République démocratique socialiste de Sri Lanka

Sri Lanka

Sri Lanka Prajatantrika Samajavadi Janarajaya
ශ්‍රී ලංකා ප්‍රජාතාන්ත්‍රික සමාජවාදී ජනරජය

Ilaṅkai Jaṉanāyaka Cōcalica Kuṭiyaracu
இலங்கை ஜனநாயக சோசலிச குடியரசு

Democratic Socialist Republic of Sri Lanka

 


 

Capitales:  Sri Jayawardenepura Kotte (capitale politique)
                 Colombo (capitale commerciale)
Population:  21,1 millions (2024)
Langue officielle: cinghalais et tamoul
Groupe majoritaire:  cinghalais (75 %)
Groupes minoritaires:   tamoul (23,4 %), créole malais (0,2 %), ourdou, malayalam, javanais, arabe, gujarati, créole mauricien, télougou, panjabi, japonais, konkani, etc.
Système politique:  république démocratique socialiste depuis 1978
Articles constitutionnels (langue): art. 18 à 25A de la Constitution de 1978 (modifiée 22 fois depuis); art. 32 à 50 du projet de Constitution de 2000; art. 12, 14, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27 et 126 de la Constitution de 2022
Lois linguistiques: Loi sur la langue officielle de 1956 (abrogée); Loi sur la langue tamoule (Dispositions particulières), 1958; Règlement sur la langue tamoule (Dispositions particulières) de 1966;  Loi sur la langue des tribunaux (1973);
Loi sur la Commission des langues officielles (1991); Circulaire de l'administration publique n° 12 (2003); Circulaire administrative générale nº 03 (2007); Loi sur l'Institut national d'enseignement des langues et de la formation (2007);  Circulaire administrative générale nº 07 (2007); Circulaire administrative sur les langues officielles n° 18 (2020).
Lois à portée linguistique: Loi sur l'administration de la justice (1973);  Loi sur le Code de procédure civile (1977); Loi sur le partage des terres (1977); Loi sur le Code de procédure criminelle (1979).

1 Situation géographique 

Le Sri Lanka (Shri Lanka en cinghalais; Ilam ou Ilankaï en tamoul), anciennement Ceylan (ou Ceylon en anglais) est officiellement appelé République socialiste démocratique de Sri Lanka.

Situation dans l'océan Indien

C’est un pays insulaire situé au sud-est de l’Inde dans l’océan Indien, dont il est séparé par le détroit de Palk et le golfe de Mannar. L'île mesure environ 440 km de long, et sa largeur maximale atteint 220 km. Sa superficie est de 66 000 km², soit l’équivalant de la république d’Irlande (ou environ une fois et demie la Suisse ou deux fois les Pays-Bas). Mais le Sri Lanka paraît minuscule à comparer à son grand voisin, l'Inde, dont la superficie est de 3,2 millions de kilomètres carrés, ce qui représente une taille de 50 fois plus grosse. La capitale et la ville la plus importante de l'île est Colombo, avec ses deux millions d’habitants. La capitale et la ville la plus importante de l'île est Colombo, avec ses deux millions d’habitants. En réalité, Colombo est devenue la capitale commerciale et économique, alors que Sri Jayawardenepura Kotte est la capitale administrative et politique (judiciaire, législative, etc.).

Le pays est divisé en neuf provinces (voir la carte politique): Centre, Centre-Nord, Est, Nord, Nord-Est, Ouest, Sabaragamuwa, Sud et Uva. 

Le drapeau du Sri Lanka représente les minorités avec à gauche des bandes verticales verte (l'islam) et orange (les Tamouls), puis à droite un lion jaune portant une épée (l'autorité) sur fond brun et quatre feuilles (symbole bouddhiste). Le lion srilankais repose sur une légende racontée dans le Mahavamsa (écrit au VIe siècle par le moine bouddhiste Mahanama, frère du roi Dhatusena de Ceylan). Des astrologues auraient prédit à un roi du Bengale que sa fille unique serait un jour l’épouse du roi des animaux. Afin d'empêcher cette prophétie, le roi enferma sa fille. Mais celle-ci s’échappa du palais et rencontra sur la route une caravane de marchands. Au cours du voyage, la caravane fut attaquée par un lion qui, ému pas sa beauté, épargna la petite fille. Il l'entraîna dans sa tanière et ils s'aimèrent. Leurs descendants fondèrent le royaume de Lanka et prirent le nom de Sinhala, les «fils du lion», d'où ce symbole sur le drapeau national.

Quant au mot Lanka, il signifie en sanskrit «la Resplendissante». Ce sont les Portugais qui nommèrent l'île Ceilão; ils l'occupèrent de 1505 à 1635. Les Hollandais l'appelèrent Zeilan, les Britanniques, Ceylon, et les Français, Ceylan. Ce nom resta jusqu'au 22 mai 1972, soit après l'indépendance »(1948), alors que l'île reprit son ancien nom de Lanka, précédé de Sri signifiant «joie» (ou «bénédiction»), afin d'ajouter une connotation religieuse.

2 Données démolinguistiques

La population sri lankaise est très diversifiée, même si elle comprend deux groupes principaux: les Cinghalais et les Tamouls. Les Cinghalais forment le groupe majoritaire avec 75% de la population et habitent principalement la partie sud-ouest de l’île. Quant aux Tamouls, ils occupent tout le Nord et l'Est. Au plan géographique, les 23% de Tamouls occupent une proportion imposante de territoire: à l’exception de la côte sud-ouest, ils contrôlent tout le Nord et toute la côte est, sans compter une petite portion du centre de l’île. Ainsi, ils occupent un peu moins de 50% du territoire national.

Cependant, les Cinghalais et les Tamouls sont fragmentés en un très grand nombre de communautés plus ou moins importantes en nombre. De plus, le pays est confronté à un long conflit entre les deux grandes ethnies, qui a mené à une guerre civile de presque trente ans sur cette île de l’océan Indien. Dans ce pays, il n'existe pas véritablement de Sri-Lankais, mais plutôt des Cinghalais et des Tamouls (tout courts), sinon des Tamouls maures et des Tamouls indiens.

2.1 Les Cinghalais

Selon les chroniques cinghalaises, les Cinghalais, appelée «le peuple du lion» seraient les descendants du prince Vijaya et de ses 700 partisans arrivés au Sri Lanka au VIe siècle avant notre ère, après avoir été bannis de Sinhapura, la capitale du légendaire roi indien Sinhabahu dans le nord-est de l'Inde.

Les Cinghalais (75% de la population) parlent le cinghalais (ou sinhala), une langue indo-iranienne de la famille indo-européenne, à l'instar de l'hindi, du bengali, du marathi, du panjabi, du sindhi, de l'ourdou, etc., qui proviennent toutes du sanskrit. Le cinghalais s'apparente aux langues du nord de l'Inde; il ne constitue pas un continuum avec ces langues, car son aire est séparé par les langues dravidiennes, notamment par le tamoul. Le cinghalais était à l'origine parlé par les habitants du royaume de Ceylan, dont les locuteurs provenaient du nord de l'Inde au Ve siècle avant notre ère; la langue a conservé les caractéristiques de cette époque. Elle est aussi restée aussi très proche du sanskrit. Il n'est pas dû au hasard que le cinghalais soit aussi apparenté au maldivien (divéhi ou dhivehi) parlé aux îles Maldives; ce sont deux langues insulaires issues du nord de l'Inde. À l'exception de certains immigrants d'origine cinghalaise et vivant maintenant aux États-Unis, au Canada, à Singapour, en Lybie, aux Maldives ou en Thaïlande, le cinghalais n'est parlé qu'au Sri Lanka.

Avec ses trois langues nationales (cinghalais, tamoul et anglais), le Sri Lanka doit composer avec trois alphabets (cinghalais, tamoul et latin). Le sens d'écriture du cinghalais et du tamoul est de gauche à droite à l'horizontale. Le cinghalais possède une écriture très particulière dérivée du pali, un système provenant des livres saints du bouddhisme, auquel le pays est fidèle depuis le IIe siècle avant notre ère. Quant à l'alphabet tamoul, un alpha-syllabaire, il a pour origine le tamil-brāhmi dès le IIIe siècle avant notre ère. 

2.2 Les Tamouls

Les Tamouls font partie des peuples dravidiens, également appelés «Dravidiens»; ce sont des peuples non indo-européens et non himalayens parlant des langues dravidiennes parlées par quelque 86 millions de locuteurs dans le monde, dont 69 seulement en Inde. Ces peuples parlent le tamoul (ou tamil en tamoul et en anglais), une langue de la famille dravidienne. Le tamoul est donc apparenté aux langues du sud de l'Inde, mais le tamoul est la plus ancienne des langues dravidiennes; il est parlé non seulement au Sri Lanka par la communauté tamoule (environ 3,7 millions de locuteurs), mais également dans l'État du Tamil Nadu (langue officielle), à Pondichéry (langue officielle), à Singapour (langue officielle), dans l'île de La Réunion (langue minoritaire) et l'île Maurice (langue minoritaire). Il existe aussi des communautés parlant le tamoul aux îles Fidji, en Malaisie, en Birmanie, en Afrique du Sud, en Guadeloupe, aux États-Unis, au Canada, en France, en Australie, etc. Comme le cinghalais, le tamoul possède un alphabet particulier ou plutôt un alpha-syllabaire.

En fait, le tamoul sri-lankais fait partie des langues dravidiennes du sud de l'Inde avec le kannada et le tulu (Karnataka), le malayalam (Kerala) et le tamoul (Tamil Nadu).

Au Sri Lanka, on distingue diverses catégories de tamoulophones fragmentées en un grand nombre de petites communautés locales: les Tamouls sri-lankais hindouistes, les Tamouls musulmans, les Tamouls indiens hindouistes et les Tamouls maures de religion musulmane. Bref, il existe des Tamouls hindouistes et des Tamouls musulmans, bien que de petites minorités soient chrétiennes ou bouddhistes. Tous ces Tamouls forment des communautés distinctes. Une population multiethnique.

Les Tamouls sri-lankais (15,1%) sont majoritaires dans la province du Nord; ils vivent en nombre significatif dans la province de l'Est et dans la capitale (Colombo), mais ils sont minoritaires dans le reste du pays; près de 70 % des Tamouls sri-lankais vivent dans les provinces du Nord et de l'Est. Les Tamouls sri-lankais descendent des résidents du royaume de Jaffna, un ancien royaume du nord du Sri Lanka et des chefferies Vannimai de l'Est. Ils vivent sur l'île depuis au moins le IIe siècle avant notre ère. Ils sont généralement de confession hindoue, mais il existe aussi une importante population chrétienne. Par ailleurs, les Tamouls sri-lankais peuvent compter sur l’appui de leurs «frères» de l’Inde, la plupart installés dans l'État du Tamil Nadu, qui ne se privent guère de leur fournir des armes et une forte aide financière.

Les Maures (3,1%) sont des descendants de commerçants arabes et persans, donc musulmans, qui se sont établis au Sri Lanka entre le VIIIe et le XVe siècle. La plupart vivaient le long des zones côtières, mais une grande partie de cette communauté réside aujourd'hui dans la capitale du pays et dans d'autres grandes villes, ainsi que dans la province de l'Est et dans la province du Nord. Leur langue principale n'est plus l'arabe, mais le tamoul bien que la majorité parle également le cinghalais.

Les Tamouls indiens (0,1%), appelés aussi «Tamouls du pays des collines», sont les descendants des ouvriers envoyés de force du Tamil Nadu à Ceylan au XIXe siècle, durant la période coloniale, pour travailler dans les plantations de thé, de café ou de caoutchouc. Ils vivent principalement dans le centre de l'île. La plupart sont hindouistes, avec une minorité de chrétiens et de musulmans, mais on compte également une petite minorité de bouddhistes.

Étant donné qu'ils vivent en zone cinghalaise, les Tamouls indiens sont plus facilement «manipulables» et font l'objet de nombreux «chantages» de la part de la majorité cinghalaise. Bien qu’ils soient considérés comme des Tamouls, certains ont des origines télougous ou malaises, ainsi que diverses origines de castes du sud de l’Inde. En fait, on trouve des Tamouls en dehors des provinces du Nord et de l'Est, mais ils constituent alors de très petites communautés plus ou moins isolées.

2.3 La langue anglaise

L'anglais n'est une langue maternelle que par peu de locuteurs au Sri Lanka, soit un peu plus de 10 000. C'est l'ancienne langue coloniale amenée par les Britanniques. L'anglais a conservé un grand prestige au Sri Lanka. Cette langue est utilisée dans la rédaction des lois, les journaux, les affaires, l'éducation, etc. Mais l'anglais parlé par beaucoup de Sri-Lankais n'est pas l'anglais standard, c'est un anglais particulier appelé Singlish (< Sinhalese + English) ou, plus fréquemment, Sinenglish, une variante locale mêlée de mots cinghalais et tamouls. Il convient de distinguer le Sinenglish du Sri Lankan English, qui demeure un «anglais sri lankais», alors que le Sinenglish est considéré comme du «mauvais anglais», une langue mixte parlée par les masses peu instruites. Il n'en demeure pas moins que cet anglais peu prestigieux est davantage parlé que l'anglais standard et qu'il devient à la fois un symbole d'identification et un instrument de communication efficace entre les ethnies. 

2.4 Les autres groupes ethniques

Mais on compte plusieurs autres groupes ethniques au Sri Lanka, dont des Malais, des Pachtounes, des Pakistanais, des Javanais, des Mauriciens, des Télougous, des Japonais, des Maldiviens, etc. Ces langues sont parlées dans les familles et les maisons privées, rarement en public.

Groupe ethnique Langue maternelle Population Pourcentage Affiliation linguistique Religion
Cinghalais cinghalais 16 216 000 72,6 % indo-iranienne bouddhisme
Tamoul sri-lankais (autochtone) tamoul  3 373 800 15,1 % dravidienne hindouisme
Tamoul musulman tamoul  1 166 300 5,2 % dravidienne islam
Maure sri lankais tamoul    697 000 3,1 % dravidienne islam
Cinghalais chrétien cinghalais    530 000 2,3 % dravidienne christianisme
Malais créole malais      53 000 0,2 % créole islam
Pachtoune tamoul     42 000 0,1 % dravidienne islam
Pakistanais ourdou     22 000 0,0 % indo-iranienne islam
Mappila malayalam     11 000 0,0 % dravidienne islam
Tamoul indien tamoul       9 900 0,0 % dravidienne hindouisme
Javanais javanais       8 500 0,0 % langue austronésienne islam
Arabe arabe mésopotamien       5 300 0,0 % afro-asiatique islam
Gujarat gujarati      4 100 0,0 % indo-iranienne islam
Mauricien créole       3 900 0,0 % créole mauricien hindouisme
Télougou télougou      3 400 0,0 % dravidienne hindouisme
Panjabi panjabi       3 300 0,0 % indo-iranienne islam
Japonais japonais       2 400 0,0 % japonique bouddhisme
Goanais konkani      2 300 0,0 % indo-iranienne christianisme
Rajput hindi      2 300 0,0 % indo-iranienne hindouisme
Bengali musulman ourdou     2 200 0,0 % indo-iranienne islam
Maldivien maldivien      2 000 0,0 % indo-iranienne islam
Sindhi musulman sindhi     1 000 0,0 % indo-iranienne islam
Autres -  152 000 0,6 % - -
Total 2024  

22 313 700

100 %

- -

On compte aussi quelques langues créoles, dont une d'origine malaise (le créole sri lankais malais), le créole indo-portugais et le créole mauricien. Par ailleurs, on dénombre environ 10 000 Britanniques qui parlent l’anglais comme langue maternelle, et quelque 300 Veddas, une ethnie aborigène australoïde en voie d’extinction. On estime qu’environ 10% de la population sri lankaise peut s’exprimer en anglais. Il s’agit, répétons-le, d’un anglais assez particulier appelé l'anglais sri lankais, et généralement influencé par des emprunts au tamoul.

2.5 La mosaïque religieuse

S'ajoute à la dimension ethnique l'appartenance religieuse différente au sein des communautés. Il existe quatre grandes religions dans le pays, dont deux sont plus importantes.

Les Cinghalais sont bouddhistes, alors que les Tamouls sont en majorité hindous, mais certains sont musulmans ou chrétiens (catholiques). Cependant, le bouddhisme constitue la principale religion du pays et rassemble environ 70,2% (dont à quelque 90% de Cinghalais) de la population.

L'hindouisme est pratiqué par 12,6 de la population, dont à 80% de Tamouls. Il reste donc 9,7% de musulmans, 6,1% de catholiques et 1,3% de protestants.

Au Sri Lanka, la communauté musulmane est composée de quatre groupes distincts :

- les Maures sri-lankais:
- les Indiens musulmans;
- les Tamouls musulmans;
- les Malais musulmans.

Chacun des groupes possède son histoire et ses traditions propres. Les Sri-Lankais ont l'habitude d'utiliser le terme «Musulman » comme un groupe ethnique homogène, ou alors pour désigner les Maures. Lorsqu'on les oppose aux autres ethnies, on les décrit avec une majuscule initiale: les «Musulmans». Lorsqu'on parle religion, ce sont des «musulmans».

Les adeptes de l'islam (environ 7% de la population) parlent pour la plupart le tamoul, tandis que les chrétiens appartiennent aux deux grandes communautés linguistiques (cinghalaise et tamoule). Les habitants musulmans du Sri Lanka sont considérés comme constituant un groupe ethnique particulier, c'est-à-dire distinct des Cinghalais et des Tamouls.  Les Tamouls musulmans se définissent par leur religion, mais aussi par leurs origines commerçantes entre l'Asie du Sud et le Moyen-Orient. Les marchands tamouls ont épousé des femmes tamoules ou cinghalaises locales et se sont installés un peu partout dans l'île, même si des communautés sont concentrées dans la province de l'Est et dans la province du Nord.

En réalité, le Sri Lanka est constitué d'une mosaïque de groupes distincts, ethniques, linguistiques, religieux, qui sont issus de la longue histoire de son peuplement.

3 Données historiques

Autrefois habitée par des tribus australoïdes dont descendent les Veddas, l'île fut colonisée quelque cinq siècles avant notre ère par des Indo-Européens, les ancêtres des Cinghalais d’aujourd’hui. Le bouddhisme aurait été introduit au IIIe siècle avant notre ère par le prince indien Mahinda, fils ou frère de l'empereur indien Ashoka. Cette religion s'implanta dans l'île qui devint un bastion du bouddhisme.

Puis, deux siècles plus tard, les Tamouls du sud de l’Inde tentèrent de conquérir l’île (appelée Ceylan). Ils restèrent très liés sur les plans culturel et religieux (hindouisme) à l'État du Tamil Nadu (Inde), leur «pays d'origine». Les deux grands groupes ethniques se constituèrent en de petits royaumes. Au cours des siècles, les rois étaient parfois cinghalais parfois tamouls. Avant la période coloniale et l'arrivée des missionnaires chrétiens, il n'y avait généralement pas d'antagonisme entre les différents groupes religieux de l'île. Les «frontières ethniques» étaient relativement «poreuses» et imprécises. Pendant plusieurs siècles, les mariages mixtes furent même fréquents; par exemple, des rois cinghalais du royaume de Kandy au centre du pays épousèrent des femmes tamoules afin de consolider les liens entre les différentes ethnies. Néanmoins, des tensions entre les communautés subsistaient, car certaines organisations bouddhistes développèrent chez les Cinghalais des complexes de supériorité aux dépens des Tamouls.

Par ailleurs, à partir du VIIIe siècle, et ce, jusqu’au XIIIe siècle, l’expansion de l’islam et la domination du commerce arabe firent en sorte que des musulmans s’installèrent en grand nombre au Ceylan et plusieurs épousèrent des femmes tamoules. Ce phénomène s'est produit à une grande échelle au XIIIe siècle lorsque les Cinghalais commercèrent avec les Arabes.

3.1 La domination européenne

Les habitants de l’île de Ceylan connurent trois dominations européennes successives: celle des Portugais, celle des Hollandais, puis celle des Britanniques.

- La période portugaise (1505-1658)

Avant que les Portugais débarquent sur l'île, il y avait trois royaumes : le royaume tamoul de Jaffna, le royaume cinghalais de Kotte et le royaume cinghalais de Kandy.

Les Portugais arrivèrent pour la première fois au Sri Lanka en 1505, lors de l'expédition de l'explorateur Lourenço de Almeida (1480-1508); celui-ci soumit le roi et permit l'accès des Portugais au commerce de la cannelle. Les Portugais finirent par acquérir de vastes étendues de territoire à Ceylan appelé Ceilão, surtout lorsque le dernier roi du royaume de Kotte légua son royaume au Portugal à sa mort en 1597; ils soumirent également les royaumes rivaux de Sitawaka et de Raigama.

En 1619, les Portugais conquirent le royaume tamoul de Jaffna au nord. Ils ne réussirent jamais à soumettre le royaume de Kandy, sauf en de très brèves périodes. Néanmoins, l'île de Ceylan fut le plus grand territoire que les Portugais allaient posséder en Asie, car ils s'abstenaient généralement de toute conquête territoriale importante sur ce continent afin d'éviter de s'aventurer loin de leurs bastions côtiers en Afrique et dans les comptoirs commerciaux du subcontinent indien.

Les colonisateurs portugais introduisirent des missionnaires catholiques qui s'installèrent d’abord dans le nord de l’île, donc en «terre tamoule», et pratiquèrent un catholicisme agressif; ils détruisirent de nombreux temples hindouistes et obligèrent un certain nombre de Tamouls à se convertir au catholicisme. Lors de la colonisation portugaise, l’administration de l’île fut scindée en deux: il y eut une administration, une justice, un gouvernement pour les Tamouls et une autre système parallèle pour les Cinghalais; les documents officiels étaient rédigés généralement en portugais.

La domination portugaise irrita le roi de Kandy qui, pour protéger son royaume, demanda l’aide des Hollandais, les concurrents directs des Portugais sur le plan commercial en Asie.

- La période hollandaise (1668-1796)

Dès 1638, les Hollandais s'emparèrent de Batticaloa (côte est du centre de l’île), puis Trincomalée (plus au nord), Colombo (côte ouest), Mannar (au nord-ouest) et, en 1658, Jaffna (au nord). Les derniers Portugais abandonnèrent complètement l’île en 1668.

Les Hollandais changèrent le nom de l'île Ceilão en Zeilan., laquelle fut divisée en districts: district de Jaffna, district de Colombo, district de Galle (prononcer [gaoul]) et de Matara, district de Trincomalée et de Batticaloa. Comme les Portugais, ils pratiquèrent la dualité administrative : un système pour les Tamouls, un autre pour les Cinghalais. Cependant, la plupart des documents officiels étaient rédigés soit en néerlandais soit en tamoul, le cinghalais étant totalement ignoré.

Les nouveaux colonisateurs introduisirent à leur tour leur religion, le calvinisme. Les missionnaires hollandais voulurent imposer cette religion au sein de la population locale et réussirent, pour des raisons économiques ou sociales, à convertir beaucoup de Tamouls et de Cinghalais à la nouvelle religion. Mais les Tamouls et les Cinghalais subirent la répression et la discrimination, tant de la part des «catholiques agressifs» que des «calvinistes militants».

Si la majorité de la population était bouddhiste et parlait cinghalais, une importante population hindoue ou musulmane, parlant tamoul, résidait également sur l'île, en particulier dans le Nord et dans l'Est côtier. Plus loin de la côte, la population était majoritairement cinghalaise.  Au moment du départ des colons hollandais, tous les groupes bouddhistes et hindouistes avaient, dans une certaine mesure, adopté le discours et les méthodes du radicalisme religieux.

Dans les écoles de village, les garçons comme les filles apprenaient à lire et à écrire dans leur langue maternelle, en cinghalais ou en tamoul, selon le cas. Les écoles fonctionnaient à l’échelle régionale, mais une école centrale offrait un enseignement aux enfants de plusieurs communautés environnantes. Les Hollandais ont également fondé des séminaires près de Jaffna et de Colombo pour l’enseignement supérieur des maîtres d’école, des commis et des ministres protestants potentiels. Fréquentés par les fils de l’élite locale, ces séminaires où l'on enseignait en néerlandais constituaient des véhicules d’influence et de contrôle social, culturel et moral sur les élèves et, à travers eux, sur la population.

Les Hollandais se sont retrouvés dans la même situation que leurs prédécesseurs portugais. Ils s'installèrent solidement dans les provinces maritimes et côtières, construisirent de nouvelles citadelles, agrandirent les villes côtières, creusèrent des canaux et monopolisèrent tout le commerce de Ceylan. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales construisit des écoles protestantes pour que l'Église réformée puisse implanter la foi protestante, et éduquer et surveiller la population. Toutefois, maîtres des zones côtières et du Nord tamoul, les expéditions hollandaises échouèrent de la même manière que les Portugais contre le royaume de Kandy.

Sur les quelque deux millions d’habitants du Sri Lanka au XVIIIe siècle, environ un million d'habitants vivaient dans une zone officiellement sous domination hollandaise. En principe, tous les habitants des territoires de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales étaient censés assister aux services religieux; ils devaient aussi fréquenter les écoles protestantes et devaient donc être enregistrés dans les registres ("thombos") scolaires.

- La colonisation britannique (1796-1948)

Vers la fin du XVIIIe siècle, les Français, les Hollandais et les Britanniques se livrèrent une concurrence féroce au plan commercial. Les Britanniques décidèrent de s’attaquer aux possessions hollandaises et de prendre possession de l'île de Ceylan. En septembre 1795, ils assiégèrent d’abord le port de Trincomalée (côte orientale tamoule) et s'en emparèrent au bout de huit jours. Avant la fin du mois d'octobre, tous les ports tamouls comme Mannar (côte occidentale) et Batticaloa (côte orientale tamoule) furent enlevés. En février de l’année suivante (1796), l'île tout entière passa aux mains des Anglais en devenant Ceylon (Ceylan en français).

L'île de Ceylan fut ainsi officiellement annexée par les Britanniques, qui en firent une colonie de la Couronne en 1802. Contrairement aux Portugais et aux Hollandais, les Britanniques réussirent en 1815 à assujettir le royaume de Kandy. Dès lors, une seule administration unifiée vit le jour pour la première fois dans l'histoire de l'île. Après avoir vaincu les dernières résistances avec la prise du royaume de Kandy (au centre du pays), ils divisèrent le pays en cinq provinces en 1833: CENTRE (Central Province), NORD (Northern Province), EST (Eastern Province), OUEST (Western Province) et SUD (Southern Province). Ces provinces furent elles-mêmes divisées en de nombreux districts comprenant plusieurs "korales" («secrétariats divisionnaires»). Au cours du siècle suivant, la plupart des fonctions administratives furent transférées aux districts, donc des divisions administratives de deuxième niveau. Jusqu'au milieu du XXe siècle, les provinces n'allaient n'être plus que des administrations à «pratiques cérémonielles».

Les Britanniques développèrent les plantations de thé et d'hévéas. Afin de fournir de la main-d’œuvre appropriée, ils firent venir des Tamouls indiens pour travailler dans leurs plantations. C'est depuis ce temps qu'il existe deux catégories de Tamouls: les Tamouls autochtones sri-lankais et les Tamouls indiens. Au cours des années 1830-1833, l'anglais fut introduit comme langue d'enseignement et les Britanniques décidèrent d'encourager l'usage de l'anglais comme langue de l'administration, de l'éducation et des tribunaux.

- L'instauration de l'anglais

Les Britanniques mirent en place un système d'écoles gérées à la fois par l'État et par l'Église anglicane; ils écartèrent l'éducation bouddhiste traditionnelle et dépossédèrent ainsi les moines d'une de leurs plus importantes fonctions dans la société cinghalaise. Ils favorisèrent la rupture des liens entre le bouddhisme et l'État, ce qui souleva des rancunes au sein de la communauté cinghalaise d’obédience bouddhiste.

L’enseignement public de base était offert, selon les écoles, dans l’une ou l’autre des deux langues nationales, le cinghalais ou le tamoul. Cet enseignement était donné en principe au primaire à tous les enfants de l'île. Cependant, l’éducation de la classe moyenne et des futures élites relevait des congrégations religieuses chrétiennes, donc des  établissements subventionnés par l’État et payants, et où tous les cours étaient donnés en anglais. Les missionnaires anglicans anglicisèrent ainsi la population sri-lankaise; ils croyaient que l'instruction en anglais contribuerait à «civiliser» la population. Le gouvernement colonial fonda des écoles publiques conçues spécifiquement pour les jeunes Britanniques surtout dans des villes comme Colombo, Kandy et Galle (prononcer [gaoul]). L'apprentissage de l'anglais présentait des avantages considérables pour les Sri-Lankais, car la connaissance de cette langue leur permettait d'obtenir des emplois plus prestigieux. Cette éducation était la voie unique d’accès à tous les postes administratifs, très convoités car assurant la sécurité de l’emploi et la promotion sociale, ceux-ci exigeant une pratique courante de l’anglais. Pour les Sri-Lankais anglicisés, le cinghalais et le tamoul furent utilisés pour communiquer avec les aînés, les domestiques et les moines. 

Toutefois, parce que le développement économique du Sri Lanka dépendait essentiellement de la main-d'œuvre agricole, les administrateurs crurent nécessaire de limiter l'éducation anglaise. En 1889, le gouverneur du Sri Lanka avait écarté l'instruction complète en anglais en déclarant qu'elle créerait «une génération d'instruits oisifs», qui se croiraient au-dessus des autres qui travaillaient. Néanmoins, une commission sur l'éducation créée en 1906 soutint que l'apprentissage de l'anglais n'était ni appropriée ni désirable pour tous les Sri-Lankais parce qu'il inciterait la majorité des travailleurs à désirer une autre vie. Une année plus tôt, l'archevêque catholique de Colombo avait prétendu que l'enseignement de l'anglais dans les petites villes était dangereux et qu'il pouvait inviter les jeunes à défier les autorités coloniales. En 1914, seuls 37 500 élèves fréquentaient des écoles anglaises, alors que 347 500 étaient inscrits dans les «écoles indigènes». En 1931, on comptait à peine 84 000 élèves dans les écoles anglaises, contre 476 000 dans les écoles dites indigènes. À la veille de l'indépendance, près de 180 000 élèves fréquenteront les écoles anglaises; 720 000, les écoles indigènes. 

- Le favoritisme ethnique

En général, l’influence des missionnaires anglicans suscita beaucoup moins d’hostilité chez les Tamouls hindous. Ce n’est certainement pas dû au hasard si les écoles tamoules furent mieux gérées et si, dans l’ensemble, les Tamouls étaient plus instruits que les Cinghalais, faisaient des études supérieures, parlaient mieux l'anglais et, par le fait même, étaient fréquemment employés dans l'administration britannique. Par exemple, alors qu’ils constituaient 15 % de la population, les Tamouls accaparaient plus de 30 % des postes universitaires; dans les principales facultés, ils comptaient même autant d’étudiants que les Cinghalais. Par voie de conséquence, le nombre des Tamouls était beaucoup plus élevé que les Cinghalais dans la fonction publique, les professions reliés à la médecine et au droit (avocats). Avec 15 % de la population, les Tamouls occupaient quelque 40 % des emplois du gouvernement.

Les Britanniques avaient décidé de favoriser la minorité tamoule, parce que celle-ci leur paraissait plus familière dans la mesure où leurs frères indiens, dans l’actuel Tamil Nadu au sud-est de l’Inde, étaient déjà leurs sujets. Sous la domination coloniale, l'anglais demeurait une langue incontournable pour certains postes, ce qui favorisait les Tamouls. Cette politique consistait à diviser pour régner dans la mesure où les Britanniques ne tenaient pas compte de la représentation proportionnelle. Par conséquent, cette situation conduisit à une accumulation de frustrations parmi les Cinghalais majoritaires. Cette discrimination souleva des réactions nationalistes chez les Cinghalais et suscita de fortes animosités à la fois envers les Britanniques et les Tamouls. Pour les Cinghalais, il s'agissait d'un «favoritisme colonial»; c'est ce qui expliquerait, de la part de certains historiens, les conflits actuels entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule.

- Une autonomie interne

À la suite des nombreux mouvements de résistance menés par les Cinghalais, le gouvernement de Londres décida, en 1931, d’octroyer une autonomie interne à l’île de Ceylan (ou Ceylon). En 1944, le gouvernement chargea la Commission Soulbury (dirigée par Herwald Ramsbotham, vicomte Soulbury) de trouver les moyens de transférer éventuellement le pouvoir entre les mains des Ceylanais, et ce, d'une manière équitable entre les deux principales ethnies de l'île. La communauté tamoule, pour sa part, réclamait 50 % de la représentation parlementaire pour les Cinghalais et 50 % pour elle-même.

La Constitution dite de Soulbury de 1946 (Ceylon Order in Council), qui énonçait les modalités de la décolonisation, n'a pas retenu les demandes des Tamouls, puisqu’elle préconisa, conformément au droit anglais prévoyant une personne/un vote, une représentation de 65 % pour les Cinghalais et de 35 % pour les Tamouls. Elle favorisa le concept du gouvernement par la majorité cinghalaise et un système politique fortement centralisé. Pour la première fois, les Tamouls n'étaient plus protégés par les colonisateurs. Même si l'article 29 interdisait toute discrimination sur la base de la religion ou de l'appartenance ethnique, aucune disposition ne garantissait l'indépendance du pouvoir judiciaire ou protégeait les droits fondamentaux de la minorité tamoule. En fait, le texte qui servait de constitution ne mentionnait que la religion et non la langue, mais tous savaient que les Cinghalais étaient bouddhistes, les Tamouls hindous:

CEYLON (CONSTITUTION) ORDER IN COUNCIL, 1946

Article 29.

Legislative Powers and Procedure

1) Subject to the provisions of this Order, Parliament shall have power to make laws for the peace, order and good government of the Island.

2) No such law shall -

(a) prohibit or restrict the free exercise of any religion; or

(b) make persons of any community or religion liable to disabilities or restrictions to which persons of other communities or religions are not made liable; or

(c) confer on persons of any community or religion any privilege or advantage which is not conferred on persons of other communities or religions, or

(d) alter the constitution of any religious body except with the consent of the governing authority of that body, so, however, that in any case where a religious body is incorporated by law, no such alteration shall be made except at the request of the governing authority of that body:

Provided, however, that the preceding provisions of this subsection shall not apply to any law making provision for, relating to, or connected with, the election of Members of the House of Representatives, to represent persons registered as citizens of Ceylon under the Indian and Pakistani Residents (Citizenship) Act.

DÉCRET DU CEYLAN (CONSTITUTION), 1946

Article 29

Pouvoirs législatifs et procédure

1) Sous réserve des dispositions du présent décret, le Parlement doit avoir le pouvoir d'adopter des lois pour maintenir la paix, l'ordre et le bon gouvernement de l'île.

2) Aucune loi ne doit :

(a) interdire ou restreindre le libre exercice d'une religion ; ou

(b) rendre les membres d'une communauté ou d'une religion assujettis à des handicaps ou à des restrictions dont les membres des autres communautés ou religions ne sont pas responsables; ou

(c) conférer à des membres d'une communauté ou d'une religion des privilèges ou des avantages qui n'ont pas été attribués aux membres des autres communautés ou religions, ou

(d) modifier la constitution d'un organisme religieux sauf avec le consentement des autorités de cet organisme, si toutefois le cas où un organisme religieux est inclus dans une loi et qu'aucune modification ne sera faite à l'exception d'une demande des autorités de cet organisme :

À la condition cependant que les dispositions précédentes du présent paragraphe ne s'appliquent pas à une loi prévoyant une disposition concernant ou liée à l'élection des membres de la Chambre des représentants pour représenter des individus enregistrés comme citoyens du Ceylan en vertu de la Loi sur les résidants indiens et pakistanais (citoyenneté).

Il s'agissait néanmoins d'un renversement de situation. En 1946, le nombre des Tamouls indiens avait atteint 780 000, soit 11,7 % de la population. Leur présence était mal vécue par les nationalistes cinghalais. Les Tamouls indiens craignaient vraiment que, une fois le Ceylan indépendant, les Cinghalais majoritaires prenaient des mesures pour les expulser du pays. La majorité cinghalaise, devenue très nationaliste au cours de la colonisation britannique, s'opposait aux politiques de la Grande-Bretagne et se méfiait des Tamouls qui avaient été «protégés» et avantagés sous ce régime. Toutefois, la politique linguistique fut décidée par une petite élite anglicisée, ce qui favorisait les Tamouls. Lassés d’être exclus de la gouvernance et des affaires publiques, les Sri-Lankais commencèrent à militer pour la promotion des langues locales et toutes les communautés se sont rassemblées pour exiger des politiques plus justes. Une fois le pays indépendant, les Cinghalais allaient prendre leur revanche et considérer le Ceylan comme «leur» pays aux dépens de la minorité tamoule. 

Cependant, le fait que l'article 29.2 ait déclaré qu'aucune loi ne pouvait être promulguée pour «conférer à des membres d'une communauté ou d'une religion des privilèges ou des avantages qui n'ont pas été attribués aux membres des autres communautés ou religions», aura pour effet de la part de la communauté tamoule de contester plus tard l'Official Language Act de 1956.

3.2 L’indépendance du Ceylan

L’île de Ceylan accéda à l'indépendance en février 1948 dans le cadre du Commonwealth. Malgré l'indépendance proclamée, l'île de Ceylan ne fut pas entièrement coupée de la Grande-Bretagne. Seule l’administration de l’île fut laissée aux Ceylanais, tandis que le gouvernement britannique détenait encore le pouvoir d’adopter des lois pour le Ceylan. Lors de l’accession à l’indépendance, le premier Parlement de Colombo comptait 58 Cinghalais, 29 Tamouls et 8 Musulmans (considérés comme une ethnie). Les Cinghalais dominèrent aussitôt la politique, la justice, l’administration, l’armée et l’économie, ce qui provoqua au sein de la minorité tamoule une profonde animosité et les conforta dans leur crainte de voir s'instaurer dans le pays une «dictature de la majorité». 

Ce pressentiment n’était pas sans fondement, car certains intellectuels cinghalais propageaient depuis longtemps le concept de la «mission» de la «race cinghalaise», comme en fait foi cette déclaration de D. C. Vijayawardhana dans The Revolt in the Temple (1953):

L'histoire du Sri Lanka est l'histoire de la race cinghalaise: le peuple cinghalais était chargé, il y a 2500 ans, d’une grande et noble mission: la préservation du bouddhisme. [...] Ainsi, la naissance de la race cinghalaise n'apparaîtrait pas comme un fruit du hasard, mais comme un événement prédestiné d’une grande importance et aux ambitions élevées. La nation semblait désignée, en quelque sorte, dès le début, pour porter haut durant cinquante siècles la lumière qui fut allumée par le grand penseur mondial (Bouddha) il y a vingt-cinq siècles.

Cette prétendue «grande et noble mission» de la «race cinghalaise» fut interprétée comme un fait historique par la population majoritaire, puis employée par les dirigeants bouddhistes qui luttèrent pour perpétuer ainsi leur règne sur l'île. La plupart des politiciens cinghalais suivirent le mouvement, car tous devinrent en quelque sorte des «otages» de la hiérarchie bouddhiste, laquelle détient encore aujourd’hui le pouvoir de vie et de mort sur toutes les carrières politiques.

Dès la première année de l’indépendance, le gouvernement cinghalais modifia la Loi sur la citoyenneté ceylanaise (Ceylon Citizenship Act) dans le but de diminuer le nombre de la représentation tamoule.  L'objectif apparent de la loi était de fournir des moyens d'obtenir la citoyenneté, mais son véritable but était de discriminer les Tamouls indiens en leur refusant la citoyenneté. Ainsi, le gouvernement supprima la citoyenneté à un million de «Tamouls des montagnes» — dont les ancêtres avaient été installés dans l'île par les Britanniques, comme coolies (terme à connotation raciste formé des mots chinois ku et li signifiant «souffrance» et «force»), depuis 1827 — sous prétexte qu’ils étaient de descendance «indienne». Seuls 5000 Tamouls indiens environ furent admissibles à la citoyenneté. Plus de 700 000 personnes, soit environ 11 % de la population, se virent refuser la citoyenneté et devinrent apatrides. De cette façon, dans un laps de temps très court, les Cinghalais purent réduire d'un tiers la représentation tamoule au Parlement.

Plus tard en 1949, le Parlement de Ceylan adopta la loi n° 48 de 1949 modifiant la Loi sur les élections parlementaires de Ceylan, ce qui privait les Tamouls indiens de leur droit de vote. Seuls sept des 95 députés élus aux élections générales de 1947 furent des Tamouls indiens. Lors des élections générales de 1952, aucun des 95 députés élus de 1947 ne fut un Tamoul indien de l'arrière-pays.

3.3 La «dictature de la majorité»

En 1956, alors qu’il avait axé sa campagne électorale sur la primauté de la langue, de la culture et de la religion cinghalaises, le Sri Lanka Freedom Party (SLFP), c'est-à-dire le Parti sri-lankais de la liberté, prit le pouvoir avec l'appui de nombreux dirigeants bouddhistes. Le gouvernement adopta la politique du «cinghalais seulement», laquelle était destinée à faciliter l'accès des bouddhistes à la fonction publique et à l'université. De plus, le gouvernement du Ceylan adopta une première loi linguistique, l'Official Language Act (Loi sur la langue officielle), déclarant que «le cinghalais est le langue officielle du Ceylan».

Article 2

Le cinghalais est la langue officielle du Ceylan.

À la condition que le ou la Ministre considère impraticable de commencer l'emploi du cinghalais seulement à des fins officielles immédiatement après l'entrée en vigueur de la présente loi, la langue ou des langues jusqu'ici employées à cette fin peuvent continuer à être ainsi utilisées avant que le changement nécessaire ne soit effectué dès que possible avant l'expiration du 31 décembre 1960 et, si ce type de changement ne peut être effectué par arrêté administratif, des règlements peuvent être autorisés en vertu de la présente loi pour effectuer un tel changement.

Les députés cinghalais contrôlaient plus de 80 % des sièges parlementaires et rien ne s'opposait à ce que les cinghalais devienne la seule langue officielle du Ceylan. Dans les années 1960, le gouvernement du Front uni au pouvoir étendit la politique du «cinghalais seulement» aux procédures judiciaires, jusque-là menées en anglais. En 1964, un accord entre le Sri Lanka et l'Inde prévoyait le rapatriement de 975 000 Tamouls sur une période de quinze ans; 300 000 autres se verraient accorder la citoyenneté sri-lankaise.

Pour les Cinghalais, qui avaient acquis leur indépendance en 1948, cette loi linguistique de 1956 était une façon pour eux de prendre leur distance par rapport aux Britanniques en abandonnant formellement l'anglais, mais les Tamouls y ont vu un moyen détourné pour les Cinghalais majoritaires d'imposer leur volonté à la minorité. Les autorités cinghalaises pratiquèrent la même politique colonialiste que les Britanniques en favorisant cette fois la majorité cinghalaise aux dépens de la minorité tamoule, ce qui démontrait aussi le mépris des Cinghalais pour les Tamouls. On pensait en même temps que la langue cinghalaise devait être protégée des influences tamoules du sud de l'Inde. 

Les parlementaires cinghalais se considéraient comme les héritiers légitimes d'une communauté qui avaient été exclue du pouvoir durant la période coloniale. L'officialisation d'une seule langue était perçue par les Cinghalais comme une façon économique de faire fonctionner le nouvel État, d'autant plus que le cinghalais était une langue autochtone de l'île parlée par les deux tiers de la population. L'exclusion du tamoul et de l'anglais paraissait «normale» pour les cinghalophones, car elle allait permettre de rehausser le statut de leur langue majoritaire. En même temps, cette attitude démontrait non seulement l'absence totale de considération de la part des Cinghalais envers la minorité tamoule, mais leur inconscience en croyant que le déni des droits n'entraînerait aucune conséquence.  

Comme si ce n'était pas suffisant, les Tamouls furent exclus du Conseil des ministres, qui ne se reconnurent plus dans un pays qui les ignorait politiquement. En sanskrit traditionnel et dans la littérature pâli, l'île est appelée Sinhaladvipa — le mot sinhala venant du mot cinghalais sinha (lion) — et depuis le XVe siècle un lion doré tenant une épée de commandement figure sur le champ cramoisi de la bannière de l'État, le tout visant à représenter les Cinghalais. Plus précisément, le lion tenant une épée et le fond supposément marron représentent l'ethnie cinghalaise.

La couleur verte de la bande à gauche représente les musulmans; la couleur orange, les hindous.

Les quatre feuilles de pipal de chaque côté du lion représentent les quatre vertus de la religion bouddhiste (bienveillance, compassion, altruisme et détachement). La bordure jaune doré entourant le drapeau veut montrer que les bouddhiste protègent les autres religions. En somme, le drapeau national qui devrait représenter toutes les composantes ethniques du pays occulte l'ethnie tamoule pour privilégier les religions. Parce que l'un des symboles de l'État, le drapeau national, ne leur appartenait pas, les Tamouls créèrent leur propre drapeau, : le drapeau tamoul.

- La résistance tamoule

Les Tamouls s'opposèrent à la mise en œuvre de la politique gouvernementale de l'unique langue officielle cinghalaise. À la suite de l'Official Language Act de 1956 sur l'emploi exclusif du cinghalais, les Tamouls se mobilisèrent contre l'État, ce qui conduisit au début à des manifestations pacifiques dans diverses régions du pays et au Parti fédéral, le principal parti politique tamoul, exigeant l'établissement d'une nouvelle constitution fondée sur des principes fédéraux, la dévolution des pouvoirs autonomes régionaux aux Tamouls dans leurs patries traditionnelles de langue tamoule, et un statut de parité pour le tamoul comme langue officielle de Ceylan aux côtés du cinghalais. Mais les Cinghalais commencèrent à installer des colons venus du Sud dans les régions du Nord devenues des colonies militarisées de style israélo-palestinien, ce qui entraîna des déplacements massifs de populations locales, puis des émeutes ethniques et des massacres de civils, le tout coïncidant avec la loi de 1956 sur la seule langue cinghalaise.

Devant le bannissement du tamoul comme langue officielle et le sentiment d’être injustement traités par le pouvoir en place, les Tamouls eurent une réaction violente: toute la population tamoule se souleva. Elle ne pouvait accepter que l'article 2 de la Loi sur la langue officielle de 1956 déclare à l'article 2 que «le cinghalais est la langue officielle du Ceylan».

Devant la résistance des Tamouls, l'Official Language Act fut légèrement limitée en 1958 par la Loi sur la langue tamoule, n° 28, car l'emploi du tamoul pouvait «être employée obligatoirement à des fins administratives» dans les provinces du Nord et de l'Est :

Article 5

Emploi prescrit du tamoul à des fins administratives dans les provinces du Nord et de l'Est

Dans la province du Nord et la province de l'Est, la langue tamoule peut être employée obligatoirement à des fins administratives, en plus des fins pour lesquelles cette langue peut être employée conformément aux autres dispositions de la présente loi, sans préjudice de l'emploi de la langue officielle du Ceylan dans le respect des dispositions prescrites à des fins administratives.

Cette loi prévoyait l'usage du tamoul dans la correspondance avec le public pour les tâches administratives prescrites dans les provinces du Nord et de l'Est. Le tamoul obtint le statut de langue officielle dans les provinces du Nord et de l'Est sans préjudice de l'emploi du cinghalais comme langue officielle dans ces provinces.

Mais la Loi sur la langue tamoule ne changea pas la situation qui se détériorait pour les Tamouls, d'autant plus que les dispositions législatives ne furent pas appliquées et que la Loi sur la langue officielle restait intacte. Il en fut de même pour le Règlement sur la langue tamoule (Dispositions particulières) de 1966:

Article 2

Sans préjudice pour le fonctionnement de la Loi sur la langue officielle, n° 33 de 1956, qui a déclaré le cinghalais comme langue officielle du Ceylan, la langue tamoule doit également être employé:

(a) dans la province du Nord et la province de l'Est pour la transaction de toutes les affaires publiques et celles du gouvernement, ainsi que le maintien des registres publics, si ces affaires sont menées par un département ou une institution du gouvernement, une société publique ou un établissement statutaire; et

(b) pour toute la correspondance entre les individus, autres que les fonctionnaires dans l'exercice de leur fonction, ayant reçu leur instruction en tamoul et tout fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions ou entre toute autorité locale dans la province du Nord et la province de l'Est, qui gère ses activités en tamoul et tout fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions.

Il faut savoir faire la distinction entre le statut des deux langues: le cinghalais était la seule langue officielle dans tout le pays, alors que le tamoul n'avait même pas un statut officiel dans les provinces du Nord et de l'Est, mais il devait être employé, le tout sans pénalité.

Dès 1970, tout l'appareil de l'État était redevenu presque entièrement cingalais, avec des milliers de fonctionnaires tamouls obligés de démissionner en raison de leur insuffisance, présumée ou réelle, de la connaissance du cinghalais. C'est à cette époque qu’est née chez les Tamouls la volonté de s’affranchir de l’État centralisateur et d’affirmer leur autonomie.

- Le nationalisme cinghalais et le militantisme tamoul

Comme si le gouvernement cinghalais n’avait absolument rien compris les véritables enjeux dans leur pays, il a nationalisé en 1961 les écoles tamoules, ce qui obligeait les Tamouls à apprendre le cinghalais. Le nationalisme cinghalais favorisa l’émergence du militantisme tamoul. Depuis, les conflits ethniques entre Cinghalais et Tamouls déchirent périodiquement le pays, jusqu’à menacer l'existence même de l'État.

Évidemment, si le nouvel État indépendant du Sri Lanka avait eu la présence d'esprit de proclamer le cinghalais et le tamoul comme les deux langues officielles du pays, il est probable que le Sri Lanka aurait pu éviter une longue guerre catastrophique. Ce fut là le premier échec de la politique linguistique. Le second échec concerne l'anglais parce que la suppression de cette langue dans l'appareil de l'État fut plus difficile que prévu, notamment dans les transactions commerciales, l'enseignement supérieur, la technologie, la science, etc. L'anglais avait continué de servir comme valeur sociale, culturelle et économique, malgré la valorisation du cinghalais. Dans les faits, l'anglais, langue étrangère, se trouvait à supplanter les deux langues nationales.


Drapeau des Tigres

Le conflit entre Cinghalais et Tamouls prit une nouvelle tournure à la fin des années 1970, quand le principal parti politique de la communauté tamoule, le Front uni de libération des Tamouls, demanda la création d’un État indépendant dans la province du Nord et la province de l’Est. En même temps, les Tamouls décrétèrent l'unilinguisme tamoul dans les deux provinces. Mais la Constitution de 1972, qui détachait définitivement l’île de Ceylan du Royaume-Uni, et la naissance de la République socialiste démocratique du Sri Lanka ne modifièrent pas les rapports de force entre Tamouls et Cinghalais. D'une part, cette constitution faisait de l’État sri lankais le protecteur du bouddhisme, ce qui  irritait les Tamouls, de religion hindoue. D'autre part, l’État maintenait les zones tamoules dans un sous-développement économique chronique et décida même d'y implanter des colons cinghalais dans les provinces traditionnellement tamoules. Encore une autre inconscience de la part des Cinghalais!

- L'ignorance des revendications tamoules

L'article 7 de la Constitution de 1972 déclarait que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais, comme le prévoyait la Loi sur la langue officielle, n° 33 de 1956.»

Article 7

La langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais, comme le prévoit la Loi sur la langue officielle, n° 33 de 1956.

Article 8

1) L'emploi de la la langue tamoule doit être conforme à la Loi sur la langue tamoule (dispositions particulières), n° 28 de 1958.

2) Aucune réglementation de l'emploi de la langue tamoule adoptée en vertu de la Loi sur la langue tamoule (dispositions particulières), n° 28 de 1958, et en vigueur juste avant l'entrée en vigueur de la Constitution, ne pourra en aucune manière être interprétée comme étant une disposition de la Constitution, elle sera considérée comme une législation maintenue en vigueur comme le droit écrit existant, conformément à l'article 12.

La Constitution de 1972 prévoyait que la législation serait rédigée en cinghalais, avec traduction en tamoul. Elle stipulait également que les lois cinghalaises, une fois publiées et présentées à l'Assemblée nationale, remplaceraient les lois correspondantes en anglais. Si cette constitution répondait à certains souhaits des Tamouls, elle n'allait vraiment pas assez loin. Il s'agissait là d'un autre irritant pour les Tamouls, même si les article 8, 9, 10 et 11 de la Constitution autorisaient l'emploi du tamoul dans la législation et les tribunaux, notamment dans les provinces du Nord et de l'Est.

3.3 L'avènement du Sri Lanka

C'est aussi à partir de 1972 que le Ceylan changea d'appellation pour «Sri Lanka». Le mot «Lanka» vient de l'ancien nom de l'île et a été associé à «Sri» signifiant «resplendissant». Ainsi, Sri Lanka signifie «île resplendissante». En même temps, le fossé ethnique et religieux entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule s'accentuait et la méfiance entre les communautés était désormais bien établie. La lutte acharnée pour le pouvoir entre les partis politiques cinghalais contribua à renforcer l'attitude de la population à l'égard de la langue de l'autre.

En fait, les dispositions de la Constitution témoignaient toujours du peu de sensibilité de la part des Cinghalais à l'égard de la minorité tamoule. Évidemment, les Tamouls et leurs représentants rejetèrent la Constitution de 1972 et exigèrent du gouvernement de la modifier et de reconnaître les droits constitutionnels de la nation tamoule, tout cela sans nécessairement mettre en péril l'unité du pays. Les Tamouls considéraient être dans une situation de colonialisme en privant leur nation de son territoire, de sa langue, de sa souveraineté, de sa vie économique, de ses emplois et de son éducation, afin de détruire les fondements de l'autonomie du peuple tamoul. Encore une fois, le gouvernement sri-lankais ignora totalement les revendications du peuple tamoul, tout en promettant des améliorations importantes.

- Le «compromis» constitutionnel

Mais les Tamouls refusèrent de se laisser endormir par les «promesses» des Cinghalais. En 1974, les activistes politiques tamouls continuèrent de prôner la création, dans le nord du pays, d'un État séparé. L'Eelam tamoul devint le nom du pays rêvé par les Tamouls, tandis que les Cinghalais furent appelés mlechchas (les «impurs»). Devant la montée incessante des revendications tamoules, la majorité cinghalaise considéra comme un «compromis» la nouvelle Constitution de 1978, qui abolissait nécessairement celle de 1972. L’article 18 de la Constitution de 1978 déclarait que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais»; que «le tamoul est aussi une langue officielle» et que «l'anglais est la langue véhiculaire». Cette disposition permettait d’accorder un rôle accru et officiel à la langue tamoule dans la province du Nord et la province de l’Est pour ce qui a trait à l’administration, la justice et l’éducation.

Article 18

Langue officielle

1)
La langue officielle du Sri Lanka est le
cinghalais.

2)
Le tamoul est aussi une langue officielle.

3)
L'anglais est la langue véhiculaire.

4) Le Parlement prévoit, conformément à la loi, la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre.

Article 19

Langues nationales

Les langues nationales du Sri Lanka sont
le cinghalais et le tamoul.

Comme toujours, les Cinghalais démontraient qu'ils ne comprenaient rien à l'égalité des langues. Il aurait fallu déclarer que «le cinghalais et le tamoul sont les langues officielles» de l'État sri-lankais, quitte à déclarer unilingues tamoules les provinces du Nord et de l'Est et unilingues cinghalais les autres provinces, à l'exception de la province de l'Ouest où se trouve Colombo, la capitale, qui pourrait être bilingue. Cette façon d'établir une distinction à l'article 18 de la Constitution entre deux langues officielles, dont l'une l'est plus que l'autre, paraissait inacceptable pour beaucoup de Tamouls. Dans les faits, l'État sri-lankais ne s'engageait nullement à employer le tamoul dans l'administration centrale, mais pour les Cinghalais il s'agissait d'un grand compromis.

De plus, l'article 9 de la Constitution imposait le bouddhisme comme religion d'État :

Article 9

Buddhism

The Republic of Sri Lanka shall give to Buddhism the foremost place and accordingly it shall be the duty of the State to protect and foster the Buddha Sasana, while assuring to all religions the rights granted by Articles 10 and 14(1)(e).

Article 9

Bouddhisme

La république du Sri Lanka doit accorder au bouddhisme la place principale et, en conséquence, il est du devoir de l'État de protéger et de favoriser le Bouddha Sasana, en assurant à toutes les religions les droits accordés par les articles 10 et 14.1(e).

C'était vraiment vouloir que les tensions communautaires persistent et continuent de s’accroître, en raison, entre autres, des inégalités économiques croissantes, ce qui devait entraîner un durcissement des revendications tamoules. D'ailleurs, cette situation provoqua la colère de la minorité tamoule du Sri Lanka; des organisations étudiantes militantes se constituèrent rapidement dans le but de créer un nouveau territoire tamoul autonome.

- Durcissement et répression

Les émeutes ethniques du début des années 1980 et la guerre civile qui suivit au Sri Lanka aggrava encore la difficulté de trouver une solution viable au problème linguistique. Les actions extrémistes se multiplièrent et, en juillet et en août 1983, les violences intercommunautaires atteignirent un nouveau sommet d'intensité dans le Sud, lorsque des foules cinghalaises soutenues par l'État s'en prirent aux Tamouls; plusieurs centaines de personnes perdirent la vie. Presque tous les Tamouls vivant dans les zones urbaines perdirent leur maison et/ou leur entreprise. Les Tamouls commencèrent à quitter le pays en tant que réfugiés, provoquant un exode de près d’un demi-million de personnes.

À partir de 1983, les dissidents tamouls, regroupés au sein des Tigres de la libération de l'Eelam tamoul (LTTE) entrèrent en rébellion ouverte contre le régime de Colombo. La volonté de sécession fut exacerbée par les émeutes anti-tamoules, dont les actions se caractérisèrent par des attentats terroristes et des commandos-suicides. D’ailleurs, les dirigeants cinghalais en avaient pris leur parti et, comme en témoigne en 1983, Junius Richard Jayawardene (1906-1996), le président du Sri Lanka (1978-1989), ils ne se soucièrent plus des Tamouls: 

Je ne me soucie pas de l'opinion du peuple tamoul... Maintenant, nous ne pouvons pas penser à lui, ni à sa vie ni à son opinion... Plus vous mettrez de pression sur le Nord, plus heureux sera le peuple cinghalais ici... Vraiment, si je peux priver de nourriture les Tamouls, le peuple cinghalais sera heureux. [Daily Telegraph, Colombo, 11 juillet 1983].

De leur côté, les Tamouls en vinrent à recourir à des mesures désespérées. Depuis 1985, les Tigres de libération de l'Eelam tamoul commencèrent à utiliser une unité appelée le «Women's Front»: des fillettes y effectuaient des missions suicides et portaient des capsules de cyanure à leur cou qu'elles devaient croquer en cas de capture. De leur côté, les forces de sécurité cinghalaises en vinrent à massacrer à l’aveuglette les Tamouls, tandis que la torture devint une pratique courante. Comme si ce n’était pas assez, les Cinghalais adoptèrent en août 1983 une modification à la Constitution du Sri Lanka, laquelle rendait vacants les sièges des parlementaires élus du peuple tamoul. Décidément, les Cinghalais ne comprenait pas rapidement ce qu'il convenait de faire en demeurant fermés à toute véritable ouverture envers les Tamouls.

- L'Accord indosri-lankais

En 1987, après que les forces armées cinghalaises eurent mis fin à une offensive sur la ville de Jaffna (à l'extrême nord), les gouvernements de l'Inde et du Sri Lanka signèrent un accord (l'accord dit «indo-sri-lankais») qui prévoyait une action politique et militaire concertée en vue de mettre un terme au conflit dans le Nord. Dans un premier temps, les sécessionnistes tamouls acceptèrent de ne pas affronter les troupes indiennes, en échange de promesses d'autonomie, mais revinrent sur leur position. Selon l'accord, les hostilités devaient cesser officiellement le 31 juillet 1987 et une amnistie devait être accordée à tous les prisonniers politiques après la levée de l'état d'urgence à la mi-août. Conformément à l'accord, quelque 3000 soldats indiens, désignés comme la Force indienne de maintien de la paix (IPKF = Indian Peace Keeping Force), furent envoyés dans le Nord-Est.

Toutefois, la proposition de paix échoua, d'une part, à cause de la réaction de l'opinion publique cinghalaise, d'autre part, en raison de l'insistance des LTTE ("Liberation Tigers of Tamil Eelam" ou «Tigres de libération de l'Eelam tamoul») sur l'indépendance, bien qu'ils aient initialement accepté les termes de l'accord de paix. Au milieu de 1988, on estime que 70 000 soldats indiens étaient présents, y compris la police paramilitaire, l'armée de l'air, la marine et le personnel de soutien. En 1990, les combats entre les forces gouvernementales sri-lankaises et les LTTE ont continué. La guerre a repris après 1995 avec une intensité sauvage et le gouvernement a déclaré que la seule façon de résoudre le problème était d'éliminer les LTTE. Au cours des cinq années suivantes, les combats entre les LTTE et les forces gouvernementales sont restés acharnés.

Dans le domaine linguistique, cet Accord indo-sri-lankais de 1987 reconnaissait quelques concessions aux Tamouls et précisait que le tamoul et l'anglais étaient aussi des langues officielles.

Article 2.18

La langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais. Le tamoul et l'anglais sont aussi des langues officielles.

De fait, la Constitution de 1987 amenait des changements appréciables, car elle prévoyait la «dévolution» des pouvoirs aux provinces, donc une extension des droits pour la minorité tamoule. Le tamoul devint l’une des deux langues nationales du Sri Lanka (articles 19 et 22).

Article 19

Les langues nationales


Les langues nationales du Sri Lanka sont le cinghalais et le tamoul.

L'une des exigences de l'accord était que le gouvernement sri-lankais délègue des pouvoirs aux provinces. En conséquence, le 14 novembre 1987, le Parlement sri-lankais adoptait le 13e amendement à la Constitution de 1978 du Sri Lanka et la loi n° 42 de 1987 sur les conseils provinciaux ("Provincial Councils Act, No. 42 of 1987"). Le 3 février 1988, neuf conseils provinciaux furent créés par décret. Le 2 juin 1988, des élections ont eu lieu pour les conseils provinciaux des provinces du Centre, du Sud et de l'Ouest.

Le cinghalais restait la langue officielle et administrative dans tout le pays, sous réserve que le tamoul était aussi employé comme langue administrative dans les provinces du Nord et de l’Est. Il y était également prévu de déléguer des pouvoirs administratifs à ces deux provinces. Celles-ci seraient temporairement unies pendant un an, après quoi les habitants de la province de l’Est pourraient, «à la discrétion du président», décider par référendum si elles souhaitent former une unité administrative séparée. Mais on ne nota dans les faits aucun changement significatif dans les droits des Tamouls.

L’année suivante, ce furent les citoyens cinghalais qui, à leur tour, protestèrent contre la présence des «troupes étrangères» sur leur territoire. Le président Premadasa, élu en 1989, fut assassiné en 1993, l'attentat étant attribué à un Tamoul. La guerre civile reprit, sauf pour un court cessez-le-feu de quatorze semaines conclu en 1995. Le 26 janvier 1998, le gouvernement interdit le LTTE après un attentat suicide à Kandy, lieu saint du bouddhisme. Le clergé bouddhiste est toujours demeuré sur ses positions: il resta hostile à toute revendication tamoule. En 1991, le LTTE s'est mis à dos son plus important allié, en envoyant une kamikaze tuer le premier ministre indien Rajiv Ghandi, en représailles contre une mission indienne de maintien de la paix, qui a mal tourné.

En 1998, le gouvernement sri-lankais imposa l'anglais comme matière obligatoire dans les écoles primaires. Encore une fois, le gouvernement sri-lankais se mettait les pieds dans les plats en matière de politique linguistique. Il n'avait pas pensé que le système d'éducation ne disposait pas d'un nombre suffisant d'enseignants qualifiés. Le gouvernement allait s'en rendre compte en 2001 lorsque les premiers étudiants durent subir un examen d'anglais. Il fallut remettre en question les programmes.

- Une union indissoluble de régions

Le 3 août 2000, afin de mettre fin à la guerre, le gouvernement du Sri Lanka présenta au Parlement un projet de Constitution fédérale accordant une importante dévolution de pouvoirs aux Tamouls. Ce projet constitue sans doute, depuis le début de la rébellion en juillet 1983, le premier geste déterminant effectué par un gouvernement sri lankais (ou cinghalais) envers les Tamouls, qui se plaignent des nombreuses mesures de discrimination de la communauté cinghalaise à leur égard. L’article 1er déclarait ce qui suit:

Article 1er

Le Sri Lanka est une république souveraine et est connue comme la république de Sri Lanka. La république de Sri Lanka est une union indissoluble de régions.

Toutefois, l’autonomie dont il est question n’était pas l'indépendance, car le gouvernement proposait aux Tamouls une forme de fédéralisme, d'ailleurs «indissoluble». C’est pourquoi les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) rejetèrent cette révision constitutionnelle et réclamèrent à nouveau l’indépendance pure et simple. Pour sa part, le gouvernement cinghalais avait prévenu que, si les Tamouls rejetaient ces propositions, la guerre allait continuer. Elle s'est poursuivie de plus belle!

- L'échec prévisible

Selon les statistiques officielles du gouvernement sri lankais, quelques 20 000 rebelles tamouls auraient été tués en quinze ans de conflit (depuis 1985) entre la guérilla des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et les troupes gouvernementales; pour leur part, les rebelles ont fait état de 16 000 morts. Depuis 1995, plus d’un demi-million de Tamouls de Jaffna (ville du Nord) sont sur les routes de l’exode: habitations détruites à 80 % dans la ville même de Jaffna, pénuries de vivres, d’électricité et de médicaments, massacres, viols, enlèvements, torture, destructions, etc.

En décembre 2000, la présidente du Sri Lanka (Chandrika Kumaratunga) déclarait dans une entrevue accordée en français à la presse occidentale: «Je n’arrive toujours pas à comprendre comment une société civilisée comme la nôtre a pu devenir si animale, si bestiale.» C'est justement ce qualificatif qui revient souvent dans le bouche des Tamouls: les Cinghalais seraient pires que des «animaux». Au début de son mandat, Chandrika Kumaratunga fit des démarches conciliantes envers les LTTE pour tenter de mettre fin à laguerre civile en cours. Un cessez-le-feu et un accord de paix ont été élaborés et mis en place en février 2002, mais en 2006 des combats éclatèrent entre les LTTE et les forces de sécurité gouvernementales. En 2008, l'escalade des combats accrurent encore les dégâts dans le nord et l'est du pays, touchant particulièrement les Tamouls, avec des combats acharnés entre les forces gouvernementales et les LTTE. Alors que de nombreuses informations faisaient état de violations des droits de la personne, notamment d’exécutions extrajudiciaires, la victoire contre les LTTE et la fin officielle du conflit furent déclarées en mai 2009.

- Le colonialisme cinghalais

En fait, la situation n’était pas si difficile à comprendre. Le colonialisme luso-hollando-britannique avait implanté l’antagonisme religieux et ethnique dans l’île. Au lendemain de l’indépendance, les Cinghalais voulurent reprendre ce qu'ils estimaient comme le «terrain perdu» et réduisirent considérablement les droits des Tamouls en instaurant la «dictature de la majorité», ce qui correspondait à remplacer un colonialisme européen par un colonialisme cinghalais. Or, c'était totalement naïf et inconscient de la part des Cinghalais d'espérer qu'ils allaient favoriser de cette façon la paix dans le pays.

Au contraire, les Tamouls se radicalisèrent, le clergé bouddhiste également qui représente la «religion d'État». Les conflits ethniques dégénérèrent en guerre civile, une guerre enlisée et sans issue, parce que les deux camps étaient fortement armés. Le gouvernement maintint indéfiniment un régime d'urgence et appliqua une série de lois anti-démocratiques qui servaient à imposer essentiellement la loi martiale dans le Nord et dans l’Est, à emprisonner sans procès des centaines de Tamouls et à intimider les médias et leurs adversaires politiques. Parce que le pays était «sous un régime de guerre», le gouvernement cinghalais se croyait justifié d’imposer des lois interdisant les grèves, les réunions publiques et les protestations, et en imposant une censure dans tous les médias. Plusieurs journaux furent fermés pendant que l’État engloutissait 40% de ses revenus dans l’«effort de guerre». Le militarisme et le chauvinisme cinghalais coûtaient cher!

En somme, au lendemain de l’indépendance, les Cinghalais ont fonctionné en terme d’«État-nation», alors que la structure sociale du pays était manifestement binationale et multi-religieuse. L’échec était d’autant plus prévisible que cette politique d’uniformisation se réalisait sur une base autocratique. Dès lors, le recours à la violence était inévitable. De plus, loin d’enrayer les mouvements d’émancipation tamoule, la mobilisation cinghalaise ne réussit qu’à les renforcer et les confirmer dans leur volonté de rupture avec cet État-nation dont les Tamouls étaient exclus. Ce processus s'apparentait à d'autres cas similaires dans le monde comme le Soudan, Israël, le Kosovo de Slobodan Milosevic, l'Indonésie, l'Irak, etc.

- Des actes manqués

Fait troublant: lorsque le tsunami du 26 décembre 2004 a déferlé sur le Sri Lanka en faisant plus de 30 000 morts, les autorités cinghalaises se sont laissé traîner les pieds avant de secourir le Nord tamoul. Les Tigres pour la libération de l'Eelam tamoul reprochèrent au gouvernement sri lankais d'avoir tardé à envoyer de l'aide dans les zones sinistrées tamoules. Évidemment, Colombo affirma qu'il n'y avait aucune discrimination dans la distribution de l'aide, entre le Nord tamoul et le Sud cinghalais. Les Tigres de libération accusèrent aussi le gouvernement de ne pas laisser passer les dons privés envoyés vers ces régions, car l'armée sri-lankaise avait envahi tous les centres de charité et exigé que les approvisionnements d'urgence lui soient remis et non pas directement à la population. Le ministère de la Défense repoussa ces accusations, affirmant que ses services cherchaient simplement à assurer une distribution équitable de l'aide. La situation réelle dans les territoires du Nord demeura difficile à vérifier parce que le gouvernement sri-lankais restreignait l'accès aux régions tamoules.

La présidente du Sri Lanka (Chandrika Kumaratunga) serait personnellement intervenue pour empêcher le secrétaire général de l'ONU de se rendre dans le Nord-Est afin d'éviter que les Tigres n'exploitent cette visite à des fins politiques. On pouvait espérer que, en raison des tsunamis, la communauté internationale allait s'intéresser davantage au Sri Lanka, ce qui aurait contribué à résoudre le conflit entre Tamouls et Cinghalais.

- La fin de la guerre civile (2009)

Finalement, après vingt-cinq ans de guerre civile, la mort du chef rebelle Velupillai Prabhakaran en mai 2009 a scellé la défaite de l'armée des Tigres de libration de l'Eelam tamoul (KTTE). L'armée régulière sri-lankaise ayant contrôlé désormais tout le nord du pays. Les pays de l'Union européenne demandèrent une enquête sur d'éventuels crimes de guerre commis à l'encontre des populations civiles. Si les Tamouls furent militairement battus, ils ne sont pas pour autant devenus pro-cinghalais. Le long conflit s'est conclu après le décès de 135 000 hommes, femmes et enfants tamouls; plus de 600 000 ont été déplacés à l’intérieur du pays. Puis 1,2 million d'autres ont fui le pays pour chercher refuge à l’étranger. Certains parlent de «génocide» et d’«épuration ethnique» menés par les forces cinghalaises à l’encontre du peuple tamoul. La fin du conflit fut marquée par une vague de triomphalisme de la part du gouvernement, soutenue par une grande partie de la communauté cinghalaise majoritaire. Des célébrations eurent lieu à Colombo et plusieurs cérémonies de victoire parrainées par l'État se déroulèrent. En revanche, dans le Nord, si la fin du conflit fut un grand soulagement, des centaines de milliers de Tamouls restèrent déplacés et pleurèrent les morts et les disparus lors des dernières phases des combats.

Il fallait dès lors entreprendre un long travail de reconstruction à faire. Mais l'opération a mal commencé: afin de traquer les derniers membres des Tigres, le gouvernement sri-lankais boucla les camps de réfugiés tamouls, où s'entassaient dans des conditions déplorables quelque 290 00 personnes, des déplacés de guerre. Dans les faits, il s'agissait de détenus sans avoir subi un procès, ce qui constituait une violation par le Sri Lanka du droit international. Leur crime, c'est d'être suspectés d'avoir été «contaminés» par la propagande des Tigres; ils sont donc perçus par le gouvernement comme des terroristes potentiels.

Malgré la fin du conflit, la situation des Tamouls continua de se détériorer dans un climat d’impunité: enlèvements, arrestations et détentions arbitraires, actes de torture et violences sexuelles furent signalées dans les anciennes zones de conflits restées fortement militarisées. En conséquence, la liberté d’expression et de réunion dans le nord et l’est du pays demeura très limitée. Bien que la situation de la minorité tamoule se soit quelque peu améliorée depuis 2015, de nombreuses zones du Nord et de l’Est sont restées dominées par la présence militaire, avec des obstacles persistants à la justice pour les victimes de violences liées au conflit et leurs familles, ainsi qu’un manque de responsabilité et des abus et une impunité continus de la part des forces de sécurité.

Des immigrants sri lankais des États-Unis ou du Canada ont réussi à faire sortir des membres de leur famille de ces camps en donnant des pots-de-vin de 2000 $US à 5000 $US aux gardes armés. De plus, ces gardes armés vendirent la nourriture fournie par les pays occidentaux.

- Des droits non respectés

Au Sri Lanka, il existe des partis politiques ultranationalistes et hostiles à toute concession aux Tamouls, le Parti national-marxiste (JVP) et le Parti des moines bouddhistes (JHU). Dans ces conditions, il n'y aurait de paix possible que par la liquidation complète de la population tamoule. De son côté, le gouvernement américain a ordonné à la Croix-Rouge américaine de ne pas distribuer de biens humanitaires dans les territoires tamouls, même pas lorsqu'ils sont sous le contrôle cinghalais. Il s'agit là d'une forme de génocide, car la défaite militaire des Tigres en mai 2009 n’a pas été suivie d’un retour à la démocratie.

Par la suite, les Tamouls demeurèrent une minorité dominée et leurs droits politiques ne furent pas respectés. Cette population a continué de vivre dans un environnement militarisé dans la peur constante d’intimidations et de menaces. D'ailleurs, 16 des 19 divisions de l’armée sri-lankaise sont stationnées en permanence dans les régions tamoules du Nord. Les Tamouls restent en proie aux persécutions dans un contexte de répression croissante, tandis que le gouvernement nie et camoufle les crimes de guerre dont il est responsable.

D'ailleurs, non seulement l'armée cinghalaise garde la haute main sur le maintien de l'ordre, mais elle favorise l'installation de Cinghalais bouddhistes en leur offrant des terres, de l’argent, voire des postes dans la fonction publique s’ils acceptent de quitter leurs villages du Sud pour s'installer dans la province du Nord. Cette politique soulève les appréhensions des Tamouls parce qu'ils craignent avec raison que le gouvernement réussisse à réduire leur poids démographique dans la seule province qui compte plus de 80% d’habitants tamouls.

Depuis décembre 2012, l'armée participe au défrichage des terres de la jungle dans la province de l'Est et à la construction de petites huttes/hangars pour les nouveaux colons cinghalais, ainsi qu'à la fourniture d'autres besoins de base tels que l'eau potable, la nourriture, les voies d'accès à la jungle, le transport et les clôtures pour les éléphants. Évidemment, la plupart des responsables du gouvernement local sont cinghalais et ne connaissent pas grand-chose de la région ou de la langue, ce qui crée encore plus d'animosité au sein des communautés.

Bref, la fin de la guerre civile n’a pas ouvert une période de paix et n'a pas réglé la question nationale tamoule. Le gouvernement sri-lankais n’a pas cherché à remédier aux causes qui ont entraîné la guerre civile. L’État est demeuré nationaliste cinghalais, voire raciste, et s'est refusé à toute «dévolution» des pouvoirs qui aurait permis aux diverses communautés d’envisager l’avenir avec une certaine sérénité. Le gouvernement s'est même payé le luxe d'entrer en guerre contre sa population cinghalaise, notamment les journalistes et les militants politiques qui s’opposaient à lui. Malgré la fin de la guerre, le gouvernement a maintenu la Loi sur la prévention du terrorisme ("Prevention of Terrorism Act") qui lui permettait de museler ses opposants. Si le gouvernement sri-lankais a remporté la guerre contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul dans le nord-est du pays, il a perdu la reconquête de la démocratie.

- La politique d'évitement

Il fallait s'attendre à ce que la question linguistique soit tout aussi épineuse. En dépit des lois adoptées par Colombo, le tamoul, qui demeure la langue maternelle de 23,4% de la population et a acquis le statut de «deuxième» langue officielle, n’est pas encore vraiment employé dans les documents administratifs; il n'est pas plus utilisé par la majorité des membres des forces armées qui occupent le Nord et l’Est tamoul. La mise en œuvre de cette politique est devenue problématique en raison de facteurs ethno-politiques corrosifs. Depuis 2009, les processus de légitimation de la politique linguistique visaient une réconciliation sociale après la fin d'une guerre civile de trente ans pour laquelle les services administratifs devaient jouer un rôle essentiel. Les limitations des compétences linguistiques des intervenants, les ressources disponibles au niveau du gouvernement central de Colombo et l'absence de réels changements politiques, sans oublier une incompétence notoire des politiciens, devaient compromettre toute mise en œuvre d'une quelconque politique linguistique.

Le mieux que les politiciens cinghalais ont pu trouver, c'est de favoriser l'anglais comme langue véhiculaire dans les services administratifs plutôt que les langues maternelles, le cinghalais et le tamoul. Les linguistes appellent cela une «politique d'évitement». La langue anglaise, censée servir d’union, est connue de 33% des Tamouls, mais de 26% seulement des Cingalais. De plus, les politiciens cinghalais ont continué à prévoir une hiérarchie entre les deux langues officielles, l'une étant plus officielle que l'autre. Enfin, l’ignorance dans laquelle est tenue la culture des uns et des autres est entretenue par des programmes scolaires désuets qui continuent d'opposer bouddhistes et hindous. On continue de part et d'autre à détruire des bibliothèques, des musées, des sanctuaires, etc. Ces crimes contre la culture n'ont donné lieu à aucun examen de conscience public, ni d’un côté ni de l’autre. Les cloisons communautaires sont étanches.

- Une incapacité chronique

En fait, l'une des grandes causes du conflit vient du complexe de la prétendue supériorité ethnique et religieuse qu'éprouvent les Cinghalais. Parce qu'ils constituent la majorité numérique dans le pays, les Cinghalais croient avoir le droit d'imposer leur langue et leur religion partout dans leur île, quitte à nier l'autre nation toute aussi autochtone qu'eux-mêmes. Cette attitude bien ancrée dans la culture, associée à une incompétence manifeste, a conduit à des promesses sans suite et à des choix politiques très discutables qui ne donneront jamais les résultats escomptés. On assiste aujourd'hui à un système politique militariste et quasi dictatorial, un contrôle presque total sur l'appareil judiciaire et les médias, sans compter l’arbitraire du pouvoir présidentiel. Il faut ajouter aussi qu'un grand nombre de Tamouls, plus d'un million, ont préféré quitter leur pays pour se réfugier dans un monde plus sécuritaire.  

Il est vraiment pitoyable que le système conçu par les Cinghalais bouddhistes ait été si inapte à répondre aux aspirations pourtant légitimes de la minorité tamoule hindoue et qu'il ait été incapable de gérer la situation créée par la rébellion armée, le tout ayant conduit à de graves atteintes aux libertés fondamentales dans un État devenu autoritaire et imperméable à tout compromis.

La situation juridico-politique s'est améliorée ces dernières années, mais toutes les solutions avancées arrivent toujours trop tard, comme si tout avait été fait pour faire basculer les populations tamoules dans la révolte afin d'exercer ensuite une répression à répétition. Jusqu'à récemment, le régime autoritaire s'est révélé un échec: il a juste réussi à susciter un militantisme sécessionniste tamoul qui a fragmenté le pays, à exacerber le nationalisme cinghalais et à perpétuer la rigidité bouddhiste.

- L'intransigeance bouddhiste

Au cours des dernières décennies, plusieurs dirigeants politiques cinghalais ont tenté de trouver des solutions au «problème tamoul», mais le puissant clergé bouddhiste a toujours réussi à tenir en otage ces mêmes dirigeants.

Tous ceux qui s’intéressent à la politique sri-lankaise le savent trop bien! Même les chefs tamouls sont obligés de se rendre à l'évidence: la hiérarchie bouddhiste — n’oublions pas que le bouddhisme est la religion d’État — continue de ternir en otage tous les gouvernements et s’oppose à toutes les concessions, avec les résultats qu'on connaît.

Les Occidentaux considèrent le bouddhisme comme une religion pacifique, mais comme toute religion le bouddhisme a aussi son histoire qui cache des squelettes d ans son placard, car le Sri Lanka a connu de nombreux épisodes troublants et violents qui en témoignent. Les moines ont souvent invoqué les textes bouddhistes pour justifier la guerre civile au Sri Lanka. Pour n'en citer qu'un, une chanson militaire cinghalaise de 1999, qui aurait été composée par un moine bouddhiste, contenait le vers suivant :

Linked by love of the [Buddhist] religion and protected by the Motherland, brave soldiers you should go hand in hand. Liés par l'amour de la religion [bouddhiste] et protégés par la patrie, braves soldats, vous devez marcher main dans la main.

Les causes de cette guerre étaient multiples, mais la principale était la volonté du gouvernement d'adopter un nationalisme religieux. Les mouvements extrémistes de ce pays ont tous un point commun : ils sont convaincus que le Sri Lanka est une nation bouddhiste qui doit être protégés des influences étrangères, comme l'islam ou la domination occidentale. Mais ce n'était pas seulement la cause des moines, puisque les militaires, les gens ordinaires et les politiciens utilisaient également des textes bouddhistes et des métaphores militaires. Certains moines bouddhistes vantaient les vertus guerrières comme provenant du bouddhisme. Moines et politiques se nourrissent réciproquement pour accroître leur influence. Andreas Johansson, du Réseau suédois d'études sud-asiatiques (SASNET) à l'Université de Lund, cite cet extrait dans "Violent Buddhist extremists are targeting Muslims in Sri Lanka" (The Conversation):

That Buddhism is a religion of ardent aspiration for the highest good of man is not surprising. It springs out of the mind of the Buddha a man of martial spirit and high aims … Buddhism … is made by a warrior spirit for warriors. Il n'est pas surprenant que le bouddhisme soit une religion d'aspiration ardente au bien suprême de l'homme. Il est issu de l'esprit du Bouddha, un homme doté d'un esprit martial et d'objectifs élevés… Le bouddhisme… est fait par un esprit guerrier pour les guerriers.

Même après la guerre, il n'a pas fallu longtemps avant que les extrémistes bouddhistes du pays ne trouvent une nouvelle cible. Des groupes, tels le Bodu Bala Sena (Force du pouvoir bouddhiste : BBS), propagèrent une idéologie et un programme nationalistes bouddhistes; les dirigeants affirmèrent que les Sri-Lankais étaient devenus immoraux et s'étaient détournés du bouddhisme. Les coupables étaient les musulmans et les catholiques. L'extrémiste religieux croit fermement que son groupe religieux est moralement supérieur aux autres groupes. L'interdiction de la mixité caractérise spécifiquement l'extrémisme cinghalais-bouddhiste au Sri Lanka. En ce sens, le pays appartient de droit aux Cinghalais. Le modèle sri-lankais montre que le nationalisme et l'extrémisme peuvent exister partout.

- Une politique transgressive

L'État sri-lankais a fini par adopter des politiques linguistiques plus égalitaires, mais il faudrait des années pour réparer les pots cassés. Des changements structurels importants devraient être mis en œuvre pour transformer le système politique actuel; une décentralisation significative du pouvoir semble nécessaire pour aboutir à une paix durable dans ce pays meurtri par des conflits incessants depuis trop longtemps. Or, les politiques sri-lankaises, comme c'est souvent la cas dans le Sud asiatique, sont souvent transgressives.

En effet, des politiciens «efficaces» interviennent dans les procédures administratives, modifient à leur avantage les institutions, réorientent les financements et déploient des formes de violence plus ou moins subtiles. Bien que de tels agissements soient largement perçues comme des activités déloyales, beaucoup de citoyens les considèrent néanmoins comme des «pratiques normales».

Le gouvernement sri-lankais a mis beaucoup de temps pour comprendre que, si les droits linguistiques des minorités ne sont pas pris en compte, cela peut conduire à une fragmentation sociale et à des pressions sécessionnistes, avec comme résultat que la langue devient un outil de division et de marginalisation.

4 Le statut des langues

Selon l’état de la Constitution, le statut des langues varie considérablement au Sri Lanka. Dans la première Constitution (1948), le cinghalais était la seule langue officielle. La Constitution de 1972, en vertu de l’article 7 que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais». L’article 18 de la Constitution de 1978 énonçait encore que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais» et, à l’article 19, que «les langues nationales du Sri Lanka sont le cinghalais et le tamoul». Il faut immédiatement préciser que la Constitution actuelle, dans sa version de 2022, est toujours celle de 1978, qui a subi plusieurs modifications (en anglais: "Amendment"). La version de 2022 correspond au 22e amendement.

Ce n’est qu’en 1987 que les articles 19 et 22 de la Constitution modifiée ont proclamé la co-officialité des deux langues nationales. Rappelons que cette constitution amenait des changements notables en ce qui concerne les droits linguistiques des Tamouls. Le tamoul fut reconnu comme l’une des deux «langues nationales» du Sri Lanka. Le cinghalais reste «la langue officielle et administrative» dans tout le pays, sous réserve que le tamoul puisse également être employé en plus comme langue administrative dans les provinces du Nord et de l’Est.

Cette distinction entre la langue officielle et les langues nationales est subtile, mais elle suscite d'incessants conflits entre Cinghalais et Tamouls dans la mesure où les droits et privilèges de l’une ou l’autre langue risquent d’être différents. Pourtant, on lit à l’article 18 (Constitution de 1978, version de 2022) ces grands principes :

Article 18

Official Language.

1)
The Official Language of Sri Lanka shall be Sinhala.

2) Tamil shall also be an official language.

3) English shall be the link language.

4) Parliament shall by law provide for the implementation of the provisions of this Chapter.

Article 18

Langue officielle

1)
La langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais.

2)
Le tamoul est aussi une langue officielle.

3) L'anglais est la langue véhiculaire.

4) Le Parlement prévoit, conformément à la loi, la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre.

C'est en novembre 1987 que fut modifiée la Constitution de 1978 sur la langue officielle afin que le tamoul soit aussi une langue officielle:

Thirteenth Amendment to the Constitution

To make Tamil an official language and English a link Language, and for the establishment of Provincial Councils

[Certified on 14th November, 1987]

Article 2.

Article 18 of the Constitution of the Democratic Socialist Republic of Sri Lanka (hereinafter referred to as the "Constitution") is hereby amended as follows:-

(a) by the renumbering of that Article as paragraph (1) of that Article;

(b) by the addition immediately after paragraph (1) of that Article of the following paragraphs:

"(2) Tamil shall also be an official language.

(3) English shall be the link language.

(4) Parliament shall by law provide for the implementation of the provisions of this Chapter."

Treizième amendement à la Constitution

Pour faire du tamoul une langue officielle et l'anglais un langue véhiculaire, et pour la création des Conseils provinciaux

[Attesté le 14 novembre 1987]

Article 2

L'article 18 de la Constitution de la République démocratique socialiste du Sri Lanka (ci-après mentionnée comme la «Constitution») est par la présente modifiée comme suit : 

(a) par le changement de numération du présent article comme au paragraphe 1 de cet article;

(b) par l'adjonction immédiate après le paragraphe 1 du présent article des paragraphes suivants :

"(2) Le tamoul est aussi une langue officielle.

(3) L'anglais est la langue véhiculaire.

(4) Le Parlement prévoit, conformément à la loi, la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre."

Il est significatif que le législateur n'ait pas libellé la phrase de la manière suivante: «Le cinghalais et le tamoul sont les langues officielles du Sri Lanka.» D'ailleurs, dans le projet de Constitution de 2000, on lisait plutôt à l'article 32: «Les langues officielles de la République sont le cinghalais et le tamoul.» Bien que la Constitution actuelle reconnaisse le tamoul et le cinghalais comme langues officielles, elle proclame d’abord que le cinghalais est la langue officielle. Elle ajoute ensuite que le tamoul est aussi une langue officielle. Il faut comprendre que la politique politique linguistique en œuvre au Sri Lanka se veut toujours ambigüe et interprétable par les tribunaux dont les membres sont en majorité bouddhistes.

Dans l'état de la situation en 1978, il était donc manifeste que l’égalité était plus lourde d’un côté que de l'autre. Ajoutons aussi que la distinction entre langue officielle et langue nationale résulte d’un compromis de la part des Cinghalais qui se sont toujours refusé dans le passé à reconnaître le tamoul comme langue officielle. N’oublions pas que la Loi sur la langue officielle de 1956 (Official Language Act) ne reconnaissait que le cinghalais comme langue officielle. On lisait à l'article 2, alors que le Sri Lanka était encore le Ceylan: «Le cinghalais est la seule langue officielle du Ceylan.»  Mais cette loi fut abrogée et remplacée en 1987 par l'accord indo-sri lankais dont l'article  2.18 se lit comme suit: «La langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais» et «le tamoul et l'anglais sont aussi des langues officielles.»  Quoi qu'il ne soit, le Sri Lanka compte maintenant trois langues nationales: le cinghalais et le tamoul, puis l'anglais.  Il faut comprendre que la langue officielle est le cinghalais, que le tamoul est aussi une langue officielle et que l'anglais est la langue véhiculaire. C'est ce que prévoit la version de 2022 de la Constitution :

Article 18

La langue officielle

1)
La langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais.

2)
Le tamoul est également une langue officielle.

3)
L'anglais est la langue véhiculaire.

4) Le Parlement prévoit par une loi la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre.

Article 19

Les langues nationales


Les langues nationales du Sri Lanka sont le cinghalais et le tamoul.

Bref, une hiérarchie est établie: le cinghalais est un peu plus officiel que le tamoul, et l'anglais est une langue véhiculaire qui peut remplacer le tamoul aussi bien que le cinghalais.

Afin de garantir les droits linguistiques des citoyens, le Sri Lanka a créé la Commission des langues officielles (Official Languages Commission) et le Département des langues officielles (Department of Official Languages). De plus, le gouvernement a créé l'Institut national de l'enseignement des langues et de la formation (National Institute of Language Education and Training) afin de renforcer la formation et d’appuyer la recherche, l’archivage et la diffusion de l’information concernant la mise en œuvre de la politique linguistique. Le gouvernement sri lankais a également adopté des mesures administratives pour favoriser l’acquisition des compétences bilingues dans tous les secteurs de la fonction publique.

5 Les langues de la Législature

Il faut retenir que le Sri Lanka comprend un gouvernement central à Colombo et, en principe, des gouvernements provinciaux décentralisés dans les neuf provinces du pays. Conformément à la Constitution sri-lankaise, les provinces détiennent un pouvoir législatif (via le «Conseil provincial») sur une variété de questions, notamment l'agriculture, l'éducation, la santé, le logement, l'administration locale, la planification, le transport routier et les services sociaux, la police et les biens fonciers. Le Conseil provincial fonctionne en tant que législateur de la province et est habilité à adopter une loi sur tout sujet assigné au Conseil provincial en vertu de la Constitution, sous réserve qu'elle ne viole pas la Constitution; les membres du Conseil provincial sont élus lors d'une élection.

Le fait de concilier les aspirations sécessionnistes de la minorité tamoule sri-lankaise (11% contre 74% de Cinghalais au recensement de 2012) fut le principal motif de la décentralisation de l'autorité législative, exécutive et juridique aux régions du Sri Lanka, ainsi qu'avec l'objectif de répondre aux griefs des musulmans (9%), des Tamouls de l'arrière-pays (4%) et d'autres minorités et avec un programme plus général d'amélioration de la gouvernance démocratique.

Cependant, la plupart des gouvernements centraux successifs ont refusé de déléguer leurs pouvoirs aux provinces. En effet, des élections ont eu lieu pour la première fois dans les huit conseils provinciaux en 1988, mais les conseils provinciaux n'ont eu qu'une brève existence puisqu'ils ont été dissous en juin 1990. Les provinces continuent d'être administrées par un gouverneur désigné par Colombo.

Au Parlement central, les trois langues nationales sont formellement permises dans les débats : le cinghalais, le tamoul et l’anglais. C'est l'article 20 de la Constitution de 1978 (version 2022) :

Article 20

Usage des langues nationales au Parlement et de la part des autorités locales

Tout membre du Parlement, d'un Conseil provincial ou d'une collectivité locale a le droit d'exercer ses fonctions et de s'acquitter de ses obligations au Parlement, au Conseil provincial ou à la collectivité locale
dans l'une ou l'autre des langues nationales.

Les parlementaires ont droit à un système de traduction simultanée entre le cinghalais et le tamoul (ou l’inverse). Comme on s’y attend, c’est théoriquement le cas pour la rédaction et la promulgation des lois. En principe, selon l'article 23 de la Constitution, les lois sont rédigées en cinghalais, puis traduites dans les deux autres langues nationales, l'anglais étant officiellement une langue de traduction:

Article 23

La langue de la législation

1)
Toutes les lois et tous les textes réglementaires doivent être promulgués ou rédigés et publiés
en cinghalais et en tamoul, accompagnés d'une traduction en anglais :

À la condition que le Parlement, au stade de la promulgation d'une loi, détermine quel texte prévaudra en cas d'incompatibilité entre les textes :

À la condition aussi que toutes les autres lois écrites et le texte dans lequel ces lois écrites ont été promulguées, adoptées ou faites, prévaudront en cas d’incompatibilité entre ces textes.

2) Tous les ordonnances, les proclamations, tous les règlements et arrêtés, ainsi que les notifications établies ou publiées en vertu d'une loi écrite autre que les documents établis ou publiés par un conseil provincial ou une autorité locale ainsi que le Journal officiel doivent être publiés en cinghalais et en tamoul, accompagnés d'une traduction en anglais.

3) Tous les ordonnances, les proclamations, tous les règlements et arrêtés, ainsi que les notifications établis ou publiés en vertu d'une loi écrite par un conseil provincial ou une autorité locale et tous les documents, y compris les circulaires et formulaires émis par un tel organisme ou une institution publique
doivent être publiés dans la langue employée dans l'administration des zones respectives dans lesquelles ils fonctionnent, avec une traduction de ceux-ci en anglais.

4) Toutes les lois et la législation subordonnée en vigueur immédiatement avant l'entrée en vigueur de la Constitution doivent être publiées dans le Journal officiel dans les langues cinghalaise et tamoule aussi rapidement que possible.

Il faut comprendre qu'il s'agit d'une législation «déléguée» en vertu de la Constitution sri-lankaise qui accorde aux conseils provinciaux et aux municipalités le pouvoir de faire des règlements. C'est en ce sens qu'on parle de «législation subordonnée». 

Il restait à transposer ce beau principe de l'égalité des langues dans la réalité, car la «démocratie» sri-lankaise a fait en sorte qu’aucun Tamoul n'a jamais été élu dans une circonscription à prédominance cinghalaise et aucun cinghalais n'a jamais été élu dans une circonscription à prédominance tamoule.

6 Les langues des tribunaux

Le système judiciaire du Sri Lanka est un mélange complexe de droit civil romano-néerlandais, de Common Law anglaise, de droit coutumier tamoul de Jaffna et de droit personnel musulman. Le droit pénal est principalement dérivé de la Common Law anglaise et le judiciaire est dérivé du modèle britannique. La justice sri-lankais se compose d’une Cour suprême, d’une Cour d’appel, d’une Haute Cour et d’un certain nombre de tribunaux subordonnés; elle comprend aussi des tribunaux de district, des tribunaux de première instance, des tribunaux de requête (limités aux affaires civiles), des tribunaux municipaux et des tribunaux ruraux. Par ailleurs, des lois spéciales musulmanes sont applicables aux personnes qui sont de confession musulmane.

6.1 Des énoncés égalitaristes

Dans la Constitution de 2022, l’article 24 précise bien que «le cinghalais et le tamoul sont les langues des tribunaux dans tout le Sri Lanka», mais que «le cinghalais doit être employé comme langue des tribunaux situés dans toutes les régions du Sri Lanka, à l'exception de celles où le tamoul est la langue administrative». Autrement dit, le cinghalais est la langue judiciaire dans tout le Sri Lanka, mais le tamoul a les mêmes prérogatives dans les régions tamoules.

Article 24

La langues des tribunaux

1)
Le cinghalais et le tamoul sont les langues des tribunaux dans tout le Sri Lanka, et le cinghalais doit être employé comme langue des tribunaux situés dans toutes les régions du Sri Lanka, à l'exception de celles situées dans les régions où le tamoul est la langue administrative. Les dossiers et la procédure doivent être rédigés dans la langue du tribunal. En cas d'appel d'une décision de justice, les dossiers sont également rédigés dans la langue du tribunal saisi de l'appel, si la langue de ce tribunal est différente de la langue utilisée par le tribunal dont l'appel est interjeté :

À la condition que le ministre chargé de la justice puisse, avec l'accord du Cabinet des ministres, ordonner que le dossier d'un tribunal soit également conservé et que la procédure soit menée dans une autre langue que celle du tribunal.

2) Une partie ou un demandeur ou toute personne légalement autorisée à représenter cette partie ou ce demandeur peut engager une procédure et soumettre au tribunal des plaidoiries et d'autres documents, et participer à la procédure devant les tribunaux, soit en cinghalais, soit en tamoul.

3) Un juge, un juré, une partie, un requérant ou toute personne légalement habilitée à représenter cette partie ou un ce requérant, qui ne maîtrise pas la langue employée dans un tribunal, a le droit à l'interprétation et à la traduction en cinghalais ou en tamoul, fournies par l'État, pour lui permettre de comprendre et de participer à la procédure devant ce tribunal et a également le droit d'obtenir dans cette langue une partie du dossier ou, le cas échéant, une traduction de celle-ci qu'il peut obtenir conformément à la loi.

Selon la législation en vigueur, le cinghalais demeure toujours la langue judiciaire du pays, à l'exception des deux provinces tamoules (Nord et Est) où le tamoul devient la langue des tribunaux. Cela étant dit, tout citoyen sri-lankais a le droit, en vertu de la Loi sur le Code de procédure criminelle (1979), d'employer sa langue maternelle, le cinghalais ou le tamoul, et d'avoir recours à un traducteur s'il ne comprend pas la langue du tribunal :

Article 275

Traduction d'un témoignage pour l'accusé

1)
Chaque fois qu'un témoignage est donné
dans une langue qui n'est pas comprise par l'accusé et que celui-ci est présent en personne et qu'il n'est pas représenté par un avocat, il doit lui être traduit en audience publique dans une langue qu'il comprend.

2) Lorsque des documents sont présentés comme preuve formelle, il relève de la discrétion de la cour, seulement s'il lui apparaît nécessaire,
de les faire traduire.

Il est très clair, selon la Loi sur le Code de procédure criminelle, qu'un justiciable a toujours le droit de comprendre, au besoin par l'intermédiaire d'un traducteur, le juge, les témoins et toute la procédure en général:
 

Article 277

Dépôt de la déclaration ou de l'examen de l'accusé

1)
Lorsque, au cours d'une enquête en vertu du chapitre XV, un accusé fait une déclaration à un magistrat, l'ensemble de cette déclaration doit être déposé dans son intégralité; et ce dossier doit lui être montré et lu ou,
s'il ne comprend pas la langue dans laquelle il est rédigé, il lui est traduit de façon qu'il comprenne en ayant la liberté d'expliquer ou de modifier sa déclaration.

La Constitution sri-lankaise de 1978 (version 2022) garantit le droit de quiconque, dans toutes les provinces du pays, de recevoir et de faire parvenir des messages et de traiter avec l’administration judiciaire en cinghalais, en tamoul ou en anglais, ainsi que de consulter et d’obtenir un exemplaire ou un extrait des registres, circulaires, actes, publications ou tout autre document officiel ou, selon le cas, de leur traduction en cinghalais, en tamoul ou en anglais.

Si l'on veut résumer la situation, on peut comprendre que le tamoul est utilisé dans la province du Nord et la province de l’Est et que le cinghalais est employé dans toutes les autres provinces. Néanmoins, tout justiciable (avocat, accusé, témoin, etc.), dans n'importe quelle province ou région, peut également employer sa langue dans un tribunal où l’on a recours à une autre langue officielle. Dans tous les cas, l’anglais peut remplacer l'une des deux langues.

6.2 L'application aléatoire des lois

Le problème, c'est que les lois sri-lankaises ne sont pas appliquées avec rigueur. La corruption reste un autre obstacle majeur dans le paysage juridique de ce pays, ce qui conduit à une perception d’injustice. Par conséquent, l’intégrité du système juridique est remise en question, et les citoyens peuvent choisir d’éviter complètement les interventions judiciaires, surtout chez les Tamouls. Les retards dans la plupart des procédures judiciaires posent également un défi considérable et, en raison de l’arriéré d’affaires devant les tribunaux, les justiciables doivent souvent attendre plusieurs mois, voire des années, pour que leur affaire soit entendue. S'il faut en plus recourir au tamoul, l'affaire risque d'être entendue avec plus de retard parce qu'il y aura une pénurie de personnel bilingue, voire de traducteurs.   

À première vue, le système judiciaire semble avoir pris en compte des besoins des locuteurs unilingues du tamoul. Cependant, la réalité d'une guerre ethnique de longue durée a nui à l'efficacité du système, notamment en raison de la possibilité d'interprétations. En effet, lorsqu'un accusé n'est pas en mesure de se défendre dans sa langue maternelle et qu'il est est contraint de s'appuyer sur des traductions souvent défectueuses, une erreur judiciaire peut se produire.

En mars 2024, le ministre de la Justice a autorisé qu'une procédure judiciaire puisse se dérouler en anglais dans certains tribunaux au lieu du cinghalais, notamment dans les affaires commerciales, les sociétés commerciales, la Haute Cour commerciale. L'objectif est d'éviter la traduction en cinghalais afin d'accélérer les procédures judiciaires.

7 Les langues administratives

Au Sri Lanka, en vertu de la législation en vigueur, l’Administration nationale est en principe trilingue: cinghalais, tamoul et anglais. Ces langues sont considérées sur un pied d'égalité. Cependant, des précisions s'imposent, car il faut ajuster la politique linguistique à la réalité sociale.

7.1 La politique du trilinguisme

Le long article 22 de la Constitution de 1978 modifiée en 2022 énonce que le cinghalais et le tamoul sont les langues de l'administration dans tout le Sri Lanka. Toutefois, le cinghalais demeure la langue de l'administration et doit être utilisé pour la tenue des registres publics et des affaires dans les institutions publiques de toutes les provinces du Sri Lanka, sauf dans les provinces du Nord et de l'Est, là où le tamoul est employé:

Article 22

Les langues administratives

1)
Le cinghalais et le tamoul doivent être les langues de l’administration dans l’ensemble du Sri Lanka, et le cinghalais est la langue de l’administration et il doit être employé pour la tenue des registres publics et la transaction de toutes les affaires par les institutions publiques de toutes les provinces du Sri Lanka, à l’exception des provinces du Nord et de l’Est où le tamoul doit être ainsi employé :

À la condition que le président puisse, compte tenu de la proportion que représente la population minoritaire linguistique cinghalaise ou tamoule dans toute unité comprenant une division d'un agent adjoint du gouvernement par rapport à la population totale de cette zone, ordonner que le cinghalais et le tamoul ou une autre langue que la langue employée comme langue administrative dans la province dans laquelle cette zone peut être située, soient employés comme langue administrative pour cette zone.

Selon les termes de cette disposition, le cinghalais est la langue de l’administration dans toutes les provinces à l'exception de la province du Nord et de la province de l'Est. Dans ces deux provinces, le tamoul est employé pour la tenue des registres publics et pour toutes les formalités officielles.

Cela étant dit, la Constitution garantit le droit de chacun, dans toutes les provinces du pays, de recevoir et d’envoyer des communications, et de traiter avec l’administration en cinghalais, en tamoul ou en anglais, ainsi que de consulter et d’obtenir un exemplaire ou un extrait des registres, circulaires, actes, publications ou tout autre document officiel, ou encore leur traduction en cinghalais, en tamoul ou en anglais, selon le cas. Les paragraphes 2 et 3 du même article 22 sont éloquents à ce sujet:

Article 22

Les langues administratives

2) Dans une zone où le cinghalais est employé comme langue administrative, une personne autre qu'un fonctionnaire agissant à titre officiel a le droit :

a) de recevoir des communications d'un fonctionnaire, et de communiquer et de traiter des affaires avec lui à titre officiel, en tamoul ou en anglais ;

b) Si la loi lui reconnaît le droit d'inspecter ou d'obtenir des copies ou des extraits d'un registre, d'un dossier, d'une publication ou de tout autre document officiel, d'obtenir une copie ou un extrait de ceux-ci ou une traduction, selon le cas, en tamoul ou en anglais ;

3) Dans une région où le tamoul est employé comme langue d’administration, une personne autre qu’un fonctionnaire agissant en sa qualité officielle a le droit d’exercer ses droits et d’obtenir les services visés aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 2 du présent article, en cinghalais ou en anglais.

Ainsi, tout citoyen sri-lankais a le droit de traiter avec les institutions du gouvernement dans l'une des trois langues nationales. Cela implique qu'une politique de ressources humaines doit être suivie pour permettre aux membres du public de communiquer et d'être contactés dans la langue de leur choix.

7.2 La formation linguistique des fonctionnaires

À partir du 1er juillet 2007, toutes les nouvelles recrues devaient acquérir, au plus tard cinq ans après leur embauche, une deuxième langue officielle pour exercer leurs fonctions dans l'administration de l'État (voir les circulaires administratives n° 03/2007 et n° 07/2007).

Circulaire administrative générale no 03/2007

02. Prime pour les langues officielles

02.01 La maîtrise des deux langues doit être acquise par un fonctionnaire pour avoir droit à une indemnité incitative qui sera versée en fonction de l'atteinte du degré minimal de maîtrise, selon la nature de ses obligations dans le poste concerné.

Circulaire administrative générale no 07/2007

Mise en œuvre de la politique des langues officielles

Le gouvernement a décidé de mettre en œuvre les dispositions suivantes pour permettre aux fonctionnaires d'exercer leurs fonctions et obligations en cinghalais et en tamoul, étant donné que les deux langues sont des langues officielles selon les termes de la Constitution de la République démocratique socialiste du Sri Lanka.

(a) Tous les fonctionnaires recrutés dans la fonction publique ou le service provincial en date du 1er juillet 2007 doivent acquérir la maîtrise de l'autre langue officielle dans un délai de cinq ans en plus de la langue officielle pour laquelle ils sont entrés en fonction.

Le gouvernement voulait former un personnel bilingue en nombre suffisant parmi les 7000 employés de l'État. En 2007, seulement 8,3 % des fonctionnaires nationaux parlaient le tamoul, et 16% dans les administrations provinciales, bien que cette langue soit une langue officielle depuis une vingtaine d'années; le gouvernement désirait en arriver à un minimum de 25% de fonctionnaires bilingues. Le service de la police comptait plus de 65 000 personnes, mais seuls 600 d'entre eux parlaient le tamoul, ce qui constitue un problème. Malheureusement, le gouvernement se heurte encore aujourd'hui à la pénurie de personnel pouvant enseigner les deux langues dans les écoles, les ministères, les tribunaux, etc.

La circulaire n° 7 de 2007 relative à l'exigence d'acquérir des compétences dans d'autres langues ne prévoyait aucune sanction efficace en cas de non-respect des exigences. Ceux qui n'obtiennent pas le niveau de compétence requis dans le délai prescrit devaient être renvoyés jusqu'à ce qu'ils obtiennent la maîtrise nécessaire dans un délai supplémentaire prévu. S'ils ne le pouvaient pas, ils ne devaient pas être autorisés à rejoindre la fonction publique.

Le gouvernement a publié diverses autres circulaires administratives, dont la Circulaire administrative sur les langues officielles, n° 18, de 2020.

Niveau de service selon la circulaire de l'administration publique
 03/2016
Catégorie connexe Durées des cours
Primaire
Secondaire
Tertiaire/Supérieur
3
2
1
100 heures
150 heures
200
heures
Le classement des fonctionnaires varie selon leur niveau de compétence dans une langue officielle à acquérir et la durée des cours à suivre, lesquels comprennent des parties écrites et orales (voir le tableau). Tous les fonctionnaires recrutés dans le cadre d'un programme ouvert, limité ou fondé sur le mérite à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente circulaire de 2020 doivent acquérir le niveau de compétence dans une autre langue officielle qui leur est prescrit dans les trois ans suivant la date de leur affectation.

De plus, un examen d'évaluation est prévu appelé "National Language Qualification" afin de garantir l'usage approprié des compétences linguistiques chez les fonctionnaires et une prime d'encouragement est versée aux fonctionnaires qui réussissent cet examen (NLQ), en fonction du niveau des notes qu'ils ont obtenues, indépendamment des qualifications d'éducation prescrites pour le recrutement dans la fonction publique ou les services ou postes. La circulaire n° 18 de 2020 sur les compétences dans d'autres langues ne prévoit pas davantage de sanction en cas de non-respect des exigences.

L'article 22.5 de la Constitution est très clair sur l'exigence d'acquérir une connaissance suffisante du tamoul ou du cinghalais, selon le cas, dans un délai raisonnable:

Article 22

5) Quiconque a le droit de se présenter à un examen d'admission à une fonction publique, à une fonction judiciaire, à une fonction publique provinciale, à une fonction publique locale ou à toute institution publique, en cinghalais ou en tamoul ou dans une langue de son choix, à la condition qu'il lui soit demandé d'acquérir une connaissance suffisante du tamoul ou du cinghalais, selon le cas, dans un délai raisonnable après son admission à ce service ou à cette institution publique, lorsque cette connaissance est raisonnablement nécessaire à l'exercice de ses fonctions.

Toutefois, une personne peut être tenue d’avoir une connaissance suffisante du cinghalais ou du tamoul, comme condition d’admission à un tel service ou à une institution publique où aucune fonction du bureau ou de l’emploi pour lequel elle est recrutée ne peut être exercée autrement qu’avec une connaissance suffisante de cette langue.

6) Dans le présent article –

«fonctionnaire» désigne le président, un ministre, un député ministre, un gouverneur, un ministre en chef ou un ministre du Conseil des ministres d’une province, ou un fonctionnaire d’une institution publique, d’une autorité locale ou d’un conseil provincial ; et

«Institution publique» désigne un département ou une institution du gouvernement, une société publique ou une institution statutaire.

- Les difficultés

Cependant, il est impossible de prétendre servir le public dans les trois langues dans tout le Sri Lanka, en raison du manque de connaissances linguistiques de la part des employés de l'État dans les deuxième (cinghalais ou tamoul) et troisième (anglais) langues. Non seulement, beaucoup de fonctionnaires cinghalais ou tamouls n'ont pas les connaissances suffisantes de l'autre langue officielle, mais certains en ont encore moins pour l'anglais. De là à exiger la connaissance de deux ou trois langues peut être irréaliste.

Cette politique du trilinguisme n'a que fort peu de chance de réussir pour diverses raisons. Non seulement il est difficile de généraliser l'enseignement du cinghalais dans les deux provinces tamoules, mais ce l'est encore davantage dans les provinces cinghalaises pour le tamoul. Pour l'instant, malgré certains progrès accomplis, la plupart des documents écrits dans les ministères sont en cinghalais et en anglais, mais ils peuvent l’être en tamoul pour les régions désignées. Dans tous les ministères, l’anglais demeure une langue plus importante que le tamoul, considérée comme la «troisième langue gouvernementale». Tout n'est pas imputable au gouvernement. Les Tamouls craignent de poser leur candidature à des postes publics du gouvernement central, de peur de subir des représailles de la part de leurs compatriotes tamouls. Seuls les documents provenant d’un organisme municipal sont rédigés en cinghalais ou en tamoul, l’anglais n’ayant plus aucun statut.

En 2007, le Daily Mirror de Colombo révélait que 66,5 % du public interviewé ignorait totalement qu'il existait une politique linguistique sur les langues officielles au Sri Lanka. Plus de 70 % des personnes interrogées ignorait aussi l'existence du Département des langues officielles et 71,6 % d'entre eux ne connaissaient pas la Commission des langues officielles. Les sondeurs ont demandé quelle était la satisfaction du public quant à la connaissance du tamoul dans les institutions de l'État et, contre toute attente, 77,4 % des répondants ont affirmé être très ou assez insatisfaits. Enfin, 94,1 % des Tamouls interrogés ont dit ne pas avoir été capables d'obtenir un service bilingue dans les bureaux de l'administration à Colombo. C'est un piètre résultat après presque six décennies d'indépendance. L'année 2009 a été déclarée par le président sri lankais, Mahinda Rajapaksa, comme «l'année de l'anglais».

D’autres problèmes subsistent encore, car la formation des fonctionnaires cinghalais dans la «deuxième langue officielle», le tamoul, prend du temps. Selon les estimations de la Commission de la langue officielle, même si cette politique était scrupuleusement mise en œuvre, il faudrait au moins vingt ans pour mettre en place une fonction publique dans laquelle tous les fonctionnaires maîtrisent les deux principales langues officielles et deviennent des bilingues actifs. De plus, la Commission de la langue officielle révèle que la plupart des fonctionnaires titulaires d'un certificat de maîtrise d'une seconde langue ne parlent, n'écrivent ni ne comprennent la langue qu'ils ont étudiée. Les représentants tamouls affirment certains fonctionnaires utiliseraient des «moyens douteux» pour obtenir des certificats de maîtrise d'une langue seconde afin d'obtenir des promotions et des primes d'encouragement.

Malgré la formation linguistique offerte aux fonctionnaires, il existe toujours une grave pénurie de cadres parlant le tamoul dans la fonction publique. Mais il manque aussi d'autres catégories de personnel bilingue: commis, traducteurs, dactylos, sténographes, etc. Des mesures ont été prises pour pourvoir les postes vacants, mais il serait plus réaliste de miser sur 10% de fonctionnaires bilingues cinghalais-tamoul, jusqu'à 50% là où le tamoul est omniprésent. Le problème aurait été résolu si le recrutement avait été fait sur la base du «recrutement personnel». il faudrait au moins  de dactylos et de sténographes tamouls. Il y avait une pénurie de traducteurs.Malgré la formation linguistique dispensée aux fonctionnaires du gouvernement, il y a une pénurie chronique de cadres parlant le tamoul.

Pourtant, les fonctionnaires maîtrisant parfaitement le tamoul et le cinghalais bénéficient d'augmentations salariales équivalent entre 500 à 1000 ou 2000 roupies par mois (au salaire de 30 000 roupies), selon le niveau de qualification. Or, une roupie sri lankaise correspond à 0,003$ US; 2000 roupies correspondent à 6,80$US (ou 6,60 euros).

7.3 La langue anglaise

L'anglais est une langue véhiculaire de prestige pour l'élite dirigeante de la capitale, Colombo. Puis, plus on s'éloigne de la capitale, plus l'usage de l'anglais diminue. Dans les zones rurales, l'anglais est pratiquement inconnu, surtout dans le Sud.  Alors que beaucoup d'écoles publiques ont cessé d'offrir des cours d'anglais, la plupart des écoles privées, accessibles principalement à une élite économiquement aisée, ont continué de n'enseigner parfois que l'anglais. Même depuis que l'anglais soit de nouveau une langue d'enseignement depuis 1999, la pénurie d'enseignants qualifiés a eu pour effet de restreindre considérablement l'apprentissage de l'anglais. Le degré de connaissance réelle de l'anglais demeure parfois rudimentaire dans les écoles publiques, contrairement aux écoles privées. Dans les faits, peu de Sri Lankais instruits dans les écoles publiques peuvent soutenir une véritable conversation en anglais. Par voie de conséquence, l'anglais est une langue véhiculaire uniquement pour une certaine élite universitaire et commerciale. Bref, l'anglais ne remplacera jamais les langues nationales que sont le cinghalais et le tamoul, surtout dans les régions rurales.

Parce que le cinghalais est la langue largement majoritaire dans le pays, il n'est pas aisé de parler à un anglophone; on ne rencontre pas des Britanniques à chaque coin de rue.  Quant aux Tamouls, parce qu'ils sont minoritaires, ils sont plus motivés que les Cinghalais à apprendre l'autre langue officielle.

- Les travaux terminologiques

En raison de la méfiance entre les Tamouls et les Cinghalais, les travaux terminologiques accomplis par les administrateurs et les érudits tamouls et cinghalais pour la mise en œuvre de la politique linguistique officielle du Sri Lanka sont restés longtemps inefficaces. Les archives montrent que les érudits tamouls du Sri Lanka ont identifié et inventé plus de 48 000 termes depuis 1955 et les érudits cinghalais en ont indexé plus de 43 000! Peu de travaux avaient été réalisés sur les langues indo-iraniennes à cette époque en Inde! Le travail accompli par les lexicographes tamouls du Sri Lanka a même grandement aidé les Tamouls en Inde à enrichir leur propre langue administrative. Les termes inventés par les Tamouls sri-lankais en tamoul ont identifié les éléments essentiels des concepts derrière les termes linguistiques anglais et ont révélé les processus de création et de pensée que les érudits tamouls en suivre Inde devaient suivre!

Les terminologues du gouvernement ont publié des glossaires pour les langues officielles et des dictionnaires trilingues à l'usage des fonctionnaires des ministères, surtout en matière de justice, d'administration et de santé. Il pourrait y avoir davantage de diffusion sur la façon dont les érudits et traducteurs tant cinghalais que tamouls ont informé les uns des autres en accomplissant des telles tâches pionnières dans la recherche terminologique. Pendant ce temps, tant en Inde qu'au Sri Lanka, l'anglais s'est rétabli comme la langue la plus influente.

- Les services de traduction

Lorsqu'une politique de bilinguisme est appliquée à des populations unilingues, un bon service de traduction paraît essentiel. Or, il y a eu une grave pénurie de traducteurs tamouls dans les ministères. En 2017, le nombre approuvé de traducteurs pour 49 ministères était de 94 et le nombre de traducteurs disponibles était de 61. On estime que 62 traducteurs supplémentaires étaient nécessaires pour assurer la bonne prestation des services.

Cependant, la majorité des candidats à ces postes n'ont pas de compétences suffisantes dans les deux langues officielles. Lorsque 400 postes d'apprentis traducteurs ont été créés en 2000, seulement 240 personnes ont accepté un poste et, sur ce nombre, il n'en restait que 150. Les bas salaires et le statut inférieur ont contribué au sous-recrutement des cadres et à la forte rotation du personnel. Pourtant, le gouvernement a offert des avantages relativement importants. Les paiements pour les traducteurs ou les traductions peuvent être basés soit sur le nombre de mots du document à traduire, soit sur le document traduit, On peut consulter la Circulaire de l'administration publique n° 12 de 2003.

Jusque dans les années 2000, le gouvernement s'était concentré sur la traduction des documents de l'anglais vers les langues officielles et vice-versa, mais jamais entre les langues officielles. Or, il est désormais nécessaire de traduire du cinghalais vers le tamoul, ce qui semble difficile, car le tamoul et le cinghalais appartiennent à deux familles linguistiques différentes, la famille dravidienne pour le tamoul et la sous-famille indo-iranienne pour le cinghalais, avec des structures linguistiques différentes et des alphabets différents.

- Une attitude arrogante

Il faut aussi souligner une certaine absence de volonté politique, voire le désintérêt ou l'hostilité de la part de la bureaucratie cinghalaise, pour appliquer les principes du bilinguisme cinghalais-tamoul. La majorité des fonctionnaires ne semblent pas sensibles à la reconnaissance et aux droits linguistiques des tamoulophones; ils accordent peu d'attention aux autres langues officielles, y compris l'anglais. Ils ne voient pas la nécessité d'apprendre le tamoul, voire l'anglais. Même les cadres qui ont réussi les examens de maîtrise du tamoul et qui ont reçu des primes d'encouragement semblent en général incapables de répondre dans cette langue dans la correspondance écrite. Certains cadres estiment que parler le tamoul est dégradant pour eux. Ils préféreraient apprendre l'hindi, le japonais ou le français. À la question de savoir si un fonctionnaire est d’accord pour la mise en œuvre obligatoire de la politique linguistique, 41 % ont répondu «négativement», car ils ont plutôt choisi l’anglais comme «langue alternative», ce qui implique qu'il n'est pas nécessaire d’apprendre la deuxième langue officielle. La citation suivante de la part d'un membre du personnel correspond à un sentiment assez généralisé chez les fonctionnaires cinghalais:

We have no obligation to implement languages Policy although we consider it a valid initiative for removing language barriers. The language trainings we get are useful but what is more fruitful for society is our genuine concern and interest in learning languages other than the mother tongue. I find „English‟ is more useful for my career persuasion and easy to learn. Therefore, I may concentrate on learning „English‟ than learning „Tamil‟. (Interviewee, Journal of Public Administration and Policy Research, 2016). Nous n’avons aucune obligation de mettre en œuvre la politique linguistique, bien que nous considérions qu’il s’agit d’une initiative valable pour éliminer les barrières linguistiques. Les formations linguistiques que nous recevons sont utiles, mais ce qui est plus fructueux pour la société, c’est notre véritable préoccupation et notre intérêt pour l’apprentissage d'autres langues que la langue maternelle. Je trouve que «l’anglais» est plus utile pour ma carrière et plus facile à apprendre. Par conséquent, je peux me concentrer sur l’apprentissage de l’anglais plutôt que sur l’apprentissage du tamoul. (Personne interrogée dans le Journal of Public Administration and Policy Research, 2016).

- La capitulation tamoule

D'un autre côté, les tamoulophones sont souvent réticents à employer leur langue pour communiquer avec les instances gouvernementales. Ils craignent que l'emploi de leur langue entraîne des retards et des préjugés dans l'exécution de leurs demandes. Beaucoup de Tamouls se résignent à devoir employer l'anglais ou le cinghalais pour communiquer leurs besoins de façon efficace. Cette attitude réduit forcément la pression exercée sur les fonctionnaires pour qu'ils fournissent des services bilingues à la population. Toutes ces attitudes de la part des majorité et minorité sont relativement fréquentes dans les «pays bilingues»; on les retrouve, par exemple, au Canada (anglais / français), en Italie (italien / français, slovène, allemand, etc.), en Autriche (allemand / slovène), etc. 

De façon générale, bien que les intentions du gouvernement soient louables en matière de bilinguisme, il n'a jamais fourni les ressources financières à une mise en œuvre efficace de la politique des langues officielles. 

7.4 Les organismes linguistiques

Le Si Lanka s'est doté d'organismes linguistiques importants. Nous en retiendrons quatre:

- le Département des langues officielles (Department of Official Languages);
- la Commission des langues officielles (Official Languages Commission);
- l'Institut national d'enseignement des langues (National Institute of Language Education);
- le ministère du Dialogue national sur la coexistence et des langues officielles (Ministry of National Languages and Social Integration).

- Le Département des langues officielles

Le Département des langues officielles (Department of Official Languages) est un organisme gouvernemental destiné à faciliter la mise en œuvre de la politique linguistique, tel qu'il est stipulé aux articles 18 et 19, du chapitre IV de la Constitution sri lankaise. Les objectifs du Département des langues officielles sont le suivants:

1. Améliorer les compétences linguistiques au sein des services publics.
2. Promouvoir l'harmonie et la paix ethnique au moyens d'activités interculturelles.
3. Promouvoir une conscience au sujet de la politique linguistique officielle.
4. Reconnaître et faciliter la promotion d'un véritable multilinguisme, afin de réaliser l'unité dans la diversité et la compréhension internationale, conformément à la politique économique ouverte du gouvernement et la résolution des Nations unies, no 56/262.

Rappelons que la résolution 56/262 des Nations unies, en date du 15 février 2002, demandait aux États Membres d’encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier. La résolution précise que l’Organisation des Nations unies pratique le multilinguisme en tant que moyen de favoriser, défendre et préserver la diversité des langues et des cultures au niveau mondial et considère qu’un véritable multilinguisme favorise l’unité dans la diversité et l’entente internationale.

Pour ce qui est des activités du Département des langues officielles du Sri Lanka, elles correspondent aux suivantes:

- Former des fonctionnaires pour obtenir une compétence trilingue.
- Former des traducteurs pour assurer une traduction directe du cinghalais au tamoul, et vice versa.
- Confectionner des glossaires à des fins administratives et scolaires.
- Confectionner un dictionnaire trilingue.
- Prévoir des équipements de traduction aux établissements dans le secteur public.
- Préparer des guides ce cours et du matériel pédagogique. (p. ex., livres, plans de cours, cassettes, etc.) pour l'enseignement des langues.
- Faciliter la formation linguistique grâce aux technologies modernes, en vue de promouvoir le multilinguisme dans le pays.
- Préparer des examens et des certificats de connaissance linguistique. 
- Préparer des programmes de sensibilisation sur la politique des langues officielles.

Le Département des langues officielles a élaboré plusieurs glossaires, dont des glossaires trilingues dans des domaines techniques. Soulignons que le Département des langues officielles a adopté diverses mesures pour mettre en œuvre la politique linguistique sri lankaise afin d'éliminer ou réduire les difficultés qui empêchent les minorités tamoules de bénéficier de leurs droits linguistiques. Le Département a organisé dans tout le pays des cours d’enseignement du cinghalais, du tamoul et de l’anglais, afin qu'un plus grand nombre de fonctionnaires deviennent bilingues ou trilingues. Ces cours sont dispensés au personnel des forces armées, mais surtout tout dans les secrétariats de division, départements des ministères du gouvernement et autres institutions de l’État. La Fonction publique sri lankaise compte quelque 300 000 employés; chaque année, plus de 10 000 fonctionnaires suivent les cours de langue organisés par le Département des langues officielles. Dans ses stratégies, le Département des langues officielles entreprend des campagnes d’affiches, distribue des tracs et des brochures, propose des séminaires, des ateliers, des expositions de livres, publie des articles dans la presse afin de sensibiliser les fonctionnaires dans leurs obligations et d'informer le public sur la façon il est concerné par la législation linguistique.

- La Commission des langues officielles

La Commission des langues officielles (Official Languages Commission ou OLC), pour sa part, est un organisme officiel créé en vertu de la Loi sur la Commission des langues officielles (Official Languages Commission Act) de 1991 et elle est investie de l'autorité pour superviser la mise en œuvre de la politique des langues officielles.

Les objectifs de la Commission des langues officielles sont présentés à l'article 6 de la Loi sur la Commission des langues officielles:

Article 6

Objectifs de la Commission

Les objectifs généraux de la Commission sont les suivants:

(a) recommander les principes de la politique concernant l'emploi des langues officielles ainsi que contrôler et surveiller la conformité des dispositions contenues dans le Chapitre IV de la Constitution;

(b) prendre toutes les actions et les mesures nécessaires pour assurer l'emploi des langues visées à l'article 18 de la Constitution (ci-après mentionné comme «les langues appropriées») conformément à l'esprit et l'intention du chapitre IV de la Constitution;

(c) promouvoir l'appréciation des langues officielles ainsi que l'acceptation, le maintien et la continuité de leur statut, leur égalité et le droit de les employer;

(d) mener des enquêtes de sa propre initiative et, en réponse à toutes les plaintes reçues, de recourir à des mesures correctives comme prévues par les dispositions de la présente loi.

La Commission des langues officielle a le droit de recommander les principes guidant la politique dans l'emploi des langues officielles et de surveiller la conformité des pratiques avec les dispositions contenues dans le chapitre IV de la Constitution de 1978 (modifiée en 2022). Elle peut aussi prendre toutes les mesures nécessaires s'assurer de l'emploi approprié des deux langues officielles. L'un des objectifs de la Commission est de mener des enquête dans les cas de non-conformité de la politique linguistique et de la Loi sur la Commission des langues officielles. Ainsi, lorsqu'un fonctionnaire refuse ou néglige délibérément d’instruire une affaire ou de transmettre un exemplaire ou un extrait d’un acte dans la langue demandée, il se rend coupable d’une infraction et est passible, à l’issue d’une procédure sommaire devant un magistrat, d’une amende de 1000 roupies au maximum ou d’une peine de prison de trois mois au maximum, ou de l’une et l’autre peine.

Article 28

Fonctionnaires nécessaires pour remplir leurs obligations officielles dans une langue concernée et reconnus coupables d'une infraction dans certaines circonstances

1) Lorsqu'un fonctionnaire est requis dans l'exercice de ses fonctions officielles pour traiter des questions touchant ses obligations, recevoir ou établir une communication et qu'il émet un exemplaire ou un extrait d'un registre, d'un rapport, une publication ou tout autre document dans une langue donnée, et que, délibérément il néglige ou omet de transiger une affaire, de recevoir ou de prendre une communication ou de transmettre un exemplaire ou des extraits dans une langue concernée, il est coupable d'une infraction et, s'il est condamné lors d'un procès sommaire devant un juge, il est passible d'une amende ne dépassant pas 1000 roupies ou d'un emprisonnement pour un terme n'excédant pas trois mois ou les deux, soit la pénalité et l'emprisonnement.

La Commission est non seulement autorisée à accepter et examiner les plaintes des citoyens qui allèguent que leurs droits linguistiques ont été violés, mais elle a la possibilité d'ordonner une réparation.

La Commission des langues officielles est aussi investi du pouvoir de s'engager dans des activités publiques en éducation sur le statut ou l'usage des langues appropriées. La Commission exerce donc quatre fonctions principales:

- une fonction consultative sur les questions de politique linguistique;
- une fonction de contrôle au sujet de la conformité de la législation et des pratiques;
- une fonction éducative sur le statut ou l'usage des langues appropriées:
- une fonction d'enquête sur les plaintes quant à la violation des droits linguistiques prévus dans la Constitution.

Les pouvoirs de la Commission sont présentés à l'article 7 de la Loi sur la Commission des langues officielles :

Article 7

Pouvoirs de la Commission

La Commission détient les pouvoirs suivants:

(a) entreprendre la revue des règlements, directives ou des pratiques administratives qui affectent ou peuvent affecter le statut ou l'usage de chacune des langues concernées;

(b) émettre ou mandater des études ou des documents de politique sur le statut ou l'usage des langues concernées qu'elle jugera nécessaire ou souhaitable;

(c) entreprendre des activités pédagogiques publiques, y compris le parrainage ou lancer des publications ou d'autres présentations de médias sur le statut ou l'usage des langues concernées qu'elle jugera souhaitable;

(d) acquérir par voie d'achat ou autrement et tenir, prendre ou donner en location ou contre paiement des emprunts, des ventes ou des promesses d'achat et disposer de toute propriété meuble ou immeuble; et

(e) faire tout ce qui est nécessaire ou accessoire pour la réalisation des objectifs de la Commission ou pour l'exercice des pouvoirs de la Commission.

Les dispositions constitutionnelles et législatives, qui imposent que le cinghalais est la langue administrative dans les sept provinces du Sud, impliquent que ces mêmes dispositions valent à l'égard du tamoul dans la province du Nord et la province de l'Est. Néanmoins, ces dispositions s'appliquent également dans toute l'île en fonction d'un nombre substantiel de locuteurs de l'autre langue officielle.

La Commission des langues officielles ne se fait aucune illusion quant à la tâche qui lui était confiée quand plus de 90 % des fonctionnaires sont unilingues cinghalais. Par conséquent, environ 40 % d'entre eux auraient besoin de maîtriser une deuxième langue officielle pour s'acquitter de leurs tâches, conformément à la politique linguistique officielle. Étant donné que le degré de maîtrise du tamoul requis varie selon les tâches et les rôles, la Commission a suggéré une approche calibrée. Les fonctionnaires ayant le plus de contacts avec les locuteurs tamouls devraient être les premiers à suivre une formation.

Un autre problème concerne les départs. Tous les cinq ans, environ 20 % des fonctionnaires quittent leur poste pour cause de retraite, de démission ou de maladie. Ils sont remplacés par de nouveaux fonctionnaires qui ont besoin d'une formation. Au terme des quinze années prévues, il ne restera donc que 40 % du personnel initial. Il vaut mieux alors recruter ceux qui connaissent déjà le tamoul.

- L'Institut national d'enseignement des langues

L'Institut national d'enseignement des langues et de la formation (National Institute of Language Education and Training), le NILET, appelé plus simplement Institut national d'enseignement des langues (National Institute of Language Education), est un autre organisme gouvernemental destiné à promouvoir l'unité nationale au moyen de l'enseignement des langues en éducation. La formation linguistique est devenue, dans un contexte de crise ethnique, une nécessité en l'absence d'intégration réelle des deux communautés cinghalaise et tamoule. Bref, la connaissance du cinghalais et du tamoul constitue un moyen de favoriser la compréhension entre les communautés linguistiques.

Or, le Sri Lanka manque de personnel bilingue et trilingue, non seulement chez les fonctionnaires, mais aussi chez les enseignants, les traducteurs, les interprètes et les formateurs. En ce sens, la Loi sur l'Institut national d'enseignement des langues et de la formation, n° 26 de 2007, vise à assurer ledit institut à former des enseignants, bilingues, des traducteurs et des interprètes, ainsi que des formateurs ou des instructeurs qualifiés pour former des professeurs de langues, des traducteurs et des interprètes dans les langues cinghalaise, tamoule et anglaise. La pénurie de personnel bilingue au sein de l'administration publique a sans doute été l'une des difficultés à harmoniser les relations entre les deux grandes communautés linguistiques. Le pays manque au moins de quelque 500 traducteurs et autant d'interprètes. L'article 4 de la Loi sur l'Institut national d'enseignement des langues et de la formation définit ainsi les objectifs de l'Institut :

Article 4

Objectifs de l'Institut


Les objectifs pour lesquels est créé l'Institut est de prévoir une institution qui doit former :

(a) des maîtres compétents pour enseigner le cinghalais, le tamoul et l'anglais à ceux qui sont désireux d'acquérir ces connaissances;

(b) des traducteurs et des interprètes compétents dans les langues cinghalaise, tamoule et anglaise, lesquels constitueront le Service national des traducteurs et le Service national des interprètes, qui doivent être créés en vertu de la loi;

(c) des instructeurs qualifiés pour former des professeurs de langues, des traducteurs et des interprètes dans les langues cinghalaise, tamoule et anglaise;

(d) du personnel formé avec des habiletés trilingues pour la prestation efficace de services auprès du public.

Quant aux fonctions de l'Institut, citons notamment les suivantes:

- dispenser une formation approfondie en cinghalais, en tamoul et en anglais, afin de constituer un effectif apte à enseigner le cinghalais, le tamoul et l'anglais aux individus désireux d'acquérir ces connaissances;

- mener des recherches et des études sur les questions relatives à la formation linguistique;

- mettre en place un corps professionnel formé et équipé pour entreprendre une carrière d'enseignement des langues;

- dispenser des cours de langue spécifiques en cinghalais, en tamoul et anglais pour des catégories particulières de candidats comme interprètes, traducteurs et sténographes;

Il s'agit en fait d'une politique de bilinguisation de la fonction publique et des établissements d'enseignement. C'est pourquoi des primes au bilinguisme ont été accordés aux fonctionnaires qui apprennent une autre langue nationale, selon le cas, le tamoul ou le cinghalais.  Ces primes sont de 15 000, 20 000 et 25 000 roupies (une roupie sri lankaise équivalant à 0,01$ US; 15 000 roupies équivalant à 150 $ US) selon les trois niveaux de compétence linguistique acquis par les fonctionnaires pour une deuxième langue.

- Le ministère du Dialogue national sur la coexistence et des langues officielles

Le ministère du Dialogue national sur la coexistence et des langues officielles (Ministry of National Languages and Social Integration) est un ministère du gouvernement du Sri Lanka responsable du ministère du gouvernement sri-lankais chargé de formuler et de mettre en œuvre la politique de coexistence communautaire au moyen des langues officielles et nationales et de créer un dialogue national. 

8 Les langues de l’éducation

Le système d'éducation primaire et secondaire relève du ministère de l’Éducation, des Affaires culturelles et de l’Information, ce qui inclut aussi pour les écoles normales et les "pirivenas", les collèges monastiques pour l'éducation des moines bouddhistes). L’enseignement supérieur est placé sous la juridiction du ministère de l’Enseignement supérieur. Plus précisément, l'éducation relève actuellement du contrôle du gouvernement central et des conseils provinciaux, alors que certaines responsabilités incombent au gouvernement central d'autres relevant d'un conseil provincial bénéficiant d'une autonomie.

8.1 Les types d'écoles

Il existe un réseau public et gratuit, et un réseau privé et payant. Dans le domaine linguistique, il existe trois types d’écoles distinctes au Sri Lanka: les écoles cinghalaises, les écoles tamoules et les écoles anglaises.

On distingue trois types d’écoles financées par l’État :

- Les écoles nationales : extrêmement recherchées, elles sont issues du système colonial, avec un contrôle et un financement du ministère de l’Éducation; ce sont des établissements prestigieux et fréquentées par les élites. 

- Les écoles provinciales : elles sont financées et gérées par les gouvernements locaux; ce sont les plus nombreuses; elles souffrent d’un manque d’équipements et d’enseignants.

- Les pirivenas : ce sont des écoles monastiques bouddhistes, des centres d’enseignement secondaire et supérieur traditionnels très anciens, et financées par le ministère de l’Éducation.

Les Sri-Lankais peuvent recevoir leur instruction dans l’une ou l’autre des trois types d'écoles, et ce, à tous les niveaux de leur enseignement: maternelle, primaire, secondaire, universitaire. Les parents ne choisissent pas dans quelle langue leurs enfants recevront leur instruction. Les Cinghalais vont à l’école cinghalaise; les Tamouls, à l’école tamoule; les «anglophones», à l’école anglaise. Ce partage est conforme aux dispositions de l’article 21.1 de la Constitution :

Article 21

La langue d'enseignement

1)
Toute personne a le droit de recevoir une éducation dans l'une ou l'autre des langues nationales:

À la condition que les dispositions du présent paragraphe ne s'appliquent pas à un établissement d'enseignement supérieur où la langue d'enseignement est une autre langue qu'une langue nationale.

En principe, depuis 2000, le cinghalais est obligatoire comme langue seconde dans les écoles tamoules, mais le tamoul l'est également dans les écoles cinghalaises de la 1re à la 9e année, mais il peut être abandonné au "Sri Lankan Ordinary Level", soit autour de la 10e ou de la 11e année. L'enseignement du tamoul semble avoir été accepté comme matière d'enseignement dans le Sud, comme  de le fut pour le cinghalais dans le Nord.

8.2 L'enseignement supérieur

L’enseignement supérieur est gratuit, mais très sélectif : moins de 16 % de ceux qui obtiennent leur diplôme du secondaire sont admis dans les universités de l'État. Seuls les meilleurs élèves de chaque district fréquentent l’université, alors que seule la moitié d’entre eux obtiennent leur diplôme supérieur. Il existe quinze universités d’État, seules habilitées à émettre des diplômes nationaux.

Au niveau universitaire, il est possible de suivre des cours dans l’une de ces trois langues, dans la mesure où l’usage de cette langue est raisonnablement réalisable (art. 21.2):

Article 21

2) Lorsqu'une langue nationale est la langue d'enseignement pour ou dans un cours, un département ou une faculté d'université directement ou indirectement financée par l'État, l'autre langue nationale est également considérée comme la langue d'enseignement pour ou dans ce cours, ce département ou cette faculté pour les étudiants qui, avant leur admission dans cette université, ont été éduqués dans cette autre langue nationale :

À la condition que le respect des dispositions précédentes du présent paragraphe ne soit pas obligatoire si cette autre langue nationale est la langue d'enseignement pour ou dans un cours, un département ou une faculté similaire sur tout autre campus ou une annexe de cette université ou de toute autre université similaire.

3) Dans le présent article, «université» désigne tout établissement d'enseignement supérieur.

En principe du moins, l’usage d’une langue d’enseignement dans une université implique que l’autre langue nationale est également reconnue. Une fois à l’université, le régime est différent. Les cours peuvent se donner tout aussi bien en cinghalais, en anglais qu’en tamoul. En réalité, tout dépend où l’université est géographiquement située. Dans le Nord, c’est le tamoul et l’anglais; dans le Sud, le cinghalais et l’anglais, l'autre langue officielle étant généralement délaissée.

8.3 Les problèmes systémiques

Malheureusement, en raison de la guerre civile, le système d'éducation tamoul s’est en partie effondré. En effet, les couvre-feux fréquents, l'absence de moyens de transport et la paupérisation d'une grande partie de la population ont rendu précaire la scolarisation des enfants tamouls. La majorité des femmes ont perdu leur mari durant la guerre; et 60% d'entre elles sont veuves et peuvent difficilement faire instruire leurs enfants. Compte tenu de ces difficultés majeures, il arrive que ces mères retirent leurs enfants des classes, par lassitude et par manque de moyens. Ne trouvant pas de travail, ces enfants traînent dans les rues ou, à l'époque, ils étaient recrutés par les forces d'opposition tamoules (LTTE). Or, la formation scolaire complète a toujours été tenue en haute considération dans la société tamoule; elle est perçue comme un moyen de prévention contre la délinquance et de maintien de l'autorité des aînés. C'est la raison pour laquelle des organisation caritatives s'efforcent néanmoins de scolariser les enfants. Contre toute attente, le gouvernement du Tamil Nadu a accepté d’admettre tous les enfants tamouls dans les écoles sans diplômes scolaires.

Il existe quelques écoles à Colombo, une ville multilingue, qui s'adressent explicitement aux jeunes qui parlent le tamoul. Ces écoles proposent généralement des cours en tamoul et suivent le programme pédagogique sri-lankais en tamoul. Les écoles les plus connues sont les suivantes: l'École centrale de Jaffna (Jaffna Focal School), l'École hindoue de Colombo (Hindu School Colombo), l'école Ananda Colombo (Ananda School Colombo), l'école Wesley de Colombo (Wesley School Colombo) et l'école Saint-Pierre (St. Peter's School). Ce ne sont là que quelques écoles, mais il existe plusieurs autres écoles en langue tamoule à Colombo.

Cependant, un problème majeur concerne le recrutement des professeurs tamouls. Les provinces du Nord et de l’Est sont aux prises avec une grave pénurie d'enseignants qualifiés, puisque la plupart sont partis en exil et ont été remplacés par des bénévoles. Dans bien des cas, on y a substitué des activités sportives et artistiques ou tout simplement des séances de sensibilisation à la cause tamoule.

Au final, s'il n'y a pas trop de problème pour trouver des enseignants de cinghalais au sud comme au nord, ce n'est pas le cas pour les enseignants de tamoul. Par conséquent, l'enseignement du tamoul comme langue seconde demeure encore assez limité. De plus, en raison de la rareté des professeurs de tamoul, ceux-ci ont saisi l'occasion de demander des tarifs exorbitants.

- L'enseignement de l'anglais

Afin de favoriser la communication et la compréhension entre les deux grandes communautés, le gouvernement sri-lankais avait décidé, il y a une dizaine d’années, de rendre obligatoire l’enseignement de l’anglais comme langue véhiculaire, en plus du tamoul pour les élèves cinghalais et du cinghalais pour les élèves tamouls, et ce, dès l’école primaire. Cet enseignement devait se poursuivre durant tout le secondaire.

Cependant, cette mesure destinée à rendre trilingues les enfants sri-lankais est rarement appliquée. Dans les faits, lorsque les établissements d'enseignement forment des étudiants bilingues, ce sont soit des bilingues en cinghalais et en anglais, soit en tamouls et en anglais. Non seulement, les étudiants connaissant les deux langues officielles sont peu nombreux, mais l'État manque cruellement de traducteurs, d'interprètes et de sténographes connaissant ces deux langues, et encore plus d'enseignants bilingues.  Au final, les bilingues cinghalais-tamouls sont rares.

9 Les langues du commerce et des affaires

Deux langues s’avèrent d’une grande importance dans le domaine du commerce et des affaires: le cinghalais et l’anglais. Le tamoul arrive bon dernier, sauf dans le nord du pays où c’est le cinghalais qui fait figure de parent pauvre. Au plan national, les trois langues apparaissent dans l’étiquetage, les modes d’emploi, etc., des produits manufacturés. Même les entreprises qui font affaire dans tout le pays ont généralement une raison sociale trilingue. Pour le reste, les Sri-Lankais font comme bon leur semble, ce domaine n’étant pas réglementé ni par la Constitution ni par la législation.

Au Sri Lanka, on peut trouver des inscriptions unilingues anglaises, unilingues cinghalaises ou unilingues tamoules; ou bilingues cinghalaises-anglaises, bilingues cinghalaises-tamoules; trilingues, etc. Toutes les combinaisons sont possibles, mais l'unilinguisme tamoul demeure moins fréquent que pour les autres langues, sauf dans les deux provinces à majorité tamoule. Quoi qu'il en soit, il faut aussi remarquer que les affiches publiques présentent toujours les inscriptions cinghalaises au-dessus de celles en tamoul, l'anglais ensuite. Par habitude, les affiches commerciales ont recours aisément à des inscriptions cinghalaise-anglaises.

10 Les médias

La loi sri-lankaise ne fixe pas de restriction à la liberté d'expression, bien que rien ne puisse garantir la protection des journalistes. Le statut du Conseil de la presse, créé par une loi de 1973 pour «réguler» ce domaine, entraîne des problèmes puisque c'est la présidence de la République qui décide de la nomination de la majorité de ses membres. La loi sur la prévention du terrorisme est régulièrement invoquée par les autorités pour faire taire les journalistes, à commencer par ceux qui tentent d’enquêter sur les conditions de vie de la minorité tamoule dans le nord et l’est de l’île.

En général, la presse sri-lankaise s’adresse d'abord à la majorité cinghalaise et bouddhiste, ce qui correspond presque aux trois quarts de la population. Dans ce contexte, il devient dangereux de formuler des critiques ouvertes de la religion bouddhiste ou de son clergé; les tribunaux invoquent régulièrement le Code pénal pour jeter en prison des journalistes soupçonnés de «haine religieuse». Il en est ainsi de traiter des questions concernant les minorités tamoules ou musulmanes. Enfin, une nouvelle loi adoptée en mars 2016 force tous les supports de l'information à s'enregistrer auprès du gouvernement, sous risque d'être considéré comme illégal.

Quant aux médias eux-mêmes, ils existent dans les trois langues, mais ceux en cinghalais sont destinés aux Cinghalais, ceux en tamoul aux Tamouls, alors que les médias anglophones sont généralement destinés à tous les groupes ethniques.  

Les Tamouls et les Cinghalais vivent côte à côte depuis des siècles sur l’île et le débat sur la question de savoir qui est arrivé en premier n’a aucune importance et ne contribue pas davantage au processus de réconciliation. À partir de l'indépendance de 1948, les conflits opposant Cinghalais et Tamouls durent depuis plus de 75 ans. Les Cinghalais, devenus les nouveaux maîtres du pays, ont alors pratiqué un colonialisme avec leur minorité tamoule. Parce qu'ils étaient largement majoritaires (75 %) et contrôlaient l’administration centrale de l’État, les Cinghalais bouddhistes ont cru pouvoir évincer sans ménagement les Tamouls hindous ou musulmans, bref imposer leur volonté sur tous.

La langue tamoule est devenue pour ses locuteurs une arme et le symbole de leur combat. On se rend vite compte que, au plan linguistique, l’égalité est plus forte d’un côté que de l’autre. Jusqu’ici, la seule façon pour les Tamouls d’acquérir cette égalité dans les faits, c'était de passer par l’anglais, quitte à renier leur langue. Le système actuel fonctionne relativement bien tant que les groupes ne sont pas en concurrence: les Tamouls dans le Nord-Est et les Cinghalais dans le reste du pays. Dès que les deux ethnies se rencontrent sur le même terrain – institutions parlementaires, gouvernement, administration centrale –, les intervenants en viennent aussitôt aux coups parce que le cinghalais prend plus de place que le tamoul, et ce, en dépit des garanties constitutionnelles.

Du point de vue de la minorité tamoule, le Sri Lanka serait dirigé par un gouvernement «raciste», dont les intérêts seraient exclusivement cinghalais et bouddhistes, et qui considère que les Tamouls constituent une «anomalie» qu'il faudrait faire disparaître. Depuis l'indépendance, le Sri Lanka a constamment été dénoncé pour avoir violé les droits de la personne les plus élémentaires. C'est un État répressif qui a pratiqué à grande échelle les détentions arbitraires, la torture contre les opposants au régime, les disparitions inexpliquées, les exécutions extrajudiciaires et la non-reconnaissance des droits civils et politiques.

Les Tamouls veulent avoir l'assurance que leur sécurité ne sera plus jamais compromise. Ils ne veulent plus être marginalisés dans les affaires administratives de leurs provinces ni dans les institutions communes. Bien que les tamoulophones ne constituent aujourd'hui que 23,4 % de la population tout en occupant une portion importante du territoire, ils veulent l'égalité de statut. Malheureusement, le gouvernement central dirigé par la majorité cinghalaise bouddhiste a mis beaucoup trop de temps pour comprendre que la marginalisation d'une minorité importante conduit inévitablement à la fragmentation sociale et à des visées sécessionnistes, avec comme résultat que la langue se transforme en outil de combat et de division.

Encore aujourd'hui, la langue est souvent traitée comme une préoccupation triviale par le gouvernement sri-lankais, moins importante que la santé ou le développement économique. Or, l'empiètement puissant de l'État sur la langue et la culture tamoules constitue une menace énorme pour la paix. Certains craignent même le retour à la dictature nationaliste et raciste pro-cingalaise et anti-tamoule, laquelle a dirigé le pays entre 1960 et 1987. Le Sri Lanka n'est pas au bout de ses peines, car la réconciliation, si elle est possible, n'est pas encore effective.

Dernière mise à jour: 19 janv. 2025
 

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