Turquie
 

Situation générale

République de Turquie

Capitale: Ankara
Population: 75,5 millions (2014)
Langue officielle: turc 
Groupe majoritaire:
turc (78 %) 
Groupes minoritaires: kurde (12,5 %) arabe, azéri, kabarde, persan (farsi), arménien, assyrien, bulgare (pomaque), tatar de Crimée, géorgien, grec, kazakh, karakalpak, bosniaque, serbe, ouzbek, circassien, etc. 
Système politique: république parlementaire et pluraliste en phase de transition démocratique

Articles constitutionnels (langue): art. 3, 10, 14, 26, 28, 42, 134 de la Constitution de 2001; le traité de Lausanne de 1923; la Convention-cadre pour la protection des langues minoritaires du Conseil de l’Europe (signature seulement)

Lois linguistiques: Loi sur l'usage du turc dans les établissements (1926); Loi sur l'adoption et l'implantation de l'alphabet turc (1928); Loi n° 2932 du 19 octobre 1983 relative aux publications faites dans une autre langue que le turc (abrogée); Règlement relatif aux émissions de radio et de télévision dans les langues et dialectes traditionnellement employés par les citoyens turcs dans leur vie quotidienne (2004); Règlement sur l'enseignement dans les diverses langues et les divers dialectes traditionnellement employés par les citoyens turcs dans leur vie quotidienne (2003);
Lois à portée linguistique: Loi sur les colonies (1934, abrogée); Loi sur l'administration provinciale (1949); Loi sur la presse (1950); Loi relative aux crimes commis contre Atatürk (1951); Loi fondamentale sur l'éducation (1973); Loi sur les partis politiques, n° 2820 (1982); Loi sur les établissements d'enseignement particuliers (1965-1883); Loi sur l'éducation et l'enseignement d'une langue étrangère (1983); Décret  n° 92/2788 du 20 mars 1992; Loi relative à la création et aux émissions de télévision et de radio (1994); Loi publique sur l'application des certificats de garantie (2003); Loi modifiant la loi sur la protection du consommateur (2003);  Loi sur l'exécution des peines et sur les mesures de sécurité (2004); Loi sur les associations (2004); Loi modifiant le Code pénal turc (2008); Loi sur la procédure civile (2011).

1 Situation géographique

La Turquie (en turc : Türkiye; en anglais: Turkiye, pour éviter Turkey (dinde») est un État du Proche-Orient limité au nord-est par la Bulgarie et la Grèce, à l'ouest par la mer Égée, au sud par la Méditerranée, au sud-est par la Syrie et l'Irak, à l'est par l'Iran, au nord par la mer Noire et l'Arménie. La superficie du pays est de 780 580 km², ce qui est considérable par rapport aux États voisins: Grèce (131 940 km²), Bulgarie (110 910 km²), Syrie (185 180 km²), Irak (437 072 km²), etc. La Turquie est donc située dans une région explosive où les différents États se sont souvent livrés à d'incessantes guerres.

L'État turc est constitué de 81 provinces (appelées il) à la tête desquelles se trouve une sorte de préfet (vali). Celui-ci est généralement un membre du parti majoritaire régional et représente le gouvernement central dans sa province. Les provinces sont elles-mêmes divisées en districts ou arrondissements (ilce) placés sous l'autorité d'un gouverneur de district (kaymakam), nommé par le ministre de l'Intérieur. Il existe dans le pays près de 900 districts subdivisés en sous-districts (bucak), lesquels n'ont qu'un champ de compétences minime.

La Turquie compte aussi sept régions géographiques : Région de Marmara (Marmara Bölgesi), Région égéenne (Ege Bölgesi), Région de la mer Noire (Karadeniz Bölgesi), Région de l'Anatolie centrale (İç Anadolu Bölgesi)), Région de l'Anatolie orientale (Doğu Anadolu Bölgesi), Région méditerranéenne (Akdeniz Bölgesi) et Région de l'Anatolie du Sud-Est (Güneydoğu Anadolu Bölgesi).

Ces régions n'ont pas d'existence administrative proprement dite. C'est pourquoi elles n'ont pas de capitale ni de conseil régional.

Depuis 1987, la Turquie a instauré un état d'exception en vigueur dans plusieurs provinces du sud-est du pays, soit le territoire kurde, Diyarbakir, Van, Hakkari, Siirt, Sirnak, Mardin, Tunceli, Bingöl, etc. (voir la carte). Ces provinces sont placées sous l'autorité d'un «gouverneur d'exception», appelé aussi «supergouverneur». Avec la Loi sur le statut d'exception, ce dernier a des compétences étendues pour combattre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L'état d'exception doit être régulièrement confirmé par le Parlement, mais les députés font consensus pour prolonger cette mesure dans les provinces kurdes.

2 Données démolinguistiques

On dénombre près d'une quarantaine de langues en Turquie, réparties en quelques familles linguistiques, dont surtout les familles altaïque et indo-européenne (langues indo-iraniennes). Aucune des données démolinguistiques qui suivent ne provient du gouvernement de la Turquie. Dans ce pays, la question de l'origine ethnique des citoyens relève de la loi su silence, par peur des représailles ou de ségrégation. De toute façon, cette question n'intéresse pas le gouvernement turc pour lequel tous les habitants de la Turquie sont des Turcs. La plupart des données de cette page du site proviennent soit d'Ethologue (''Languages of the World''), soit du groupe Joshua Project. Bref, les données démolinguistiques sont forcément moins fiables.

2.1 Les langues parlées en Turquie

Plus de 78 % de la population du pays parle le turc (incluant le turc de Crimée), une langue de la famille altaïque. Le pays compte plusieurs autres langues altaïques telles que l’azéri, le gagaouze, le tatar, le karakalpak, l'abkhaz, le kazakh, l’ouzbek, etc., ainsi que des minorités parlant des langues indo-européennes telles que le grec, l'arménien, le bulgare, l'albanais, le bosniaque, le macédonien, etc., ou encore une langue caucasienne comme le géorgien, le mingrélien, le laze, le tchétchène ou le circassien. On trouve aussi des minorités arabophones (Leventins et Assyriens), chinoise, iranienne, etc. Le kurde (incluant ses variétés) constitue un cas particulier, car cette langue est parlée par 12,5 % de la population. Quoi qu'il en soit, ce sont les langues turciques de la famille altaïque, qui sont généralement les plus nombreuses (en caractères gras dans le tableau ci-dessous), à l'exception du kurde et du persan (langues indo-iraniennes).

Tableau des langues maternelles utilisées

Groupe ethnique Population Pourcentage Langue maternelle Affiliation linguistique Religion
Turcs (anatoliens) 53 402 000 70,6 % turc islam sunnite
Kurdes kurmanji 8 127 000 10,7 % kurde kurmanji islam sunnite
Kurdes turcophones 5 881 000 7,7 % turc islam sunnite
Kurdes dimili 1 155 000 1,5 % kurde dimili (zazaki) islam sunnite
Arabes libanais 1 133 000 1,4 % arabe leventin islam sunnite
Kabardiens (Circassiens) 1 062 000 1,4 % kabarde (circassien oriental) islam sunnite
Persans 618 000 0,8 % persan (farsi) islam chiite
Azerbaïdjanais du Sud 540 000 0,7 % azéri méridional islam chiite
Arabes irakiens 520 000 0,6 % arabe mésopotamien du Nord langue sémitique islam sunnite
Gagaouzes 418 000 0,5 % gagaouze  famille altaïque islam sunnite
Pomaques 351 000 0,4 % bulgare (pomaque) islam sunnite
Grecs pontiques 321 000 0,4 % grec pontique orthodoxe
Adyghéens (Circassiens) 316 000 0,4 % adyghéen (circassien) islam sunnite
Kurdes alévis 184 000 0,2 % kurde zazaki du Nord (alévi)) islam aléviste
Géorgiens 151 000 0,1 % géorgien langue caucasienne orthodoxe
Arabes irakiens 101 000 0,1 % arabe mésopotamien du Sud islam sunnite
Bosniaques 101 000 0,1 % bosniaque islam sunnite
Tchétchènes 101 000 0,0 % tchétchène islam sunnite
Tatars de Crimée 100 000 0,1 % tatar de Crimée islam sunnite
Lazes 93 000 0,1 % laze islam sunnite
Karakalpaks 74 000 0,0 % karakalpak islam sunnite
Nomades des Balkans 66 000 0,0 % romani des Balkans islam sunnite
Albanais tosk 66 000 0,0 % albanais tosk islam sunnite
Arméniens 61 000 0,0 % arménien orthodoxe
Abkhazes 44 000 0,0 % abkhaze islam sunnite
Herki 39 000 0,0 % kurde du Nord islam sunnite
Chinois hans 38 000 0,0 % chinois mandarin bouddhisme
Ossètes 37 000 0,0 % ossète langue indo-iranienne islam sunnite
Britanniques 35 000 0,0 % anglais christianisme
Macédoniens 32 000 0,0 % macédonien orthodoxe
Tsiganes domari 31 000 0,0 % domari langue indo-iranienne islam sunnite
Tatares 26 000 0,0 % tatar islam sunnite
Assyriens 25 000 0,0 % assyrien néo-araméen christianisme
Kurdes shikaki 23 000 0,0 % kurde shikaki islam sunnite
Ourdous 22 000 0,0 % ourdou islam sunnite
Hemshin 20 000 0,0 % turc islam sunnite
Turcs meskhetian 20 000 0,0 % turc islam sunnite
Turcs juifs 17 000 0,0 % turc famille altaïque judaïsme
Gajal 16 000 0,0 % turc famille altaïque islam sunnite
Araméens turoyo 15 000 0,0 % araméen turoyo langue sémitique christianisme
Juifs espagnols 13 000 0,0 % ladino langue romane judaïsme
Abaza 12 000 0,0 % Abaza islam sunnite
Kazakhs 7 700 0,0 % kazakh islam sunnite
Américains 7 600 0,0 % anglais langue germanique christianisme
Bulgares 7 000 0,0 % bulgare orthodoxe
Russes 6 800 0,0 % russe orthodoxe
Allemands 6 100 0,0 % allemand christianisme
Serbes 4 500 0,0 % serbe orthodoxe
Français 3 900 1.00 % français christianisme
Ouzbeks du Sud 3 800 0,0 % ouzbek islam sunnite
Grecs 3 600 0,0 % grec orthodoxe
Autres 108 800 0,1 % - - -
Total (2014)

75 566 800

100 %      

Quoi qu'il en soit, il est quasi impossible de dénombrer avec précision le nombre des locuteurs d'une langue en Turquie, car aucun recensement ne porte sur les langues. La carte ci-dessous présente la répartition géographique des principaux groupes ethniques en Turquie.

Nous pouvons constater que les minorités sont généralement concentrées dans les zones périphériques, notamment au sud-est, près des frontières avec l'Iran, l'.Irak et la Syrie.

Les Azéris, les Mingréliens et les Géorgiens sont présents au nord-est, alors que les Arabes et les Turkmènes habitent au sud. Quant aux Kurdes, ils occupent plusieurs provinces du Sud-Est. Les seules minorités au nord-ouest sont les Gagaouzes et les Circassiens au sud de la mer de Marmara, mais ces derniers sont aussi éparpillées au centre de l'Anatolie. Autour du lac de Tuz, on trouve des Tatars, des Circassiens et des Kurdes. En français, le mot Caucasien désigne un habitant du Caucase ou une langue parlée par les Caucasiens; en anglais, notamment aux États-Unis, il est employé comme synonyme de «race blanche» ou d'Européen.

2.2 Le turc

Le nom «turc» est utilisé à la fois pour désigner la langue nationale de la Turquie et pour tout le groupe des langues dites «turques» (turc, turkmène, ouzbek, azéri, kazakh, etc.). Quand on parle des «langues turques, on fait référence à l'ensemble des langues de ce groupe de la famille altaïque. Le terme «turcique» pour désigner les langues de ce groupe peut être employé à la place de «turque» (fém.), mais ce terme n'est pas encore courant dans les dictionnaires français. À l'époque de l'Empire ottoman, on utilisait le qualificatif «turc osmanli» ou «turc ottoman» ou «turc ancien» pour désigner la langue turque. Le nom Osmanli est le nom de la dynastie ottomane fondée par Osman Ier (né en 1258, sultan de 1281 à 1324) à Constantinople (devenue depuis Istanbul).

Le turc est non seulement l'unique langue officielle de la Turquie, mais c'est aussi la langue majoritaire du pays parce qu'il est parlé par 74 % de la population, incluant le turc de Crimée (7,2 %). Le turc est aussi employé par la diaspora turque dans une trentaine de pays. Certaines communautés turcophones ont perduré à la suite de la disparition de l'Empire ottoman (en Grèce, en Bulgarie, en Moldavie, en Roumanie, en Macédoine, en Serbie, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, etc.). Il existe d'importantes communautés turcophones immigrantes en France, aux Pays-Bas, en Autriche, en Belgique, en Suisse et au Royaume-Uni, sans oublier les pays scandinaves.

- Le turc ottoman

Dans l'ancien Empire ottoman (1299-1922), la langue turque avait subi l'influence massive de l'arabe coranique et du persan. La langue officielle de l’Empire était ce qu'on pourrait appeler le «turc ottoman», dont la caractéristique était une variété linguistique savante faite d'un mélange d'arabe, de persan et de turc; il s'écrivait en alphabet arabo-persan. Durant près de 1000 ans, les lettrés ont emprunté non seulement des mots à l'arabe et au persan, mais aussi des expressions figées ainsi que des structures syntaxiques. Dans les dernières années de l'Empire ottoman, cette situation était telle que plus de 70 % du vocabulaire ottoman était composé de mots persans et arabes. Dans les faits, cette langue «turque ottomane», passablement artificielle, n’était écrite et parlée que par l'élite ottomane, car elle était quasiment incompréhensible par l'ensemble de la population turcophone rurale vivant à l'intérieur des frontières de l'Empire. Tout au cours de cette longue période, le turc populaire est resté la «langue des pauvres et des illettrés».

Évidemment, le turc parlé par le peuple était synonyme de «langage grossier» et de «rusticité», mais c'était néanmoins la langue courante de l'époque pour les turcophones. Il existe des traces de ce «turc populaire» de l’époque. On l'appelle généralement le «turc oghouze», mais c'était essentiellement le turc courant parlé à l'époque ottomane. La langue turque du peuple n'a jamais fait l'objet d'un quelconque enseignement. Sous l'Empire, on enseignait le turc ottoman, l'arabe coranique et le persan. Le turc ottoman connaissait trois variantes différentes:

1) Le turc ottoman éloquent (beliğ Osmanlı Türk) : il fut en usage jusqu'à la fin du XVIe siècle dans les cours anatoliennes;
2) Le turc ottoman moyen (
Osmanlı Türk araçlar) : c'était la langue utilisée à des fins administratives;
3) Le nouveau turc ottoman (Yeni Osmanlı Türk) : cette variété n'est apparue qu'au cours des années 1850.

Ce n'est qu'en 1839 que le turc ottoman moyen fut employé exclusivement dans l'Empire. Après 1923, Mustafa Kemal Atatürk a fait adopter l'alphabet latin pour écrire le turc et a encouragé les travaux visant à remplacer les mots arabes ou persans par des néologismes d'origine turque. La majorité des mots d'origine arabe et persane ont été remplacés par des mots d'origine turque ancienne, des mots dérivés du français et des mots nouveaux composés de mots turcs anciens.

- Les langues turciques

Le groupe turc ou groupe des langues turciques comprend une quarantaine de langues réparties dans une vaste région allant de l'Europe de l'Est (Moldavie) jusqu'à la Sibérie en passant par les républiques du Caucase et de l'Asie centrale, ainsi que l'ouest de la Chine. Environ 200 millions de locuteurs pratiquent une langue turque comme langue maternelle, auxquels s'ajoutent quelques dizaines de millions additionnels comme seconde langue.

Parmi toutes les langues turciques, les plus importantes en nombre de locuteurs sont le turc (75 millions) de Turquie, l'azéri (25 millions) de l'Azerbaïdjan, l'ouzbek (15 millions) de l'Ouzbékistan, le kazakh (12 millions) du Kazakhstan, le turkmène (7 millions) du Turkménistan, le kirghiz (4 millions) du Kirghizistan. Il existe encore plusieurs langues turques au Tadjikistan (ouzbek), en Afghanistan (ouzbek), en Mongolie (kazakh, touvain), en Chine (kazakh, ouïgour, salar) et en Russie (tatar, karachai, koumik, tchouvache, khalaj, bachkir, touvain, khaskas, nogaï, yakoute et dolgan).

Certaines langues turciques possèdent un degré de compréhension élevé en raison de leurs similitudes. Le tableau ci-dessous (< Wikipedia) illustre des ressemblances lexicales entre le turc ottoman, le turc moderne, l'azéri, le turkmène, le kazakh et l'ouzbek:

Français Turc ottoman
(vieux turc)
Turc
(Turquie)
Azéri
(Azerbaïdjan)
Turkmène
(Turkménistan)
Kazakh
(Kazakhstan)
Ouzbek
(Ouzbékistan)
Maman ana anne/ana ana ene ana ona
Nez burun burun burun burun murın burun
Bras kol kol qol qol qol qo'l
Route yol yol yol ýol jol yo'l
Terre toprak toprak torpaq topraq topıraq tuproq
Sang qan kan gan gan qan qon
Cendre kül kül kül köl kul kul
Eau su su su suw suw suv
Blanc ak beyaz ak aq oq
Noir qara siyah gara garä qara qora
Rouge qızıl kırmızı qızıl qyzyl qızıl qizil
Ciel kök gök göy gök kök ko'k

Il ne faut pas croire que tout le lexique de ces langues est ainsi fait, c'est-à-dire qu'il serait en tout point similaire. On n'aurait pas alors affaire à des langues différentes. Si les similitudes l'emportent sur les différences pour le turc, l'azéri, le turkmène et le gagaouze, il s'agit néanmoins de langues différentes qui se sont éloignées les unes des autres à la suite d'une série de conquêtes et de migrations des peuples turcs nomades, principalement les Oghouzes du nord de l'Asie centrale, à partir du Ve siècle et, de façon plus importante, au XIIIe siècle. La phonétique, la grammaire, les emprunts à d'autre langues, les particularités locales, etc., en font des langues distinctes au même titre que les langues romanes telles que l'espagnol, le catalan, le portugais, l'italien, le français, etc.

- Les variétés dialectales

La langue turque d'aujourd'hui est encore fragmentée par des variétés dialectales, notamment entre l'est de l'Anatolie, le Centre et l'Ouest. On distingue les dialectes de la Roumélie orientale (une dizaine), les dialectes anatoliens de l'Est (une vingtaine), les dialectes anatoliens du Nord-Est (une dizaine) et les dialectes anatoliens de l'Ouest (une trentaine). Ces variétés dialectales sont désignées selon le nom de la localité, du district ou de la province.

Le nom de Roumélie servait à désigner les régions ottomanes situées dans la partie européenne de la Turquie actuelle, ainsi que la Thrace (Grèce), la Bulgarie, la Macédoine, le Kosovo, la Bosnie, etc., bref la grande région des Balkans actuels. On distinguait la Roumélie occidentale de la Rouménie orientale. Tous les locuteurs d'aujourd'hui qui parlent le turc dans ces régions à l'ouest d'Istanbul s'expriment en turc roumélien.

- Une langue agglutinante

D'après les linguistes, le turc contemporain est une langue dite «agglutinante», comme le sont aussi de nombreuses autres langues telles le mongol (langue altaïque), le hongrois (langue ouralienne), le tamoul (langue dravidienne), le géorgien (langue caucasienne), le berbère (langue sémitique), le zoulou (langue bantoue), l'arménien (langue indo-européenne), le japonais (langue japonique), etc.

maison ev
les maisons evler
ma maison evim
mes maisons evler
ta maison evinizi
leurs maisons evleri
dans la maison evde
dans sa maison evinde
un habitant bir sakini
un habitant de la maison evin bir sakini
les habitants de la maison evin sakinleri

Une langue est dite «agglutinante» lorsqu'elle est basée sur l'ajout d'affixes (préfixes ou suffixes) à un mot lexical ou un radical de base. Ainsi, à partir du mot ev («maison»), il est possible de former : evler («les maisons»), evlerim («mes maisons»), evinizi,  («ta maison»), evleri («leurs maisons»),  evde («dans la maison»), evinde («dans sa maison»), etc. C'est un système morphologique relativement simple qui a l'avantage d'exclure les mots-outils tels les prépositions ou les adverbes comme en français.

Avec un verbe, par exemple gitmek («aller»), on peut former ben gitmek («j'y vais»), ben gitmiyorum («je n'y vais pas»), oraya gitmek («tu y vas»), ben gittim («j'y allais»), ben giderim («je vais y aller»), etc. Le système paraît évidemment plus complexe lorsque le radical change de forme : gitmek, gitmi-, gitt-, gider-.

- Une langue à déclinaison

De plus, selon la fonction du mot dans la phrase, le turc possède six cas: le nominatif (sujet), le génitif, le datif, l'accusatif, le locatif et l'ablatif). Il n'y a en turc ni articles ni genre grammatical (masculin, féminin, neutre).

Nominatif (sujet) La maison m'appartient. Evin bana ait.
Accusatif J'achète la maison. Ben ev aldım.
Locatif Je vais à la maison. Ben eve gidiyorum.
Génitif Le mur de la maison est tombé. Evin duvarı düştü.
Ablatif Je passe par la maison bleue. Ben mavi evin geçmesi.
Datif J'ajoute un balcon à la maison. Ben evde bir balkon ekleyin.

On peut constater aussi que le turc possède une syntaxe différente de celle du français qui privilégie l'ordre SVO (sujet + verbe + complément objet). En effet, le turc est une langue SOV, c'est-à-dire que l'ordre des mots dans les phrases simples est sujet + objet + verbe.

- Le lexique turc

Au point de vue du lexique, bien que les mots soient d'origine turque dans une proportion élevée de 86%, d'autres mots proviennent d'abord de l'arabe (6,1%), du français (4,7%) et du persan (1,3 %). Les autres langues sont l'italien, l'anglais, le grec, le latin, l'allemand,  le russe, etc.

Voici une liste de mots turcs empruntés au français:

kasket (< casquette)
kravat (< cravate)
şömine (< cheminée)
pardösü (< pardessus
sükse (< succès)
otel (< hôtel)
kilot (< culotte)
basen (< base)
kota (< quota)
ekonomi (< économie)
siluet (< silhouette)
büro (< bureau)
fakülte (< faculté)
üniversite (< université)
fabrika (< fabrique/usine)
defo (< défaut)
portre (< portrait)
polis (< police)
hipodrom (< hippodrome)
telgraf (< télégraphe)
süeter (< suédine)
profil (< profil)
müze (< musée)
müzik (
< musique)
dosya (< dossier)
bonbon (< bonbon)
çukulata (< chocolat)
triko (< tricot)
klavye (< clavier)
tomat (< tomate)
bandrol (< banderole)
istasyon (< station)
alkol (< alcool)
asit (< acide)
radyo (< radio)
menü (< mernu)

Évidemment, si le turc les a pris du français, le français peut les avoir empruntés lui-même au grec, à l'anglais, à l'espagnol, etc. Pour les historiens de la langue turque, c'étaient à l'origine des mots français, mais pour un turcophone d'aujourd'hui ce sont tous des mots turcs.

Depuis la mort d'Atatürk en 1938, la langue turque a beaucoup évolué. Aujourd'hui, aucun enfant turc du primaire ne pourrait comprendre aisément un texte original de Mustafa Kemal, «le père des Turcs», car non seulement le vocabulaire s'est modifié, mais également la syntaxe.  Le turc contemporain est maintenant très proche de la langue parlée à la radio et à la télévision, formes qui deviennent rapidement la norme dans la société turque. Au cours des décennies du XXe siècle, la nécessité d'utiliser la langue administrative et son enseignement dans les établissements d'enseignement (écoles et universités) ont fait entrer dans le vocabulaire courant d'innombrables néologismes, dont beaucoup d'emprunts à l'anglais, au français et à l'allemand. De plus, d'un milieu social à l'autre, le vocabulaire peut changer. Par exemple, si un juriste est demeuré plus familier avec les anciens textes turcs, il n'en est pas ainsi pour un architecte ou un ingénieur. Quant au turc ottoman, il est devenu aussi difficile qu'un texte en ancien français du XIIIe siècle peut l'être pour un francophone du XXIe siècle.  

2.3 Le kurde

Comme on peut le constater, la plus importante minorité de la Turquie reste évidemment la communauté kurde (avec 13 millions de locuteurs) du groupe indo-iranien appartenant à la famille indo-européenne. Les Kurdes vivent dans le Kurdistan («le pays des Kurdes»), une région de montagnes et de hauts plateaux d'Asie centrale, dont la majeure partie se trouve en Turquie, en Irak et en Iran, mais également en Syrie.

- Le Kurdistan

En somme, sur un territoire continu, on distingue le Kurdistan irakien, le Kurdistan turc, le Kurdistan syrien et le Kurdistan iranien. 
 

Zones géographiques Superficie
en km
2
Pourcentage
du Kurdistan
Pourcentage du pays
de rattachement
Kurdistan turc (Nord) 210 000 41,7 % 26,9 %
Kurdistan iranien (oriental) 195 000 38,7 % 11,8 %
Kurdistan irakien (Sud) 83 000 16,5 % 18,8 %
Kurdistan syrien (occidental) 15 000    2,9 %   8,1 %
Total Kurdistan

503 000

100 %

 
Source : Office franco-kurde, 2001

- La fragmentation linguistique

Au plan linguistique, la langue kurde est le résultat de la fragmentation politique qui a duré plusieurs siècles. Il convient de distinguer les variétés suivantes :

- Le kurde septentrional appelé aussi kurde kurmanji : cette variété est parlée dans le nord de l'Irak (2,8 millions), au nord-est de la Syrie (900 000), au sud-est de la Turquie (15 millions), dans le nord-ouest de l'Iran (350 000), en Arménie (45 000), en Géorgie (40 000), en Azerbaïdjan (20 00), au Turkménistan (20 000) et au Liban (75 000). Les dialectes sont les suivants: ashiti, bayezidi, boti, hekari, marashi, mihemedî, shemdinani, shikakî et silivî.

- Le kurde central ou kurde sorani : cette variété, qui n'est pas parlée en Turquie, est restreinte au nord-est de l'Irak (3,5 millions) et au nord-ouest de l'Iran (3,2 millions). Les dialectes sont les suivants: bingird, garmiyani, hewleri, kerkuki, mukri, pizhdar, rewandiz, suleimani, warmawa, xoshnaw.

- Le kurde méridional ou kurde gorani : cette variété n'est pas davantage parlée en Turquie, car elle est utilisée à l'est de Bagdad en Irak (1 million) et en Iran (3 millions), avec comme dialectes: bayray, feyli, garrusi, kalhori, kermanshahi, kolyai, kordali, louri, malekshahi et sanjabi.

Pour chacun des trois grands groupes, il peut y avoir un grand nombre de variétés dialectales. En Turquie, il existe une autre variété appelée zaza, zazaki ou dimili et parlée par trois millions de locuteurs. Cette langue est considérée par certains linguistes comme une variété de kurde, mais d'autres affirment qu'il s'agit d'une langue iranienne distincte du kurde.

Cette variété de zazaki présente beaucoup de similitude avec le kurmanji et le persan du Nord en Iran. D'ailleurs, pour les autorités iraniennes, le kurde est un dialecte du farsi (ou persan iranien), tandis que pour les autorités turques le zazaki est un dialecte kurde parlé par des «Turcs montagnards». Quoi qu'il en soit, les Zazas se considèrent eux-mêmes comme des Kurdes. Néanmoins, on sait que la majorité des Kurdes originaires de Turquie sont locuteurs du kurmanji, bien qu'une importante minorité puisse parler le dimili (zazaki) dont l'appartenance au kurde est contesté. Les locuteurs du dimli ou du zazaki sont numériquement minoritaires, géographiquement dispersés parmi les kurmanjophones et parlent souvent le kurmanji.

Le tableau qui suit (de Wikipédia) présente quelques exemples en kurmanji et en sorani, en zazaki ainsi qu'en farsi (ou persan d'Iran) :

Français Kurmanji / sorani Zazaki Persan (farsi)
pain nan nan nān
frère bira, bra bira barādar
jour roj roce/roje/roze rūz
âne ker her xar
œuf hêk/hêlke hak toxm, xāya
œil çav/çaw çim čashm
frère bav/bab, bawk, ba pî, baw, babî, bawk pedar, pidar
poisson masî mase māhi
bon baş, rind/baş, çak baş, rind xub, nīkū, beh
main dest dest dast
langue ziman, ziwan ziwan, zon zabān
dix deh/de des dah
village gund/dê dewe deh, wis
eau av/aw awe âb/aw

La variété kurmanji est parlée par environ 80 % de tous les Kurdes. C'est la seule variété parlée dans les quatre pays historiques (Turquie, Irak, Syrie et Iran).
 

Certains linguistes organisent autrement la classification de la langue kurde et de ses dialectes.  Ainsi, Najat Abdulla-Ali distingue trois grandes branches :

- kurmanji : comprenant le kurmanji du Nord et le kurmanji du Sud dont ferait partie le sorani;

- gourani-zazaki : comprenant le groupe gourani et le groupe zaza;

- lorî : comprenant «petit lorî» et «grand lorî».

On peut consulter le tableau de Najat Abdulla-Ali, qui illustre cette thèse en cliquant ici, s.v.p.

Kürdistan (latin)
كردستان (arabe)
Курдистан (cyrillique)
De plus, les Kurdes de Turquie écrivent leur langue en alphabet latin ; ceux d'Irak, d'Iran et de Syrie, en alphabet arabe (appelé aussi arabo-persan), ce dernier étant un alphabet un peu modifié de l'arabe; ceux d'Arménie et de Géorgie et d'Arménie, en alphabet cyrillique,  Les Kurdes sont davantage unifiés par la religion, étant presque tous des musulmans sunnites. 

- Les Kurdes assimilés

Il ne faut pas passer sous silence le fait que des millions de Kurdes se sont assimilés aux Turcs au cours de l'Histoire et qu'ils ont adopté le turc comme langue maternelle. En effet, on compterait  5,8 millions de Kurdes turquifiés sur une population totale de 15,3 millions de locuteurs, ce qui représente 38,2 % de tous les Kurdes de Turquie.

Ethnie Nombre Langue maternelle Pourcentage
Kurdes kurmanji 8 127 000 kurde kurmanji 52,8 %
Kurdes turcophones 5 881 000 turc 38,2 %
Kurdes dimili ou zazaki 1 155 000 kurde dimili (zazaki)   7,5 %
Kurdes alévis    184 000 kurde zazaki du Nord ou kurmanji   1,1 %
Kurdes shikaki

     23 000

kurde shikaki   0,0 %
Total

15 370 000

-

100,0 %

Rappelons que le kurde shikaki est une variété dialectale du kurde kurmanji. Quant aux Kurdes alévis ou de rite alévi, ils parlent en général le zazaki du Nord ou le kurmanji, s'ils habitent dans les provinces environs de Tunceli/Dersim, Elazig, Varto et Mus. Mais la langue du culte est toujours le turc officiel.

2.4 Les autres minorités

Bien que les autres minorités représentent un pourcentage très faible de la population, elles sont néanmoins nombreuses. En voici quelques-unes, numériquement dignes de mention.

- Les Arabes

En Turquie, les Arabes sont tous concentrés dans le sud du pays. On en trouve dans l'ancien sandjak d'Alexandrette devenu depuis l'actuelle province d'Antakya (ou Hatay, mais Antioche en français). Les turcophones sont aujourd'hui majoritaires, mais les arabophones constituent une importante minorité dans cette région qui était auparavant syrienne à majorité arabophone. Les arabophones de cette province sont généralement des Arabes libanais. Ceux qui résident au nord de l'Irak sont des Arabes irakiens. Les premiers parlent l'arabe libanais, les seconds, l'arabe irakien.

En 1983, le gouvernement militaire a introduit une loi interdisant toute autre langue que le turc, la loi n° 2932 du 19 octobre 1983. Bien que cette loi ait été abrogée en 1991, la Constitution interdit encore tout établissement d'enseignement dans une autre langue que le turc. La plupart des autres arabophones sont situés près de la frontière syrienne. De plus, tout laisse croire que la population arabophone d'Istanbul est relativement importante. Aucune des communautés arabophones de Turquie ne possède d’école.

- Les Circassiens

Le nom de «Circassiens» correspond à un groupe de peuples vivant principalement dans le Caucase et en Turquie. Selon la région où ils vivent, les Circassiens se font appeler Adiguéens (république des Adyguéens), Tcherkesses (république de Karatchaïévo-Tcherkessie), Kabardes (république de Kabardino-Balkarie et république de Karatchaïévo-Tcherkessie) ou Abkhazes (république autonome d'Abkhazie).  En somme, les Circassiens forment divers peuples de la Russie. Comme bien d'autres minorités ethniques soumises au régime soviétique, les Circassiens ont été massivement déportés : près d'un million et demi d'entre eux se sont réfugiés dans l'Empire ottoman ou en Turquie. 

En Turquie, on distingue les Kabadiens (Kabardes), les Adyghéens et les Abkhazes.

- Les Persans

Les Iraniens (618 000) parlent le persan (ou farsi). Ils sont généralement concentrés près de la frontière iranienne dans les provinces kurdes du Kurdistan turc (Hakkari, Van et Agri).

- Les Azerbaïdjanais

Les Azerbaïdjanais (540 000) parlent l'azéri (ou l'azerbaïdjanais). Leur pays d'origine est l'Azerbaïdjan, mais ils ont émigré en Turquie. Ils pratiquent généralement l'islam chiite et parlent en Turquie le «turc azéri», c'est-à-dire un azéri turquifié. Pour la plupart, ils résident dans ;les provinces du Nord-Ouest (Igdir, Kars et Agri).

- Les Gagaouzes

Les Gagaouzes (418 000) parlent normalement le gagaouze, une langue turque de la famille altaïque transcrite maintenant en alphabet latin (Moldavie). Cependant, cette langue est en voie d'extinction, sauf en Moldavie où 89 % des Gagaouzes parlent le gagaouze comme langue maternelle. En Turquie, la plupart des Gagaouzes (Istanboul et Edirne) ont perdu leur langue et utilisent le turc moderne qu'ils écrivent en caractères grecs. Ils continuent de pratiquer leur religion et dépendent du Patriarcat orthodoxe turc d'Istanbul. Le nombre des gagaouzophones de Turquie ne semble pas très élevé, pas plus de quelques centaines autour d'Istanbul.  

- Les Pomaques

Le terme de Pomaques (ou Pomaks) désigne des populations slavophones de langue bulgare et de religion musulmane habitant la Grèce (dans les départements de Xanthi et du Rhodope) et la Bulgarie (près des montagnes de Rodopi dans le Sud). On désigne les Pomaques sous les termes de Pomatski ou de Pomaski.

La présence des Pomaques est très controversée en Turquie. La Turquie affirme que ces populations seraient des «Turcs pur sang» arrivés en Bulgarie et en Grèce avant l’occupation ottomane et qu’ils auraient apporté leur religion (l'islam) avec eux, mais parleraient maintenant le bulgare.

2.5 L'appartenance religieuse

Selon des estimations non gouvernementales basées sur le dernier recensement portant sur l’affiliation religieuse et l’appartenance ethnique, on compterait 99 % de musulmans en Turquie, dont 80 % de sunnites et 20 % d’alévis et autres communautés chiites

Parmi les non-musulmans, on distingue la communauté arménienne (env. 60 000 personnes), la communauté juive (25 000), la communauté grecque orthodoxe (2500), la communauté assyro-chaldéenne (25 000), la communauté catholique (env. 25 000) et la communauté protestante (seulement 200 personnes).

- Les sunnites

La grande majorité des habitants du pays pratiquent l'islam sunnite. Ce sont d'abord les Turcs, les Kurdes et les Arabes, ainsi que de nombreuses petites minorités.

- Les Grecs orthodoxes

Au moment du traité de Lausanne (1923), près de 300 000 Grecs orthodoxes étaient autorisés à résider en Turquie (alors qu'ils étaient deux millions en 1922 à habiter Istanbul, Kadiköy (Chalcédoine), Imbros (Gökçeada) et Ténédos (Bozcaada), les îles des Princes et à Derques. On ne sait plus trop combien il reste de Grecs aujourd’hui, mais les estimations laissent croire qu’ils seraient tout au plus 9000; il parait plus vraisemblable que le nombre se soit réduit aujourd'hui à quelque 2500 individus. La plupart d'entre eux habitent Istanbul, ainsi que dans les îles de Imbros et de Ténédos (aujourd'hui en turc: Gökçeada et Bozcaada); de toute façon, il leur est interdit d'habiter ailleurs. C'est pourquoi les jeunes ont tendance à quitter massivement le pays pour vivre en Grèce ou en Amérique du Nord. Le comité d’Helsinki pour les droits de l’homme a déjà reconnu en octobre 1991 que la Turquie violait systématiquement les droits de l'homme de la minorité grecque par des pratiques jugées inacceptables telles que le harcèlement par la police, les restrictions sur la liberté d’expression et la liberté religieuse, la discrimination en matière d’éducation, les limitations sur le droit de contrôler des organismes caritatifs, le déni de l’identité ethnique, etc. Évidemment, la communauté grecque est maintenant en voie de disparition.

- Les Arméniens

Pour leur part, les Arméniens représentent numériquement la plus importante minorité chrétienne de Turquie (plus de 100 000 personnes), mais leur situation demeure fragile et vulnérable. Ceci s’explique surtout par le poids de l’histoire, particulièrement le génocide de 1915, et sa négation farouche par tous les gouvernements turcs. Rappelons que, selon les Arméniens, quelque 1,5 million de leurs compatriotes auraient été massacrés durant les dernières années de l'Empire ottoman (1915-1923), dans le cadre d'une opération militaire visant à expulser la population arménienne de la Turquie orientale.

Mais l'État turc a toujours affirmé qu'il n’y avait eu aucun massacre systématique et que la plupart des Arméniens avaient fui le pays de leur propre gré durant la guerre civile. Pour les autorités turques, il n'y a jamais eu autre chose que «des déplacements de population nécessités par la guerre». La Turquie publie même assez régulièrement des livres qui laissent entendre que, en réalité, «des bandes arméniennes, de mèche avec les troupes russes, ont massacré des populations musulmanes», sans parvenir à fournir une explication cohérente sur la disparition du million et demi d'Arméniens de cette région du monde où ils vivaient depuis la haute Antiquité. Il n'en demeure pas moins que le génocide des Arméniens continue de poser de graves problèmes à la Turquie; si les responsabilités individuelles ont été oubliées, il n'en est pas ainsi de celles de l'État. Le génocide des Arméniens demeure une plaie pour la Turquie. De façon générale, la communauté arménienne est maintenant bien intégrée (assimilée) à la société turque et plusieurs de ses membres font partie de la haute bourgeoisie turque.

- Les Assyro-Chaldéens

Pour ce qui est de la communauté chrétienne assyro-chaldéenne (environ 35 000 personnes), elle semble également en voie de disparition. Cette minorité cumule en ensemble de problèmes presque insurmontables tels que l’absence de toute reconnaissance juridique, la privation du droit à des institutions scolaires, la confiscation de lieux de culte, sinon l’interdiction de construire de nouvelles églises. La communauté se voit également refuser le droit d’organiser un enseignement religieux syriaque, tandis que des demandes d’exemption aux cours de culture religieuse au sein des écoles publiques sont parfois ignorées. Bref, les Assyro-Chaldéens se sentent traités par l’État turc comme des étrangers et quittent progressivement le pays. Ce qui n’aide pas à leur cause: le conflit armé entre les autorités turques et les mouvements kurdes qui ont précipité le départ massif des Assyro-Chaldéens du sud-est de la Turquie.

- Les Juifs

Il faudrait parler aussi de la petite communauté juive dont la population varierait entre 8000 et 10 000 personnes. La plupart des juifs de Turquie résident à Istanbul, mais de petites communautés demeurent à Izmir (environ 2500), ainsi qu’à Brousse, Çanakkale, Adana, Ankara Iskenderun, Kirklareli, etc. On estime que 96 % de la communauté juive est composée de séfarades, les autres étant partagés entre les ashkénazes et les caraïtes. De façon générale, les juifs de Turquie ne sont guère inquiétés par le régime qui les considère comme des alliés (à l'instar d'Israël). Ils possèdent 18 synagogues en service à Istanbul aujourd'hui, mais plusieurs ne fonctionnent que durant les mois d’été, d’autres seulement les jours de fêtes. Les juifs, qui par ailleurs parlent tous le turc comme langue maternelle, ont le droit d’enseigner l’hébreu à la synagogue et dans les écoles privées.

- Les chiites

Parmi ceux qui pratiquent l'islam chiite, il y a surtout les Persans (Iraniens) et les Azerbaïdjanais. Comme partout ailleurs, les chiites sont à couteaux tirés avec les sunnites.

- Les alévis

Les alévis pratiquent une religion bien particulière héritée du zoroastrisme, dont le feu constitue le principe sacré. Pour les alévis, les symboles tels le soleil, la lune, le feu et la nature sont sacrés. C’est une faute grave que de laisser le feu s’éteindre dans la cheminée. Cette minorité religieuse au mode de vie très libéral, alors qu'ils vivent dans un pays majoritairement sunnite, a souvent été victime de massacres et d'exactions qui jalonnent l'histoire de la Turquie moderne.  Tous les jeunes Turcs d'aujourd'hui connaissent encore la devise suivante : «Celui qui tue deux alévis mérite le paradis.»

La plupart des alévis sont de langue turque, mais une minorité s'exprime en kurde zazaki. La langue du culte et des livres cultuels (Buyruk) est de toute façon le turc. Quant au nombre des alévis, il n’y a aucun recensement fiable qui dénombre la population alévie de Turquie. Nous savons que, lors du recensement de 1927, la Turquie comptait alors 13,6 millions d’individus et qu’un tiers de cette population était de rite alévie. Selon une étude commandée en 2008 par le Conseil de la sécurité nationale et réalisée par des universités, il y aurait 10 millions d’alévis, dont 9 millions en Turquie et 1 million en Europe. Selon le rapport daté du 26 août 2006 d’Olli Rehn, commissaire européen, les alévis seraient de 15 à 20 millions. Les alévis kurdophones se trouvent dans la région de l'Anatolie orientale, alors que les alévis turcophones sont dans la Région méditerranéenne.

De façon générale, les minorités linguistiques de la Turquie ne sont guère satisfaites de leur sort, pour employer un euphémisme. Le «problème kurde» semble avoir affecté toutes les minorités, alors que la Turquie semble souffrir de paranoïa à l’encontre de ses minorités. Ainsi, l’opinion publique turque croit généralement que les Arméniens combattent secrètement l’État turc au sein du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), même s'il n'existe aucune preuve. Parce que les Assyriens habitaient les régions rurales du Sud-Est où se déroulait la guerre contre les Kurdes, ils ont été considérés comme des Kurdes. Les Grecs connaissent une situation encore plus difficile depuis février 1975, alors que la Turquie envahissait le nord de l’île de Chypre: ils sont depuis cette époque associés aux «Grecs de Chypre» et considérés comme des «ennemis de la Turquie». Quant aux Kurdes, ils sont systématiquement pourchassés, leur région demeurant aujourd'hui sous le contrôle illimité de la puissante armée turque. Bien qu'à plusieurs reprises le gouvernement turc ait promis aux instances européennes de «rendre sa législation conforme aux normes et aux principes européens», aucune démarche sérieuse n'a été entreprise jusqu’à présent. Les autorités turques se contentent plus souvent qu’autrement de changements mineurs purement cosmétiques.

Dernière mise à jour: 17 août 2024

La Turquie

(1) Situation générale


(2)
Histoire de l'Empire ottoman
et de la Turquie moderne

 


(3)
La politique linguistique

 
(4) Bibliographie

Kurdistan

 

L'Asie
Accueil: aménagement linguistique dans le monde