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Turquie
La politique linguistique
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Plan de l'article
1
La Constitution turque 1.1 Le caractère indivisible de la République 1.2 Des droits égaux théoriques 1.3 Les nécessaires modifications
1.4 Le traité de Sèvres (1920) 1.5 Le traité de Lausanne (1923)
2 L'application de la politique linguistique 2.1 Le Parlement turc
2.2 Les langues et la justice 2.3 L'Administration publique 2.4 La langue maternelle des citoyens turcs
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2.5
Les langues d'enseignement 2.6 L'enseignement de la religion
3
Les langues dans les
médias 3.1 La liberté d'expression sous surveillance 3.2 Entre la censure et l'interdiction 3.3 La presse écrite 3.4 La presse électronique
4
La politique de paranoïa des autorités
4.1 L'attitude de prudence chez les Kurdes 4.2 L'opinion publique turque 4.3 L'adhésion à l'Union européenne
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1 La Constitution turque
Jusqu'à récemment, la Turquie était sous le régime d'une constitution imposée
par les militaires de 1982. Candidate à l'Union européenne, la Turquie se devait
de progresser dans le respect des droits de l'Homme et de la démocratie. En
adoptant, en octobre 2001, quelque 34 modifications à la Constitution de 1982
avec
une très large majorité (474 voix contre 16), le Parlement turc a permis
apparemment à la
Turquie de se rapprocher de l'Europe. De plus, la Turquie a donné des
garanties pour réformer son Code pénal. En principe, il fallait lever les
principaux obstacles à l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union
européenne. Cependant, la Turquie a connu un siècle de pratiques répressives,
discriminatoires et ultranationalistes en matière de langue. Il ne faut pas
s'attendre à ce que la situation change radicalement du jour au lendemain.
1.1 Le caractère indivisible de la République
À l'article 3, ainsi que dans le Préambule, le texte de la Constitution turque
(1982) proclame
encore le caractère «indivisible» de l'État turc:
Article 3
1)
L'État
turc forme avec son territoire et sa nation une entité indivisible. Sa langue
officielle est le turc.
2)
Son emblème, dont la forme est
définie par la loi, est un drapeau de couleur rouge sur lequel il y a une étoile
et un croissant blancs.
3)
Son hymne national est la « Marche de
l'indépendance ».
4)
Sa capitale est Ankara.
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Dans un arrêt de 1994, la Cour constitutionnelle turque a tiré de cette
disposition la conclusion que «dans la république de Turquie, il n'y a qu'un
État et une seule nation et non pas plusieurs nations». Encore dans le même arrêt,
la Cour a également affirmé:
La Constitution est fermée aux modes d'administration pour les régions, tels
que l'autonomie ou l'autogestion […]. Il ne saurait y exister qu'un seul État,
qu'un territoire intégral et qu'une nation unitaire […]. Le principe
d'État-nation ne permet ni une conception multinationale de l'État, ni une
structure fédérative. |
C'est clair, il n'y a pas de place
en Turquie pour une forme quelconque de décentralisation administrative.
1.2 Des droits égaux théoriques
L'article 10 de la Constitution de 1982 prévoit que tous les individus sont égaux
devant la loi, sans aucune discrimination fondée sur la langue, la race, la
couleur de la peau, le sexe, la religion, etc. :
Article 10 1)
Tous les individus sont égaux devant la loi sans distinction de langue, de
race, de couleur de la peau, de sexe, d'opinion politique, de croyance philosophique,
de religion ou de secte, ou distinction fondée sur des considérations
similaires.
2)
Les femmes et les hommes ont les droits égaux. L’État
est tenu d’assurer la mise en pratique de cette égalité.
3)
Aucun privilège ne peut être accordé à un individu, une famille, un
groupe ou une classe quelconques.
4)
Les
organismes
de l'État
et les autorités administratives sont tenus d'agir conformément au
principe de l'égalité devant la loi en toute circonstance. |
La
loi prévoit même des sanctions sévères à l'égard de ceux qui pratiqueraient de
la
discrimination. Pourtant, dans la Constitution de 1982 avant les modifications, trois
dispositions faisaient état
des «langues interdites» (sans les nommer) par la loi:
Article 26 (modifié en 2001)
Aucune langue interdite par la loi ne peut être utilisée pour
exprimer et diffuser des opinions [...].
Article 28 (modifié en 2001)
La presse est libre et ne peut être censurée. [...]
Nul ne peut
publier dans une langue interdite par la loi.
Article 42 (paragraphe conservé)
9) Aucune langue autre que le turc ne doit être enseignée aux
citoyens turcs ou utilisée en tant que langue maternelle dans les établissements
d'éducation et d'enseignement.
La loi fixe les règles relatives à l'enseignement des langues étrangères
dans les établissements d'éducation et d'enseignement ainsi que celles
auxquelles doivent se conformer les écoles où l'éducation et l'enseignement
sont dispensés dans une langue étrangère. Les dispositions des conventions
internationales sont réservées.
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Ou bien tous le citoyens sont égaux devant la loi ou bien ils ne le sont pas;
lorsqu'on interdit certaines langues, il n'y a plus d'égalité possible. Les
proclamations sur la non-discrimination et sur l'égalité linguistique restent
uniquement des formules creuses et déclaratoires. D'ailleurs, certaines lois
turques sont encore plus révélatrices de l'attitude prohibitive à l'égard des
autres langues que le turc.
1.3 Les nécessaires modifications
Parce qu'elle est candidate à l'adhésion dans l'Union européenne, la Turquie a
dû amorcer un processus de mise en conformité du droit turc avec les normes
européennes, y compris en matière de droits de l'Homme et de protection des
minorités. Cette situation a conduit le gouvernement à modifier en octobre 2001
la Constitution pour abroger une disposition qui prohibait l'usage de «certaines
langues interdites par la loi». C'est pourquoi l'article 26 de la nouvelle
version de la Constitution (2001) est maintenant le
suivant:
Article 26 (modifié par la loi n° 4709 du 3.10.2001)
1) Chacun possède le droit
d'exprimer, individuellement ou collectivement, sa pensée et ses opinions
et de les propager oralement, par écrit, par image ou par d'autres voies.
Cette liberté comprend également la faculté de se procurer ou de livrer
des idées ou des informations en dehors de toute intervention des
autorités officielles. La disposition de cet alinéa ne fait pas obstacle à
l'instauration d'un régime d'autorisation en ce qui concerne les émissions
par radio, télévision, cinéma ou autres moyens similaires.
2) L'exercice de ces libertés
peut être limité dans le but de préserver la sécurité nationale, l’ordre
public, la sécurité publique, les caractéristiques fondamentales de la
République et l’intégrité indivisible de l’État du point de vue de son
territoire et de la nation, de prévenir les infractions, de punir les
délinquants, d'empêcher la divulgation des informations qui sont reconnues
comme des secrets d'État, de préserver l'honneur et les droits ainsi que
la vie privée et familiale d'autrui et le secret professionnel prévu par
la loi, et pour assurer que la fonction juridictionnelle soit remplie
conformément à sa finalité.
3) Les dispositions réglementant
l'utilisation des moyens de diffusion des informations et des idées ne
sont pas considérées comme limitant la liberté d'expression et de
propagation de la pensée, pourvu qu'elles n'en empêchent pas la
publication.
4) La loi réglemente les formes,
conditions et procédures relatives à l’exercice de la liberté d'expression
et de propagation de la pensée |
L'article 28 sur la liberté de la presse a été considérablement modifiée dans
la version de 2001:
Article 28 (modifié par la loi n° 4709 du 3.10.2001)
1) La presse est libre et ne peut
être censurée. La création d'une imprimerie ne peut être subordonnée à une
autorisation ni au versement d'une garantie financière.
2) L'État prend les mesures
propres à assurer la liberté de la presse et celle de l'information.
3) Les articles 26 et 27 de la
Constitution s'appliquent en matière de limitation de la liberté de la
presse.
4) Quiconque écrit ou fait
imprimer toute information ou texte qui menace la sécurité intérieure ou
extérieure de l'Etat ou son intégrité indivisible du point de vue de son
territoire et de la nation ou qui est de nature à encourager une
infraction ou à inciter à l'émeute ou à la rébellion, ou qui se rapporte
à. des informations secrètes appartenant à l'État, ou qui, dans le même
but, imprime ou livre à autrui un tel texte ou information, en est
responsable conformément aux dispositions législatives concernant lesdites
infractions.
5) La distribution peut être
empêchée de manière préventive en vertu d'une décision judiciaire ou, dans
les cas où un retard serait préjudiciable, en vertu d'un ordre de
l'autorité expressément habilitée par la loi à cet effet. L'autorité
compétente ayant empêché la distribution avise le juge compétent de sa
décision au plus tard dans les vingt-quatre heures. Dans le cas où le juge
compétent n'approuve pas cette décision au plus tard dans les
quarante-huit heures, celle-ci est considérée comme nulle.
6) Aucune interdiction de
publication relative à des événements ne peut être instaurée, sous réserve
des décisions rendues par le juge dans les limites qui seront définies par
la loi en vue d'assurer l'accomplissement de la fonction juridictionnelle
d'une manière conforme à sa finalité.
7) Les publications, périodiques
ou non, peuvent être saisies en vertu d'une décision judiciaire dans les
cas où une enquête ou des poursuites ont été entamées en raison d'une des
infractions indiquées par la loi, et également en vertu d'un ordre de
l'autorité expressément habilitée par la loi à cet effet dans les cas où
un retard serait préjudiciable sous l'angle de la sauvegarde de
l'intégrité indivisible de l'État du point de vue de son territoire et de
la nation, de la sécurité nationale, de l'ordre public, des bonnes mœurs
ou de la prévention des infractions. L'autorité compétente ayant ordonné
la saisie avise le juge compétent de sa décision au plus tard dans les
vingt-quatre heures; dans les cas où le juge n'approuve pas cette décision
au plus tard dans les quarante-huit heures, celle-ci est considérée comme
nulle.
8) Les dispositions générales en
matière de saisie et de confiscation s'appliquent aux enquêtes et
poursuites relatives à des infractions portant sur des publications
périodiques ou non périodiques.
9) Les périodiques publiés en
Turquie peuvent être temporairement suspendus par décision judiciaire en
cas de condamnation en raison de publications portant atteinte à
l'intégrité indivisible de l'État du point de vue de son territoire et de
la nation, aux principes fondamentaux de la République, à la sécurité
nationale ou aux bonnes mœurs. Toute publication constituant
indéniablement la continuation d'une publication périodique suspendue est
interdite; ces publications sont saisies en vertu d'une décision
judiciaire.
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Quant à l'article 42 sur l'éducation, il n'a pas été modifié et le paragraphe
9 de 1982 est resté intact:
Article 42 1) Nul ne
peut être privé de son droit à l'éducation et à l'instruction.
2) Le contenu du droit à
l'instruction est défini et réglementé par la loi.
3) L'éducation et l'enseignement
sont assurés sous la surveillance et le contrôle de l'État, conformément
aux principes et réformes d'Atatürk et selon les règles de la science et
de la pédagogie contemporaines. Il ne peut être créé d'établissement
d'éducation ou d'enseignement en opposition avec ces principes.
4) La liberté d'éducation et
d'enseignement ne dispense pas du devoir de loyauté envers la
Constitution.
5) L'enseignement primaire est
obligatoire pour tous les citoyens des deux sexes et il est gratuit dans
les écoles de l'État.
6) Les règles auxquelles doivent
se conformer les écoles privées des degrés primaire et secondaire sont
déterminées par la loi d'une manière propre à garantir le niveau fixé pour
les écoles de l'État.
7) L'État accorde aux bons élèves
qui sont dépourvus de moyens financiers l'aide nécessaire pour leur
permettre de poursuivre leurs études, sous forme de bourses ou par
d'autres voies. L'État prend les mesures appropriées en vue de rendre les
personnes dont l'état nécessite une éducation spéciale utiles à la
société.
8) On ne peut poursuivre dans les
établissements d'éducation et d'enseignement que des activités se
rapportant à l'éducation, à l'enseignement, à la recherche et à l'étude.
Aucune entrave ne peut être apportée à ces activités de quelque manière
que ce soit.
9) Aucune langue autre que le
turc ne peut être enseignée aux citoyens turcs en tant que langue
maternelle ou servir à leur dispenser un enseignement en tant que telle
dans les établissements d'éducation et d'enseignement. La loi fixe les
règles relatives à l'enseignement des langues étrangères dans les
établissements d'éducation et d'enseignement ainsi que celles auxquelles
doivent se conformer les écoles où l'éducation et l'enseignement sont
dispensés dans une langue étrangère. Les dispositions des conventions
internationales sont réservées.
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On peut consulter le texte complet des dispositions linguistiques de la Constitution
turque dans sa version de de 2001 en cliquant
ICI.
L'enseignement des minorités constitue un enjeu de taille pour tous les pays
d'Europe. S'il est vrai que le droit à l'instruction est un droit fondamental
reconnu, il n’en va pas de même pour l'enseignement dans les langues
minoritaires en Turquie. D'ailleurs, les instruments contraignants du Conseil de
l’Europe allant en ce sens n’ont jamais été ratifiés par la Turquie... ni par la
Grèce.
1.4
Le traité de
Sèvres (1920)
Le traité de
Sèvres de 1920 (voir
aussi la carte du partage) équivalait à
une loi constitutionnelle pour la Turquie ottomane; il avait été signé par le
sultan Mehmet VI et les Puissances alliées. On le sait, ce traité n'a jamais été
appliqué. Certains articles du traité portait sur les droits des minorités
ethniques, notamment les articles 141 à 143. L'article 140 reconnaissait
le traité comme une loi fondamentale:
Article 140
La Turquie s'engage à ce que les stipulations contenues dans les
articles 141, 145 et 147 soient reconnues comme lois fondamentales, à ce
qu'aucune loi ni aucun règlement, civils ou militaires, aucun iradé impérial
ni aucune action officielle ne soient en contradiction ou en opposition avec ces
stipulations, et à ce qu'aucune loi, aucun règlement, aucun iradé impérial
ou aucune action officielle ne prévalent contre elles.
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L'article 141 engageait la Turquie à
accorder à tous ses habitants une pleine et entière protection de leur
vie et de leur liberté sans distinction de naissance, de nationalité, de
langage, de race ou de religion:
Article 141
La Turquie s'engage à accorder à
tous les habitants de la Turquie pleine et entière protection de leur
vie et de leur liberté sans distinction de naissance, de nationalité,
de langage, de race ou de religion.
Tous les habitants de la Turquie
auront droit au libre exercice, tant public que privé, de toute foi,
religion ou croyance.
Les atteintes au libre exercice du
droit prévu à l'article précédent, seront punies des mêmes peines,
quel que soit le culte intéressé.
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L'article 145 accordait à «tous les
ressortissants ottomans» les mêmes droits civils et politiques «sans
distinction de race, de langue ou de religion». Il était précisé aussi
au paragraphe 3 qu'il n'y aurait «aucune restriction contre le libre
usage par tout ressortissant ottoman d'une langue quelconque», que ce
soit dans les
relations privées ou commerciales, en matière de religion, de presse ou de
publications de toute nature, voire dans les réunions publiques. Il était même
énoncé que des «facilités
appropriées» seraient adoptées aux ressortissants ottomans dont la langue ne
serait pas le turc afin que leur langue puisse être utilisée à l'oral
comme à l'écrit devant les
tribunaux:
Article 145
1)
Tous les ressortissants ottomans seront égaux devant
la loi et jouiront des mêmes droits civils et politiques sans distinction de
race, de langue ou de religion. La différence de religion, le croyance ou de
confession ne devra nuire à aucun ressortissant ottoman en ce qui concerne la
jouissance des droits civils ou politiques, notamment pour l'admission aux
emplois publics, fonctions et honneurs ou l'exercice des différentes professions
et industries.
2)
Le Gouvernement ottoman présentera aux Puissances
alliés dans un délai de deux ans après la mise en vigueur du présent Traité, un
projet d'organisation du système électoral, basé sur le principe de la
représentation proportionnelle de minorités ethniques.
3)
Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre
usage par tout ressortissant ottoman d'une langue quelconque soit dans les
relations privées ou de commerce, soit en matière de religion, de presse, ou de
publications de toute nature, soit dans les réunions publiques. Des facilités
appropriées seront données aux ressortissants ottomans de langue autre que le
turc pour l’usage de leur langue soit oralement, soit par écrit, devant les
tribunaux.
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En vertu de l'article 147, les minorités
devaient jouir du même traitement et des mêmes garanties en droit que les autres ressortissants ottomans,
afin de créer et de contrôler à leurs frais tout établissement d'enseignement «avec le droit d’y faire librement usage
de leur propre langue et d’y exercer librement leur religion» :
Article 147
Les ressortissants ottomans appartenant à des minorités ethniques, de religion
ou de langue, jouiront du même traitement et des mêmes garanties en droit et en
fait que les autres ressortissants ottomans. Il auront notamment un droit égal à
créer, diriger et contrôler à leurs frais, indépendamment et sans aucune
ingérence des autorités ottomanes, toutes institutions charitables, religieuses
ou sociales, toutes écoles primaires, secondaires, et d’instruction supérieure,
et tous autres établissements scolaires, avec le droit d’y faire librement usage
de leur propre langue et d’y exercer librement leur religion.
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Le traité prévoyait même un
territoire pour un éventuel Kurdistan indépendant au sud de l'Arménie (voir
la carte du partage). Cependant, perçu comme extrêmement humiliant, les nationalistes turcs de Mustafa Kemal
ne l'ont jamais accepté et ils se sont aussitôt lancés dans des guerres contre la Grèce (guerre
gréco-turque) et contre l'Arménie (guerre turco-arménienne) dans
le but de
récupérer les «territoires perdus». Étant donné que la Turquie a gagné ces
deux guerres, le traité de Sèvres ne fut
jamais appliqué. Il fut remplacé par le
traité de Lausanne
et ratifié par la Turquie de Mustafa
Kemal. On peut consulter les autres dispositions du traité de Sèvres de 1920
en
cliquant ICI.
1.5 Le traité de
Lausanne (1923)
C'est donc le traité de Lausanne qui
a prévalu et qui constitue l'acte de naissance de la Turquie
moderne. Les parties signataires – l'Empire britannique, la France,
l'Italie, le Japon, la Grèce, la Roumanie, la Serbie et la Turquie –
définirent alors un cadre juridique pour la Turquie dont les
dispositions demeurent encore valables aujourd'hui. Autrement dit, le
traité de Lausanne de 1923 s'applique encore à la Turquie d'aujourd'hui,
mais des «adaptations» unilatérales ont paru nécessaires par les
dirigeants turcs qui ont fini par les appliquer selon leurs propres
intérêts.
À l'article 37 du traité de Lausanne,
la Turquie s'engageait à ce que les dispositions prévues dans le traité international
soient reconnues comme faisant partie des lois fondamentales au même titre que
la Constitution; l'État reconnaissait la prééminence du traité sur toute autre
loi, règlement ou «action officielle» du gouvernement. L'article 39 proclamait
le principe de la non-discrimination en matière de race, de religion et de langue.
L'article 39 prévoyait même l'entière liberté en matière de langue:
Article 37
La Turquie s'engage à ce que les stipulations contenues dans
les articles 38 à 44 soient reconnues comme lois fondamentales,
à ce qu'aucune loi, aucun règlement, ni aucune action officielle
ne soient en contradiction ou en opposition avec ces stipulations et à
ce qu'aucune loi, aucun règlement ni aucune action officielle ne
prévalent contre elles.
Article 39
Les ressortissants turcs appartenant aux minorités non musulmanes jouiront
des mêmes droits civils et politiques que les musulmans.
Tous les habitants de la Turquie, sans distinction de religion, seront
égaux devant la loi.
La différence de religion, de croyance ou de confession ne devra nuire à
aucun ressortissant turc en ce qui concerne la jouissance des droits civils et
politiques, notamment pour l'admission aux emplois publics, fonctions et
honneurs ou l'exercice des différentes professions et industries.
Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage par tout
ressortissant turc d'une langue quelconque, soit dans les relations privées
ou de commerce, soit en matière de religion, de presse ou de publications de
toute nature, soit dans les réunions publiques.
Nonobstant l'existence de la langue officielle, des facilités appropriées
seront données aux ressortissants turcs de langue autre que le turc, pour
l'usage oral de leur langue devant les tribunaux.
|
- Des dispositions non respectées
Toutefois, les principales dispositions n'ont jamais été
vraiment appliquées, car elles ne concernaient
que les minorités religieuses, notamment les chrétiens et les juifs,
et non pas les minorités linguistiques.
Le traité de Lausanne prévoyait explicitement des exceptions pour les minorités
grecques de Constantinople (aujourd’hui Istanbul), des îles d'Imbros et de Ténédos
(à l’embouchure du détroit des Dardanelles dans la mer Égée), ainsi que pour
les minorités turques de la Thrace occidentale (en Grèce). En 1923, l'île
d'Imbros (appelée aujourd'hui du nom turc de Gökçeada) était peuplée
à 95 % de Grecs orthodoxes, l'île de Ténédos (maintenant
en turc: Bozcaada), à 75 %. Ces deux îles auraient dû, d'après le traité de
Lausanne, devenir autonomes au sein de l'État turc, ce qui ne fut guère le cas.
Aujourd'hui, il ne reste plus que quelques dizaines de Grecs sur ces îles (environ
une trentaine), mais 2400 Turcs. On peut consulter la page sur cette question
en cliquant ICI, s.v.p.
Les autorités
turques sont restées fidèles à leur politique d'assimilation et ont toujours
soutenu que le traité de Lausanne n’accordait un statut qu'aux «minorités non musulmanes»
(donc religieuses) et n'en désignait aucune en particulier. C'est pourquoi l’État turc n’accorde le
statut de minorité qu’à trois d'entre elles: les chrétiens orthodoxes grecs, les
chrétiens orthodoxes arméniens et les juifs.
Ainsi, aucun droit linguistique n’a été reconnu aux
minorités de Turquie, que ce soit les Arméniens, les Bulgares, les Grecs et les
Kurdes qui ont particulièrement été victimes de la répression turque. Pourtant, la question des minorités avait été vivement
débattue au cours des négociations menant au traité de Lausanne.
- Des droits fondés sur la réciprocité
En prenant
en considération l'article 5 du Pacte national de 1920, qui promettait que les
droits strictement religieux accordés aux minorités par des traités européens devraient être
accordés aux minorités en Turquie, les Alliés occidentaux avaient longuement
essayé d'obtenir de la délégation turque (mais en vain) la reconnaissance des
minorités sur une base linguistique:
Article 5
Les droits des minorités seront confirmés par nous sur la même
base que ceux établis au profit des minorités dans d'autres pays par
les conventions ad hoc conclues entre les Puissances de l'Entente,
leurs adversaires et certains de leurs associés.
D'autre part, nous avons la ferme conviction que les minorités
musulmanes des pays avoisinants, jouiront des mêmes garanties en ce
qui concerne leurs droits. |
Or, le droit interne turc et les pratiques de l’État ne donnent
pas plein effet à ces droits, mais au contraire remettent systématiquement en
cause l’application même du traité de Lausanne,
notamment en vertu de la clause dite de «réciprocité» de l'article 45:
Article 45
Les droits reconnus par les stipulations de la présente section
aux minorités non musulmanes de la Turquie, sont également
reconnus par la Grèce à la minorité musulmane se trouvant
sur son territoire.
|
Cet article
accorde à la minorité musulmane de la Grèce les mêmes droits
qu’aux minorités non musulmanes de Turquie, ce qui a permis à chacune des
parties de remettre en cause plusieurs des droits aux citoyens membres de ces
minorités. Alors que le traité de Lausanne
instituait la notion de réciprocité en des termes «positifs», son application
s’est étendue, tant en Grèce qu'en Turquie, de façon «négative».
En effet, la Cour constitutionnelle turque a interprété ces dispositions selon
le principe du «donnant-donnant»: la Turquie s'engageait à respecter les droits
des minorités conférés par le traité aussi longtemps que la Grèce les
respectait. Or, une telle interprétation apparaît contraire à l’article 45 du
traité, qui prévoyait des responsabilités parallèles, et non interdépendantes,
pour chaque partie.
De plus, ces droits étaient «religieux», non «linguistiques».
Quant au Conseil de l'Europe, il estime que la
reconnaissance de droits fondés sur la stricte réciprocité est «inacceptable eu
égard au droit international des droits de l’homme», «anachronique» et «nuisible
à la cohésion nationale en ce que chaque État punit ses propres citoyens».
D'ailleurs, l’article 60.5 de la Convention de Vienne sur le droit des traités
interdit le principe de réciprocité dans le domaine des droits de l’Homme.
Article 60
5) Les paragraphes 1 à 3 ne s’appliquent pas aux dispositions relatives à
la protection de la personne humaine contenues dans des traités de caractère
humanitaire, notamment aux dispositions excluant toute forme de représailles à
l’égard des personnes protégées par lesdits traités. |
Pour la Turquie, le principe de la réciprocité permettait de
nier les droits des minorités; il suffisait d'accuser la Partie signataire
de ne pas appliquer les dispositions du traité et les droits étaient
automatiquement perdus.
- Des représailles en lieu et place des droits
Au lieu de respecter les clauses du traité, les parties en
sont venues à exercer des représailles auprès de leurs propres citoyens afin de les
«punir» pour le non-respect pratiqué par l'autre État. De
plus, les autorités turques ont toujours interprété les dispositions du
traité de manière extrêmement restrictive, car celles-ci se sont limitées aux
communautés arménienne (apostolique, catholique et protestante), grecque-orthodoxe et juive.
Les dispositions du traité de Lausanne ne protègent pas des communautés
existant pourtant en Turquie, avant même l’établissement de la république
de Turquie, telles que les Assyro-Chaldéens et les catholiques non arméniens.
Dans toute la législation turque, seul le traité de Lausanne de 1923 consacre
la notion de minorité religieuse, non pas celle de minorité linguistique.
Au final, que ce soit pour la minorité musulmane de Thrace
ou de la minorité orthodoxe grecque de Turquie, les deux États ont adopté une
perception «extérieure» à l'égard de leur minorité reconnue. En effet, tandis
que la Turquie «surveille» la minorité musulmane de Thrace par un consulat général
situé à Komotini, la Grèce tente de protéger sa minorité religieuse orthodoxe de
Turquie au moyen d'un bureau des Affaires politiques relevant du ministère des
Affaires étrangères. Bref, les minorités intra-muros doivent être
protégées par des instances extra-muros, ce qui est un non-sens.
Il faut dire que la compréhension de la notion de minorité est
fondamentalement liée au «nationalisme turc», lequel s’est toujours
exprimé au cours de l’histoire par un rejet de toutes les minorités
chrétiennes — par exemple, le génocide de 1915 contre les Arméniens, les
émeutes antichrétiennes de 1955 et les nombreuses exactions contre les Grecs (à la suite de
la partition de l’île de Chypre) et par une politique intensive
de turquisation qui a associé exclusivement la notion de citoyenneté à celle
de l’ethnie turque et de la religion musulmane. Cette mentalité a imprégné
toute la société turque qui manifeste en règle générale un rejet certain à
l’encontre des minorités nationales perçues comme des «ennemis des Turcs».
2 L'application de la politique linguistique
L'État turc a toujours appliqué une politique restrictive, voire répressive, à l'égard de ses
minorités. Forcément, la Turquie ne peut pas, en un tournemain, se débarrasser de ses vieilles
«habitudes» séculaires. En tant que langue officielle, il est normal que tous les organismes de l'État ne
fonctionnent qu'en turc : Parlement, cours de justice, administration publique,
écoles, médias, etc. Les seuls cas où il est possible d'utiliser une autre
langue ont trait aux tribunaux au moyen de la traduction et à l'enseignement des langues
étrangères.
2.1 Le Parlement turc
La seule langue officielle du Parlement turc
est le turc. Celui-ci compte environ 150 députés d'origine kurde (sur un total de
550), tous partis politiques confondus (soit près de 30 %). Ces élus représentent le Sud-Est
anatolien à l'Assemblée nationale d'Ankara. Ils n'ont pas le droit d'utiliser
le kurde, ni promouvoir une idéologie kurde. En Turquie, le rôle du
Parlement consiste surtout à couvrir l’action de l’État, de l’armée et de la
police. Au-dessus du Parlement, il y a les membres du Conseil de sécurité
nationale, et ce sont eux qui prennent les véritables décisions. Les
parlementaires sont un peu comme des notaires qui enregistrent les décisions.
En 1991, Leyla
Zana devint la
première femme kurde à avoir été élue au Parlement turc. Le jour même de son
assermentation, elle fut emprisonnée parce
qu'elle avait fait une brève déclaration en kurde et portait un
bandeau rouge, jaune et vert, les couleurs traditionnelles kurdes. Leyla Zana
avait alors prononcé ces quelques mots en kurde: «Vive la paix entre les
peuples kurde et turc.» Privée de ses droits, elle ne fut finalement
libérée qu'en 2004 pour «vice de forme».
En Turquie, les
députés kurdes, comme les autres, doivent «rentrer dans le rang» et ne jamais
soulever la controverse. En
guise de «reconnaissance», certains ont pu devenir des ministres importants (à l'Intérieur,
à la
Justice, aux Affaires étrangères et même la fonction de premier ministre, par
exemple Turgut Özal). Le
territoire kurde de Turquie vit encore sous un régime féodal. Et les potentats
locaux se font facilement élire à l'Assemblée nationale, mais il ne semble pas
toujours dans leur
intérêt personnel que la situation de leurs compatriotes kurdes s'améliore!
2.2 Les langues et la justice
L'article 263 de la
Loi sur la procédure civile (2011) prévoit
que, dans une cours de justice, «si le témoin ne parle pas le turc,
il est entendu par l'intermédiaire d'un interprète»:
Article 263
Emploi
d'interprètes et
d'experts
1) Si le
témoin ne parle pas
turc, il est entendu
par l'intermédiaire
d'un interprète.
2)
Si le témoin est
sourd et muet et
sait lire et écrire,
les questions lui
sont notifiées par
écrit et ses
réponses sont
imprimés;
s'il
ne sait ni lire ni
écrire, le juge
écoute avec l'aide
d'un expert qui
comprend la langue
des signes.
|
Il ne s'agit
pas là d'un droit, mais d'un privilège. Pourtant, l'article 39 du
traité de Lausanne prévoyait à l'égard des minorités «des facilités appropriées
[...] pour l'usage oral de leur langue devant les tribunaux.» Le recours à un
interprète dans les cours de justice ne constituera jamais un droit des
peuples.
Présentement, l'article 312 du
Code pénal accorde aux tribunaux une
très grande latitude en matière de délits d'opinion. Les propos qui
favoriseraient le «séparatisme» et le «réactionnisme» sont sévèrement
sanctionnés. L’article 312 du Code pénal précise que prononcer ou
écrire le mot Kurdistan équivaut à «faire de la propagande séparatiste-terroriste».
Les centaines de journalistes et d'écrivains qui croupissent dans les prisons
turques en savent quelque chose. Chaque année, près de 200 journalistes sont
incarcérés pendant des périodes plus ou moins longues pour avoir voulu exercer
librement leur métier, et des dizaines d'entre eux sont torturés lors de leur
détention. Le nombre de publications saisies ou de médias censurés est
impressionnant et doublerait tous les trois ans.
Quant à l'article 159 du
Code pénal, il châtie l’insulte ou le mépris à l'égard de l'identité
turque (turcité), ainsi qu'à l'égard de la République, de l'Assemblée nationale, du gouvernement, des
ministres, des forces de sécurité et de la Justice»:
Article 159
(Modifié : 1961/235)
1) Ceux qui insultent publiquement ou ridiculisent la personnalité morale de
la turcité, de la République, de l'Assemblée nationale, du Gouvernement,
des ministres, des militaires ou des forces de sécurité de
l'État, ou encore de l'appareil judiciaire, seront passibles d'une pénalité d'un
minimum d'un an et d'un maximum de six ans d'emprisonnement à sécurité maximale.
2) Si l'insulte à la turcité est effectuée dans un pays étranger par un
Turc, la pénalité donnée sera augmentée du tiers à la moitié.
|
Encore aujourd'hui, le seul fait de prononcer le mot «kurde» tombe sous
l’accusation d’une «incitation à la haine raciale». Le fait de parler kurde est
synonyme de «terrorisme» et de «séparatisme». Pourtant, ce ne sont que des mots...
pas des actes violents. Dans bien d'autres pays, l'insulte ne constitue pas
un crime.
L’article 301 relatif au dénigrement de l’identité turque, de la
République, et des fondements et institutions de l’État, a été introduit dans le
cadre des réformes législatives du 1er juin
2005, en remplacement de l’article 159 de l’ancien Code pénal. Or, Amnistie
Internationale s’était souvent opposée à l’usage de l’article 159 pour poursuivre
des opinions critiques non violentes, et avait demandé aux autorités turques
d’abolir cet article. Voici cet article 301:
Madde 301 (version
originale turque)
Türklügü, Cumhuriyeti, Devletin
kurum ve organlarini asagilama
1) Türklügü, Cumhuriyeti
veya Türkiye Büyük Millet Meclisini alenen
asagilayan kisi, alti aydan üç yila kadar hapis cezasi ile
cezalandirilir. 2)
Türkiye Cumhuriyeti Hükûmetini, Devletin yargi organlarini, askerî
veya emniyet teskilatini alenen asagilayan kisi, alti aydan iki yila
kadar hapis cezasi ile cezalandirilir.
3) Türklügü asagilamanin
yabanci bir ülkede bir Türk vatandasi tarafindan islenmesi hâlinde,
verilecek ceza üçte bir oraninda artirilir.
4) Elestiri amaciyla
yapilan düsünce açiklamalari suç olusturmaz. |
Article 301 (modifié en 2005)
Insulte à la turcité, à la
République, aux institutions et aux organismes de l'État
1) Toute personne qui insulte
publiquement la turcité, la République
ou la Grande Assemblée nationale de Turquie sera punie d’une peine
de prison allant de six mois à trois ans.
2) Une personne qui insulte
publiquement le gouvernement de la République turque, l'appareil
judiciaire de l’État, l’armée ou les services de police sera punie
d’une peine de prison allant de six mois à deux ans.
3)
Dans le cas où l'insulte à la
turcité est pratiquée par un citoyen
turc dans un pays étranger, la peine qui sera octroyée sera majorée
d’un tiers.
4)
L’expression de la pensée sous forme de critique ne peut être
sanctionnée.
|
Par ailleurs, le rapport de la Commission européenne sur
l’élargissement de l’Union européenne, rendu public le 8 novembre 2006,
soulignait que ce cadre juridique actuel ne garantit pas la liberté d’expression
de façon conforme aux normes européennes, car il s'agirait d'une façon de
restreindre la liberté d’expression:
Nous ne pouvons que souscrire à ces conclusions et
rappeler que l’article 301
du Code pénal,
entré en vigueur le 1er
juin 2005, permet une exploitation de la loi à des fins de contrôle de
l’activité des médias. |
Non
seulement la justice turque applique l’article 301 selon une interprétation
rigoureuse, mais elle n’applique pas le paragraphe 4 qui énonce que
«l’expression de la pensée sous forme de critique ne peut être sanctionnée».
Par contre, les langues étrangères telles l'anglais, le
français ou l'allemand, sont reconnues dans la
Loi sur l'exécution des peines et sur les mesures de sécurité
(2004). En effet, les détenus qui ne connaissent pas le turc doivent
recevoir toute information utile «dans
leur langue maternelle ou, si cela n'est pas possible, en anglais, en
français ou en allemand».
Article 22
Information aux détenus, aux proches et aux personnes concernées
1) Les administrateurs de l'institution doivent, oralement et par
écrit, fournir aux détenus lors de leur admission dans l'établissement
les informations concernant les questions sur les activités de
traitement à mettre en œuvre, les infractions et les sanctions
disciplinaires, les moyens pour obtenir des renseignements et formuler
des
plaintes, leurs droits et leurs responsabilités,
ainsi que toute information qui pourrait être utile pour leur adaptation
à la vie dans l'institution.
Des informations doivent également être données au sujet de la
protection et de l'aide à la suite de la mise en
œuvre.
Les détenus de nationalité étrangère, qui ne connaissent pas le turc,
doivent être informés dans leur langue maternelle ou, si cela n'est pas
possible, en anglais, en français ou en allemand.
Les malentendants doivent recevoir des explications dans la langue des
signes.
Les non-voyants doivent recevoir une brochure écrite dans leur propre
alphabet. |
Il ne faut pas croire que la «langue maternelle» (en turc: "kendi
dilinde": mot à mot «dans leur propre langue») dont il est question ici
concerne le kurde, l'arménien, le grec out toute autre langue
minoritaire, il s'agit des ressortissants étrangers avec l'anglais, le
français ou l'allemand.
2.3 L'Administration publique
En ce qui concerne l'Administration publique, seul le turc est
admis, car toute autre langue est interdite. Quant au kurde, il est tout aussi interdit, même dans les régions kurdes. Les autres langues minoritaires ne sont
pas davantage employées. Par ailleurs, en septembre 2000, le
gouvernement turc a fait adopter à toute vapeur un règlement visant à
éliminer de la fonction publique les «séparatistes» (c'est-à-dire les Kurdes)
et les «réactionnaires» (c'est-à-dire les islamistes). On estime à 200 000
le nombre de ceux qui auraient été limogés après un procédé de délation en
bonne et due forme.
Une ancienne loi, adoptée le 10 juin 1949 et encore en vigueur, la
Loi sur l'administration provinciale, n° 5442, modifiée en 1959, donne la possibilité au
ministère de l'Intérieur de changer les noms des villages portant des noms qui
ne sont pas en langue turque:
Article 2/d/2
Les noms de village qui ne sont pas en turc et prêtent à confusion
doivent être modifiés dans le plus bref délai possible par le ministère de
l'Intérieur sur réception de l'avis du Comité provincial permanent. |
On pourrait aussi citer la loi n° 5816 adoptée le 25 juillet
1951 (Loi
relative aux crimes commis contre Atatürk) et concernant les crimes commis contre la personne d'Atatürk:
Article 1er
1) Quiconque insulte publiquement ou maudit la mémoire d'Atatürk
est incarcéré avec une lourde sentence entre un et trois
ans.
2) Une
sentence lourde entre un à cinq ans est rendue à quiconque détruit,
brise, ruine ou barbouille une statue, un buste ou un monument
représentant Atatürk ou la tombe d'Atatürk.
3) Quiconque encourage les autres à commettre les crimes décrits
dans les paragraphes ci-dessus est puni comme s'il avait commis le crime.
|
L'article 2 précise que les crimes décrits à l'article 1er sont commis par un
groupe de deux ou plusieurs individus en public ou dans des lieux
publics ou encore au moyen de la presse, la pénalité sera doublée. La loi
ne précise pas s'il est plus grave d'insulter la mémoire d'Atatürk en kurde
plutôt qu'en turc.
La question des prénoms kurdes mérite l'attention.
Ceux-ci ont longtemps fait l'objet d'une interdiction aujourd'hui levée.
Cependant, l'État turc a trouvé une solution ingénieuse pour continuer à
interdire les prénoms kurdes. L'alphabet turc ne dispose pas des lettres [q],
[w] et [x], lesquelles sont indispensables pour transcrire la langue kurde,
notamment le kurmandji. Il en résulte que tous les noms kurdes comprenant ces
trois lettres sont simplement interdits. Ainsi, en 2002, un tribunal siégeant à
Dicle dans la province de Diyarbakir a condamné une famille qui avait donné des
prénoms kurdes à leurs enfants. La Cour a imposé aux parents de donner de
nouveaux noms à leurs enfants, afin de les rendre plus conformes à la «culture
nationale», parce qu'«il est interdit de donner des prénoms susceptibles
de heurter l’opinion et qui sont contraires à nos traditions, aux règles de la
morale et à notre culture nationale».
En septembre 2003, une circulaire du ministère de l’Intérieur ordonnait aux
autorités locales d’autoriser les prénoms kurdes, appelés «prénoms à consonance
ethnique»: «Les prénoms donnés par nos concitoyens, selon leurs
traditions, qui sont formés à partir de l'alphabet turc, dans la lignée des
valeurs morales (...) et qui ne sont pas offensants, ne violent pas la loi de
l'état civil.» Mais le Ministère a refusé l'emploi des lettres
[q], [w] et [x].
2.4 La langue
maternelle des citoyens turcs
Bien qu'il existe plus d'une quarentaine de langues minoritaires
en Turquie, la langue maternelle des citoyens turcs doit être le turc. L'une des lois les plus sévères
à ce sujet est la
loi n° 2820 portant statut des
partis politiques, publiée le 24 avril 1983 au Journal officiel de la République
turque. Cette loi contient des dispositions très claires au sujet des
minorités linguistiques. Voici comment est libellé l'article 81:
Article 81
Prévention contre la création des minorités
Les partis politiques :
a)
ne peuvent affirmer qu'il existe sur le territoire de la
république de Turquie des minorités fondées sur une différence nationale ou
religieuse, culturelle ou confessionnelle ou raciale ou linguistique;
b)
ne peuvent avoir pour objectif et mener des activités visant
à saper l'unité nationale ou de participer à des activités à cette fin en créant des minorités sur le territoire de la république
de Turquie par la protection, le développement et la diffusion d'une langue et d'une
culture autres que la langue et la culture turques;
c)
ne peuvent utiliser une autre langue que le turc dans la
rédaction et la publication de leurs statuts et leur programme, ni dans leurs
congrès, rassemblements en plein air ou réunions à l'intérieur, ni
dans leur publicité; ils ne peuvent utiliser ni diffuser des
calicots, affiches, disques, enregistrements sonores, films, brochures et tracts rédigés
dans une autre langue que le turc; ils ne peuvent pas non plus rester indifférents à ce
que ce genre d'actions soient menées par d'autres. Cependant, ils peuvent traduire leurs
statuts et leurs programmes dans les langues étrangères autres que celles qui sont
interdites par la loi.
|
En vertu de cette loi, il est interdit
d'affirmer qu'il existe sur le territoire de la république de Turquie des
minorités fondées sur une différence nationale ou religieuse, culturelle ou
confessionnelle ou raciale ou linguistique. Le fait de ne pas reconnaître une
réalité ne l'empêche pas d'exister quand même.
Cette disposition est renforcée par la loi n° 2932 du 19 octobre 1983 (ou
loi n°
2932 du 19 octobre 1983 relative aux publications faites dans une autre langue que le turc)
qui révèle l'essentiel de la politique linguistique du gouvernement turc. Afin de
sauvegarder «l'intégrité indivisible de l'État avec son territoire et sa
nation», la loi règle toutes les procédures et les principes «relatifs à
l'interdiction de l'usage des langues pour divulguer et diffuser les opinions»
(art. 1). L'article 2 rappelle qu'il est interdit de diffuser et de divulguer les opinions
dans une autre langue que celle reconnue par l'État turc. Puis l'article 3 déclare, en
trois paragraphes, que la langue maternelle des citoyens turcs est le turc et qu'il est
interdit d'utiliser une autre langue que le turc.
Article 1er Afin de sauvegarder l'intégrité indivisible de l'État avec son
territoire et sa nation, la souveraineté nationale, la République, la
sécurité nationale, l'ordre public, la présente loi réglemente les procédures
et les principes relatifs à l'interdiction de l'usage des langues pour
divulguer et diffuser les opinions.
Article 2
Langues qui pourront être utilisées pour divulguer et diffuser des
opinions
1) Il est interdit de diffuser et de divulguer des opinions dans une
autre langue
que la première langue officielle des États reconnus par l'État turc.
2) Sont réservées les dispositions relatives aux traités internationaux
dont la Turquie est à partie, à l'éducation, à l'enseignement, aux
recherches scientifiques et aux publications des établissements publics.
Article 3
La langue maternelle des citoyens turcs
1) La langue maternelle des citoyens turcs est le turc.
2) Il est interdit d'utiliser comme langue maternelle d'autres langues que
le turc et de se livrer à des activités visant à la diffusion de ces
langues.
3) Sous réserve de l'approbation préalable de l'autorité administrative
compétente [...], il est
interdit de porter dans les réunions et les manifestations des affiches, des
pancartes, des calicots, des écriteaux, etc., rédigées en une autre langue
que le turc, même dans les langues non interdites par cette loi, et de
diffuser par des disques, des enregistrements sonores et magnétoscopiques et
par d'autres appareils et outils servant à diffuser des opinions en une autre
langue que le turc.
|
Cependant, cette
loi a été abrogée par la
loi anti-terroriste
n° 1991/3713. Bref, tous les citoyens ont le droit d'utiliser leur langue à l'exception de
celles interdites par la loi, c'est-à-dire toute autre langue que la «langue
maternelle des citoyens turcs» qui, dans tous les cas, est le turc.
Pour le
gouvernement turc, il ne semble y avoir là aucune contradiction entre le
reconnaissance de la liberté de la langue et l'interdiction des autres langues
que le turc, sauf s'il s'agit de la «liberté de la seule langue turque». Cette
loi, en principe abolie en 1991, est demeurée en vigueur malgré les
déclarations officielles des dirigeants turcs concernant la «réalité
kurde», car une nouvelle loi a autorisé l'emploi du kurde en privé
et dans la musique, les disques et les cédéroms, les vidéos et autres moyens d'expression.
Toutefois, le kurde continue d'être interdit dans les bureaux de
l'Administration, les textes imprimés, la radio et la télévision publiques, etc.
Soulignons aussi que l'article 5 de la
Loi sur les associations
(2004), n° 5253,
interdit encore la formation d'associations qui ont pour but «de promouvoir une proposition selon laquelle il
existerait des minorités au sein de la République turque
en fonction des différences de classe, de race, de langue, de religion ou de
région, ou de créer des minoritésla création de
minorités» :
Article 5
Associations
qu'il est interdit de créer
Aucune association ne peut être créée en contradiction
avec les principes de base mentionnés dans le préambule
de la Constitution.
Il est interdit de fonder une association dans le but :
1. De détruire l'unité indivisible de l'État turc et de
la nation;
2. De menacer ou de détruire, en raison des différences de classe, de race, de
langue, de religion ou de région, l'existence de la
République turque décrite dans la Constitution;
6.
De promouvoir une proposition selon laquelle il
existerait des minorités au sein de la République turque en
fonction des différences de classe, de race, de langue,
de religion ou de région, ou de créer des minorités en
protégeant, en favorisant ou en propageant des langues
ou des cultures distinctes de la langue et de la culture
turques, ou de faire des habitants d'une
région, d'une race, d'une classe, d'une religion ou
d'une secte dominante ou privilégiée une catégorie au dessus des
autres; |
L'article 6 de la
Loi sur les associations
mentionne que les associations n'ont pas le
droit d'utiliser «des langues interdites par la loi, que ce soit dans leurs règlements ou dans
le texte d'une réglementation ou de publications d'association»:
Article 6
Interdiction
d'utiliser certains noms, certaines affiches et
certaines langues
Les associations ne peuvent pas utiliser :
1. Le nom, les emblèmes, les affiches, les rosettes et
les signes similaires à un parti politique, un parti
politique condamné, un syndicat, une confédération, une
association ou une organisation supérieure condamnée par
un tribunal, conformément à l'article 76 de la présente
loi, ni aucun drapeau, emblème ou
fanion associé à une société appartenant à d'anciens États turcs;
2. (Abrogé : 04/12/1991 - 3713/art. 23).
3.
Des langues interdites par la loi, que ce soit dans
leurs règlements ou dans le texte d'une réglementation
ou de publications d'association, dans leur assemblée
générale, ou dans toute assemblée officielle ou privée,
publique ou à huis clos;
|
Enfin, l'article 65 de la même loi énonce que
«les associations ont le droit d'ajouter à leur raison
sociale seulement les
mots "Turcs", "Turquie", "National", "République", "Atatürk" et
"Mustafa Kemal", au besoin avec des suffixes ou des préfixes s'y
rapportant» :
Article
65
Noms
d'association soumis à une autorisation
1)
Les associations ont le droit d'ajouter à leur raison
sociale seulement les
mots «Turcs», «Turquie», «National», «République», «Atatürk» et
«Mustafa Kemal», avec des suffixes ou des préfixes s'y
rapportant, par résolution du Conseil des ministres.
|
Voilà des dispositions qui en disent long sur les restrictions du
gouvernement turc.
2.5 Les langues d'enseignement
Tels que définis dans la
Loi
fondamentale sur l'éducation de 1973, n° 1739, les objectifs et les
principes de l'éducation nationale turque sont, entre autres, de sensibiliser
les citoyens redevables aux principes et aux réformes d'Atatürk à adopter son
concept du nationalisme tel que défini dans la Constitution; à protéger les
valeurs nationales, morales, humaines, spirituelles et culturelles de la nation
turque; à aimer et édifier leur famille, la patrie et la nation ; à être
conscients de leurs obligations et de leur responsabilités envers la République
turque, qui est un État démocratique, laïc et social fondé sur les droits de
l'Homme et les principes de base définis dans le Préambule de la Constitution,
et à se comporter en conséquence. Le discours de l’État kémaliste républicain de
1923 est ainsi constamment réaffirmé. Son influence sur le système éducatif et
la famille est total.
Le système d’enseignement turc comprend l'éducation préscolaire,
l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.
Dans toutes les écoles de Turquie, l’enseignement n'est dispensé qu’en turc.
L'article 2 de la
Loi sur l'éducation et l'enseignement d'une langue étrangère,
n° 2923 (1983), portant sur
l'éducation et l'enseignement des langues étrangères est
précise à ce sujet:
Article 2
a) La langue maternelle des citoyens turcs ne
peut être enseignée dans une autre langue que le turc.
c) En prenant en considération l'avis du Conseil de la sécurité nationale, le
Conseil des ministres détermine par décret quelles langues étrangères il
est possible d'apprendre en Turquie. |
L'article
24 de la
Loi sur les établissements d'enseignement particuliers (1965-1883)
impose la connaissance du turc et un personnel turc dans les écoles ouvertes
par des étrangers et proposant un enseignement dans une autre langue que le
turc:
Article 24
1) Les directeurs d'écoles privées qui enseignent dans une
autre langue que le turc et qui ont été ouvertes par des étrangers
doivent recommander au ministère de l'Éducation nationale une
personne possédant les qualifications pour donner des cours de turc
ou de culture turque et connaissant la langue d'enseignement pour le
ministère de l'Éducation nationale afin d'émettre un permis de
travail en tant que directeur adjoint du directeur turc.
2) S'il n'y a pas d'enseignant pour les cours de turc et de
culture turque, cette tâche peut également être confiée à des
enseignants d'origine turque et de nationalité de la République
turque qui ont reçu un enseignement spécial dans la langue
d'enseignement de l'école.
3) Le ministère de l'Éducation nationale doit sélectionner
les directeurs adjoints turcs des écoles, qui ne font pas cette
proposition dans un délai d'un mois malgré l'avertissement, parmi
les enseignants qui satisfont aux conditions ci-dessus et les
mettent en service. |
La
Loi n°
2932 du 19 octobre 1983 relative
aux publications faites dans une autre langue que le turc,
aujourd'hui abrogée, interdisait d'utiliser comme langue maternelle d'autre
langue que le turc:
Article 3
(abrogé)
La langue maternelle des citoyens turcs
1) La langue maternelle des citoyens turcs est le turc.
2) Il est interdit d'utiliser comme langue maternelle d'autres langues que
le turc et de se livrer à des activités visant à la diffusion de ces
langues.
|
Autrement dit, l'État turc décrète qu'il
n'existe pas d'autre langue maternelle que le turc pour les citoyens turcs.
Pourtant, le tableau des langues maternelles utilisées (voir la page) compte
une cinquantaine de langues, pas seulement le turc. Pour les autorisés
turques, ces langues sont sans doute des «dialectes».
La langue maternelle La Constitution
turque déclare à l'article 42 que «nul ne peut être privé de son droit à l'éducation et à
l'instruction», mais que «aucune langue autre que le turc ne peut être
enseignée aux citoyens turcs en tant que langue maternelle ou servir à leur
offrir un enseignement en tant que telle dans les établissements
d'éducation et d'enseignement»:
Article 42
1) Nul ne peut être privé de son droit à l'éducation et à
l'instruction.
10) Aucune langue autre que le turc ne peut être enseignée aux citoyens
turcs en tant que langue maternelle ou servir à leur offrir un
enseignement en tant que telle dans les établissements d'éducation et
d'enseignement. La loi fixe les règles relatives à l'enseignement des
langues étrangères dans les établissements d'éducation et d'enseignement
ainsi que celles auxquelles doivent se conformer les écoles où l'éducation
et l'enseignement sont dispensés dans une langue étrangère. Les
dispositions des conventions internationales sont réservées. |
Évidemment, cette disposition du paragraphe 10
implique que l'enseignement doit se faire obligatoirement en turc.
Cette disposition constitutionnelle est une entrave de poids pour le
développement de toute langue minoritaire en Turquie. Ce paragraphe
10 devrait être aboli au plus tôt.
- L’éducation préscolaire
En Turquie, l'enseignement préscolaire n'est pas obligatoire; c'est une
option offerte aux enfants de 3 à 5 ans par le système
d'éducation. Ces écoles, appelées ailleurs «écoles maternelles» ne sont
guère nombreuses, et généralement privées et payantes. Certaines classes de
maternelle sont ouvertes gratuitement dans certaines villes parmi les écoles
primaires. En 2006, seulement 15 % des enfants fréquentaient ce genre
d'écoles. Les programmes d'enseignement à la maternelle ne comprennent que
des cours de langue turque, ainsi qu'une initiation à l'écriture et à la
lecture, puis des éléments sur l'hygiène et l'environnement, sans oublier
des jeux organisés.
- Les études primaires
Même si le taux de scolarisation approche les 99 % au primaire, il existe
des disparités entre les différentes régions, entre le monde rural et celui
des villes, ainsi qu’entre la scolarisation des garçons et celle des filles.
Le taux d’absentéisme des élèves est beaucoup plus élevé en milieu
rural puisque ces derniers doivent souvent participer aux travaux de la ferme.
L'enseignement primaire dure normalement huit années. La matière la plus importante en
terme d'heures est la langue turque, suivie de l'éducation civique et des
mathématiques. Les langues étrangères, l'anglais, sont enseignées à partir
de la 4e année, c'est-à-dire à dix ans, à
raison de deux heures par semaine. Lorsqu'un élève n'a pas obtenu les résultats
souhaités à la fin l'année, il doit la redoubler. Dans les écoles publiques,
les élèves doivent porter un uniforme.
Parallèlement au système
public, il existe des écoles primaires privées offrant un enseignement
moyennant des frais élevés. Dans ces établissements, il est possible
d'enseigner dans une autre langue, c'est-à-dire dans une langue dite
internationale, l'anglais, le français, l'allemand, le russe, etc.
- Les études secondaires
Au terme de leur scolarité du primaire, les élèves peuvent poursuivre
leurs études dans des établissements d'enseignement général et technique ou
des établissements professionnels (trois ou quatre années). Dans ces
établissements, l'objectif est d'offrir un enseignement général, mais seul
un cinquième des élèves poursuivent leurs études au secondaire.
Les
disciplines enseignées dans les établissements secondaires sont la langue et
la littérature turques, la religion, la culture et la philosophie,
l'histoire et la géographie, les mathématiques, la biologie, la physique, la
chimie, l’hygiène, les langues étrangères (anglais, français et allemand).
Le français n'est enseigné qu'à 2,2 % de la population scolaire. En 2004, le ministère turc
de l'Éducation a annoncé que, outre l'anglais, la première langue
obligatoire, les jeunes enfants devront désormais choisir entre le français
et l’allemand comme seconde langue obligatoire. Cette mesure, dictée par la
candidature de la Turquie à l'adhésion à l'Union européenne semble
appréciable dans la mesure où, depuis une trentaine d'années, l'usage et
l'enseignement du français reculent devant celui de l'anglai
s.
Les élèves ayant terminé leurs études secondaires peuvent accéder à
l'université après un concours d'admission.
La Turquie s'est doté aussi de «lycées de langue
étrangère», lesquels préparent les élèves doués au moyen de programmes
d'enseignement supérieur correspondant à leurs intérêts et à leurs
aptitudes. Ces lycées offrent un enseignement plus soutenu dans une langue
étrangère, généralement l'anglais, mais aussi le français, l'allemand ou
l'italien. La durée de ces études est de quatre ans, mais la première année
correspond à un programme intensif de préparation à la langue étrangère.
Ces établissements
d'enseignement sont en réalité des «lycées
turcs ouverts par des étrangers». À ce
titre, ils relèvent du ministère de
l'Éducation et les programmes scolaires sont
similaires à ceux des écoles publiques
turques. Les lycées de langue étrangère
offrent obligatoirement un bilingue
turc-anglais ou turc-français, etc., alors
que les matières scientifiques sont
enseignées dans la langue étrangère. Cet
enseignement bilingue permet aux élèves qui
obtiennent leur diplôme de bénéficier d'une
exemption de baccalauréat leur permettant
d'accéder directement aux universités
étrangères.
- Les études supérieures
Il existe en Turquie plus d'une cinquantaine d'universités publiques et
quelque 25 universités privées (6 % des étudiants y ont accès), ainsi qu'une dizaine
d’écoles et d’académies militaires et de polices, pour un total de
quelque deux millions d'étudiants. Le système d'éducation universitaire
est très centralisé. Le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK)
contrôle les programmes d’enseignement et dispose de pouvoirs
disciplinaires importants. Ce contrôle ne concerne pas
seulement l'administration, mais aussi les contenus de l’enseignement et
de la recherche. Pour beaucoup d'universitaires, les pouvoirs du YÖK
sont généralement jugés excessifs.
C'est le gouvernement
qui désigne les responsables de tous les échelons de la hiérarchie
universitaire. Dans les universités publiques, le turc constitue la
langue d'enseignement, mais dans certaines universités privées
l'enseignement se fait en anglais.
Par ailleurs, on estime qu'environ 40 000 jeunes Turcs font des études
supérieures à l'étranger, dont la moitié le font en anglais.
Les étudiants étrangers qui fréquentent une université
turque doivent réussir un examen de langue turque avant leur admission,
appelé «Turkish Language Proficiency». Ceux qui échouent à cet examen
doivent suivre un programme d'apprentissage du turc durant une année
complète dans le but d'acquérir un niveau suffisant pour poursuivre des
études universitaires. Pour les programmes en anglais, en français ou en
allemand, les étudiants doivent réussir un test linguistique lors de
leur inscription.
- L'enseignement des langues
étrangères
Le
Décret n° 92/2788
du 20 mars 1992 énonce quelles sont les langues
étrangères enseignées en Turquie dans les écoles publiques: l'anglais, le français,
l'allemand ainsi que le russe, l'italien, l'espagnol, l'arabe, le japonais
et le chinois:
2) Il a été décidé par le Conseil des ministres du 4 mars 1992 que,
dans les cours officiels et privés, l'éducation et l'enseignement doivent être
dispensés dans les langues suivantes : l'anglais, le français, l'allemand ainsi
que le russe, l'italien, l'espagnol, l'arabe, le japonais et le chinois. |
Partout, on continue d'y vénérer le «père des Turcs», Mustafa Kemal, dont les portraits, bustes et statues sont omniprésents, que ce soit
dans les halls, les cours de récréation, les bureaux administratifs ainsi que
les salles de classe. L'enseignement des langues étrangères est
possible en Turquie, mais il ne s'agit jamais de la langue d'une minorité
«ethnique». On y enseigne surtout l'anglais, puis le
français et l'allemand; un peu l'italien, l'espagnol,
l'arabe, le japonais et le chinois.
En fait, les langues proscrites ou interdites sont les langues des
minorités nationales, particulièrement le kurde, mais aussi le grec (l'ennemi
héréditaire) et le bulgare (un autre ennemi héréditaire).
Cependant, les langues des pays voisins, telles que le grec, le bulgare et
l'arménien, peuvent être offertes dans les établissements militaires turcs.
C'est notamment le cas, depuis 2000-2001, avec le russe et le bosniaque, en plus
des trois autres langues. L'objectif serait de ne pas perdre «la bataille de
l’information».
Les langues occidentales telles que l'anglais et l'allemand ou le français ne
constituent pas une menace pour la Turquie. Elles ne sont donc pas
pourchassées, au contraire. Pour le gouvernement turc, la langue kurde n'est pas considérée comme un
enrichissement pour la société, mais comme un danger pour «l'existence et
l’indépendance de l'État, l'unité et l’indivisibilité de la nation, le bien-être
et la sécurité de la communauté».
- Les établissements privés
La plupart des établissements d’enseignement privés sont des
écoles confessionnelles reconnues comme appartenant à des minorités chrétiennes.
De plus, la direction de ces écoles est bicéphale: le directeur en titre
est issu de la minorité, mais le directeur adjoint est un musulman désigné par
l’État. Dans les faits, seul le directeur adjoint détient un réel pouvoir de
décision, car il doit cautionner toutes les décisions du directeur. Il existe
aussi deux types d’enseignants: d'une part, ceux qui enseignent le turc en étant
rémunérés par l’État, d'autre part, ceux qui enseignent une langue minoritaire
et qui sont rémunérés par la communauté minoritaire. Les enfants des membres des
minorités non musulmanes n’ayant pas la nationalité turque ne sont pas autorisés
à fréquenter les écoles d'une minorité. Ces établissements connaissent tous des difficultés financières et, dans
certains cas, les autorités turques ont trouvé une façon détournée de faire
fermer les portes de plusieurs écoles: il s’agit de retarder ou de ne pas
accorder d’autorisation dans la nomination par les autorités turques de
directeurs issus de la minorité concernée. En ce sens, la situation des
écoles des minorités peut être qualifiée de désastreuse.
- L'enseignement dans les langues minoritaires
Dans le domaine de l'éducation, l'État ne s'est jamais
senti
dans l'obligation de prévoir ou de construire des écoles pour les minorités
linguistiques. Rappelons cet article 42 de la
Constitution turque qui déclare qu'«aucune langue autre que le turc ne peut
être enseignée aux citoyens turcs en tant que langue maternelle ou servir à leur
offrir un enseignement en tant que telle dans les établissements d'éducation
et d'enseignement».
En février 2002, le premier ministre
Bülent Ecevit (de janvier 1999 à novembre 2002)
avait jugé utile de faire
une mise au point à la presse pour signaler que l'enseignement de la langue
kurde dans les établissements scolaires de Turquie était
«inacceptable». Dans un entretien accordé à la chaîne CNN turque, M. Ecevit avait souligné que l'enseignement du kurde était «impossible» et s'est
indigné au sujet d'une campagne orchestrée par «certains cercles liés à certains pays
européens» qui n'hésitent pas à «utiliser des enfants et des jeunes pour
diviser la Turquie». Rappelant que le «turc est la langue officielle des
institutions publiques», M. Ecevit a suspecté que le Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK) était derrière cette campagne pour l'enseignement du kurde
dans les écoles.
En août 2002, le gouvernement a entrepris une réforme
dite «pro-européenne» afin de permettre d'introduire l'enseignement de la
langue kurde dans les écoles. Pourtant, malgré les discours rassurants, les
pratiques sont restées exactement les mêmes.
Au lendemain du vote autorisant
l'enseignement du kurde (3 août 2002), le premier ministre Ecevit
estimait que désormais la Turquie «répondait à tous les critères politiques»
posés par l’Union européenne.
En décembre 2003, le Journal officiel
publiait le règlement n°
25307, appelé
Règlement sur l'enseignement dans les
diverses langues et les divers dialectes traditionnellement employés par les citoyens turcs dans leur vie
quotidienne.
Dans ce règlement, aucune langue minoritaire n'est mentionnée, pas même
le kurde. Selon les termes utilisées, le texte ne traite que «des divers
dialectes et diverses langues traditionnellement employés par les citoyens
turcs dans leur vie quotidienne». Ce genre de formulation laisse croire en
effet qu'il existe d’autres langues que le turc en Turquie. De fait, il
existe une
cinquantaine de langues utilisées en Turquie, dont le kurde kurmanji, le kurde dimili (zazaki), l'arabe leventin, le kabarde (circassien
oriental), le persan (farsi), l'azéri (azerbaïdjanais), l'arabe mésopotamien
du Nord, le gagaouze, le bulgare (pomaque), le grec pontique, adyghéen
(circassien), le géorgien, l'arabe mésopotamien du Sud, le bosniaque, le
tchétchène, le tatar de Crimée, etc., toutes des langues parlées par plus de
100 00 locuteurs. Or, le kurde fait partie de «ces langues et dialectes»,
alors qu'il est parlée par plus de 15 millions de locuteurs en Turquie.
C'est ce qui explique que la plupart des revendications d'ordre linguistique
proviennent essentiellement des Kurdes.
Dans le règlement n° 25307, il n'est
nul fait mention du mot «kurde» ni de «langue kurde». la formule consacrée
utilisée — «des divers dialectes et diverses langues traditionnellement
employés par les citoyens turcs dans leur vie quotidienne» — consiste à
éviter à tout prix d'employer le mot «kurde» dans un texte juridique pour
favoriser une formule sibylline: «les diverses langues et les divers
dialectes
traditionnellement employés par les citoyens turcs dans leur vie
quotidienne». Autrement dit, les langues minoritaires sont considérées
comme des «dialectes» ou des langues «diverses» employées traditionnellement
par des citoyens «turcs» dans leur usage privé. C'est là un mépris flagrant
pour toutes les langues minoritaires du pays.
De plus, l'article 2 du
Règlement sur l'enseignement dans les
diverses langues et les divers dialectes traditionnellement employés par les citoyens turcs dans leur vie
quotidienne (2003) précise qu'il ne s'agit que d'établissements
privés pouvant offrir des cours.
Article 2
Contenu
Le présent règlement concerne les cours privés, qui peuvent être
offerts conformément à la loi n° 625 relative aux cours privés destinés
à l'apprentissage des diverses langues et divers dialectes traditionnellement
employés par les citoyens turcs dans leur vie quotidienne, ainsi
que les
fonctions et mesures similaires pour l'enseignement et l'instruction des langues et dialectes que
le Conseil des ministres a décidées pour l'éducation et l'enseignement
des divers dialectes et diverses langues, conformément à la loi n° 2923 sur
l'enseignement des langues étrangères en éducation et l'enseignement
des divers dialectes et diverses langues destinés aux citoyens turcs.
|
Lorsque les membres des minorités
veulent employer leur langue, ils doivent ouvrir leurs
propres écoles et en absorber entièrement les frais. Étant donné que fonder une
école privée est une chose, mais que la faire vivre, c'est une autre
affaire, la plupart de ces écoles finissent par fermer, notamment en raison
des conflits incessants entre les Kurdes et le gouvernement. De fait, des
centaines d'écoles minoritaires ont dû fermer leur porte.
L'article 5
du même
Règlement sur l'enseignement dans les
diverses langues et les divers dialectes mentionne, d'une part, que l'objectif est de mener des activités
d'apprentissage, d'autre part, que «les cours doivent être conformes aux buts généraux et
principes fondamentaux de l'éducation nationale turque ainsi
qu'aux
qualifications fondamentales de la République exposées dans la Constitution,
et ils sont offerts de façon à ne pas violer l'intégrité
indivisible de l'État avec son pays et sa nation»:
Article 5
But du cours
1) Le but du cours et autres cours de langue dans
les langues et
dialectes enseignés pour ce motif est de mener des activités destinés à
apprendre
les diverses langues et les
divers dialectes
traditionnellement employés par les citoyens turcs dans leur vie
quotidienne.
2) Les cours doivent être conformes aux buts généraux et
principes fondamentaux de l'éducation nationale turque ainsi
qu'aux
qualifications fondamentales de la République exposées dans la Constitution,
et ils sont offerts de façon à ne pas violer l'intégrité
indivisible de l'État avec son pays et sa nation.
|
Le gouvernement turc prend vraiment d'infinies précautions,
dont la moindre difficulté n'est pas d'obtenir une autorisation du ministère de l'Éducation pour
offrir
ces cours dans des
établissements d'enseignement privés. Le plus difficile, c'est de
réunir toutes les conditions pour recevoir cette indispensable autorisation. Seuls les élèves du primaire et du
secondaire, munis de l’autorisation de leurs parents, peuvent suivre les cours
durant les week-ends et les vacances d’été, et non pas durant les jours
normaux. On peut certainement douter que ce genre de cours durant les congés soit de
nature à susciter la participation massive des élèves. En fait, ce texte
juridique propose simplement un strict minimum, tout en faisant en sorte que ce
strict minimum ne puisse même pas se réaliser.
|
Près de dix ans plus tars, en juin 2012, le premier ministre, Recep
Tayyip Erdogan (en fonction depuis le 29 août 2014 et devenu président
de la Turquie), déclarait au
Parlement devant les députés du Parti de la justice et du développement (AKP,
issu de la mouvance islamiste) :
Nos élèves [...] pourront désormais apprendre les langues et
dialectes locaux. Par exemple, s'il y a un nombre suffisants
d'élèves, le kurde pourra être choisi comme matière optionnelle. |
Il s'agit en ce cas d'établissements privés, non pas
d'établissements publics et gratuits. Ces cours en kurde dans la variante
kurmandji, la deuxième langue maternelle du pays, sont proposés en
option dans les écoles turques, au même titre que les langues étrangères
telles que l'anglais, le français ou l'allemand.
|
Pour sa part, l'écrivain et linguiste américain Noam Chomsky,
professeur au Massachusetts Institute of Technology
(Boston) a, depuis
février 2002, soutenu la revendication d'un enseignement du kurde dans les
établissements d'enseignement en ces termes:
I respect Kurdish and I also respect those who courageously work
to demand to learn their mother tongue in the schools. |
[J'ai du respect pour le kurde, je respecte aussi ceux qui
œuvrent avec courage pour demander à apprendre leur langue
maternelle dans les écoles.] |
S'il mettait les pieds en Turquie, M. Chomsky
pourrait être accusé de «propagande contre l'indivisible unité» de la
Turquie et être
condamné à un an de prison. Néanmoins, son éditeur en Turquie a été accusé
de «propagande séparatiste». Finalement, le célèbre linguiste a pu se rendre
à Diyarbakir en janvier 2013, la ville principale du sud-est du pays, une
région à majorité kurde, pour une série de conférences et de rencontres avec
des militants kurdes.
Chomsky soutient que la Turquie doit d'abord faire face à son problème kurde
et panser ses plaies afin de prendre sa place dans le nouvel ordre mondial:
The growing
Kurdish independence in Iraq and the possibility of one in Syria
will evidently have impacts on the dynamics of the southeastern
region of Turkey and the Middle East as well. |
[L'indépendance kurde
croissante en Irak et la possibilité de celle-ci en Syrie pourront
évidemment avoir des répercussions sur la dynamique de la région
sud-est de la Turquie et aussi bine qu'au Proche-Orient.] |
Ce qui peut paraître normal dans la plupart des pays, c'est-à-dire
apprendre sa langue maternelle à l'école, ne l'est pas du tout en Turquie, car toute
instruction dans une autre langue que le turc est interdite par
l'article 42.10 de la Constitution turque. Les
dirigeants turcs se sont toujours catégoriquement opposés à cette
reconnaissance, alors que celle-ci constitue l'un des droits reconnus par
l'Union européenne à laquelle la Turquie veut pourtant adhérer.
Bref, pendant que
les autorités turques
font les yeux doux à l'Union européenne, elles demeurent inflexibles face
aux revendications des minorités nationales.
Le débat sur l’enseignement des langues maternelles montre à quel point
la Constitution de 1982, imposée par la junte militaire de 1980, est devenue
désuète. De ce fait, l’adoption d’une nouvelle Constitution est devenue
nécessaire. Évidemment, ce n'est pas pour demain que les Turcs vont changer
leur constitution de façon à intégrer, en tant que droit fondamental, la
notion d’enseignement dans la langue maternelle de tout citoyen turc. En
Turquie, près d’un quart de la population est kurde.
C'est pourquoi certaines associations kurdes ont quand même décidé
d'ouvrir à leurs frais des écoles (privées). À chaque fois, le gouvernement
a tout fait pour les fermer,
alléguant qu'elles n'avaient pas de «statut officiel». Au besoin, la police
est intervenue parfois avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des
matraques, et a fermé de force les écoles. En raison des manifestions qui
ont eu lieu, le gouvernement a cédé en accordant à ces écoles kurdes un
«statut particulier». Pendant ce temps, les représentants de la minorité
kurde qualifiaient cette mesure de «moyen palliatif», car l'objectif est
d'obtenir le droit à la totalité de l'enseignement en kurde.
Les Kurdes craignent la résistance future des directions d’écoles
«nationalistes», qui ne manqueront pas d'invoquer toutes sortes d'excuses
pour ne pas appliquer les directives concernant l'enseignement en kurde.
Pour beaucoup de Turcs, le droit à l'enseignement en kurde n'aurait d'autre
but que de réveiller un «nationalisme ethnique dangereux» destiné à saper
l'unité du pays et d'en compromettre l'intégrité territoriale. Les autorités
font tout ce qu'elles peuvent pour alourdir les conditions
bureaucratiques et financières existantes et s'organisent pour qu'il n'y ait
pas de professeurs disponibles en langue kurde.
Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant que 40 % de la population kurde soit
analphabète, particulièrement les femmes. Selon un rapport publié par le Turkish
Daily News (26 juin 2000) à Diyarbakir, la principale ville kurde, 61,4 %
des jeunes filles âgées de 7 à 13 ans ne seraient pas scolarisées. Le
document indique que le taux de scolarisation en primaire est de 68,9 % dans l’Est
kurde et de 70,9 % dans le Sud-est kurde, alors que ce taux monte à 89,03 %
dans toute la Turquie. Quant au secondaire, le taux descend jusqu’à 28,2 % dans
le Sud-Est et n’atteint que 33 % dans le Sud, contre 53,1 % de moyenne
générale en Turquie. En ce qui concerne le lycée, la moyenne nationale est de
38,7 % en Turquie, mais cette moyenne descend à 25,8 % à l’Est et à 18,7 %
au Sud-Est. En ce qui a trait aux études supérieures, le taux atteint 3,8 % de
fréquentation dans le Sud-Est et 10,9 % dans l’Est, alors que la moyenne
nationale est de 22,8 % pour toute la Turquie. Bref, le rapport, établi selon
les données de l’Institut d’État des statistiques (DIE), de l’Organisation
de la planification de l’État (DPT), de la Banque mondiale et de l’UNICEF,
montre que «dans le domaine de l’éducation et de la culture, aussi bien que
dans les autres domaines, l’Anatolie du Sud-Est est la région qui a le moins
bénéficié des réformes lancées depuis la fondation de la république de
Turquie».
2.6 L'enseignement de la religion
L’article 12 de la
Loi
fondamentale sur l'éducation (1973), n° 1739, sur l’éducation nationale
prescrit que la culture religieuse et l’éducation morale font partie des
matières obligatoires enseignées dans les écoles primaires et les établissements
d’enseignement secondaire et supérieur, ce qui inclut en principe les écoles des
minorités.
Article 12
La laïcité est le
fondement de l'éducation nationale turque.
La culture
religieuse et l'enseignement moral font partie des matières obligatoires
enseignées dans les écoles primaires et les lycées, ainsi que dans les
écoles de même niveau. |
À la suite de la décision n° 1 du 9 juillet 1990 de la part du Haut-Conseil de
l’éducation, il existe une possibilité de dispense :
À la suite de la
proposition du ministère de l'Éducation, les élèves de nationalité
turque et adhérant à la religion chrétienne ou juive, qui fréquentent
les écoles primaires et secondaires, à l'exception des écoles affiliées
aux minorités, ne sont pas obligés de suivre le cours de culture
religieuse et connaissance morale à condition qu'ils attestent leur
adhésion à ces religions. Cependant, si ces élèves veulent suivre ce
cours, ils doivent présenter une demande écrite de la part de leur
représentant légal. |
Selon le ministère de l’Éducation, cette possibilité d’exemption est
également ouverte aux membres des minorités non musulmanes et non reconnues par
le traité de Lausanne.
3 Les langues dans les médias
La Turquie n'est pas réputée pour sa liberté de presse. Non seulement
la plupart des journalistes sont inféodés au pouvoir en place (parce qu'ils
n'ont guère le choix), mais le Code pénal (2005) interdit encore d'insulter,
de mépriser ou de rabaisser publiquement la "turcité" (ou
l'identité turque), l'État, le
gouvernement, l'armée et les forces de sécurité turques (art. 301).
Article 301 (modifié en 2005)
Insulte à la turcité, à la République,
aux institutions et aux organismes de l'État
1)
Toute personne qui insulte
publiquement la
turcité,
la République
ou la Grande Assemblée nationale de Turquie sera punie d’une peine
de prison allant de six mois à trois ans.
2) Une personne qui insulte
publiquement le gouvernement de la République turque, l'appareil
judiciaire de l’État, l’armée ou les services de police sera punie
d’une peine de prison allant de six mois à deux ans.
3) Dans le cas où l'insulte à la
turcité
est pratiquée par un citoyen turc dans un pays
étranger, la peine qui sera octroyée sera majorée d’un tiers.
4) L’expression de la pensée sous
forme de critique ne peut être sanctionnée.
|
3.1 La liberté d'expression sous surveillance
Cet article 301 du Code pénal turc est devenu le symbole d'une «liberté
d'expression sous surveillance» en Turquie. En raison de la pression exercée
par la Commission européenne depuis l'ouverture des négociations d'adhésion
en 2005, le gouvernement turc a finalement modifié en avril 2008
l'article 301 du Code pénal par la loi n° 5759. Alors que l'ancienne version
de cette disposition permettait de pénaliser toute attaque contre l'identité
turque ou la turcité, un terme jugé ambigu, la nouvelle version réprime les
insultes visant «la nation turque». L'article 301modifié impose toujours
d’obtenir un accord du ministre de la Justice, alors que la peine de prison
maximale est réduite de trois à deux ans. La
Loi modifiant le Code pénal turc, n° 5759 (2008), se lit comme suit:
ARTICLE 1er
En
date du 26 septembre 2004, la loi n°
5237
est
modifiée à l'article 301 du Code
pénal turc comme suit avec le titre:
"Insultes à la nation
turque,
à la république de
Turquie,
aux institutions et
aux organismes de
l'État.
Article
301
1)
Toute personne qui insulte
publiquement la nation turque,
la République
ou la Grande Assemblée nationale de Turquie sera punie d’une peine
de prison allant de six mois à deux ans.
2)
Toute personne qui insulte
publiquement l'État, l'armée ou les services de police sera punie
conformément aux dispositions
du paragraphe
précédent.
3)
L’expression de la pensée sous
forme de critique ne
constitue
pas un crime.
4)
La poursuite d'une
enquête
pour un tel crime
exige l'autorisation du
ministre
de la Justice."
ARTICLE
2
La présente
loi entre en
vigueur à la date
de sa publication.
ARTICLE
3
La présente loi
sera
exécutée par
le Conseil
des ministres. |
En réalité, le gouvernement turc se sert du prétexte de la «lutte contre
le terrorisme» pour suspecter et accuser nombre de journalistes de «menaces
à la sécurité nationale». C'est ainsi que des dizaines de journalistes sont
régulièrement arrêtés et emprisonnés, surtout lorsqu'ils traitent de la
«question kurde». Selon l'organisme Reporters sans frontière, la Turquie
occupe la 149e place sur 180 dans le
«Classement mondial 2015» quant à la liberté de la presse, et il ne semble
pas y avoir une quelconque amélioration en ce domaine.
3.2 Entre la censure et l'interdiction
La censure reste très forte dans ce pays et la plupart des journaux ne sont jamais très éloignés des positions du pouvoir
en place.
Parmi les sujets tabous limitant la liberté d'expression, citons les
références à l'islam politique, l'armée et les Kurdes. Les journalistes qui
soutiennent islamistes, dénoncent le «terrorisme d'État (l'armée) ou sont
soupçonnés de diffuser des «thèses séparatistes» (pro-kurdes) sont aussitôt
emprisonnés pour «atteinte à la sécurité de l'État». Selon l'organisme Reporters
sans frontière, les arrestations arbitraires, les passages à tabac et les
tortures sont encore monnaie courante quand il s’agit de réprimer l’information
sur la question kurde. Malgré les engagements du gouvernement, les pressions sur
les médias n’ont en rien diminué. Au contraire, alors que, tous les jours, les
journalistes turcs font déjà face à l'arbitraire policier, un nouveau «paquet de
réformes sur la sécurité intérieure» prévoit d’étendre après février 2015 les
pouvoirs des forces de l’ordre. Pour les observateurs, la Turquie demeure «l’une
des plus grandes prisons au monde pour les journalistes».
Depuis plusieurs décennies, il était interdit en Turquie de publier des
informations dans une autre langue que le turc. L'article 31 de la
Loi sur la presse de
1950 pouvait servir de prétexte pour interdire n'importe quelle publication:
Article 31
Modifié en 1983/2950
L'entrée ou la distribution en Turquie d'œuvres publiées dans un
pays étranger, qui contredisent l'unité indivisible de l'État avec son
territoire et sa nation, l'hégémonie nationale, l'existence de la République,
la sécurité nationale, l'ordre public, l'ordre public général, l'intérêt
commun, la moralité ou la santé générale, peuvent être interdites par décision du Conseil des
ministres.
|
Entre 1980 et 1983, le gouvernement militaire a adopté plusieurs lois
interdisant formellement l'usage de la langue kurde et la possession de
documents écrits ou sonores en kurde. L'article 2 de la
Loi n°
2932 du 19 octobre 1983 relative aux publications faites dans une autre langue que le turc
(1983)
était on ne peut plus claire au sujet
des publications
dans une autre langue que la première langue officielle
des États reconnus par l'État turc:
Article 1er
Objet et champ
d'application
Afin de sauvegarder l'intégrité indivisible de l'État avec son
territoire et sa nation, la souveraineté nationale, la République, la
sécurité nationale, l'ordre public, la présente loi réglemente les procédures
et les principes relatifs à l'interdiction de l'usage des langues pour
divulguer et diffuser les opinions.
Article 2
Langues qui peuvent être utilisées pour divulguer et diffuser des
opinions
1) Il est interdit de diffuser et de divulguer des opinions dans une
autre langue
que la première langue officielle des États reconnus par l'État turc.
2) Sont réservées les dispositions relatives aux traités internationaux
dont la Turquie est à partie, à l'éducation, à l'enseignement, aux
recherches scientifiques et aux publications des établissements publics.
|
Cette loi n° 2932 a été abrogée en 1991. Depuis, avec la levée de l'interdiction des langues, la parution de
journaux en kurde a été rendue en principe possible. Cependant, ces journaux
sont régulièrement perquisitionnés, contraints de cesser périodiquement leur
publication ou bien des poursuites judiciaires sont intentées contre des
journalistes. La politique de censure pratiquée par l’État turc a pour effet
de faire constamment disparaître des journaux qui sont remplacés par d’autres.
En fait, aucune de ces publications n'a pu survivre longtemps parce que les
procureurs de l'État ont toujours trouvé des prétextes pour les fermer.
3.3 La presse écrite
Selon l'article 39 du
traité de Lausanne, tout citoyen turc est libre
d'utiliser la langue qu'il souhaite, par exemple le kurde, dans le cadre des
émissions de radio ou de télévision ou bien pour des publications écrites.
De nombreux journalistes turcs, en citant des dispositions du traité de
Lausanne, croient maintenant que les citoyens de langue kurde pourraient
bénéficier de ces droits. Les autorités estiment que ces journalistes
interprètent «de façon erronée» les clauses du traité.
|
La plupart des journaux nationaux et régionaux
sont publiés en langue turque. Parmi la quarantaine de quotidiens, certains ont
des tirages de plus de 15 000 exemplaires: Zaman, Posta, Hürriyet, Sözcü,
Sabah, Habertürk, Pas Fotomaç, Türkiye, Milliyet et Fanatik.
Quelques quotidiens sont publiés en anglais (Daily Sabah, Today's Zaman,
Hürriyet Daily News, Good Mornond Turkey), mais deux sont en arménien (Marmara
et Jamanak). |
Les autres journaux sont des périodiques. Outre
ceux publiés en turc, on trouve des mensuels en anglais (Made in Turkey), en
français (Aujourd'hui la Turquie), mais le Ağani Murutsxi est
publié en trois langues: en laze (une langue caucasienne), en hemşince (une
variété d'arménien) et en romeyka (une variété de grec pontique).
|
Un seul journal est publié en kurde à l'échelle nationale: l'Azadiya
Welat. Mais celui-ci a été interdit une bonne dizaine de fois,
tandis que la
plupart des journalistes ont été emprisonnés sous prétexte qu'ils
avaient
fait «de la
propagande pour une organisation illégale», en l'occurrence le PKK
(Parti des travailleurs du Kurdistan). |
En général, les tribunaux invoquent l'article 25 de la
Loi sur la presse (1950)
et l'article 1er de la
Loi relative aux crimes commis contre Atatürk :
Loi sur la
presse
Article 25
Confiscation
et interdiction
de distribution
et de vente
1)
Le
procureur de la
République peut
confisquer
trois exemplaires
pour examen pour la
plupart des
imprimés.
Si un inconvénient
découle des délais
dans
l'examen,
la police peut
confisquer les
imprimés.
2)
Tant qu'un
examen ou une enquête
est lancée,
tous les imprimés
peuvent être
confisqués par
ordre d'un
juge en vertu de
la
Loi relative aux crimes commis contre Atatürk,
n°
5816,
en date du
25 juillet 1951,
les lois de
réforme énumérées
à l'article 174
de la Constitution;
au paragraphe
2 de l'article
146,
aux paragraphes 1 et
4 de l'article
153,
à l'article
155,
aux paragraphes 1 et
2 de l'article
311,
aux paragraphes 2 et
4 de l'article
312,
au paragraphe
a)
de l'article
312
du Code
pénal turc,
n°
765
et aux paragraphes
2 et
5 de l'article
7 de la
Loi anti-terroriste,
n° 3713,
en date du
12 avril 1991.
3)
Malgré leur
langue de publication,
s'il existe
des preuves solides
que des périodiques
et
des non-périodiques
publiés
à l'extérieur
de la Turquie
entraînent des
crimes
visés au
paragraphe 2
ci-dessus,
leur
distribution ou leur
vente en
Turquie peut
être interdite
sur l'ordre du
Bureau du procureur en chef de l'État
au moyen d'une décision
d'un juge en droit pénal
local.
Si un
inconvénient découle
des délais de l'examen,
une décision
du procureur
en chef de l'État
suffira.
Cet ordre doit être
présenté pour
approbation
judiciaire dans
les 24 heures
au plus tard.
Si un juge ne
l'approuve pas
dans les 48 heures,
le procureur en
chef doit
considérer la décision
comme nulle et non
avenue.
|
La
Loi relative aux crimes commis contre Atatürk est ainsi formulée en
son article 1er :
Article 1er
1) Quiconque insulte publiquement ou maudit la mémoire d'Atatürk
est incarcéré avec une lourde sentence entre un et trois
ans.
2) Une
sentence lourde entre un à cinq ans est rendue à quiconque détruit,
brise, ruine ou barbouille une statue, un buste ou un monument
représentant Atatürk ou la tombe d'Atatürk.
3) Quiconque encourage les autres à commettre les crimes décrits
dans les paragraphes ci-dessus est puni comme s'il avait commis le crime.
|
L'article 31 de la
Loi sur la presse
modifiée en 1983 est encore plus sévère:
Article 31
L'entrée ou la distribution en Turquie d'œuvres publiées dans un
pays étranger, qui contredisent l'unité indivisible de l'État avec son
territoire et sa nation, l'hégémonie nationale, l'existence de la République,
la sécurité nationale, l'ordre public, l'ordre public général, l'intérêt
commun, la moralité ou la santé générale, peuvent être interdites par décision du Conseil des
ministres.
|
L'article 28 de la
Constitution turque, modifié par la loi n° 4709 du
3 octobre 2001, prévoit qu'une publication peut être interdite si elle porte
atteinte à la sécurité intérieure ou extérieure de l'État ou son intégrité
indivisible du point de vue de son territoire et de la nation :
Article 28
4)
Quiconque écrit ou fait imprimer toute information ou texte qui
menace la sécurité intérieure ou extérieure de l'État ou son intégrité
indivisible du point de vue de son territoire et de la nation ou qui est
de nature à encourager une infraction ou à inciter à l'émeute ou à la
rébellion, ou qui se rapporte à. des informations secrètes appartenant à
l'État, ou qui, dans le même but, imprime ou livre à autrui un tel texte
ou information, en est responsable conformément aux dispositions
législatives concernant lesdites infractions.
5) La distribution peut être empêchée de manière préventive en vertu
d'une décision judiciaire ou, dans les cas où un retard serait
préjudiciable, en vertu d'un ordre de l'autorité expressément habilitée
par la loi à cet effet. L'autorité compétente ayant empêché la
distribution avise le juge compétent de sa décision au plus tard dans les
vingt-quatre heures. Dans le cas où le juge compétent n'approuve pas cette
décision au plus tard dans les quarante-huit heures, celle-ci est
considérée comme nulle.
6) Aucune interdiction de publication relative à des événements ne peut
être instaurée, sous réserve des décisions rendues par le juge dans les
limites qui seront définies par la loi en vue d'assurer l'accomplissement
de la fonction juridictionnelle d'une manière conforme à sa finalité.
7) Les publications, périodiques ou non, peuvent être saisies en vertu
d'une décision judiciaire dans les cas où une enquête ou des poursuites
ont été entamées en raison d'une des infractions indiquées par la loi, et
également en vertu d'un ordre de l'autorité expressément habilitée par la
loi à cet effet dans les cas où un retard serait préjudiciable sous
l'angle de la sauvegarde de l'intégrité indivisible de l'État du point de
vue de son territoire et de la nation, de la sécurité nationale, de
l'ordre public, des bonnes mœurs ou de la prévention des infractions.
L'autorité compétente ayant ordonné la saisie avise le juge compétent de
sa décision au plus tard dans les vingt-quatre heures; dans les cas où le
juge n'approuve pas cette décision au plus tard dans les quarante-huit
heures, celle-ci est considérée comme nulle.
8) Les dispositions générales en matière de saisie et de confiscation
s'appliquent aux enquêtes et poursuites relatives à des infractions
portant sur des publications périodiques ou non périodiques.
9) Les périodiques publiés en Turquie peuvent être temporairement
suspendus par décision judiciaire en cas de condamnation en raison de
publications portant atteinte à l'intégrité indivisible de l'État du point
de vue de son territoire et de la nation, aux principes fondamentaux de la
République, à la sécurité nationale ou aux bonnes mœurs. Toute publication
constituant indéniablement la continuation d'une publication périodique
suspendue est interdite; ces publications sont saisies en vertu d'une
décision judiciaire.
|
D’après des
renseignements rapportés par le quotidien turc Milliyet du 21 août
2000, les autorités turques ont même interdit la diffusion de centaines de cassettes
dont les textes étaient majoritairement chantés en kurde ou encore par des Kurdes.
Les autorités ont motivé leur décision par le fait que la direction
générale des droits d'auteur du ministère de la Culture ait annulé «le
certificat de gestion de l'œuvre».
Bien qu'un amendement constitutionnel ait été adopté en octobre 2001, les lois
sont demeurées vagues sur le droit de publication et de diffusion en langue kurde.
Certaines publications en kurde furent tolérées par les autorités, mais leur distribution est
restée interdite dans les provinces du Sud-Est, encore soumises à l'état
d'urgence.
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) accuse le gouvernement
turc de mener une «vaste offensive» pour faire taire les médias d’opposition
en usant d’intimidation et de poursuites judiciaires. D'une part, depuis
Atatürk, les autorités turques ont toujours souffert de paranoïa à l'égard
de leurs propres minorités. D'autre part, en raison des
pressions
gouvernementales incessantes, il existe en Turquie une forte culture de
l'autocensure, qui crée une information déformée et sape les efforts pour
renforcer la démocratie et le pluralisme à tous les niveaux de la société
turque.
3.4 La presse électronique
Pour ce qui est de la possibilité d'autoriser des émissions en kurde sur les chaînes
nationales de télévision et radio,
la question a été évoquée par le Conseil national de sécurité, mais les
décisions furent longues avant d'aboutir. Pendant ce temps, des centaines de personnes ont
continué d'être arrêtées pour avoir signé une pétition réclamant le droit à l'éducation en kurde,
une campagne que les autorités turques affirment être dirigée par le PKK. En
août 2002, le Parlement turc a adopté une réforme, dont l'un des avantages était
de permettre la diffusion d'informations radiophoniques en kurde.
Les
premières diffusions radiophoniques et télévisées en kurde sur Radio 1 et TRT 3
(radio et télévision d'État) ont finalement eu lieu le 9 juin 2004, soit deux
ans après le vote autorisant la réforme. La langue kurde dispose de quarante minutes d'émissions
télévisée et de trente minutes d'émissions radiodiffusées par semaine.
L’autorisation a été donnée aux télévisions locales privées d’émettre des
programmes en kurde pour le 1er janvier 2006.
Néanmoins, il n'existe toujours pas officiellement d'émissions en kurde (kürtçe),
mais uniquement en «dialecte» zazaki (zazaca) et en «dialecte» kurmandji (kurmanci).
Le 25 janvier 2004, le Journal officiel
publiait le Règlement relatif aux émissions de radio et de télévision dans les
langues et dialectes traditionnellement employés par les citoyens turcs
dans leur vie quotidienne (n° 25357).
Il faut d'abord savoir qu'un Conseil suprême pour la radio et la télévision est
prévu pour accorder les licences de radiodiffusion et de télévision, et pour veiller
à ce que les titulaires de licences respectent les dispositions juridiques et
réglementaires applicables en matière de radiodiffusion. Par ailleurs, on ne
nomme aucune langue minoritaire: on utilise constamment le
stéréotype «les divers dialectes et diverses langues traditionnellement employés par les
citoyens turcs dans leur vie quotidienne». L'article 4 du
Règlement n° 25357 est très
révélateur de «l'ouverture» ambiguë des autorités turques en matière de
radiodiffusion dans d'autres langues que le turc:
Article 4 Langue des émissions
La langue principale des émissions est
le turc. Dans les
émissions, il doit être assuré que le turc est employé comme langue des
communications sans déformer ses caractéristiques et ses règles, alors
que le turc
est promu comme une langue moderne de la culture, de l'éducation et de la
science. De façon exclusive, aucune émission ne peut être faite dans des
langues et dialectes autres que le turc. Mais, dans le cadre d'émissions
réglementées, il est possible de le faire dans les divers dialectes et
diverses langues traditionnellement employés par les citoyens turcs dans
leur vie quotidienne. |
En vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du
Règlement n° 25357, les établissements de
radio et de télévision qui détiennent une licence nationale publique et privée de diffusion peuvent produire des émissions
dans ces langues et dialectes; les
émissions de radio n'excéderont pas 60 minutes par jour pour un total de cinq heures par semaine; les émissions de télévision
n'excéderont pas 45 minutes par jour pour un total de quatre heures par semaine.
Le paragraphe 5 du même article précise que ces émissions télévisées «devront être
accompagnées de sous-titres turcs ou d'une traduction en turc à la fin de chaque programme»,
alors que, pour les émissions radiophoniques, elles devront être «suivies d'une traduction en
turc à la fin du programme»:
Article 5
5) Les émissions des établissements, qui émettent un programme de télévision
dans ces langues et dialectes, incluant les émissions de retransmission,
devront être accompagnées de sous-titres turcs ou d'une
traduction en turc à la fin de chaque programme, dont les émissions correspondront entièrement en termes de chronométrage et
de contenu, en
ce qui a trait aux émissions radiophoniques, suivies d'une traduction en
turc à la fin du programme. |
Toutefois, seule la
Société publique de radio et télédiffusion (TRT) est autorisée à diffuser ces
émissions, car, selon le responsable du RTUK, «elles ne seront pas contre
l'unité indivisible de la Turquie, ni contre les principes de la République».
Enfin, en vertu de l'article 8 du Règlement relatif aux émissions de radio et de télévision dans les
langues et dialectes traditionnellement employés par les citoyens turcs
dans leur vie quotidienne, les établissements de
diffusion qui ont obtenu une autorisation d'émettre «dans une langue autre que le turc»
ne peuvent pas violer la primauté de la loi, les principes de base de la
Constitution, les droits et libertés, la sécurité nationale, la moralité
générale, les caractéristiques fondamentales de la République telles que
présentées dans la Constitution, l'intégrité indivisible de l'État avec son pays
et ses citoyens, la loi no 3984, les principes et les procédures présentées dans
les règlements publiés et fondés sur cette loi, les exigences prévues par le
Conseil suprême et ses conditions d'autorisation. Que de précautions!
Dans les faits, le kurde est demeuré encore interdit à la
télévision.
En fait, le cadre juridique
turc ne garantit pas encore suffisamment la liberté d'expression. Pourtant, il
existerait en Turquie plus de 253 chaînes de télévision, dont 24 nationales, 16
régionales et 213 locales, sans oublier plus de 1000 stations de radio, dont 36
nationales, 102 régionales et 952 locales.
On peut se demander pourquoi il apparaît si difficile d'obtenir des émissions
télévisées en kurde. C’est la législation portant sur le Conseil supérieur
de l'audiovisuel turc (RTÜK) qui n'autorise pas la création d’une télévision kurde en vertu de ce passage qui
énonce que «les émissions de radio et de télévision doivent se faire en
langue turque, mais est également possible de diffuser des informations
dans des langues qui ont joué un rôle dans la constitution d’
œuvres
universelles et scientifiques», ce qui n'apparaît manifestement pas être le
cas pour les langues des minorités nationales.
Du fait que les médias électroniques kurdes aient été longtemps interdits en Turquie, les
Kurdes se sont organisés et ont créé en 1995 un réseau de télévision par
satellite: MED-TV. En fait, cette société de production prépare ses
émissions dans des studios à 3000 kilomètres de là, soit à Denderleeuw,
près de Bruxelles (Belgique); puis les émissions sont envoyées par satellite
à Londres et retransmises par Eutelsat, non seulement en Turquie, mais aussi en
Irak, en Iran et dans toute l’Europe. Le gouvernement turc a vainement tenté
d'empêcher MED-TV d'émettre et a essayé de brouiller les émissions
retransmises par Eutelsat. Son concepteur, M. Barzan Shaswar, un Kurde
originaire d'Iran, affirmait: «En créant un Kurdistan par satellite, dans le
ciel, sans contrôle culturel, nous avons détruit les frontières qui coupent
notre peuple en quatre.» La chaîne, qui bénéficiait de souscriptions de ses
téléspectateurs en Europe et au Proche-Orient, touchait en moyenne 10 millions
de foyers kurdes. Toutefois, en avril 1999, MED-TV a perdu sa licence. Les
autorités britanniques ont reproché à cet émetteur, proche du PKK, d'avoir
appelé à la violence dans le cadre de ses programmes. Puis, quelques mois
après la fermeture de MED-TV, un autre émetteur est apparu: MEDYA. On ignore
depuis quel pays il émet. Au printemps de 1999, les Kurdes ont créé Kurdistan-TV,
un émetteur conçu comme une alternative à MED-TV, qui diffuse ses programmes
depuis le nord de l'Irak. Kurdistan-TV est géré par le Parti
démocratique du Kurdistan (PDK) mais conseillé et soutenu par des milieux
turcs pour affaiblir le régime irakien. Ces émetteurs diffusent non seulement en
kurde, mais aussi en anglais, en turc, en arabe et en assyrien.
La Turquie continue d'appliquer une politique répressive à l'égard de sa
minorité kurde. Non seulement les leaders kurdes sont-ils pourchassés et
emprisonnés, mais il en
est de même pour ceux qui écrivent des livres sur la
langue kurde, les Kurdes ou le Kurdistan. Les patronymes kurdes sont interdits
sous prétexte qu'ils remettent en cause les «intérêts de la République turque».
Selon l'Official General Report on Turkey (janvier
2002) préparé pour le Conseil de l'Union européenne par le ministère
néerlandais des Affaires extérieures, les aspirations nationalistes des
Kurdes constitueraient «une menace pour l'indivisibilité de l'État turc
unifié et comme une cause de division entre les citoyens turcs fondée sur
l'ethnie» :
Version
originale anglaise The
Turkish government views Kurdish nationalist aspirations as a threat
to the indivisibility of the unified Turkish state and as causing a
rift between Turkish citizens on the grounds of ethnicity. [...]
Support for the Kurdish cause is ... a criminal offence under ...
the Criminal Code or ... the Anti-Terror Law, depending on the type
of support afforded. The penal provisions apply to everyone in
Turkey, regardless of whether they are of Turkish or Kurdish origin.
The Turkish authorities do not so
much focus on whether a certain person is a Turk or a Kurd but
rather on whether he harbours separatist sympathies. The Turkish
authorities' definition of separatism is broad and not always
unequivocal. |
Traduction française
Le gouvernement
turc considère les aspirations nationalistes des Kurdes comme une
menace pour l'indivisibilité de l'État turc unifié et comme une
cause de division entre les citoyens turcs fondée sur l'ethnie.
[...] Appuyer la cause kurde constitue [...] une infraction
criminelle en vertu [...] du Code criminel ou [...] de la loi
antiterroriste, selon le type d'appui fourni. Les dispositions
pénales s'appliquent à tous les Turcs, qu'ils soient d'origine
turque ou kurde.
Les autorités turques
ne s'attardent pas tant au fait qu'une personne soit turque ou kurde
qu'à la sympathie qu'elle affiche pour la cause séparatiste. Les
autorités turques donnent au séparatisme une définition large qui
n'est pas toujours sans équivoque. |
Le 17 mars 2003, le Service de
radiotélévision publique des États-Unis, la Public Broadcasting Service -
PBS, a diffusé une émission de télévision signalait ce qui suit:
Version
originale anglaise
Kurds in Turkey are not permitted to put up any signs or publish
newspapers in their own language. Kurdish names considered
provocative may not be given to Kurdish children. Last year,
Turkey lifted some of the restrictions on the use of the Kurdish
language in accordance with requirements for entering the
European Union, a long-time goal of Turkish officials; but there
is still only limited Kurdish programming available on radio and
TV. |
Traduction française
Les Kurdes, en
Turquie, n'ont pas le droit d'afficher ou de publier des
journaux dans leur propre langue. Les enfants kurdes ne peuvent
recevoir de noms kurdes, jugés provocateurs. L'an dernier, la
Turquie a levé certaines restrictions concernant l'usage de la
langue kurde, en conformité avec des exigences d'acceptation
dans l'Union européenne, ce que désirent les autorités turques
depuis longtemps; mais la programmation kurde disponible à la
radio et à la télévision est toujours limitée. |
4.1 L'attitude de
prudence chez les Kurdes
Selon une enquête réalisée par
l'organisation caritatif «Aide à l'asile» (en anglais: "Asylum Aid»),
quiconque affirme son identité kurde ou fait valoir ses droits ethniques
risque de subir des traitements discriminatoires, d'être harcelé, torturé,
voire exécuté sans autre forme de procès. Le compte rendu de 2002 de
l'organisme énonçait aussi qu'un «Kurde pouvant se faire passer pour un Turc
peut ne subir aucune discrimination», s'il décide de ne pas faire état de
son identité ethnique; il peut «même atteindre les échelons supérieurs du
gouvernement». Même les Kurdes qui sont prudents et veillent à ne pas se
mettre les autorités à dos vivent encore «dans un climat de crainte et
d'appréhension où qu'ils soient, à moins qu'ils ne renoncent à leur
identité». Afin d'éviter les problèmes, beaucoup de Kurdes pratiquent
l'autocensure; ils se montrent discrets lorsqu'ils parlent en kurde en
public, même s'il s'agit d'une conversation strictement privée. Selon le
même compte rendu, la plupart des Kurdes «vivent dans la crainte permanente
de la police et des informateurs au sein de la communauté», et ce, même
quand ils n'osent pas affirmer leur identité ethnique.
4.2 L'opinion publique turque
Évidemment, la population turque, quant à elle, ne souffre
pas nécessairement de la même paranoïa que ses dirigeants. La plupart des
citoyens turcs n'ont jamais entendu parler de «discrimination» envers les Kurdes.
Le «vécu» des citoyens turcs ordinaires est que la Turquie est un pays où le racisme
n'existe pas. Dans les grandes villes, la plupart des gens ont des voisins
turcs, kurdes ou arméniens dans l'immeuble qu'ils habitent, et tout ce monde
cohabite sans aucun problème. Certains n'ont même jamais entendu parler de leur
vie de
l'existence d'un «problème kurde». Il faut dire que la plupart des citoyens turcs n'ont
aucune animosité à l'égard des Kurdes ou de toute autre ethnie, ce qui n'empêche
pas les autorités politiques de veiller au grain.
Rappelons cette
anecdote rapportée par un citoyen turc vivant maintenant en France. Ce monsieur
affirme que, lors de son entraînement militaire obligatoire, un conférencier
avait été invité; c'était un professeur d'histoire de l'une des universités les
plus réputées du pays. Il visitait les casernes et rappelait à son auditoire les
«bons sentiments patriotiques» que tout Turc devait développer. Le brave homme
expliquait «scientifiquement» aux jeunes soldats qu'il n'y avait pas de
«problème kurde» en Turquie, tout simplement parce que les Kurdes n'existaient
pas (sic):
Un Kurde est en fait un Turc
qui, pour une raison ou pour une autre, quitte sa vallée et va s'installer
dans les montagnes. Au fur et à mesure, il dégénère et il oublie comment
parler correctement. Au bout de quelques générations, les enfants de ces
Turcs montagnards parlent donc un patois local dérivé du turc, mais
qu'on ne comprend plus. Comme dans les montagnes, il y a toujours de la
neige, quand on marche dessus, cela fait crac-crac (en turc kitir-kitir)...
Et ce kitir-kitir a donné le mot kurde qu'on applique à ces dégénérés. |
Certes, on ne peut accuser tous les Turcs de méchanceté, mais il existe une
forte dose de naïveté dans la population probablement entretenue par les
autorités, afin de balayer la question kurde sous le tapis.
4.3 L'adhésion à l'Union européenne
À la différence de leurs «frères» d’Irak et d’Iran, les Kurdes
de Turquie disposent d’un atout important dans la lutte pour obtenir leurs
droits. En effet, le gouvernement turc désire ardemment adhérer à l'Union européenne.
C’est sans doute pour cette raison que la Turquie a signé (mais non encore
ratifié), le 22 janvier 2000, la Convention-cadre pour la protection des
minorités nationales. La Turquie a déposé sa demande d’adhésion à l'Union
européenne, le 14 avril 1987. Elle a signé signé un accord d'Union douanière en
1995 et a officiellement été reconnue candidate le 12 décembre 1999 lors du
Sommet européen d'Helsinki.
Toutefois, l’objectif d’intégrer l’Europe reste
impossible à atteindre tant que la Turquie demeurera incapable de respecter les
droits de l'Homme et de résoudre la question kurde. Bien que la candidature de la
Turquie à l’Union européenne ait été acceptée en 1999, les
autorités turques doivent, à présent, pleinement répondre aux critères d’adhésion
afin de pouvoir prétendre devenir un État-membre de l’Union européenne.
La question kurde reste la principale cause de l’actuel
système de répression sévère et de la structure antidémocratique de la Turquie.
Il faudra plus que d'accorder des droits individuels ni même un statut de
minorité pour résoudre la question kurde!
N’oublions
pas que la «sale guerre» contre les Kurdes a fait plus de 31 000 morts (depuis 1984), déplacé
plusieurs millions de personnes et détruit plus de 3000 villages, rasés ou
évacués. Selon les observateurs occidentaux, l’armée turque est bel et bien
coupable de «terrorisme d'État». Il faudra bien un jour que le gouvernement
turc accepte au moins de reconnaître le fait kurde pour permettrait l'ouverture
d'un dialogue entre les autorités et les Kurdes. On n’en est pas encore là!
De tels faits démontrent que la situation des minorités demeure très
insatisfaisante pour toutes les minorités, car les violations toujours
persistantes et institutionnalisées des droits de l’homme remettent en
question la capacité de la Turquie de devenir membre de l’Union européenne.
Le 3 août 2002, le Parlement a non
seulement adopté l'abolition de la peine de mort en Turquie (ce qui signifiait
la prison à vie pour le chef kurde
Öcalan), mais également
un ensemble de réformes démocratiques,
à l'issue de 16 heures de débats parfois houleux. Dorénavant, la diffusion de
programmes audiovisuels en langue kurde sera autorisée à certaines conditions, ainsi que
l'enseignement privé du kurde. Le Parlement a également étendu la liberté
d'expression et d'association, limité la répression des manifestations
publiques et élargi les droits des instances religieuses non musulmanes.
Il y a d'autres sujets encore à clarifier et surtout, il y a un certain nombre
de décrets d'application qui doivent être pris, par exemple sur la diffusion télévisée
et radiophonique de «langues autres que le turc» ou l'enseignement de ces
langues. Rappelons que l'armée
toute puissante, qui a déjà renversé plusieurs gouvernements depuis 1960,
s'est toujours opposée à toute forme de concession aux 15 millions de kurdes
du pays.
Dans certains milieux turcs, on parle de résoudre «la question kurde» et
de la distinguer du «terrorisme». De leur côté, des responsables kurdes de
la région semblent prêts à accepter une large autonomie, qui ne serait pas
l'indépendance. Beaucoup de Kurdes demandent que la Turquie se transforme en
une république fédérale au sein de laquelle ils bénéficieraient d'une
grande autonomie. D'autres n'hésitent pas à demander le maximum: l'autonomie
politique et la formation d'un Grand Kurdistan avec les régions kurdes d'Iran,
d'Irak et de Syrie. Pour que ces beaux discours de part et d’autre ne soient
pas vides de sens, il faudrait plusieurs conditions extrêmement difficiles à
réaliser:
1) que l'État turc apprenne à respecter ses engagements,
2) que la minorité kurde cesse d'alimenter ses propres rivalités internes,
3) que les États de la région (Turquie, Irak, Iran, Syrie) acceptent de
coexister les uns avec les autres,
4) que la poursuite des combats ne soient plus un prétexte pour justifier la
présence militaire américaine dans la région.
Tout un programme en perspective! Pourtant, la rébellion kurde qui affecte
régulièrement depuis 1984 le sud de la Turquie pose un problème d'image au
plan international pour le gouvernement d'Ankara. Depuis la désintégration de
l'URSS et la guerre du Golfe avec l'Irak, la Turquie tente de tirer
partie de la nouvelle situation internationale. Elle veut se poser comme LA
puissance «occidentale» importante dans la région et se tord dans tous les
sens pour sortir du carcan et devenir un État de droit. Y réussira-t-elle?
Probablement, mais dans quelques décennies.
Si le passé est garant de l’avenir, celui-ci reste sombre.
Il faut toujours se rappeler que, dans le passé, la Turquie n'a jamais cessé
de recourir à des méthodes répressives à l'égard de ses minorités. L'assimilation systématique,
dont furent victimes les Grecs, les Bulgares, les Arméniens et les Kurdes, a laissé des
traces indélébiles chez ces peuples. Elle a suscité la révolte et la haine,
et a abouti à un échec; l'éternelle rébellion kurde en est la preuve
manifeste aujourd'hui.
Il faudra bien, un jour, que la Turquie remette en question
ses mauvaises relations avec ses minorités et son passé passablement sanguinaire. Chose certaine, les
politiques d'assimilation vont à l'encontre du droit des peuples à la vie et
à leur existence collective. Dans les cas d'assimilation forcée, le silence de la
communauté internationale est toujours une forme de complicité. La Turquie,
qui jouit depuis fin 1999 d'un statut de pré-candidate à l'Union européenne, réclamait
qu'une date pour l'ouverture de négociations d'adhésion soit fixée avant la fin
de 2002. Pour le moment, l'adhésion de la Turquie à l'UE demeure au point mort,
les négociations étant bloquées. Pendant que la Turquie croit que l'UE est un
«club chrétien» dénué de fondement légitime, certains États ont peur d'un flux
migratoire musulman. Finalement, le poids des opinions publiques européennes,
majoritairement défavorables à l'intégration de la Turquie, pèse davantage dans
la décision.
Surtout, il faudra que le système politique turc apprenne à
se défaire de ses vieux réflexes : mainmise de l’armée sur le gouvernement,
guerre contre le «terrorisme kurde» et interdiction de tout ce qui conteste le
dogme kaméliste inventé par Mustafa Kemal, le «père des Turcs». Sinon, point de
paix possible! Il faudrait abolir le fameux Conseil national de sécurité (MGK)
créé en Turquie par les sept généraux putschistes de septembre 1980, car dans ce
pays les «conseils» du MGK ont toujours été respectés par le Parlement et ils sont
considérés «comme des lois avant l’heure».
La grande erreur de la Turquie fut d'avoir
fonctionné en terme d’«État-nation», alors que la structure sociale du
pays était manifestement multinationale. L’échec était d’autant
plus prévisible que cette politique d’uniformisation se réalisait sur une
base autocratique. Dès lors, le recours à la violence était inévitable. De
plus, loin d’enrayer les mouvements d’émancipation kurde, la mobilisation
turque ne réussit qu’à les renforcer et les confirmer dans leur volonté de
rupture avec cet État-nation dont les Kurdes et les autres minorités sont totalement exclus. On doit
reconnaître également que la Turquie devient de plus en plus conservatrice, de
plus en plus nationaliste et de plus en plus islamiste. Le nationalisme turc,
qui a très fréquemment l'allure de la xénophobie, pose une menace bien plus
sérieuse que l'islamisme. Le fait que le terrorisme kurde semble vouloir
s'arrêter constitue une source d'encouragement, mais peut perpétuer aussi le
nationalisme au sein de l'opinion publique turque.
Or, en Turquie, l'opinion
publique et les médias sont prêts à accepter toutes les violations des droits de
l'Homme, pourvu que le «terrorisme kurde» soit supprimé. Bref, il convient de se
demander si les gouvernements, actuels et futurs, parviendront à faire adhérer
la société turque aux valeurs européennes des droits de l'Homme. C'est même
probable, mais ce n'est certainement pas pour demain! De leur côté,
beaucoup de Kurdes placent leurs espoirs d’un avenir meilleur dans l’adhésion de
la Turquie à l’Union européenne qu’ils perçoivent comme un espace multiculturel
de paix, de démocratie et de pluralisme. Ils estiment qu'ils ont le droit de
vivre dans la dignité sur la terre de leurs ancêtres, de préserver leur
identité, leur culture, leur langue et de les transmettre librement à leurs
enfants. Pour le moment, c'est encore un rêve! En Turquie, les lois finissent
par changer avec le temps, alors que leur application peut aussi être longue.
Dernière mise à jour:
17 août 2024
La Turquie
Kurdistan