. À la radio, les stations locales émettent en tibétain et en mandarin. Les chaînes de télévision diffusent des dizaines d'heures de programmation par semaine en tibétain.
Quoi qu'il en soit, les télévisions et radios officielles demeurent les plus importants outils de propagande pour le Parti communiste chinois. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en mandarin, afin de contrer les «activités contre-révolutionnaires» au nom de la «nécessaire dictature du prolétariat». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la «politique de sinisation» de la langue tibétaine.
- Résumé
Il ne faut jamais oublier qu'en Chine c'est le Parti communiste qui détient le réel pouvoir, pas les représentants locaux. Qu'ils soient tibétains ou chinois ne change rien à la situation. La Région autonome du Tibet n'est pas maître de son destin. Par conséquent, elle ne peut adopter la politique linguistique qu'elle désire. Les dirigeants tibétains doivent forcément composer avec une politique chinoise prépondérante qui ne leur est pas favorable. En fait, la politique linguistique appliquée dans la Région autonome du Tibet compte deux volets. L'une provient de Pékin et elle correspond à une politique qui se rapproche de l'assimilation dans la mesure où l'État central ne cherche pas à protéger la langue tibétaine, mais plutôt à temporiser en attendant que les Tibétains s'assimilent en douce au mandarin. Le second volet, c'est que les Tibétains considèrent leur langue comme la source de leur culture, alors que les autorités chinoises la perçoivent comme le symbole du sentiment nationaliste ou «séparatiste». Toute politique orientée vers la sauvegarde de la langue tibétaine est perçue comme antipatriotique par les Chinois.
Au Tibet, il vaut mieux parler de politique «sino-tibétaine», parce que la politique tibétaine est totalement inféodée à la politique d'assimilation chinoise; elle ne dispose d'aucune marge de manœuvre. Le Tibet vit sous un régime autoritaire accompagné de racisme, de dogmatisme, de mépris et d'ignorance. Pour la Chine, le Tibet, cet immense désert d’altitude (4000-4500 m), constitue un territoire de colonisation de premier choix, car il servira un jour à désengorger un pays surpeuplé.
Le Cameroun est un pays de l'Afrique occidentale comptant 28,9 millions d'habitants. Ceux-ci sont répartis en 250 groupes ethniques et en plus de 300 langues africaines. Au moment de l'indépendance en 1961, les langues camerounaises étaient à la fois si nombreuses, si diverses et parlées parfois par si peu de locuteurs qu'il parut plus pratique de maintenir le français et l'anglais comme langues co-officielles après le rattachement de deux provinces anglaises détachées du Nigeria. Évidemment, aucune des langues camerounaises n'est majoritaire, mais le Cameroun applique la formule de la division territoriale des langues coloniales. En ce sens, la société camerounaise est majoritairement francophone (environ 83% de la population) et compte une minorité de quelque 17% d'anglophones vivant dans la région du Nord-Ouest
(North West Region) et celle du Sud-Ouest (South West Region), jadis sous administration britannique.
Le fédéralisme initial, qui avait permis d'inclure deux provinces anglaises du
Nigeria, fut abandonné en 1972 sous prétexte qu'il était trop coûteux pour le
pays. Aujourd'hui, le pays est divisé en dix régions administratives (appelées «provinces» jusqu'en 2008), dont huit sont majoritairement francophones et deux majoritairement anglophones.
Chacune des régions est placée sous l’autorité d’un gouverneur et d'un conseil régional; celui-ci constitue l'Exécutif de la région et il est composé de délégués de départements élus au suffrage universel indirect. Les pouvoirs de conseils régionaux sont limités, car ils sont dépositaires de l'autorité de l'État. |
Depuis plusieurs décennies, la proportion des anglophones du Cameroun est en régression constante: de 21% de la population en 1976, elle est passée à 20% en 1987, à 17% en 2005 et à 16% en 2015, pour continuer ainsi par la suite. Le nombre de personnes déclarant pouvoir s’exprimer en français était en 2010 à 57,7% et il a poursuivi sa progression par la suite. Les deux régions anglophones sont majoritaires dans une proportion de 66% dans le Nord-Ouest et de 75% dans le Sud-Ouest.
- Le Parlement
Les membres des conseils régionaux (en anglais: "Regional Council") s'expriment en anglais en général, mais peuvent le faire en pidgin English ou en français; les . Les députés du Parlement national s'expriment dans la langue de leur choix (français ou anglais), mais la loi du nombre fait que les délibérations se déroulent généralement en français. Toutefois, la Chambre dispose d'un système de traduction simultanée. Les lois sont adoptées et promulguées dans les deux langues officielles, mais il arrive que certaines lois soient promulguées seulement en français, en raison des retards de la traduction qui n'est parfois disponible que deux ou trois semaines après leur promulgation. En outre, les erreurs sont nombreuses, car les traductions vers l’anglais sont souvent faites par des traducteurs sans expérience dans la profession. Des lois peuvent être retirées pour rectification à cause de versions trop différentes dans leur contenu entre le texte français et le texte anglais. Dans les deux conseils régionaux anglophones ("Regional Councils"), l'anglais et le français sont autorisés, ce qui n'est pas le cas dans les conseils régionaux francophones.
Afin de respecter un certain bilinguisme, le gouvernement central est en principe constitué de ministres francophones et anglophones, tant musulmans que chrétiens, issus lorsque cela est possible de chacune des dix régions. Mais les ministres francophones ne sont pas toujours bilingues, contrairement aux ministres anglophones, généralement fidèles au chef de l'État. Par conséquent, le français domine largement la vie politique camerounaise.
- Les tribunaux
Dans les régions francophones, les juges et les avocats ne s'expriment en général que dans la seule langue française, alors que dans les zones anglophones, le personnel judiciaire et les justiciables alternent entre l’anglais et le pidgin english qui est compris de toute la population. En fait, les arrêts de la Cour suprême doivent être mis le plus tôt possible à la disposition du public dans les deux langues officielles, mais il arrive que la version anglaise paraisse avec des retards importants. Les juristes camerounais, appelés «assesseurs», donc des professionnels en matière de droit, doivent maîtriser l'une des deux langues officielles, pas nécessairement les deux. En général, le français suffit dans la mesure où l'on n'a pas à communiquer avec les citoyens des régions anglophones. Quant aux magistrats anglophones, ils doivent maîtriser le français.
- Les services publics
Dans l'administration locale, l'anglais est employé couramment dans les deux régions anglophones. Cependant, les fonctionnaires anglophones sont désavantagés s'ils ne connaissent pas le français parce qu'il leur sera impossible de poursuivre leur carrière après quelques années de service; il en est de même pour les policiers. Les anglophones ne peuvent recourir à des services dans leur langue à l'échelle du pays, alors que les francophones peuvent le faire, y compris dans la partie anglophone.
Dans l'administration publique de Yaoundé, le français occupe une place prépondérante: les bilingues sont rares, même si le bilinguisme fait partie des critères d'embauche des fonctionnaires. Le bilinguisme institutionnel est plus visible sur les formulaires administratifs. Dans l'armée, seul le français est admis. La version anglaise des textes réglementaires et des avis publics peut être de fort mauvaise qualité parce que ce sont souvent des fonctionnaires peu bilingues, parfois des maîtres d'école, qui font eux-mêmes les traductions.
- L'éducation
L'éducation au Cameroun compte deux sous-systèmes: l'un pour les francophones et un autre pour les anglophones. Malgré les efforts du ministère de l'Éducation pour propager au primaire et au secondaire le bilinguisme chez les enfants, les résultats paraissent plutôt modestes, particulièrement chez les francophones. L'enseignement de l'anglais pour ces derniers reste très scolaire et théorique, car ils ne trouvent à peu près personne avec qui parler anglais, leur environnement étant entièrement francophone. Pour les populations anglophones, la nomination systématique d'enseignants francophones pour enseigner l’anglais dans les écoles anglophones constitue une provocation.
La situation est différente dans les universités. Les étudiants reçoivent leur instruction en français ou en anglais, selon la langue que le professeur maîtrise le mieux. Ceux et celles qui maîtrisent les deux langues (la minorité des étudiants) sont avantagés. Les autres s'installent, le temps d'un cours, à côté d'un «anglo» ou d'un «franco» pour recopier ensuite les notes de celui-ci. En fait, le français reste prédominant dans la plupart des universités, des instituts et des grandes écoles de technologie.
- Les médias
Il n'existe que peu de journaux en anglais et, dans les médias électroniques, on estime que 69% des émissions sont en français, contre 31% en anglais. De façon générale, cette proportion semble respectée.
- Résumé
Le bilinguisme institutionnel du Cameroun se veut égalitaire quand il s'agit des symboles de l'État (timbres, billets de banque, Parlement, rédaction des lois), mais il ne peut prétendre l'être sur le plan des services à la population. Il ne dispense pas non plus la «minorité officielle» de la connaissance du français. Les anglophones doivent en effet faire beaucoup plus d'efforts pour parler et écrire le français que ne le font les francophones pour l'anglais. Les conseils régionaux du pays ne sont que les porte-parole du gouvernement central, ce qui réduit considérablement les pouvoirs de la petite communauté anglophone qui doit aussi subir une rude répression. La nécessité d’accorder davantage d’autonomie aux régions anglophones est apparue comme la grande revendication de la dernière décennie. Certains parlent d'une régionalisation poussée, d'autres de décentralisation ou du retour au fédéralisme. Aujourd'hui, le Cameroun demeure le seul État bilingue (français-anglais) au monde où l'anglais recule devant le français.
Le territoire de Hong Kong est aujourd'hui l'une des deux régions administratives spéciales de la République populaire de Chine, l'autre étant Macao, toutes deux disposant des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires dévolus au gouvernement national.
Hong Kong (7,4 millions d'habitants) bénéficie de plus de pouvoirs que le Tibet, par exemple. D'après les statistiques chinoises, 91,6% des Hongkongais sont des Chinois (2021); ils constituent donc l'immense majorité de la population, mais 88,9% des locuteurs parlent le cantonais comme «langue d'usage», ce qui laisse fort peu de locuteurs pour les autres langues, que ce soit le mandarin (1,9%), le hakka, l'anglais, etc.
Les deux langues officielles sont le chinois (?) et l'anglais, sans jamais préciser de quel chinois il s'agit: le mandarin ou le cantonais? Dans les faits, bien que la variété spécifique de chinois ne soit pas précisée dans les lois et bien que la majorité de la population emploie le cantonais comme langue parlée habituelle, c'est le mandarin, c'est-à-dire le putonghua, qui est en train de cannibaliser progressivement les autres langues, c'est-à-dire le cantonais et l'anglais. |
- Le Conseil législatif
Les lois ou ordonnances ainsi que les règlements sont discutés en cantonais, puis promulgués et adoptés en anglais et en mandarin. Comme c'est une modalité constante dans les textes juridiques, la variété de chinois, le cantonais ou le mandarin ("putonghua"), n'est pas précisée. Tant que c'est la langue orale qui est employée, le cantonais a généralement la préséance, mais le putonghua et l'anglais ont l'exclusivité dans la rédaction des actes juridiques. Enfin, un service d'interprétation simultanée en anglais, en cantonais et en mandarin est mis à la disposition des assemblées du Conseil législatif et, selon les besoins, des réunions des conseils et des commissions du gouvernement. Néanmoins, il existe une hiérarchie dans les langues: le mandarin suivi de l'anglais suivi du cantonais.
- Les tribunaux
De façon générale, c'est le justiciable ou le juge qui choisit la langue dans laquelle le tribunal entend une cause. Or, la plupart des habitants de Hong Kong ont le cantonais comme langue maternelle, une proportion de 88,9%. Cependant, en raison des habitudes prises depuis la colonisation britannique et la réticence à employer le mandarin, la langue la plus employée demeure l'anglais.
L'emploi du chinois (?) devant les tribunaux relève en grande partie des intérêts des accusés, des plaideurs et de leurs représentants. Le rôle du pouvoir judiciaire est simplement de fournir un système par lequel les personnes concernées peuvent proposer la langue officielle qu'elles souhaitent utiliser. Historiquement, le cantonais écrit est employé à Hong Kong pour une procédure judiciaire afin d'écrire le témoignage oral exact d'un témoin, au lieu de paraphraser le cantonais parlé en chinois écrit standard (putonghua). De façon générale, l'anglais domine à la fois le mandarin et le cantonais.
- Les services publics
Dans les faits, les trois langues les plus importantes pour les citoyens et les fonctionnaires demeurent le cantonais, le mandarin (putonghua) et l'anglais, bien que la distribution et l'importance de ces langues varient en fonction du contexte et des objectifs poursuivis. Dans le cas de la communication parlée localement, le cantonais demeure grandement la langue parlée de premier choix, alors que, pour communiquer avec la Chine continentale, la langue par défaut est le putonghua, tandis que l'anglais est la langue majoritaire pour la communication internationale.
Pour les communications écrites, un constat manifeste est qu'en général l'anglais reste une langue de communication écrite importante pour les courriers électroniques et les rapports sur les lieux de travail de Hong Kong. Dans les services publics locaux ou des municipalités, le cantonais sert pratiquement de seule langue orale de communication. Quant à l'emploi du mandarin, il est fréquent dans les entreprises et établissements appartenant à la Chine à Hong Kong, bien qu'il soit moins utilisé que le cantonais parlé. Entre l'anglais et le putonghua à l'écrit, l'anglais domine largement. Lorsqu'on parle de fréquence d'emploi, le cantonais et l'anglais sont les grands gagnants.
- L'éducation
La nouvelle politique linguistique adoptée depuis 1997 se veut «bi-alphabète et trilingue». En fait, cela signifie que les apprenants doivent devenir bi-alphabètes, avec les caractères du putonghua et l'anglais écrit, et trilingues, avec le cantonais, le mandarin et l'anglais. En pratique, les jeunes Hongkongais ont très peu d'occasions d'employer l'anglais, le cantonais et le mandarin de façon simultanée dans les mêmes circonstances.
Au primaire et au secondaire, le cantonais sert de langue d'enseignement pour les matières non chinoises, tels les mathématiques, les sciences, les arts visuels, la musique, etc. Pour les Chinois continentaux, le cantonais écrit suscite l'indignation parce qu'il rivalise avec le chinois écrit standard (putonghua). Le cantonais écrit n'est pas enseigné, parce qu'il est considéré comme un «dialecte» par rapport au putonghua, qui est la langue nationale commune. En général, de nombreuses personnes soulignent que le cantonais n'est «qu'une langue orale qui ne s'écrit pas» et qu'il vaut donc mieux choisir celle qui est proche de l'écrit, c'est-à-dire plus littéraire: le chinois mandarin.
L'enseignement de l'anglais est perçu comme avantageux parce qu'il peut améliorer les perspectives d'emploi et le statut social des jeunes. Les milieux financiers de Hong Kong se plaignent que la maîtrise de l'anglais des Hongkongais a commencé à décliner et ils craignent que le changement de la langue d'enseignement vers le mandarin n'affaiblisse davantage la maîtrise de l'anglais des Hongkongais, faisant de Hong Kong un statut financier international. Les difficultés surviennent lorsqu'il faut alphabétiser les jeunes en putonghua et en anglais, puisque les systèmes d'écriture sont totalement différents, l'un étant pictographique, l'autre alphabétique. Mais l'anglais demeure une langue étrangère pour la plupart des Hongkongais.
Depuis que le mandarin est une matière obligatoire dans les écoles primaires de Hong Kong, il a également gagné en importance en raison des liens commerciaux croissants entre Hong Kong et le continent. Le putonghua est couramment enseigné pour les matières chinoises comme la maîtrise de la langue chinoise, la lecture, l'écriture, l'écoute et l'expression orale. Les élèves, qu'ils parlent et écoutent les paroles en cantonais ou en mandarin, apprennent un vocabulaire commun, pensent et raisonnent selon des règles syntaxiques partagées pour obtenir des connaissances. La promotion du putonghua à Hong Kong est perçue comme ayant à la fois une valeur culturelle et politique, ainsi qu'une valeur économique et pragmatique.
- Les médias
Les journaux sont généralement publiés en anglais et en mandarin, mais dès que la langue parlée est en jeu, c'est le cantonais qui prime. La plupart des stations de radio et des chaînes de télévision diffusent leurs émissions en cantonais. Mais le gouvernement chinois tend à imposer de plus en plus le chinois mandarin. Avec le temps, il est probable que le chinois mandarin en vienne en réduire le temps d'antenne du cantonais.
- Résumé
Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le chinois mandarin a pris de l'expansion. Jusqu'ici, le cantonais s'est faufilé et a su tirer ses marrons du feu, mais dans un avenir plus ou moins rapproché le mandrin prendra vraisemblablement une plus grande place et risque de reléguer l'anglais à l'arrière-plan dans certains secteurs, sauf dans les affaires et le commerce. international. Il sera sûrement difficile pour les autorités chinoises d'extirper le cantonais des Hongkongais, à moins de les minoriser sur leur propre territoire, car celui-ci est déjà surpeuplé. Néanmoins, la Chine sait comment faire pour minoriser les minorités dans leur territoire; partout où elle a tenté de le faire, elle a réussi. Il est encore heureux que Hong Kong rapporte de gros sous à la République populaire de Chine qui y fait transiter une partie de son commerce.
Pour toute dictature, la démocratie constitue une menace intolérable, car les dirigeants chinois ne peuvent supporter de devoir jouer selon des règles établies démocratiquement par les populations plutôt que par leurs propres membres et selon leurs propres règles, ce qui mettrait leurs privilèges en danger.
La province du
Cap-Occidental (en anglais: Western Cape
Province) est un État fédéré faisant partie de l'Afrique du Sud. Ce pays
de onze langues officielles compte neuf provinces, dont celle du Cap-Occidental située dans le sud-ouest du
pays et donnant sur l’océan Atlantique. La province comptait 7,0 millions
d'habitants en 2020 avec trois langues officielles: l'afrikaans
(55,3%), le xhosa (23,7%) et l'anglais (19,3%). Il reste une dizaine
de petites communautés linguistiques de langues bantoues (dont le
xhosa fait partie) réparties un peu partout dans la province. Ce
sont les locuteurs de l'afrikaans qui sont majoritaires de peu dans
le Cap-Occidental. C'est la seule province d'Afrique du Sud qui a élaboré une politique linguistique complète. |
- Parlement
Toutes les lois, tous les comptes rendus et toutes les résolutions de la législature provinciale et de ses comités doivent être disponibles dans les trois langues officielles, mais des accommodements sont prévus en cas de problème dans les délais de la traduction. Dans les faits, un projet de loi doit être disponible dans au moins deux langues officielles. En dépit d'un système de rotation prévu, les faits démontrent que les lois sont toujours présentées en afrikaans et en anglais, quitte à ce que la version en xhosa soit disponible par la suite.
- Les tribunaux
Dans les tribunaux, ce sont les administrations locales qui doivent déterminer l'emploi des langues et les préférences de leurs communautés respectives dans le cadre de la politique linguistique provinciale autorisée. Autrement dit, les procès peuvent se dérouler théoriquement dans un grand nombre de langues, mais en général ils ont lieu le plus souvent en anglais, puis moins fréquemment en afrikaans et parfois en xhosa.
- Les services publics
Les services provinciaux font tout ce qu'ils peuvent pour promouvoir les trois langues officielles et le multilinguisme. Ce n'est pas le cas pour les municipalités pourtant plus près des citoyens, car plus du tiers des municipalités ignore totalement cette politique. Il y a de nombreuses municipalités qui n'ont jamais assigné de personnel pour mettre en œuvre une quelconque politique linguistique. Il semble que ce soit la police et le domaine de la Santé, qui traînent la patte, et ce ne sont donc pas tous les citoyens qui peuvent fournir des déclarations dans leur langue maternelle. Des contraintes budgétaires ainsi qu'un manque de professionnels de la langue entraînent des retards.
Les efforts portent sur la promotion du xhosa, car l'anglais continue d'assurer sa dominance, alors que l'afrikaans perd du terrain. Dans la plupart des organismes et des ministères du gouvernement local, tous les document sont publiés en afrikaans et en anglais, rarement en xhosa. Cependant, les municipalités qui appliquent la politique du trilinguisme n'hésitent pas à recourir au xhosa. Dans les communications orales, cette langue reprend ses droits, du moins entre Noirs et Métis. Entre Blancs, c'est l'anglais ou l'afrikaans.
Dans la plupart des organismes et des ministères du gouvernement fédéral au Cap-Occidental, le véhicule de communication est l’anglais, et les réunions de fonctionnaires se déroulent normalement en anglais. Cette tendance est aussi visible dans les publications officielles. Cela inclut les directives, les décrets présidentiels, les avis, les rapports ministériels, etc. Même les documents publiés dans le but d’obtenir des commentaires de la part du public en général tendent aussi à ne paraître qu’en anglais. Pourtant, le xhosa est l'une des onze langues officielles du gouvernement fédéral.
- L'éducation
En éducation, les parents ont le droit de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants, soit l'afrikaans, l'anglais ou le xhosa. Dans cette province, tous les élèves des écoles primaires doivent en principe apprendre les trois langues officielles, mais il peut y avoir loin de la coupe aux lèvres. Si l'enseignement de l'anglais est assuré partout, l'afrikaans dans la plupart des municipalités, ce n'est pas le cas pour le xhosa. D'abord, plusieurs enseignants des écoles primaires emploient le xhosa pour expliquer des concepts aux enfants, mais ils passent ensuite à l'anglais ou à l'afrikaans comme langue d'enseignement. Pourtant, lorsque le gouvernement provincial a voulu accorder un statut égal au xhosa ainsi qu'à l'anglais et à l'afrikaans, la population avait accueilli favorablement cette politique. Le problème, c'est la pénurie d'enseignants qualifiés pouvant employer le xhosa comme langue d'enseignement.
Depuis quelques années, très peu d'enseignants ont terminé leurs études pour se qualifier comme enseignant du xhosa, car ce sont majoritairement des anglophones. À cela s'ajoute le manque de manuels en xhosa. Dans les zones rurales, la situation est pire que dans les villes. Le xhosa, une langue que tout le monde parle, n'est que très rarement enseigné. La plupart des parents envoient leurs enfant à l'école anglaise, puis à l'école afrikaner. Il faut reconnaître qu'à partir de la 4e année de scolarité la majorité des écoles sud-africaines enseignent toutes les matières uniquement en anglais.
- Les médias
La province du Cap-Occidental disposent de nombreux journaux, mais la plupart d'entre eux publient en anglais, bien qu'un certain nombre soit en afrikaans. Un seul quotidien est en xhosa: le Vukani. Cape Town est un centre important de la radiodiffusion en Afrique du Sud. Les stations radiophoniques émettent plus ou mains à part égale en anglais, en afrikaans et en xhosa. À la télévision, le Channel 2 diffuse dans les trois langues officielles: anglais, afrikaans et xhosa.
Le fait de diffuser en trois langues ne suppose pas l'égalité en ce qui a trait à la télévision, car les émissions diffusées à partir de Pretoria sont généralement en anglais.
- Résumé
La province du Cap-Occidental est l'une des rares province du pays à avoir élaboré une véritable politique linguistique de multilinguisme. Bien qu'elle soit basée sur celle du gouvernement national, cette politique a le mérite d'avoir été adoptée par un gouvernement provincial, ce qui est rare dans ce pays multilingue. Il faut souligner que cette province est, avec le Gauteng, considérée comme «riche», par rapport aux autres. Le Cap-Occidental peut donc se permettre de réserver un poste budgétaire pour l'enseignement des langues.
Le problème réside dans la valorisation du xhosa, la «troisième» langue officielle, celle qui doit tenir tête aux deux autres (l'afrikaans et l'anglais), dont les rapports de force sont sans commune mesure avec le xhosa. À long terme, il est certain que l'anglais qui va sortir gagnant de l'épreuve de force. Lentement, des locuteurs du xhosa changent de langue pour adopter l'anglais, alors que l'afrikaans perd lui aussi du terrain, encore au profit de l'anglais.
Bref, la politique linguistique provinciale réussit à freiner la régression graduelle du xhosa, mais ne peut l'empêcher. Au final, c'est l'anglais qui va prendre de l'expansion, car il est aidé par les pratiques du gouvernement national qui, malgré les dispositions constitutionnelles prônant la parité entre les onze langues officielles, privilégie l'anglais pour des raisons pragmatiques. Mais c'est aussi une question de gros sous!
La province de Bolzano / Bozen (appelée «Tyrol du Sud» en français; «Südtirol» en allemand et «Alto Adige» en italien) fait partie de la Région autonome du Trentin-Haut-Adige, comme la province du Trentin. La province de Bolzano/Bozen bénéficie d'un statut particulier parmi les provinces italiennes: c'est une province «autonome» bilingue, dont les langues co-officielles sont l'italien et l'allemand. La province de Bolzano/Bozen dispose d’un Exécutif provincial («Junte provinciale») responsable de l'application des lois adoptées par le Parlement régional et de celles du Conseil provincial, puis administre la province. La ville de Trento est la capitale officielle du Trentin-Haut-Adige, mais Bolzano est le siège du Conseil régional et d'une partie de l'administration régionale. Selon les termes du traité de Saint-Germain-en-Laye (1919), le Tyrol du Sud et la province du Trentin, auparavant sous la souveraineté de l'Empire austro-hongrois, ont été rattachés à l'Italie. |
Sur une population de 533 000 habitants (2023), les germanophones représentent 69%, les italophones 26% et les locuteurs du ladin 4%. Toutefois, dans la ville même de Bolzano, les italophones sont majoritaires (73,8%). Comme la plupart des Autrichiens du Tyrol, les germanophones du Südtirol ne parlent généralement pas l’allemand standard dans leur vie quotidienne, mais plutôt l’une des variétés allemandes de type austro-bavarois: le tyrolien du Sud (ou Südbairisch). Cette variété austro-bavaroise est fortement influencée par la langue italienne. Les germanophones parlent en tyrolien du Sud dans les communications informelles, l'allemand dans les situations formelles et écrivent en allemand. C'est l'allemand qui est protégé, pas le tyrolien du Sud.
La Province autonome de Bolzano est dotée de mesures juridiques de protection tout à fait exceptionnelles pour une province italienne. Aucune autre entité administrative ou politique de l'Italie de dispose d'un aussi grand arsenal de lois, de décrets et d'autres documents de nature constitutionnelle. C'est que la protection dont bénéficient les germanophones a été imposée par les puissances alliées après la Première Guerre mondiale. Les trois langues plus importantes (allemand, italien et ladin) dans la province de Bolzano bénéficient de mesures de protection juridiques dans trois paliers de gouvernement : les lois nationales de la République italienne, les lois régionales du Trentin-Haut-Adige et les lois provinciales de Bolzano. En Italie, ce sont les lois locales qui sont importantes, car ce sont celles qu'on applique de façon concrète.
- Le Parlement local
Le Parlement local, appelé Conseil provincial (Consiglio provinciale), compte plus de représentants germanophones (env. 25) que de représentants italophones (env. 10), ce qui donne un pouvoir politique accru à cette communauté germanophone. Toutes les lois provinciales sont obligatoirement bilingues (allemand-italien), mais en cas de litige le texte italien prévaut sur l’allemand. Néanmoins, les parlementaires utilisent l'allemand ou l'italien.
- Les tribunaux
Toute procédure judiciaire dans la province de Bolzano peut se dérouler en italien ou en allemand. Une procédure doit employer la langue déclarée de l'accusé: cela signifie que le procès avec un accusé qui a signifié avoir l'allemand comme langue maternelle doit être mené uniquement en langue allemande par toutes les personnes participantes (juge, personnel judiciaire, avocats), comme c'est le cas, par exemple, pour un accusé ayant choisi l'italien, le tout sans interprète. Donc, les procès peuvent être unilingues allemands ou unilingues italiens ou bilingues.
- Les services administratifs
La législation régionale du Trentin-Haut-Adige prévoit que la langue allemande dans la province de Bolzano/Bozen est égale à la langue italienne, qui est la langue officielle de l'État. Dans la province, les citoyens germanophones ont donc le droit d'employer leur langue (l'allemand standard) dans les relations avec les concessionnaires de services d'intérêt public. Les conséquences pratiques sont les suivantes: une connaissance obligatoire de l'italien et de l'allemand pour ceux qui travaillent dans l'administration publique, la préparation d'une procédure de communication multilingue avec le citoyen, l'obligation pour l'administration publique d'employer l'italien ou l'allemand comme langue dans les communications orales ainsi que la tenue des actes et documents dans les deux langues.
Dans le cas contraire, les germanophones ont le droit d'introduire un recours en nullité pour non-respect des règles relatives à l'usage de la langue dans les services publics, mais il faut qu'il existe un intérêt actuel et concret de la part du requérant.
Dans la plupart des municipalités de cette province, le bilinguisme allemand-italien est de rigueur dans les bureaux des conseils municipaux, ainsi que sur les panneaux routiers identifiant le nom des villes et des divers lieux (toponymes). Dans les localités ladines, le trilinguisme est généralement pratiqué pour l'affichage public. En ce qui concerne l'affichage commercial dans la province de Bolzano, il se fait généralement dans l'une ou l'autre langue, rarement dans les deux à la fois, mais il est plus fréquent dans la ville de Bolzano.
- L'éducation
L'article 19 du Statut spécial pour le Trentin-Haut-Adige de 2001 prévoit la possibilité d'employer la langue maternelle de l'élève, l'italien ou l'allemand, comme langue d'enseignement dans les écoles maternelles, primaires et secondaires. Ce sont des écoles germanophones ou italophones qui offrent un enseignement bilingue. La loi prévoit que l'enseignement donné dans toutes les écoles (maternelles, primaires et secondaires) se fait dans la langue maternelle de l'élève et que cet enseignement est conféré par des enseignants pour lesquels la langue concernée est également la langue maternelle. L'enseignement de la langue seconde — l'italien pour les écoles allemandes, l'allemand pour les écoles italiennes — est obligatoire.
En fait, malgré l’opposition farouche des italophones qui refusent l’existence d’écoles séparées, les germanophones disposent de leur propre système d’enseignement. Dans l'éducation préscolaire et primaire, la plupart des enfants — environ 80 % — reçoivent leur instruction en langue allemande. C’est également le cas dans les écoles secondaires germanophones, fréquentées par près de 70 % des élèves. La quasi-totalité des manuels scolaires pour l'ensemble des matières est disponible en langue allemande. Celle-ci constitue par ailleurs la principale langue d'enseignement dans les écoles techniques et professionnelles, où à peu près tous les enfants reçoivent leur instruction dans cette langue.
- Les médias
Tous les jours, les stations de radio autrichiennes ORF 1 et ORF 2 (Österreichischer Rundfunk) diffusent entièrement en allemand. La radio nationale italienne, la RAI, diffuse entièrement en italien. Du côté des radios privées, il existe une grande quantité d'émetteurs tant en italien qu'en allemand. À la télévision, la RAI Sender Bozen transmet des émissions radiotélévisées dans les trois les langues de la province. Cependant, il est possible de recevoir des chaînes germanophones par satellite de l'Allemagne et de l'Autriche.
Pour ce qui est des médias, les germanophones bénéficient d'un quotidien tiré à 40 000 exemplaires, le Dolomiten (sous-titré en Tagblatt der Südtirol: «Journal des Tyroliens du Sud»), ainsi que de plusieurs hebdomadaires et magazines.
- Résumé
La province autonome de Bolzano est dotée de mesures juridiques tout à fait exceptionnelles pour une province italienne. Malgré les traités internationaux, il aura fallu de nombreuses décennies, soit en 1948, avant que ne soit adopté un statut d'autonomie qui dut être abrogé en 1972 parce qu'il minorisait la communauté germanophone. Après encore de longues tergiversations, il a fallu 80 ans à l'État italien pour garantir une protection réelle et efficace aux germanophones protégés en principe depuis la fin de la Première Guerre mondiale.
On peut même affirmer que, dans toute l'Italie, l'égalité des droits linguistiques ne s'est concrétisée que dans la seule Province autonome de Bolzano/Bozen. Partout ailleurs, ces droits sont beaucoup plus limités, sauf dans la Vallée d'Aoste où ils sont maintenant relativement égalitaires. Un droit de recours au Tribunal administratif est prévu pour les cas de non-respect des droits linguistiques de la part de l’administration. C'est pourquoi les germanophones de la province de Bolzano se sont mérité le titre de «minorités super-protégées» pour... l'Italie.
Quoi qu'il en soit, pour les germanophones de Bolzano, l'autonomie obtenue demeure toujours fragile. Les italophones de la province, traditionnellement liés à la droite politique, voire à l'extrême droite italienne, insistent continuellement sur le caractère italien de la province et déplorent ouvertement le système des autonomies. N'oublions pas que le gouvernement central voudra toujours protéger sa langue, l'italien. Un retour en arrière demeure toujours possible, et ce, malgré les dispositions constitutionnelles et législatives de la République, de la Région et de la Province. Les germanophones, minoritaires dans ce pays, savent que le pouvoir centralisateur de Rome peut mettre en péril leur statut chèrement acquis, surtout si l'extrême droite politique effectuait une remontée durable. Les italophones acceptent mal leur statut de minoritaires dans une province italienne.
En Espagne, la Galice est une communauté autonome de 2,7 millions d'habitants (2022). Malgré l'évolution historique en faveur de l'espagnol (appelé «castillan» en Espagne), une récente étude sur les coutumes langagières de la population galicienne montre que 80% de cette population pratique toujours le galicien (appelé galego en galicien). Le galicien et le portugais sont deux langues très proches l'une de l'autre, beaucoup plus qu'avec le castillan, du fait que le portugais est issu du galicien. Les langues co-officielles sont le castillan et le galicien, mais celle-ci est la langue majoritaire de la population de cette région. Le gouvernement central n'emploie pas le terme «langue maternelle» (lengua materna), mais plutôt «langue habituelle» (lengua usual) pour désigner la langue des citoyens espagnols. Le problème, c'est que la population des villes est très castillanophone, alors que la population des campagnes est très majoritairement galécophone. |
Bien que le galicien soit la langue majoritaire en Galice, cette langue a toujours eu traditionnellement de moins de prestige social que le castillan et bénéficie d'une politique régionale en sa faveur moins forte que, par exemple, le catalan en Catalogne ou l'euskara au Pays basque.
- Le Parlement
La loi oblige à ce que les actes législatifs soient obligatoirement dans les deux langues officielles. Ils sont généralement rédigés en castillan et promulgués en castillan et en galicien. Plusieurs parlementaires font des efforts pour employer oralement le galicien au Parlement autonome, mais le bilinguisme demeure passif et peu fréquent, le castillan étant massivement employé.
- Les tribunaux
La législation prévoit des mesures destinées à favoriser l'usage du galicien dans le système judiciaire. En conséquence, les fonctionnaires doivent connaître le galicien, les documents rédigés en galicien doivent être valides comme ceux en castillan, et les Galiciens doivent pouvoir s'exprimer en galicien dans les tribunaux. Dans les registres publics sous la juridiction de l'administration autonome, les jugements seront rendus dans la langue officielle dans laquelle est rédigé le document ou dans laquelle se fait la déclaration.
Dans la pratique, l'emploi réel du galicien dans le système judiciaire semble relativement rare, car très peu de procès sont entendus en galicien. Généralement, il n'existe pas de traduction du galicien au castillan, ni du castillan au galicien, la proximité linguistique des deux langues favorisant la compréhension sans qu'aucune procédure de traduction ne soit indispensable, sauf qu'un castillanophone unilingue aura beaucoup de difficulté à comprendre le galicien oral sans traduction.
- L'administration publique
L'administration locale est tenue d'employer les deux langues officielles. Étant donné que le galicien n'avait pas été employé au plan administratif depuis que la Galice a été réunie au royaume de León et de Castille en 1071, la langue galicienne avait une dure pente à remonter face au castillan. Malgré les nombreux règlements concernant le bilinguisme des fonctionnaires, la plupart des citoyens et des entreprises privées préfèrent encore utiliser le castillan comme langue véhiculaire auprès de l'administration; c'est la résultante du libre choix. Plusieurs administrations municipales manifestent encore des réticences à employer le galicien dans leur documentation écrite.
Il faut noter que, même si 80 % des quelque trois millions d'habitants de la Galice parlent le galicien, le prestige social de cette langue apparaît très faible. Les différents organismes linguistiques peinent à promouvoir le galicien. Pour le moment, il ne semble pas entrer dans les objectifs du gouvernement galicien d'en faire une langue d'usage systématique dans l'affichage (p. ex., colexio).
- L'éducation
Depuis l'obtention de l'autonomie, les autorités galiciennes ont élaboré des projets de galeguización (ou «galéguisation» ou «galicianisation» de l'enseignement. Des campagnes d'information ont été mises en œuvre à l'aide d'affiches, de brochures, de vignettes adhésives, etc., afin de sensibiliser les citoyens à la sauvegarde de la langue galicienne.
Dans les établissements préscolaires (maternelle), les filles et les garçons reçoivent un enseignement dans la langue maternelle prédominante (presque toujours le castillan), malgré le fait que l'étude de l'autre langue officielle ne soit pas négligée et qu'elle demeure obligatoire. Au primaire, l'objectif est de s'assurer que les élèves connaissent le galicien de façon égale avec le castillan. Comme en Catalogne, il n'existe pas de salles de classe linguistiquement séparées au primaire : tous les élèves suivent les mêmes cours en galicien et en castillan. Au secondaire, l'enseignement bilingue se poursuit et doit fournir à tous les élèves une bonne maîtrise des deux langues officielles. Certaines matières sont obligatoirement offertes en galicien: les sciences de la nature, les sciences sociales, la géographie et l'histoire, les mathématiques et l'éducation à la citoyenneté.
Dans les faits, l'enseignement du galicien laisse parfois à désirer tant au primaire qu'au secondaire, dans la mesure où le temps consacré à l'enseignement du castillan peut être plus considérable, car beaucoup de Galiciens ne croient pas encore nécessaire d'apprendre leur langue à l'école. Presque tous les élèves du secondaire reçoivent des cours de galicien en raison de trois à quatre heures par semaine, les autres cours étant en castillan.
Dans les universités, comme en Catalogne, les professeurs et les élèves de niveau universitaire ont le droit de faire usage, oralement et par écrit, de la langue officielle de leur choix. Ce sont donc les professeurs qui choisissent la langue d'enseignement, généralement le castillan. Mais ce sont les étudiants qui rédigent leurs travaux dans la langue de leur choix, généralement en castillan.
- Les médias
En Galice, les médias écrits emploient d'abord le castillan, puis le galicien et ensuite le portugais. On trouve donc du galicien dans tous les types de médias, bien que le castillan soit majoritaire dans les journaux et à la radio en particulier. Le portugais est seulement présent dans les magazines et les livres, surtout les manuels de classe. Les journaux en galicien sont encore rares et limités à quelques articles ici et là. Bien que le galicien soit devenu une langue utilisée dans les stations émettrices de radio et de télévision ainsi que dans les autres moyens de communication soumis à la gestion ou à la supervision des institutions de la Communauté autonome (art. 18 de la Loi sur la normalisation linguistique), il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que le galicien devienne une langue courante.
- Résumé
La langue galicienne est aux prises avec des idéologies complexes et contradictoires. Le courant «nationaliste» prône la réintégration au portugais, mais le courant «réaliste» veut promouvoir les apports historiques du castillan grâce à la castillanisation, alors qu'un troisième courant s'efforce de cultiver l'originalité du galicien comme «langue distincte à part entière». Dans l'état actuel, la langue galicienne semble très vulnérable, car les polémiques et l'infériorisation entravent sa normalisation. Contrairement au catalan et au basque, le galicien n'a pu inverser la tendance à la marginalisation. De toute façon, le manque de volonté politique de la part des gouvernements galiciens successifs constitue certainement l'un des aspects du problème, et ce, d'autant plus que le gouvernement espagnol, de son côté, met tous les efforts qu'il peut pour avantager les castillanophones et répandre le castillan national. Il faut aussi se souvenir que la connaissance du castillan est une obligation constitutionnelle en Espagne, pas le galicien. De plus, les castillanophones veulent pouvoir employer sans restriction leur langue dans toute l'Espagne.
L'État du Panjab indien comptait une population de 27,7 millions en 2011. La langue largement majoritaire est le panjabi parlé par 91,6% de la population; hindous, sikhs et musulmans peuvent parler le panjabi). La langue minoritaire la plus importante est l'hindi (7%), suivie de l'ourdou (0,1%). Le panjabi appartient à la famille indo-européenne de la branche des langues indo-iraniennes parlées dans la région du Panjab (Pakistan et Inde) par environ 100 millions de locuteurs.
Au cours de la colonisation, les Britanniques ne firent rien en faveur du panjabi pour la simple raison qu'ils préféraient l'ourdou déjà employé dans tout le nord de l'Inde. Ils ne recouraient pas à cette époque de sikhs dans l'administration et fort peu dans l'armée; ils leur préféraient les hindous réputés plus pacifiques. Dans le domaine linguistique, les hindous du Panjab, généralement panjabiphones, avaient été instruits par les Britanniques en ourdou et en anglais afin d'occuper les diverses tâches administratives. Les Britanniques partageaient les préjugés des hindous à l'égard des sikhs et du panjabi. Comme eux, ils croyaient que le panjabi était un patois rural (anglais: "rural patois"), dont l'ourdou était la forme raffinée. |
En principe, selon la Loi sur la langue officielle de 1967, le panjabi est la seule langue officielle, sauf pour les exceptions prévues pour l'hindi, l'ourdou et l'anglais. Autrement dit, le panjabi partage sa co-officialité avec l'hindi dans certains districts, avec l'ourdou dans un seul (Malerkotla), tandis que l'anglais peut être employé pour toutes les transactions des affaires de la Législature de l'État. Dans les faits, l'anglais est tout aussi officiel que le panjabi. À l'écrit, les sikhs panjabiphones utilisent l'alphabet gourmoukhi (qui se lit de gauche à droite), mais les hindous et musulmans indiens emploient l'alphabet devanagari (qui se lit de gauche à droite). Comme on le sait, l'anglais utilise l'alphabet latin.
- Le Parlement
Les membres de l'Assemblée législative ont le droit d'employer aussi bien le panjabi, l'hindi que l'anglais. La plupart du temps, l'anglais est le plus employé, il est suivi du panjabi et de l'hindi. Les lois sont rédigées en anglais et traduites en panjabi.
- Les tribunaux
Les tribunaux inférieurs utilisent généralement le panjabi, mais l'anglais et l'hindi sont autorisés dans certains districts. Pour les autres langues, il faut recourir à la traduction et l'interprétariat. Pour les tribunaux supérieurs, l'anglais est la langue la plus employée, bien que le panjabi soit tout aussi valide, mais moins fréquent.
- Les services publics
Dans l'administration de l'État, le panjabi et l'anglais sont employés. Même si la plupart des fonctionnaires emploient le panjabi dans l'exercice de leurs fonctions, les faits démontrent aussi que de nombreux représentants gouvernementaux ont recours à l'anglais comme principale langue de travail, voire comme unique langue de travail. Selon le Département des langues du Panjab, entre 10% à 16% des fonctionnaires travaillent uniquement en anglais. Le problème ne provient pas de l'emploi même de l'anglais, mais du fait de ne pas pouvoir recourir au panjabi. Tout le problème est là: certains fonctionnaires sont demeurés incapables d'utiliser le panjabi dans leurs tâches quotidiennes. En d'autres termes, la Loi sur la langue officielle de 1967 n'a jamais été appliquée avec toutes ses dispositions.
Le gouvernement de l'État a prévenu que le ministre titulaire du Département des langues devra dorénavant sévir contre les fonctionnaires qui ne respecteront pas les dispositions de la loi de 2008. Dès 2009, tous les panneaux d'affichage, toutes les enseignes, tous les formulaires, tous les documents officiels devaient être obligatoirement rédigés en panjabi. Si des documents sont autorisés en anglais, c'est parce qu'il existe une version en panjabi. Autrement dit, l'unilinguisme anglais ne serait plus autorisé, mais toléré.
- L'éducation
Dans le domaine de l'éducation, la situation est similaire. Bien que le panjabi soit enseigné dans les écoles publiques de l'État du Panjab, les parents ont le choix d'envoyer leurs enfants dans des écoles où l'enseignement est une autre langue que le panjabi: l'anglais, l'hindi ou l'ourdou. En général, les musulmans fréquentent des écoles en ourdou ou en anglais; les hindous, des écoles en hindi ou en anglais; les sikhs, des écoles en panjabi ou en anglais. Or, la plupart des familles sikhes le moindrement aisées préfèrent que leurs enfants fréquentent des écoles où la langue d'enseignement est uniquement l'anglais. Les autres communautés font de même. Les enfants dont les parents sont relativement instruits envoient leurs enfants dans des écoles anglaises plutôt que des écoles en panjabi, car un diplôme en anglais assure des emplois certains, contrairement aux diplômes obtenus dans les écoles de panjabi.
- Les médias
Si la plupart des journaux du Panjab sont publiés en panjabi, la situation est différente dans les médias électroniques, car les stations de radio et de télévision sont nombreuses en anglais, en hindi, en ourdou, voire en bengali, en népali, etc. Plusieurs stations nationales diffusent en hindi et en anglais, voire en d'autres langues.
- Résumé
L'État du Panjab indien a élaboré, souvent de façon souvent sporadique et timorée, une politique de valorisation du panjabi, la langue officielle. Contrairement à la plupart des États indiens, le Panjab semble avoir éprouvé de nombreuses difficultés à promouvoir sa langue officielle. C'est ce qui explique en partie pourquoi l'État n'a pas prévu beaucoup de mesures particulières à l'égard des minorités, car celles-ci s'en sont prévalues de toute façon, surtout la puissante minorité hindoue parlant l'hindi. En Inde, l'anglais devient de plus en plus incontournable, un moyen pour ternir à distance la puissante langue hindi. En même temps, celle-ci concurrence les langues officielles locales. Dans le cas du Panjab, le panjabi doit faire face à deux langues plus fortes, l'hindi et l'anglais. À défaut de réduire la concurrence linguistique, le panjabi aura toujours des difficultés à s'imposer.
Au Canada, le Québec
(8,7 millions en 2023) constitue l'une des dix provinces canadiennes. C'est la seule province à majorité de langue française, c'est-à-dire 78%, contre 12,3% pour les allophones et 7,6% pour les anglophones. Dans l'ensemble du pays, le Québec compte pour 22% de la population canadienne. Selon Statistique Canada, les Montréalais de langue maternelle française ne comptent que pour 49% de la population de l'île de Montréal. La situation de Montréal apparaît donc préoccupante, car cette ville compte un important pourcentage de la population totale du Québec, soit près de deux millions de personnes.
Bien que la langue officielle soit uniquement le français, la Constitution canadienne soumet le Québec au bilinguisme au Parlement, dans les tribunaux et dans les établissements scolaires. Quant aux médias, ils relèvent de la juridiction du gouvernement fédéral. |
- Le Parlement
La Charte de la langue française déclare que le français est la langue de la législature et de la justice au Québec. À l'origine de la loi en 1977, le Parlement du Québec devait rédiger et sanctionner les lois uniquement dans la langue officielle tout en offrant une version anglaise. En 1979, la Cour suprême a décrété inconstitutionnelles les dispositions de la loi 101 touchant à la langue de la législation et des tribunaux (chapitre III) parce qu'elles étaient incompatibles avec l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exige le bilinguisme dans ces institutions au Québec. Selon la Cour, le Québec n'avait pas le droit de déclarer que le français était la seule langue officielle de la législation, même si, dans les faits, la loi permettait à tout anglophone de s'exprimer en anglais au Parlement.
Les lois sont rédigées et discutées en français, puis traduites en anglais. En cas de conflit d'interprétation, la version française prévaut. Il n'y a pas de système de traduction simultanée.
- Les tribunaux
De par la Constitution canadienne de 1867, le français et l'anglais demeurent les deux langues officielles dans les tribunaux. Comme pour la législation, la version originale de la Charte de la langue française déclarait que seul le français était officiel, mais elle permettait à tout anglophone de s'exprimer en anglais dans les cours de justice québécoises. La Cour suprême ayant invalidé ces dispositions, les tribunaux étant bilingues au Québec.
L'article 11 de la Charte de la langue française prévoit que les personnes morales s'expriment en français dans les tribunaux, mais elles peuvent le faire en anglais si toutes les parties en cause consentent à utiliser l'anglais. Quant aux individus, y compris chez les francophones, ils peuvent utiliser la langue de leur choix; dans ce cas, les pièces de procédure sont écrites en français ou en anglais. Bref, les anglophones sont assurés de recevoir de la part de tous les tribunaux (de juridiction civile et criminelle) du Québec des services dans leur langue, et ce, sur tout le territoire.
La pratique fait en sorte que presque tous les candidats à la magistrature doivent être bilingues pour devenir juges. Le Québec fait plus que ce qu'exige la Constitution canadienne qui n'oblige pas les juges à maîtriser l'anglais, car elle permet aux justiciables d'employer l'anglais dans une cour de justice. Le fait de ne pas maîtriser une autre langue que le français constitue une barrière radicale pour accéder à la fonction de juge au Québec. Une entente est intervenue en novembre 2023 de sorte que seuls 90% des juges dans les districts autour de Montréal devront maîtriser l'anglais.
- Les services publics
Les services publics relevant du gouvernement québécois n'entrent pas en conflit avec la Constitution canadienne lorsqu'il s'agit de la langue du gouvernement, de ses ministères et autres organismes d'État. D'ailleurs, les articles 14 à 29.24 de la Charte de la langue française décrètent l'unilinguisme officiel dans les cas suivants: «Le gouvernement, ses ministères et les autres organismes de l'Administration utilisent uniquement la langue officielle, dans leurs communications écrites entre eux». Le Québec aurait le droit de ne communiquer qu'en français avec ses citoyens, mais il autorise également l'usage de l'anglais.
En effet, toute personne physique ne sachant pas s'exprimer en français peut s'adresser en anglais à un organisme de l'administration publique, même si celle-ci n'a aucune obligation de lui répondre dans cette langue, ou encore de répondre à quelqu'un dans sa langue maternelle (italien, arabe, espagnol, etc.). Pour la communauté anglophone, dans une lettre adressée en anglais à l'administration, il sera répondu dans cette langue. À l'oral, un service en anglais est généralement disponible, du moins dans les grands centres urbains. Mais il faut reconnaître que ce droit est parfois plus difficile à exercer dans les localités rurales.
La minorité anglophone jouit de droits linguistiques dans les services de santé et les services sociaux du Québec; il arrive que des francophones ne puissent pas recevoir des services en français dans un hôpital anglophone; si tous les médecins et la plupart des infirmières diplômées connaissent suffisamment de français, il n'en est pas ainsi du personnel de soutien (aide-infirmière, personnel de cuisine ou d'entretien, brancardier, etc.), qui n'est nullement dans l'obligation de connaître la langue officielle.
Au point de vue juridique, il n'y a pas de municipalités ni de villes «bilingues» au Québec, il n'y a que des organismes municipaux «reconnus». Une municipalité dite «reconnue» doit offrir des services en anglais à ses citoyens qui en font la demande. Selon l'article 29.1 de la Charte de la langue française, les services en anglais sont autorisés aux municipalités comptant plus de 50% de résidents de langue maternelle anglaise. Il existe actuellement 89 municipalités «reconnues» (considérées comme «bilingues») au Québec. Finalement, ces organismes municipaux ont encore un autre avantage particulier: ils sont soustraits à l'obligation de soumettre tout leur personnel à un examen de français. La loi québécoise de 1977 ne prévoyant pas de révocation automatique de statut reconnu en fonction des recensements décennaux, plus de la moitié de ces municipalités ont aujourd'hui une population inférieure à 50%, mais elles conserveront durant des décennies à assurer des services bilingues. L'un des effets pervers de cette pratique, c'est que les anglophones et les allophones qui résident dans une municipalité dite «bilingue» ont tendance à ne parler que l'anglais dans une proportion de 51%.
En principe, un statut bilingue dans une ville devrait avoir pour objectif de protéger une minorité, mais dans le cas du Québec ce statut a aussi pour effet d'angliciser la majorité francophone, ce qui n'est pas normal, car toute municipalité devrait être suffisamment solidaire pour promouvoir l'emploi du français comme «langue commune» et non pas angliciser les francophones.
- L'éducation
Selon l'article 72 de la Charte de la langue française, l'enseignement se donne en français dans les classes maternelles, dans les écoles primaires et secondaires sous réserve des exceptions prévues. Pour résumer, tous les enfants doivent fréquenter l'école française au Québec, sauf pour les anglophones dont l'un des parents a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada. Cette obligation ne vaut que pour les établissements d'enseignement publics à la maternelle, au primaire et au secondaire (art. 72).
Il n'existe aucune obligation en ce qui a trait aux établissements postsecondaires, que ce soit les collèges (appelés CEGEP ou cégep: collège d'enseignement général et professionnel), les instituts supérieurs ou les universités. C'est le libre choix qui prévaut en matière de langue. Cela signifie qu'un francophone a le droit de s'inscrire dans un collège ou une université anglophone, comme un anglophone ou un allophone a aussi le droit de fréquenter un établissement francophone. Cependant, le libre choix au cégep revient ainsi à financer l'anglicisation d'une partie importante de la future élite québécoise, car la majorité des étudiants fréquentant un cégep sont aujourd'hui des francophones et des allophones.
La situation est similaire dans les trois universités anglophones. Aujourd'hui, les deux plus importantes universités anglophones, l'Université McGill et l'Université Concordia, sont situées à Montréal, là où le déclin des francophones se fait le plus sentir. Ces établissements de haut calibre constituent des facteurs de développement économique, social et culturel; en vertu du libre choix, ils attirent un nombre important de francophones et d'allophones, qui apprennent à pratiquer leur future profession en anglais. De plus, ces universités anglophones attirent davantage d'étudiants étrangers que les universités francophones, ce qui implique plus de financement. Bref, les dépenses occasionnées pour instruire les anglophones et les étrangers ne font que consacrer les privilèges considérables dont jouit la minorité anglophone du Québec.
- Les médias
La grande majorité des journaux sont en français, mais les anglophones bénéficient de deux quotidiens. Les stations de radio locales sont toutes en français, alors que la radio d'État, Radio-Canada en français et CBC en anglais, dessert ses auditeurs en français ou en anglais. La situation est à peu près la même avec la télévision, mais les francophones ont tendance à déserter la télé en français pour s'abonner aux chaînes privées anglo-américaines.
- Résumé
L'adoption de la Charte de la langue française (appelée aussi «loi 101») a certainement sauvé le français au Québec en faisant du français la seule langue officielle, mais elle n'a pas résolu tous les problèmes, elle n'a pas supprimé le bilinguisme traditionnellement établi en faveur de l'anglais. Ce statut de seule langue officielle du français est principalement d'ordre symbolique puisque, en vertu d’une disposition de la Constitution canadienne prévalant sur les lois québécoises, l’anglais est au Québec sur un pied d’égalité avec le français dans les travaux parlementaires, la rédaction des lois, des règlements, ainsi que dans les tribunaux. Pour le reste, le Québec conserve certaines marges de manœuvre, à la condition qu'il n'en abuse pas. Malgré tout, chaque fois que le Québec recourt à une mesure en faveur du français, des représentants du Canada anglais déchirent aussitôt leur chemise en signe de protestation contre ce qu'ils perçoivent comme des mesures autoritaires. Pour les nationalistes et/ou souverainistes, ce genre de réaction du Canada anglais démontre que les Québécois constituent un peuple dominé et que seule l'accession à la souveraineté permettrait d'assurer la pérennité du français en Amérique du Nord.
Le Québec est dans une situation où il ne peut «trop» protéger sa langue officielle, sans risquer de soulever la réprobation du Canada anglais. L’histoire canadienne est témoin d’innombrables cas de contestations et de réprobations de la part d’anglophones, que ce soit des personnes morales ou des personnes physiques. C’est d’ailleurs une réaction généralisée, car il semble difficile pour une majorité de comprendre que, sein d’un même pays, on puisse avoir une vision différente de la société, tout aussi acceptable et juste que la sienne. Le Québec doit composer avec cette réalité, et ce, d’autant plus que sa minorité fait partie de la toute-puissante majorité nord-américaine.
Par conséquent, il sera toujours difficile pour le Québec de légiférer sur le français, une langue minoritaire au Canada et en Amérique du Nord. Dans un monde idéal, les dirigeants québécois préféreraient des lois incitatives qui ne feraient mal à personne et qui recevraient aussi de l’accord des anglophones majoritaires et minoritaires, tout en étant rentables au point de vue économique. C’est là réussir la quadrature du cercle!
La faiblesse des États non souverains est dictée à la fois par des forces internes et externes. En fonction des circonstances, les dirigeants des États non souverains oscillent normalement entre la tentation nationaliste et la fidélité ou l'asservissement à l'État central. La plupart du temps, le nationalisme de ces États se caractérise par une offre politique marquée par la fragmentation, souvent encouragée par l'État central. Les politiques qui gèrent les États non souverains ont tendance à choisir des stratégies compétitives plutôt que de chercher à s'entendre, même ponctuellement, pour tenir tête au gouvernement central. L'effet néfaste est de s'écraser devant un pouvoir plus fort de peur d'en subir des conséquences néfastes, faute de pouvoirs suffisants pour s'y opposer et résister.
Que ce soit en Espagne, en Italie, en Chine, au Cameroun ou au Canada, les autorités centrales ont, de leur côté, tendance à agir en «agent colonial» lorsque les majorités locales désirent «trop» se protéger, de peur que les membres de la majorité nationale «perdent» des droits, sinon des avantages dus à leur statut. Jamais les membres d'une majorité nationale n'accepteront d'être privés de leurs droits de majoritaire dans un territoire d'une autre langue qui, pour eux, est minoritaire. C'est le système ambivalent des majorités dépositaires d'une langue à la fois majoritaire et minoritaire. La majorité locale hérite d'une frontière linguistique perméable à la majorité nationale qui ne saurait accepter voir sa langue interdite par une communauté considérée comme minoritaire, sinon «inférieure».
Le destin des majorités fragiles dans un État non souverain est d’être continuellement confronté à une langue concurrente plus forte, culturellement et économiquement plus attrayante contre laquelle il n'a aucun contrôle. Cette situation entraîne non seulement un bilinguisme social pratiquement obligé, mais favorise aussi les rivalités, les conflits ouverts, ainsi que le dénigrement, la déconsidération et la minorisation progressive. Par inertie ou par crainte, une telle majorité fragile peut, lasse de se battre, en venir à participer à sa propre liquidation, surtout lorsque la minorisation démographique et linguistique constitue une épée de Damoclès.
Les lois d'un pays vont généralement avoir tendance à protéger la langue majoritaire dans un territoire où elle est minoritaire; la majorité va pousser des cris d'horreur en s'imaginant devenir minoritaire, même localement. Par voie de conséquence, toutes les majorités locales dans un État non souverain sont dans une situation précaire en raison des obstacles causés à la fois par un État centralisateur plus fort et par la mondialisation généralement soumise aux impératifs commerciaux. Pourtant, la cohabitation linguistique est possible, mais uniquement dans le respect de la langue des autres, ce qui s'avère difficile avec les États non souverains.